Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Morisset | 2023 QCCDTSTCF 37 |
CONSEIL DE DISCIPLINE | ||||||||||||
ORDRE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX ET DES THÉRAPEUTES CONJUGAUX ET FAMILIAUX DU QUÉBEC | ||||||||||||
CANADA | ||||||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||||||||
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No : | 37-23-161 | |||||||||||
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DATE : | Le 29 novembre 2023. | |||||||||||
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LE CONSEIL : | Me JEAN-GUY LÉGARÉ | Président | ||||||||||
Mme MARIA COSTA, T.S. | Membre | |||||||||||
Mme BRIGITTE CÔTÉ, T.S. | Membre | |||||||||||
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MÉLANIE MERCURE, t.s., en sa qualité de syndique adjointe de l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec | ||||||||||||
Requérante | ||||||||||||
c.
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LISE MORISSET, t.s. | ||||||||||||
Intimée
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MOTIFS DE LA DÉCISION RENDUE ORALEMENT LE 27 NOVEMBRE 2023 PRENANT ACTE DE l’ENGAGEMENT DE LIMITATION VOLONTAIRE DANS LE CADRE D’UNE REQUÊTE EN SUSPENSION PROVISOIRE IMMÉDIATE DU DROIT DE L’INTIMÉE D’EXERCER DES ACTIVITÉS PROFESSIONNELLES (Art.
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CONTEXTE
[1] Le 6 novembre 2023, la requérante, Mme Mélanie Mercure, t.s., en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (l’Ordre) signe la « Requête en suspension immédiate provisoire du droit de l’intimée d’exercer des activités professionnelles et d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre » (la requête).
[2] Cette requête, fondée sur les articles
[3] Le 7 novembre 2023, la requête et les pièces sont signifiées par huissier à Mme Morisset en mains propres à son domicile.
[4] La syndique adjointe demande au Conseil d’ordonner la suspension ou la limitation immédiate du droit de Mme Morisset d’exercer la profession de travailleuse sociale considérant l’accusation criminelle fondée sous l’article 380 (1) a) (fraude d’une valeur dépassant 5 000 $) du Code criminel portée contre elle devant la Cour du Québec (Chambre criminelle et pénale).
[5] Lors de l’audition du 16 novembre 2023, la syndique adjointe produit avec le consentement de Mme Morisset une attestation confirmant qu’elle est inscrite au tableau de l’Ordre du 3 décembre 2004 au 13 avril 2015 et sans interruption depuis le 3 octobre 2016[2].
[6] Le 16 novembre 2023, Mme Morisset demande une remise de l’audition au motif qu’elle souhaite être représentée par un avocat, mais qu’elle n’a pas été en mesure d’en trouver un, malgré ses nombreuses démarches depuis le 8 novembre 2023.
[7] La syndique adjointe ne s’oppose pas à la demande de remise et que l’audition se poursuive le 27 novembre 2023 puisque Mme Morisset a souscrit le 15 novembre 2023 un engagement volontaire de limitation d’exercice[3].
[8] Le 17 novembre 2023, le Conseil rend une décision prenant acte de l’engagement de limitation volontaire de Mme Morisset et fixe une audition le 27 novembre 2023[4].
[9] Le 22 novembre 2023, Me Patrick de Niverville comparaît pour Mme Morisset.
[10] Le 27 novembre 2023, le Conseil procède à l’audition de la demande pour l’émission d’une ordonnance de suspension ou de limitation provisoire immédiate du droit de Mme Morisset d’exercer des activités professionnelles
QUESTIONS EN LITIGE
A) L’infraction portée contre Mme Morisset est-elle punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plus?
B) La protection du public exige-t-elle qu’une ordonnance de suspension provisoire immédiate du droit d’exercice de Mme Morisset soit prononcée?
i) L’infraction alléguée à la dénonciation a-t-elle un lien avec l’exercice de la profession de travailleuse sociale?
ou
ii) La confiance du public envers les membres de l’Ordre risque-t-elle d’être compromise si le Conseil de discipline ne prononce aucune ordonnance?
CONTEXTE
[11] La syndique adjointe produit une preuve documentaire confirmant notamment que Mme Morisset est inscrite au tableau de l’Ordre du 3 décembre 2004 au 13 avril 2015 et sans interruption depuis le 3 octobre 2016[5].
[12] Le 18 mars 2014, Mme Morisset fait l’objet de trois mises en garde de la part du syndic de l’Ordre, M. Marcel Bonneau, t.s., M. Sc., M.A.P. pour ne pas avoir respecté les normes en matière d’expertise psychosociale et de tenue de dossiers et de ne pas s’être acquittée de ses obligations professionnelles avec intégrité et objectivité[6].
[13] Le 22 septembre 2022, Mme Morisset comparaît devant une juge de la Cour du Québec (Chambre criminelle et pénale), à la suite du dépôt d’une accusation fondée sous l’article 380 (1) a) (fraude d’une valeur dépassant 5 000 $) du Code criminel[7].
[14] Le 27 octobre 2022, M. Marc Cyr, du service de police de la Ville de Gatineau, informe le Bureau du syndic de l’Ordre que des accusations criminelles avaient été portées contre Mme Morisset.
[15] Le 21 avril 2023, la syndique adjointe communique avec Mme Morisset pour obtenir sa version des faits[8].
[16] Lors de cet entretien, Mme Morisset confirme occuper un poste d’éducatrice spécialisée en milieu scolaire en Ontario ainsi qu’un poste de travailleuse sociale au CHSLD Vigi de l’Outaouais.
[17] Le 11 mai 2023, l’avocate de Mme Morisset, Me Anna Ouahnich, transmet au Bureau du syndic une lettre explicative datée du 8 mai 2023 et une photocopie de l’acte d’accusation portant le numéro de dossier no 550-01-127819-227.
[18] Le procès du dossier no 550-01-127819-227 est fixé devant la Cour du Québec (Chambre criminelle et pénale) le 2 avril 2024.
[19] Le 24 novembre 2023, Mme Morisset souscrit un engagement volontaire de limitation d’exercice qui se lit en partie comme suit :
[…]
Par conséquent, je m’engage envers le bureau du syndic de mon ordre professionnel à limiter ma pratique professionnelle de la manière suivante :
Également, je comprends et accepte que :
- la décision du poursuivant d’arrêter ou de retirer les procédures à l’égard de tous les chefs d’accusation compris dans la poursuite ayant servi de fondement à la requête;
- la décision prononçant l’acquittement ou l’arrêt des procédures à l’encontre de tous les chefs d’accusation compris dans la poursuite ayant servi de fondement à la requête;
- la décision d’un syndic de ne pas porter plainte devant le conseil de discipline au sujet des faits visés par les chefs d’accusation compris dans la poursuite ayant servi de fondement à la requête;
- la décision finale et exécutoire du conseil de discipline ou du Tribunal des professions, le cas échéant, sur la requête en radiation provisoire ou en limitation provisoire immédiate du droit d’exercer des activités professionnelles présentée en vertu de l’article 130 à l’égard de la plainte déposée par le syndic au sujet des faits visés par les chefs d’accusation compris dans la poursuite ayant servi de fondement à la requête déposée en vertu de l’article 122.0.1;
- l’expiration d’un délai de 120 jours à compter de la date où l’ordonnance a été rendue en vertu de l’article 122.0.3, si aucune plainte du syndic ou demande de renouvellement de l’ordonnance n’a été présentée dans ce délai.
ANALYSE
Principes de droit applicables
[20] La présente requête se fonde sur l’article
122.0.1. Un syndic peut, lorsqu’il est d’avis qu’une poursuite intentée contre un professionnel pour une infraction punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plus a un lien avec l’exercice de la profession, requérir du conseil de discipline qu’il impose immédiatement à ce professionnel soit une suspension ou une limitation provisoire de son droit d’exercer des activités professionnelles ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre, soit des conditions suivant lesquelles il pourra continuer d’exercer la profession ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre.
[Transcription textuelle, soulignement ajouté]
[21] D’autre part, le premier alinéa de l’article 122.0.3 du même Code fait état des balises suivantes :
122.0.3. À la suite de l’instruction, le conseil de discipline, s’il juge que la protection du public l’exige, peut rendre une ordonnance imposant immédiatement au professionnel soit une suspension ou une limitation provisoire de son droit d’exercer des activités professionnelles ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre, soit des conditions suivant lesquelles il pourra continuer d’exercer la profession ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre. Dans sa décision, le Conseil de discipline tient compte du lien entre l’infraction alléguée et l’exercice de la profession ou du fait que la confiance du public envers les membres de l’ordre risque d’être compromise si le Conseil de discipline ne prononce aucune ordonnance.
[Transcription textuelle, soulignement ajouté]
[22] Ces dispositions sont commentées par l’auteure Sharon Godbout dans son article « La suspension ou la limitation provisoire du droit d’un professionnel d’exercer ses activités professionnelles lorsqu’il fait l’objet d’une poursuite criminelle »[9] :
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En somme, le mécanisme des articles 122.0.1 et suivants, tout comme la procédure en radiation ou limitation provisoire prévue au Code des professions, est un recours exceptionnel puisqu'il a pour conséquence de priver le professionnel de son droit d'exercer sa profession avant même qu'il soit reconnu coupable des actes allégués. En conséquence, le conseil de discipline doit appliquer les critères prévus à ces dispositions avec prudence tout en respectant l'objectif du législateur d'assurer la protection et la confiance du public à l'endroit du système disciplinaire québécois.
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L'expression « punissable » renvoie à la peine prévue dans la loi créant l'infraction pénale, et non à la peine qui pourrait, dans les faits, être infligée à un professionnel en particulier.
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Il faut également avoir à l'esprit que le syndic ne disposera pas nécessairement d'une connaissance approfondie des faits entourant la perpétration de l'infraction puisque le procès criminel n'aura pas été encore tenu. Contrairement à la procédure de radiation ou de limitation provisoire prévue à l'article
[23] Dans l’affaire Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lavoie[10], le conseil de discipline décide que les termes « infractions punissables de cinq ans d’emprisonnement » constituent un critère de nature purement objective :
[52] Finalement le législateur, par le libellé de l’article 122.0.1 du Code, vise uniquement des infractions dont la gravité est suffisamment élevée pour exiger que le professionnel qui en est accusé soit passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins 5 ans. De plus, il s’agit d’une mesure qui demeure en vigueur suivant les circonstances bien définies par l’article 122.0.4 du Code.
[24] Ce recours vise à suspendre ou à limiter l’exercice de la profession des professionnels accusés d’infractions dont la gravité est très élevée[11].
[25] Comme décidé dans l’affaire Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Berthelot[12], un conseil de discipline n’a pas à remettre en question les accusations criminelles ni à s’immiscer dans la procédure criminelle :
[44] Par ailleurs, considérant le caractère urgent de la procédure prévue par le législateur, il serait contraire à l’essence même de ces mesures ajoutées au Code des professions lors des modifications législatives de juin 2017, qu’une enquête exhaustive ait lieu à ce stade-ci.
[45] Contrairement à une demande en radiation provisoire, à laquelle est nécessairement rattachée une plainte disciplinaire, qui implique donc une enquête minimale ayant mené au dépôt d’une plainte, la mesure d’urgence prévue au C.prof. ne se prête pas à une enquête exhaustive et la preuve présentée lors de l’instruction est nécessairement sommaire. Le Conseil n’a pas à s’immiscer dans la procédure criminelle et questionner l’enquête du DPCP, ni du jugement d’un procureur de la Couronne qui a décidé, sur la base des éléments de preuve en sa possession, qu’une accusation pouvant démontrer la commission des infractions reprochées hors de tout doute raisonnable, devait être portée.
[46] Et contrairement à une demande en radiation provisoire, le requérant n’a pas à faire une preuve prima facie de la commission de l’infraction. Ce n’est pas le but recherché de l’article
[47] Par conséquent, le Conseil, doit prendre les accusations telles que portées « à leur face même » et émettre une des ordonnances prévues à l’article
[26] Les questions en litige sont maintenant abordées.
A) L’infraction portée contre Mme Morisset est-elle punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plus?
[27] L’unique chef de la dénonciation au dossier de la Cour du Québec portant le numéro 550-01-127819-227 réfère à l’article
380 (1) Quiconque, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, constituant ou non un faux semblant au sens de la présente loi, frustre le public ou toute personne, déterminée ou non, de quelque bien, service, argent ou valeur :
a) est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, si l’objet de l’infraction est un titre testamentaire ou si la valeur de l’objet de l’infraction dépasse cinq mille dollars;
[…]
[28] Le Conseil doit considérer l’accusation telle que portée[14].
[29] Puisque l’unique chef accusation fait état d’une peine d’emprisonnement de cinq ans ou plus, ce critère d’assujettissement à la procédure prévue à l’article
B) La protection du public exige-t-elle qu’une ordonnance de suspension provisoire immédiate du droit d’exercice de Mme Morisset soit prononcée?
i) L’infraction alléguée à la dénonciation a-t-elle un lien avec l’exercice de la profession de travailleuse sociale?
ou
ii) La confiance du public envers les membres de l’Ordre risque-t-elle d’être compromise si le Conseil de discipline ne prononce aucune ordonnance?
[30] Le Conseil peut tenir compte « du lien entre l’infraction alléguée et l’exercice de la profession » ou « du fait que la confiance du public envers les membres de l’Ordre risque d’être compromise si le Conseil de discipline ne prononce aucune ordonnance ».
[31] Il ne s’agit pas de critères cumulatifs[15] et une ordonnance peut être prononcée même si un seul de ces critères s’applique.
Le lien entre l’infraction et la profession
[32] En procédant aux adaptations nécessaires, il y a lieu d’appliquer le test développé par le Tribunal des professions pour déterminer si l’infraction reprochée est en lien avec la profession[16].
[33] Plus précisément, dans l’affaire Thivierge[17] un avocat reconnaît sa culpabilité à des accusations criminelles, mais conteste que celles-ci ont un lien avec l’exercice de la profession au sens de l’article
[78] À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les actes de la vie privée d’un avocat ou de tout autre professionnel peuvent être liés à sa vie professionnelle. La jurisprudence du Tribunal des professions est sans équivoque.
[79] On retient aussi de cette jurisprudence que la première étape visant à déterminer l’existence d’un lien entre la commission d’infractions criminelles et l’exercice d’une profession consiste à examiner la nature des infractions dont le professionnel a été reconnu coupable, leur gravité de même que les circonstances entourant leur commission et ce, en relation avec les qualités essentielles à l’exercice de cette profession. Si le Conseil conclut à l’absence de lien, l’exercice s’arrête à cette première étape.
[…]
[84] En effet, le Conseil erre en procédant ainsi puisqu’il omet de s’interroger notamment sur la nature des infractions commises et sur les qualités essentielles à l’exercice de la profession d’avocat, indépendamment de la pratique spécifique du professionnel.
[85] Il va sans dire que les qualités essentielles liées à l’exercice d’une profession varient d’une profession à l’autre. Par exemple, certaines professions du domaine de la santé sont plus exigeantes à l’égard de leurs membres pour des infractions à caractère sexuel en raison du fait que ceux-ci ont accès à l’intimité de personnes souvent vulnérables sur le plan physique et/ou psychologique.
[Transcription textuelle, soulignements ajoutés]
[34] Dans l’affaire Nareau[18], le Tribunal des professions enseigne que l’existence d’un lien s’impose s’il s’agit « de gestes qui, s’ils avaient été posés dans l’exercice de la profession, auraient constitué sans équivoque des infractions disciplinaires graves ». Dans cette affaire, le geste reproché, soit d’avoir poignardé un ami pendant un épisode d’intoxication, n’en est pas un qui est posé dans l’exercice de la profession. Dans ce second cas, il faut examiner la gravité du geste, les circonstances entourant sa commission, et ce, en lien avec l’exercice de la profession.
[35] L’infraction à l’origine des poursuites criminelles intentées contre Mme Morisset a un lien étroit avec l’exercice de la profession de travailleuse sociale.
[36] En effet, elle occupe notamment un poste dans un CHSLD auprès d’une clientèle âgée, en perte d’autonomie et pouvant se trouver dans une situation de vulnérabilité.
[37] Plus particulièrement, dans le cadre de ses fonctions, Mme Morisset réalise, notamment, des évaluations psychosociales de personnes dans le cadre de régimes de protection du majeur ou du mandat de protection.
[38] Aussi, les faits à l’origine de la poursuite criminelle intentée contre Mme Morisset heurtent de plein fouet toutes les valeurs fondamentales, les attributs et les qualités requises pour l’exercice de la profession de travailleuse sociale.
[39] Les gestes reprochés à Mme Morisset dans le cadre de l’accusation criminelle portée contre elle se situent aux antipodes de ces valeurs.
[40] Le lien entre l’infraction reprochée et la profession de travailleuse sociale est clairement établi.
La confiance du public envers les membres de l’Ordre risque d’être compromise
[41] En premier lieu, comme déjà mentionné, ce critère est alternatif. L’ordonnance peut être prononcée puisque le premier critère déjà analysé ci-dessus le justifie.
[42] Toutefois, eu égard à ce second critère, il n’est pas sans intérêt de se référer à l’affaire Nareau[19] :
[40] L'objectif poursuivi est la protection du public dont le volet perception du public revêt ici une importance particulière. Rappelons l'enseignement de la Cour d'appel dans Salomon :
Protection du public
[75] De fait, la mission première des ordres professionnels – et singulièrement celle de leur comité de discipline – est d'assurer la protection du public. Je suis plutôt d'accord avec l'avocat de Salomon lorsqu'il plaide que l’article
[Transcription textuelle, référence omise]
[43] Lorsqu’une travailleuse sociale est visée par une accusation criminelle relative à la fraude, permettre que celle-ci puisse continuer d’exercer sa profession serait de nature à miner la confiance du public envers les membres de l’Ordre. Le public pourrait percevoir que les mesures nécessaires ne sont pas prises afin d’éviter qu’un membre, qui réalise notamment des évaluations psychosociales de personnes dans le cadre de régime de protection du majeur ou de mandat de protection, et qui est visé par une accusation criminelle puisse continuer à offrir ses services au public.
[44] Le reproche formulé à l’endroit de Mme Morisset va à l’encontre des valeurs qui se situent au cœur de l’exercice de la profession qui sont plus amplement décrits au titre II du Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec[20] faisant état des valeurs et des principes éthiques.
[45] Ajoutons que l’article 8 du Code de déontologie des membres de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec prévoit qu’un travailleur social doit s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité.
[46] La confiance du public risque d’être compromise si Mme Morisset est autorisée à poursuivre son travail auprès d’une clientèle vulnérable dans un CHSLD alors qu’elle est visée par des accusations en lien avec de la fraude. Une telle situation ne peut se réaliser sans aller à l’encontre de toutes les valeurs devant animer une travailleuse sociale et ne pourrait rationnellement se justifier.
[47] De plus, le fait d’être visé par une accusation de fraude fait en sorte que le public peut considérer que certaines interventions de Mme Morisset auprès d’une clientèle âgée, en perte d’autonomie et pouvant se retrouver dans une situation de vulnérabilité, notamment en procédant à l’évaluation psychosociale d’une personne dans le cadre de la tutelle au majeur ou du mandat de protection, pourraient compromettre la confiance du public envers les membres de l’Ordre.
[48] Le Conseil juge que la confiance du public envers les membres de l’Ordre risque d’être compromise s’il ne prononce aucune ordonnance.
Engagement de limitation volontaire de Mme Morisset
[49] Le 24 novembre 2023, Mme Morisset s’engage à se limiter volontairement à ne pas exercer, dans aucun cas, et ce, tant dans le cadre de son emploi au CHSLD Vigi de l’Outaouais que dans toutes autres circonstances, l’activité réservée prévue à l’article 37.1 (1.1.1) f) du Code des professions à savoir : procéder à l’évaluation psychosociale d’une personne dans le cadre de la tutelle au majeur ou du mandat de protection;
[50] Mme Morisset s’engage également à se limiter volontairement à ne pas exercer sa profession de travailleuse sociale, et ce, tant dans le cadre de son emploi au CHSLD Vigi de l’Outaouais que dans toutes autres circonstances, pour tout ce qui concerne directement ou indirectement les aspects financiers et économiques de la vie de ses clients ou des usagers qui la consultent, notamment et non exclusivement la gestion de leurs dépenses, de leurs revenus, de leurs finances et/ou de leur succession ainsi que l’administration de leurs biens.
[51] De plus, Mme Morisset consent à ce que le Bureau du syndic effectue des vérifications afin de s’assurer qu’elle respecte son engagement, notamment en prenant contact avec Mme Martine Lavoie, t.s., cheffe d’équipe au CHSLD Vigi de l’Outaouais.
[52] Enfin, Mme Morisset s’engage volontairement à aviser le Bureau du syndic de tout changement d’emploi.
[53] Les avocats des parties demandent au Conseil de prendre acte de l’engagement volontaire de limitation d’exercice de Mme Morisset qui, disent-ils, est de nature à assurer la protection du public.
[54] Vu la demande des parties, le Conseil a pris acte de l’engagement de limitation volontaire d’exercice souscrit par Mme Morisset le 24 novembre 2023 et lui a ordonné de s’y conformer.
[55] Considérant l’ensemble des circonstances de la présente affaire, le Conseil est d’avis que la recommandation conjointe des parties doit être retenue.
Les déboursés et la publication d’un avis de la présente décision
[56] L’article
[57] Suivant le cinquième alinéa de l’article
[58] Le Conseil rappelle qu’un tel avis doit être publié lorsque la décision concernée est en lien direct avec la protection du public.
[59] Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’un tel avis n’est pas publié. En l’instance, l’intérêt public milite en faveur d’une publication d’un avis de la présente décision.
[60] Par ailleurs, puisque Mme Morisset y a consenti, le Conseil ordonne à la secrétaire du Conseil de discipline de publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans le lieu d’exercice où elle a son domicile professionnel, conformément à l’article
[61] Enfin, dans sa requête, la syndique adjointe demande que Mme Morisset soit condamnée au paiement des déboursés et des frais de publication d’un avis de la présente décision.
[62] Le Conseil est d’avis qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de la règle générale voulant que les déboursés et les frais de publication soient assumés par la partie qui succombe.
[63] Suivant cette conclusion, Mme Morisset est condamnée au paiement des déboursés et aux frais de publication d’un avis de la présente décision.
POUR CES MOTIFS, LE CONSEIL, UNANIMEMENT :
LE 27 NOVEMBRE 2023 :
[64] A ACCUEILLI en partie la requête présentée par la syndique adjointe en vertu de l’article 122.0.1 et suivants demandant l’émission d’une ordonnance de limitation provisoire du droit de l’intimée, Mme Lise Morisset, t.s., d’exercer certaines activités professionnelles.
[65] A PRIS ACTE de l’engagement de limitation volontaire d’exercice souscrit par l’intimée, Mme Lise Morisset, t.s., le 24 novembre 2023 et lui a ordonné de s’y conformer.
[67] A CONDAMNÉ l’intimée, Mme Lise Morisset, t.s., au paiement des frais de publication d’un avis de la présente décision ordonnant sa limitation d’exercice.
[68] A FIXÉ au 22 mars 2023, le cas échéant, l’audition devant avoir lieu à l’aide de moyens technologiques de la requête en renouvellement de l’ordonnance imposant la limitation provisoire immédiate du droit de l’intimée, Mme Lise Morisset, t.s. d’exercer certaines activités professionnelles.
[69] A CONDAMNÉ l’intimée, Mme Lise Morisset, t.s., au paiement des déboursés, conformément à l’article
| __________________________________ Me JEAN-GUY LÉGARÉ Président
__________________________________ Mme MARIA COSTA, T.S. Membre
__________________________________ Mme BRIGITTE CÔTÉ, T.S. Membre
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Me François Daoust | ||
Avocat de la requérante | ||
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Me Patrick de Niverville | ||
Avocat de l’intimée | ||
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Date d’audience : | 27 novembre 2023 | |
[1] RLRQ, c. C-26.
[2] Pièce RP-1.
[3] Pièce RI-1.
[4] Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Morisset, 2023 QCCDTSTCF 34.
[5] Pièces RP-1 et RP-2.
[6] Pièce RP-9.
[7] Pièce RP-7 : Plumitif du dossier portant le numéro 550-01-127819-227.
[8] Pièces RP-4 (enregistrement) et RP-5 (transcription)
[9] Sharon Godbout, « La suspension ou la limitation provisoire du droit d’un professionnel d’exercer ses activités professionnelles lorsqu’il fait l’objet d’une poursuite criminelle », Repères, Yvon Blais, 2018, EYB2018REP2622 cité dans : Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Sandhu,
[10] Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lavoie,
[11] Chiropraticiens (Ordre professionnel des) c. Chagnon,
[12] Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Berthelot,
[13] Code criminel, LRC 1985, c. C-46.
[14] Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Berthelot, supra, note 12, paragr. 47.
[15] Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lavoie, supra, note 10, paragr. 78; Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Berthelot, supra, note 12, paragr. 38; Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Gauvin,
[16] Podiatres (Ordre professionnel des) c. Nadeau,
[17] Avocats (Ordre professionnel des) c. Thivierge,
[18] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 17.
[19] Comptables professionnels agréés (Ordre des) c. Nareau, supra, note 17.
[20] RLRQ, c. C-26, r. 286.1.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.