Décision

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Autorité des marchés financiers c. Ferreira

2025 QCTMF 18

TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DES MARCHÉS FINANCIERS

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

MONTRÉAL

 

DOSSIER N° :

2023-019

 

DÉCISION N°  :

2023-019-002

 

DATE :

25 mars 2025

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

JEAN-NICOLAS BOUTIN-WILKINS

______________________________________________________________________

 

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Partie demanderesse

c.

MICHAEL FERREIRA

Partie intimée ayant conclu un accord

et

CLAUDE VEILLETTE

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(demande d’entériner un accord)

______________________________________________________________________

 

APERÇU

  1.                 Le Tribunal est saisi d’une demande pour entériner un accord (« Accord »)[1] qui vise le règlement de la présente affaire entre l’Autorité des marchés financiers (« Autorité ») et Michael Ferreira. Le Tribunal doit déterminer si l’Accord est « conforme à la loi »[2] permettant de l’entériner dans l’intérêt public[3] et de mettre en œuvre les mesures administratives suggérées par les parties.
  2.                 Cette affaire tire son origine d’une enquête de l’Autorité concernant un stratagème de manipulation des titres de l’émetteur Ressources X-Terra inc. (« X-Terra »), connu maintenant sous le nom de Corporation Comète Lithium, cotés à la Bourse de croissance TSX inc. (« TSXV »).
  3.                 Cette enquête mène au dépôt d’un acte introductif (« Acte introductif ») à l’encontre de Michael Ferreira et Claude Veillette[4]. L’Autorité leur reproche une conduite en contravention avec les articles 195.2 et 199.1 de la Loi sur les valeurs mobilières (« LVM »)[5].
  4.                 C’est dans ce contexte que l’Autorité et Michael Ferreira ont conclu l’Accord dans lequel, ce dernier admet certains faits et manquements à la LVM et consent à ce que le Tribunal prononce une série de mesures administratives à son encontre. Ces mesures consistent entre autres en l’imposition d’une pénalité administrative de 48 000 $, d’une interdiction d’agir comme administrateur ou dirigeant pendant 42 mois, d’une interdiction limitée d’opérations sur valeurs pendant 18 mois et d’autres mesures propres au respect de la loi (« Mesures administratives »)[6].  
  5.                 Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que l’Accord est conforme à la loi et qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner pour mettre en œuvre les Mesures administratives.  

ANALYSE

  1.    Le cadre juridique applicable pour entériner un accord a été énoncé à plusieurs reprises par le Tribunal[7].
  1.    Essentiellement, un accord est « conforme à la loi » s’il permet d’établir la compétence du Tribunal, entre autres, par la démonstration d’un manquement ou d’un acte contraire à l’intérêt public qui relève d’une loi sur laquelle il peut statuer[8]. Ensuite, la mesure administrative proposée par les parties doit permettre d’atteindre les objectifs poursuivis par la législation applicable, et ce, dans les limites des pouvoirs du Tribunal[9].
  2.    Bien que le Tribunal favorise la conclusion d’un accord pour régler une affaire, il n’est pas tenu de l’entériner si, par exemple, celui-ci excède sa compétence ou ses pouvoirs, s’il est contraire à l’intérêt public ou qu’il est de nature à déconsidérer l’administration de la justice[10].
  3.    Pour ces raisons, le Tribunal doit procéder à une analyse active d’un accord qui lui est soumis, laquelle est tributaire des circonstances de chaque affaire[11].
  4.            Qu’en est-il en l’espèce ?
  5.            Tout d’abord, Michael Ferreira reconnait certains faits dans l’Accord. Il appert de ces admissions notamment ce qui suit :
  • Entre les mois de novembre 2018 et avril 2019, X-Terra est une société qui exerce ses activités dans le secteur de l’exploration minière et ses titres se négocient au TSXV;
  • Pendant cette période, Michael Ferreira exerce les fonctions d’administrateur, président et chef de la direction d’X-Terra;
  • En novembre 2018, X-Terra annonce la conclusion définitive d’une entente d’option d’achat visant une participation dans des titres miniers, laquelle est assujettie à la réalisation d’un placement privé d’au moins 1 500 000 $ par la société;
  • Pour susciter l’intérêt des investisseurs dans le placement privé, Michael Ferreira met en œuvre différentes stratégies visant à augmenter le volume des transactions et à maintenir le cours des titres d’X-Terra au TSXV;
  • Il embauche un tiers afin de promouvoir X-Terra sur Internet et il voit à la diffusion de 6 communiqués de presse de façon coordonnée avec la promotion sur Internet;
  • Il informe différentes personnes, dont Claude Veillette, des communiqués de presse à être diffusés et de l’évolution de la campagne de promotion sur Internet;
  • Il informe également ces personnes des ordres qu’il place sur les titres d’X-Terra en précisant certaines caractéristiques (moment, quantité et prix) et leur demande d’en faire autant en précisant les caractéristiques pertinentes;  
  • Au total, il place 29 ordres d’achat sur les titres d’X-Terra, soit à titre personnel ou par l’intermédiaire de sa société 8185697 Canada inc.;
  • La clôture du placement privé survient finalement le 1er avril 2019;
  • Entre le 1er janvier 2019 et le 30 avril 2019, le cours des titres d’X-Terra varie entre 0,085 $ et 0,175 $ tandis que, le volume varie entre 0 et 590 000 actions transigées;
  • Plus particulièrement, entre le 20 février 2019 et le 5 avril 2019, la hausse du cours des titres d’X-Terra correspond avec la campagne de promotion ainsi qu’avec les ordres placés par Michael Ferreira et d’autres personnes agissant de concert avec lui.
  1.            C’est dans ce contexte que l’Autorité dépose l’Acte introductif, ce qui mène les parties à conclure l’Accord.
  2.            Il appert ainsi de l’Accord, et des faits mentionnés ci-dessus, que Michael Ferreira a commis des manquements à la LVM, car, en toute connaissance de cause, par sa conduite, il a :
  • Tenté d’influencer ou influencé le cours ou la valeur des titres de X-Terra, le tout en contravention avec l’article 195.2 LVM;
  • Tenté de créer, créé ou contribué à créer une apparence trompeuse d’activité de négociation ou un cours artificiel pour les titres de X-Terra, le tout en contravention avec l’article 199.1 al. 1 (1o) LVM[12].
  1.            L’Accord permet donc d’établir la compétence du Tribunal par la démonstration de manquements qui relève d’une loi sur laquelle il peut statuer. Il convient maintenant d’analyser les Mesures administratives suggérées par les parties.
  2.            À cet égard, il importe de rappeler que la législation en valeurs mobilières a pour objectif de protéger le public en encadrant ce secteur d’activités et ses participants. Pour maintenir la confiance du public envers ce secteur, il s’avère essentiel que ses participants respectent les devoirs et obligations qui découlent de cette législation[13].
  3.            Pour atteindre ces objectifs, le Tribunal peut exercer ses fonctions et pouvoirs prévus par la législation, dont ceux nécessaires à la mise en œuvre des Mesures administratives proposées par les parties[14]. Ces pouvoirs d’intervention, qui s’exercent en fonction de l’intérêt public, sont de nature protectrice et préventive[15].
  4.            En l’espèce, le Tribunal constate que Michael Ferreira consent aux Mesures administratives, qu’il en comprend la portée et s’en déclare satisfait. Ces mesures découlent de négociations entreprises entre les avocats des parties[16].
  5.            De plus, les Mesures administratives reflètent les facteurs habituellement analysés par le Tribunal[17]. Par exemple : la gravité des manquements commis par Michael Ferreira, leur caractère intentionnel, leur durée (4 mois), le nombre d’ordres placés pendant cette période (29), son rôle auprès d’X-Terra (administrateur et dirigeant) ainsi que dans l’orchestration de la promotion. Il faut aussi noter son absence d’enrichissement et d’antécédent, sa collaboration suivant le dépôt de l’Acte introductif et le fait qu’il n’exerce plus les fonctions de dirigeant et administrateur d’X-Terra.
  6.            Les parties soulignent également que les marchés ont été affectés par la conduite de Michael Ferreira et qu'il n'y a aucune autre victime d'identifiée.
  7.            Selon le Tribunal, il est indéniable que la conduite en cause a affecté les marchés, car leur fonctionnement ne reflétait plus le véritable jeu de l’offre et la demande sur les titres d’X-Terra. Cela dit, il faut rappeler qu’il est généralement difficile d’identifier précisément les victimes d’une telle conduite. Il s’agit en fait des investisseurs qui ont pris des décisions fondées sur les informations publiques disponibles pendant la période pertinente[18].  
  8.            Les parties soumettent finalement de la jurisprudence du Tribunal, dont celle impliquant le co-intimé Claude Veillette, et font les distinctions qui s’imposent pour motiver les Mesures administratives recherchées[19].
  1.            Dans l’ensemble, les Mesures administratives sont raisonnables, car elles permettent d’atteindre les objectifs de la législation applicable, soit la protection du public et le maintien de la confiance du public dans le système. Ces mesures sont finalement dissuasives, car elles ont pour effet de prévenir que Michael Ferreira commette à nouveau les manquements précités et elles visent à décourager ou à empêcher toute personne susceptible de se retrouver dans une situation similaire[20].
  2.            Selon le Tribunal, les circonstances de la présente affaire justifient l’imposition d’une pénalité administrative de 48 000 $ à Michael Ferreira. Les circonstances justifient aussi de lui interdire, selon les modalités prévues à l’Accord, toute activité en vue d’effectuer une opération sur valeurs pendant une période de 18 mois et d’agir comme administrateur ou dirigeant d’un émetteur assujetti pendant 42 mois.
  1.            Par conséquent, le Tribunal conclut que l’Accord est conforme à la loi et qu’il est dans l’intérêt public de l’entériner et de mettre en œuvre les Mesures administratives.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal administratif des marchés financiers, en vertu des articles 93 et 97 de la Loi sur l’encadrement du secteur financier et des articles 265, 273.1 et 273.3 de la Loi sur les valeurs mobilières :

ENTÉRINE l’accord intervenu entre l’Autorité des marchés financiers et Michael Ferreira, PREND ACTE des engagements qu’il contient, le REND exécutoire et ORDONNE aux parties de s’y conformer ;

INTERDIT à Michael Ferreira toute activité en vue d’effectuer, directement ou indirectement, une opération sur valeurs pour une période de dix-huit (18) mois suivant la présente décision, à l’exception des opérations suivantes :

  1.                     Pour les six (6) premiers mois : les opérations de vente uniquement des positions qu’il détient au moment de la présente décision et qui devront être effectuées par l'intermédiaire d'un représentant de courtier dûment inscrit à qui il aura préalablement remis copie de la présente décision;
  2.                   Pour les douze (12) derniers mois : les opérations de vente et d’achat qui devront être effectuées par l'intermédiaire d'un représentant de courtier dûment inscrit à qui il aura préalablement remis la présente décision;

IMPOSE à Michael Ferreira une pénalité administrative de 48 000 $, payable selon les modalités prévues à l’accord ;

AUTORISE l’Autorité des marchés financiers à percevoir le paiement de la pénalité administrative imposée;

INTERDIT à Michael Ferreira d’agir comme administrateur ou dirigeant d’un émetteur assujetti pour une période de quarante-deux (42) mois suivant la présente décision.

 

 

 

 

 

__________________________________

Jean-Nicolas Boutin-Wilkins

Juge administratif

 

 

 

Me Julie Anne Marinier

(Contentieux de l’Autorité des marchés financiers)

Pour l’Autorité des marchés financiers

 

Me Anthony Cayer

(Blake, Cassels & Graydon s.e.n.c.r.l./s.r.l.)

Pour Michael Ferreira

 

 

Date d’audience :

11 mars 2025







 


[1]  Une copie de l’Accord est jointe à la présente décision.

[2]  RLRQ, c. E-6.1 («LESF»), art. 97 al. 2 (6o).

[3]  LESF, art. 93 al. 2.

[4]  L’Autorité et Claude Veillette ont réglé cette affaire en concluant un accord qui fut entériné par le Tribunal le 6 février 2025. Voir Autorité des marchés financiers c. Veillette, 2025 QCTMF 8.

[5]  RLRQ, c. V-1.1 (« LVM »).

[6]  Accord, par. 33 et 37.

[7]  Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51.

[8]  LESF, art. 93 al. 1.

[9]  Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 36.

[10]  Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 28, 31, 32 et 36.

[11]  Autorité des marchés financiers c. Unissa Assurances inc., 2019 QCTMF 42, par. 60.

[12]  Accord, par. 31 et 32.

[13]  British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, par. 77.

[14]  LESF, art. 93 et 97 ; LVM, art. 265, 273.1 et 273.3.

[15]  Comité pour le traitement égal des actionnaires minoritaires de la Société Asbestos Ltée c. Ontario (Commission des valeurs mobilières), [2001] 2 R.C.S. 132.

[16]  Accord, par. 33, 34 et 39.

[17]  Autorité des marchés financiers c. Demers, 2006 QCBDRVM 17.

[18]  Autorité des marchés financiers c. Lemire, 2015 QCBDR 63, par. 156.

[19]  Autorité des marchés financiers c. Galipeau, 2015 QCBDR 23 ; Autorité des marchés financiers c. Asgary, 2015 QCBDR 49 ; Autorité des marchés financiers c. Gévry, 2017 QCTMF 110; Autorité des marchés financiers c. Veillette, 2025 QCTMF 8.

[20]  Cartaway Resources Corp. (Re), [2004] 1 R.C.S. 672, par. 60 ; Autorité des marchés financiers c. Moreau, 2021 QCTMF 51, par. 72.

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