Décision

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Bombardier inc. (Aéronautique Usinage) et Succession de Anoja

2022 QCTAT 2764

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

723692-64-2001 1200878-64-2010

Dossier CNESST :

505755660

 

 

Lévis

le 13 juin 2022

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Jean-François LeBel

______________________________________________________________________

 

 

 

Bombardier inc. (Aéronautique Usinage)

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Vincenzo Anoja (Succession)

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

L’APERÇU

[1]                Monsieur Vincenzo Anoja occupe, entre 1977 et 2006, un poste de machiniste chez Bombardier inc. dans le département de l’usinage de pièces aéronautiques dans l’usine numéro 1.

[2]                Le 4 février 2018, le travailleur décède suite à une chirurgie cardiaque.

[3]                Le 3 avril 2018, la responsable de la succession et fille du défunt, madame Nancy Anoja, est informée par le docteur Christian Lussier que la cause du décès du travailleur est un mésothélium malin selon les résultats pathologiques.

[4]                Le 13 avril 2018, la responsable de la succession communique avec la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail afin d’obtenir des informations relatives à la réclamation qui doit être produite. Elle est orientée vers le site internet de la Commission ou elle récupère le formulaire de réclamation du travailleur.

[5]                La même journée, elle demande une copie du dossier médical du travailleur au service des archives médicales de l’Hôpital Sacré-Cœur.

[6]                Le 13 septembre 2018, la responsable de la succession communique de nouveau avec le service des archives puisqu’elle n’a pas reçu les documents médicaux demandés, outre le certificat de décès dont elle a déjà copie. Elle réitère par écrit sa demande d’accès au dossier médical.

[7]                Le 15 octobre 2018, elle reçoit une copie du dossier médical, incluant le rapport d’anatomopathologie lequel confirme le diagnostic de mésothélium malin.

[8]                Le 15 novembre 2018, une réclamation est produite à la Commission, laquelle est accompagnée des documents médicaux reçus un mois plus tôt.

[9]                Par la suite, le Comité des maladies professionnelles pulmonaires[1] conclut que le travailleur est décédé des suites et complications d’un mésothélium pleuro-péricardique malin d’origine professionnelle. Le Comité spécial des présidents[2] confirme cette conclusion.

[10]           La Commission accepte[3] la réclamation de la succession et le tout est confirmé à la suite d’une révision administrative[4], ce que l’employeur conteste au Tribunal.

[11]           L’employeur conteste une seconde décision rendue par la révision administrative[5] portant sur le droit à une indemnité forfaitaire de 128 304,00 $ plus les intérêts depuis la date du décès du travailleur, à une indemnité forfaitaire fixe de 2 162,00 $ pour les dépenses imprévues faisant suite au décès ainsi que le remboursement de 5 741,00 $ pour les frais funéraires et de transport du corps.

[12]           Comme demandé par l’employeur[6], l’audience procède uniquement sur une question préliminaire à l’effet que la réclamation de la succession n’a pas été produite à l’intérieur du délai de six mois prévu à l’article 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[7], la Loi. L’employeur allègue qu’aucun motif raisonnable ne permet de relever la succession de son défaut.

[13]           Pour sa part, la succession prétend que la réclamation n’est pas hors délai et, subsidiairement, qu’un motif raisonnable a été démontré pour justifier la tardivité du dépôt de la réclamation.

[14]           Le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

  • La réclamation de la succession est-elle hors délai?
  • La succession a-t-elle fait valoir un motif raisonnable pour être relevée du défaut d’avoir produit la réclamation dans le délai prévu à la Loi?

[15]           Le Tribunal conclut que la réclamation a été produite hors délai, mais qu’un motif raisonnable a été démontré par la succession pour être relevée de son défaut. Les parties seront convoquées pour une audience sur le fond du litige.

L’ANALYSE

La réclamation de la succession est-elle hors délai?

[16]           Le Tribunal doit dans un premier temps déterminer si la réclamation de la succession transmise à la Commission le 15 novembre 2018 est recevable.

[17]           À bon droit, lemployeur prétend qu’il appartient à la succession de prouver que la réclamation est recevable[8]. Selon lui, celle-ci a été produite hors délai. La succession est d’avis contraire.

[18]           Le Tribunal conclut que la réclamation a été produite à l’extérieur de délai légal prévu à la Loi pour les motifs qui suivent.

[19]           L’article 272 de la Loi prévoit que le travailleur atteint d’une maladie professionnelle doit produire sa réclamation à la Commission dans les six mois de la date où il est porté à sa connaissance qu’il est atteint d’une maladie professionnelle.

[20]           Cet article prévoit également que lorsque le travailleur décède, le bénéficiaire produit la réclamation dans les six mois de la date il est porté à sa connaissance que le travailleur est décédé à la suite d’une maladie professionnelle, selon les mêmes conditions.

[21]           Dans le contexte spécifique de l’article 272 de la Loi, la connaissance peut correspondre au moment où le travailleur, ou la succession en espèce, fait un lien entre la maladie et le travail ou lorsqu’un professionnel de la santé l’informe de la possibilité que le travailleur soit atteint d’une maladie professionnelle.

[22]           En l’espèce, le travailleur décède le 4 février 2018 à la suite d’une chirurgie cardiaque d’urgence. À ce moment, le décès est attribué, selon le certificat de décès, à une péricardite et il n’est aucunement question d’une maladie professionnelle. Par conséquent, il ne peut pas s’agir du point de départ pour la computation du délai de six mois prévu à la Loi.

[23]           Ce n’est que le 3 avril 2018 que la responsable de la succession apprend, lors d’un entretien téléphonique avec le docteur Lussier, spécialiste en anatomopathologie, que la cause du décès est un mésothélium malin.

[24]           Tel que confirmé dans la note clinique rédigée le jour même, le professionnel de la santé fournit de nombreuses explications épidémiologiques quant au diagnostic retenu et précise que l’exposition à l’amiante est souvent en cause. Le pronostic est généralement mauvais et le diagnostic est difficile et tardif.

[25]           Le Tribunal est d’avis que, suite à cet entretien téléphonique, tous les éléments sont réunis pour établir la relation entre la maladie professionnelle et le travail occupé par le travailleur. D’ailleurs, lors de l’audience, la responsable de la succession confirme que lors de l’entretien avec le docteur Lussier, elle comprend la cause du décès ainsi que son origine professionnelle puisque, dans le cadre de son travail, elle effectue de la recherche scientifique sur le cancer.

[26]           Par ailleurs, le Tribunal écarte les prétentions de la succession selon lesquelles le point de départ du délai pour produire la réclamation à la Commission commence à compter de la date de réception du dossier médical des archives, soit le 15 octobre 2018. Il considère que la connaissance est acquise lorsqu’un diagnostic est posé, qu’une relation entre la maladie et le travail est envisagée par un professionnel de la santé et que le travailleur, en l’espèce la responsable de la succession, en est informé[9]. Ceci est établi bien avant la réception du dossier médical en date du 15 octobre 2018.

[27]           Par conséquent, le Tribunal conclut que le point de départ pour computer le délai de six mois prévu à l’article 272 de la Loi pour le dépôt de la réclamation est le 3 avril 2018.

[28]           Ainsi, la succession avait jusqu’au 3 octobre 2018 pour produire la réclamation à la Commission.

[29]           Manifestement, la réclamation produite le 15 novembre 2018, comme confirmée par le tampon de réception apposé par la Commission, est hors délai. La prétention de l’employeur est donc bien fondée.

La succession a-t-elle fait valoir un motif raisonnable pour être relevée du défaut d’avoir produit la réclamation dans le délai prévu à la Loi?

[30]           Le Tribunal doit déterminer si la succession a démontré un motif raisonnable pour justifier le dépôt tardif de la réclamation à la Commission.

[31]           L’employeur prétend que ce n’est pas le cas. Selon lui, la responsable de la succession n’a pas été diligente dans la gestion du dossier. Elle ignorait le délai de six mois pour produire la réclamation, elle n’a pas cherché à le connaître et elle a laissé le temps s’écouler en n’effectuant pas le suivi approprié auprès des professionnels de la santé afin de compléter la documentation qu’elle désirait soumettre à la Commission avec la réclamation dans le délai légal.

[32]           La succession prétend qu’elle doit être relevée du défaut d’avoir produit la réclamation tardivement puisqu’elle a démontré un motif raisonnable, soit la tenue diligente du dossier malgré les informations erronées obtenues quant à la nécessité de fournir le dossier médical lors du dépôt de la réclamation.

[33]           Le Tribunal est d’avis que la preuve démontre l’existence d’un motif raisonnable permettant à la succession du travailleur d’être relevée de son défaut.

[34]           La jurisprudence[10] précise que le travailleur, en l’espèce la succession, doit agir en personne diligente dans le suivi de son dossier. Ainsi, il doit porter un soin attentif à l’accomplissement de ses obligations.

 

[35]           Selon l’article 352 de la Loi, le Tribunal peut prolonger ce délai à certaines conditions :

352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.

[36]           La notion de « motif raisonnable » n’est pas définie par la Loi. C’est la jurisprudence qui permet de la définir. Il s’agit d’une notion large qui permet d’évaluer s’il y a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion permettant de relever le défaut d’avoir produit sa contestation dans le délai prévu par la Loi[11]. Cette même définition s’applique lorsqu’il est question d’un hors délai de production de la réclamation.

[37]           Les tribunaux judiciaires invitent les tribunaux administratifs à faire preuve de souplesse dans l’appréciation des délais prévus à la Loi lorsque ceux-ci affectent la recevabilité des recours introduits devant eux.

[38]           À cet effet, la Cour supérieure fait la mise en garde suivante dans l’affaire Cormier c. Commission des lésions professionnelles[12] :

[57] Il faut que les organismes administratifs cessent d’être plus rigides que les tribunaux de droit commun quant à la procédure. Rarement devant un tribunal ordinaire, un justiciable perd un droit à cause de la procédure. L’article 352 de ladite loi permet de prolonger un délai lorsqu’on a des motifs raisonnables. […]

[39]           Au même effet, la Cour supérieure[13] et la Cour d’appel du Québec[14] ont reproché au Tribunal d’avoir rejeté une contestation ou une réclamation pour une question de délai. La Cour d’appel du Québec rappelle ce qui suit :

[28] La L.a.t.m.p., législation d’ordre public à vocation hautement sociale7, doit recevoir « une interprétation large et libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin »8. Par ailleurs, en matière de déchéance de droit, il paraît raisonnable d'interpréter les dispositions de la loi de manière à protéger les droits du justiciable9. C’est certes le cas lorsque la législation dont il s’agit en est une, comme en l’espèce, à vocation sociale.

[Notes omises]

[40]           En l’espèce, le Tribunal retient les éléments suivants du témoignage crédible et sincère de la responsable de la succession qui démontrent un comportement empreint de diligence, malgré le décès foudroyant et inattendu du travailleur le 4 février 2018.

[41]           Le 3 avril 2018, la responsable de la succession apprend, lors d’un entretien téléphonique avec le docteur Lussier, que la cause du décès du travailleur est un mésothélium malin relié à l’amiantose.

[42]           Quelques jours plus tard, soit le 13 avril 2018, elle communique avec la Commission afin d’obtenir des informations relatives à la réclamation qu’elle doit produire suite au décès du travailleur. Elle est alors dirigée vers le site internet de la Commission afin d’obtenir de plus amples informations et on l’invite à joindre une copie des documents médicaux pertinents lors du dépôt de la réclamation.

[43]           Le jour même, elle s’adresse au service des archives de l’Hôpital Sacré-Cœur afin d’obtenir une copie du « rapport de pathologie de cancer, chirurgie, biopsie, dossier cardiaque, résumé » pour la période de « 2018-février »[15].

[44]           Dès lors, le Tribunal est d’avis que les actions de la responsable de la succession démontrent qu’elle est proactive et diligente dans la gestion du dossier.

[45]           Au printemps, la responsable de la succession s’adresse au syndicat chez l’employeur, mais n’a plus souvenir de la date exacte, qui l’informe qu’il ne prendra pas charge du dossier en raison du décès du travailleur. Le syndicat lui mentionne de joindre la copie du dossier médical à la réclamation qui doit être déposée à la Commission.

[46]           Après quelques mois d’attente, la responsable de la succession reçoit une correspondance de la part du service des archives contenant seulement le certificat de décès dont elle a déjà copie, lequel n’est d’aucune utilité pour la réclamation qui doit être produite[16] puisqu’il ne mentionne pas le diagnostic de mésothélium malin, mais seulement celui de péricardite émis initialement.

[47]           À ce sujet, le Tribunal souligne que le « Bulletin de décès », produit le 4 février 2018, ne comporte absolument aucune mention relative au diagnostic de mésothélium malin[17].

[48]           Le 13 septembre 2018, la responsable de la succession communique par téléphone avec les archives pour renouveler la demande d’obtention d’une copie du dossier médical. Le jour même, elle leur adresse une nouvelle correspondance pour expliquer la raison de ses démarches[18].

[49]           Le 15 octobre suivant, elle reçoit les documents médicaux demandés aux archives et la réclamation est déposée à la Commission le 15 novembre suivant.

[50]           Tel que prétendu par l’employeur, il ne s’agit pas d’un parcours sans faute de la part de la responsable de la succession.

[51]           À ce sujet, l’employeur fait entendre madame Patricia Lessard, conseillère en invalidité chez ce dernier, afin d’établir que la responsable de la succession n’a pas été diligente dans le traitement du dossier.

[52]           Le témoin explique que, selon ses vérifications, une simple recherche de cinq à dix minutes sur internet lui a permis de trouver la marche à suivre pour compléter une réclamation du travailleur ainsi que le délai de six mois pour ce faire. Par ailleurs, ce dernier est mis en évidence à l’aide d’encarts de différentes couleurs pour attirer l’attention. Finalement, elle précise qu’il n’y a aucune obligation de produire un quelconque rapport médical lors du dépôt d’une réclamation à la Commission.

[53]           Comme souligné à juste titre par la représentante de l’employeur, la responsable de la succession aurait dû s’enquérir du délai à respecter pour la production de la réclamation, soit lors de son entretien avec la Commission ou directement sur les documents relatifs à la réclamation du travailleur. Elle ajoute que l’ignorance de la Loi n’est pas un motif raisonnable pour être relevé du hors délai de réclamation[19].

[54]           Le Tribunal partage en partie la position de l’employeur. Toutefois, il y a lieu de préciser que la succession n’invoque pas l’ignorance de la Loi, à proprement parler, à titre de motif raisonnable, malgré que sa responsable reconnaisse ne pas s’être informée au sujet du délai pour produire la réclamation.

 

[55]           À ce sujet, le Tribunal fait siens les passages suivants de l’affaire Mazariegos et GDI Services (Québec)[20] et conclut que l’ignorance du délai de contestation n’entraîne pas automatiquement la déchéance des droits d’une partie :

[31] Quoiqu’il soit exact que l’ignorance de la loi ne soit généralement pas reconnue comme un motif justifiant une personne de ne pas respecter les délais, il faut, comme le disait la juge Grenier dans l’affaire M. K. c. Le Tribunal administratif du Québec8, mettre un certain bémol à cette affirmation :

[30] Le vieil adage voulant que nul n’est censé ignorer la loi ne s’applique pas en droit civil. Il s’agit d’une maxime du common law consacrée à l’article 19 du Code criminel8 Même s’il fallait conclure à l’application de ce précepte dans un contexte de droit administratif, il y aurait lieu alors d’appliquer cette maxime de manière à prendre en compte la quantité et la complexité grandissantes des lois et règlements, surtout lorsqu’ils portent à confusion. […]

___________

8 Voir : R. c. NovaScotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606; R. C. MacDougall [1992] 2 R.C.S. 605; BAUDOIN, Jean-Louis, Les Obligations, 3e éd., Cowansville, 1989, p. 122.

[32] Cette approche qui tend à favoriser l’exercice des droits plutôt que l’inverse est aussi retenue par la juge administrative Nadeau dans la cause Carrière et S.G.L. Canada inc. (GIC)9 et est conforme à l’enseignement de la Cour d’appel dans N.A. Crédit Services inc. c. 153226 Canada inc.10, laquelle écrit : « En matière de déchéance de droit, il me paraît raisonnable d’interpréter les dispositions de la loi de manière à protéger les droits du justiciable ».

[33] Plus récemment, le Tribunal rappelait qu’il fallait donner à cette maxime un poids très relatif11.

[Notes omises]

[56]           Par ailleurs, la représentante de l’employeur mentionne que le fait d’attendre une preuve médicale n’est pas un motif raisonnable pour justifier la production tardive de la réclamation à la Commission. De plus, selon la Loi aucune preuve de cette nature n’est requise pour le dépôt d’une réclamation à la Commission.

[57]           Le Tribunal partage cette position, mais est toutefois d’avis que les actions et démarches effectuées par la responsable de la succession démontrent la diligence requise en pareille circonstance.

 

 

[58]           Le Tribunal est d’avis qu’il s’agit effectivement d’une erreur dans la gestion du dossier, mais celle-ci ne saurait être négatrice de droit dans un contexte ou le comportement de la responsable de la succession a été guidé par les informations erronées recueillies auprès de la Commission et du syndicat chez l’employeur quant à la nécessité d’une preuve médicale pour accompagner le dépôt de la réclamation. Ceci relève davantage d’une incompréhension ou mauvaise interprétation des informations reçues par la Commission et le syndicat, que d’un manque de diligence.

[59]           Le Tribunal souligne que malgré l’attente des documents médicaux, dont le délai ne peut pas être attribué à la succession, il s’est seulement écoulé un peu plus de sept mois entre la date de connaissance de la nature professionnelle du décès, le 3 avril 2018, et le dépôt de la réclamation du travailleur accompagnée du dossier médical à la Commission, le 15 novembre 2018. De plus, il ne s’est écoulé qu’un seul mois entre la réception des documents médicaux et l’envoi de la réclamation par la succession. Il s’agit de délais plus que raisonnables dans les circonstances d’un décès foudroyant et inattendu pour une lésion professionnelle qui n’était pas encore connue à l’époque.

[60]           Le Tribunal s’est déjà prononcé sur une question similaire dans l’affaire Succession de Cournoyer et CLC Électrique[21] et le passage suivant s’applique au cas à l’étude :

[47] Le Tribunal considère que le comportement de la conjointe du travailleur, à compter du moment où elle a acquis la connaissance que la maladie de son conjoint pouvait potentiellement être reliée à l’exercice de son travail, est empreint de diligence. Certes, les démarches pour obtenir le dossier médical du travailleur n’étaient pas nécessaires, mais le Tribunal estime qu’il ne serait pas conforme à l’esprit de la Loi de lui faire perdre le droit de produire une réclamation auprès de la Commission parce qu’elle avait la croyance sincère, mais erronée, qu’elle devait soumettre les résultats des tests à la Commission en même temps que la réclamation. La présente situation se distingue des cas où c’est l’ignorance de la Loi qui est invoquée.

[Notre soulignement]

[61]           Le Tribunal conclut que la succession a établi un motif raisonnable justifiant d’être relevée du hors délai de la production de la réclamation à la Commission. La réclamation produite à la Commission le 15 novembre 2018 est recevable.

[62]           Au surplus, bien qu’il ne s’agisse pas du motif pour lequel la succession est relevée du hors délai, le Tribunal souligne une certaine ambiguïté dans les documents émanant de la Commission déposés par les parties quant à la nécessité d’accompagner la réclamation d’une preuve médicale. Ceci pouvant être à l’origine d’une certaine confusion pour les réclamants.

[63]           À cet effet, le document explicatif produit par la Commission qui accompagne le formulaire de réclamation du travailleur déposé par la succession[22] lors de l’audience laisse sous-entendre que le dépôt de preuves médicales pourrait être nécessaire lors de l’envoi de la réclamation :

Pour l’analyse de votre réclamation, d’autres documents peuvent être requis. []

La CNESST pourra traiter votre réclamation lorsque vous aurez transmis toutes les informations requises.

Veuillez joindre à votre demande les originaux des reçus et de vos pièces justificatives, s’il y a lieu. Si vous avez en votre possession une attestation médicale, veuillez la joindre également à votre demande pour accélérer le traitement de votre réclamation.

[Nos soulignements]

[64]           Au même effet, le document de la Commission intitulé En cas d’accident ou de maladie du travail… Voici ce qu’il faut savoir![23], déposé en preuve par l’employeur lors de l’audience, comporte une mention encore plus catégorique qui laisse le Tribunal perplexe :

Marche à suivre

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1 Remplissez le formulaire Réclamation du travailleur.

2 Joignez l’attestation médicale, ainsi que les reçus et pièces justificatives requis pour une réclamation de frais.

3 Transmettez à la CNESST et remettez une copie du formulaire à votre employeur.

[Notre soulignement]

[65]           Le Tribunal est d’avis que ces documents produits par la Commission peuvent être à l’origine d’une certaine confusion quant à la nécessité, ou non, de joindre des documents médicaux lors du dépôt du formulaire de réclamation du travailleur.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

Dossiers : 723692-64-2001 et 1200878-64-2010

ACCUEILLE en partie la question préliminaire soulevée par Bombardier inc. (Aéronautique Usinage), l’employeur;

DÉCLARE que la réclamation pour maladie professionnelle datée du 15 novembre 2018 a été produite par la succession de monsieur Vincenzo Anoja en dehors du délai de six mois prévu à l’article 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que la succession de monsieur Vincenzo Anoja a démontré un motif raisonnable pour justifier le hors délai conformément à l’article 352 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;

DÉCLARE que la réclamation produite par la succession de monsieur Vincenzo Anoja est recevable;

CONVOQUERA les parties pour une audience sur le fond du litige.

 

 

__________________________________

 

Jean-François LeBel

 

 

 

Me Francine Legault

NORTON ROSE FULBRIGHTCANADA S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Pour la partie demanderesse

 

Me Sophie Mongeon

DESROCHES, MONGEON

Pour la partie mise en cause

 

Date de la mise en délibéré : 22 mars 2022

 


[1]  Rapport daté du 28 mars 2019.

[2]  Rapport daté du 11 avril 2019.

[3]  Décision rendue le 17 juin 2019.

[4]  Décision rendue le 12 décembre 2019.

[5]  Décision rendue le 16 septembre 2020.

[6]  Dans une correspondance adressée au Tribunal le 7 février 2022.

[7]  RLRQ, c. A-3.001.

[8]  Smith (Succession de) et Couverture West Island 1985 inc., 2011 QCCLP 4440; Stadacona, s.e.c. et Tremblay (Succession de), 2011 QCCLP 4654.

[9]  Labrecque et 175094 Canada inc., 2016 QCTAT 661. Voir également Dufour, 2018 QCTAT 361.

[10]  Hubert REID et Simon REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien : avec table des abréviations et lexique anglais-français, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 203.

[11]  Roy et Communauté urbaine de Montréal, [1990] C.A.L.P. 916; Bolduc et Manufacturiers SteClotilde, [2005] C.L.P. 1066; Dumont et Demers, 2014 QCCLP 986.

[12]  2009 QCCS 730.

[13]  Danstok Intl c. Tribunal administratif du travail, 2018 QCCS 1780.

[14]  Boissonneault c. Constructions Marquis Laflamme inc., 2017 QCCA 826.

[15]  Tel que consigné à l’ « Autorisation de communication des renseignements contenus au dossier » datée du 13 avril 2018, pièce déposée par la succession avant l’audience.

[16]  Tel que reproduit partiellement dans le rapport d’anatomopathologie dicté le 28 février 2018 par le docteur Lussier, p. 20.

[17]  Dossier constitué par le Tribunal, page 107.

[18]  Voir la copie de la correspondance datée du 13 septembre 2018 déposée par la succession avant l’audience.

[19]  Succession de Poirier et Termino Corporation, 2019 QCTAT 1117.

[20]  2021 QCTAT 4591.

[21]  2021 QCTAT 6062.

[22]  Formulaire Réclamation du travailleur sur le site internet de la Commission, pièce déposée sous la cote T-1.

[23]  Pièce déposée sous la cote E-1, p.3.

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