Ricard c. SSQ, société d'assurance-vie inc. (SSQ Groupe financier) |
2020 QCCQ 284 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LABELLE |
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LOCALITÉ DE |
MONT-LAURIER |
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« Chambre civile » |
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N° : |
560-32-700193-192 |
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DATE : |
30 janvier 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DENIS LAPIERRE, J.C.Q. |
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PAULINE RICARD |
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Demanderesse |
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c. |
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SSQ, SOCIÉTÉ D’ASSURANCE-VIE INC. (SSQ GROUPE FINANCIER) -et- CANASSISTANCE INC. -et- CABINET D’ASSURANCE BANQUE NATIONALE INC. |
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Défenderesses |
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JUGEMENT |
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[1] Le ski héliporté (héliski) est-il un sport extrême au sens de la police d’assurance en litige?
[2] L’assureur prétend que oui.
[3] L’assurée soutient plutôt que cela dépend des circonstances.
[4] Elle a raison. Voici pourquoi.
Le droit
[5] Dans l’affaire Développement les Terrasses de l'Île inc. c. Intact, compagnie d'assurances[1], la Cour d’appel résume ainsi la méthode d’interprétation des polices d’assurance énoncée par la Cour suprême[2] :
« [35] La Cour suprême établit aussi que l’interprétation des polices d’assurance doit se faire dans l’ordre suivant : la protection, les exclusions et enfin les exceptions. L’assuré a le fardeau d’établir en premier lieu que le dommage ou la perte faisant l’objet de la demande peut relever de la protection initiale. Une fois que l’assuré établit la possibilité de protection, il incombe à l’assureur de prouver que la protection est écartée clairement et sans équivoque par une clause d’exclusion afin de démontrer qu’il n’y a aucune possibilité que celui-ci soit tenu d’indemniser l’assuré. »
(Références omises, soulignement ajouté)
[6] À cette méthode, la Cour suprême ajoute quelques principes d’interprétation.
[7] Premièrement, lorsque le texte de la police n’est pas ambigu, le Tribunal doit l’interpréter en donnant effet à son libellé non équivoque. En cas d’incertitude, les tribunaux s’appuieront sur les règles générales d’interprétation des contrats.
[8] Deuxièmement, tant que le libellé de la police peut étayer une telle interprétation, il y a lieu de privilégier celle qui est conforme aux attentes raisonnables des parties, notamment de l’assuré.
[9]
Enfin, si le doute subsiste, les tribunaux utiliseront la règle d’interprétation
contra proferentem, codifiée à l’article
« Dans le doute, le contrat s’interprète en faveur de celui qui a contracté l’obligation et contre celui qui l’a stipulée. Dans tous les cas, il s’interprète en faveur de l’adhérent ou du consommateur. »
[10] Comme un contrat d’assurance est un contrat d’adhésion[3] rédigé par l’assureur[4], une interprétation favorable à l’assuré sera respectueuse de cette règle.
[11] Il découle de ces principes que, d’une manière générale, les dispositions concernant la protection reçoivent une interprétation large et les clauses d’exclusion une interprétation restrictive[5].
Application à l’espèce
[12] De l’aveu même de l’assureur, la réclamation de la demanderesse devrait normalement être assujettie aux clauses du contrat d’assurance collective D-2 qui offrent la possibilité d’obtenir certains remboursements en cas d’interruption ou d’annulation de voyage.
[13] En décembre 2016, Pauline Ricard a dû mettre fin à un voyage d’affaires comportant une activité de ski héliporté, en raison d’un incident survenu lors de cette activité. Son ski s’est accroché dans une branche ou une racine, ce qui a causé une blessure au tendon d’Achille.
[14] Elle a dû être rapatriée sans délai de Colombie-Britannique au Québec pour y subir des traitements, dont la période de convalescence a, à son tour, entraîné l’annulation d’une seconde activité semblable prévue pour janvier 2017.
[15] Toutefois, l’assureur oppose à cette réclamation autrement admissible les exclusions contenues aux articles 2 i) de l’assurance voyage et 3 e) de l’assurance annulation, quasi identiques :
- frais ou pertes occasionnées suite à « la pratique des activités ou sports suivants : vol plané, deltaplane, parapente, alpinisme, bungee, saut en parachute, parachutisme en chute libre ou toute autre activité du même genre, […] sports extrêmes ou de combat, […] toute compétition de véhicules motorisés [ou/ainsi que] toute activité sportive ou sous-marine pour laquelle la personne visée par l’assurance est rémunérée. »
(Parenthèses et leur contenu du soussigné)
[16] D’emblée, on remarque que l’exclusion ne mentionne ni le ski, qu’il soit en piste ou hors-piste, ni l’héliski, ni aucun autre sport de glisse.
[17] Il y a bien l’expression « ou toute autre activité du même genre », mais une telle ouverture à la fin d’une énumération doit être interprétée à la lumière de la règle ejusdem generis, c’est-à-dire en fonction des exemples précis qui la précèdent[6], pour désigner des personnes ou des choses du même ordre[7].
[18] Or, on remarquera que l’énumération ne concerne que des activités qui consistent soit à se jeter dans le vide, soit à être littéralement retenu à la vie par un fil.
[19] Le Tribunal est conscient du fait qu’il n’est pas possible d’énumérer toutes les activités potentiellement dangereuses, notamment parce qu’il s’en crée de nouvelles constamment. Mais si l’assureur décide d’inclure une telle énumération à sa police dans un but d’exclusion, le Tribunal ne peut pas faire comme si elle n’existait pas, surtout à l’égard d’une activité bien connue comme l’héliski.
[20] À n’en pas douter, l’examen littéral de la clause soulevée en l’instance par l’assureur favorise davantage la position de son assuré que la sienne.
[21] Reste l’expression « sports extrêmes ». Peut-elle être utilisée pour qualifier l’héliski?
[22] En répondant par l’affirmative, l’assureur précise qu’il se base sur une définition dont il s’est doté afin d’identifier les sports et activités dont les risques inhérents justifieraient leur exclusion des dispositions générales d’une police d’assurance : « une activité avec un haut niveau de danger inhérent et qui implique souvent de la vitesse, ou de la hauteur, ou un haut degré d’effort physique, ou du matériel hautement spécialisé ou des cascades spectaculaires. »
[23] L’administrateur de l’assureur, Canassistance, utilise pour sa part un critère objectif pour déterminer si une activité de ski constitue ou non un sport extrême : le fait qu’elle s’exerce à l’intérieur ou à l’extérieur d’un parcours balisé.
[24] Pour le Tribunal, la grande faiblesse du raisonnement de l’un et de l’autre provient du fait qu’il est basé sur une définition interne, inconnue de l’assuré, dont les termes diffèrent sensiblement de l’exclusion nommément prévue à la police.
[25] Tout comme l’idée qu’il puisse être plus onéreux pour l’assureur de secourir un client skiant dans l’arrière-pays plutôt que dans un centre balisé, ces définitions internes peuvent influencer la décision d’un assureur d’offrir ou de ne pas offrir une protection donnée, mais ne sont d’aucune utilité pour interpréter un contrat d’assurance intervenu entre cet assureur et son client.
[26] Ce sont en priorité les attentes raisonnables de l’assuré que le Tribunal doit évaluer, et non celles de l’assureur.
[27] En l’espèce, à quoi madame Ricard pouvait-elle raisonnablement s’attendre?
[28] Pour le Tribunal, la réponse passe par l’examen de l’activité réellement exécutée (in concreto) plutôt que par sa qualification dans l’abstrait (in abstracto). Le contraire risquerait de mener à des résultats absurdes.
[29] Si le seul recours à un hélicoptère était suffisant pour qualifier l’héliski de sport extrême, cela signifierait qu’un riche skieur qui se ferait héliporter au sommet du Mont-Tremblant se livrerait pour cette seule raison à une activité extrême.
[30] À l’inverse, celui qui dévalerait des pentes abruptes ou escarpées dans un secteur propice aux avalanches après avoir atteint le sommet à l’aide d’un tout-terrain, d’une motoneige ou en ski sur peau de phoque n’exercerait pas un sport extrême.
[31] Pour le Tribunal, l’héliski n’est pas un sport. Le sport, c’est le ski. L’hélicoptère est un moyen de transport, une alternative au monte-pente. C’est le sport qui doit être examiné, pas le moyen de transport.
[32] Le critère de la piste balisée n’est pas beaucoup plus utile. Il impliquerait que des enfants dévalant à ski la petite pente du parc derrière la maison se livreraient à un sport extrême, alors que des jeunes gens effectuant les acrobaties les plus audacieuses au parc à neige du Mont Saint-Sauveur ne le feraient pas.
[33] Encore là, seul l’examen de l’activité concernée permettra de la qualifier d’extrême ou non.
[34] Selon le témoignage non contredit de la demanderesse et de son conjoint, tel que l’illustrent les photographies P-37 soumises au Tribunal, l’activité pratiquée par madame Ricard dans le cadre d’un congrès de vétérinaires consistait à descendre en groupe d’une vingtaine de personnes, âgées entre 50 et 65 ans, de larges pentes d’inclinaison moyenne recouvertes de neige poudreuse.
[35] Il est préférable de posséder de bon niveau de ski pour ce faire, mais l’activité n’exige ni des aptitudes physiques ni un entrainement particuliers.
[36] L’entreprise organisant l’activité en question, CMH, offre d’ailleurs différentes excursions présentant des niveaux de difficulté variés, allant de la découverte en famille au style libre en haute montagne. La moyenne d’âge de ses clients est de 49 ans, un chiffre lui-même significativement plus bas que l’âge moyen des membres du groupe dont madame Ricard faisait partie.
[37] Il est vrai que la vidéo promotionnelle est impressionnante. Mais il est clair qu’elle met en scène des athlètes de haut niveau exerçant une activité dont le risque n’a rien à voir avec celui auquel étaient exposés madame Ricard et son groupe.
[38] La vidéo expliquant les mesures de sécurité est elle aussi impressionnante, mais pas davantage que les consignes données par n’importe quelle compagnie aérienne avant chaque envolée, étant entendu que toutes ces précautions couvrent le plus large éventail possible pour parer à toute éventualité.
[39] Quant à la décharge de responsabilité signée par madame Ricard, elle est au bénéfice de CMH et non de l’assureur de ses clients. Il s’agit en fait d’une mesure visant à protéger l’organisateur et à conscientiser son client au principe de l’acceptation des risques reliés à une activité sportive.
[40] D’ailleurs, la pièce P-41 déposée par madame Ricard démontre que la station de ski Mont-Tremblant fait signer à ses clients une décharge de responsabilité semblable, sinon plus étanche encore, le tout dans un contexte qui ne saurait être qualifié d’extrême même selon les critères internes de SSQ ou de Canassistance.
[41] C’est dans cet esprit qu’il faut lire la jurisprudence soumise par SSQ, Kennedy c. Coe, provenant de la Colombie-Britannique[8].
[42] Dans cette affaire, le Tribunal analyse la responsabilité du partenaire de ski d’un homme décédé lors d’une descente de ski héliporté. Cela n’a rien à voir avec l’étude d’une clause d’assurance, d’autant plus qu’il n’est pas possible à la lecture de la décision de mesurer le degré de difficulté du ski impliqué dans cette affaire, encore moins de le comparer à celui du groupe de madame Ricard.
[43] Pour toutes ces raisons, le Tribunal estime que l’activité ayant occasionné la blessure de Pauline Ricard en décembre 2016, qui a interrompu son voyage et causé l’annulation de celui de janvier 2017, n’avait rien d’extrême et n’était nullement sujette aux exclusions de la police d’assurance D-2.
[44] L’action contre SSQ sera donc accueillie, sauf pour une somme de 545,39 $ représentant des frais engagés à l’occasion de son hospitalisation à Saint-Jérôme. Dans ce cas précis, la demanderesse n’a pas établi avoir droit à l’indemnisation puisque l’article 1 de l’assurance voyage établit que : « la présente assurance s’applique seulement pendant la partie du séjour à l’extérieur de la province de résidence de la personne assurée […] »
[45] Quant aux deux autres défenderesses, elles n’ont pas de lien avec le dommage subi par madame Ricard en la présente instance. L’action contre elles doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[46] ACCUEILLE en partie la réclamation;
[47]
CONDAMNE la défenderesse SSQ, société d’assurance-vie inc. à
payer à la demanderesse la somme de 11 810,35 $ avec intérêts au
taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue par l’article
[48] CONDAMNE la défenderesse SSQ, société d’assurance-vie inc. à payer à la demanderesse ses droits de greffe de 205 $;
[49] REJETTE la demande à l’égard des défenderesses Canassistance inc. et Cabinet d’assurance Banque Nationale inc., sans frais.
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__________________________________ Denis Lapierre, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
8 janvier 2020 |
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[1] 2019 QCCA 1440.
[2]
Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard,
[3]
Article
[4]
Article
[5] Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard, précitée note 2.
[6] Consolidated Fastfrate Inc. c. Western Canada Council of Teamsters,
[7] Excellence (L'), compagnie d'assurance sur la vie c. Régie de l'assurance maladie du Québec, 1997 CanLII 8121 (QCCS).
[8] 2014 BCSC 120 (CanLII).
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