Sugisaka c. Freundlich

2018 QCRDL 38451

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

389484 31 20180328 G

No demande :

2466967

 

 

Date :

21 novembre 2018

Régisseure :

Francine Jodoin, juge administrative

 

Miki Sugisaka

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Israel Freundlich

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      La locataire demande la diminution rétroactive de son loyer (50 %) ainsi que des dommages moraux (5 000 $).

[2]      Les parties sont liées par un bail pour la période du 1er novembre 2017 au 30 juin 2018, au loyer mensuel subventionné de 293 $, lequel est reconduit jusqu’au 30 juin 2019, au loyer de 294 $.

[3]      La locataire se plaint des bruits d’un voisin et de la présence de blattes au logement.

[4]      Le 17 janvier 2018, elle transmet une mise en demeure.

LES BLATTES

[5]      La locataire explique qu’à son arrivée au logement, elle constate la présence de blattes en quantité importante. Dès le 12 novembre 2017, elle texte le locateur pour l’informer de la situation.

[6]      Depuis, elle a eu 10 exterminations à son logement, du 12 novembre 2017 au 15 octobre 2018, et au jour de l’audience, dit-elle, il n’y a que quelques jours qui se sont écoulés depuis la dernière occurrence.

[7]      Elle a procédé à calfeutrer, avec du ruban adhésif, les ouvertures qu’elle put constater le long des quarts-de-rond ou autour des plaques électriques.

[8]      Un ami témoigne sur la présence de blattes au logement.

[9]      Le locateur soutient avoir une firme d’extermination qui assure un service dès qu’on lui dénonce la situation.

[10]   Il a accompagné l’inspecteur de la ville en juillet 2018 et n’a pas constaté de blattes à ce moment.

[11]   Il a le souci, dit-il, d’assurer un bon service à ses locataires et les rendre heureux. Il produit des messages textes échangés avec la locataire démontrant qu’il a assuré un suivi.

[12]   La locataire dit qu’il y a « un peu » de blattes dans la cuisine et la salle de bain.


[13]   Selon les messages textes produits, la situation semble plus régulière de février à mai 2018.

[14]   En juin, elle écrit en avoir vu deux. En juillet, elle écrit qu’elle n’en a pas eu depuis le 6 juillet. À la fin juillet, elle n’en a pas. Le 19 août non plus. Le 30 août, elle en a vu trois. À la mi-septembre, elle n’en voit pas.

[15]   Au début octobre, elle en voit encore.

[16]   Le rapport d’inspection de la ville indique qu’au 13 juillet 2018, il n’y a pas de blattes.

[17]   Monsieur Al Steben est le gérant de l’immeuble. Il a visité le logement à trois reprises (juin, septembre et octobre 2018), il n’a pas vu de traces de blattes, mais parce que la locataire s’était plainte, un traitement a été fait. Celle-ci disait en avoir vu une dans la cuisine. Elle n’a pas voulu que le logement en entier soit traité.

LE BRUIT

[18]   Elle ajoute que ses voisins au-dessous sont très bruyants. Il y a des cris, des chicanes, des coups au mur, le déplacement de meubles et des pas lourds. Cela se produit tard le soir ou la nuit, et ce, pratiquement tous les jours. Elle leur a envoyé deux lettres, en décembre 2017 et en janvier 2017, avant d’alerter le locateur par mise en demeure.

[19]   La police a été appelée à cinq reprises de mars 2018 à octobre 2018, date à laquelle le voisin a été arrêté pour violence conjugale.

[20]   Son fils de 14 ans est atteint d’autisme et ces dérangements constants ont affecté sa vie de famille et le temps qu’elle doit consacrer au développement de son fils.

[21]   Son ami confirme le bruit des chicanes et des cris.

[22]   Le locateur dit être allé parler aux voisins et avoir requis, de la locataire, un rapport de police sans quoi, il ne peut agir, dit-il. Lorsqu’il se présente à l’immeuble, il n’a pas entendu de bruit.

[23]   Les messages textes illustrent que la situation est variable ou de courte durée. Ainsi, le 19 août 2018, elle écrit « Not the level to call the police yet. Just a single or couple of big « bang » noise during night. »

[24]   À la fin août, il n’y a pas de bruit.

ANALYSE

            Responsabilité du locateur quant aux blattes

[25]   Suivant la loi, le locateur assume, entre autres, l'obligation de délivrer un logement en bon état de réparation de toute espèce et de procurer au locataire la jouissance paisible de son logement (article 1854 C.c.Q.), le maintien de celui-ci en bon état d'habitabilité (article 1910 C.c.Q.) et l'exécution de toutes les réparations nécessaires sauf celles qui sont purement locatives (article 1864 C.c.Q.).

[26]   Le locateur assume une obligation de résultat et ne peut se défendre en invoquant simplement sa diligence à tenter de régler la situation.

[27]   L'article 25 du Règlement de la Ville de Montréal portant sur la salubrité, l'entretien et la sécurité des logements prohibe la présence d'insectes et les conditions qui favorisent la prolifération de ceux‑ci[1].

[28]   Dans l’affaire St-Laurent c. Auger[2], le juge administratif Marc Landry énonce les principes applicables :

« [38]   La seule présence d'insectes ou de vermine n'est pas automatiquement synonyme de diminution de loyer et de dommages accordés. [3]

[39]   Il faut être en présence d'une infestation, la présence de quelques insectes ne justifiant pas en soi l’octroi d’une diminution de loyer ou de dommages. [4]

[40]   Une fois démontrée, une infestation dans un logement constitue une nuisance importante. Elle s'évalue objectivement et ne dépend pas de la tolérance personnelle des individus. [5]


[41]   Le locataire doit d'abord dénoncer la situation au locateur sans tarde. [6] Une fois la situation dénoncée, le locataire doit laisser le locateur agir. Il appartient à ce dernier de prendre les moyens nécessaires et utiles pour enrayer l'infestation dans le logement. [7] Ensuite, le locataire doit prouver l'inaction du locateur ou le fait que les traitements effectués ne donnent pas les résultats escomptés dans un délai raisonnable, sans que le locataire en soit la cause. [8]

[42]   Le locataire ne doit pas être lui-même à l'origine du problème d'infestation, ni contribuer à sa prolifération. [9] Le locataire qui n'entretient ou n'utilise pas adéquatement son logement (malpropreté, encombrement, insalubrité, etc.) peut voir son droit à une diminution de loyer et à des dommages-intérêts considérablement réduit, sinon totalement anéanti, d'autant plus s'il est à l'origine de l'infestation et/ou s'il contribue à l'entretenir par sa négligence ou son comportement. [10] Le locataire doit coopérer activement à la résolution du problème. Il doit voir à minimiser les dommages. [11] » [Références omises] [Notre soulignement]

[29]   En l’occurrence, la preuve de la locataire est peu documentée sur l'ampleur et la fréquence de la présence d'insectes. Le Tribunal en comprend, en tenant compte des messages textes échangés, que la situation a été continuelle même si le degré ou l’ampleur a été variable. Les photos produites sont peu éloquentes quant au caractère sérieux et important de la situation.

[30]   Le Tribunal croit, toutefois, la locataire lorsqu'elle affirme avoir été incommodée par la présence de blattes.

[31]   Même si le locateur a été proactif à chaque fois que la locataire s’est plainte, le degré d’intensité de son obligation l’oblige à faire plus. Le fait d’appeler l’exterminateur chaque fois que la locataire se plaint n’est pas suffisant lorsque le problème revient systématiquement. Le locateur doit agir en vue d’éliminer la présence de coquerelles dans son immeuble, et ce, dans un délai raisonnable.

[32]   Cela implique nécessairement que la stratégie déployée pour remédier à la situation doit viser l'ensemble des logements. Ici, des interventions sporadiques et ponctuelles n'ont manifestement pas réussi à régler la situation dans un délai raisonnable.

[33]   Il est manifeste qu'après quelques mois, si la situation ne se résorbe pas, il faut prendre des moyens plus efficaces et la stratégie doit être d'enrayer cette problématique coûte que coûte.

[34]   De toute évidence et malgré toute sa bonne volonté, le locateur ne fait pas diligence pour utiliser tous les moyens raisonnables en vue d'enrayer la situation. Une approche systématique, méthodique et soutenue est à privilégier.

[35]   Le Tribunal estime qu'en raison de la variation des troubles subis, il y a lieu de pondérer la diminution qui est établie à 3 % du loyer payable par la locataire, pour les mois de février (mois suivant la mise en demeure) jusqu’à ce que la situation dans le logement de la locataire soit résorbée complètement. Ce pourcentage tient compte de la faible intensité de la problématique et de la variabilité de la durée.

            Responsabilité du locateur quant aux bruits

[36]   L’article 1861 du Code civil du Québec énonce que le locataire, dont la jouissance est troublée par un autre locataire ou par les personnes auxquelles ce denier permet l’usage ou l’accès au logement, peut obtenir une diminution de loyer ou des dommages si le locateur n’est pas diligent dans le traitement de la plainte.

[37]   L'article 976 C.c.Q. applicable par analogie[3], énonce que les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature des lieux ou les usages locaux.

[38]   La locataire a le fardeau de prouver qu’elle a subi des troubles anormaux et persistants.

[39]   La preuve prépondérante démontre que la locataire a subi des inconvénients excessifs en raison des bruits émanant du logement voisin. Elle a établi que, par sa répétition, insistance et ampleur, la situation constitue une atteinte grave, excessive ou déraisonnable justifiant la diminution réclamée.

[40]   Par contre, comme la situation apparaît avoir été variable et d’intensité changeante, le Tribunal allouera une diminution globale et forfaitaire de 10 % du loyer payable de février (mois suivant la transmission de la mise en demeure), et ce, jusqu’à ce que la problématique soit résolue complètement.


[41]   Par ailleurs, parce que l’article 1861 du Code civil du Québec constitue un cas particulier de la responsabilité pour le fait d’autrui, la locataire ne peut avoir droit à des dommages contre le locateur si celui-ci démontre avoir agi avec diligence pour faire cesser le trouble une fois qu’il lui est dénoncé.

[42]   Considérant l’intensité de l’obligation qu’il assume, le locateur doit être empressé de régler une telle problématique. Il est souvent confronté à des versions contradictoires. Il peut souhaiter que le plaignant documente ses plaintes pour assurer le sérieux de celles-ci. Il peut exiger que des tiers corroborent les faits pour éviter de se placer uniquement devant des versions contradictoires. Parfois, le simple envoi d'une mise en demeure au locataire troublant peut éviter que le litige se judiciarise ou qu’il y ait récidive et cela assure le sérieux de l'intervention.

[43]   Certes, le locateur est parfois pris entre deux feux et peut difficilement prendre position en faveur de l'un ou de l'autre des locataires. À moins d’en être fermement convaincu, le locateur n'a pas à épouser la cause d'un locataire plutôt qu'un autre, mais doit agir indistinctement lorsqu'il reçoit une plainte liée aux obligations qu'il assume en vertu du bail et de la loi.

[44]   Il lui appartient alors de s'adresser au Tribunal compétent pour faire trancher le litige, si sa démarche personnelle, au préalable, n'a pas permis de régler la situation.

[45]   Dans la cause Froment c. 2319-4400 Québec inc.[4], la juge Girard s'exprime comme suit :

« L'article 1861 du Code civil du Québec permet au locataire troublé dans sa jouissance d'obtenir la résiliation du bail ou une diminution de loyer. Le locateur avisé de la situation d'un locataire qui trouble la jouissance des lieux d'un autre locataire doit agir pour mettre fin à cette situation. Il ne peut se contenter de ne rien faire et, si la situation n'est pas réglée, il doit s'adresser au tribunal compétent. Chaque locataire a droit à une utilisation normale de son logis et peut s'attendre à pouvoir dormir en soirée et la nuit. Le bail est donc résilié à compter de février. » [Notre soulignement]

[46]   Dans son ouvrage, Traité de droit civil, Le louage, le professeur Jobin écrit ce qui suit[5] :

« La question qui se pose maintenant est de savoir comment le locateur pourra concrètement repousser cette présomption. Quels moyens doit-il prendre pour agir en personne prudente et diligente? Dès qu'il est informé de la situation, le locateur doit agir rapidement pour faire cesser le trouble : il devra démontrer qu'il a agi avec toute la diligence possible. De plus, le locateur doit prendre tous les moyens raisonnables - au besoin, un recours en justice - contre le locataire fautif; il doit faire preuve de fermeté. On se rappellera cependant que le locateur n'est pas le commettant du voisin, qu'il ne possède pas strictement un pouvoir de contrôle sur lui et qu'il peut lui être difficile d'obtenir, par voie judiciaire, que le voisin se conforme à ses obligations ou qu'il quitte les lieux. Il s'agit en fait d'un cas particulier de responsabilité contractuelle pour le fait d'autrui. » [Notre soulignement]

[47]   Dans la décision Cléroux c. Montréal (Office municipal d'habitation de)[6], le juge Gérald Locas de la Cour du Québec reconnaît le comportement prudent et diligent du locateur en s'exprimant ainsi :

« [11] En l'instance, l'intimée s'est comportée avec prudence et diligence dès que les appelants lui ont dénoncé le trouble. En effet, ils se sont adressés à Elimadi au moyen d'une mise en demeure, d'avis verbaux, de rencontres et finalement de procédures judiciaires en résiliation de bail. » [Notre soulignement]

[48]   En l’occurrence, le locateur ne s’est pas désintéressé de la situation, mais il n’a pas agi avec toute la diligence que lui impose la loi. Aucune mise en demeure n’a été transmise indiquant quels sont les comportements spécifiques à proscrire, et ce, malgré la récurrence des plaintes de la locataire. Aucune rencontre de conciliation, aucune procédure entreprise.

[49]   Le Tribunal estime qu’une somme de 500 $ compense adéquatement la locataire, en sus de la diminution accordée, à la lumière de la preuve soumise des inconvénients subis et en considérant l’intensité et variabilité des dérangements.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[50]   DIMINUE le loyer d’un montant équivalent à 3 % du loyer payable de février 2018 jusqu’à ce que la situation, quant à la présence de coquerelles, soit résolue complètement;

[51]   DIMINUE le loyer d’un montant équivalent à 10 % du loyer payable de février 2018 jusqu’à ce que la situation, quant aux bruits des voisins, soit résolue complètement;

[52]   CONDAMNE le locateur à payer la diminution accordée;

[53]   CONDAMNE le locateur à payer à la locataire la somme de 500 $, plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 28 mars 2018;

[54]   LE TOUT sans frais vu l’exemption réglementaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Francine Jodoin

 

Présence(s) :

la locataire

Me Dang Dieu Thuc Duong, avocate du locataire

le locateur

Date de l’audience :  

17 octobre 2018

 

 

 


 



[2] St-Laurent c. Auger, 2017 QCRDL 36797, demande en rétractation rejetée, St-Laurent c. Auger, 2018 QCRDL 746

[3] 9185-4000 Québec inc. c. Centre commercial Innovation inc., 2016 QCCA 538.

[4] Froment c. 2319-4400 Québec inc., J.E. 96-247, Cour du Québec, voir également Cliche c. Tremblay et Les entreprises Conrad Tremblay enr., R.L. Québec, 18-040610-012G, 27 novembre 2006, r. Me Barakatt.

[5] Jobin, Pierre-Gabriel, Traité de droit civil, Le louage, 2e édition, 1996, Les Éditions Yvon Blais inc., p.403-404.

[6] 2008 QCCQ 1697.                                                                                                                                 

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