Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Bernard et Ministère de la Justice

2025 QCCFP 20

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER No :

2000202

 

DATE :

8 septembre 2025

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Nour Salah

______________________________________________________________________

 

 

Julien BernarD

Partie demanderesse

 

et

 

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Partie défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

(Article 127, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

  1.                Le 25 avril 2025, Me Julien Bernard, cadre juridique, classe 2, dépose un recours à la Commission de la fonction publique (Commission) à l’encontre de son employeur, le ministère de la Justice, en vertu de l’article 127 de la Loi sur la fonction publique (Loi).
  2.                Me Bernard demande que le ministère continue de lui verser l’allocation dégressive qui lui était octroyée avant le 30 mars 2025 conformément à l’article 26.2 de la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres juridiques[1] (Directive).
  3.                Me Bernard explique qu’il a accepté son emploi actuel parce que son employeur lui a promis le versement d’une allocation dégressive au moment de lui offrir son poste de cadre juridique. Elle permettait de compenser, en partie, la baisse salariale qu’il subissait. Or, cette allocation a pris fin le 30 mars 2025.
  4.                Le 6 août 2025, le ministère demande à la Commission de rejeter sommairement le recours de Me Bernard, car, selon lui, il souhaite modifier les modalités prévues à la Directive en demandant le versement d’une allocation qui a pris fin conformément à l’article 26.2.
  5.                Il ajoute que la Commission n’a pas compétence pour modifier les directives et les politiques édictées par le Conseil du trésor.
  6.                Le 12 août 2025, la Commission demande à Me Bernard de lui transmettre par écrit ses arguments quant aux prétentions du ministère.
  7.                Le 1er septembre 2025, la Commission reçoit les commentaires de Me Bernard.
  8.                Ce dernier indique que, contrairement à ce qui est indiqué par le ministère dans sa brève demande, il ne souhaite pas apporter de modifications à la Directive, mais plutôt que la Commission en fasse une interprétation qui soit conforme avec les représentations effectuées auprès de lui par le ministère.
  9.                Il ajoute qu’une preuve à l’audition sera faite en ce sens.
  10.            Après analyse, la Commission rejette la demande du ministère et maintient la journée d’audience, prévue le 29 septembre 2025, afin d’entendre les parties sur le fond du dossier.

CONTEXTE ET ANALYSE

  1.            Dans sa demande, le ministère évoque brièvement les raisons pour lesquelles le recours de Me Bernard doit être rejeté :

[…] Avec déférence, la Commission n’a pas juridiction pour modifier les directives et les politiques édictées par le Conseil du trésor. Il est de jurisprudence constante que ces directives et ces politiques offrent un cadre normatif que les ministères et organismes, incluant l’Employeur, se doivent d’appliquer, et pour lesquelles ils n’ont pas le droit de déroger.

 

Plus précisément, tant la Commission que les arbitres reconnaissent qu’ils n’ont pas le pouvoir de modifier les directives, leur rôle se limitant à les appliquer, sauf dans les situations où celles-ci porteraient atteinte aux droits constitutionnels fondamentaux, auquel cas elles pourraient être déclarées inapplicables. En l’espèce, la Directive a été appliquée correctement. Le dernier alinéa de l’article 26.2 de la Directive indique clairement que l’allocation demandée prenait fin le 30 mars 2025. Le Demandeur ne remet pas en cause l’application de la Directive, mais plutôt la légitimité de la disposition en tant que telle.

Le rejet sommaire de la réclamation du Demandeur est donc approprié dans les circonstances.

À défaut par la Commission de rejeter la demande à la simple lecture du dossier, nous sommes disponibles pour soumettre nos arguments plus détaillés par écrit le 29 septembre prochain ou de toute autre manière qu’il en sera décidé par la Commission.

[Transcription textuelle]

  1.            Pour sa part, Me Bernard répond qu’il ne demande pas de modifications à la Directive. Il souhaite être entendu et présenter des arguments complets lors de l’audience :

[…] Pour ce que nous pouvons comprendre des brefs arguments de l’Employeur, il allègue que je cherche à demander une modification de la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres juridiques (« Directive »), ce qui ferait perdre compétence à la Commission.

 

Or, je ne demande pas à modifier la Directive ou n’attaque sa légitimité. Je demanderai que la Commission fasse une interprétation de la Directive qui soit conforme avec les représentations qui mon été faites et du comportement de l’Employeur. Une preuve à l’audition sera faite en ce sens.

 

Au surplus, je soumets que l’interprétation de la Directive doit se faire conformément à l’article 7 du Code civil du Québec, édictant qu’un droit ne peut être exercé à l’encontre des exigences de la bonne foi. Il faut aussi prendre en considération, pour l’interprétation raisonnable de la Directive, la théorie des attentes légitimes. La Commission sera donc appelée à trancher si la Directive a été appliquée correctement, en fonction de l’interprétation qui doit lui être donnée.

 

Ainsi, l’argument de l’Employeur quant au moyen préliminaire selon lequel la Commission n’a pas juridiction est mal fondé.

 

Je vous prie donc de rejeter le moyen préliminaire de l’Employeur et de me permettre de présenter ma preuve et mes arguments complets lors de l’audience prévue le 29 septembre 2025. […]

 

[Transcription textuelle]

  1.            La Commission est sensible aux arguments de Me Bernard et considère qu’il est prématuré de tirer des conclusions sans avoir entendu la preuve qui sera administrée lors de l’audience par les parties.
  2.            En effet, une décision de la Commission accueillant une demande de rejet sommaire prive une partie de son droit d’être entendu. Ainsi, la prudence est de mise. Le droit d’être entendu est un principe fondamental de justice naturelle qui doit primer en cas de doute, comme c’est le cas dans le présent dossier.
  3.            D’ailleurs, le Tribunal administratif du travail s’est déjà prononcé à cet égard, notamment dans la décision A.F. et Compagnie A[2]. Il y précise certains principes que la Commission fait siens :

[31]   Enfin, le Tribunal ajoute que la prudence est de mise en matière de rejet sommaire[…]. En effet, cette mesure ne doit être accordée que dans des circonstances exceptionnelles et utilisée avec parcimonie, et ce, afin de ne pas contrevenir à la règle de justice naturelle de l’audi alteram partem, soit le droit d’être entendu. Dans l’affaire Leclerc et Ville de SaintConstant[…] C.L.P. 10488962C9808, 15 septembre 1999, M. Denis., il est précisé que :

 

[4.] Le tribunal statue d’entrée que l’obligation légale d’un tribunal administratif est de respecter le droit des parties à une représentation pleine et entière et de faire respecter les principes de justice naturelle, à savoir : la règle audi alteram partem.

 

[5.] Compte tenu de cette règle de droit applicable au tribunal, les dispositions de l’article 429.27 constituent une mesure exceptionnelle et doivent être appliquées avec beaucoup de réserve.

 

[32]   Bref, le droit des parties d’être entendues sur le fond doit être respecté lorsqu’il appert que des moyens sérieux et raisonnables sont présentés.

POUR CES MOTIFS, la Commission de la fonction publique :

REJETTE la demande de rejet sommaire présenté par le ministère de la Justice.

 

 

Original signé par :

__________________________________

Nour Salah

 

 

Me Julien Bernard

Partie demanderesse

 

Mes Sarto Veilleux et Gabriel Amyot

Procureurs du ministère de la Justice

Partie défenderesse

 

Date de la prise en délibéré : 2 septembre 2025

 


[1]  C.T. 177721 du 3 juillet 1991 et ses modifications (R.P.G. 7 1 2 3).

[2]  A.F. et Compagnie A, 2020 QCTAT 462.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.