Giroux c. Chambre de l'assurance de dommages | 2024 QCCQ 1196 | ||||
COUR DU QUÉBEC | |||||
« Division administrative et d’appel » | |||||
CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | ||||
LOCALITÉ DE | MONTRÉAL | ||||
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N° : | 500-80-044226-232 | ||||
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DATE : | 15 mars 2024 | ||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE STEVE GUÉNARD, J.C.Q. | |||||
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CHANEL-ANOUSHKA GIROUX | |||||
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Appelante | |||||
c. | |||||
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ME YANNICK CHARTRAND, es qualités de syndic de la Chambre de l’assurance de dommages
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Intimé | |||||
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JUGEMENT | |||||
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[1] Mme Giroux est courtière en assurance de dommages[1], particulièrement dans le secteur du transport et du camionnage. Elle est membre de la Chambre de l’assurance de dommages du Québec.
[2] Mme Giroux se pourvoit en appel d’une Décision sur culpabilité[2] du Comité de discipline de la Chambre de l’assurance de dommages. Cette Décision, datée du 6 septembre 2022, la déclare coupable de quatre chefs d’infraction qui peuvent être ainsi résumés :
- Chef 1 : A fait défaut de tenir compte des limites de ses aptitudes, de ses connaissances ainsi que de ses moyens en agissant comme courtière en assurances de dommages pour l’assurée M(…) en lien avec une flotte de véhicules situés en Ontario, sans être membre du Registered Insurance Brokers of Ontario (RIBO), le tout en contravention de l’article 17 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages (ci-après le Code de déontologie);
- Chef 2 : À la suite de l’incendie d’un camion Kenworth 2007 appartenant à l’assurée M, a abusé de la bonne foi de l’assureur Royal & Sun Alliance du Canada en recommandant à l’assurée, le 20 août 2020, de présenter une réclamation d’assurance pour dommages matériels sans collision apparaissant erronément d’une copie de la police d’assurance tout en sachant que telle protection n’était pas audit contrat, le tout en contravention de l’article 27 du Code de déontologie;
- Chef 4 : A abusé de la bonne foi de l’experte en sinistres mandatée par l’assureur en lui transmettant, le 1er octobre 2020, une copie d’une police d’assurance indiquant une protection d’assurance pour dommages matériels sans collision pour le camion Kenworth 2007 alors qu’elle savait que cette copie était erronée, le tout en contravention de l’article 37 (1) du Code de déontologie;
- Chef 5 : A abusé de la bonne foi de l’experte en sinistre en lui déclarant faussement, le 9 novembre 2020, qu’elle croyait que le contrat d’assurance automobile contenait une protection d’assurance pour dommages matériels sans collision pour le camion Kenworth 2007, le tout en contravention de l’article 37 (7) du Code de déontologie.
[3] Mme Giroux est également déclarée coupable du chef 3 qui lui reprochait d’avoir, le 3 septembre 2020[3], transmis la réclamation à l’assureur pour ce camion Kenworth 2007. Cela dit, et considérant le lien de grande proximité avec le chef 2, le Comité ordonne la suspension conditionnelle des procédures quant au chef 3.
[4] Dans sa Décision sur sanction[4] rendue le 22 juin 2023, le Comité impose une radiation d’une durée de 9 mois, et ce, sur chacun des chefs, chaque suspension devant être purgée concurremment.
[5] L’appelante ne conteste pas qu’une licence du RIBO est nécessaire afin d’agir comme courtière en lien avec un risque situé en Ontario[5]. Elle ne conteste pas, non plus, ne pas avoir été titulaire de cette licence à l’époque pertinente.
[6] L’appelante soumettait plutôt, devant le Comité, que cette absence de licence RIBO était ici sans conséquence car elle n’a pas agi à titre de courtière pour l’assurée, postulant plutôt avoir agi à titre de courroie de transmission, voire de simple interprète ou de vulgarisatrice, entre le représentant de l’assurée, lui-même unilingue francophone, puis avec les courtiers et les assureurs ontariens étant pour leur part unilingues anglophones.
[7] Il est utile de préciser d’emblée que le Comité a complètement rejeté cette prétention dans sa Décision sur culpabilité, concluant plutôt que l’appelante a agi, en tous moments pertinents, à titre de courtière pour l’assurée, et ce, dans le cadre d’une multitude de démarches réalisées auprès d’une quantité appréciable d’assureurs ontariens. Le Comité, pour l’établir, se réfère non seulement à une imposante preuve documentaire dans laquelle Mme Giroux se désigne elle-même à titre de courtière mais également sur la base du témoignage du représentant de l’assurée[6].
[8] L’appelante ne remet pas en question, dans le cadre de l’appel, cette détermination du Comité. Elle soumet cependant, dorénavant, un argument nouveau qui ne fut nullement évoqué devant celui-ci.
[9] En effet, l’appelante postule en appel que le Comité et le Syndic de la Chambre de l’assurance de dommages ne pouvaient s’intéresser à cette conduite qui lui est reprochée en ce que l’assurée et son administrateur sont ontariens, tout comme les assureurs contactés par l’appelante dans le cadre de ses démarches visant à placer le risque lié à cette flotte de véhicules immatriculés en Ontario.
[10] Ainsi, postule l’appelante, l’appel de la Décision sur culpabilité devrait être accueilli en ce que le Comité n’avait pas la juridiction ni l’autorité nécessaire pour rendre sa décision (…) vu le caractère extraterritorial des faits et gestes reprochés. Cet argument découlerait d’une question pure de droit, plaide l’appelante, permettant donc d’en traiter sans plus d’artifice devant le Tribunal d’appel, et ce, malgré l’absence de débat sur le sujet devant le Comité.
[11] Subsidiairement, l’appelante allègue l’existence d’erreurs de droit et d’erreurs mixtes de fait et de droit, pouvant se résumer ainsi :
a) Le Comité aurait dû conclure que l’appelante entretenait, en tous moments pertinents, un doute quant à la couverture d’assurance, ou son absence, justifiant d’autant les gestes qu’elle a posés au bénéfice de son client;
b) Le Comité devait ordonner une suspension conditionnelle de la condamnation prononcée eu égard aux chefs 4 et 5 en raison de celle prononcée quant au chef 2. Subsidiairement, le chef d’infraction 5 devrait lui-même faire l’objet d’une suspension conditionnelle au bénéfice et en raison de cette condamnation liée au chef 4;
c) Les sanctions prononcées sont déraisonnables, tout en étant punitives.
[12] L’intimé s’oppose vigoureusement à de telles prétentions. Son argumentaire se décline essentiellement ainsi :
a) L’argument lié à la prétendue absence de juridiction du Comité est totalement nouveau en plus d’être tardif, n’ayant pas été évoqué en temps opportun devant le Comité;
b) En effet, l’appelante prétendait plutôt, en première instance, ne pas avoir agi à titre de courtière pour ce risque localisé en Ontario. Ce n’est que lorsque cette prétention fut totalement rejetée par le Comité qu’elle soulève dorénavant une prétendue absence de juridiction;
c) Or, cette question liée à la juridiction constitue une question mixte de fait et de droit qui aurait pu entrainer la production d’éléments de preuve additionnels devant le Comité;
d) Quoi qu’il en soit, la juridiction disciplinaire, conformément à la jurisprudence pertinente et de longue date, est personnelle à l’appelante, ne se déclinant pas en termes territoriaux ou provinciaux;
e) Tout argumentaire lié à l’existence d’un quelconque prétendu doute dans l’esprit de l’appelante quant à la couverture d’assurance pour dommages sans collision du Kenworth 2007 fut totalement rejeté par le Comité, ce dernier concluant que l’appelante savait, dès le départ et tel qu’elle le confirme elle-même par message texte à l’assurée, qu’aucune couverture de la sorte ne protégeait ce véhicule. S’agissant là d’une détermination éminemment factuelle, l’appelante fait défaut d’établir l’existence d’une erreur révisable;
f) Les principes liés à l’interdiction de condamnations multiples (Kienapple[7]) furent évalués par le Comité qui a prononcé une suspension conditionnelle de la condamnation sur le chef 3, mais tout en concluant également, à bon droit soumet-on, que les chefs 4 et 5 ne constituent nullement des doublons entre eux, ni non plus avec la condamnation prononcée quant au chef 2;
g) L’appelante fait défaut d’établir quelconque motif pouvant justifier la modification des sanctions prononcées, le Comité ayant pris grand soin d’exposer son raisonnement, notamment quant aux facteurs atténuants et aggravants liés à la conduite de l’appelante.
[13] Voyons voir ce qu’il en est.
QUESTIONS EN LITIGE
[14] Le Tribunal est appelé à répondre aux questions suivantes :
1) Quelle est la norme d’intervention applicable aux questions en litige?
2) L’argument de l’appelante quant à l’absence de compétence du Comité est-il présenté tardivement? Le Tribunal peut-il s’en saisir valablement en l’espèce?
3) Dans l’optique où l’argument lié à l’absence de compétence du Comité n’est pas présenté tardivement, le Comité bénéficiait-il de la juridiction afin de se saisir de cette plainte du Syndic de la chambre de l’assurance de dommages?
4) En tout état de cause, l’appelante démontre-t-elle l’existence d’une erreur révisable quant à la déclaration de culpabilité prononcée à son encontre quant aux différents chefs d’infraction?
5) Le Comité a-t-il commis une erreur révisable en n’ordonnant pas de suspension conditionnelle quant aux condamnations prononcées quant aux chefs 4 et 5, ou subsidiairement, quant au chef 5?
6) Le Comité a-t-il commis une erreur révisable en prononçant une radiation temporaire de 9 mois sur chacun des chefs 1,2, 4 et 5?
ANALYSE
- La norme d’intervention
[15] L’appel est ici logé en vertu de l’article 379 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers[8].
[16] La Cour Suprême du Canada, dans l’arrêt Vavilov[9], précise que le tribunal siégeant en appel doit déterminer la norme de contrôle applicable en établissant la nature des questions à trancher[10].
[17] Ainsi, si l’enjeu porte sur une question de droit, la norme de contrôle sera celle de la décision correcte.
[18] En revanche, les questions de fait, d’évaluation de la crédibilité des témoins, ainsi que les questions mixtes de fait et de droit devront être analysées à la lumière du critère de l’erreur manifeste et déterminante[11].
[19] L’erreur est manifeste si elle se qualifie non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil[12].
[20] Cette erreur manifeste doit donc être palpable. Elle doit être pointée du doigt tout en étant déterminante.
[21] En l’espèce, le débat entre les avocats – quant à la norme applicable - ne concerne que la question relative à la compétence juridictionnelle[13] du Comité quant aux faits et gestes reprochés à l’appelante. Comme nous le verrons, le résultat final de l’appel sera identique peu importe la norme employée.
[22] Quant aux autres questions en litige, les avocats s’entendent, à bon droit de l’opinion du Tribunal, quant à l’application de la norme liée à l’erreur manifeste et déterminante, les questions soumises se qualifiant, au mieux pour l’appelante, de questions mixtes de fait et de droit. Il revenait donc à l’appelante d’établir l’existence d’une telle erreur quant aux diverses condamnations prononcées[14] ainsi que relativement à l’application à la trame factuelle des critères en matière de condamnations multiples.
[23] Enfin, le critère d’intervention quant aux sanctions prononcées est bien connu, le Tribunal d’appel ne pouvant intervenir qu’en présence d’une erreur de principe ayant eu une incidence sur la détermination de la peine, soit en présence d’une sanction manifestement non indiquée.
- L’argument nouveau : l’absence de compétence du Comité
[24] L’appelante concède que cet argument est nouveau. Il n’a pas été évoqué, ni de près ni de loin, devant le Comité. En effet, comme nous l’avons vu, l’appelante postulait plutôt, en première instance, ne pas avoir agi à titre de courtière dans le cadre du placement du risque lié à l’assurée M(…).
[25] Le Comité ayant rejeté cet argument, l’appelante soumet dorénavant que ce dernier ne pouvait se saisir de cette plainte logée à son endroit par le Syndic.
[26] L’avocat de l’appelante ajoute, en cours de plaidoirie, que l’argument n’a pas été soulevé devant le Comité car il découlerait plutôt de la lecture de la Décision sur culpabilité du Comité qui trouverait – prétendument - son assise dans le droit ontarien[15]. « La stratégie s’est développée à ce moment », plaide-t-il.
[27] Cette apparente tardiveté ne serait pas fatale, postule l’appelante, considérant que la question à trancher en serait une se qualifiant de pure question de droit.
[28] Est-ce bien le cas?
[29] Il est vrai qu’une partie peut parfois soulever, en appel, un nouvel argument se présentant à titre de question de droit[16].
[30] Cependant, la Cour d’appel, dans divers arrêts, souligne les contours du critère applicable en cette matière. Dans l’arrêt Pitre & Durand inc c. Compagnie du Trust national[17], la Cour d’appel expose le tout ainsi :
Le principe à ce sujet me paraît être qu'une partie ne peut soulever en appel un argument entièrement nouveau qui n'a pas été soulevé en première instance quand un tel argument, s'il avait été soulevé, aurait pu donner ouverture à des éléments additionnels de preuve[18].
On trouve ce principe formulé par le juge Dickson (alors juge puîné) dans PERKA c. LA REINE (1984) 1984 CanLII 23 (CSC), 2 R.C.S. 232, à la page 240:
En matière civile et en matière criminelle, il est loisible à un intimé de soumettre des arguments à l'appui du jugement d'instance inférieure et il n'est pas limité aux points de droit soulevés par les appelants. Une partie ne peut cependant pas soulever un argument entièrement nouveau qui n'a pas été soulevé devant les cours d'instance inférieure et au sujet duquel il aurait pu être nécessaire de soumettre des éléments de preuve au procès. Voir Brown v. Dean, (1910) A.C. 373; Dormuth v. Untereiner, (1964) R.C.S.R.C.S. 122; The SS. "Tordenskjold" v. The SS.
[Le Tribunal souligne]
[31] La présentation de cet argument devant le Tribunal d’appel est ici tardive.
[32] Elle est tardive car la question posée ne se présente pas comme étant une question de droit, mais bien plutôt comme une question mixte de fait et de droit.
[33] Les tribunaux ont rappelé, à diverses reprises, qu’un tel argument nouveau ne peut apparaitre pour la première fois en appel dans l’optique où sa présentation aurait pu donner ouverture à des éléments additionnels de preuve.
[34] Or, il apparait clairement que des éléments additionnels de preuve auraient pu être présentés devant le Comité afin de le convaincre, si besoin était, de l’existence de liens de rattachement suffisants avec le Québec.
[35] L’avocat du Syndic note une série d’éléments qu’il aurait pu vouloir soumettre si tant est que Mme Giroux avait soulevé un quelconque doute quant à la compétence du Comité en lien avec son comportement, notamment les éléments suivants[19] permettant d’établir « encore davantage » un lien de rattachement factuel suffisant[20] avec l’autorité québécoise :
a) L’endroit précis des discussions entre l’appelante et le représentant de l’assurée;
b) La localisation de l’experte en sinistre, Mme Manon Trottier, dont le bureau est situé à Gatineau[21], et ce, lors de ses échanges avec l’appelante lors desquels cette dernière transmet la police d’assurance comportant une couverture d’assurance quant au véhicule Kenworth 2007;
c) L’endroit de l’encaissement, par l’appelante, de sa rétribution liée aux différentes polices d’assurance souscrites par l’assurée;
d) La localisation – au Québec ou non - d’une tierce entreprise « R », dont les trailers étaient transportés par l’assurée et qui n’ont pas fait l’objet d’une quelconque souscription d’assurance F.A.Q. 27, avec les conséquences potentielles en découlant[22].
[36] Le Tribunal est d’opinion que la question, telle qu’elle se pose en l’espèce, se qualifie plutôt de question mixte de fait et de droit, la juridiction d’un Comité de discipline s’enracinant non seulement dans des textes de loi et dans la jurisprudence pertinente mais également, lorsqu’un débat s’engage à cet égard, dans une série de faits.
[37] Il apparait clairement ici que si l’argument avait été soulevé en première instance, qu’il aurait pu donner lieu à une preuve additionnelle[23].
[38] La Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Paquette c. Comité de discipline de la corporation professionnelle des médecins du Québec[24], notait, dans le cadre d’un appel interlocutoire, que la compétence du Comité de discipline intimé pour instruire la plainte dont il s’agit pourrait fort bien relever d’une question mixte de fait et de droit.
[39] Dans un contexte procédural présentant diverses similitudes, la Cour Supérieure concluait de la même façon dans l’affaire Ruffo[25].
[40] La prétention voulant que l’existence même de cet argument ne soit apparue qu’à la suite de la lecture de la Décision sur culpabilité, avec égards, ne convainc pas.
[41] Après tout, le fait que l’assureur visé soit localisé en Ontario, tout comme la flotte de véhicules ainsi que l’assurée M(…) constituent autant d’éléments qui sont connus depuis le début du dossier. Il n’y a pas là de surprise. Ces éléments ne découlent pas d’une quelconque révélation mise en lumière par le Comité à même sa Décision sur culpabilité.
[42] Il n’y a ici aucune circonstance exceptionnelle permettant de passer outre au principe voulant que les prétentions d’une partie doivent être soulevées devant le tribunal de première instance.
[43] La Cour d’appel, dans l’arrêt récent de Cyr c. Procureur général du Québec[26], réitère d’ailleurs les critères applicables en la matière et, par voie de conséquence, le caractère étroit du corridor permettant une telle possibilité d’invoquer un nouvel argument devant le Tribunal d’appel :
[18] Si, en principe, des questions non débattues en première instance ne peuvent être soulevées en appel, les cours d’appel conservent une discrétion pour s’en saisir lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient. Référant à l’arrêt Guindon, notre Cour résume ainsi les critères applicables:
[14] Saisie d’une demande de présentation d’un nouveau moyen pour la première fois en appel, la Cour doit, en premier lieu, déterminer si elle est en présence de circonstances exceptionnelles qui expliquent la présentation à ce stade du moyen envisagé. Si tel est le cas, en second lieu, elle entreprend une analyse aux fins d’exercer sa discrétion judiciaire d’autoriser ou non cette demande en considérant divers facteurs pertinents, dont notamment : (a) l’aspect stratégique de la demande, c’est-à-dire si le moyen n’a pas été soulevé au procès dans le cadre d’une stratégie qui n’a pas réussi et qu’on tente de défaire en appel; (b) la preuve au dossier d’appel, laquelle doit être suffisante pour traiter adéquatement le nouveau moyen soulevé; (c) le préjudice qui pourrait être causé à une partie qui n’a pu répondre au nouveau moyen par des éléments de preuve au cours du procès; et (d) le déni de justice subi si le nouveau moyen n’est pas traité en appel.
[44] En l’espèce, le fait de « développer cette stratégie » après la révision du Jugement de première instance ne se qualifie pas, avec égards, de circonstances exceptionnelles. L’appelante tente ici, tardivement, de détricoter la preuve qui fut présentée en première instance et la stratégie en découlant, empêchant du même coup l’intimé de produire les éléments additionnels qui auraient pu s’avérer nécessaire afin d’analyser la question.
[45] L’ensemble de ces éléments sont suffisants, en soi, afin de rejeter cet argument présenté tardivement.
[46] Mais il y a plus. L’avocat de l’intimé postule que les éléments se retrouvant déjà au dossier sont amplement suffisants, de toute façon, afin de conclure à la compétence juridictionnelle du Comité.
[47] Le Tribunal est en accord avec ce postulat.
[48] En effet, le Tribunal précise que cet argument d’absence de juridiction, même s’il avait été présenté devant le Comité en temps opportun, est mal fondé.
[49] Une telle détermination découle d’une longue et foisonnante jurisprudence qui établit, puis réitère à de nombreuses reprises, que la juridiction en matière disciplinaire est personnelle et non pas territoriale. Ainsi, cet argument nouveau se situe résolument en porte-à-faux avec le poids de la jurisprudence à l’effet contraire.
[50] « Mon confrère fait fausse route », plaide l’avocat du Syndic intimé.
[51] La Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Paquette[27], expose, en 1995, les principes applicables, soulignant d’ailleurs que les règles de compétence juridictionnelle en matière disciplinaire sont différentes de celles applicables en droit pénal et criminel[28]. Le raisonnement de la Cour d’appel se décline notamment ainsi :
[6] Le juge de la Cour supérieure, après avoir fait l'historique du litige opposant les parties et qui remonte, en fait, à juin 1977, a conclu, sur le fond du litige, comme l'avait d'ailleurs fait le juge Gomery en 1985, lors de la première requête en révision judiciaire, que l'obligation de respecter le Code de déontologie de la Corporation professionnelle avait un caractère personnel et non territorial. (…)
[14] Une analyse de la jurisprudence révèle que, d'une façon majoritaire, les tribunaux canadiens considèrent la compétence des corporations professionnelles à l'endroit de leurs membres comme personnelle et s'étendant donc aux actes sans égard au lieu où ils ont été posés.
[15] Dans Black c. Law Society of Alberta, l'honorable Gérald La Forest, répondant à l'argumentation de la Law Society of Alberta à l'effet que son pouvoir disciplinaire ne serait pas aussi efficace à l'endroit des membres non résidents d'un cabinet d'avocats multiprovincial, écrivait :
« La Law Society peut définir les normes d'éthique appropriées pour ses membres et leur imposer des mesures disciplinaires sans égard à leur lieu de résidence. Les sanctions peuvent être exécutoires même au-delà des frontières de la province. »
[16] Dans Pfeiffer c. Fortier où, s'agissant d'un comptable qui avait effectué, en Ontario, et pour un client ontarien, certains travaux, le tribunal a estimé que le serment d'office du professionnel et son Code de déontologie le suivaient partout où il exerçait sa profession.
[17] Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que nous ne sommes pas ici en matière de droit criminel où, sauf exception, le principe de territorialité est la règle (art. 6(2) C.cr., mais en matière disciplinaire où c'est moins la réprobation sociale qui motive la sanction exemplaire de l'individu que le maintien de la qualité professionnelle des membres d'une corporation.
[Le Tribunal souligne]
[52] Les comités de discipline ont repris ces enseignements à de nombreuses reprises[29]. Le principe de territorialité des lois reçoit une interprétation beaucoup plus souple en droit disciplinaire[30].
[53] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Global Securities Corp c. Colombie-Britannique (Securities Commission)[31] reconnait d’ailleurs que cette souplesse peut s’étendre aux organismes de règlementation provinciaux :
42 Deux autres cours d’appel ont également reconnu que les organismes de réglementation provinciaux peuvent avoir compétence pour enquêter sur des violations de lois étrangères. Dans Re Legault and Law Society of Upper Canada (1975), 1975 CanLII 706 (ON CA), 58 D.L.R. (3d) 641, la Cour d’appel de l’Ontario a confirmé le pouvoir du barreau de cette province d’entendre une plainte sur la conduite d’un avocat ontarien dans un autre ressort. Comme la cour l’a souligné, à la p. 643, [TRADUCTION] «la compétence du Barreau à l’égard de ses membres, qui est de nature personnelle, s’étend sans limite territoriale à leur conduite». Dans Re Underwood McLellan & Associates Ltd. (1979), 1979 CanLII 2222 (SK CA), 103 D.L.R. (3d) 268 (C.A. Sask.), la cour a, de la même façon, confirmé le pouvoir de l’Association of Professional Engineers d’examiner la conduite à l’extérieur de la province, en prenant ses décisions en matière de permis.
43. Ces deux arrêts reconnaissent que les organismes de règlementation provinciaux qui régissent les professions dont le champ d’action dépasse, de façon importante, les limites d’un ressort doivent pouvoir prendre en considération des faits survenus à l’étranger. (…)
[54] La Cour Supérieure, dans l’une des décisions rendues dans l’affaire Paquette[32], précitée, rappelait d’ailleurs, dès 1985, que la juridiction d’une corporation professionnelle en matière disciplinaire n’est pas limitée aux frontières de la province.
[55] La Cour d’appel de la Saskatchewan, dans un arrêt rendu en 1979[33] puis repris comme nous venons de le voir avec approbation par la Cour Suprême[34], abonde dans le même sens :
[22] (…) The enactment in question is directed to regulating the relationship between the disciplining body and the one being disciplined. And, if that relationship (and its regulation) is to mean anything it must include, as relevant, not only intra-provincial acts committed by the one being disciplined but extra-provincial acts as well. Moreover there is nothing in the Act which expressly or impliedly excludes extra-provincial acts from the ambit of that discipline.
[56] Certes, le Comité, dans le cas sous étude, réfère, entre autres, au droit ontarien[35]. Cela dit, la condamnation prononcée s’ancre résolument en droit québécois, plus particulièrement, quant au chef 1, sur la base de l’article 17 du Code de déontologie, soit l’obligation de tout courtier de tenir compte, en tous moments pertinents, des limites de ses aptitudes et de ses connaissances, et ce, avant d’accepter un nouveau mandat.
[57] En l’espèce, l’appelante qui opère, ce qui est admis, à partir de son bureau de Laval[36], a accepté – tel que la preuve l’a révélé - d’agir à titre de courtière dans le cadre d’un épineux dossier, dont le risque, au surplus, était situé en Ontario.
[58] Le Comité conclut non seulement que l’appelante ne détenait pas la licence RIBO requise pour ce faire, ce qui est admis, mais il constate également que celle-ci ne connaissait nullement la méthodologie devant être employée afin d’agir à titre de courtière pour l’assurée M(…), particulièrement auprès d’un assureur dit de dernier recours, soit les Facilities[37].
[59] En effet, le Comité s’exprime ainsi :
[108] Dès le début, c’est l’intimée qui monte le dossier pour présenter des propositions aux assureurs. L’ensemble de cet exercice se fait avec l’aide de L.... De plus, non seulement toute la mise en marché initiale est exécutée par l’intimée, mais elle prodigue des conseils à L... tout au long de l’exercice.
[109] En réalité, c’est uniquement lorsque l’intimée est en défaut d’obtenir une soumission de la part de ses contacts qu’elle requiert de l’aide de Cober.
[110] Ensuite, lorsque la solution au problème de L... se trouve auprès des Facilities, l’intimée ne sait pas comment procéder afin de faire affaire avec de tels assureurs.
[111] En effet, entre le 11 et le 13 mai 2020, alors que l’intimée fait des démarches auprès de cinq (5) assureurs Facilities, aucun d’entre eux ne répond à ses courriels. Pas surprenant, l’intimée ne suit pas la procédure établie par The Facility Association.
[112] Le 13 mai 2020, dans un courriel subséquent à une conversation téléphonique avec l’intimée, ce sera Mickey Jeffrey du Facility Association de RSA, qui donnera la recette[38] à l’intimée.
[119] Finalement, à notre avis, l’intimée n’a absolument pas tenu compte des limites de ses aptitudes, connaissances et moyens avant d’entreprendre le mandat d’agir pour le compte de [l’Entreprise A]. Autrement dit, elle n’avait pas l’expertise particulière requise pour répondre aux besoins de [l’Entreprise A] et, dans ce sens, dès le départ, elle se devait de confier le dossier à un courtier licencié RIBO de BFL Canada.
[120] L’intimée est en conséquence déclarée coupable d’avoir enfreint l’article 17 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.
[Le Tribunal souligne]
[60] Il est indéniable que l’évaluation de la compétence d’un courtier, ou son incompétence le cas échéant, s’imbrique à la mission du Syndic de la Chambre de l’assurance de dommages. Le maintien de la compétence des courtiers est assurément, et manifestement, dans l’intérêt du public – en particulier le public québécois - et de la profession.
[61] Par analogie, le Tribunal administratif des marchés financiers, dans l’affaire récente Groupe financier mondial[39], l’exprime en ces termes :
[133] Par ailleurs, l'article 12 de la Loi sur la distribution de produits et services financiers doit être interprété de manière à donner effet à l'objectif principal de cette loi, à savoir la protection de l'intérêt public. En effet, l'obligation d’être titulaire d’un certificat afin d’exercer les activités de représentant dans le domaine de l’assurance de personnes est fondamentale pour s’assurer que les représentants satisfont à certaines normes de compétence et subissent des vérifications d'antécédents pour confirmer leur honnêteté et leur bonne réputation.
[Le Tribunal souligne]
[62] En l’espèce, le Comité constate l’absence de licence RIBO détenue par l’appelante. Cela, en soi, permet assurément d’expliquer, du moins en partie, les gestes posés, à tâtons, par l’appelante dans le cadre de ses démarches réalisées en Ontario, particulièrement avec les Facilities.
[63] Mais il est faux de prétendre que l’appelante est condamnée en vertu du droit ontarien. La lecture du raisonnement ainsi que des conclusions de la Décision le démontre bien.
[64] Certes, il est problématique pour un courtier d’agir à ce titre sans détenir la certification requise, que celle-ci soit québécoise ou autre. Le fait d’agir ainsi constitue assurément un indice fort de l’existence de démarches réalisées à l’extérieur de la sphère de compétence d’un courtier.
[65] La Juge Brigitte Gouin, J.C.Q., dans l’affaire D’Amore c. Thibault[40], confrontée à un courtier ne respectant pas les limites de sa certification, s’exprime ainsi :
[33] Dans l’affaire Réjean Poulin, le Comité de discipline de la CSF a tranché de façon similaire. Il s'agissait de trancher une faute disciplinaire commise par le représentant lorsque celui‑ci fait souscrire à ses clients des produits non visés par sa certification:
[124] En conseillant un investissement à ses clients, il est indéniable que M. Poulin n’a pas tenu compte des limites de ses connaissances et des moyens dont il dispose car il a renseigné ses clients ou il a formulé une recommandation à l’égard d’un produit financier qui n’était pas couvert par les certificats qui lui ont été délivrés.
[125] Le représentant qui pose de tels gestes n’agit pas avec compétence et professionnalisme car il renseigne un client et lui formule une recommandation au sujet d’un produit financier à l’égard de laquelle il n’a pas de droit d’exercice.
[126] Les faits déposés au dossier établissent que les faits reprochés à M. Poulin «sont relatifs à ses activités de représentant en valeurs mobilières de plein exercice régies uniquement par la Loi sur les valeurs mobilières».
[127] La pratique illégale d’une discipline en vertu de la LDPSF par un représentant qui agit dans une discipline pour lequel il n’a pas le certificat ou toute violation de la Loi sur les valeurs mobilières, que ce soit à titre d’auteur principal ou de complice, sont des fautes déontologiques sérieuses qui peuvent faire l’objet d’une plainte spécifique en vertu de l’article 9 du Code de déontologie de la CSF ou des articles 12, 13 ou 16 de la LDPSF.
[…]
[229] La personne qui choisit de devenir représentant en vertu de la LDPSF accepte les conditions entourant l’encadrement de sa pratique professionnelle. M. Poulin a donc «volontairement adhéré à une profession qui - comme corollaire des privilèges qu'elle accorde - demande le respect des obligations déontologiques auxquelles [il] s'est engagé[]». Le respect des limites de son ou ses certificats devrait normalement aller de soi.
[Le Tribunal souligne]
[66] Puis renchérissant, la Juge Gouin ajoute ce qui suit :
[49] Dans une décision du Comité de discipline impliquant le représentant Jacques Caya, la requête en arrêt des procédures fut rejetée:
[24] Puisque le devoir de fournir au client les renseignements nécessaires à la compréhension et à l'appréciation du produit est rattaché au droit de le distribuer ou de le vendre, l'intimé n'étant pas légalement compétent à l'égard de la vente ne l'est pas plus pour « donner des conseils » ou aviser le client à l'endroit de celui-ci. Le droit de vendre ou de distribuer conditionne l'existence du devoir de donner des « conseils » et renseignements appropriés car autrement il faudrait décider de la norme de « compétence » applicable à « l'incompétence » légale.
(…)
[50] Et dans une décision impliquant le représentant Lazar Kalipolidis:
[27] En agissant tel qu'il lui est reproché, il a fait défaut de respecter les mécanismes mis en place par le législateur pour assurer qu'avant de souscrire à de tels produits les consommateurs bénéficient des conseils d'un professionnel compétent.
[Le Tribunal souligne]
[67] L’analyse de la compétence d’un courtier, comme le respect des limites de ses aptitudes, peut assurément découler d’une multitude de facteurs, notamment par l’entremise des gestes qu’il pose, à ce titre, à l’extérieur du Québec.
[68] Le professionnel conserve son titre, son chapeau de professionnel, peu importe où il se retrouve[41].
[69] Ainsi, l’infraction reprochée sous l’article 17 du Code de déontologie, lorsqu’elle est valablement établie, rejaillit assurément sur les compétences du courtier quant à ses activités localisées au Québec. De ce fait, une telle condamnation vise à protéger le public, notamment le public québécois.
[70] L’argument de l’appelante voulant que le Comité s’intéresse ici à un comportement visant à protéger un public « autre » que le public québécois est, avec égards, réducteur et en vient à compartimenter artificiellement le rôle d’un Syndic.
[71] Ne peut non plus être retenu l’argument subsidiaire présenté par l’appelante voulant que seuls les chefs d’infraction relatifs – spécifiquement - à l’atteinte à la dignité de la profession pourraient justifier de passer outre aux limites territoriales de la province.
[72] Il est vrai que le chef 1, en particulier, ne réfère pas, à même son libellé, à une atteinte à la dignité de la profession.
[73] Mais encore une fois, cette restriction proposée par l’appelante semble découler d’un morcellement artificiel du rôle joué par un Syndic.
[74] Le Juge Baudouin, dans l’arrêt Paquette, précité, concluait d’ailleurs à la juridiction du Comité de discipline québécois, malgré la commission de divers gestes à Haïti, et ce, même si le libellé de la disposition pertinente du Code de déontologie des médecins, soit l’article 2.03.17, ne référait pas nommément à une atteinte à la dignité de la profession.
[75] Ainsi donc, cet autre argument ne peut non plus être retenu.
[76] Par voie de conséquence, tout l’argumentaire relatif à l’alléguée absence de compétence du Comité quant aux gestes posés par l’appelante ne peut recevoir l’aval du Tribunal. Le Comité pouvait assurément, en l’espèce, se pencher sur les reproches formulés et en décider, et ce, quant à l’ensemble des chefs d’infraction proposés par le Syndic.
[77] Le Tribunal en arrive à ce résultat que la norme applicable soit celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable.
[78] Cela dit, il est utile de préciser que l’argumentaire présenté par l’appelante, lié à certains paragraphes de l’arrêt Vavilov, tient pour acquis que la norme d’intervention est celle de la décision correcte, et ce, pour des motifs de primauté du droit. Or, la Cour Suprême dans cet arrêt note bien que ce motif permettant d’user de la norme de la décision correcte concerne les conflits de juridiction entre deux organismes administratifs. La Cour Suprême, au paragraphe 64 de l’arrêt Vavilov, s’exprime ainsi :
[64] Il est rare que les décisions administratives soient contestées pour ce motif. Le cas échéant, toutefois, la primauté du droit commande l’intervention des cours de justice lorsqu’un organisme administratif interprète l’étendue de ses pouvoirs d’une manière qui est incompatible avec la compétence d’un autre organisme administratif. La raison d’être de cette catégorie de questions est simple : la primauté du droit ne saurait tolérer des ordonnances et des procédures qui entraînent un véritable conflit opérationnel entre deux organismes administratifs, de sorte qu’une partie se retrouve aux prises avec deux décisions contradictoires : voir British Columbia Telephone Co., par. 80, motifs concordants de la juge McLachlin (plus tard juge en chef). Les membres du public doivent savoir à qui s’adresser en vue de régler un litige. À l’instar des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, l’application de la norme de la décision correcte s’impose dans ces cas par souci de prévisibilité, de certitude et de caractère définitif du processus décisionnel en droit administratif.
[Le Tribunal souligne]
[79] Il suffira de préciser que la question ici soumise par l’appelante ne se décline pas de cette façon.
[80] Cela étant, et nonobstant ce constat, le Tribunal est d’opinion que la Décision du Comité de traiter de la plainte formulée par le Syndic se justifie aisément dans les circonstances de l’espèce. Non seulement cette décision est raisonnable, mais elle est correcte.
[81] Le Tribunal s’attardera dorénavant aux autres arguments présentés par l’appelante qui conteste la Décision sur culpabilité quant à l’ensemble des chefs.
- L’appel relatif au chef d’infraction 1
[82] Une fois l’argument relatif à la compétence du Comité évacué, force est de constater que les autres éléments visant à attaquer les conclusions liées au chef 1 se présentent résolument comme étant des questions mixtes de fait et de droit.
[83] Ainsi, il revenait à l’appelante de pointer le doigt vers une erreur manifeste et déterminante.
[84] Rien ne démontre, même prima facie, que le Comité a commis une erreur révisable en lien avec la déclaration de culpabilité quant au chef d’infraction 1.
[85] La preuve a démontré que l’appelante a bel et bien agi à titre de courtière dans le cadre d’une problématique complexe alors qu’elle n’en avait pas les aptitudes[42], ni non plus la certification d’ailleurs.
[86] La preuve documentaire[43] est aussi volumineuse qu’accablante.
[87] Les conclusions en ce sens du Comité ne recèlent nulle erreur révisable.
- L’appel relatif au chef d’infraction 2[44]
[88] Ce second chef reproche à Mme Giroux d’avoir abusé de la bonne foi de l’assureur en recommandant à son client de transmettre une réclamation sur la base du libellé d’une police d’assurance comportant, à sa connaissance, une erreur manifeste.
[89] À cet égard, la prétention principale de Mme Giroux, prétention par ailleurs reprise dans le cadre de l’appel, est qu’elle entretenait un doute quant à l’existence, ou non, d’une couverture pour accident sans collision pour ce véhicule Kenworth 2007. « Il y avait un doute, une zone grise, une ambiguïté », plaide-t-on devant la Cour du Québec.
[90] Cette question relative à l’existence, ou non, d’un doute est résolument factuelle. La norme de contrôle en appel est donc, ce qui est concédé de tous, celle de l’erreur manifeste et déterminante. Elle se rattache, en bonne partie, à la crédibilité accordée, ou non, au témoignage de Mme Giroux.
[91] Un bref résumé chronologique s’impose ici afin de simplifier la compréhension.
[92] En raison de primes jugées trop élevées quant à plusieurs de ses véhicules, l’assurée M(…) décide de renoncer à une potentielle couverture pour les dommages sans collision quant à divers véhicules, notamment le Kenworth 2007.
[93] Pour reprendre l’expression connue et consacrée, l’assurée décide « de s’assurer juste d’un bord », le « bord » en question étant celui de la responsabilité civile face à des tiers.
[94] Mme Giroux, forte d’une telle discussion avec son client, lui transmet, pour son paraphe, la liste des 10 véhicules ainsi que les exclusions de couverture quant à plusieurs de ceux-ci. M. L(…) contresigne le tout et lui renvoie. Ce document est transmis à l’assureur et dénote manifestement qu’aucune couverture d’assurance dommages sans collision n’est demandée ni requise pour le Kenworth 2007.
[95] La police d’assurance est éventuellement émise. Sa version originale, imprimée le 12 août 2020 comporte, manifestement par erreur ou inadvertance, une couverture d’assurance dite « comprehensive » avec sa prime conséquente, et ce, quant au Kenworth 2007[45]. Il s’agit là clairement d’une divergence[46] importante eu égard au contenu de la proposition[47] d’assurance.
[96] Un sinistre survient le 14 août 2020. Un incendie se déclare à l’intérieur du Kenworth 2007.
[97] Avisée de la situation, l’appelante rappelle d’abord à son client l’évidence, à savoir qu’il avait lui-même décliné la couverture d’assurance qui pourrait dorénavant lui être salutaire. Elle prend même la peine, dès le 18 août 2020[48], de lui retransmettre ce tableau comportant les exclusions, tableau que l’assuré avait contresigné[49].
[98] Manifestement, il n’y a à ce moment aucune ambiguïté dans l’esprit de Mme Giroux.
[99] Cela dit, Mme Giroux remarque, peu de temps après, que la police d’assurance émise par l’assureur comporte une couverture d’assurance dommages sans collision.
[100] Comment l’expliquer alors?
[101] Il est peu utile ici d’extrapoler longuement quant à l’existence, ou non, d’un doute qui aurait pu assaillir Mme Giroux. En effet, la preuve documentaire, en particulier un message texte transmis par Mme Giroux elle-même, en date du 20 août 2020, suffit à aplanir toute incertitude à cet égard.
[102] L’échange[50] se décline ainsi :
Mme Giroux : Puisque peut-être manière de réclamer. Envoie-moi une photo immatriculation du camion svp c’est bien le 2007?
Mme Giroux : Voudrais-tu réclamer?
Regarde ça.
Je te raconterai pourquoi ça changer, en résumé j’ai eu ta police d’assurance hier et y ce sont trompé tu as la protection dans la police.
[Le Tribunal souligne]
[103] Ces messages texte transmis par Mme Giroux sont limpides. Le Comité lui reproche d’avoir voulu exploiter une erreur manifeste de l’assureur.
[104] Les mots « y se sont trompés » illustrent clairement ce propos.
[105] Le Comité conclut à la culpabilité de Mme Giroux en usant du raisonnement suivant :
[127] Or, ici, la divergence entre la première police et la proposition ne faisait pas en sorte qu’un volet de couverture était exclu, mais plutôt qu’une couverture non requise par [l’Entreprise A] avait été incluse à la suite d’une erreur de RSA Facility.
[128] La preuve est limpide. Considérant le coût de l’assurance, L... ne voulait pas couvrir les dommages physiques sans collision au véhicule Kenworth 2007 et c’est pour cette raison qu’il n’a pas requis cette garantie d’assurance.
[129] Cela étant dit, à la suite de l’incendie du 14 août 2020, l’intimée suggère à L... de réclamer pour les dommages subis par le véhicule Kenworth tout en sachant très bien que cette couverture n’a pas été demandée pour le véhicule no 1 dans sa proposition et qu’il s’agit manifestement d’une erreur de RSA Facility.
[130] La preuve prépondérante sur ce chef se retrouve dans le message texte (P-54) que l’intimée fait parvenir à L... en date du 20 août 2020. À ce moment, l’intimée sait qu’il s’agit d’une erreur de l’assureur puisqu’elle le dit à L... dans son message texte.
[131] En fait, les preuves présentées en défense sur le chef no 2 et les chefs suivants ne sont que des contre-vérités, particulièrement le témoignage de l’intimée, qui ne fait aucun véritable effort pour dire la vérité de bonne foi.
[132] Ensuite, force est de constater que le témoignage de l’intimée n’est pas du tout compatible avec l’ensemble de la preuve documentaire, plus précisément ses propres échanges de courriels et messages textes.
[133] Ainsi donc, sur le chef no 2, nous sommes d’opinion que le syndic se décharge aisément de son fardeau de preuve puisque la preuve décisive (soit le message texte (P-54) provient de l’intimée elle-même. Au surplus, cette preuve n’a jamais été sérieusement contredite par l’intimée au cours de son témoignage.
[134] Il en résulte que la preuve est claire et convaincante que l’intimée recommande à L... de faire une réclamation uniquement pour exploiter une erreur de RSA Facility. Dans les circonstances, il s’agit d’une conduite qui est manifestement déloyale envers RSA Facility.
[135] L’intimée est en conséquence déclarée coupable d’avoir enfreint l’article 27 du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.
[Le Tribunal souligne]
[106] L’avocat de l’appelante soumet que le Comité commet une erreur manifeste et déterminante lorsqu’il met de côté le libellé de cette première police, et ce, au bénéfice de la seconde qui corrigeait le tir et qui était conforme à la proposition d’assurance formulée par M. L(…) et Mme Giroux.
[107] Or, cet argument, avec égards, ne résiste pas à l’analyse.
[108] En réalité, c’est Mme Giroux elle-même qui comprend, dès le départ, que le libellé de la première police d’assurance est erroné. Elle reçoit d’ailleurs, le 21 août 2020[51], copie de la police qui, cette fois, est conforme à la proposition d’assurance et qui ne comporte pas, sans surprise, quelconque protection en assurance dommages sans collision pour le Kenworth 2007.
[109] L’ensemble de la preuve documentaire illustre les échanges que Mme Giroux a avec les autres membres de l’équipe de courtiers au parfum du dossier. Ces échanges vont dans le même sens. Elle est avisée, en temps opportun, que la police corrigée rectifie le tir, et elle sait que le tout est manifestement conforme à la proposition d’assurance car elle le précise, à plus d’une occasion, à son client.
[110] M. Scott Cober, National Practice Leader chez BFL Canada, écrit d’ailleurs à Mme Giroux le 27 août 2020[52], en lui rappelant que there is no coverage on the unit.
[111] Malgré tout, Mme Giroux maintient sa recommandation auprès de M. L(…) l’entrainant alors dans un processus déloyal, qui est potentiellement – voire probablement - voué à l’échec.
[112] D’ailleurs, Mme Giroux, en date du 11 septembre 2020 confirme à son client, par courriel[53] cette fois-ci, la chronologie pertinente au dossier. Elle écrit à M. L(…) ce qui suit :
Bonjour M(…),
Pour suivre l’incendie du 2007 Kenworth, je tiens à réitérer la situation par écrit. Je te retourne le refus de protection que tu as signé lors de l’émission de la police. Tu avais refusé toute protection pour les dommages physique au camion. Lorsque tu m’as déclaré ton sinistre, je t’ai dit que nous allions prendre la chance de réclamer. Je ne peux te garantir à 100% actuellement que tu seras payé mais nous allons faire le maximum.
Bonne journée
[113] Pire encore, le Comité prend note du verbatim d’une portion de la discussion téléphonique entre l’enquêteur mandaté par le Syndic, Mme Giroux et une avocate de BFL Canada mandatée afin d’accompagner cette dernière. Le Comité note l’échange suivant :
[94] Le 21 juin 2021, lors d’une entrevue avec M. Yves Barrette, enquêteur de la ChAD, l’intimée alors accompagnée de Me Martine Soucy de BFL Canada, déclare ce qui suit :
• L’intimée : « moi j’avais bien averti M… que ce véhicule-là il l’avait refusé la protection des dommages physiques. Mais il m’a quand même dit « regarde Chanel, envoie-le ». Bref, c’est ce qu’on a fait on l’a ouvert. On a ouvert le dossier et l’assureur a nié couverture étant donné qu’il n’avait pas la protection. »
• Me Martine Soucy : « On s’était quand même aussi essayés parce que la police initiale qu’on avait reçue avait des erreurs. Ils avaient mis des garanties sur des véhicules qu’on avait refusés. »
• L’intimée : « Exact. »
• Me Martine Soucy : « En cours de route, eux-autres se sont réveillés en disant « non, non, non, non, on a fait une erreur sur la police, on vous retourne la bonne police puis on vous le décline parce que ce n’est pas ça que vous aviez demandé au départ ». »
• L’intimée : « Exact. Donc on s’est essayés. C’est moi qui avais dit à M… « regarde, je ne te promets rien, mais effectivement on va essayer puis on va essayer ». Puis justement la police comportait une erreur. Je me suis dit est-ce que ça va bien passer, ça ne va pas bien passer? Est-ce qu’ils vont accepter de couvrir et peut-être de charger la... Qui tente… Comme je dis depuis tantôt, qui ne tente rien n’a rien. Donc c’est de là qu’on l’a envoyé, mais ils ont nié couverture pour cette réclamation-là. »
[114] L’ensemble de ces éléments notés par le Comité démontre bien l’absence de doute, de zone grise ou de quelconque ambiguïté, du moins dans l’esprit de Mme Giroux.
[115] Le Comité conclut que cette dernière savait fort bien ce qu’elle faisait lorsqu’elle recommande à son client de formuler une réclamation. Les gestes subséquents qu’elle pose, tel que nous le verrons ci-après, ne font que le confirmer encore davantage.
[116] Ainsi, cette prétention de l’existence d’un doute, ce socle sur lequel repose l’argumentaire de l’appelante s’érode, voire s’effrite rapidement à la révision de ces éléments retenus par le Comité.
[117] Le Comité conclut que le postulat voulant que Mme Giroux était affligée d’un doute quant à la potentielle couverture d’assurance, ou non, du Kenworth 2007, ne peut être retenu.
[118] Le Comité a manifestement évalué la crédibilité à accorder au témoignage de Mme Giroux. Il suffira de préciser que le Comité lui en a peu accordé. Aucune erreur révisable n’est pointée du doigt à cet égard non plus.
[119] L’appelante soumet également, quant à ce second chef d’infraction, qu’elle n’aurait pu agir autrement qu’en accord avec les intérêts de son client, et ce, conformément à l’article 19 du Code de déontologie qui est ainsi libellé :
19. Le représentant en assurance de dommages doit en tout temps placer les intérêts des assurés et ceux de tout client éventuel avant les siens ou ceux de toute autre personne ou institution.
[120] Avec égards, cette disposition du Code de déontologie n’en vient pas à occulter, voire à éclipser, l’ensemble des autres obligations de ce même Code, dont les obligations d’honnêteté, d’intégrité et de compétence.
[121] Il est aisé de constater qu’il ne pouvait être dans l’intérêt du client de formuler une demande de réclamation en tentant, ce faisant, d’exploiter une erreur évidente de l’assureur. Encore une fois, le Comité conclut qu’aucun doute ne pouvait assaillir Mme Giroux à cette époque, ce qu’elle confirme d’ailleurs de manière limpide, et ce, par écrit à une époque contemporaine.
[122] De tenter d’abuser de la bonne foi de l’assureur ne peut être dans l’intérêt de son client. De lui recommander, ainsi, de se diriger, ni plus ni moins, vers un mur infranchissable ne peut, non plus, être dans son intérêt. Cela est d’autant plus évident en l’espèce considérant que l’assurée venait de voir sa police d’assurance résiliée, en cours de terme, par son précédent assureur, et ce, en raison d’une fausse déclaration de vol transmise aux policiers. Ce dernier plaidera d’ailleurs coupable à une infraction de méfait en lien avec cette dernière.
[123] Cet article 19 du Code de déontologie n’est d’aucun secours pour l’appelante.
[124] Aucune erreur révisable n’est établie par l’appelante quant à l’ensemble de ces constats. Aucune erreur manifeste et déterminante n’étant démontrée, l’appel doit également échouer quant à toute demande de réformation de cette déclaration de culpabilité quant au chef d’infraction 2.
- L’appel relatif au chef d’infraction 4[54]
[125] Ce chef d’infraction concerne une première démarche réalisée, le 1er octobre 2020, par Mme Giroux en lien avec la demande d’une experte en sinistres, Mme Manon Trottier, qui est mandatée par l’assureur.
[126] Mme Trottier est informée, par l’assureur, de l’existence de cette réclamation liée à l’incendie du Kenworth 2007. Elle est assignée afin d’analyser celle-ci. Elle est dirigée vers Mme Giroux pour l’obtention de la police d’assurance.
[127] Le Comité retient de la preuve que Mme Giroux, à ce moment, a vu, et depuis belle lurette, le libellé des deux polices d’assurance, soit la première spécifiant par erreur l’existence d’une couverture d’assurance dommages sans collision puis la seconde, conforme à la proposition d’assurance, qui corrige le tout et rétroagit au 1er juillet 2020.
[128] Le Comité note que Mme Giroux transmet, tout d’abord, copie de la police d’assurance cargo[55] à Mme Trottier. Manifestement, ce document était sans intérêt dans le cadre de la réclamation pour l’incendie du Kenworth 2007.
[129] Dûment relancée par Mme Trottier qui souhaite progresser dans le dossier, Mme Giroux décide de lui transmettre la première police d’assurance[56]. Elle ne lui dit mot quant à quelconque prétendu doute ou zone grise, et encore moins quant à l’existence de cette seconde police qui elle-même rétroagit à une période clairement antérieure à la date du sinistre. Elle prétendra, devant le Comité, que cet envoi « de la mauvaise police » fut essentiellement fait par mégarde.
[130] Le Comité, convaincu du contraire, traite ainsi de ce quatrième chef d’infraction :
[146] La preuve prépondérante révèle que l’intimée tente de berner Trottier en lui faisant parvenir par courriel la police imprimée en date du 12 août 2020, soit le contrat d’assurance qui comporte une erreur au niveau du véhicule, telle que ci-haut mentionnée.
[147] L’envoi de cette police erronée par l’intimée a lieu le 1er octobre 2020. Or, à ce moment, l’intimée sait très bien que la police a été amendée. Fait important, l’intimée n’informe jamais Trottier qu’il pourrait y avoir confusion comme elle l’a mentionné au Comité à plusieurs reprises au cours de son témoignage.
[148] Le 1er octobre 2020, comme l’intimée le dit si bien, elle s’essaye encore une fois.
[149] Ce faisant, l’intimée induit carrément Trottier en erreur dans la conduite de son enquête pour le compte de RSA Facility. Considérant l’envoi de l’intimée, Trottier ira même jusqu’à recommander à Da Silva de payer des fournisseurs alors qu’il n’y avait pas de garantie d’assurance pour ce véhicule incendié[57].
[150] Or, à notre avis, une fois rendu au mois d’octobre 2020, ce moyen utilisé par l’intimée pour induire Trottier en erreur constitue un comportement qui est manifestement et délibérément malhonnête.
[151] L’intimée est en conséquence déclarée coupable d’avoir enfreint l’article 37 (1o) du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.
[Le Tribunal souligne]
[131] Ainsi, la confusion qui existe en l’espèce est celle de l’experte en sinistre. Or, cette confusion découle directement du comportement de l’appelante.
[132] Aucune erreur révisable n’est établie eu égard à ce chef d’infraction.
[133] Reste donc, à ce sujet, l’argument de l’appelante voulant que ce chef d’infraction 4 aurait dû faire l’objet d’une suspension conditionnelle considérant son lien de rattachement allégué avec le chef d’infraction 2.
[134] L’avocat du Syndic rétorque que les infractions sont distinctes et que la disposition du Code de déontologie retenue quant à chacun des chefs l’est tout autant. Il rappelle par ailleurs que le geste reproché au chef 4 concerne un autre acteur au dossier, soit l’experte en sinistre. Le geste ici reproché survient, en outre, près d’un mois et demi après l’événement reproché au chef 2.
[135] L’avocat du Syndic précise enfin que la suspension conditionnelle de la condamnation quant au chef d’infraction 4 n’aurait du reste, dans les faits, aucun effet pratique considérant la conclusion du Comité quant à la sanction à imposer, à savoir une sanction identique de 9 mois sur chacun des chefs, le tout devant être purgé concurremment.
[136] Certes, l’approche des tribunaux quant à la règle interdisant les condamnations multiples se veut souple[58] et flexible.
[137] Le Juge Érick Vanchestein, J.C.Q., dans l’affaire Collège des médecins c. Labrie[59], résume ainsi le test applicable :
[330] Selon la Cour suprême, dans la plupart des cas on va satisfaire l’exigence d’un lien factuel par une réponse affirmative à la question suivante : « Chacune des accusations est-elle fondée sur le même acte de l’accusé? ».
[138] Cela dit, il apparait clairement en l’espèce que plusieurs éléments distinctifs[60] existent entre les chefs d’infraction 2 et 4. L’acte posé est distinct, l’interlocuteur l’est également. L’appelante pousse ici l’audace encore plus loin à cette étape, et ce, tel qu’en conclut le Comité, dans l’objectif de berner l’experte en sinistre.
[139] Malgré la recommandation initiale de Mme Giroux et l’envoi de la réclamation, celle-ci aurait pu – en tous moments – rectifier le tir. Rien ne lui ordonnait de transmettre la « mauvaise » police à l’experte en sinistre. Tout cela, conclut le Comité, n’est pas le fruit du hasard. Au contraire, si Mme Giroux considérait qu’un doute existait, elle pouvait en informer cette dernière.
[140] Pourtant, l’appelante décide de transmettre copie de la police qui est manifestement erronée, et ce, à un autre joueur dans l’équation. Plusieurs semaines plus tard d’ailleurs.
[141] Le lien « temporel et factuel immédiat », auquel réfère le Juge Vanchestein dans l’affaire Labrie[61], est ici absent.
[142] L’avocat de l’appelante soumet que le Comité lui-même, dans sa Décision sur sanction, en vient à reconnaitre, au moins implicitement, que tous les chefs d’infraction sont interreliés, ce qui devrait entrainer l’application, plaide-t-il, de la règle interdisant les condamnations multiples.
[143] Le paragraphe cité de la Décision sur sanction est ainsi rédigé :
[66] Cela étant dit, après avoir délibéré, nous partageons entièrement le point de vue du syndic quant à la sanction qui doit être imposée à l’intimée. En conséquence, même si l’objectif du droit de gagner sa vie existe, dans la présente affaire, il doit nécessairement céder le pas à l’objectif primordial de la protection du public. Or, sur les chefs 1, 2, 4 et 5, nous sommes en présence d’infractions profondément liées, de même nature et de gravité identique vu qu’elles s’enchainent selon un rapport de continuité, chacune des infractions mettant en jeu le manque de probité de l’intimée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de les départager.
[144] Avec égards, l’avocat de l’appelante voit dans ce paragraphe un élément qui ne s’y retrouve pas.
[145] D’ailleurs, comme le note l’avocat du Syndic, le Comité trace un lien de continuité entre tous les chefs d’infraction, y compris le chef 1.
[146] Il est manifeste que les chefs d’accusation concernent un seul incendie relatif à un seul camion et les suites qui en ont découlé. Le fait qu’un continuum chronologique existe ne rend pas automatiquement applicable la règle interdisant les condamnations multiples.
[147] Cette règle nous provenant, en particulier, de l’arrêt Kienapple n’impose pas l’utilisation de celle-ci dès qu’un dossier comporte un tronc commun quant à sa trame factuelle. N’est-ce pas là après tout le lot commun de la majorité des dossiers?
[148] En l’espèce, la commission des éléments liés au chef 4 n’entrainait pas, par le fait même, la commission des éléments liés au chef 2. Et vice-versa. Divers éléments distinctifs existent, comme nous l’avons vu, entre les deux situations.
[149] L’appelante n’a pas été condamnée à deux reprises pour la même infraction[62]. Il n’y a pas de redondance dans les condamnations et dans la détermination de la peine[63].
[150] L’appel quant à la déclaration de culpabilité liée au chef 4 est ainsi rejeté, aucune erreur révisable n’étant démontrée.
- L’appel relatif au chef d’infraction 5
[151] Ce chef est relatif à un échange survenant entre l’experte en sinistre et Mme Giroux, en particulier celui daté du 9 novembre 2020.
[152] On peut y lire que Mme Trottier est à ce moment informée, par l’assureur, de l’existence d’un « avenant » à la police qui établit que le Kenworth 2007 ne bénéficie d’aucune assurance dommages sans collision (notamment par l’entremise d’un incendie).
[153] Mme Trottier transmet d’ailleurs quelques courriels à Mme Giroux la référant à cet « Avenant » qui avait été envoyé à BFL et, en particulier, à cette dernière.
[154] En date du 9 novembre 2020, Mme Giroux répond ce qui suit[64] :
Ce dossier est traité par BFL Toronto et ce sont eux qui ont les avenants en premier. Ce dossier fut assez complexe et à la base je pensais qu’il avait la protection mais rien de certain si les facilities l’avaient garder ou non.
Il n’est donc pas couvert?
[155] Le Comité tranche ainsi ce cinquième chef d’infraction :
[153] Ce chef reproche à l’intimée d’avoir déclaré faussement à Trottier, en date du 9 novembre 2020, qu’elle croyait, à la base, que [l’Entreprise A] avait la protection pour les dommages matériels sans collision au véhicule Kenworth 2007.
[154] Le libellé de ce chef d’accusation exige la preuve d’une intention coupable de la part de l’intimée. Autrement dit, que l’intimée voulait induire en erreur le lecteur du courriel en lui affirmant un fait qui est faux.
[155] Tout comme sous le chef no 2, le syndic se décharge aisément de son fardeau de preuve sur le chef no 5. D’ailleurs, l’intimée n’a même pas tenté de contredire la preuve présentée par le syndic sur cette accusation. Bref, la preuve du syndic est non contredite.
[156] Or, à notre avis, ce chef n’est pas moindre et inclus dans le chef no 4. Il constitue en soi un reproche qui est complètement différent.
[157] Au fond, le 9 novembre 2020, l’intimée pousse l’exercice encore plus loin puisque rien ne va plus. Trottier sait que la police a été amendée. Son stratagème est donc voué à l’échec. Quoi faire? L’intimée tente maintenant de brouiller les pistes afin de se disculper.
[158] Il s’agit donc d’une infraction complètement différente de celle qui est commise sous le chef no 4. De plus, le comportement de l’intimée sur ce chef est foncièrement aggravant. Il s’ensuit que la règle interdisant les condamnations multiples n’est pas applicable.
[159] L’intimée est en conséquence déclarée coupable d’avoir enfreint l’article 37 (7o)[65] du Code de déontologie des représentants en assurance de dommages.
[Le Tribunal souligne]
[156] Comme nous l’avons vu, le Comité conclut qu’aucun doute n’existe dans l’esprit de Mme Giroux, et ce, dès le mois d’août précédent. En fait, dès le début de la chronologie pertinente.
[157] Le courriel en question transmis le 9 novembre 2020 est donc inéluctablement faux.
[158] L’appelante n’établit pas que le Comité a commis une erreur révisable en concluant de cette façon.
[159] La règle interdisant les condamnations multiples ne trouve pas non plus application en l’espèce. Le Comité conclut ainsi et s’en explique clairement. Il condamne Mme Giroux en vertu de l’article 37 (7) du Code de déontologie. Aucune erreur révisable n’est démontrée non plus à cet égard.
[160] Cet épisode survient d’ailleurs plus d’un mois après la communication, par Mme Giroux, de la « mauvaise » police d’assurance à l’experte en sinistre.
[161] La commission d’une infraction n’entraine pas la commission de l’autre. La distance temporelle entre les deux en constitue un indice parmi d’autres.
[162] Manifestement, il est apparu aux yeux du Comité que Mme Giroux a affirmé quelque chose – voire autre chose - qui était clairement faux.
[163] Le Comité se dirige donc correctement en concluant à la culpabilité de Mme Giroux quant à ce cinquième chef.
[164] L’appel sera donc également rejeté en ce qui concerne la déclaration de culpabilité pour ce chef d’infraction 5.
[165] Reste donc l’appel relatif à la Décision sur sanction.
- L’appel de la Décision sur sanction
[166] Comme nous l’avons vu, le Comité impose à Mme Giroux une radiation temporaire de 9 mois sur chacun des chefs, le tout à être purgé concurremment. Il s’agissait là de la sanction réclamée par le Syndic.
[167] Pour sa part, l’avocat de Mme Giroux proposait devant le Comité, à cette étape de la détermination de la sanction, l’imposition de quelques amendes[66] puis, subsidiairement, une radiation d’une durée maximale de 30 jours[67].
[168] L’imposition d’une sanction constitue un exercice délicat[68] qui ne peut se qualifier de science exacte[69]. Un savant dosage est requis[70]. Chaque cas est d’espèce.
[169] L’arrêt de principe en la matière, soit Pigeon c. Daigneault[71], énonce succinctement les critères applicables permettant à un décideur de tailler sur mesure une sanction en matière disciplinaire. La Cour d’appel s’y exprime ainsi :
[37] La sanction imposée par le Comité de discipline doit coller aux faits du dossier. Chaque cas est un cas d'espèce.
[38] La sanction disciplinaire doit permettre d'atteindre les objectifs suivants: au premier chef la protection du public[72], puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l'exemplarité à l'égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d'exercer sa profession (références omises)
[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l'infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l'exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, … Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l'expérience, du passé disciplinaire et de l'âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d'une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l'affaire.
[Le Tribunal souligne]
[170] Le rôle du Tribunal siégeant en appel en cette matière n’est pas d’imposer, à sa discrétion, la sanction qui lui semble la plus appropriée aux circonstances.[73]
[171] Une latitude doit être accordée au Tribunal de première instance à cet égard[74].
[172] Ces concepts s’appliquent également en matière disciplinaire[75].
[173] Ainsi, il revient à l’appelante d’établir l’existence d’une erreur révisable en appel.
[174] N’obtiens pas la modification d’une sanction qui veut. Le test est sévère, le couloir existe certes, mais il est étroit.
[175] La norme d’intervention en cette matière coïncide, pour l’essentiel, avec celle applicable aux peines criminelles[76]. La décision du premier décideur bénéficie d’une déférence certaine[77].
[176] La Cour Suprême rappelle, dans l’arrêt R. c. Friesen[78], les motifs pouvant justifier un tel interventionnisme :
[26] Comme l’a confirmé notre Cour dans Lacasse, la cour d’appel ne peut intervenir pour modifier une peine que si (1) elle n’est manifestement pas indiquée (par. 41) ou (2) le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine (par. 44). Parmi les erreurs de principe, mentionnons l’erreur de droit, l’omission de tenir compte d’un facteur pertinent ou encore la considération erronée d’un facteur aggravant ou atténuant. La manière dont le juge de première instance a soupesé ou mis en balance des facteurs peut constituer une erreur de principe seulement s’il a [traduction] « exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable, en insistant trop sur un facteur ou en omettant d’accorder suffisamment d’importance à un autre » (R. c. McKnight (1999), 1999 CanLII 3717 (ON CA), 135 C.C.C. (3d) 41 (C.A. Ont.), par. 35, cité dans Lacasse, par. 49). Ce ne sont pas toutes les erreurs de principe qui sont importantes : la cour d’appel ne peut intervenir que lorsqu’il ressort des motifs du juge de première instance que l’erreur a eu une incidence sur la détermination de la peine (Lacasse, par. 44). Si une erreur de principe n’a eu aucun effet sur la peine, cela met un terme à l’analyse de cette erreur et l’intervention de la cour d’appel ne se justifie que si la peine n’est manifestement pas indiquée.
[27] Si la peine n’est manifestement pas indiquée ou si le juge de la peine a commis une erreur de principe qui a eu une incidence sur la détermination de la peine, la cour d’appel doit effectuer sa propre analyse. (…)
[177] La Cour Suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Lacasse[79], précise d’ailleurs que l’argument voulant qu’un poids relatif différent aurait dû être accordé aux différents facteurs atténuants et aggravants ne constitue pas, en soi, un motif suffisant justifiant une intervention en appel. La Cour Suprême s’y exprime ainsi :
[78] (…) Or, tel que je l’ai mentionné précédemment, la décision d’accorder plus ou moins d’importance à des circonstances aggravantes ou atténuantes relève strictement du pouvoir discrétionnaire du juge qui prononce la peine. Le choix d’une pondération particulière de tels facteurs ne constitue pas en soi une erreur donnant ouverture à l’intervention d’une cour d’appel à moins qu’elle ne soit déraisonnable.
[178] Les tribunaux ont rappelé, à diverses reprises, qu’une sanction n’est pas déraisonnable du simple fait qu’elle puisse apparaitre clémente ou sévère[80].
[179] Cela dit, elle ne doit pas être essentiellement punitive sans considération des autres critères applicables[81]. Le Tribunal des professions, dans l’affaire Serra[82], l’expose ainsi :
[111] En matière disciplinaire, le principe jurisprudentiel établissant que la sanction ne doit pas être punitive signifie que les mesures prises ne doivent pas uniquement sanctionner un comportement fautif, mais veiller à ce que ce comportement ne se reproduise plus, dans un esprit de maintien des normes professionnelles propres à chaque discipline et par le fait même participer à assurer la protection du public. Ainsi, il peut arriver qu’une sanction qui, par sa sévérité cible trop fortement l’exemplarité par une longue période de radiation, puisse ne pas satisfaire les objectifs recherchés par la sanction disciplinaire et devenir punitive.
[115] Ainsi, ce qui doit guider une instance disciplinaire lors de l’imposition de la sanction est le principe de l’individualisation et de la proportionnalité. Un conseil de discipline ne sanctionne pas d’abord une faute déontologique, mais plutôt un professionnel ayant contrevenu à certaines règles en posant certains gestes précis. L’analyse doit donc porter sur les faits particuliers de l’affaire et sur le professionnel à sanctionner, comme l’a précisé le Tribunal des professions dans Brochu:
[69] Il faut rappeler que le rôle du Comité ne consiste pas à sanctionner seulement un comportement mais à imposer une sanction à un professionnel qui a eu un comportement fautif. L’attention se porte aussi sur l’individu en fonction du geste qu’il a posé (…)
[180] Qu’en est-il en l’espèce?
[181] L’appelante ne pointe du doigt aucun paragraphe de la Décision sur sanction qui recèlerait, voire illustrerait, l’existence d’une quelconque erreur. En fait, son propos vise plutôt à prétendre que la sanction est exagérément sévère, qu’elle est purement punitive et vise, sans plus, qu’à passer un message à la profession[83], message dont elle fait les frais.
[182] La Décision sur sanction est détaillée. Elle est sévère quant aux comportements de l’appelante et s’en explique. Chaque élément y est noté et analysé. Elle expose notamment les constats suivants qu’elle tire de la preuve eu égard à l’appelante :
a) Elle n’a fait aucun effort pour dire la vérité de bonne foi;
b) Elle a fait preuve d’une conduite manifestement déloyale envers l’assureur;
c) Elle a délibérément et malhonnêtement induit en erreur l’expert en sinistre;
d) Elle a transmis un courriel à l’expert en sinistre afin de tromper ce dernier dans le but de brouiller les pistes pour tenter de se disculper;
e) Elle n’est pas franche ni transparente avec l’enquêteur du Syndic;
f) Une importante période de radiation s’avère nécessaire vu sa malhonnêteté et le risque de récidive élevé[84];
g) Cette malhonnêteté est dangereuse, notamment vu son caractère désinvolte et spontané[85];
h) Elle constitue un grave risque pour la protection du public[86];
i) Le public doit être protégé en conséquence[87].
[183] Ces éléments apparaissant du raisonnement du Comité résonnent tout particulièrement.
[184] Le Tribunal ne doute pas que l’appelante aurait apprécié une pondération plus favorable liée à son absence d’antécédent disciplinaire, à savoir un facteur atténuant que le Comité note et retient d’ailleurs spécifiquement.
[185] Cela dit, de plaider – même vigoureusement - qu’une sanction est contre-indiquée est une chose. De l’établir, de le démontrer valablement en est une autre[88]. En l’espèce, l’appelante ne convainc pas le Tribunal que les sanctions imposées sont sévères au point de devenir purement punitives.
[186] Par ailleurs, l’appelante soumet également qu’elle considère que le Comité a fait fausse route en ne retenant pas l’existence de quelques autres facteurs atténuants, à savoir :
a) Son rôle limité dans le placement du risque, à savoir un simple rôle d’intermédiaire;
b) Sa collaboration à l’enquête;
c) Le support et l’encadrement offert par BFL Canada, limitant d’autant tout dérapage futur.
[187] Encore une fois à cet égard, le Comité explique son raisonnement lorsqu’il ne retient pas de tels facteurs. Il rappelle qu’il a complètement rejeté cette prétention voulant que Mme Giroux n’agissait pas à titre de courtière au dossier. Il précise que sa collaboration à l’enquête n’a pas été franche[89]. Quant au « support » de BFL, le Comité en dispose ainsi :
[43] D’abord, aucune preuve n’a été administrée à ce sujet par la partie intimée. En conséquence, le Comité ignore quelle est la teneur d’un tel soutien et suivi de la part de BFL Canada.
[49] Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, nous sommes d’avis qu’en l’absence d’un engagement formel de BFL Canada et d’une preuve probante sur la question, la thèse soulevée en défense voulant que l’encadrement futur de l’intimée par BFL Canada constitue un facteur atténuant est sans valeur.
[188] L’appelante n’établit pas en quoi l’ensemble de ces constats recèlerait quelconque erreur révisable.
[189] Même si par hypothèse les principes de l’arrêt Kienapple avaient permis de prononcer une suspension conditionnelle de la condamnation liée au chef 5, force est de constater que le résultat final, quant à la durée de la radiation, ne s’en trouverait pas affectée, et ce, pour deux motifs principaux.
[190] D’une part, le Comité impose une radiation temporaire de 9 mois sur chacun des chefs, le tout à être purgée concurremment.
[191] D’autre part, les tribunaux rappellent que la modification d’une sanction n’est pas affaire d’arithmétique. Le fait de suspendre conditionnellement un chef d’infraction sur un certain nombre de chefs maintenus n’entraine pas automatiquement une quelconque réduction au « prorata » de la durée de la radiation. La Cour d’appel, dans l’arrêt Terjanian, précité, rejette l’argument de la façon suivante :
[44] L’appelant prétend que la période de sanction de 30 mois imposée en l’espèce (avant la réduction correspondant à la période de sanction déjà purgée) est déraisonnable ou non indiquée. À cette fin, il souligne la réduction du nombre de chefs d’infraction ordonnée par le Tribunal des professions (passés de 41 à 19 chefs) et soutient que cette réduction doit nécessairement entraîner une révision à la baisse de la sanction initialement imposée.
[46] L’approche mathématique proposée par l’appelant ne peut être retenue dans un tel contexte, d’autant qu’elle omet de considérer le fait que le Tribunal des professions s’est attardé à la nature et la gravité des infractions, telles qu’analysées par le Conseil de discipline, pour déterminer que la période de sanction de 30 mois s’imposait pour chacun des chefs et devait être purgée de façon concurrente.
[192] Par ailleurs, le Comité retient une longue série de facteurs aggravants. Le paragraphe 51 de la Décision sur sanction les détaille ainsi :
[51] Quant aux facteurs aggravants, ils sont nombreux :
• la grande gravité objective des infractions commises;
• le fait qu’il s’agit d’infractions qui sont au cœur de la profession;
• la grande expérience de l’intimée;
• la malhonnêteté de l’intimée et son manque flagrant de probité;
• les procédés déloyaux de l’intimée tant envers l’assureur que l’expert en sinistre;
• le caractère répétitif des gestes inappropriés;
• l’absence de repentir et d’introspection de la part de l’intimée;
• l’absence de preuve d’une quelconque réhabilitation;
• son manque de respect envers le processus disciplinaire;
• un risque élevé de récidive.
[193] Encore là, rien ne permet d’établir l’existence d’une quelconque erreur révisable quant à de telles déterminations. Aucune distorsion n’apparait ni n’est établie.
[194] Cela dit, l’appelante reproche également au Comité d’avoir basé son raisonnement et d’avoir taillé cette sanction en usant du concept d’exemplarité positive[90].
[195] Cet argument additionnel appelle deux commentaires.
[196] D’une part, la Cour d’appel dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault, précité, précise bien que l’exemplarité constitue un élément qui est pertinent pour le décideur dans le cadre de son analyse.
[197] D’autre part, le concept d’exemplarité positive puise sa source dans la volonté, pour le décideur, d’imposer une sanction taillée sur mesure, en analysant le professionnel visé par le processus à la date de l’audition sur sanction, l’objectif étant de voir si un cheminement positif peut être observé, le tout au crédit dudit professionnel.
[198] Ainsi donc, le professionnel qui est sanctionné est celui tel qu’il existe à la date de l’audition sur sanction. Peut-être a-t-il cheminé favorablement?
[199] Or, en l’espèce, le Comité note que Mme Giroux ne témoigne pas lors de l’audition sur sanction. En fait, nulle preuve n’est offerte à cette étape, les avocats se déclarant prêts à plaider de part et d’autre[91].
[200] Le Comité précise donc sa pensée ainsi :
[55] En somme, la partie intimée que le Comité a devant lui pour les fins de la sanction est celle que nous avons vue et entendue lors de l’audition sur culpabilité. Ainsi, le Comité ne dispose d’aucune preuve lui permettant de venir à la conclusion que l’intimée a cheminé depuis l’audition sur culpabilité ou qu’elle est en voie de se réhabiliter.
[201] Ainsi donc, la référence du Comité à ce principe d’exemplarité positive se justifie.
[202] Il ne s’agit pas ici d’un cas où la preuve soumise aurait pu permettre au Comité de conclure à une réhabilitation et à une absence de risque de récidive[92].
[203] Enfin, l’appelante postule que la sanction lui étant imposée est déraisonnablement sévère en ce que le Comité se serait appuyé, pour conclure à l’imposition d’une telle sanction, sur l’affaire CHAD c. Lacelle[93]. Or, cette affaire ne présenterait aucune commune mesure avec le cas d’espèce[94].
[204] Personne ne remet en doute que le comportement reproché à l’intimé Lacelle, dans cette affaire, était beaucoup plus sérieux que celui reproché à Mme Giroux. M. Lacelle était d’ailleurs visé par 26 chefs d’accusation, dont certains de fraude.
[205] En fait, le Comité, dans le cas sous étude, s’inspire non pas des sanctions prononcées à l’encontre de M. Lacelle, mais bien des enseignements liés à l’imposition des peines. Sans plus, ni moins.
[206] D’ailleurs, le Comité prend la peine de préciser au paragraphe précédant sa référence à ladite affaire Lacelle, que le Comité est incapable de trouver un précédent jurisprudentiel qui se rapproche vraiment des faits de la présente affaire.
[207] D’ailleurs, M. Lacelle fut condamné à diverses radiations permanentes, et d’autres de longue durée (notamment 5 ans).
[208] L’argument voulant que le Comité a commis une erreur en se référant à certains principes dégagés dans cette autre décision est, avec égards, sans mérite.
[209] Rien n’établit que le Comité a commis une erreur révisable dans sa détermination de la sanction appropriée. Rien ne démontre que la Décision sur sanction souffre d’une quelconque erreur de principe qui en vicierait les fondements. La sanction prononcée n’est pas, du reste, contre indiquée.
[210] Ainsi, l’appel quant à la Décision sur sanction ne peut non plus être accueilli.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE l’appel de l’appelante;
CONFIRME la décision sur culpabilité rendue le 6 septembre 2022;
CONFIRME la décision sur sanction rendue le 22 juin 2023;
LE TOUT, avec les frais de justice en appel.
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| __________________________________ STEVE GUÉNARD, J.C.Q. | |
Me Yves Carignan Me Nicholas Hébert-Gauthier Bélanger, Sauvé s.e.n.c.r.l. Avocats de l’appelante
Me Mathieu Cardinal Me Camille Tremblay-Pelchat CDNP Avocats Inc Avocats de l’intimé
Date d’audience 6 février 2024 | ||
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[1] Pièce P-1, soit l’attestation du droit de pratique de l’appelante en date du 2 mars 2022.
[2] Chambre de l’assurance de dommages c. Giroux, 2022 CanLII 85413 (QC CDCHAD).
[3] Pièce P-32, en page 1749 et ss du Volume 5 du Mémoire de l’appelante.
[4] Chartrand c. Giroux, 2023 CanLII 61357 (QC CDCHAD).
[5] Voir notamment les notes sténographiques de l’audition du 3 juin 2022 (pages 2534 et ss. du Volume 8 du Mémoire de l’appelante).
[6] Voir notamment le paragraphe 107 de la Décision sur culpabilité. Voir également les notes sténographiques de l’audition du 25 mars 2022 (pages 2062 et ss, Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[7] Kienapple c. Sa Majesté la Reine, [1975] 1 R.C.S. 729.
[8] RLRQ c D-9.2.
[9] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.
[10] Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33.
[11] Sauf en présence d’une question de droit aisément isolable de ladite question mixte.
[12] J.G. c. Nadeau, 2023 QCCA 348.
[13] L’appelante référant le Tribunal aux paragraphes 17, 53 ainsi que 63 et ss. de l’arrêt dans Vavilov, postulant que le principe lié à la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, et ce, afin d’établir la délimitation de la compétence du Comité.
[14] Une fois expurgée, le cas échéant, cette question liée à la compétence du Comité.
[15] Quelques paragraphes de la Décision sur culpabilité réfèrent, en effet, au droit ontarien.
[16] Voir par exemple Elixxer Ltd c. Corporation Tricho-Med, 2019 QCCA 2092.
[17] 1990 CanLII 3147 (QCCA).
[18] Cette formulation apparait également de l’arrêt de la Cour d’appel dans Construction Infrabec inc c. Paul Savard, Entrepreneur électricien inc, 2012 QCCA 2304 (voir au paragraphe 43).
[19] Voir également le paragraphe 18 du Mémoire du Syndic intimé.
[20] Unifund Assurance Co c. Insurance Corp. of British Columbia, 2003 CSC 40. (voir en particulier au paragraphe 56)
[21] Voir le courriel produit en Pièce P-32 (page 1745 du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[22] Voir les échanges à cet égard en Pièce P-50, en pages 1864 et ss. du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[23] Reprenant ainsi spécifiquement le critère usité par la Cour d’appel dans l’arrêt Pitre & Durand inc c. Compagnie du Trust national, 1990 CanLII 3147 (QCCA).
[24] 1986 CanLII 3789 (QCCA).
[25] Ruffo c. Le Comité d’enquête du conseil de la magistrature formé pour entendre la plainte 2001 CMQ 45, 2002 CanLII 14357 (QCCS).
[26] 2023 QCCA 213. Voir également 9302-5773 Québec inc c. West Coast Aircraft Sales and Leasing Ltd, 2023 QCCA 823; M.G. c. Centre intégré de santé et de services sociaux A, 2020 QCCA 1396.
[27] Paquette c. Comité de discipline de la corporation professionnelle des médecins du Québec, 1995 CanLII 5215 (QCCA).
[28] Voir par exemple le propos de la Cour du Québec dans Autorité des marchés financiers c. Ballachey, 2008 QCCQ 1152, où cette précision apparait, en particulier, des paragraphes 42 à 45 du Jugement.
[29] Voir notamment, par analogie et sans prétention d’exhaustivité : Chambre de la sécurité financière c. Brazeau, 2003 CanLII 57205 (QC CDCSF); Chambre de la sécurité financière c. Boucher, 2017 QCCDCSF 69; Psychologues (Ordre professionnel des) c. Gaston, 2022 QCCDPSY 14;
[30] Autorité des marchés financiers c. Agence d’assurance Groupe Financier Mondial du Canada inc, 2023 QCTMF 50.
[31] [2000] 1 R.C.S. 494.
[32] EYB 1985-145656.
[33] Underwood McLellan & Associates Limited v. Association of Professional Engineers of Saskatchewan, 1979 CanLII 2222 (SK CA). Voir également l’affaire Alberta Life Insurance Council v. Simpson and Insurance Councils Appeal Board of Alberta, 2022 ABQB 396.
[34] Dans l’arrêt Global Securities Corp. c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2000 CSC 21.
[35] Notamment quant à la notion de divergence (2400(2) C.c.Q) qui se décline, essentiellement, de la même façon tant en droit québécois qu’en droit ontarien.
[36] Voir notamment les notes sténographiques de l’audition du 30 mai 2022, en page 2433 du Volume 7 du Mémoire de l’appelante. Également en page 2607 des notes sténographiques de l’audition du 3 juin 2022.
[37] Voir notamment la preuve documentaire en Pièces P-17 à P-20.
[38] Voir le courriel en question, en Pièce P-17 (page 1158 du Mémoire de l’appelante, Volume 4).
[39] Autorité des marchés financiers c. Agence d’assurance Groupe financier mondial du Canada inc, 2023 QCTMF 50.
[40] 2011 QCCQ 20563.
[41] Paquette c. Corporation professionnelle des médecins (Québec), EYB 1985-145656 (voir en particulier au paragraphe 14).
[42] Le Comité, au paragraphe 93 de sa Décision, précise également : « [93] Autre fait important, au cours de son témoignage, l’intimée ne fait pas la distinction entre déclarer un sinistre et présenter une réclamation ».
[43] Voir notamment les pièces P-3 à P-10, les pièces P-12 à P-16 ainsi que P-22 à P-24. En pièce P-24 (page 1644 du Volume 5 du Mémoire de l’appelante), l’on peut voir que Mme Giroux s’y désigne spécifiquement à titre de courtier dans le cadre du risque devant être placé pour cette assurée M(…). À P-25A, (page 1653 du Volume 5 du Mémoire de l’appelante), Mme Giroux transmet les documents « pour signature RUSH » à son client. Voir également en Pièce P-26.
[44] L’article 27 du Code de déontologie est ainsi rédigé : « Le représentant en assurance de dommages ne doit pas abuser de la bonne foi d’un assureur ou user de procédés déloyaux à son endroit. »
[45] Pièce P-27 (pages 1680 et ss. du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[46] Article 2400 (2) C.c.Q.
[47] Voir notamment l’article 2398 C.c.Q.
[48] Mémoire de l’appelante, Volume 6, pages 1932 à 1934.
[49] Ce qui est confirmé, d’ailleurs, par le témoignage du représentant de l’assurée, soit M. L. (…) en pages 2058 et 2059 du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[50] Pièce P-28, en page 1729 du Volume 5 du Mémoire de l’appelante. Voir également l’échange complet en Pièce P-54 (pages 1935 et ss. du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[51] Voir le courriel de Mitch Orr, daté du 21 août 2020, en Pièce P-29 (pages 1721 et ss du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[52] Pièce P-30 (page 1735 et ss. du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[53] Voir en Pièce P-33 (page 1753 du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[54] L’article 37 (1) du Code de déontologie se lit ainsi : Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour le représentant en assurance de dommages d’agir à l’encontre de l’honneur et de la dignité de la profession, notamment : 1) d’exercer ses activités de façon malhonnête ou négligente.
[55] Pièce P-35 (page 1766 du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[56] Pièce P-35 (page 1765 du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[57] Voir les échanges en Pièces P-38, P-39 et la documentation produite en Pièce P-42.
[58] J.B. c. R., 2019 QCCA 761. Voir également Sarazin c. R., 2018 QCCA 1065.
[59] 2019 QCCQ 5048.
[60] Auger c. Monty, 2006 QCCA 596; Psychologues (Ordre professionnel des) c. Vallières, 2018 QCTP 121.
[61] Précité, voir en particulier au paragraphe 340 dudit Jugement.
[62] Kienapple c. La Reine, [1975] 1 R.C.S., page 745.
[63] J.B. c. Sa Majesté La Reine, 2019 QCCA 761 (paragraphe 16).
[64] Pièce P-40 (page 1791 et ss du Volume 5 du Mémoire de l’appelante).
[65] Qui se décline ainsi : Constitue un manquement à la déontologie, le fait pour le représentant en assurance de dommages d’agir à l’encontre de l’honneur et de la dignité de la profession, notamment : 7) de faire une déclaration fausse, trompeuse ou susceptible d’induire en erreur.
[66] Paragraphes 25 et 26 de la Décision sur sanction.
[67] Paragraphe 27 de la Décision sur sanction.
[68] Courchesne c. Castiglia, 2009 QCCA 2303.
[69] R. c. L.M., 2008 CSC 31.
[70] Brochu c. Fortin, es qualités de syndic adjoint du Collège des médecins, 2002 QCTP 002.
[71] 2003 CanLII 32934 (QC CA)
[72] Mailloux c. Deschênes, 2015 QCCA 1619.
[73] Drolet-Savoie c. Tribunal des professions, 2017 QCCA 842.
[74] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 RCS 1089.
[75] Drolet-Savoie c. Tribunal des professions, 2017 QCCA 842.
[76] Terjanian c. Lafleur, 2019 QCCA 230; Duguay c. Desranleau es qualité de syndic adjoint de l’Ordre des dentistes du Québec, 2019 QCTP 31, citant à cet égard les enseignements de la Cour d’appel dans Drolet-Savoie c. Tribunal des professions, 2017 QCCA 842.
[77] Malus c. Tribunal des professions, 2020 QCCS 1681, demande de permission d’en appeler rejetée par Malus c. Gareau, 2020 QCCA 1317 Mailloux c. Deschênes, 2017 QCCA 846. Chené c. Chiropraticiens (Ordre professionnel des), 2006 QCTP 102; R. c. Shopshire, [1995] 4 R.C.S. 227; R. c. M. ( C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500; R. c. Parranto, 2021 CSC 46.
[78] 2020 CSC 9.
[79] 2015 CSC 64 (en particulier au paragraphe 78).
[80] Roy Morissette & Associés c. Chauvin, 2006 QCCA 371. Voir également Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QCCA) (en particulier au paragraphe 36).
[81] Paré c. Sa Majesté la Reine, 2011 QCCA 2047; Mercure c. Avocats (Ordre professionnel de), 2021 QCTP 56.
[82] Serra c. Joyal es qualité de syndic adjoint du Collège des médecins du Québec, 2021 QCTP 2.
[83] Voir, à titre d’exemple les enseignements du Tribunal des professions, dans Gareau c. Dragon, 2020 QCTP 44 (paragraphe 203 en particulier).
[84] Voir notamment au paragraphe 62 de la Décision sur sanction.
[85] Paragraphe 64 de la Décision sur sanction.
[86] Paragraphe 56 de la Décision sur sanction.
[87] Paragraphe 64 de la Décision sur sanction.
[88] Terjanian c. Lafleur, es qualités de syndic adjoint de l’Ordre des dentistes du Québec, 2019 QCCA 230 (paragraphe 53 in fine).
[89] Voir en particulier les paragraphes 38 à 40 de la Décision sur sanction.
[90] Paragraphes 52 et suivants de la Décision sur sanction.
[91] Voir les paragraphes 6 et 7 de la Décision sur sanction.
[92] Contrairement à la trame factuelle dans l’affaire – citée par l’appelante – de Gareau c. Dragon, 2020 QCTP 44.
[93] Chambre de l’assurance de dommages c. Lacelle, 2012 CanLII 64436 (QC CDCHAD).
[94] Voir au paragraphe 100 du Mémoire de l’appelante.
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