Décision

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Corey c. Mercier

2022 QCTAL 10310

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Laval

 

No dossier :

606827 36 20220114 G

No demande :

3437279

 

 

Date :

04 avril 2022

Devant la juge administrative :

Isabelle Normand

 

Benoit Corey

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Monique Mercier

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Le demandeur, Benoit Corey, demande la reprise du logement concerné pour pouvoir s’y loger, à compter du 1er juillet 2022.

[2]         Il précise qu’il est le principal dirigeant de la personne morale qui est propriétaire de l’immeuble, depuis 1992 et que cette personne morale est aussi la locatrice indiquée au bail.

[3]         Les parties sont liées par bail, du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022, au loyer mensuel de 475 $.

[4]         Il appert de la preuve que la locataire occupe le logement concerné depuis le 1er novembre 2017.

Contexte

[5]         Le demandeur veut reprendre le logement concerné pour s’y loger, à compter du 1er juillet 2022.

[6]         À cet effet, il transmet à la locataire le 17 novembre 2021 un avis qu’il entend reprendre le logement concerné, la locataire n’a pas répondu à cet avis. Conséquemment, le demandeur a produit la présente demande de reprise de logement.

[7]         Le logement concerné est un 3 ½ pièces, localisé à l’étage de l’immeuble, où est localisé le commerce exploité par le demandeur. Ce commerce est en fait le propriétaire de l’immeuble et le locateur mentionné au bail.

[8]         Le demandeur explique qu’il est propriétaire d’un autre logement qui ne sera pas libre à la date espérée de la reprise du logement concerné.

[9]         Le demandeur explique qu’il a vendu sa résidence principale, localisée dans la région des basses Laurentides qu’il occupait avec sa conjointe, et occupe temporairement le chalet 4 saisons avec sa conjointe. Ce chalet est localisé dans la région de Lanaudière et il estime la distance entre ce chalet et le commerce à plus d’une heure.

[10]     Son projet de reprendre le logement concerné s’est concrétisé récemment, en 2021, lorsqu’il a décidé de procéder à la vente de sa résidence principale.


[11]     Il explique que la reprise du logement concerné lui permettra d’occuper le logement concerné et lui évitera de longues heures de trajet pendant les 11 mois qu’il doit se rendre au commerce.

[12]     Pour sa part, la locataire conteste la demande de reprise de logement.

[13]     Elle doute de la sincérité du demandeur lorsqu’il demande la reprise du logement concerné; elle ajoute qu’elle craint que le demandeur procède à des rénovations pour ensuite augmenter significativement le loyer qu’elle paie actuellement.

[14]     Selon la locataire, la preuve ne milite pas dans la bonne foi du locateur, car récemment, plusieurs événements se sont produits :

-         à l’été 2021, alors que la locataire subissait une baisse drastique d’eau, le demandeur a mentionné que le problème émanait de la Ville alors que le responsable de ce service a confirmé le contraire à la locataire et que le compteur d’eau était géré par le propriétaire du logement concerné;

-         au printemps 2021, la conjointe du demandeur a proféré des menaces et a mentionné à la locataire : « attends ma petite fille quelque chose vous attend », suite à une intervention entre elles au sujet de musiques fortes survenues à quelques occasions : à l’audience la locataire reconnait les 4 événements lors desquels elle a fait écouter, à l’aide d’haut-parleurs de son ordinateur, ravivant des moments tristes subis suite au décès de sa mère;

-         au cours de l’année 2020 et 2021, le demandeur a avisé la locataire de ne plus appeler les services ambulanciers et/ou d’urgence, car leur présence nuit aux affaires du commerce qu’il exploite. Cette altercation a causé bien du stress à la locataire.

[15]     En effet, la locataire explique qu’elle souffre de nombreux problèmes de santé et que généralement elle est bien tranquille et ne cause pas de soucis au locateur.

L'analyse et la décision

[16]     Elle estime les frais de déménagement à 2 200 $ en période de pointe et 1 200 $ le reste de l’année.

Analyse et décision

[17]     Ce Tribunal, dans l'affaire Ivanov c. Bédard[1], a déjà déterminé que :

« Lors de la reprise de logement par le locateur, des droits importants se rencontrent et s'opposent : le droit du propriétaire d'un bien de jouir de celui-ci comme bon lui semble et le droit du locataire au maintien dans les lieux loués. C'est pour protéger ces droits du locataire que le législateur impose des conditions au locateur. »

[18]     La reprise de logement est une exception au droit au maintien dans les lieux du locataire et, ce, en vertu de l'article 1936 du Code civil du Québec qui stipule :

« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi.»

[19]     Le locateur fonde son recours sur les dispositions de l'article 1957 du Code civil du Québec qui édictent que :

« 1957. Le locateur d'un logement, s'il en est le propriétaire, peut le reprendre pour l'habiter lui-même ou y loger ses ascendants ou descendants au premier degré ou tout autre parent ou allié dont il est le principal soutien.

Il peut aussi le reprendre pour y loger un conjoint dont il demeure le principal soutien après la séparation de corps, le divorce ou la dissolution de l'union civile. [Nos soulignements]

[20]     Cet article précise que le locateur peut le reprendre pour y loger ses ascendants ou descendants au premier degré ou tout parent dont il est le principal soutien.

[21]     L'article 1957 du Code civil du Québec est d'ordre public et d'interprétation restrictive. Les procédures visant la reprise d'un logement sont encadrées par des conditions strictes qui doivent être rigoureusement suivies.


[22]     Les commentaires du ministre de la Justice[2] quant à l'article 1957 du Code civil du Québec sont les suivants :

« Annotations Commentaires du ministre de la Justice :

Cet article reprend substantiellement le droit antérieur, mais s'en distingue, en précisant que le droit de reprendre le logement appartient au locateur uniquement s'il est propriétaire du logement; cette restriction met fin à des pratiques abusives telles que la reprise du logement par le gestionnaire de l'immeuble ou par l'usufruitier.

L'article 1957 se distingue également du droit antérieur, en modifiant les catégories de personnes pour qui le droit à la reprise du logement peut être exercé, soit les ascendants et descendants au premier degré du locateur ainsi que ceux d'un degré autre, mais dans ce cas, seulement si le locateur est leur principal soutien.

L'article ajoute aussi une nouvelle catégorie de personnes, soit le conjoint dont le locateur est séparé ou divorcé, mais pour lequel il demeure le principal soutien.

D'un point de vue terminologique, il est plus juste de parler de reprise du logement que de reprise de possession du logement. »

[Nos soulignements]

[23]     L'auteur Jacques Deslauriers[3] mentionne que la reprise de logement est une exception au principe du maintien dans les lieux et que son exercice doit être rigoureusement encadré.

[24]     Ce même auteur précise qui sont les locateurs pouvant reprendre le logement :

« 1) Les locateurs pouvant reprendre possession

Le locateur doit être propriétaire et être une personne physique, car le Code fait état de liens à caractère familial. Le droit de reprise ne peut être exercé par une communauté religieuse ou tout autre personne morale. Une personne morale n'a pas d'ascendant, de descendant, de parent ou d'allié; elle ne peut donc reprendre possession des lieux pour y loger le fils d'un administrateur. Une personne morale peut toutefois procéder par éviction pour changer l'affectation des lieux (art. 1959 C.c.Q.) »

[Nos soulignements]

[25]     En l'espèce, le demandeur, une personne physique demande l'autorisation de reprendre le logement pour s’y loger.

[26]     La preuve est à l’effet que le propriétaire et locateur du logement concerné est une personne morale.

[27]     La question que l'on doit se poser est la suivante : est-ce que le demandeur peut reprendre le logement pour s’y loger alors qu’il n’est ni le propriétaire du logement concerné et ni le locateur?

[28]     Dans un premier temps, il est important de connaître la nature de la personne morale et l’article 309 C.c.Q. est instructif :

« 309. Les personnes morales sont distinctes de leurs membres. Leurs actes n’engagent qu’elles-mêmes, sauf les exceptions prévues par la loi. »

[Nos soulignements]

[29]     Il appert que la nature de la personne morale possède un patrimoine distinct et autonome de celui de ses membres et que ses actes n’engagent qu’elle-même.

[30]     Le demandeur, une personne physique n’a pas la qualité requise de propriétaire du logement concerné et n’a pas la qualité de locateur, critères requis en vertu de l’article 1957 C.c.Q précité.

[31]     Ainsi, il ne peut détenir la qualité requise dans le cadre de la demande de reprise du logement concerné.


[32]     La jurisprudence de ce Tribunal[4] est constante à l'effet que seules les personnes physiques peuvent demander l'autorisation de reprendre un logement pour s'y loger ou loger les personnes mentionnées à l'article 1957 du Code civil du Québec. Par exemple, une société en nom collectif ou une personne morale, de même qu'une communauté religieuse ne peut demander l'autorisation de reprendre un logement dont il est locateur, car ils ne sont pas des personnes physiques et possèdent un patrimoine distinct d'une personne physique.

[33]     Dans une décision récente[5], le juge François Bousquet, j.c.q., rejette l'appel du locateur, une personne morale, qui demande l'autorisation de reprendre le logement, car elle est distincte de la seule administratrice et actionnaire de la compagnie, une personne physique.

[34]     Dans une autre affaire[6], ce tribunal a décidé qu'une personne faisant affaires pour des raisons commerciales agissant par l'intermédiaire d'une entreprise individuelle autre que son nom de famille et son prénom ne perd pas pour autant sa qualité de personne physique pour se transformer en personne morale et être ainsi privée du droit à la reprise de logement.

[35]     Dans cette affaire, l'immeuble où est situé le logement concerné et sujet à la reprise appartient à Roubil Gestion immobilière. Cette entreprise individuelle non incorporée, n'a pas une identité distincte et autonome de son constituant. Ainsi, il n'y a pas de distinction entre Roubil Gestion immobilière et la personne physique qui l'a créée, contrairement à une personne morale et ses actionnaires.

[36]     En l'espèce, le demandeur ne détient pas les qualités requises pour exercer le droit à la reprise du logement concerné.

[37]     Le Tribunal considère que la jurisprudence rejetant la demande de reprise de logement, car présentée par une personne physique et détenant un patrimoine distinct du locateur est une personne morale applicable en l’espèce.

[38]     CONSIDÉRANT l'article 1957 du Code civil du Québec qui exige que le demandeur soit le propriétaire du logement;

[39]     CONSIDÉRANT qu’une personne physique distincte du demandeur, une personne morale demande d’être autorisée à reprendre le logement concerné;

[40]     CONSIDÉRANT que les règles relatives à la reprise de logement doivent être rigoureusement suivies;

[41]     En conséquence, le Tribunal rejette la demande d'autorisation de reprendre le logement concerné, par le demandeur, pour son bénéfice.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[42]     REJETTE la demande d'autorisation de reprendre le logement, qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Isabelle Normand

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Date de l’audience : 

7 mars 2022

 

 

 


 


[1] (2006) J.L. 112 (R.L.).

[2] 1993, Code civil du Québec, t.3. Loi sur l'application de la réforme du Code civil, ISBN : 2551157099 (t. 2)

[3] Deslauriers, Vente, louage, contrat d'entreprise ou de service, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2013, p. 529 et 602.

[4] Delbuguet c. Cour du Québec (C.S. 2004-06-29) J.E. 2004-1647, 2005 QCCA 589; Sauvé c. Sousa (C.Q. 1988-12-19) j.e. 89-466; Gagnon c. Deschesnes (C.P. 1985-06-20) J.E. 85-785; Ton c. Bourne (C.Q. 2005-06-09)J.E. 2005-1283; Griffin c. Murkin (C.Q. 1992-02-14) J.E. 92-478.

[5] Entreprise Aesir c. Gicuère 2012 QCCQ 1307.

[6] Roubil c. Laporte Gauthier 2012, QCRDL 6003.

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