Delaunais c. Habitations Immofive inc. | 2025 QCCQ 3393 |
COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | SAINT-MAURICE |
LOCALITÉ DE | SHAWINIGAN |
« Chambre civile » |
N° : | 410-80-000910-250 |
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DATE : | 13 juin 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARLÈNE PAINCHAUD, J.C.Q. |
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MARCEL DELAUNAIS |
Demandeur-locataire |
c. |
LES HABITATIONS IMMOFIVE inc. |
Défenderesse-locatrice |
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JUGEMENT
sur la demande pour permission d’appeler d’une décision du Tribunal administratif du logement (art. 91 Loi sur le Tribunal administratif du logement) |
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- Marcel Delaunais sollicite la permission d’en appeler d’une décision rendue par le Tribunal administratif du logement (le TAL) le 22 janvier 2025 par laquelle il lui a été ordonné de se départir de son chien dans un délai de quatre mois de la signature du jugement.
LE CONTEXTE
- Depuis 2015, monsieur Delaunais occupe un logement dans un immeuble dont Les Habitations Immofive inc. (Immofive), représentée par madame Gervais, est propriétaire depuis le 7 décembre 2021.
- Peu après l’acquisition d’Immofive, une rencontre a lieu entre madame Gervais et monsieur Delaunais au cours de laquelle celle-ci lui présente un document établissant les nouveaux règlements de l’immeuble, document que monsieur Delaunais signe aussitôt. Ces nouveaux règlements interdisent notamment la présence d’un chien dans le logement.
- Malgré cela, monsieur Delaunais procède en 2022 à l’acquisition d’un chien, dont celui-ci refuse de se départir malgré les demandes et démarches de madame Gervais à cet effet. En juillet 2024, Immofive introduit donc un recours au TAL afin qu’il soit ordonné à monsieur Delaunais de se débarrasser du chien.
- Lors de l’audition devant le TAL, monsieur Delaunais soumet un billet médical datant de quelques jours avant l’audition dans lequel il est mentionné que celui-ci « présente des problématiques médicales pour lequel la présence de son chien lui apporte non seulement un bien-être et réconfort par sa présence (soutien émotionnel), mais aussi un important bénéfice en le mobilisant afin de maintenir un niveau d’activité physique nécessaire à sa condition » (sic). Trois locataires de l’immeuble viennent également témoigner que le chien ne dérange pas.
- Monsieur Delaunais plaide en conséquence que la clause d’interdiction de posséder un chien est abusive et déraisonnable à son endroit puisque le chien est nécessaire pour sa santé et qu’il ne dérange pas. Le TAL ne retient toutefois pas cet argument et ordonne à monsieur Delaunais de se départir de son chien.
- Dans sa décision, la Juge administrative Brigitte Morin rappelle qu’une clause interdisant de posséder un animal de compagnie a été jugée valide par les tribunaux du Québec à moins que les circonstances soumises ne rendent son application déraisonnable à l’endroit du locataire ou que le locateur ne l’exerce de mauvaise foi. Elle y souligne que le fardeau de démontrer par preuve prépondérante que la clause doit être écartée appartient au locataire, notamment en présentant des circonstances précises et particulières le justifiant.
- De la preuve, la Juge Morin conclut que monsieur Delaunais n’a pas satisfait son fardeau. Elle note en premier lieu qu’Immofive l’a autorisé à garder le chat qu’il possède depuis de nombreuses années, permission négociée lors de la signature des règlements de l’immeuble. Ensuite, elle considère que celui-ci n’a pas démontré que sa situation nécessitait la présence du chien qu’il a accueilli. Elle indique à ce sujet que « bien que le billet médical indique que cette présence lui apporte bien-être et réconfort, il n’a pas été démontré à la satisfaction du Tribunal que le chien l’aide à résoudre son état psychologique. Il est par ailleurs reconnu du bienfait d’un animal de compagnie auprès des personnes, toutefois, cette reconnaissance générale ne peut être utilisée aux fins de déclarer inopposable une clause d’un contrat librement consenti ». Enfin, elle énonce qu’aucune preuve ne lui permet de conclure que la locatrice a agi de mauvaise foi.
LE CADRE LÉGAL
- L’article 91 de la Loi sur le Tribunal administratif du logement énonce que les décisions du TAL peuvent faire l’objet d’un appel sur permission d’un juge de la Cour du Québec lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour du Québec. Pour qu’un appel soit autorisé, le demandeur doit démontrer « que la question en jeu pose une question de principe, une question nouvelle, une question de droit faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire, une question de portée générale ou une situation nécessitant la correction d’une injustice intolérable »[1].
- La demande pour permission d’appeler peut également être accueillie quand la question soumise à la Cour du Québec constitue une question qui met en cause les intérêts supérieurs de la justice, notamment lorsqu’il est question :
- de la faiblesse apparente de la décision attaquée;
- de l’erreur manifeste, déterminante ou grossière dans l’appréciation des faits;
- du non-respect des règles de justice naturelle[2].
ANALYSE ET DÉCISION
- L’argumentaire de monsieur Delaunais se décline en deux axes principaux.
- En premier lieu, celui-ci soutient que la Juge administrative a erré en lui faisant supporter le fardeau de démontrer que la clause était déraisonnable alors que la locatrice n’avait préalablement pas satisfait son propre fardeau de démontrer qu’elle avait agi de bonne foi.
- Selon monsieur Delaunais, il appartenait d’abord à Immofive de démontrer qu’elle était de bonne foi dans l’application de la clause lui interdisant la présence d’un chien dans le logement. Or, non seulement, soumet-il, Immofive n’a administré aucune preuve en ce sens, mais il est selon lui manifeste que la locatrice a agi dans le but de se débarrasser de lui afin de relouer son logement à un loyer plus élevé, celui-ci payant un loyer très inférieur aux autres locataires de l’immeuble.
- Cependant, non seulement le montant des loyers respectifs des locataires n’est aucunement abordé par la Juge Morin dans sa décision, mais le Tribunal ignore si cet aspect a même été soulevé lors de l’audition devant le TAL. Monsieur Delaunais n’ayant pas déposé la transcription de l’audition qui s’est tenue devant la Juge Morin, le Tribunal ne peut tenir compte que des motifs qui apparaissent à la décision qui a été rendue. Par ailleurs, la conclusion à laquelle en arrive monsieur Delaunais quant aux intentions de la locatrice apparaît hautement spéculative.
- De plus, la jurisprudence a déterminé que le fardeau de la preuve repose sur les épaules du locataire qui demande l’annulation de la clause et non pas sur celles du locateur, sauf lorsque la résiliation du bail est demandée, auquel cas il appartient au locateur de démontrer un préjudice sérieux. Mais tel n’est pas le cas en l’instance.
- En second lieu, monsieur Delaunais plaide que la Juge administrative a erré en écartant le billet médical qu’il a produit alors que cette preuve est non contredite et que les bienfaits de la zoothérapie sont connus.
- Les principes juridiques concernant la possession d’animaux en dépit de clauses les interdisant sont bien établis et ne font pas l’objet de controverse. Une telle clause n’est pas en soi déraisonnable ou contraire à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Cependant, devant une preuve médicale convaincante établissant que sans la présence de l’animal, le locataire subirait un préjudice affectif ou psychologique, la clause pourrait néanmoins être déclarée déraisonnable. Il incombe au locataire qui demande l’annulation de la clause de le justifier.[3]
- Ici, monsieur Delaunais n’invoque aucune erreur de droit à ce sujet, mais soumet plutôt que la Juge administrative s’est trompée dans son appréciation de la preuve qui lui a été présentée et dans son application des critères juridiques établis.
- Le Juge Gendron, J.C.Q., dans Nadeau c. Desbiens[4], rappelle la norme d’intervention qui doit gouverner le Tribunal siégeant en appel lorsqu’il s’agit de questions de faits ou de questions mixtes de faits et de droit :
[26] La Cour suprême du Canada a réitéré en 2019, dans son arrêt Vavilov, que la norme d’intervention en appel demeure celle décrite à son arrêt Housen de 2002. L’honorable Pierre A. Gagnon, J.C.Q., dans sa décision précitée, reprend de manière succincte et limpide ces principes :
« [28] L’arrêt de la Cour suprême du Canada Housen c. Nikolaisen (Housen) établit les normes d’intervention en appel. La norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit, alors que la norme de l’erreur manifeste et déterminante s’applique aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit. […] »
[27] La jurisprudence unanime établit le principe que la norme d’intervention selon l’erreur manifeste et déterminante appelle à un degré élevé de retenue ainsi qu’à une déférence particulière aux conclusions factuelles que le décideur d’origine tire d’une preuve contradictoire et à l’appréciation qu’il fait de la crédibilité des témoins.
[Références omises]
- En l’espèce, monsieur Delaunais est insatisfait du poids accordé par la Juge Morin au billet médical, par ailleurs fort succinct, qu’il a déposé au TAL et souhaite obtenir une nouvelle appréciation de cette preuve. Or, il n’appartient pas à cette Cour de réapprécier la preuve administrée afin de substituer son opinion à celle du TAL. La Juge Morin a exercé la discrétion qui relève de sa fonction de vérifier si le contexte particulier de l’affaire rend la clause d’interdiction de posséder un animal déraisonnable, et monsieur Delaunais n’a démontré aucune erreur manifeste et dominante justifiant l’intervention de la Cour du Québec. L’erreur manifeste et dominante, rappelons-le, doit être évidente et tient de la « poutre dans l’œil » et non pas de « l’aiguille dans une botte de foin »[5].
- En conclusion, aucun des moyens d’appel proposés par monsieur Delaunais ne rencontre l’un ou l’autre des critères justifiant l’intervention de cette cour. Sa demande vise essentiellement une réappréciation de la qualité et de la suffisance de la preuve présentée devant le TAL, mais celui-ci n’ayant démontré « prima facie » aucune faiblesse apparente dans la décision rendue par la Juge Morin, il n’y a pas lieu d’autoriser l’appel.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- REJETTE la demande pour permission d’appeler de Marcel Delaunais;
- LE TOUT, avec les frais de justice.
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| __________________________________ MARLÈNE PAINCHAUD, J.C.Q. |
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Date d’audience : | 14 mai 2025 |
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