Décision

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Date : 20170208


Dossier : IMM-2855-16

Référence : 2017 CF 153

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

MAROUN KARIM KAZZI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Le demandeur, M. Maroun Karim Kazzi, est un citoyen du Liban. Il conteste une décision rendue en juin 2016 par la Section de limmigration de la Commission de limmigration et du statut de réfugié du Canada [la décision], qui a conclu quil était interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations, aux termes de lalinéa 40(1)a) de la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[2]               Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Kazzi demande à la Cour dannuler la décision et dordonner à un autre tribunal de la Section de limmigration de réexaminer son dossier. M. Kazzi prétend que la Section de limmigration a commis trois erreurs dans sa décision de le déclarer interdit de territoire pour fausses déclarations. Premièrement, il affirme que la Section de limmigration a jugé à tort que lamnistie qui lui avait été accordée en 1991 ne lexemptait pas de lobligation de déclarer aux autorités canadiennes de limmigration qu’il avait déjà été arrêté et détenu au Liban. Ensuite, il soutient que la Section de limmigration a mal interprété la disposition pertinente de la LIPR quand elle a conclu que, dans les circonstances, sa fausse déclaration aurait pu entraîner une erreur dans lapplication de la loi. Enfin, M. Kazzi prétend que les autorités canadiennes ont agi de manière inéquitable à son endroit dans le traitement de son dossier.

[3]               La demande de M. Kazzi soulève les questions suivantes : 1) une amnistie accordée en 1991 exemptaitelle M. Kazzi de lobligation de divulguer aux autorités canadiennes de limmigration qu’il avait déjà été arrêté et incarcéré? 2) la Section de limmigration atelle commis une erreur dans son évaluation de lincidence de la fausse déclaration de M. Kazzi sur lapplication de lalinéa 40(1)a) de la LIPR? 3) les autorités canadiennes ontelles agi de manière inéquitable envers M. Kazzi?

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Kazzi doit être rejetée. Après avoir examiné les éléments de preuve dont disposait la Section de limmigration et la loi applicable, je ne vois rien qui me permettrait dannuler la décision et je ne peux relever derreurs dans lanalyse de la Section de limmigration et ses motifs. La Section de limmigration a examiné les éléments de preuve, ses conclusions se justifient au regard des faits et du droit, et elles font manifestement partie des issues possibles et acceptables dans les circonstances. En outre, la demande de contrôle judiciaire de M. Kazzi ne soulève aucune question déquité procédurale. Par conséquent, la Cour na aucune raison de modifier la décision.

II.                Résumé des faits

A.                 Contexte factuel

[5]               M. Kazzi est un ressortissant libanais. Il est arrivé au Canada en décembre 1999 et a revendiqué le statut de réfugié. Sa première demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés en juillet 2000. En avril 2001, la Cour a annulé la décision, car les parties avaient convenu de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué. En novembre 2001, la demande dasile de M. Kazzi a de nouveau été rejetée par la Section de la protection des réfugiés, qui a conclu que M. Kazzi nétait pas crédible en ce qui concernait les activités auxquelles il aurait participé dans les Forces libanaises. La demande dautorisation et de contrôle judiciaire présentée par M. Kazzi à lencontre de la décision défavorable de la Section de la protection des réfugiés a été rejetée en avril 2002.

[6]               M. Kazzi a ensuite déposé une demande dexamen des risques avant renvoi (ERAR), laquelle a été rejetée par les autorités canadiennes de limmigration en octobre 2002. La demande dautorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a également été rejetée en mai 2003. En 2002 et en 2003, M. Kazzi a déposé des demandes de résidence permanente fondées sur des considérations dordre humanitaire (demandes CH). Elles sont toujours en instance.

[7]               En juillet 2009, les autorités canadiennes de limmigration ont été informées par Interpol que M. Kazzi avait été arrêté et détenu pendant deux à trois semaines au Liban en février 1989, après avoir participé à une attaque armée contre des soldats de larmée libanaise. Toutefois, en août 1991, une amnistie de tous les crimes politiques a été votée au Liban, et tous les chefs daccusation qui pesaient contre M. Kazzi ont officiellement été abandonnés à la suite dune décision du tribunal militaire de Beyrouth en 2002. M. Kazzi na donc jamais été déclaré coupable de quelque infraction que ce soit.

[8]               Lorsque M. Kazzi est arrivé au point dentrée au Canada en 1999, il a répondu « Non » à la question « Avez-vous été incarcéré dans ce pays?/ Have you ever been incarcerated in that country? ». En 2002 et en 2003, alors qu’il était au Canada, il a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs dordre humanitaire et il a également répondu « Non » à la question « Déjà été détenu(e) ou incarcéré(e)?/ Previously detained or incarcerated? ». En 2008, il a de nouveau répondu par la négative lorsquon lui a demandé sil avait été accusé ou reconnu coupable dun crime ou de toute autre infraction dans son pays dorigine. Dans un entretien avec un agent des Services frontaliers du Canada (ASFC), en novembre 2011, M. Kazzi a été questionné au sujet de l’arrestation dont il avait fait l’objet en 1989, et il a alors dit quil navait pas été arrêté puisqu’il aurait pu partir à tout moment et quil ne se rappelait pas si ses empreintes digitales avaient été prises.

[9]               Une agente de lASFC a écrit à M. Kazzi en avril 2011 et en août 2012 pour lui expliquer que, puisquil avait été membre des Forces libanaises, elle avait lintention détablir un rapport dinterdiction de territoire pour des motifs de sécurité. M. Kazzi a ensuite demandé la communication intégrale de tous les documents et éléments qui laissaient croire à lASFC que les Forces libanaises participaient à des activités terroristes. Dans une lettre datée de septembre 2012, lASFC a expliqué à M. Kazzi quil pouvait faire des observations et présenter des documents à ce sujet, mais quaucun document ne lui serait transmis avant lenquête.

[10]           Un rapport dinterdiction de territoire fondé sur le paragraphe 44(1) de la LIPR a été établi en septembre 2015 au sujet de M. Kazzi. Ce rapport reposait sur des raisons non pas de sécurité, mais de fausses déclarations au titre de lalinéa 40(1)a). Après lenquête, la Section de limmigration a prononcé une mesure de renvoi contre M. Kazzi en juin 2016.

B.                 La décision

[11]           Dans sa décision, la Section de limmigration a commencé par rappeler quil incombait au ministre de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que M. Kazzi était interdit de territoire pour fausses déclarations au titre de lalinéa 40(1)a) de la LIPR. Si la Section de limmigration devait conclure que M. Kazzi était interdit de territoire, elle devait prendre une mesure de renvoi contre lui, conformément à lalinéa 45d) de la LIPR.

[12]           La Section de limmigration a ensuite décrit la position de chacune des parties. Elle a dabord résumé celle du ministre, qui prétendait que la fausse déclaration était établie, puisque ce nétait quen 2015 que M. Kazzi avait reconnu qu’il avait été arrêté et détenu au Liban en 1989. À lépoque, les empreintes digitales de M. Kazzi avaient été prises. Le ministre affirmait que, dans trois différents documents présentés aux autorités canadiennes en 1999, en 2002 et en 2003 respectivement, ainsi que lors dun entretien en 2011, M. Kazzi avait nié à maintes reprises avoir été incarcéré au Liban. La Section de limmigration a souligné que M. Kazzi avait eu de multiples possibilités de révéler qu’il avait été arrêté et incarcéré, mais qu’il ne lavait pas fait. De son côté, M. Kazzi prétendait que, même sil navait jamais mentionné qu’il avait été arrêté et incarcéré, cela navait aucune incidence sur lapplication de la loi. Puisque sa demande dasile et sa demande dERAR avaient finalement été rejetées, le fait de ne pas avoir parlé de son arrestation navait eu aucune incidence sur lapplication de la LIPR et, de ce fait, il ne pouvait être déclaré interdit de territoire pour fausses déclarations. M. Kazzi soutenait aussi que les notions damnistie, dacquittement et de pardon étaient toutes synonymes et que, puisquil avait été amnistié, cétait comme si rien ne sétait produit.

[13]           Après avoir exposé les grandes lignes de la position de chacune des parties, la Section de limmigration a procédé à lanalyse de la question de savoir si M. Kazzi était interdit de territoire pour fausses déclarations. Elle a dabord examiné sil y avait eu fausse déclaration. Comme M. Kazzi navait donné aucune explication convaincante pour justifier son manque de clarté et qu’il avait eu de nombreuses occasions de déclarer quil avait été incarcéré, la Section de limmigration a conclu quil avait bel et bien fait une présentation erronée. Elle sest ensuite demandé si cette présentation erronée portait sur des faits importants quant à un objet pertinent, et a conclu que cétait le cas. La Section de limmigration a jugé que la question de savoir si des personnes qui souhaitent sétablir au Canada ont déjà été incarcérées est importante et légitime pour les autorités canadiennes de limmigration.

[14]           Troisièmement, la Section de limmigration sest demandé si la fausse déclaration de M. Kazzi avait entraîné ou risquait dentraîner une erreur dans lapplication de la LIPR. Elle sest appuyée sur la décision Inocentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1187 [Inocentes], dans laquelle la Cour a affirmé ce qui suit : « La question du risque derreur dans lapplication de la [LIPR] doit être tranchée au moment de la fausse déclaration, et non ultérieurement. » (Inocentes, au para 16 [souligné dans loriginal]). Il serait illogique, selon la Section de limmigration, que le législateur ait voulu donner au demandeur la possibilité de démontrer, une fois la fausse déclaration découverte, quil ny avait eu aucune erreur dans lapplication de la LIPR, et d’échapper ainsi à une interdiction de territoire. Ainsi, la Section de limmigration a jugé que le risque dentraîner une erreur dans lapplication de la LIPR devait être analysé en fonction du moment de la fausse déclaration.

[15]           M. Kazzi a affirmé que, puisque sa fausse déclaration était connue depuis longtemps des autorités, elle ne pouvait pas entraîner d’erreur. La Section de limmigration a rejeté cet argument et indiqué que M. Kazzi avait lobligation de dire la vérité et que retenir cet argument équivaudrait à renverser le fardeau de la preuve, qui incomberait alors au ministre. Elle a par ailleurs rejeté largument de M. Kazzi qui soutenait que, puisquune amnistie avait été votée, cétait comme si son arrestation et sa détention navaient jamais eu lieu. La Section de l’immigration a déclaré que, même si acquittement et amnistie pouvaient être synonymes dans certains contextes, il était loin dêtre démontré que ces concepts pouvaient être interchangeables. Le fait que M. Kazzi ait faussement déclaré navoir jamais été arrêté et détenu pouvait de toute évidence entraîner une erreur dans lapplication de la LIPR.

[16]           C’est pourquoi la Section de limmigration a conclu que M. Kazzi était interdit de territoire pour fausses déclarations au titre de lalinéa 40(1)a) de la LIPR.

C.                 La norme de contrôle

[17]           Il est bien établi que les cas de fausses déclarations font intervenir des questions mixtes de fait et de droit et que la norme de contrôle applicable dans ces cas est celle de la décision raisonnable (Brar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 542 [Brar] au para 8; Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1088 [Kaur] au para 32; Sayedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420 [Sayedi] au para 13). En lespèce, les deux premières questions soulevées par M. Kazzi, à savoir si lamnistie accordée en 1991 signifiait qu’il navait pas lobligation de divulguer son arrestation, et si la fausse déclaration avait été correctement évaluée au regard de la LIPR, doivent toutes les deux être analysées selon la norme de la décision raisonnable. Il ne fait aucun doute que la LIPR est lune des lois habilitantes que la Section de limmigration et lASFC ont pour rôle dappliquer, et que lorsqu’elle interprète et applique lalinéa 40(1)a) de la LIPR, la Section de limmigration interprète de toute évidence une loi qui est étroitement liée à ses fonctions et qui relève de son principal domaine dexpertise.

[18]           Depuis larrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers], la Cour suprême du Canada a dit à maintes reprises « quil existe une présomption voulant que la décision dun tribunal administratif interprétant ou appliquant sa loi habilitante est assujettie au contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable » (Commission scolaire de Laval c Syndicat de lenseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8 au para 32, citant Alberta Teachers, aux para 39 et 41; B010 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 58 au para 25; Wilson c Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47 au para 17; Tervita Corp. c Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3 au para 35).

[19]           Cette présomption nest toutefois pas immuable. Elle peut être infirmée et la norme de la décision correcte peut sappliquer en présence de lun des quatre facteurs énoncés par la Cour suprême, d’abord dans larrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] aux para 43 à 64, puis récemment dans larrêt Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47 [Edmonton] aux para 22 à 24, ainsi que dans larrêt Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16 aux para 46 à 48. C’est le cas si lanalyse contextuelle révèle une intention claire du législateur de ne pas protéger le pouvoir du tribunal administratif à l’égard de certaines questions; si plusieurs tribunaux ont une compétence concurrente et non exclusive sur un point de droit; si l’affaire soulève une question de droit générale qui est dimportance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui échappe au domaine dexpertise du tribunal administratif spécialisé, ou si une question constitutionnelle est en jeu. Il est évident quaucun de ces scénarios nest présent en lespèce, et que la présomption établie par larrêt Alberta Teachers nest de ce fait pas réfutée.

[20]           La norme de la décision raisonnable commande la déférence à l’égard du décideur puisquelle repose sur le « choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité dappliquer les dispositions législatives, ainsi que sur lexpertise de ce tribunal en la matière » (Edmonton, au para 33). Lorsque la Cour examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse s’attache à la justification de la décision, à la transparence et à lintelligibilité du processus décisionnel, et les conclusions du décideur ne doivent pas être modifiées si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au para 47). Il découle également de la norme de la décision raisonnable que si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et dintelligibilité, et que si la décision est étayée par une preuve valable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable et elle ne peut réévaluer la preuve (Newfoundland and Labrador Nurses Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] aux para 16 et 17); Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux para 59 et 61).

[21]           Quant à la dernière question relative à léquité procédurale et à la question de savoir si les autorités canadiennes de limmigration ont agi équitablement envers M. Kazzi en concluant quil était interdit de territoire, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Établissement de mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Khosa, au para 43; Kaur, au para 33). Cette norme impose à la Cour de sassurer que le processus suivi respecte le niveau déquité requis par les circonstances de laffaire (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2002 CSC 1 au para 115). Par conséquent, la question soulevée par lobligation dagir avec équité nest pas tant de savoir si la décision était « correcte », mais plutôt si le processus suivi par le décideur était équitable (Aleaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 445 au para 21; Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177 para 35). Je souligne quau cours des dernières années, la Cour dappel fédérale a élaboré une norme hybride applicable aux questions déquité procédurale et a affirmé que « la norme de contrôle est celle de la décision correcte avec un certain degré de retenue à légard du choix [du tribunal administratif] » (Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de lénergie), 2014 CAF 245 au para 70; Ré:Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48 aux para 34 à 42).

III.             Analyse

A.                 Lamnistie accordée en 1991 signifietelle que M. Kazzi navait pas à divulguer son arrestation et son incarcération antérieures?

[22]           M. Kazzi affirme dabord quune amnistie efface rétroactivement toute infraction qui aurait été commise. Ainsi, lamnistie accordée en août 1991 signifierait que M. Kazzi na jamais commis un geste susceptible de sanctions criminelles ou pénales. M. Kazzi soutient qu’il a bénéficié dune amnistie et que cest comme si rien nétait jamais arrivé, si bien quil ne peut y avoir eu fausse déclaration pour ne pas avoir divulgué quil avait été arrêté en 1989. M. Kazzi plaide que, puisqu’elle a refusé daccorder du poids à lamnistie qui lui a été accordée et de considérer qu’il s’agissait d’un acquittement, la Section de limmigration a commis une erreur susceptible de contrôle.

[23]           Je ne suis pas daccord.

[24]           M. Kazzi confond deux questions et présume à tort quune personne qui a obtenu un pardon peut répondre « non » aux questions se rapportant à ses antécédents dincarcération et de détention. La preuve révèle clairement quà de multiples occasions, M. Kazzi a omis de divulguer qu’il avait été arrêté et détenu au Liban en 1989. Il la même admis. Il était donc raisonnable pour la Section de limmigration de conclure que lamnistie dont il avait bénéficié ne lui permettait pas de faire de fausses déclarations à répétition quant à son arrestation et à sa détention au Liban en 1989.

[25]           La question nest pas de savoir si une amnistie est synonyme d’acquittement ou de pardon. La question est plutôt de savoir sil était raisonnable que la Section de limmigration considère que lamnistie ne donnait pas « carte blanche » à M. Kazzi et ne lautorisait pas à ne pas répondre en toute honnêteté aux questions posées par les autorités canadiennes concernant son incarcération et sa détention. À mon avis, cétait raisonnable. La norme de la décision raisonnable n’exige pas de la Cour quelle apprécie à nouveau les éléments de preuve. Il lui appartient seulement de déterminer si les conclusions de la Section de limmigration possèdent les attributs de la justification, de la transparence et de lintelligibilité, et si elles appartiennent aux issues possibles et acceptables. Je ne vois rien de déraisonnable dans la conclusion factuelle de la Section de limmigration, selon laquelle lamnistie accordée en 1991 nautorisait pas M. Kazzi à faire de fausses déclarations concernant son arrestation et sa détention en 1989, et à dissimuler ces renseignements pertinents aux autorités canadiennes.

[26]           Je suis disposé à reconnaître que les événements ou arrestations qui font ensuite lobjet dune amnistie ne peuvent être retenus contre un demandeur si linterdiction de territoire est fondée sur la criminalité. En effet, lalinéa 36(3)b) de la LIPR est libellé de telle façon que les « déclarations de culpabilité nentrent pas en ligne de compte en cas de réhabilitation ou en cas de verdict dacquittement » (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Cha, 2006 CAF 126 [Cha] au para 30). Toutefois, la situation est différente en lespèce, puisque linterdiction de territoire de M. Kazzi repose sur une fausse déclaration. Aucune disposition de la LIPR nempêche dinterdire de territoire pour fausses déclarations la personne qui omet de divulguer une arrestation antérieure, même si elle a obtenu une amnistie ou un pardon. Le fait quune amnistie ait été votée ne libérait pas M. Kazzi de l’obligation, expressément imposée par le paragraphe 16(1) de la LIPR, de donner des réponses véridiques dans ses demandes adressées aux autorités canadiennes de limmigration.

B.                 La Section de limmigration atelle commis une erreur dans son évaluation de lincidence de la fausse déclaration de M. Kazzi sur lapplication de la LIPR?

[27]           Comme second motif de contrôle judiciaire, M. Kazzi fait valoir que la Section de limmigration na pas [traduction] « correctement » évalué lincidence de la présentation erronée qu’il aurait faite sur lapplication de lalinéa 40(1)a) de la LIPR. Il soutient essentiellement que la Section de limmigration a commis une erreur dans son interprétation de la disposition. Selon lalinéa 40(1)a), pour emporter interdiction de territoire, la présentation erronée doit porter sur « un fait important quant à un objet pertinent [...], ce qui entraîne ou risque dentraîner une erreur dans lapplication » de la LIPR. M. Kazzi soutient quen lespèce, il ne pouvait y avoir d’erreur dans lapplication de la LIPR, puisque toutes ses demandes aux autorités canadiennes de limmigration ont été rejetées. Il affirme quune personne ne peut être déclarée interdite de territoire pour fausses déclarations que si sa demande dasile, sa demande dERAR, sa demande CH ou sa demande de résidence sont accueillies ou sont en instance, car il ne saurait y avoir « erreur dans lapplication de la LIPR » dans le cas de demandes rejetées.

[28]           M. Kazzi plaide aussi que la Section de limmigration a mal appliqué la décision Inocentes et qu’elle ne pouvait pas y recourir pour étayer sa conclusion dinterdiction de territoire. Dans laffaire Inocentes, la demanderesse avait été admise au Canada et, n’eût été ses fausses déclarations, elle n’aurait peutêtre jamais été admise. M. Kazzi fait valoir que cette affaire se distingue de la sienne puisque toutes ses demandes ont été rejetées. Il invoque en outre le paragraphe 109(1) de la LIPR, lequel permet d« annuler la décision ayant accueilli la demande dasile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait ». M. Kazzi affirme que, puisque le paragraphe 109(1) de la LIPR sapplique aux réfugiés, lalinéa 40(1)a) ne peut sappliquer aux demandes dasile rejetées.

[29]           Je ne suis pas daccord.

[30]           J’ouvre ici une parenthèse pour souligner qu’au départ M. Kazzi a mal formulé la question en affirmant quelle était de savoir si la Section de limmigration avait [traduction] « correctement » évalué lincidence de sa fausse déclaration. Puisque la question s’attache à l’interprétation d’une disposition de la LIPR, la norme de la décision raisonnable sapplique. La Cour doit par conséquent décider si linterprétation de la Section de limmigration était raisonnable, et non si elle était correcte. Jajouterai aussi quà lépoque de la décision de la Section de limmigration, la demande de résidence permanente présentée par M. Kazzi sur le fondement de considérations dordre humanitaire était toujours en instance, et navait pas été accueillie ou rejetée sur le fond par les autorités canadiennes.

[31]           Lalinéa 40(1)a) de la LIPR prévoit ce qui suit :

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque dentraîner une erreur dans lapplication de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

[32]           Pour déclarer un demandeur interdit de territoire en vertu de lalinéa 40(1)a), la Section de limmigration doit par conséquent conclure que 1) le demandeur a, directement ou indirectement, fait une présentation erronée, que 2) la présentation erronée porte sur un fait important quant à un objet pertinent, et que 3) la présentation erronée entraîne ou risque dentraîner une erreur dans lapplication de la LIPR. Dans sa décision, la Section de limmigration analyse chacun de ces trois éléments.

[33]           Il est manifeste quen lespèce, il y a eu présentation erronée et que M. Kazzi a omis de divulguer tous les faits. La Section de limmigration a également conclu que le défaut de déclarer une arrestation et une détention antérieures constituait un fait important quant à un objet pertinent, puisquil demeure important de connaître les antécédents dun demandeur souhaitant obtenir la résidence permanente au Canada. Cette question apparaît en fait sur tous les formulaires employés par les autorités canadiennes.

[34]           Largument de M. Kazzi repose essentiellement sur la dernière partie de lalinéa 40(1)a), soit sur le fait que la présentation erronée « entraîne ou risque dentraîner une erreur dans lapplication de la présente loi ». À mon avis, ni le libellé de lalinéa 40(1)a) ni la jurisprudence sur la question nappuient largument de M. Kazzi, selon lequel un demandeur ne peut être déclaré interdit de territoire pour fausses déclarations que si sa demande a été accueillie, et quil ne peut y avoir d’erreur dans lapplication de la LIPR dans le cas dune demande rejetée. M. Kazzi demande essentiellement à la Cour de supprimer du texte de la disposition les mots « risque dentraîner ».

[35]           Je souligne que la question dont je suis saisi nest pas de savoir si linterprétation proposée par M. Kazzi pourrait être défendable ou raisonnable; ce que je dois trancher, cest si linterprétation de la Section de limmigration était raisonnable et appartenait aux issues possibles et acceptables. Le fait quil pourrait exister dautres interprétations raisonnables de lalinéa 40(1)a) ne signifie pas, en soi, que linterprétation du tribunal ne létait pas.

[36]           Suivant la règle moderne dinterprétation des lois, les tribunaux doivent lire [traduction] « les termes dune loi [...] dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui sharmonise avec léconomie de la loi, lobjet de la loi et lintention du législateur » (B010, au para 29; Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42 au para 26; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 aux para 21 à 23). En lespèce, jestime que ces outils dinterprétation de la loi, à savoir le sens ordinaire et grammatical des mots, le contexte législatif et lintention du législateur, pointent tous inexorablement vers la conclusion que lalinéa 40(1)a) de la LIPR exige que l’on évalue lincidence de la fausse déclaration en fonction du moment où elle est faite, et non ultérieurement, afin de déterminer si elle entraîne ou risque dentraîner une erreur dans lapplication de la loi.

[37]           Si l’on examine d’abord lalinéa 40(1)a), on constate que les termes « entraîne ou risque dentraîner » une erreur dans lapplication de la LIPR y sont expressément employés. La version anglaise parle de présentation erronée qui « induces or could induce » une telle erreur. La disposition exige donc du décideur qu’il se livre à un exercice prospectif, ce qui veut dire quau moment de cet examen, la demande présentée au titre de la LIPR est toujours en instance. La Cour a en effet indiqué dans la décision Inocentes que c’est en fonction du moment où la fausse déclaration a été faite, et non ultérieurement, que la Section de limmigration doit déterminer si une présentation erronée risque d’entraîner une erreur dans lapplication de la LIPR. Je ne suis pas convaincu que le fait que la demande sousjacente soit ou non accueillie modifie linterprétation à donner à lalinéa 40(1)a) et que l’affaire Inocentes se distingue de la présente espèce pour cette raison.

[38]           Je passe maintenant à la jurisprudence. Les principes généraux qui se dégagent des décisions de notre Cour sur lalinéa 40(1)a) de la LIPR ont été bien résumés par la juge TremblayLamer dans la décision Sayedi, aux para 23 à 27, la juge Strickland dans la décision Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 [Goburdhun] au para 28, et le juge Gleeson dans la décision Brar, aux para 11 et 12. Les principaux éléments de ces décisions – et qui sont particulièrement pertinents en l’espèce – peuvent être résumés comme suit : 1) la disposition doit être interprétée largement afin de favoriser lobjectif qui la soustend; 2) elle a pour objet de décourager les fausses déclarations et de protéger lintégrité du processus dimmigration au Canada; 3) les exceptions à cette règle générale sont définies de manière étroite et ne sappliquent qu’aux situations vraiment exceptionnelles; 4) le demandeur est soumis à une obligation continue de franchise et doit fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques lorsquil présente une demande dentrée au Canada; 5) il faut tenir compte du libellé de la disposition et de lobjet qui la soustend pour décider si une présentation erronée porte sur un fait important; 6) une présentation erronée porte sur un fait important si elle a une incidence sur le processus dimmigration; 7) une présentation erronée na pas besoin d’être décisive ou déterminante pour être importante; 8) le demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités dimmigration avant qu’elles ne se prononcent sur la demande; 9) lanalyse de limportance ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande; et 10) la question de savoir si une présentation erronée risque dentraîner une erreur dans lapplication de la LIPR doit être examinée en fonction du moment où la fausse déclaration a été faite.

[39]           Je souligne quil importe peu que les autorités aient pu mettre au jour la fausse déclaration. Ce qui compte, cest de savoir si la fausse déclaration a entraîné ou risque dentraîner une erreur dans lapplication de la LIPR. Comme la Cour l’a maintes fois répété dans ses décisions, le demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités dimmigration avant qu’elles ne se prononcent sur la demande (Goburdhun, au para 28; Sayedi, au para 27; Faisal Khan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 512 [Khan], aux para 25 et 27). Autrement dit, lalinéa 40(1)a) de la LIPR ne saurait être interprété de manière à récompenser ceux qui arrivent à passer à travers les mailles du filet avant que leurs demandes soient examinées et à leur donner labsolution parce qu’ultimement, leurs fausses déclarations nont pas eu le résultat escompté.

[40]           Je souligne que rien dans la jurisprudence nappuie la proposition voulant quune fausse déclaration ne puisse emporter interdiction de territoire au titre de lalinéa 40(1)a) si la personne qui l’a faite na pas gain de cause dans la demande qu’elle a présentée en vertu de la LIPR. Lavocat de M. Kazzi na pu porter à l’attention de la Cour aucune décision en ce sens.

[41]           Il ne fait aucun doute que, considérée à la lumière du libellé de la disposition et des principes établis par la jurisprudence, linterprétation de la Section de limmigration est tout à fait compatible avec les termes explicites de lalinéa 40(1)a), les enseignements de la jurisprudence et les objectifs de la LIPR. En fait, tout au long de sa décision, la Section de limmigration fait référence au libellé exact de lalinéa 40(1)a) et s’inspire des principes établis par notre Cour relativement à linterprétation et à lapplication de cette disposition. Je nai par conséquent aucune hésitation à conclure que linterprétation de la Section de limmigration appartient aux issues rationnelles et raisonnables.

[42]           Linterprétation proposée par M. Kazzi s’écarte de la jurisprudence de la Cour sur lalinéa 40(1)a) et, à mon avis, donne un sens contraire à la disposition. Accepter largumentaire de M. Kazzi irait à l’encontre du paragraphe 16(1) de la LIPR, qui impose à tous les demandeurs l’obligation de « répondre véridiquement aux questions », et serait contraire à lobligation bien établie de franchise dont doivent faire preuve tous les demandeurs dans le cadre du processus dimmigration (Brar, au para 11; Goburdhun, au para 28; Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 942 au para 27). De plus, linterprétation que donne M. Kazzi de lalinéa 40(1)a) inverserait le fardeau, qui incombe au demandeur, « de vérifier lintégralité et lexactitude de sa demande » (Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425 au para 24. Compte tenu des obligations de franchise qu’a le demandeur, et vu lobjet de lalinéa 40(1)a), qui est de préserver lintégrité du processus dimmigration, largument de M. Kazzi, selon lequel une personne ne peut être déclarée interdite de territoire pour de fausses déclarations faites dans une demande antérieure qui a été rejetée, contrevient à un principe fondamental de la LIPR et crée « un risque élevé dabus » dans lapplication de la Loi » (Khan, au para 27).

[43]           Vu ce qui précède, il nétait certainement pas déraisonnable pour la Section de limmigration de conclure que le risque envisagé à lalinéa 40(1)a), soit une possible erreur dans lapplication de la LIPR, doit être analysé en fonction du moment de la fausse déclaration, et non lorsque la décision est rendue.

[44]           La question que doit trancher la Cour est celle de savoir si linterprétation qu’a donnée la Section de limmigration à lalinéa 40(1)a) était raisonnable. Il s’ensuit que le rôle de la Cour nest pas de réexaminer la preuve dont disposait la Section de limmigration, ni de substituer ses conclusions à celles du décideur. Dans la présente affaire, les analyses contextuelles et théologiques, ainsi que la jurisprudence, me forcent à conclure que linterprétation de la Section de limmigration ne manque pas de justification, de transparence ou dintelligibilité, et qu’elle appartient visiblement aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au para 47). Linterprétation de la Section de limmigration s’accorde avec le libellé de lalinéa 40(1)a) et la jurisprudence et, dans ces circonstances, la Cour ne doit pas intervenir dans la conclusion du décideur, mais s’en remettre à cette conclusion.

[45]           En fait, je suis davis que linterprétation faite par la Section de l’immigration de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est probablement la seule qui soit raisonnable (McLean c ColombieBritannique (Securities Commission), 2013 CSC 67 au para 38).

C.                 Les autorités canadiennes de limmigration ontelles agi de manière équitable à l’égard de M. Kazzi?

[46]           Comme ultime argument contre la décision de la Section de limmigration, M. Kazzi fait valoir que lASFC savait quil avait été arrêté en 1989, ce qui ressort clairement des lettres qui lui ont été envoyées en 2011 et en 2012, et que l’ASFC entendait établir un rapport dinterdiction de territoire pour des raisons de sécurité parce quil était membre des Forces libanaises. Daprès M. Kazzi, il est évident que lASFC avait lintention de le déclarer interdit de territoire sur le fondement des articles 34 et 35 de la LIPR, et non des dispositions concernant les fausses déclarations. M. Kazzi soutient donc que, puisque lASFC a contre toute attente préparé un rapport dinterdiction de territoire pour fausses déclarations, il na jamais eu d’occasion raisonnable de répondre aux allégations de fausses déclarations formulées contre lui. Il na jamais reçu de lettre déquité procédurale et il affirme avoir été totalement pris par surprise. Il dit que lASFC a omis de divulguer certains documents, ce qui contrevient aux règles de la justice fondamentale, et quelle a mis six ans à rédiger un rapport concernant une présentation erronée, ce qui est trop long et inéquitable.

[47]           Je ne partage pas la conclusion de M. Kazzi, et je ne suis pas convaincu quil y a eu manquement à léquité procédurale dans le contexte de la décision faisant lobjet du présent contrôle judiciaire.

[48]           Dabord, je suis d’accord avec le ministre pour dire que si la plainte de M. Kazzi est en fait liée au travail et à la conduite de lASFC, la présente demande de contrôle judiciaire nest pas le bon moyen de faire entendre ses doléances, puisquelles ne portent pas sur la demande de résidence permanente présentée par M. Kazzi pour des motifs d’ordre humanitaire, toujours en instance, ni sur une décision rendue, ou devant être rendue, par lASFC. La présente demande porte exclusivement sur la décision de la Section de limmigration et sur le processus qu’elle a suivi. M. Kazzi dispose dautres recours pour se plaindre du temps mis par lASFC pour traiter sa demande CH, ou des mesures prises par cette dernière. De la même manière, si M. Kazzi estime quil y a eu manquement à léquité procédurale dans la préparation du rapport dinterdiction de territoire, cest la décision prise par lagent de lASFC de produire ce rapport qui aurait dû faire lobjet dun contrôle judiciaire.

[49]           Deuxièmement, jestime que, quoi quil en soit, la Section de limmigration sest acquittée de ses obligations de manière conforme à la LIPR et à la jurisprudence. Par conséquent, aucun motif sérieux n’étaye l’allégation voulant que la Section de limmigration ait manqué à l’équité procédurale, et rien ne justifie lintervention de la Cour.

[50]           Il est bien établi que la Loi traite « les citoyens différemment des résidents permanents, qui euxmêmes sont traités différemment des réfugiés au sens de la Convention, qui eux-mêmes enfin sont traités différemment des autres étrangers », et que « la [LIPR] naccorde aux étrangers qui sont des résidents temporaires que peu de mesures de protection sur le plan de la forme ou du fond » (Cha, au para 23). Lorsquune mesure dexpulsion est prise, il est prévu que « lintéressé doit être informé des allégations formulées contre lui et se voir donner la possibilité dy répondre, que les observations de ce dernier doivent être notées et prises en compte et quon doit procéder aux entrevues en présence de lintéressé ou, dans certains cas, par téléphone » (Cha, au para 49).

[51]           En lespèce, il nétait pas nécessaire denvoyer une lettre relative à léquité procédurale, puisqu’une telle lettre donne plutôt l’occasion au « demandeur de démontrer quil ny a eu aucune fausse déclaration ni aucune réticence à dévoiler des faits importants qui auraient pu entraîner une erreur dans lapplication de la LIPR », dans les cas où un délégué du ministre conclut à l’interdiction de territoire (Brar, au para 17). Tout au long du processus qui s’est déroulé devant la Section de limmigration, M. Kazzi était bien au fait du rapport dinterdiction de territoire et il pouvait présenter toutes les observations quil souhaitait présenter durant lenquête. Un rapport dinterdiction de territoire pour fausses déclarations a été établi contre M. Kazzi le 22 septembre 2015, et une enquête a eu lieu le 11 mai 2016, durant laquelle M. Kazzi a eu de multiples occasions dexpliquer son point de vue. M. Kazzi était représenté par lavocat de son choix durant laudience.

[52]           Comme la affirmé la Cour dappel fédérale dans larrêt Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319 [Sharma], lobligation déquité « ne se situe manifestement pas à lextrémité supérieure du continuum dans le contexte des décisions qui sont prises en application des paragraphes 44(1) et (2) » de la LIPR (Sharma, au para 29). Je suis convaincu que M. Kazzi a pu bénéficier de tous les droits de participation applicables aux décisions de cette nature.

[53]           Je souligne quil nappartient pas à la Section de limmigration de décider si le processus ayant mené à un rapport dinterdiction de territoire était inéquitable, car la seule question qu’elle doit trancher est celle de savoir si la personne concernée est effectivement interdite de territoire, et qu’elle a « pour seul choix de prendre une mesure de renvoi contre létranger ou le résident permanent si cette personne est interdite de territoire » (Sharma, au para 19). Par conséquent, laffirmation de M. Kazzi selon laquelle la Section de limmigration aurait dû tenir compte des mesures prises par lASFC à son égard est sans fondement. Lorsquune affaire lui est déférée pour enquête par suite d’un rapport dinterdiction de territoire, la Section de limmigration na aucun pouvoir discrétionnaire. Si la personne est interdite de territoire, la Section de limmigration doit prendre une mesure de renvoi (Torre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 591 au para 22, conf par 2016 CAF 48; Sharma, au para 19). En lespèce, la Section de limmigration sest acquittée de ses obligations de manière conforme à la LIPR et à la jurisprudence. Il ny a eu aucun manquement à léquité procédurale.

IV.             Questions à certifier

[54]           M. Kazzi demande à la Cour de certifier deux questions :

  1. Une personne peutelle être déclarée interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations, au titre de lalinéa 40(1)a), après le rejet de sa demande (quelle quelle soit)? Autrement dit, une fois quune demande présentée sur le fondement de la LIPR a été rejetée, peutil encore y avoir erreur dans lapplication de la Loi, aux termes de lalinéa 40(1)a) de la LIPR?
  2. En supposant quune amnistie efface toute accusation ou peine antérieure, une personne peutelle être interdite de territoire en application de lalinéa 40(1)a) de la LIPR pour avoir omis de divulguer une arrestation visée par lamnistie?

[55]           Pour les motifs qui suivent, je ne crois pas que les questions proposées répondent aux exigences de la Cour dappel fédérale en matière de certification.

[56]           Selon lalinéa 74d) de la LIPR, une question peut être certifiée par la Cour si l’affaire « soulève une question grave de portée générale ». Pour être certifiée, « une question doit i) être déterminante quant à lissue de lappel, ii) transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Mudrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178 [Mudrak] aux para 15 et 16; Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168 [Zhang] au para 9). En corollaire, la question doit avoir été examinée par la Cour et elle doit découler de laffaire (Mudrak, au para 16; Zhang, au para 9; Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145 au para 29).

[57]           Je refuse de certifier la première question parce qu’elle nest pas déterminante quant à lissue de lappel et quelle nest pas de portée générale. La Section de limmigration a affirmé dans sa décision, et M. Kazzi la confirmé dans ses observations, que la demande de résidence permanente de M. Kazzi fondée sur des motifs dordre humanitaire était en instance. Par conséquent, il ne sagit pas dune situation où toutes les demandes présentées au titre de la LIPR ont été rejetées. M. Kazzi semble agir comme si toutes les demandes qu’il a présentées en vertu de la LIPR avaient été rejetées avant la décision de la Section de limmigration, ce qui nest pas le cas. Par conséquent, la première question qu’il propose ne serait pas déterminante quant à lissue de lappel. Par ailleurs, je ne suis pas convaincu quil sagisse dune question de portée générale. La jurisprudence nappuie pas linterprétation proposée par M. Kazzi, et le libellé explicite de lalinéa 40(1)a) indique clairement que la possibilité de risque derreur dans lapplication de la LIPR doit être examinée en fonction du moment de la présentation erronée, et non ultérieurement. La réponse à la question proposée est également bien établie par la jurisprudence de la Cour.

[58]           En ce qui concerne la deuxième question, jestime quelle ne satisfait pas non plus au critère de certification. Même en supposant que les accusations et les peines puissent être effacées par une amnistie, il reste qu’une telle amnistie nexempte pas le demandeur de son obligation de franchise lorsqu’il fait des déclarations au sujet de questions autres que celles relatives aux accusations, aux condamnations et aux peines. En lespèce, la fausse déclaration de M. Kazzi tient au fait qu’il n’a pas mentionné qu’il avait été arrêté et incarcéré pendant un certain temps au Liban en février 1989. Elle nest pas liée à lincidence dune amnistie sur [traduction] « toute accusation ou peine antérieure », comme semble lévoquer la question proposée. Une amnistie nexcuse ni ne justifie le défaut de divulguer dautres faits aux autorités canadiennes de limmigration, comme une arrestation et une incarcération. Encore là, la question proposée ne serait pas déterminante quant à lissue de lappel.

V.                 Conclusion

[59]           Pour les motifs qui précèdent, la décision de la Section de limmigration fait partie des issues raisonnables au vu du droit et de la preuve. Selon la norme de la décision raisonnable, la décision faisant lobjet du contrôle judiciaire doit être intelligible, justifiée et transparente, et elle doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Cest le cas en lespèce. En outre, je ne constate aucun manquement aux principes de justice naturelle, et j’estime que les droits fondamentaux de M. Kazzi ont été respectés tout au long du processus suivi par la Section de limmigration. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[60]           Il ny a aucune question de portée générale à certifier.

[61]           Le ministre a indiqué que c’est le ministre de la Citoyenneté et de lImmigration qui aurait dû être désigné comme défendeur en l’espèce. Lintitulé de la cause sera donc modifié en conséquence, notamment dans les présents jugement et motifs.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.
  2. Aucune question grave de portée générale nest certifiée.
  3. Lintitulé de la cause est modifié afin que le ministre de la Citoyenneté et de lImmigration soit désigné comme défendeur dans la présente affaire.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2855-16

 

INTITULÉ :

MAROUN KARIM KAZZI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

 

LIEU DE LAUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE LAUDIENCE :

Le 11 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Dan Bohbot

Pour le demandeur

Daniel Latulippe

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan Bohbot

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sousprocureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.