Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Mécanique Centre-Ville RN et Desroches

2021 QCTAT 2493

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

700805-08-1906

Dossier CNESST :

505572396

 

 

Rouyn-Noranda,

le 19 mai 2021

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

François Aubé

______________________________________________________________________

 

 

 

Mécanique Centre-Ville RN

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Jacquelin Desroches

Mécanique MGB

Robfam inc.

Équipement TNO (2005) inc.

Action Kia

Gestion Gilles St-Michel

Gestion M.L.B. Cardinal ltée

 

Parties mises en cause

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

APERÇU

[1]           Monsieur Jacquelin Desroches, le travailleur, occupe un poste de mécanicien pour Mécanique Centre-Ville RN, l’employeur.

[2]           Le travailleur a effectué de la mécanique pour différents employeurs depuis 1982.

[3]           En septembre 2018, alors qu’il effectue de la mécanique pour l’employeur Mécanique Centre-ville RN, le travailleur ressent progressivement une douleur au coude.

[4]           Le 18 octobre 2018, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, la Commission, accepte la lésion du travailleur à titre de maladie professionnelle, soit le diagnostic d’une épitrochléite au coude droit.

[5]           Le 25 octobre 2018, la Commission reconsidère sa décision et déclare que la réclamation est acceptée et que ce n’est pas une maladie professionnelle, mais bien un accident du travail. Cette décision est contestée par l’employeur Mécanique Centre-Ville RN le 30 octobre 2018.

[6]           Le 2 mai 2019, la révision administrative de la Commission, qui confirme sa décision du 25 octobre 2018, déclare que le travailleur a subi une lésion le 26 septembre 2018. Elle estime que les circonstances dans lesquelles la lésion du travailleur est survenue permettent de conclure qu’il y a eu un évènement imprévu et soudain, soit la manipulation de pièces plus lourdes. Cette décision est contestée par l’employeur Mécanique Centre-Ville RN le 6 juin 2019.

[7]           Lors de l’audience du 25 janvier 2021, l’employeur a déposé un document qui est un relevé des travaux effectués par le travailleur chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN. Toutefois, puisque ce document a été déposé lors d’une audience mixte, qu’il était volumineux et qu’il y avait plusieurs employeurs en virtuel, le Tribunal a convenu que ce document serait acheminé à tous les autres employeurs après l’audience et que ceux-ci pourraient commenter ce document lors de leur argumentation écrite.

[8]           Toutefois, lors de leur argumentation écrite, certains employeurs ont émis l’opinion que la liste des travaux effectués chez l’employeur devrait être rejetée.

[9]           Le Tribunal a constaté qu’effectivement il aurait été opportun notamment que les parties puissent poser des questions sur la provenance et sur la pertinence de cette liste des travaux effectués par le travailleur chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN en interrogeant l’employeur ou même le travailleur. Toutefois, puisque la faute ne peut pas être imputée à l’employeur Mécanique Centre-Ville RN étant donné que le document aurait pu être difficilement transmis pendant l’audience à tous les employeurs qui étaient en mode virtuel plutôt qu’en présentiel et, puisqu’il ne voulait pas priver une partie d’un droit, une réouverture d’enquête a été demandée par le Tribunal, le 16 mars 2021.

[10]        Or, les employeurs se sont opposés à la réouverture d’enquête parce qu’ils ne considèrent pas leur droit brimé, ils estiment plutôt que c’est la valeur probante de la liste des travaux effectués par le travailleur chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN qu’ils contestent.

[11]        Sur le fond du litige, l’employeur Mécanique Centre-Ville RN estime que le travailleur a subi une maladie professionnelle, car il a effectué le même travail pendant près de 36 ans et que les tâches qu’il a effectuées pendant toutes ses années sont à risques de développer un épitrochléite au coude droit alors qu’il a effectué les mêmes tâches pour lui pendant une courte période de deux semaines.

[12]        Les autres employeurs estiment que le travailleur a subi un accident par un évènement imprévu et soudain chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN, car il aurait effectué des tâches de mécanicien plus lourdes et plus intensives chez cet employeur.

[13]        Le Tribunal estime qu’il y a lieu de retenir que le travailleur a subi une maladie professionnelle pour les motifs suivants.

LA QUESTION EN LITIGE

[14]        Le travailleur a-t-il subi une maladie professionnelle ou un accident du travail par un évènement imprévu et soudain le 26 septembre 2018?

L’ANALYSE

[15]        Les parties ne contestent pas l’admissibilité de la lésion professionnelle, mais elles demandent au Tribunal de qualifier la cause de la lésion professionnelle, soit par une maladie professionnelle ou par un accident du travail qui s’est manifesté le 26 septembre 2018.

[16]        L’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1], la Loi, énonce qu’une lésion professionnelle est une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, rechute ou aggravation de cet accident ou de cette maladie.

[17]        L’article 2 de la Loi précise également qu’un accident du travail est un évènement imprévu et soudain, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail, et qui entraîne pour elle une blessure ou une maladie.

[18]        La maladie professionnelle est aussi décrite aux articles 2 et 30 de la Loi. Ainsi, une maladie contractée par le fait ou à l’occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée aux risques particuliers de celui-ci est considérée une telle maladie professionnelle.

[19]        Enfin, le législateur prévoit des présomptions aux articles 28 et 29 afin d’alléger le fardeau de la preuve qui repose sur les épaules du travailleur.

[20]        À cet égard, l’article 28 de la Loi édicte qu’une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle. Aussi, l’article 29 de la Loi indique que le travailleur souffrant d’une maladie énumérée à l’annexe I de la Loi et ayant exercé un travail correspondant à cette maladie dans cette annexe est présumé atteint d’une maladie professionnelle.

[21]        Le seul diagnostic retenu tout au long du suivi médical est celui d’épitrochléite du coude droit.

[22]        Or, cette pathologie n’est pas assimilable à une blessure exigée par l’article 28 de la Loi. En effet, les circonstances relatées par le travailleur ne démontrent pas que l’épitrochléite est la conséquence d’un traumatisme relié à un évènement précis dans le temps[2]. Elle s’est plutôt manifestée progressivement sur plusieurs jours. La présomption de l’article 28 ne peut donc pas s’appliquer [3].

[23]        Toutefois, en vertu de l’article 2 énuméré plus haut, il serait possible de retenir que le travailleur a subi un évènement imprévu et soudain. Voici une définition large d’un évènement imprévu et soudain postulée dans l’affaire Germain et Bourassa Automobiles international[4] :

[46]  Certes, un événement imprévu et soudain n’a pas à être exclusivement constitué d’un fait différent, détaché, divisible d’autres faits et facilement identifiable ; il peut s’agir d’un fait contigu, indivisible et concomitant à d’autres événements24.  Un imprévu et soudain peut résulter d’un faux mouvement25, d’un effort excessif26 ou inhabituel27, d’un mouvement mal exécuté28, ou même d’un geste aussi banal qu’une torsion de la colonne pour sortir d’un véhicule de service29.  Il peut aussi survenir lors de l’accomplissement, de propos délibéré, d’un geste habituel, car l’un et l’autre ne sont pas incompatibles30.  Il peut également être la conséquence de « changements majeurs dans les conditions de travail »31, d’une surcharge de travail32.

 

[Références omises]

 

 

[24]        De ce qui précède, il faut donc conclure qu’une surcharge de travail, qu’un effort excessif ou inhabituel réparti dans le temps peut être considéré comme un évènement imprévu et soudain.

[25]        Cela dit, bien que certains employeurs estiment que le travailleur a subi un évènement imprévu et soudain, il y a toutefois l’employeur Mécanique Centre-Ville RN qui estime plutôt que ce dernier a été victime d’une maladie professionnelle contractée par le fait ou à l’occasion de son travail de mécanicien qui ne résulte pas d’un accident du travail, mais celle-ci est reliée aux risques particuliers de ce travail.

[26]        En somme, il ne s’agit pas de reconnaître l’admissibilité de la lésion professionnelle du travailleur ce qu’aucune partie n’a contesté, mais de qualifier la cause de cette lésion, soit par la manifestation d’un évènement imprévu ou soudain ou par la manifestation d’une maladie reliée aux risques particuliers de son travail. Il faudra donc déterminer la cause la plus probante de la lésion professionnelle du travailleur selon le fardeau de la prépondérance de preuve.

[27]        À cet égard, il faut donc analyser l’ensemble des causes de l’apparition de la lésion professionnelle du travailleur.

[28]        Tout d’abord, il est important d’apporter les précisions suivantes sur l’admissibilité en preuve de la liste des travaux effectués par le travailleur chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN du 11 au 26 septembre 2018.

[29]        Ainsi, les employeurs avaient l’opportunité lors de la réouverture d’enquête proposée par le Tribunal d’interroger la représente de l’employeur sur la liste des travaux effectués par le travailleur chez l’employeur du 11 au 26 septembre 2018. Toutefois, ces employeurs se sont opposés à la réouverture d’enquête. Or, aucun employeur ne s’est opposé au dépôt de ce document lors de l’audience et le Tribunal a donc accepté que le document soit déposé en preuve lors de l’audience.

[30]        De plus, l’opportunité a été donnée aux employeurs de commenter cette liste lors des plaidoiries écrites. Or, puisqu’un des employeurs s’opposait au dépôt de cette liste sous prétexte qu’il n’avait pas pu poser des questions sur cette liste au représentant de l’employeur Mécanique Centre-Ville Rn, le Tribunal a permis une réouverture d’enquête afin de permettre aux employeurs de poser des questions sur cette liste qu’ils n’avaient pas en main lors de l’audience, mais les employeurs ont refusé. Ces employeurs ne peuvent donc pas invoquer un manque de valeur probante de la liste des travaux parce qu’ils n’ont pas pu poser des questions à l’employeur Mécanique Centre-Ville RN.

[31]        Certes, les employeurs peuvent soulever le manque de valeur probante du document au motif que le travailleur ou la représentante de l’employeur Mécanique Centre-Ville aurait tenu des propos divergents lors d’une discussion avec une agente de la Commission.

[32]        Toutefois, le Tribunal accorde une valeur probante à la liste des travaux effectués par le travailleur chez Mécanique Centre-Ville RN. Voici donc les motifs pour lesquels une valeur probante doit être accordée à ce document.

[33]        Ainsi, le travailleur est mécanicien depuis 36 ans et il a occupé cet emploi pour quelques dizaines d’employeurs durant cette période.

[34]        À l’audience, il dira qu’il a effectué « toujours le même travail » de mécanicien, que c’est « toujours pareil », qu’il a fait ça « toute sa vie » et qu’il a « toujours travaillé là-dedans ».

[35]        En l’espèce, le Tribunal retient que le travailleur a effectué sensiblement les mêmes tâches chez l’ensemble des employeurs, mais que son travail de mécanicien a été plus ou moins physique d’un employeur à l’autre, et ce, au cours des ans.

[36]        En effet, le travailleur a travaillé chez des employeurs où les véhicules étaient plus récents où la mécanique était moins physique. Il a travaillé chez des employeurs qui étaient spécialisés dans la vente et la pause de pneus alors ces emplois étaient plus physiques, car les pneus sont des pièces relativement lourdes à manipuler. Il a aussi travaillé pour des employeurs qui étaient spécialisés dans la réparation de véhicules 10 roues où les pièces sont plus lourdes. Tout comme il a travaillé pour des employeurs dans le domaine des mines où les tâches de mécanicien étaient plus physiques, car les véhicules étaient plus gros. Finalement, il a aussi travaillé chez certains employeurs où il devait effectuer plus de changement d’huile et plus de graissage et ces tâches étaient moins physiques.

[37]        Le travailleur a effectué de la mécanique générale chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN. Il a travaillé pour celui-ci pendant 14 jours durant la période du 11 septembre 2018 au 1er octobre 2018. La douleur est apparue progressivement durant cette période et elle est devenue insupportable dans la nuit du 26 au 27 septembre 2018.

[38]        À une question de l’un des employeurs, le travailleur a mentionné que l’emploi de mécanicien chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN était « un peu » plus physique. Il précise qu’avec le temps, il y a de plus en plus de véhicules « 4 X 4 » à réparer. Il a réparé des « pick up » chez l’ensemble des employeurs. Le Tribunal comprend donc que le travailleur précise qu’il a fait sensiblement le même travail chez l’employeur Mécanique Centre-Ville que chez l’ensemble des employeurs.

[39]        À titre de mécanicien, le travailleur utilise des « guns » à air, des marteaux ou des masses ainsi que des « impacts » deux heures par quart de travail. Ces outils, il les a utilisés chez l’ensemble des employeurs. Le travailleur est droitier et sa lésion est du côté droit.

[40]        Madame Sylvie Mathan-Ipperciel a témoigné pour l’employeur Mécanique Centre-Ville RN. Elle rapporte qu’en septembre 2018, le travail au garage était relativement tranquille, car l’école venait de commencer et le « rush » du changement des pneus n’avait pas encore débuté. Elle dépose en preuve la liste de toutes les tâches effectuées par le travailleur pour le garage du 11 septembre 2018 au 1er octobre 2018, ces tâches sont déposées sous la cote E-1. Le travailleur a effectué de la mécanique sur 31 véhicules durant cette période. Elle précise qu’il a fait un seul gros « pick up » un Silverado 3500, le restant comporte 22 véhicules appartenant à des particuliers et quelques « véhicules » de service. Il y a avait 5 « pick up » en tout. Elle estime qu’en Abitibi, 50 % des personnes possèdent des « pick up ». Le travailleur a dû enlever les roues sur 14 véhicules des 31 véhicules. Il n’y a pas de quota de production chez elle de même qu’il n’y a pas de cadence imposée au travailleur. Elle est elle-même mécanicienne, femme de mécanicien, fille de mécanicien et copropriétaire du garage Mécanique Centre-Ville RN.

[41]        Malgré son témoignage à l’audience, des employeurs ont argumenté que l’agente d’indemnisation a rapporté à ses notes évolutives du 12 octobre 2018 une version qui diffère des tâches effectuées par le travailleur telles que rapportées par madame Mathan-Ipperciel à l’audience et au document E-1. Voici les commentaires de madame Mantha-Ipperciel rapportés par l’agente :

T doit souvent forcer après des pièces pour les sortir de leur emplacement. E m’indique qu’ils font la mécanique sur toute la flotte de véhicule de m’indique que T manipule au minimum 40 roues/jour.

E me mentionne que le T a beaucoup de mouvement répétitifs et de dextérité dans son travail avec bars/poignets puisqu’il travaille dans des endroits restreints parfois sur les véhicules.

E m’indique que le T avait déjà travaillé pour eux il y a dix ans et est revenu depuis septembre 2018.

 

 

[42]        De même, l’agente d’indemnisation rapporte, à ses notes évolutives du 11 octobre 2018, ce qui suit d’une conversation téléphonique avec le travailleur sur les tâches qu’il a accomplies chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN :

T fait toutes les tâches que le travailleur peut avoir à faire.

T mentionne faire surtout des tâches de freins et de conduite donc manipule beaucoup de pneus dans une journée.

T mentionne que les pneus de « pick-up » sont très lourds voir 50 livres par pneu. T peut en manipuler une quarantaine par jour puisqu’il doit enlever des pneus pour quasiment chaque tâche mécanique de 2 à 3 heures par jour à utiliser le marteau.

T m’indique utiliser l’impact à tous les changements de roues.

T utilise sa main droite pour la manipulation de ses outils

 

[43]        De ce qui précède, le Tribunal constate qu’il y a un certain décalage entre les versions de l’employeur et celles du travailleur sur les tâches effectuées par ce dernier chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN du 11 septembre au 1er octobre 2018, comme il est rapporté par le travailleur et madame Mantha-Ipperciel à l’audience et décrit dans la liste des travaux effectués, et ce, avec ce qui a pu être rapporté à l’agente d’indemnisation de la Commission.

[44]        Toutefois, lorsqu’il a rapporté les faits à l’agente d’indemnisation, le travailleur a voulu insister un peu plus sur les tâches les plus difficiles qu’il a effectuées chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN pour démontrer que c’était le travail de mécanicien qui était la cause de ses symptômes. À l’audience, il a nuancé ses propos en précisant que la grosse mécanique qu’il a faite chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN, il l’a faite toute sa vie.

[45]        Aussi, le travailleur a dit à plusieurs reprises que son problème au coude « c’est de l’usure à long terme » et qu’il a effectué « toujours le même travail » chez l’ensemble des employeurs ». Il faut donc relativiser la version du travailleur qui tente de convaincre une agente d’indemnisation que sa lésion est reliée à son travail afin que celle-ci soit acceptée. Son témoignage était plus nuancé lors de l’audience, il n’y a pas lieu de remettre en doute la crédibilité de ce témoignage que le Tribunal a pu apprécier. Ce décalage s’explique donc par une question de contexte.

[46]        Par ailleurs, en ce qui concerne, les propos de la représentante de l’employeur Mécanique Centre-Ville RN, madame Mantha-Ipperciel, rapportés par l’agente d’indemnisation, elle a insisté particulièrement sur le fait que le travail de mécanicien est un travail physique, et la description des tâches peut s’appliquer pour tous les emplois que le travailleur a pu occuper à titre de mécanicien pour l’ensemble des employeurs.

[47]        Cela dit, madame Mantha-Ipperciel, a rendu un témoignage crédible et nuancé à l’audience, il n’y a pas de motif de mettre en doute son témoignage. Elle a mentionné à l’audience que le travailleur ne pouvait pas être dans un « rush » des changements de pneus d’hiver lors de la période du 11 septembre au 1er octobre 2018, car cette période débute beaucoup plus tard au mois d’octobre. À cet égard, il est de connaissance d’office du Tribunal, et de tous ceux qui ont un véhicule, que le « rush » des changements de pneus pour l’hiver s’effectue à la fin du mois d’octobre et au début novembre à chaque année, du moins dans notre région. Ce qui ne pouvait pas être le cas pour la période où le travailleur a été à l’emploi chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN. Il s’agit donc d’une erreur de sa part lorsqu’elle a discuté avec l’agente d’indemnisation de la Commission.

[48]        Cela dit, le Tribunal s’en remet à la liste des travaux effectués et déposée par l’employeur Mécanique Centre-Ville RN pour apprécier les tâches que le travailleur a effectuées chez cet employeur, car ce document contient exactement toutes les tâches exécutées par le travailleur pour cet employeur du 11 septembre au 1er octobre 2018. En fait, cette liste des tâches contient tout le travail effectué minute par minute par le travailleur chez cet employeur. Il s’agit des factures remises aux clients à partir des tâches effectuées par le travailleur pour chaque client. Elles contiennent aussi le temps nécessaire par le travailleur pour accomplir chacune de ces tâches. Il s’agit de la meilleure preuve pour analyser si le travailleur a effectué un travail inhabituel ou s’il a subi une surcharge de travail chez l’employeur Mécanique Centre—Ville RN.

[49]        Le Tribunal estime que ce document a une valeur probante indéniable, car il décrit toutes les tâches effectuées par le travailleur chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN et il doit avoir préséance sur les tergiversations du témoignage du travailleur et les faits rapportés aux notes évolutives de la Commission.

[50]        Cela dit, aux fins d’analyse, le Tribunal retiendra seulement les tâches que le travailleur a effectuées pour la période du 11 septembre au 26 septembre 2018, car la lésion s’est manifestée de façon aigüe durant la nuit du 26 au 27 septembre 2018.

[51]        Selon l’analyse des factures, le travailleur a effectué des réparations sur 28 véhicules du 11 septembre au 26 septembre 2018, et ce, pendant 12 jours de travail. Il a enlevé les pneus sur 13 de ces 28 véhicules, soit en moyenne un véhicule par jour. Ainsi, en comptant l’enlèvement et la remise des pneus, il aurait manipulé en moyenne un peu plus de 8 pneus par jour. On est donc loin de la manipulation de 40 pneus par jour comme rapporté par l’agente d’indemnisation. D’ailleurs, la copropriétaire a mentionné qu’au mois de septembre 2018, le « rush » des changements de pneus pour l’hiver n’était pas commencé.

[52]        Par ailleurs, durant la même période le travailleur a effectué des réparations sur 8 « pick up » des 28 véhicules qu’il a réparés. Or, ce pourcentage de « pick up » que le travailleur a réparé n’a rien d’exceptionnel. D’ailleurs, madame Mantha-Ipperciel a déclaré qu’en Abitibi la moitié de la population a un « pick up ». Même s’il faut nuancer un peu cette assertion, la proportion de 8 sur 28 est moindre que le pourcentage de « pick up » qu’un garage en région est appelé à réparer. De plus, sur les 20 autres véhicules, il y a notamment des véhicules récréatifs, intermédiaires et compacts, ce qui représentante une distribution attendue des véhicules que l’on retrouve sur la route.

[53]        De ce qui précède, le Tribunal retient que chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN, le travailleur a effectué les mêmes tâches qu’il pratique depuis 36 ans, avec les mêmes outils et sans aucune cadence imposée. De la preuve prépondérante, il faut retenir que le travailleur n’a effectué aucun effort inhabituel ou surcharge de travail.

[54]        Par ailleurs, autant de la preuve documentaire que de la preuve à l’audience, le Tribunal retient que le travailleur dans le cadre de son travail de mécanicien doit effectuer des mouvements de préhensions importants et fréquents lors de la manipulation des pneus, lors de l’utilisation de marteaux et de masse de « 2 à 3 heures par jour », de l’« impact » et du « zip gun ».

[55]        À cet égard, le médecin-conseil de la Commission reconnaît que le travailleur effectue des tâches qui sollicitent les structures épicondyliennes du coude droit par l’utilisation d’outils manuels et par l’exposition au cofacteur de vibrations. Toutefois, la prémisse du médecin-conseil selon laquelle le travailleur a manipulé des pièces plus lourdes chez l’employeur Mécanique Centre-Ville RN n’est pas fondée pour les motifs exposés plus haut. Son opinion doit donc être écartée eu égard qu’il s’agirait d’un accident de travail alors que la prémisse de son opinion est fausse.

[56]        Cela dit, les mêmes facteurs de risques pour l’épitrochléite s’appliquent autant pour la reconnaissance d’une maladie professionnelle que dans le cadre d’une surcharge de travail. Ainsi, puisque le travailleur a subi les mêmes facteurs de risques depuis près de 36 ans, il y a lieu de retenir que le travailleur a subi une maladie professionnelle selon les risques particuliers de son travail de mécanicien durant cette période.

[57]        Finalement, il serait inéquitable de faire supporter les conséquences de la maladie professionnelle du travailleur au seul employeur Mécanique Centre-Ville RN sur la base que les symptômes sont apparus chez ce dernier alors qu’il a travaillé moins deux semaines pour lui et que la liste des travaux démontre que le travailleur a effectué le même travail chez cet employeur que chez l’ensemble de tous les employeurs depuis 36 ans.

[58]        D’ailleurs, le Tribunal a reconnu à de nombreuses reprises qu’il faut considérer tous les employeurs où un travailleur est susceptible d’avoir exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle[5].

[59]        Par conséquent, le Tribunal déclare que le travailleur a subi une maladie professionnelle le 26 septembre 2018, soit un épitrochléite.

[60]        La contestation de l’employeur est accueillie.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la contestation de Mécanique Centre-Ville RN, l’employeur;

MODIFIE la décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rendue le 2 mai 2019 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi le 26 septembre 2018 une maladie professionnelle, soit un épitrochléite et qu’il a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

__________________________________

 

François Aubé

 

 

 

Me Jean Camirand

MORNEAU SHEPELL

Pour la partie demanderesse

 

Mme Maryse Brillon

NOVO AVOCATS INC.

Pour Équipement TNO (2005) inc.

 

Me Laurie St-Arnaud

MORIN MONTPETIT AVOCATS

Pour Action Kia

 

Mme Marie-France Pinard

MEDIAL SERVICES - CONSEILS SST INC.

Pour Gestion Gilles St-Michel et Gestion M.L.B. Cardinal ltée

 

 

Date de l’audience :       25 janvier 2021

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Boies et C.S.S.S. Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775, [2011] C.L.P. 42 (formation de trois juges administratifs).

[3]           Lefebvre et Foresbec inc., C.L.P. 112764-04-9903, 29 juin 1999, A. Gauthier.

[4]           Germain et Bourassa Automobiles international [2003] C.L.P. 553. Voir aussi Buffet des Continents et Bertrand 2017 QCTAT 3369.

[5]           Société des transports de la communauté urbaine de Montréal, C.L.P. 114775-71-9904, 16 juin 2002, C. Racine; Provigo division Montréal détail, C.L.P. 200147-71-0302, 3 juillet 2003, C. Racine; Perfect-Bois inc., C.L.P. 207438-03B-0305, 28 octobre 2003, J.-F. Clément; Coffrages Idéal 1995 inc., C.L.P. 216731-32-0309, 24 février 2005, M.-A. Jobidon; Daharpro Construction, C.L.P. 267312-31-0507, 3 avril 2006, H. Thériault; Installation d’acier TJ inc. et CSST, C.L.P. 304899-03B-0612, 22 août 2007, R. Jolicoeur; Alain M. & M. ltée, C.L.P. 305370-31-0612, 24 septembre 2007, J.-L. Rivard; Construction J. Garceau & Fils inc. et Champagne, C.L.P. 34150-04-0802, 20 novembre 2008, D. Lajoie; Marché R. Tellier Mont-Tremblant inc., 2013 QCCLP 4132.

 

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