Bélanger et AIM Recyclage ltée |
2015 QCCLP 1390 |
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[1] Le 16 octobre 2014, monsieur Michel Bélanger (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 10 octobre 2014 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare être liée par les conclusions du Bureau d’évaluation médicale dans un avis daté du 3 septembre 2014, portant sur la date de consolidation, les soins et les traitements, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. En conséquence de cet avis, la CSST confirme la décision qu’elle a rendue le 9 septembre 2014 et déclare que le travailleur a droit aux indemnités de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur sa capacité à exercer son emploi, qu’elle doit cesser de payer pour les soins et les traitements après le 11 juin 2014 et que le travailleur a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1 514,17 $.
[3] Une audience a eu lieu à Lévis le 30 janvier 2015. Le travailleur était présent et représenté. AIM Recyclage ltée (l’employeur) était absent bien qu’ayant été dûment convoqué.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’avis produit par le Bureau d’évaluation médicale le 3 septembre 2014 est irrégulier et que les décisions de la CSST y faisant suite sont sans effet. Il fait valoir que le membre du Bureau d’évaluation médicale a omis d’évaluer l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles en fonction du diagnostic de hernie discale L4-L5, lequel a été reconnu par la CSST dans une décision finale rendue le 2 novembre 2011. En conséquence, il lui demande de retourner le dossier à la CSST ou de retenir le pourcentage d’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles établis par le docteur Marc-André Latour, dans un rapport d’évaluation médicale produit le 15 octobre 2014.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs considère que la requête du travailleur doit être rejetée. Il fait remarquer que, dans un avis rendu précédemment le 14 mars 2012, le Bureau d’évaluation médicale a rejeté expressément le diagnostic de hernie discale L4-L5, pour ne retenir que celui d’entorse lombaire. La CSST a rendu une décision, le 23 mars 2012, entérinant le contenu de cet avis et cette décision a ensuite été confirmée par la révision administrative, le 12 avril 2012. N’ayant pas été contestée à la Commission des lésions professionnelles, cette décision est devenue finale. Conséquemment, le seul diagnostic reconnu aux fins de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] est celui d’entorse lombaire et le membre du Bureau d’évaluation médicale (docteur Serge Gagnon) qui a rendu l’avis du 3 septembre 2014, était justifié d’évaluer les séquelles de la lésion professionnelle en fonction de ce diagnostic uniquement. Le membre issu des associations d’employeurs considère par ailleurs que les conclusions retenues par le docteur Gagnon à propos de la date de consolidation, les soins et les traitements, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles sont valides puisqu’elles reposent sur un examen physique complet et détaillé.
[6] Le membre issu des associations syndicales considère pour sa part que la requête doit être accueillie. Il fait valoir que la CSST a reconnu le lien entre la hernie discale L4-L5 et l’événement du 6 septembre 2011 dans une décision rendue le 2 novembre 2011, laquelle n’a pas été contestée. En conséquence, ce diagnostic ne pouvait être remis en question, même par le Bureau d’évaluation médicale. Au soutien de cette interprétation, il s’en remet à la jurisprudence déposée par le représentant du travailleur. Il considère donc que l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles devaient être établies en fonction d’une hernie discale L4-L5. Il suggère de retenir les conclusions du docteur Marc-André Latour, lequel reconnaît un déficit anatomophysiologique de 12 % et des limitations fonctionnelles de classe III selon la classification de l’IRSST[2].
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] Le travailleur est soudeur. Le 6 septembre 2011, il ressent une douleur à la région lombaire lors du dégagement d’un lourd morceau de fer.
[8] La première consultation médicale a lieu le 6 septembre 2011. Le diagnostic initialement retenu est une entorse lombaire, bien qu’une hernie discale soit soupçonnée.
[9] Une tomodensitométrie du rachis lombaire effectuée le 27 septembre 2011 démontre diverses anomalies, dont une hernie discale L4-L5 centro-latérale gauche.
[10] Dans un rapport produit le 7 octobre 2011, le médecin traitant, docteur Roch Lambert, retient le diagnostic de hernie discale L4-L5, qu’il maintiendra par la suite.
[11] Le traitement recommandé est du type conservateur et inclut, au fil du temps, des traitements de physiothérapie, la prise d’une médication, l’utilisation d’un neurostimulateur transcutané, des infiltrations, des blocs facettaires et l’utilisation d’un coussin lombaire lors de la conduite automobile. Durant le suivi médical, le travailleur est évalué par deux spécialistes à la demande du médecin traitant, la docteure Claudine Morand, physiatre, et le docteur Marc-André Latour, chirurgien orthopédiste.
[12] Le 2 novembre 2011, la CSST rend une décision déclarant qu’il y a relation entre le diagnostic de hernie discale L4-L5 retenu par le médecin traitant et l’événement du 6 septembre 2011. Cette décision n’est pas contestée.
[13] Le 6 décembre 2011, le travailleur est examiné par le docteur Paul-O. Nadeau, orthopédiste, à la demande de l’employeur. À son avis, le travailleur a subi une entorse lombaire qui est consolidée, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[14] Dans un rapport complémentaire daté du 11 janvier 2012, le médecin qui a charge maintient son diagnostic ainsi que les mesures thérapeutiques en cours.
[15] Le 29 février 2012, la docteure Claudine Morand, physiatre, retient le diagnostic de lombalgie mécanique d’origine facettaire et discogénique. Elle recommande des blocs facettaires à L4-L5 gauche et à L5-S1.
[16] Le 2 mars 2012, le travailleur est examiné par le docteur Jean-Pierre Lacoursière, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale. À son avis, le travailleur n’a pas présenté de hernie discale L4-L5, mais plutôt une entorse lombaire facettaire avec sciatalgie gauche. Il s’explique comme suit :
Le geste qu’a fait monsieur Bélanger le 6 septembre 2011 aurait pu provoquer une entorse lombaire ou une hernie discale lombaire. Dès le 12 septembre 2011, le Dr Cloutier parlait de sciatalgie gauche et le 19 septembre 2011, le Dr Lambert parlait d’entorse lombaire vs hernie discale.
Monsieur Bélanger n’a jamais eu d’irradiation dépassant les genoux. Une douleur qui part de la fesse, descend à la cuisse et ne dépassant pas le genou peut survenir suite à l’implication de l’ensemble des tissus mous para-rachidiens : ligamentaires, capsulaires, péri-facettaires, etc.
Les diagnostics radiologiques ne sont pas cliniques et ils constituent la simple traduction d’une image. Les examens radiologiques sophistiqués manquent de spécificité.
L’imagerie, comme tous les examens complémentaires, sert à confirmer (ou à infirmer) un diagnostic qui a été établi essentiellement en fonction d’un tableau clinique constitué de symptômes et de signes cliniques cohérents en regard d’une lésion spécifique.
Pour retenir un diagnostic de hernie discale lombaire clinique, il faut un minimum de symptômes et des signes objectifs. Pour ce qui est des symptômes, on doit retrouver une douleur dans un membre inférieur avec distribution nerveuse typique, ce qui n’est pas le cas, et des paresthésies dans un dermatome typique, ce qui n’est pas le cas non plus.
On peut retrouver des signes non déficitaires, comme des signes de tension et d’irritation et des signes non invalidants comme l’altération des réflexes ou invalidants comme une fonte musculaire, une faiblesse motrice ou une perte sensitive.
Force est de constater que monsieur Bélanger n’a pas présenté de hernie discale lombaire clinique, mais plutôt une entorse lombaire facettaire avec sciatalgie gauche.
[17] Dans cet avis, le docteur Lacoursière estime que la lésion professionnelle n’est pas consolidée et qu’elle nécessite toujours des traitements.
[18] Le 23 mars 2012, la CSST rend une décision entérinant les conclusions du docteur Lacoursière. Cette décision est confirmée par la révision administrative le 12 avril 2012.
[19] Dans ses rapports médicaux subséquents, le médecin traitant maintient le diagnostic de hernie discale L4-L5. Il recommande la poursuite des traitements, soit des blocs facettaires et de racines et la participation à un programme interdisciplinaire.
[20] Un examen par résonance magnétique de la colonne lombaire effectué le 24 juillet 2012 démontre diverses anomalies, dont une légère progression de la hernie discale L4-L5, avec compression radiculaire possible.
[21] Le 20 août 2012, le travailleur est examiné par le docteur Jean-François Fradet, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Selon lui, le diagnostic à retenir est bien une entorse lombaire, qui est d’ailleurs consolidée sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[22] Dans un rapport complémentaire daté du 30 septembre 2012, le médecin traitant maintient son diagnostic et son approche thérapeutique.
[23] Le 2 novembre 2012, le travailleur est examiné par le docteur Marcel Dufour, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale. À son avis, la lésion professionnelle n’est pas consolidée et justifie une consultation en chirurgie spinale pour évaluer l’opportunité de procéder à une décompression de la racine L5 gauche.
[24] Le 28 novembre 2012, le médecin-conseil de la CSST adresse une lettre au Bureau d’évaluation médicale lui demandant de préciser son avis en regard du diagnostic de la lésion professionnelle, étant donné la recommandation qui est faite de consulter en chirurgie spinale. Dans une seconde lettre datée du 10 décembre 2012, le médecin-conseil de la CSST demande au Bureau d’évaluation médicale d’émettre un avis à propos de la date de consolidation et des soins et traitements en fonction du diagnostic reconnu, soit une entorse lombaire.
[25] En réponse à ces demandes, le docteur Dufour du Bureau d’évaluation médicale produit, le 10 janvier 2013, un avis complémentaire dans lequel il modifie certains aspects de son avis initial, sans toutefois se prononcer sur la question du diagnostic.
[26] Le 5 février 2013, le médecin-conseil de la CSST adresse une troisième lettre au Bureau d’évaluation médicale lui demandant, cette fois-ci, de réviser, s’il y a lieu, l’avis initial du 5 novembre 2012 portant sur la date de consolidation et les soins et les traitements.
[27] Dans un second avis complémentaire daté du 18 février 2013, le docteur Dufour corrige son avis de la façon suivante :
Veuillez prendre note des modifications suivantes apportées à mon avis du 2 novembre 2012 et signé le 5 novembre 2012.
À la page 9, on doit enlever le deuxième paragraphe débutant comme suit : « Personnellement, je conclus …. » pour lire ce qui suit :
Concernant le diagnostic sur lequel on me demande de me prononcer, soit une entorse lombaire, j’ai noté à l’examen physique une ankylose importante dans toutes les amplitudes du rachis lombaire. Pour cette raison, j’estime que la lésion n’est pas consolidée puisqu’il y a possibilité d’améliorer la condition.
À l’item 3 de la même page, les traitements, on doit enlever le dernier paragraphe qui débute par : « Je recommande une consultation…. » et lire ce qui suit :
Je recommande que monsieur consulte en chirurgie spinale.
[28] Durant les mois qui suivent, le travailleur continue d’être soigné pour la même condition douloureuse. Son médecin maintient toujours le diagnostic de hernie discale L4-L5.
[29] Le 6 janvier 2014, le docteur Marc-André Latour, chirurgien orthopédiste, recommande que soit effectuée une résonance magnétique de la colonne lombaire. Il envisage une discoïdectomie chirurgicale. Celle-ci n’aura toutefois pas lieu, le travailleur n’y consentant pas.
[30] Le 29 avril 2014, le travailleur est examiné par le docteur Bernard Lacasse, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Le diagnostic qu’il retient est une entorse lombaire consolidée à la date de son examen. Il reconnaît un déficit anatomophysiologique de 2 % ainsi que des limitations fonctionnelles de classe II selon l’IRSST.
[31] Dans un rapport final produit le 11 juin 2014, le docteur Latour consolide la lésion professionnelle (une hernie discale L4-L5 gauche avec radiculopathie) avec limitations fonctionnelles.
[32] Le 13 août 2014, le travailleur est examiné par le docteur Serge Gagnon, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale. Pour ce qui est de la date de consolidation, il est d’accord avec celle retenue par le médecin traitant, soit le 11 juin 2014. Le docteur Gagnon retient par ailleurs un déficit anatomophysiologique de 2 % en raison d’une entorse lombaire avec des séquelles objectivées ainsi que des limitations fonctionnelles de classe II selon l’IRSST.
[33] Le 9 septembre 2014, la CSST rend deux décisions. La première entérine les conclusions du docteur Gagnon et prévoit des dispositions en regard du droit à l’indemnité de remplacement du revenu et à une indemnité pour préjudice corporel; la seconde précise que le montant de l’indemnité pour dommage corporel est de 1 514,17 $. Ces décisions sont confirmées par la révision administrative le 10 octobre 2014. Il s’agit de la décision contestée.
[34] Le 18 août 2014, le docteur Marc-André Latour, orthopédiste, produit un rapport d’évaluation médicale. Précisons que la lésion professionnelle qu’il évalue est une hernie discale L4-L5 gauche, pour laquelle il reconnaît un déficit anatomophysiologique de 12 % ainsi que des limitations fonctionnelles de classe III selon l’IRSST.
[35] Le travailleur prétend que l’avis produit par le docteur Gagnon le 3 septembre 2014 est irrégulier puisque son évaluation des séquelles tient compte uniquement du diagnostic d’entorse lombaire, alors que le travailleur a également subi une hernie discale L4-L5. En effet, dans la décision qu’elle a rendue le 2 novembre 2011, la CSST a reconnu expressément que cette hernie était reliée à l’accident du travail du 6 septembre 2011. Cette décision n’ayant pas été contestée, le travailleur prétend qu’elle est devenue finale et que l’existence de ce diagnostic ne pouvait être remise en question, même à la suite d’un avis du Bureau d’évaluation médicale. Il dépose de la jurisprudence à l’appui de cette interprétation[3].
[36] Le diagnostic initialement posé par le médecin traitant est une entorse lombaire et la réclamation du travailleur a d’abord été acceptée en fonction de cette base. Par la suite, le médecin traitant a retenu un nouveau diagnostic en cours d’évaluation, soit une hernie discale L4-L5. Ce diagnostic apparaît pour la première fois dans un rapport médical daté du 7 octobre 2011. Informée de ce nouvel élément, la CSST devait se prononcer sur le lien possible entre cette hernie et l’accident du travail. Pour ce faire, elle était liée par le diagnostic retenu par le médecin traitant, comme le prévoit l’article 224 de la loi :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[37] Cette disposition confère un caractère péremptoire à l’opinion du médecin traitant, sans toutefois lui donner un effet irrévocable[4]. L’article 224 de la loi précise en effet que la CSST est liée par l’opinion du médecin traitant, sous réserve de l'article 224.1 de la loi, lequel réfère à un avis rendu par le Bureau d’évaluation médicale à la suite de la procédure de contestation médicale prévue aux articles 204 à 225 de la loi.
[38] L’employeur s’est d’ailleurs prévalu de cette procédure de contestation, en faisant examiner le travailleur par un professionnel de la santé de son choix, le docteur Paul-O. Nadeau[5]. Dans son rapport produit le 6 décembre 2011, celui-ci se prononce sur le diagnostic et sur les autres questions médicales comme le prévoit l’article 212 de la loi. Son opinion sur l’ensemble de ces questions étant différente de celle du médecin traitant, la CSST a demandé à ce dernier de produire un rapport complémentaire et elle a ensuite dirigé la contestation au Bureau d’évaluation médicale, respectant ainsi les articles 212.1 et 217 de la loi :
212.1. Si le rapport du professionnel de la santé obtenu en vertu de l'article 212 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de cet article, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission soumet ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 5.
217. La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.
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1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.
[39] Le docteur Jean-Pierre Lacoursière, du Bureau d’évaluation médicale, a examiné le travailleur le 2 mars 2012. Dans son avis motivé produit le 14 mars 2012, il n’a retenu que le diagnostic d’entorse lombaire, en plus de donner son opinion sur les sujets 2 et 3 de l’article 212 de la loi.
[40] Le 23 mars 2012, la CSST a rendu une décision pour donner suite à l’avis du docteur Lacoursière. Comme à son habitude, la CSST ne reproduit pas les conclusions apparaissant dans l’avis. Elle mentionne uniquement les sujets qui y sont traités (diagnostic, date de consolidation et soins et traitements), tout en précisant qu’elle est liée par cet avis. Cette décision a été confirmée par la révision administrative, le 12 avril 2012 à la suite d’une demande de révision de la part de l’employeur. Il n’y a pas eu de contestation à la Commission des lésions professionnelles.
[41] En rendant la décision du 23 mars 2012, la CSST s’est conformée à l’article 224.1 de la loi :
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.
Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.
La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.
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1992, c. 11, a. 27.
[42] Les prétentions du travailleur démontrent une mauvaise compréhension du rôle confié par le législateur aux membres du Bureau d’évaluation médicale et de la portée d’une décision qui est rendue par la CSST à la suite des avis qu’ils rendent.
[43] Le Bureau d’évaluation médicale est une institution essentielle du régime d’indemnisation québécois. Ses membres sont nommés selon une procédure particulière décrite à l’article 216 de la loi. Leur seule et unique (et très importante) fonction consiste à trancher les désaccords qui existent à propos des questions médicales. C’est ce qui ressort clairement de l’article 221 de la loi en précisant qu’un membre du Bureau d'évaluation médicale peut infirmer ou confirmer le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la CSST ou l'employeur, ou y substituer les siens, s’il y a lieu :
221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.
Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.
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1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.
[44] Même si les membres du Bureau d’évaluation médicale produisent des « avis motivés », le législateur leur confie un rôle décisionnel dans la mesure où, une fois rendus, ces avis ont pour effet de lier la CSST[6].
[45] Un avis du Bureau d’évaluation médicale entraîne des conséquences juridiques majeures pour les parties. D’une part, la CSST n’est plus liée par le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge, si ceux-ci ont été modifiés par le Bureau d’évaluation médicale. L’opinion du médecin traitant perd ainsi le caractère péremptoire que lui confère l’article 224 de la loi, puisque, de toute évidence, la CSST ne peut être liée par deux opinions différentes sur un même sujet[7]. D’autre part, la seule façon de remettre en question les conclusions du Bureau d’évaluation médicale consiste à contester la décision rendue par la CSST en vertu de l’article 224.1 de la loi en ayant recours à la procédure prévue aux articles 358 et 359 de la loi.
[46] En l’espèce, le Bureau d’évaluation médicale a clairement rejeté, dans son avis du 14 mars 2012, le diagnostic de hernie discale L4-L5 retenu par le médecin traitant. Ce diagnostic ne liait donc plus la CSST. La décision faisant suite à cet avis n’ayant été contestée par aucune des parties, elle est devenue finale et ne peut être remise en question ici.
[47] À l’audience, le travailleur explique qu’il n’a pas contesté les décisions mentionnées plus haut en raison de leur manque de clarté. En effet, ni la décision du 23 mars 2012 ni celle du 12 avril 2012, rendues à la suite d’une révision administrative, ne mentionnent spécifiquement que le Bureau d’évaluation médicale a rejeté le diagnostic de hernie discale L4-L5.
[48] Il est vrai que les décisions rendues par la CSST en application de l’article 224.1 de la loi pourraient être améliorées en reprenant textuellement les conclusions retenues par le Bureau d’évaluation médicale, voire même en spécifiant que la CSST n’est plus liée par le diagnostic du médecin traitant. Il faut toutefois considérer que ces décisions sont rendues dans un contexte particulier, dont il faut tenir compte ici. Le travailleur admet avoir reçu l’avis du docteur Lacoursière, lequel ne présente aucune ambiguïté à propos du diagnostic à retenir. Cet avis se présente sous la forme habituelle : les sujets traités apparaissent en introduction; le docteur Lacoursière explique les raisons qui l’amènent à rejeter la hernie discale dans sa discussion; et le diagnostic qu’il retient apparaît clairement dans le dispositif de ses conclusions. Sur le plan de la clarté, il est difficile de faire plus. Ayant pris connaissance de cet avis, le travailleur avait suffisamment d’informations pour comprendre que le diagnostic de son médecin avait été modifié et qu’il n’était plus retenu par la CSST.
[49] Ceci étant dit, même si le soussigné donnait raison au travailleur à propos du manque de clarté des décisions en cause, il ne pourrait, dans le cadre de la présente requête, y changer quoi que ce soit. Les pouvoirs de la Commission des lésions professionnelles sont définis par l’article 377 de la loi, soit confirmer, modifier ou infirmer la décision de la CSST qui a été contestée par le travailleur dans sa requête, soit celle du 10 octobre 2014.
[50] Le travailleur devait contester formellement la décision du 12 avril 2012 conformément à l’article 359 de la loi. Une note au dossier révèle qu’il avait compris, à tout le moins le 27 septembre 2012, que le diagnostic de hernie discale n’était plus retenu[8]. C’est dans ce contexte que son argument aurait pu servir à justifier un retard à contester.
[51] Le travailleur ne remet pas en cause la date de consolidation de la lésion professionnelle établie par le docteur Serge Gagnon du Bureau d’évaluation médicale. C’est d’ailleurs celle retenue par le docteur Marc-André Latour.
[52] Pour ce qui est du déficit anatomophysiologique, le docteur Gagnon reconnaît le maximum dans le cas d’une entorse lombaire avec des séquelles fonctionnelles objectivées, soit 2 % selon le Règlement sur le barème des dommages corporels[9].
[53] La seule question en litige concerne les limitations fonctionnelles.
[54] Le travailleur a été examiné par le docteur Bernard Lacasse le 29 avril 2014. Même si cet examen a eu lieu 6 semaines avant la date de consolidation, il est utile de s’en servir puisqu’à ce moment le travailleur ne subissait plus de traitements, hormis la prise d’une médication. De plus, le rapport du docteur Lacasse est d’excellente qualité.
[55] Le travailleur a ensuite été examiné par le docteur Gagnon le 13 août 2014 et par le docteur Latour, cinq jours plus tard, le 18 août 2014.
[56] Les trois experts notent une absence de douleur ou de sensibilité à la palpation sacro-iliaque et dorsolombaire et aucun spasme n’est mis en évidence.
[57] Ils constatent cependant des ankyloses significatives de la colonne dorsolombaire. Bien qu’il y ait des variations d’un examen à l’autre, elles ne sont pas de nature à susciter un doute sur la collaboration du travailleur aux examens[10]. Il est tout de même utile de mentionner que les mesures du docteur Latour sont supérieures à celles du docteur Gagnon, sauf pour ce qui est de la rotation à droite, le premier retenant 20° et le second 30°.
[58] Le docteur Lacasse constate que les mouvements sont douloureux en fin de course. Pour le docteur Gagnon, la douleur ne semble aucunement amplifiée lors de la mobilisation, ce qu’il trouve paradoxal[11]. Le docteur Latour, pour sa part, note une irradiation à la fesse et à la jambe gauches lors de la flexion lombaire, un constat qu’il est le seul à faire.
[59] À l’examen du docteur Lacasse, les manœuvres de Lasègue et de Straight Leg Raising ne reproduisent aucune douleur aux membres inférieurs. Le docteur Gagnon mentionne, quant à lui, que le signe de Lasègue est strictement négatif à droite. Du côté gauche, il précise qu’il est impossible de le mettre en évidence pour les raisons suivantes :
Du côté gauche par contre, il garde son membre inférieur en position rigide, la hanche en flexion à 45°. Lorsqu’on veut étendre son genou, il mentionne que le phénomène est beaucoup trop douloureux et il se tient de façon rigide. Le signe de Lasègue est donc impossible à mettre en évidence à ce moment.
[60] Le docteur Latour mentionne que le Lasègue est négatif à droite, mais augmente une douleur centrolatérale dans la fesse gauche comme s’il s’agissait d’un Lasègue croisé. Du côté gauche, le Lasègue est positif à 45° avec irradiation dans le pied gauche vers le gros orteil principalement. Il ajoute que le test d’Ely est négatif.
[61] Selon le docteur Gagnon, le Tripode est strictement négatif en position assise. Il fait remarquer qu’il obtient une élévation antérieure complète des deux membres inférieurs, et ce, les deux côtés en même temps. Il constate une absence de retrait vers l’arrière pour éviter la flexion complète de la colonne en antérieur. Le docteur Latour qualifie le Tripode de positif à gauche avec une douleur à la face postérieure de la cuisse.
[62] Au moment de l’examen du docteur Lacasse, le travailleur peut marcher sur la pointe des pieds et les talons sans faiblesse apparente de la flexion plantaire et de la dorsiflexion des chevilles. En revanche, le docteur Gagnon rapporte que le travailleur dit être incapable de circuler sur la pointe des pieds et sur les talons, et ce, au niveau des deux membres inférieurs. Le docteur Latour mentionne, pour sa part, un relâchement à gauche lorsque le travailleur marche sur le talon gauche.
[63] Les examens ne démontrent aucune atrophie aux membres inférieurs et les réflexes rotuliens et achilléens sont présents.
[64] Les examens neurologiques des docteurs Lacasse et Gagnon ne révèlent rien de particulier. Le premier note une absence de faiblesse, hypoesthésie ou hyporéflexie dans les territoires de L2 à S1 inclusivement et de façon bilatérale. Pour lui, il n’y a aucun signe de tension radiculaire et l’examen neurologique des membres inférieurs est normal. Pour le second, le travailleur ne présente aucun trouble de la sensibilité en regard des membres inférieurs. De plus, la mise en tension des différents groupes musculaires montre une excellente force tant au niveau de l’extenseur propre du premier orteil que des extenseurs des deux chevilles.
[65] Le docteur Latour note un examen normal au niveau de la motricité et de la sensibilité des membres inférieurs. Il retient cependant une « atteinte radiculaire correspondant à L5 gauche avec un Lasègue positif, un Tripode positif, sans qu’il y ait de déficit moteur ou sensitif ».
[66] En somme, les docteurs Lacasse et Gagnon s’entendent sur le fait qu’il existe des ankyloses significatives du rachis lombosacré justifiant, à elles seules, des limitations fonctionnelles de classe II selon l’IRSST.
[67] L’opinion du docteur Latour se distingue sur un point fondamental. Il croit en effet que le travailleur présente une hernie discale L4-L5 symptomatique, pour laquelle il a même recommandé une chirurgie (discoïdectomie et laminectomie). Il retient ce diagnostic sur la base de son évaluation du Lasègue et du Tripode
[68] Il va sans dire que cette opinion n’est pas partagée par les docteurs Lacasse et Gagnon, ni à l’égard du diagnostic de hernie discale ni en ce qui a trait à une atteinte radiculaire L5 gauche.
[69] En l’absence de corroboration de la part des deux autres experts, la Commission des lésions professionnelles ne peut donc donner suite à la suggestion du docteur Latour de reconnaître des limitations fonctionnelles sévères de classe III.
[70] Les limitations fonctionnelles retenues par le Bureau d’évaluation médicale sont donc confirmées.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Michel Bélanger, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 10 octobre 2014 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la lésion professionnelle entraîne un déficit anatomophysiologique de 2 % ainsi que des limitations fonctionnelles de classe II pour la colonne lombosacrée.
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Michel Sansfaçon |
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M. Michel Julien |
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G.M.S. CONSULTANTS |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] INSTITUT DE RECHERCHE EN SANTÉ ET EN SÉCURITÉ DU TRAVAIL DU QUÉBEC, Programme Sécurité-Ergonomie : Échelle de restrictions pour la colonne lombo-sacrée, Montréal, IRSST, mars 1988.
[3] Morin et Zellers inc.,
[4] Hamza et MRC Gros Fruits
Canadawide inc., C.L.P.
[5] Article 209 de la loi.
[6] Sous réserve de certaines conditions de validité de l’avis, notamment le respect du délai de production mentionné à l’article 224.1 de la loi.
[7] Failla et Chem-tech Environnement
inc., C.L.P.
[8] La note se lit comme suit : « T se dit lésé que le BEM n’ait pas retenu de dx d’hernie discale, puisque les examens ont ensuite préciser son dx […] ». [sic]
[9] Règlement sur le barème des dommages corporels, RLRQ, c. A-3.001, r. 2.
[10] Le docteur Lacasse mentionne que les manœuvres croisées n’ont pas permis de démontrer des amplitudes articulaires complètes.
[11] Dans sa discussion, il mentionne qu’il y a une disproportion importante entre les signes objectifs et subjectifs.
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