CONSEIL DE LA MAGISTRATURE DU QUÉBEC |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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N° : | 2025-CMQC-010 |
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DATE : | 15 avril 2025 |
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PLAINTE DE : |
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Madame A |
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À L’ÉGARD DE : |
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Madame la juge X, Cour du Québec, Chambre civile, Division des petites créances |
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DÉCISION À LA SUITE DE L’EXAMEN D’UNE PLAINTE
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- La plaignante est demanderesse dans un dossier de la Division des petites créances. En 2023, dans un contexte de trouble de voisinage, elle réclame des dommages-intérêts à des voisins qui habitent au-dessus de son logement. Ces derniers se sont porté demandeurs reconventionnels et lui réclament des dommages-intérêts punitifs pour atteinte à leurs droits.
- La juge rejette la demande de la plaignante et la condamne à payer des dommages à ses voisins.
La plainte
- Dans sa correspondance au Conseil de la magistrature, la plaignante formule plusieurs critiques à l’endroit de la juge.
- Elle lui reproche de ne pas lui avoir donné le temps « d’expliquer son histoire », de lui avoir « coupé la parole à plusieurs reprises et (...) d’avoir démontré de l’impatience dès le départ ». Elle considère qu’elle a été « privée de son droit de se défendre ».
- Dans sa correspondance, la plaignante dit qu’elle s’est sentie « humiliée », « dénigrée » et « discréditée ».
Le contexte de la plainte
- Dès le début de l’audience, les échanges portent sur la recevabilité et l’utilité des documents soumis en preuve par la plaignante.
- La juge considère qu’elle ne dispose pas des informations lui permettant d’établir la preuve et en donne les raisons.
- Elle souligne notamment que certains documents sont manquants ou ne peuvent être admis en preuve. Référant à une longue liste de textos et à des commentaires personnels joints au dossier, elle rappelle à la plaignante que, pour rendre jugement, elle doit se référer à des documents pertinents et à des faits précis.
- Elle recadre la plaignante lorsqu’elle revient sur des questions et des faits qui ne sont pas recevables, car ils ont déjà fait l’objet de recours à la Division des petites créances et d’un jugement en 2020.
- Lors des échanges avec la plaignante, à plusieurs reprises, la juge se montre impatiente, irritée et adopte un ton autoritaire. Elle l’interrompt lorsqu’elle tente d’expliquer « son contexte », ses efforts et les difficultés qu’elle a rencontrées lors de la préparation de son dossier.
- La plaignante semble décontenancée et s’excuse auprès de la juge.
L’analyse de la plainte
- Il incombe au Conseil d’analyser la plainte qui lui est adressée en tenant compte des circonstances et du contexte dans lesquels elle s’inscrit.
- À l’écoute de l’enregistrement de l’audience, le Conseil constate que la juge a manqué de patience et de compréhension.
- Cette conduite se manifeste davantage dans les premières étapes du procès. Elle nuit à la sérénité des débats. Elle a aussi un impact sur le regard que la plaignante porte sur son expérience au Tribunal, comme en témoigne sa plainte.
- Dans l’ensemble du déroulement de l’audience, l’enregistrement révèle que la juge prend le temps d’entendre chaque partie. Elle pose plusieurs questions afin de bien comprendre la nature et le fondement des réclamations de part et d’autre. Comme l’exigent ses fonctions, elle intervient afin d’assurer la bonne gestion de l’audience et de recadrer le débat à ce qui est pertinent afin qu’elle puisse ultérieurement rendre son jugement.
- En aucun moment, elle n’agit ou ne formule des commentaires visant à humilier, dénigrer ou discréditer la plaignante.
- Quoi qu’il en soit, le Conseil estime pertinent de rappeler les enseignements suivants de la Cour d’appel du Québec dans Bradley (Re), 2018 QCCA 1145, qui visent particulièrement les juges qui siègent à la Division des petites créances :
[38] Avant de débuter l’analyse du comportement du juge Bradley, il est utile de rappeler le contexte particulier dans lequel les juges sont appelé/es à exercer leur rôle à la division des petites créances de la Cour du Québec.
[39] S’il est vrai que les juges qui président les audiences d’une cour de justice doivent généralement faire preuve d’ouverture d’esprit, de patience et d’humilité, ces qualités sont d’autant plus requises en division des petites créances de la Cour du Québec, où il n’y a pas de représentation par avocat/e. La tâche, en ce lieu, requiert davantage du juge. Il lui faut en quelque sorte être l’homme-orchestre ou la femme-orchestre de la présentation qui y est faite.
[40] La juge se doit d’abord d’y accueillir les justiciables en faisant preuve d’une certaine bienveillance. Il s’agit, pour la plupart d’entre eux, de premier contact avec l’autorité judiciaire. Ce sera pour chacun un moment important, son « jour à la Cour ».
[41] Le juge doit aussi faire preuve de psychologie : le débat doit se limiter au problème de droit que véhicule l’affaire et éviter de faire place aux conflits personnels qui peuvent nourrir les adversaires. Il faudra être courtois tout en prenant soin de convier les parties au respect des règles qui s’imposent.
[42] La juge « des petites créances » se présente aussi comme une conciliatrice, une modératrice et une pédagogue. Le justiciable présente sa cause sans en connaître vraiment tous les fondements. Son adversaire, parfois imbu de ses prétentions, fondées ou non, tient à ce qu’on lui donne raison. Il s’agit donc, pour qui préside l’audience, d’éviter de froisser les susceptibilités tout en indiquant aux parties les limites juridiques des prétentions qu’elles avancent. Cela n’est pas toujours chose facile.
[43] Le juge doit aussi être un bon juriste. Le débat qu’on lui propose n’expose pas les règles de droit qui le régissent. Il lui faut comprendre les prétentions avancées sans qu’elles aient été clairement ou adéquatement exposées.
[44] Force est donc de constater et de reconnaître que la ou le juge qui préside l’audience de la division des petites créances exerce des fonctions judiciaires particulières et souvent difficiles. Son rôle, sa façon d’être et de faire, sont à l’avant-plan de la confiance que peuvent nourrir les citoyens envers l’administration de la justice. Le justiciable qui se présente à la Cour des petites créances a confiance en l’occasion qui lui est donnée de faire valoir ses droits. Il importe qu’il soit reçu et traité avec dignité et respect.
[soulignements ajoutés]
- Tenant compte de ces paramètres et de l'ensemble du dossier, le Conseil conclut que le caractère de la plainte et son importance ne justifient pas une enquête, au sens de l’article 267 de la Loi sur les tribunaux judiciaires (RLRQ, c. T-16). Bien qu’à un certain moment lors du procès, la juge ait pu faire preuve d’irritation, voire d’impatience, à l’égard de la plaignante, sa conduite générale doit être tenue en compte. La présente décision suffira certainement à la juge concernée pour qu’elle évite, dorénavant, une telle conduite.
POUR CES MOTIFS, le Conseil constate que le caractère et l’importance de la plainte ne justifient pas une enquête.