Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Conférence des juges de paix magistrats du Québec c. Québec (Procureur général)

2014 QCCA 1654

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-022600-126

(500-17-046760-081)

 

DATE :

 Le 11 septembre 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

CONFÉRENCE DES JUGES DE PAIX MAGISTRATS DU QUÉBEC et AL. (voir annexe)

APPELANTS - requérants

c.

 

PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC et

MINISTRE DE LA JUSTICE DU QUÉBEC

INTIMÉES - intimées

Et

CONFÉRENCE DES JUGES DU QUÉBEC

INTERVENANTE

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les parties appelantes se pourvoient contre un jugement rendu le 16 mars 2012 et rectifié le 30 mars 2012 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Robert Mongeon), qui rejette leur demande d’invalidation de certaines dispositions de la Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires et d’autres dispositions législatives eu égard au statut des juges de paix, L.Q. 2004, c. 12 et de l’art. 178 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ c. T-16, au motif que ces dispositions seraient contraires aux exigences constitutionnelles en matière d’indépendance judiciaire.

[2]           Pour les motifs du juge Dalphond, auxquels souscrivent les juges Bouchard et Vauclair, LA COUR :

[3]           REJETTE le pourvoi, sans frais vu la nature du litige.

 

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

Me Raymond Doray

Me Loïc Berdnikoff

LAVERY DE BILLY

Pour les appelants

 

Me France Bonsaint

CHAMBERLAND GAGNON (JUSTICE QUÉBEC)

Me Brigitte Bussières

DIRECTION GÉNÉRALE DES AFFAIRES JURIDIQUES ET LÉGISLATIVES

Pour les intimées

 

Me Chantal Châtelain

Me Vincent de l’Étoile

LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS

Pour l’intervenante

 

Date d’audience :

26 mai 2014



 

 

MOTIFS DU JUGE DALPHOND

 

 

[4]           Les parties appelantes, des juges de paix magistrats et leur association, se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure qui rejette leur demande d’invalidation des art. 27, 30 et 32 de la Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires et d’autres dispositions législatives eu égard au statut des juges de paix, L.Q. 2004, c. 12 (Loi) et de l’art. 178 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ c. T-16 (LTJ), au motif que ces dispositions seraient contraires aux exigences constitutionnelles en matière d’indépendance judiciaire quant à leur rémunération depuis 2004 et à leur participation au régime de retraite du personnel d’encadrement.

[5]           Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’y a pas lieu de déclarer sans effet les dispositions contestées.

LE CONTEXTE

[6]           La fonction de juge de paix est fort ancienne et importante dans notre système de justice d’origine britannique (Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, par. 4)[1]. Officiers de justice de proximité, les juges de paix étaient, à l’origine, des citoyens ordinaires investis de certains pouvoirs et agissant sous la supervision des tribunaux supérieurs. Si tel est encore le cas en Angleterre, ce ne l’est plus au Canada, où cette fonction a pris de l’ampleur au fil des ans, notamment à la suite de l’entrée en vigueur de la Charte des droits et libertés[2], pour devenir l’apanage exclusif de personnes formées en droit.

[7]           La Cour suprême du Canada a statué que les juges de paix qui exercent des fonctions judiciaires directement liées à l’application de la loi et ayant une incidence sur les droits et libertés des citoyens doivent jouir des garanties d’indépendance reconnues aux juges et aux tribunaux de l’ordre judiciaire en raison de l’importance de leurs fonctions au sein du système judiciaire canadien (Ell, par. 24-26), soit l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative.

[8]           Dans l’arrêt Pomerleau c. R., [2004] R.J.Q. 83, J.E. 2004-219, rendu le 23 décembre 2003, une formation de la Cour dont je faisais partie conclut, en application des enseignements de l’arrêt Ell, que le système alors en place dans la province était inconstitutionnel puisqu’il ne garantissait pas l’indépendance des juges de paix québécois. En effet, ce système était composé de deux catégories de juges de paix jouissant des attributions et avantages suivants :

-       600 fonctionnaires, dont 400 provinciaux répartis en trois catégories selon la Politique de nomination des officiers de justice (gouvernement du Québec, février 2002) et 200 municipaux, autorisés par la LTJ à poser un nombre restreint d’actes de nature judiciaire à l’occasion de l’exécution de leur travail d’une autre nature (par exemple, un greffier municipal), désignés dans la LTJ « juges de paix à pouvoirs restreints » (JPPR). Cette charge était amovible; et

-       6 personnes, désignées « juges de paix à pouvoirs élargis » (JPPE) dans la LTJ, nommées chacune par arrêté ministériel pour occuper cette fonction en exclusivité pendant un terme de 5 ans, renouvelable au bon plaisir du ministre, et autorisées par la LTJ à poser une large gamme d’actes de nature judiciaire. Leur rémunération et autres avantages découlaient de décrets individuels adoptés par le conseil exécutif et incluaient, si l’acte de nomination l’indiquait, une participation au régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics. En vertu de ces décrets, ils bénéficiaient du taux d’augmentation de traitement accordé aux juges de la Cour du Québec, à la même période que ces derniers, et des régimes collectifs d’assurance des juges de la Cour du Québec.

[9]           Dans ce même arrêt, notre Cour refuse de suspendre l’effet de cette déclaration d’inconstitutionnalité, d’avis que les juges de la Cour supérieure, de la Cour du Québec et des cours municipales[3] peuvent temporairement suppléer à l’incapacité d’agir des juges de paix (Pomerleau, par. 26).

[10]        C’est dans ce contexte que l’Assemblée nationale adoptait la Loi, sanctionnée le 16 juin 2004 et dont la plupart des dispositions sont entrées en vigueur le 30 du même mois, qui visait à « mettre en œuvre un régime respectant les garanties constitutionnelles d’indépendance judiciaire » en remplaçant la partie III.1 « des juges de paix » de la LTJ, par une nouvelle, dont les principales caractéristiques sont :

-       création des postes de « juges de paix magistrats » (JPM) et de « juges de paix fonctionnaires » (notes explicatives de la Loi et art.158 et suivants LTJ);

-       le poste de JPM constitue une charge exclusive (art. 171), dont les attributions, exercées concurremment à celles des juges de la Cour du Québec, s’étendent à l’ensemble de la province (art. 172) et correspondent essentiellement à celles des JPPE, hormis l’incapacité de présider des enquêtes pour remise en liberté et d’instruire des poursuites sommaires pour des infractions en vertu de la Partie XXVII du Code criminel, actes réservés désormais aux juges de la Cour du Québec (art. 173 et Annexe V), et l’ajout du pouvoir de présider des comparutions par voie téléphonique accompagné de l’obligation d’assurer ce service en tout temps (art. 174);

-       définition du bassin d’éligibilité des JPM, soit uniquement des avocats avec au moins dix ans de barreau (art. 162);

-       établissement d’un processus de sélection des JPM visant à garantir que seules des personnes qualifiées pour cette charge sont nommées (art. 163);

-       nomination des JPM par le gouvernement, par commission sous le grand sceau, comme pour les juges de la Cour du Québec (art. 161), et non par le ministre comme c’était le cas pour les JPPE;

-       obligation de prêter un serment similaire à celui des juges de la Cour du Québec avant d’entrer en fonction (art. 180);

-       intégration des JPM à la Cour du Québec, sous l’autorité du juge en chef de cette dernière (art. 169);

-       inamovibilité des JPM jusqu’à 70 ans (art. 165-166) et non pour une période prédéfinie de 5 ans comme pour les JPPE, une destitution n’étant possible que sur recommandation de la Cour d’appel du Québec, après enquête (art. 167);

-       traitement et autres avantages arrêtés par le gouvernement (art. 175), après réception des recommandations d’une formation distincte du comité de la rémunération des juges (CRJ) (art. 176), un organisme spécialisé prévu à la partie VI.4 de la LTJ et mis sur pied afin de donner suite aux obligations constitutionnelles du gouvernement du Québec à l’égard des juges de nomination provinciale dans la foulée du Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de I.P.E.; Renvoi relatif à l'indépendance et à l'impartialité des juges de la Cour provinciale de I.P.E., [1997] 3 R.C.S. 3 (Renvoi de 1997);

-       participation au régime de retraite établi par la Loi sur le régime de retraite du personnel d’encadrement, RLRQ, c. R-12.1 (art. 178) et non à celui des employés du gouvernement et des organismes publics dont pouvaient bénéficier les JPPE, lequel ne peut être modifié quant aux JPM qu’après l’intervention d’un CRJ (art. 178, 2e al, et art. 246.29).

[11]        L’art. 26 de la Loi confère le statut de JPM aux six JPPE, « réputés nommés » suivant la nouvelle partie III.1 de la LTJ, ajoutant que ceux qui étaient en congé sans solde de la fonction publique sont réputés avoir démissionné à compter du 30 juin 2004. L’art. 35 exige cependant qu’ils prêtent un serment, similaire à celui des juges de la Cour du Québec, dans les 30 jours de l’entrée en vigueur de la Loi.

[12]        L’art. 27, 1er alinéa, énonce que les personnes devenues JPM par l’effet de la Loi conservent le traitement reçu avant l’entrée en vigueur de la Loi, et ce, jusqu’à ce traitement soit égal à celui des nouveaux JPM, établissant de fait un palier supérieur de rémunération temporaire, désigné en droit du travail sous l’appellation « classe de retenue ».

[13]        Ce droit au maintien du traitement pour les six ex-JPPE s’avérera doublement avantageux. D’abord, le 30 juin 2004, par le décret 689-2004 adopté en vertu de l’art. 30 de la Loi, le gouvernement fixe la rémunération annuelle de départ des JPM à 90 000 $, avec une majoration de 2 % pour chacune des deux années suivantes, la portant à 91 800 $ au 1er juillet 2005 et à 93 636 $ au 1er juillet 2006, alors que celle des JPPE était de 111 299 $ au 30 juin 2004[4]. Ensuite, en 2007, à la suite de la conclusion d’un jugement mettant fin à la saga judiciaire relative au rapport du CRJ pour la période 2001 à 2004 (Comité O’Donnell)[5], les juges de la Cour du Québec se voient accorder des augmentations rétroactives importantes afin de contrer les difficultés de recrutement à ce tribunal : 31,1 % au 1er juillet 2001, 2,4 % au 1er juillet 2002 et 3,7 % au 1er juillet 2003, dont bénéficieront aussi les JPPE aux termes des décrets qui les régissaient à ces périodes, portant leur traitement effectif au 30 juin 2004 à 137 280 $, accentuant de façon significative l’écart entre le palier de départ des JPM et les ex-JPPE.

[14]        L’art. 27, 2e alinéa, mentionne aussi que les ex-JPPE conservent les conditions de travail, y compris les avantages sociaux et le régime de retraite qui leur étaient applicables. Cependant, ils peuvent, dans les six mois, opter de participer au régime de retraite du personnel d’encadrement. Dans les faits, les 3 JPPE qui ne participaient pas déjà à ce régime, mais à celui des employés du gouvernement et des organismes publics, se prévaudront de cette option puisque le nouveau régime est plus avantageux pour eux.

[15]        Quant à l’art. 29 de la Loi, il fait des JPPR des juges de paix fonctionnaires, réputés nommés conformément à la LTJ (soit par le ministre de la Justice, à titre amovible), dont les attributions portent désormais essentiellement sur des actes non sujets à contestation. Ils exercent leurs attributions auprès de la Cour supérieure, de la Cour du Québec ou des cours municipales et doivent prêter un serment identique à celui des JPM dans les 30 jours (art. 35 Loi).

[16]        Finalement, l’art. 32 de la Loi énonce que le CRJ n’exerce sa compétence à l’égard des JPM qu’à compter de 2007, date où il devra comprendre un représentant des JPM et une formation spécialisée relative aux JPM, s’ajoutant à deux autres, l’une relative aux juges de la Cour du Québec et l’autre, aux juges municipaux (art. 246.30 LTJ).

[17]        Après l’entrée en vigueur de la Loi, aucun des six ex-JPPE ne conteste les modifications l’affectant. Sans aucun protêt ou réserve, ils acceptent leur nouveau titre, prêtent le serment requis par l’art. 35, posent les actes qu’ils sont désormais autorisés à faire et optent pour le régime de retraite du personnel d’encadrement.

[18]        Le 5 mai 2005, à la suite d’un processus de sélection entamé au mois de septembre précédent, 27 nouveaux JPM sont nommés, choisis parmi 188 candidatures, portant ainsi à 33 le nombre total de JPM.

[19]        Le 12 décembre 2005, la Conférence des juges de paix magistrats est constituée afin de promouvoir les droits de ses membres, notamment devant les CRJ.

[20]        En 2007, les six ex-JPPE reçoivent des montants considérables de rétroactivité pour la période de 2001 à 2007, en exécution du jugement final de la Cour supérieure décrit précédemment.

[21]        Dans un rapport daté du 17 avril 2008, déposé à l’Assemblée nationale le 24 du même mois, un CRJ présidé par l’ex-premier ministre Daniel Johnson (Comité Johnson) recommande, après avoir considéré les facteurs mentionnés à l’art. 246.42 LTJ, d’augmenter le traitement des JPM à 110 000 $ /année, pour les trois années à compter du 1er juillet 2007 :

7. RECOMMANDATIONS

7.1       Traitement

Recommandation (1)

Le Comité recommande que le traitement des JPM soit établi à 110 000$ pour les trois années à compter du 1er juillet 2007.

Le Comité recommande toutefois que le traitement des quatre[6] JPM nommés avant le 30 juin 2004 demeure à son niveau actuel jusqu’au 30 juin 2010, soit 137 280$.

[…]

À la lumière des facteurs de l’article 246.42 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, le Comité a évalué le traitement des JPM à 110 000$. Par le fait même, cela maintient une disparité entre les deux cohortes de JPM, et entraîne le gel des JPM dont le traitement est déjà supérieur à 110 000$ par année. Il n’est pas opportun de combler cet écart en suggérant que le traitement des JPM nommés le 5 mai 2005 augmente de 47% pour rattraper celui des JPM nommés avant le 30 juin 2004. Le Comité refuse aussi de recommander, en plus, une hausse de 46% à tous les JPM, pour atteindre le traitement « d’au moins 200 000$ » suggéré par la Conférence. […] Le Comité est également d’avis que les JPM nommés le 5 mai 2005, ayant postulé pour occuper ces postes, comme des douzaines d’autres juristes, en toute connaissance de leurs conditions de rémunération, ne peuvent raisonnablement s’attendre à voir leur traitement passer d’environ 90 000$ à quelque 200 000$ en 26 mois : il n’y a aucune justification pour ce faire.

[…]

Il est également pertinent de noter que l’historique de la situation relative des JPM est à toutes fins pratiques inexistante. En fait, bien que la comparaison soit déficiente à plusieurs égards, […] le Comité est d’opinion qu’à première vue, la compétence, les critères de sélection et la déontologie s’appliquant aux « Presiding Justices » de la province d’Alberta sont les éléments se rapprochant le plus de ceux que l’on retrouve chez les JPM du Québec.

[…]

Le Comité a pris acte du traitement accordé aux « Sitting and Presiding Justices » à temps plein par le comité albertain pour la période du 1er avril 2005 au 31 mars 2008, soit 110 000$; cela constitue présentement le traitement le plus élevé accordé à un juges [sic] de paix au Canada, selon les informations dont dispose le Comité. On notera avec intérêt que c’est là un traitement, établi en janvier 2007, dont le niveau au premier trimestre de 2008 est le même qu’il y a trois ans. Pour le Comité, un tel gel de trois ans est également opportun au Québec, car il est d’avis que les prochains ajustements devront se fonder sur des renseignements et comparaisons plus complets.

[je souligne]

[22]         Par ailleurs, le CRJ rejette les arguments de la Conférence et de ses membres contestant l’existence de deux classes de rémunération au sein des JPM, estimant que la situation des JPM, « si elle n’est pas très répandue, est loin d’être unique, tant dans les secteurs privé que public »[7]. Il considère aussi que la participation des JPM au régime de retraite du personnel d’encadrement leur assure une sécurité financière adéquate.

[23]        Le gouvernement donne suite aux recommandations du Comité Johnson le 1er octobre 2008, par l’adoption du décret 932-2008.

[24]        En novembre 2008, la Conférence et ses membres attaquent la constitutionnalité des art. 27, 30 et 32 de la Loi, de l’art. 178 de la LTJ et du décret 932-2008, au motif que ceux-ci portent atteinte à l’indépendance des JPM et, plus particulièrement, à leur sécurité financière. Par cette procédure, ils espèrent obtenir une augmentation de leur traitement rétroactivement à juillet 2004.

[25]        Dans un rapport daté du 23 décembre 2010 et déposé à l’Assemblée nationale le 17 février 2011, un CRJ présidé par Me Alban D’Amours (Comité D’Amours) recommande, après avoir pris connaissance d’une étude sur les attributions des juges de paix à travers le Canada et de leur rémunération, que celle versée aux JPM soit légèrement supérieure à celle des juges de paix d’Ontario (114 000 $ /année), soit 119 000 $ à compter du 1er juillet 2010, 119 892 $ au 1er juillet 2011 et 121 091 $ au 1er juillet 2012. Le gouvernement mettra en vigueur cette recommandation par l’adoption du décret 614-2011. À l’instar du Comité Johnson, le Comité D’Amours rejette les arguments contestant l’existence de deux classes de rémunération au sein des JPM et leur participation au régime de retraite du personnel d’encadrement.

[26]        Depuis, un autre CRJ, le comité Clair, s’est prononcé sur la rémunération des JPM. Il a rejeté les arguments de la Conférence contestant l’existence de deux paliers de traitement et la participation des JPM au régime de retraite du personnel d’encadrement.

[27]        Pour terminer cette mise en contexte, je souligne que depuis le 1er juillet 2013 le traitement des JPM nommés en mai 2005 et par la suite et celui des ex-JPPE est identique, 137 792 $ (augmenté selon l’indice du coût de la vie pour les deux années suivantes), entraînant la disparition de l’existence des deux paliers de rémunération au sein des JPM.

LE JUGEMENT ATTAQUÉ

[28]        Dans un jugement rendu le 16 mars 2012 et rectifié le 30 mars 2012, 2012 QCCS 1021, le juge Mongeon traite d’abord de la question du blocage de la rémunération des JPPE devenus des JPM. Selon lui, une telle mesure devait être revue par un CRJ, mais pas nécessairement à l’avance (par. 126-139). En l’espèce, le blocage a été examiné par un CRJ constitué en 2007, soit près de trois ans après l’adoption de la Loi, ce qu’il considère comme un délai raisonnable. Puisque les CRJ Johnson et D’Amours ont trouvé acceptable un tel gel, il ajoute qu’une personne raisonnable ne pourrait conclure que le gouvernement a porté atteinte à l’indépendance des six JPM concernés (par. 118-125). De même, il conclut que la perte du droit à l’ajustement de la rémunération des anciens JPPE, selon les taux applicables aux juges de la Cour du Québec, ne peut être remise en question, puisque deux CRJ ont validé cette mesure à l’intérieur d’un délai raisonnable (par. 145-157).

[29]        Le juge traite ensuite de la constitutionnalité de l’art. 30 de la Loi, qui a permis au gouvernement de fixer unilatéralement la rémunération des JPM nommés après juin 2004 durant les trois premières années et de créer de facto deux niveaux de rémunération. Selon lui, la Loi a institué une nouvelle fonction judiciaire. Or, rien dans la jurisprudence ni la doctrine ne suggère que le gouvernement a l’obligation de soumettre à un CRJ, préalablement à la création d’une nouvelle catégorie de juges, les conditions de rémunération de ces derniers. De plus, ces montants ayant été fixés avant l’embauche des nouveaux JPM, ils étaient connus des candidats et on ne saurait y voir des indices de manipulation financière susceptible de violer l’indépendance judiciaire (par. 164-175).

[30]        De toute façon, les montants arrêtés par le gouvernement pour 2004, 2005 et 2006 étaient adéquats puisque le CRJ Johnson, utilisant ses propres points de repères, a suggéré un traitement de 110 000 $ à compter de 2007, soit environ 16 000 $ de plus que celui applicable en 2006 (par. 169-174).

[31]        Quant à la résultante, à savoir deux paliers de rémunération pour les JPM, il conclut qu’une personne raisonnablement bien informée n’y verrait pas une atteinte à l’indépendance judiciaire, considérant notamment que le différentiel est temporaire, soit jusqu’au rattrapage des anciens par les nouveaux (par. 176-199).

[32]        Enfin, le juge retient qu’un CRJ a compétence pour statuer sur le caractère approprié du régime de retraite offert aux JPM. Or, les CRJ Johnson et D’Amours ont recommandé le maintien de la participation des JPM au régime de retraite du personnel d’encadrement, d’avis que le régime était adéquat. Dans ce contexte, le juge conclut que le gouvernement avait rempli ses obligations constitutionnelles (par. 224-227).

[33]        Pour toutes ces raisons, le juge conclut que les articles contestés de la Loi, l’art. 178 de la LTJ et le décret no 932-2008 ne portent pas atteinte à l’indépendance des JPM.

LES MOYENS D’APPEL

[34]        D’abord, les appelants soutiennent qu’il n’y a pas eu création d’une nouvelle fonction judiciaire. Ils ajoutent que, de toute façon, la Loi ne pouvait constitutionnellement permettre au gouvernement de fixer unilatéralement la rémunération « de départ » des JPM et en interdire ensuite toute révision pendant trois ans par un CRJ, une garantie objective nécessaire pour assurer une perception raisonnable d’indépendance. Pour eux, la Loi et le décret 689-2004 ont eu pour effet de réduire de 34 % la rémunération des JPM nommés en mai 2005 et par la suite, et ce, sans que cette mesure soit préalablement soumise à un CRJ.

[35]        Ensuite, les appelants prétendent que le blocage des traitements des JPPE devait être soumis au préalable à un CRJ. De plus, selon eux, la Loi a eu pour effet de porter atteinte aux droits acquis des JPPE quant à l’ajustement de leur traitement, ce qui a aggravé l’atteinte à leur indépendance.

[36]        Enfin, les appelants soumettent que le juge de première instance a erré en refusant de se prononcer sur la validité constitutionnelle du régime de retraite applicable aux JPM. Selon eux, la preuve démontre clairement que le régime de retraite du personnel d’encadrement n’est pas conçu pour assurer la sécurité financière des juges et, par voie de conséquence, que la mesure est inconstitutionnelle, une question relevant de la compétence de la Cour supérieure.

[37]        L’intervenante, la Conférence des juges du Québec, sans prendre position sur le fond, plaide que le juge a erré quant aux principes applicables. Selon elle, un CRJ devait, préalablement à l’adoption du décret 689-2004, donner son avis sur l’ensemble des aspects du traitement et autres avantages proposés aux JPM. De plus, elle conteste la participation de juges au régime de retraite du personnel d’encadrement.

L’ANALYSE

I.          Principes constitutionnels pertinents en l’espèce

[38]        D’abord, il se dégage de la Constitution canadienne des principes structurants dont le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme, la primauté du droit et le respect des minorités (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, p. 220).

[39]        Ensuite, la Constitution, par son architecture et ses principes sous-jacents, incluant la Charte des droits et libertés, exige que les tribunaux et leurs juges soient indépendants de toute pression extérieure, agissent de manière impartiale et soient perçus comme tels par le public (Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, p. 689; Renvoi de 1997, par. 113 et Mackin c. Nouveau-Brunswick; Rice c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, 2002 CSC 13, par. 38). En réalité, l’indépendance judiciaire est un élément vital à la démocratie canadienne (R. c. Beauregard, [1986] 2 R.C.S. 56, p. 70; Mackin, par. 34-35; Ell, par. 18-23; Assoc. des juges de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick c. Nouveau-Brunswick (Ministre de la Justice); Assoc. des juges de l'Ontario c. Ontario (Conseil de gestion); Bodner c. Alberta; Conférence des juges du Québec c. Québec (Procureur général); Minc c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 44, [2005] 2 R.C.S. 286 (Bodner), par. 4).

[40]        L’indépendance judiciaire comporte à la fois un aspect individuel et un aspect institutionnel. Le premier concerne l’indépendance du juge lui-même, et le deuxième, celle du tribunal dont il fait partie. Chacun de ces aspects est tributaire de l’existence de garanties objectives destinées à soustraire le pouvoir judiciaire à toute influence extérieure (Valente, p. 685 et 687; Ell, par. 28).

[41]        La doctrine et la jurisprudence reconnaissent désormais trois caractéristiques ou conditions centrales à cette indépendance : l’inamovibilité, la sécurité financière et l’indépendance administrative (Renvoi de 1997, par. 115 et 143). L’interprétation par les tribunaux de ces garanties varie selon la nature du tribunal et les intérêts en jeu (Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, 2001 CSC 35, par. 65, repris dans Ell, par. 30; Association des juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles c. Québec (Procureur général), 2013 QCCA 1690, par. 26 et 40). Il en ressort cependant une constante, soit qu’elle doit toujours se faire à la lumière des intérêts des justiciables, les vrais bénéficiaires de l’indépendance des tribunaux (Mackin, par. 71; Ell, par. 29) ou des adjudicateurs spécialisés (Association des juges administratifs, par. 24 et 25).

[42]        Les juges doivent donc résister à la tentation de se servir du principe de l’indépendance judiciaire comme un outil pour simplement faire avancer leurs conditions de travail (Renvoi de 1997, par. 9).

[43]        Afin de garantir aux citoyens cette perception d’indépendance, il est interdit aux juges de négocier leur traitement et autres avantages avec le gouvernement concerné, car cela risque d’entraîner une politisation de la question. Le Renvoi de 1997 et les arrêts Mackin et Bodner établissent les grands paramètres applicables en matière de rémunération des juges, faute de la possibilité d’une négociation. Il en ressort l’obligation pour les gouvernements de mettre en place un comité indépendant ayant pour objet de revoir périodiquement la rémunération et les autres avantages conférés aux juges et de formuler des recommandations qui ne peuvent être écartées à la légère par le gouvernement ou le législateur, selon le cas, dont la décision peut ensuite faire l’objet d’un contrôle judiciaire devant une cour supérieure selon la norme de la rationalité simple.

[44]        À défaut de telles révisions périodiques, la rémunération et autres avantages des juges pourraient devenir inadéquats pour garantir l’indépendance judiciaire et, par conséquent, entraîner une contestation de l’autorité des tribunaux par des justiciables (Mackin, par. 59).

[45]        En d’autres mots, la Constitution ne garantit pas le meilleur niveau de rémunération possible selon les finances de l’État (Renvoi de 1997, par. 190), mais plutôt un processus de révision périodique du traitement et autres avantages des juges qui soit indépendant et efficace, permettant de dépolitiser cette question et assurant que ce traitement et autres avantages n’atteignent un seuil qui permettrait de douter de l’indépendance institutionnelle ou individuelle des juges (Renvoi de 1997, par. 193).

[46]        De même, les gouvernements ne peuvent décréter unilatéralement des modifications aux conditions de travail des juges sans risquer de déclencher l’application des principes liés à la dimension institutionnelle de la garantie de la sécurité financière (Mackin, par. 53; Renvoi de 1997, par. 147 et 178). Plus particulièrement, le gouvernement concerné a l’obligation constitutionnelle de recourir à un organisme indépendant, efficace et objectif qui fera, au préalable (Renvoi de 1997, par. 133, 137, 166, 174, 200, 226, 233, 234, 242 et 287 (2)), des recommandations sur les réductions, augmentations et blocages des traitements des juges, lesquelles, si écartées, pourront donner lieu à une contestation judiciaire où le gouvernement devra justifier sa position sur la base d’un critère de simple rationalité (Renvoi de 1997, par. 183, 184 et 287 (4); Bodner, par. 25-29 et 31; Mackin, par. 57), hormis des circonstances exceptionnelles requérant une mesure d’application immédiate, telle une grave crise financière ou une guerre (Renvoi de 1997, par. 137)[8].

[47]        Finalement, la Constitution établit une hiérarchie dans l’ordre judiciaire canadien au niveau de chaque province en distinguant les tribunaux supérieurs provinciaux et les autres tribunaux provinciaux, ces derniers étant soumis au pouvoir de surveillance et de contrôle des premiers.

[48]        Les juges des tribunaux supérieurs provinciaux sont nommés par le gouvernement fédéral (art. 96 Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Victoria, c. 3), qui doit respecter les exigences prévues à la Constitution (art. 97 et 98 Loi constitutionnelle de 1867), complétées par la Loi sur les juges, L.R.C., ch. J-1. Ils occupent leur fonction à titre inamovible jusqu’à l’âge de 75 ans (art. 99 Loi constitutionnelle de 1867). Même s’ils œuvrent dans des tribunaux relevant de la province, leur traitement et autres avantages incombent au Parlement du Canada (art. 100 Loi constitutionnelle de 1867).

[49]        Les juges des autres tribunaux provinciaux sont nommés par le gouvernement de la province concernée et à la charge de cette dernière (par. 92(14) Loi constitutionnelle de 1867). Des lois particulières, telle la LTJ, précisent les conditions d’éligibilité, la durée de la charge (au Québec, 70 ans) et le traitement et autres avantages de ces juges.

[50]        De plus, la Cour suprême du Canada, un tribunal fédéral créé par le Parlement en vertu de l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 pour agir comme tribunal d’appel général pour le pays, dont la composition et les pouvoirs sont constitutionnalisés depuis le rapatriement de la Constitution (Loi constitutionnelle de 1982, partie V, art. 41 et 42; Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21) chapeaute le système judiciaire canadien (Renvoi relatif à la sécession du Québec, p. 218).

 

 

II.         La Constitution n’exige pas l’uniformité dans la rémunération et autres avantages conférés aux juges

[51]        Dans Valente, la Cour suprême explique que les conditions essentielles de l'indépendance judiciaire, pour les fins de l'al. 11d) de la Charte, doivent avoir un lien raisonnable avec cet éventail de dispositions législatives et constitutionnelles qui, au Canada, régissent les questions touchant à l'indépendance judiciaire des tribunaux qui jugent les personnes accusées d'une infraction. C'est l'essence de la garantie fournie par les conditions essentielles de l'indépendance judiciaire qu'il convient d'appliquer en vertu de l'al. 11d), et non pas quelque formule législative ou constitutionnelle particulière qui peut l'offrir ou l'assurer. L'alinéa 11d) ne peut pas être interprété et appliqué de manière à conférer aux juges des cours provinciales les mêmes garanties constitutionnelles d'inamovibilité et de sécurité de traitement et de pension que les juges des cours supérieures, parce qu'une telle interprétation aurait pour effet de modifier les dispositions de la Constitution relatives à la magistrature (voir aussi : Renvoi de 1997, par. 105-109).

[52]        En fait, comme le mentionne la haute instance dans Valente, à la page 692 :

On peut s'attendre que ces efforts, déployés particulièrement par les milieux juridique et judiciaire en vue d'affermir les conditions de l'indépendance judiciaire au Canada, vont continuer à viser l'idéal.  Il ne serait cependant pas possible d'appliquer les conditions les plus rigoureuses et les plus élaborées de l'indépendance judiciaire à l'exigence constitutionnelle d'indépendance qu'énonce l'al. 11d) de la Charte, qui peut devoir s'appliquer à différents tribunaux.

 Voir aussi : R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, p. 142.

 

[53]        En somme, la norme de l'indépendance judiciaire ne commande pas l'uniformité, mais doit plutôt refléter ce qui est commun aux diverses conceptions des conditions essentielles de l'indépendance judiciaire au Canada. Il s’ensuit qu’elle ne se traduit pas en un modèle unique en matière de rémunération et autres avantages accordés aux juges canadiens, ni en matière de processus de révision périodique.

[54]        Ainsi, les conditions d’éligibilité et l’âge de la retraite obligatoire varient. Il en va de même de la méthode de calcul de la rente et des conditions pour son obtention.

[55]        Par ailleurs, avec le temps, il s’est établi des différences de traitement des juges, tant de nomination fédérale que provinciale, reflétant leur position hiérarchique dans l’ensemble judiciaire canadien.

[56]        Ainsi, la Loi sur les juges prévoit, pour les juges de la Cour suprême du Canada, qui font partie de la plus haute cour d’appel du pays, le niveau de rémunération le plus élevé parmi les juges de nomination fédérale. De même, cette loi accorde au juge en position temporaire d’autorité un différentiel salarial par rapport aux autres membres de la même cour.

[57]        Quant aux juges de nomination provinciale, le modèle québécois reconnaît désormais une hiérarchie dans la rémunération basée sur l’étendue de la compétence de chacune des catégories de juges. Ainsi, les juges de la Cour du Québec reçoivent un montant plus élevé que les juges des cours municipales, lesquels sont rémunérés plus que les juges de paix magistrats. De même, pour les juges de la Cour du Québec, les CRJ proposent désormais une rémunération qui tient compte du fait que ceux de la Cour supérieure exercent un pouvoir de contrôle et de surveillance sur ces derniers.

[58]        À l’intérieur même des tribunaux provinciaux, il existe aussi des différentiels salariaux en faveur des personnes occupant temporairement des positions d’autorité (art. 115 et 117 LTJ).

[59]        De plus, la possibilité de mouvement au sein de la magistrature peut résulter en des classes de retenue. Ainsi, la Loi sur les juges prévoit qu’un juge en autorité qui devient un juge puîné ou surnuméraire garde son niveau de rémunération jusqu’à ce que les autres juges le rejoignent (Loi sur les juges : art. 9 a) [Cour suprême], art. 10 a) et c) [Cour d’appel fédérale et Cour fédérale] et art. 13 a) et c) [Cour d’appel du Québec et Cour supérieure]), établissant de fait une classe de retenue.

[60]        Il en va de même pour les juges de nomination provinciale. Ainsi, l’art. 116 de la LTJ prévoit que le juge de la Cour du Québec qui a exercé la fonction de juge en chef, de juge en chef associé, de juge en chef adjoint, de président du Tribunal des droits de la personne (un tribunal administratif) ou de président du Tribunal des professions (un autre tribunal administratif) pendant au moins sept ans a droit de recevoir, jusqu'à ce que son traitement de juge soit égal au montant du traitement et de la rémunération additionnelle qu'il recevait lorsqu'il a cessé d'occuper cette fonction, la différence entre ce dernier montant et son traitement. Cela peut aussi se produire s'il est nommé à la Cour municipale de Montréal, de Laval ou de Québec.

[61]        La jurisprudence reconnaît aussi la légalité de certaines modifications résultant en deux niveaux de rémunération pour les juges d’une même cour, en fonction de leur date de nomination, comme le démontre l’arrêt Beauregard. Dans cette affaire, la Loi sur les juges avait modifié les modalités d’acquisition des privilèges de rentes pour les juges. L’art. 29.1 de la loi modifiée prévoyait que les juges nommés avant le 17 février 1975 contribueraient un et demi pour cent de leur traitement au paiement du coût des pensions, tandis que ceux nommés après le 16 février 1975 y contribueraient, antérieurement au 1er janvier 1977, six et demi pour cent de leur traitement et sept pour cent par la suite. Avant l'adoption de cette disposition, le 20 décembre 1975, les juges des cours supérieures n'étaient pas tenus de contribuer à leur régime de retraite. D’avis que cela créait une distinction injustifiée entre des mêmes juges, le juge Beauregard attaqua la disposition. La Cour suprême rejeta la contestation, concluant que les amendements à la Loi sur les juges ne créaient pas une discrimination injustifiée et ne portaient pas atteinte à l’indépendance des juges.

[62]        Tout comme la Loi sur les juges, la LTJ prévoit l’existence de deux régimes de retraite pour les juges de la Cour du Québec, en fonction de leur date de nomination, avec possibilité pour ceux du premier groupe d’opter de participer au régime existant pour ceux du deuxième (art. 224.1).

[63]        La Loi sur les juges prévoit aussi que les juges des cours supérieures provinciales ne peuvent acquérir le droit à une pleine retraite qu’après avoir atteint l’âge de 60 ans et satisfait à la « règle du 80 » (total de l’âge et des années de service), alors que le seul fait de servir 10 ans à la Cour suprême suffit à une pleine retraite (art. 42 (1) (a) et (e)).

[64]        La Constitution n’exige pas non plus la mise en place de régimes d’assurance ou de retraite qui soient contrôlés par les juges ou à leur seul avantage. Ainsi, les juges de nomination fédérale participent aux régimes de soins dentaires et de santé des cadres de la fonction publique fédérale.

[65]        En réalité, il faut uniquement des régimes qui tiennent compte des caractéristiques propres à la fonction judiciaire, notamment en assurant la sécurité financière des juges, à l’abri des ingérences arbitraires du gouvernement ou de toute autre source (Valente, p. 704).

[66]        De même, en matière d’ajustement de la rémunération pour tenir compte de l’inflation, le système canadien démontre également des variantes importantes. S’il est prévu pour les juges de nomination fédérale un ajustement annuel automatique (art. 25 (2), Loi sur les juges), il n’en va pas nécessairement ainsi pour les juges de nomination provinciale. Par exemple, au Québec, il n’y a pas d’indexation automatique, mais un ajustement tous les trois ans en fonction, notamment, de l’inflation (art. 246.42, al. 1, par. 4 LTJ).

[67]        En réalité, l’absence d’une clause d’ajustement automatique dans la loi pertinente n’est pas inconstitutionnelle, sauf si elle a pour effet, avec le passage du temps, de résulter en une rémunération qui tombe sous le seuil minimal requis pour garantir l’indépendance, comme l’indique le Renvoi de 1997, aux par. 135 et 174.

[68]        Finalement, la jurisprudence reconnaît la nécessité d’un mécanisme souple en matière de révision de la rémunération des juges (Renvoi de 1997, par. 167). La Cour suprême, dans le Renvoi de 1997, parle d’une révision selon des intervalles de 3 à 5 ans (par. 147). De fait, les formules retenues varient beaucoup au Canada : révision tous les quatre ans pour les juges de nomination fédérale, alors que c’est aux trois ans pour les juges de nomination provinciale au Québec. Quant aux rapports des comités indépendants, ils sont contraignants dans certaines juridictions (par. ex. Ontario en ce qui a trait au traitement et aux avantages sociaux, sauf le régime de retraite) ou constituent des recommandations pour la législature concernée ou le gouvernement.

[69]        En somme, les garanties constitutionnelles sont minimales et ne résultent pas en un modèle unique de rémunération et autres avantages ni de révision de ceux-ci. Cependant, le modèle retenu doit tenir compte de la situation particulière des juges, protéger leur indépendance et leur impartialité.

III.        Application de ces principes

[70]        En la présente espèce, il n’est pas contesté que les modifications apportées par la Loi à la LTJ reflètent une décision du législateur prise de bonne foi et de façon réfléchie dans le but de promouvoir l’indépendance d’importants acteurs du système judiciaire, et ainsi renforcer la confiance du public dans l’administration de la justice au Québec.

[71]        Ces modifications, rendues nécessaires à la suite de l’arrêt Pomerleau de notre Cour, constituent une réforme structurelle importante, tout autant que celles effectuées en Alberta et validées dans l’arrêt Ell (Ell, par. 49). Les parties ne s’entendent pas sur la qualification juridique à donner à cette réforme. Pour les parties appelantes, elle se résume à l’abolition de la charge de JPPR et à la modification du titre des JPPE. Pour le gouvernement, il s’agit de la création de nouvelles charges, celles de JPM et de juge de paix fonctionnaire, remplaçant les deux catégories de juges de paix alors existantes, les JPPE et les JPPR.

[72]        Le juge de première instance retient la deuxième thèse, ce que les parties appelantes qualifient d’erreur mixte de fait et de droit. Avec égards, je suis d’avis qu’elles ne démontrent pas que tel est le cas.

[73]        D’abord, il ressort de la preuve que la réforme confie à une trentaine de JPM exerçant cette charge de manière exclusive, disposant des mêmes pouvoirs, intégrés à la Cour du Québec et régis par des règles uniformisées de sélection, de rémunération et de terminaison, des attributions exercées jusqu’alors par 600 JPPR (provinciaux et municipaux) et six JPPE, assujettis à diverses conditions de travail.

[74]        Ensuite, outre le fait que la charge de juge de paix fonctionnaire n’est pas comparable à celle de JPPR, par ses pouvoirs beaucoup plus restreints, il demeure que la charge de JPM n’est pas équivalente à celle de JPPE : attributions modifiées, critères de sélection prévus à la LTJ, nomination par le conseil exécutif et non par le ministre de la Justice, charge désormais à titre inamovible jusqu’à 70 ans, processus de révision périodique de la rémunération et autres avantages adaptés à la charge de JPM, participation à un nouveau régime de retraite et intégration des JPM à la Cour du Québec, qui passent de ce fait sous l’autorité du juge en chef de cette dernière, notamment quant aux assignations et autres modalités d’exécution de leur charge.

[75]        Finalement, il est manifeste, à la lecture de la Loi, que les JPPE ne continuent pas d’occuper une même charge modifiée, mais sont plutôt nommés à une nouvelle charge, dont ils sont réputés posséder les qualités requises :

26. Les juges de paix nommés avant le 30 juin 2004 conformément à l’article 158 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (L.R.Q., chapitre T-16), auxquels l’article 162 de cette loi était rendu applicable par leur acte de nomination et qui sont en fonction à cette date, deviennent juges de paix magistrats. Ils sont réputés avoir été nommés durant bonne conduite suivant les dispositions de la section II de la partie III.1 de la Loi sur les tribunaux judiciaires telle que modifiée par la présente loi et, aux fins de l’application de l’article 161 de cette loi, avoir établi leur résidence au lieu dans lequel ils résidaient le 30 juin 2004.

 

Parmi ces personnes, celles qui étaient en congé sans solde de la fonction publique sont, à compter de l’entrée en vigueur du présent article, réputés avoir remis à cette date leur démission de leur poste de fonctionnaires.

26. Justices of the peace appointed before 30 June 2004 in accordance with section 158 of the Courts of Justice Act (R.S.Q., chapter T-16), to whom section 162 of that Act was made applicable by their deed of appointment and who are in office on that date become presiding justices of the peace. They are deemed to have been appointed to hold office during good behaviour in accordance with Division II of Part III.1 of the Courts of Justice Act, as amended by this Act, and, for the purposes of section 161 of that Act, to have established their residence in the place where they were residing on 30 June 2004.

 

Justices of the peace referred to in the first paragraph who were on leave without pay from the public service are, from the date of coming into force of this section, deemed to have resigned from their public service position.

[76]         Il s’ensuit logiquement la nécessité de prêter un nouveau serment, ce que prescrit l’art. 35 de la Loi.

[77]        Il en va de même des anciens JPPR qui ne continuent pas d’occuper une charge allégée, mais sont nommés à une nouvelle fonction et doivent prêter serment à nouveau (art. 29 et 35 Loi).

[78]        Les débats parlementaires confirment d’ailleurs que l’intention du législateur était de créer un nouveau régime constitué de deux nouvelles charges, celle des JPM et celle des juges de paix fonctionnaires[9].

[79]        Les parties appelantes font néanmoins valoir que les conditions de travail des six anciens JPPE ne pouvaient être modifiées par la Loi sans une revue au préalable par un comité indépendant (obligation incontournable du législateur), que le gouvernement ne pouvait adopter le décret 689-2004 fixant le palier de rémunération de départ des JPM sans obtenir au préalable la recommandation d’un comité indépendant (obligation incontournable du gouvernement) et que la participation des JPM au régime de retraite du personnel d’encadrement, édictée par la LTJ, est inconstitutionnelle.

[80]        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter tous et chacun de ces moyens.

i)          fixation de la rémunération de départ des JPM :

[81]        Les art. 30 et 32 de la Loi énoncent ce qui suit :

30. Le gouvernement fixe, par décret, le traitement et les conditions de travail des juges de paix magistrats nommés à compter du 30 juin 2004, y compris leurs avantages sociaux autres que le régime de retraite. Ce décret demeure applicable jusqu’à l’adoption du premier décret pris en application de l’article 175 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (L.R.Q., chapitre T-16) édicté par l’article 1 de la présente loi.

 

30. The Government determines, by order, the salary and employment conditions of presiding justices of the peace appointed on or after 30 June 2004, including their employment benefits other than the pension plan. The order remains applicable until the first order is made under section 175 of the Courts of Justice Act (R.S.Q., chapter T-16) enacted by section 1.

32. Malgré les articles 2 à 8 de la présente loi, le Comité de la rémunération des juges n’exerce ses attributions eu égard aux juges de paix magistrats qu’à compter du moment où il sera procédé à la nomination des membres du comité qui sera formé en 2007 à l’égard des juges de la Cour du Québec et des cours municipales.

32. Despite sections 2 to 8, the committee on the remuneration of judges will not exercise its functions with regard to presiding justices of the peace until a committee is formed in 2007 with respect to judges of the Court of Québec and municipal courts.

[82]        Conformément à la Loi, le décret 689-2004 du 30 juin 2004 détermine la rémunération de départ des JPM, et ce, sans implication d’un comité indépendant.

[83]        De fait, ce décret n’affectera personne jusqu’au 5 mai 2005, date de nomination de 27 nouveaux JPM. Ces derniers, individuellement ou par leur association, n’ont pas contesté devant la Cour supérieure le fait que le décret 689-2004 avait arrêté leur rémunération sans passer préalablement par le crible institutionnel d’une commission indépendante. En réalité, ils ont choisi d’attendre la présence du premier CRJ comprenant une formation relative aux JPM, en 2007 (Comité Johnson), pour demander une augmentation substantielle de leur rémunération (47 %), pour la porter à « au moins 200 000 $ » à compter du 1er juillet 2007.

[84]        Ce n’est qu’en novembre 2008, à la suite du rejet de leur demande par le Comité Johnson et de l’adoption d’un décret mettant en vigueur ses recommandations, dont une augmentation de près de 16 000 $ de leur traitement annuel, que les JPM et leur Conférence judiciarisent le dossier. Sans décider si cette attaque constitutionnelle doit être rejetée au motif de sa tardivité ou de l’acceptation des paliers de rémunération décrétés en juin 2004, je suis d’avis qu’elle doit échouer sur le fond.

[85]        Comme le juge de première instance, je crois que l’obtention par le gouvernement, préalablement à l’adoption du décret 689-2004, d’une recommandation d’un CRJ quant à la rémunération des détenteurs de la nouvelle charge de JPM, même si elle aurait pu être bénéfique, n’était pas obligatoire en l’espèce. En effet, il ne s’agissait pas d’une situation de modification des conditions de travail de juges par augmentation, réduction ou blocage de leur traitement, les trois cas énoncés par la Cour suprême du Canada où un comité indépendant est requis pour préserver les justiciables contre une tentative de manipulation financière des juges par le gouvernement.

[86]        D’ailleurs, si un comité indépendant avait été consulté et que le gouvernement avait écarté le palier de départ suggéré par ce comité, qui aurait pu enclencher une contestation judiciaire? Des candidats potentiels à la charge? Les six anciens JPPE non assujettis à ce décret? Un membre du public? Le Barreau?

[87]        De plus, le comité Cimon constitué en mars 2004 aurait été difficilement adéquat, faute d’une Conférence des JPM et de détenteurs de la charge au palier de rémunération prévu au décret, pour participer à l’analyse des facteurs mentionnés à l’art. 246.42 LTJ. En fait, le processus prévu à la partie VI.4 de la Loi ne pouvait réellement s’appliquer à la charge de JPM nouvellement créée.

[88]        Ceci dit, l’absence de nécessité de l’intervention d’un comité indépendant ne signifie pas que le gouvernement pouvait déterminer n’importe quel traitement de départ. Au contraire, le gouvernement devait décréter un niveau de traitement qui assurait la confiance du public dans la nouvelle instance judiciaire. Ainsi, une rémunération qui aurait été ajustée en fonction des amendes imposées ou perçues n’aurait pas passé le test constitutionnel.

[89]        En l’espèce, une attaque constitutionnelle ne peut réussir que si les JPM démontrent que leur traitement de départ ne satisfaisait pas au seuil minimum requis pour maintenir la confiance du public envers leur charge.

[90]        En d’autres mots, une personne raisonnable et bien informée, conclurait-elle en l’espèce que les niveaux de traitement fixés par le décret 689-2004 étaient indicatifs d’une tentative de manipulation des JPM ou étaient trop bas pour garantir l’indépendance des détenteurs de cette nouvelle charge?

[91]        La seule réponse possible à cette question est négative à la lumière de la preuve.

[92]        D’abord, le premier CRJ, le Comité Johnson, a conclu que la rémunération de départ des JPM avait été fixée à un niveau adéquat en ne recommandant au gouvernement qu’une augmentation d’environ 16 000 $ à compter du 1er juillet 2007, pour porter le traitement à 110 000 $, un montant bien en deçà de celui alors versé aux ex-JPPE nommés JPM et des 200 000 $ réclamés par les JPM. Puisque l’absence de raisonnabilité des recommandations du Comité Johnson ou de la réponse du gouvernement y donnant suite n’a pas été démontrée en première instance, il faut en tenir compte dans l’analyse du caractère suffisant, d’un point de vue constitutionnel, de la rémunération de départ fixée par le décret 689-2004.

[93]        Ensuite, lors des représentations en première instance, les appelants ont admis que leur rémunération n’était pas sous le minimum requis pour assurer leur indépendance[10].

[94]        J’ajoute que même si une recommandation préalable d’un comité indépendant avait été constitutionnellement requise en 2004, proposition que j’ai écartée pour les motifs indiqués précédemment, je n’aurais pas été d’avis d’accorder la réparation demandée, puisque rien n’indique qu’il y a eu tentative de manipulation financière ou que le palier original de rémunération fixé dans le décret 689-2004 était tel qu’il était sous le seuil constitutionnel acceptable. Faire de l’étape du crible une condition sine qua non entraînant à tout coup l’invalidité des art. 30 et 32 de la Loi ou du décret 689-2004 (non demandée) me semble faire prévaloir la forme sur la substance. Or, l’indépendance judiciaire est fondamentale et doit être protégée afin de garantir aux justiciables des jugements impartiaux, ce qui n’est pas mis en doute ici, plutôt que l’avancement des intérêts économiques des détenteurs d’une charge judiciaire.

[95]        Finalement, l’existence de deux niveaux de traitement pour les JPM jusqu’en 2013 n’avait rien d’illégal en l’espèce. Les classes de retenue pour des juges ne sont pas inhabituelles et je ne vois rien dans la Constitution, incluant la Charte des droits et libertés, qui requiert en toute circonstance un traitement égal pour tous les juges occupant une même charge. Ici, comme dans l’arrêt Beauregard, le législateur distingue en fonction de la date de nomination, en accordant temporairement aux ex-JPPE, un niveau de rémunération supérieur à celui que commande la charge de JPM selon tous les CRJ qui ont eu à discuter de la question.

[96]        En conclusion, les parties appelantes n’ont pas démontré que le palier de rémunération de départ des JPM fixé par le décret 689-2004 ne respectait pas le seuil minimal constitutionnellement requis pour garantir l’indépendance financière des JPM - bien au contraire, elles ont admis l’inverse - ou qu’il y avait eu tentative de manipulation financière des JPM par le gouvernement.

ii)         la fixation des conditions de travail des ex-JPPE :

[97]        Les parties appelantes ont raison de soutenir que l’attribution du caractère inamovible à la charge de JPPE était probablement inévitable une fois qu’on l’inclut parmi celles qui doivent bénéficier de l’indépendance judiciaire et de ses trois garanties objectives, dont l’inamovibilité.

[98]        Ceci dit, le droit à l’inamovibilité dans l’exercice d’une charge ne garantit pas la pérennité de celle-ci et ne peut empêcher le législateur de l’abolir dans le cadre d’une réforme d’intérêt public (Ell; voir aussi : Ville de Westmount et al. c. Procureur général du Québec, [2001] R.J.Q. 2520 (C.A.), par. 233-247 (Requête pour autorisation de pourvoi et requête en sursis à la Cour suprême rejetée, 2001-12-07, dossier 28869)).

[99]        En somme, l’essence de l’inamovibilité, que ce soit jusqu'à l'âge de la retraite, pour une durée fixe, ou pour une charge ad hoc, est que la charge soit à l'abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l'exécutif ou de l'autorité responsable des nominations (Valente, p. 698). En l’espèce, la Loi visait à remédier à un régime inconstitutionnel et non à révoquer des détenteurs de charges judiciaires.

[100]     Tel qu’indiqué précédemment, la Loi a aboli la charge de JPPE et nommé JPM les six détenteurs de celle-ci (art. 26), puisqu’ils semblaient posséder les qualités requises par le nouveau système, ce qui ne compromettait pas les objectifs de la réforme législative, contrairement à la situation dans Ell. Puis, le législateur a encadré les conditions de travail de ces nouveaux JPM comme suit :

27. Les personnes devenues juges de paix magistrats par l’effet de l’article 26 conservent le traitement qu’elles recevaient avant l’entrée en vigueur de l’article 26, jusqu’à ce que ce traitement soit égal à celui qui sera établi par le gouvernement en application de l’article 175 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (L.R.Q., chapitre T-16).

 

Elles conservent également les conditions de travail, y compris les avantages sociaux et le régime de retraite, qui leur étaient jusque-là applicables. Elles peuvent toutefois, dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de l’article 26, opter de participer au régime de retraite établi par la Loi sur le régime de retraite du personnel d’encadrement (L.R.Q., chapitre R-12.1) en transmettant un avis à cet effet à la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances constituée en vertu de la Loi sur le régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics (L.R.Q., chapitre R-10). Dans ce cas, et si elles participaient au régime de retraite établi par la Loi sur le régime de retraite des fonctionnaires (L.R.Q., chapitre R-12), l’article 42 et le premier alinéa de l’article 139 de la Loi sur le régime de retraite du personnel d’encadrement s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires.

27. Persons who became presiding justices of the peace by virtue of section 26 retain the salary they were receiving before the coming into force of section 26, until that salary is equal to the salary to be determined by the Government pursuant to section 175 of the Courts of Justice Act.

 

They also retain the employment conditions, including the employment benefits and the pension plan, formerly applicable to them. However, during the six months following the coming into force of section 26, they may elect to become members of the pension plan established under the Act respecting the Pension Plan of Management Personnel (R.S.Q., chapter R-12.1) by sending a notice to that effect to the Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances established under the Act respecting the Government and Public Employees Retirement Plan (R.S.Q., chapter R-10). In that case, and if they were formerly members of the pension plan established under the Act respecting the Civil Service Superannuation Plan (R.S.Q., chapter R-12), section 42 and the first paragraph of section 139 of the Act respecting the Pension Plan of Management Personnel apply, with the necessary modifications.

[101]     Cela a entraîné trois séries de conséquences pour ces six personnes.

[102]     Certaines sont nettement positives : octroi du statut de JPM sans nécessité de passer par un comité de sélection; option d’adhérer au régime de retraite du personnel d’encadrement, un régime qui devait être plus avantageux que celui des employés du gouvernement et des organismes publics, puisque l’option fut exercée par ceux qui y étaient assujettis; rattachement à la Cour du Québec, une organisation forte et bien rodée; droit de bénéficier, rétroactivement au 1er juillet 2001, 2002 et 2003, des ajustements pouvant éventuellement échoir aux juges de la Cour du Québec une fois les litiges terminés, ce qui donnera lieu à une augmentation de 37 % du traitement effectivement perçu en juin 2004, au moment de la nomination à la charge de JPM, sans parler du chèque de rétroactivité.

[103]     Une autre conséquence s’est avérée, de fait, neutre, soit la non-attribution aux JPM des pouvoirs de présider des enquêtes pour remise en liberté et d’instruire des poursuites sommaires pour des infractions en vertu de la Partie XXVII du Code criminel. En effet, les parties s’entendent pour dire que l’entrée en vigueur de la Loi n’a rien changé dans la réalité du quotidien des ex-JPPE nommés JPM à cet égard.

[104]     Une conséquence apparaît toutefois négative pour les ex-JPPE. En effet, ces derniers ont perdu le bénéfice, sous le nouveau régime, d’un ajustement annuel automatique calqué sur celui accordé par le gouvernement aux juges de la Cour du Québec. Il ne s’agit pas d’une réduction de la rémunération, mais plutôt de la perte d’un avantage prévu à leurs décrets de nomination sous l’ancien système, inévitable une fois la raisonnabilité de la classe de retenue établie par l’art. 27 de la Loi, comme en ont décidé le comité Johnson, le comité D’Amours et le Comité Clair.

[105]     L’ensemble de ces conséquences formait un tout qui a manifestement plu aux six ex-JPPE, qui ont accepté de prêter serment en juillet 2004 et ont opté pour le régime de retraite du personnel d’encadrement, le tout sans manifestation d’une quelconque forme de protêt, mais avec l’espoir, peut-être, de recevoir une augmentation importante à la suite de la fin du litige avec les juges de la Cour du Québec et de convaincre le premier CRJ incluant une formation relative aux JPM, en 2007, de recommander des augmentations pour eux.

[106]     Le défaut des six ex-JPPE de contester l’art. 27 de la Loi dès son application à eux, en juin 2004, au motif de l’absence de filtrage par un comité indépendant, jumelé à leur choix de prêter serment et de se prévaloir de l’option quant au régime de retraite prévue à cette même loi et d’encaisser d’importants montants en 2007, constituent une fin de non-recevoir à leur tentative de réclamer, en 2008, un traitement supérieur à compter de 2004.

[107]     De plus, je suis d’avis qu’une personne raisonnable et bien informée conclurait en l’espèce que cet ensemble n’est pas indicatif d’une quelconque tentative gouvernementale de manipulation financière des JPM qui étaient précédemment des JPPE. Au contraire, cette personne constaterait que ceux-ci bénéficient, par l’effet de la Loi, globalement de garanties d’indépendance plus étendues, en plus de conserver un niveau de rémunération supérieur à ce qui est adéquat pour un JPM selon deux commissions indépendantes, les comités Johnson et D’Amours. En d’autres mots, elle conclurait de son analyse que la Loi opère un renforcement significatif de l’indépendance des JPM, y compris ceux qui étaient auparavant des JPPE, tout en minimisant les conséquences négatives associées à l’abolition de la charge de ces derniers.

[108]     Finalement, même si une recommandation préalable d’un comité indépendant avait été constitutionnellement requise en 2004, proposition que j’écarte puisqu’il n’y avait pas une modification des conditions de travail de juges toujours en poste, mais bien une abolition de la charge de JPPE ne violant pas la garantie d’inamovibilité, suivie d’une nomination des détenteurs à la nouvelle charge de JPM, je n’aurais pas proposé d’accorder la réparation demandée puisque rien n’indique qu’il y a eu tentative de manipulation financière, par le législateur, des JPM qui étaient précédemment des JPPE. Tel que mentionné précédemment, faire du filtrage par un CRJ une condition sine qua non entraînant à tout coup l’invalidité de l’art. 27 de la Loi revient à plaider la forme sur la substance, et ce, au bénéfice non pas des justiciables, mais uniquement des intérêts économiques des détenteurs de la charge de JPPE au 30 juin 2004.

iii)        le régime de retraite :

[109]     Les parties appelantes contestent la validité de l’art. 178 LTJ, tel que modifié par l’art. 1 de la Loi :

178.  Les juges de paix magistrats participent au régime de retraite établi par la Loi sur le régime de retraite du personnel d'enca-drement (chapitre R-12.1).

 

Le présent article s'applique sous réserve des dispositions de la partie VI.4.

178. Presiding justices of the peace shall participate in the pension plan established by the Act respecting the Pension Plan of Management Personnel (chapter R-12.1).

 

This section applies subject to the provisions of Part VI.4.

[110]     Fortes de la démonstration par leur expert que ce régime est moins avantageux que celui des juges de la Cour du Québec et plus coûteux, les parties appelantes plaident que la participation des JPM, dans certains cas par choix, à celui-ci est inconstitutionnelle puisqu’il s’agit d’un régime contrôlé par le gouvernement et conçu pour répondre aux besoins des 29 000 fonctionnaires actifs responsables de l’encadrement de la fonction publique et des 25 000 prestataires, des ex-fonctionnaires.

[111]     Tel qu’indiqué précédemment, la Constitution n’exige pas la mise sur pied de régimes de retraite réservés aux juges et contrôlés par eux, mais uniquement qu’ils bénéficient d’un régime qui tient compte des particularités de leurs fonctions, notamment en leur assurant une sécurité financière adéquate (Valente p. 708). La Constitution n’exige pas non plus qu’il y ait un régime de retraite uniforme pour tous les juges d’un même tribunal, comme l’indique bien l’affaire Beauregard.

[112]     Néanmoins, les principes énoncés précédemment quant au traitement s’appliquent à l’égard du régime de retraite et des pensions (Renvoi de 1997, par. 136 et Beauregard). Ainsi, le droit à la rente ne doit pas être discrétionnaire et doit être à l’abri des ingérences arbitraires de l’exécutif et du législatif (Valente, p. 704 et Beauregard, p. 74-75).

[113]     En l’espèce, tous les CRJ qui ont entendu les doléances des parties appelantes à cet égard ont conclu unanimement ou majoritairement, selon le cas, que le régime de retraite du personnel d’encadrement était adéquat à la situation des JPM[11]. L’absence de raisonnabilité de ces conclusions n’a pas été démontrée.

[114]     Ces comités ont aussi signalé que la LTJ édicte que toute modification au régime de retraite qui affecterait les juges de paix devra, au préalable, faire l’objet d’une revue par un CRJ (art. 178, al. 2 et 246.29, LTJ).

[115]     Dans ce contexte, une personne raisonnable et bien informée ne conclurait pas que le seuil minimal requis constitutionnellement a été enfreint ou que la participation à ce régime expose les JPM à des tentatives de manipulation financière par le gouvernement ou une autre source.

LA CONCLUSION

[116]      Pour ces motifs, je propose de rejeter le pourvoi, sans frais vu la nature du litige.

 

 

 

PIERRE J. DALPHOND, J.C.A.

 

 

 

 

 

 

 


ANNEXE 1

 

 

CHRISTINE AUGER

JACQUES BARBÈS

RÉJEAN BÉDARD

DOMINIQUE BENOÎT

GEORGES BENOÎT

MICHEL BOISSONNEAULT

SUZANNE BOUSQUET

SYLVIE DESMEULES

JULIE DIONNE

MARIE-CHANTAL DOUCET

LOUIS DUGUAY

GABY DUMAS

NATHALIE DUPERRON ROY

RÉNA ÉMOND

PIERRE FORTIN

LOUISE GALLANT

MARIE-JOSÉE HÉNAULT

FRANÇOIS KOURI

JEAN-GEORGES LALIBERTÉ

ROBERT LANCTÔT

LUC MARCHILDON

SYLVIE MARCOTTE

NICOLE MARTIN

DANIELLE MICHAUD

GILLES MICHAUD

LUCIE MORISSETTE

MONIQUE PERRON

JEAN-GILLES RACICOT

GAÉTAN RATTÉ

MARC RENAUD

ROSAIRE VALLIÈRES

PIERRE VERRETTE

JOHANNE WHITE

GILLES PIGEON

LÉOPOLD GOULET

YANNICK COUTURE

MARIE-CLAUDE BÉLANGER

PATRICIA COMPAGNONE

 



[1]     Voir aussi : « Capsules historiques : Cour du Québec - Les juges de paix dans le système judiciaire du Québec » publié par Jacinthe Plamondon sur le site : http://www.tribunaux.qc.ca/c-quebec/25ans/CapsuleHistoireCQ25ans_6.pdf.

[2]     Charte canadienne des droits et libertés (Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)]).

[3]     Tous des juges de paix en vertu du Code criminel.

[4]     Le traitement des juges de la Cour du Québec était alors de 137 333 $.

[5]     Conférence des juges du Québec c. Québec (Procureur général), 2007 QCCS 2672, jugement final donnant au gouvernement jusqu’au 1er septembre 2007 pour mettre en œuvre les recommandations du Comité O’Donnell.

[6]     Deux des six ex-JPPE avaient pris leur retraite.

[7]     Rapport du Comité de la rémunération des juges présidé par Monsieur Daniel Johnson (avril 2008), p. IV-18.

[8]     Le recours à cette exception demeure, bien sûr, sujet à contrôle judiciaire et un gouvernement ne saurait en abuser.

[9]     Journal des débats de la Sous-commission des Institutions, 37e législature, 1re session (4 juin 2003 au 10 mars 2006), le vendredi 28 mai 2004 - Vol. 38 N° 54, Consultations particulières sur le projet de loi n° 50 - Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires et d'autres dispositions législatives eu égard au statut des juges de paix - Étude détaillée du projet de loi n° 50 - Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires et d'autres dispositions législatives eu égard au statut des juges de paix, en ligne : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/ci-37-1/journal-debats/CI-040528.html. Voir aussi: Journal des débats de la Sous-Commission des Institutions, 37e législature, 1re session (4 juin 2003 au 10 mars 2006), le jeudi 20 mai 2004 - Vol. 38 N° 75, Adoption du principe - projet de loi n° 50 - Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires et d'autres dispositions législatives eu égard au statut des juges de paix, en ligne : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/37-1/journal-debats/20040520/2611.html#_Toc72907122.

[10] Plaidoirie de leur avocat, M.A., vol. V, pp. 1240-1241.

[11]    Certaines dispositions ont même été adoptées en tenant compte de leur situation. Par exemple, le gouvernement a accepté de hausser l’âge maximal de participation à 71 ans (auparavant, 69 ans) (art. 3 (2) du régime) puisque les JPM peuvent exercer leurs fonctions jusqu’à 70 ans.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.