Décision

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Décision

Résidence Le Baillairgé c. Corbin

2020 QCRDL 122

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Québec

 

No dossier :

440979 18 20190204 G

No demande :

2681678

 

 

Date :

06 janvier 2020

Régisseur :

Philippe Morisset, juge administratif

 

Residence le Baillairgé

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Isabel Corbin

 

Locataire - Partie défenderesse

et

Sonia Castonguay

 

Caution - Partie défenderesse

D É C I S I O N

 

 

[1]      Par une procédure déposée au tribunal le 2 février 2019 et modifiée le 14 mai 2019, le locateur réclame des dommages pour perte de loyer et indemnité de relocation, le tout avec l’intérêt légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, ainsi que les frais judiciaires.

LA PREUVE

[2]      Des faits mis en preuve, le Tribunal retient les éléments suivants.

[3]      Un bail est intervenu entre les parties pour la période du 1er août 2018 au 31 juillet 2019 au loyer mensuel de 430 $[1].

[4]      Le bail prévoit que Sonia Castonguay agit comme caution solidairement responsable envers le locateur.

[5]      Le locateur témoigne que la locataire a quitté son logement en décembre 2018.

[6]      Le locateur explique que le logement a été reloué au 1er août 2019. Il réclame à la locataire, ainsi qu’à la caution, les loyers perdus, soit les mois de janvier à juillet 2019. C’est donc un montant de 3 010 $ qu’il réclame à la locataire et à la caution sur ce chef.

[7]      En défense, la locataire explique avoir avisé le locateur qu’elle devait quitter son logement en raison de problèmes de santé. Le 20 septembre 2018, les parties signent un document permettant la cession du bail[2].

[8]      La locataire produit également des billets médicaux[3], ainsi qu’un rapport de la docteure Amélie Boutet daté du 12 mars 2019[4].

[9]      Essentiellement, la preuve médicale démontre que la locataire a des problèmes psychologiques reliés à sa nouvelle situation.

[10]   Aucun reproche n’est fait quant à l’état du logement ou au comportement du locateur.

DÉCISION

[11]   La preuve ne démontre aucun problème avec le logement ou avec le locateur.

[12]   Ce que la locataire invoque pour justifier son départ est son état de santé.

[13]   L’article 1974 du Code civil du Québec permet à un locataire de résilier son bail avant la fin, s’il ne peut plus occuper son logement en raison d’un handicap. Cet article se lit comme suit :

« 1974. Un locataire peut résilier le bail en cours, s’il lui est attribué un logement à loyer modique ou si, en raison d’une décision du tribunal, il est relogé dans un logement équivalent qui correspond à ses besoins ; il peut aussi le résilier s’il ne peut plus occuper son logement en raison d’un handicap ou s’il s’agit d’une personne âgée, s’il est admis de façon permanente dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée, dans une ressource intermédiaire, dans une résidence privée pour aînés où lui sont offerts les soins infirmiers ou les services d’assistance personnelle que nécessite son état de santé ou dans tout autre lieu d’hébergement, quelle qu’en soit l’appellation, où lui sont offerts de tels soins ou services, qu’il réside ou non dans un tel endroit au moment de son admission.

La résiliation prend effet deux mois après l’envoi d’un avis au locateur ou un mois après l’envoi d’un tel avis lorsque le bail est à durée indéterminée ou de moins de 12 mois. Elle prend toutefois effet avant l’expiration de ce délai si les parties en conviennent ou lorsque le logement, étant libéré par le locataire, est reloué par le locateur pendant ce même délai. L’avis doit être accompagné d’une attestation de l’autorité concernée, à laquelle est joint, dans le cas d’un aîné, le certificat d’une personne autorisée certifiant que les conditions nécessitant l’admission sont remplies. […] »

[Caractères gras ajoutés]

[14]   Le but de cette disposition est de permettre à un locataire qui souffre d’un handicap de se libérer de son bail pour un logement qu’il ne peut plus occuper en raison de ce handicap.

[15]   Pour s’en prévaloir, il doit donner un avis préalable de deux mois et l’accompagner d’une attestation médicale. Cette exigence est de rigueur, car elle permet au locateur de vérifier le sérieux et la véracité du motif de résiliation.

[16]   Le terme « handicap » n’est pas défini par la loi[5]. Cependant, si l’on se réfère à la définition de « personne handicapée » de la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale[6], celle-ci implique « une déficience entraînant une incapacité significative et persistante et qui est sujette à rencontrer des obstacles dans l’accomplissement d’activités courantes ».

[17]   La notion de « handicap » réfère à une déviation ou à une déficience des capacités physiques ou mentales, causée par maladie ou accident, par rapport à la norme biomédicale, persistante et imposante des limites dans l’accomplissement d’activités normales[7] et qui restreint sérieusement la personne dans ses déplacements dans le logement et pour y accéder[8].

[18]   Selon la jurisprudence[9], le locataire doit démontrer qu’il est atteint d’un handicap et que celui-ci l’empêche d’occuper son logement.

[19]   Parce qu’elle fait échec au principe de la stabilité des contrats, la notion de « handicap » doit recevoir une interprétation restrictive et faire l’objet d’une preuve probante et fiable afin que l’ouverture prévue à l’article 1974 C.c.Q. ne puisse être détournée de son véritable objectif. Il ne suffit donc pas d’émettre un simple avis que le locataire vit un handicap[10].

[20]   Il faut également démontrer que celui-ci est objectivement propre à l’empêcher d’occuper le logement, soit par la nature, l’étendue et/ou la portée de ce handicap[11].

[21]   De l’avis du Tribunal, la locataire n’a pas démontré de façon prépondérante qu’elle ne pouvait plus occuper son logement en raison d’un handicap.

[22]   La preuve ne démontre pas que la locataire a un handicap comme il est défini selon les principes énoncés précédemment. La preuve démontre que la locataire a des problèmes de santé, mais le Tribunal ne peut conclure qu’il s’agit d’un handicap.

[23]   D’ailleurs, sur la question de l’occupation du logement, aucune preuve n’a été faite sur ce qui empêchait la locataire d’occuper le logement.

[24]   Le Tribunal tient à rappeler que le fardeau de la locataire ne se limite pas uniquement à prouver un handicap. Elle doit également prouver que ce handicap l’empêche d’occuper le logement.

[25]   Or, même si le Tribunal avait conclu que la locataire avait un handicap, la deuxième condition n’est pas remplie.

[26]   De plus, la locataire ne pourrait bénéficier de l’article 1974 C.c.Q., puisqu’aucun avis n’a été envoyé au locateur en ce sens.

[27]   Dans les circonstances, le départ de la locataire n’était pas fondé et son départ constitue un déguerpissement.

[28]   Le locateur demande la somme de 3 010 $ équivalant au loyer des mois de janvier à juillet 2019 qui a été perdu à la suite du déguerpissement de la locataire.

[29]   Toutefois, le Tribunal n’est pas satisfait des explications données par le locateur concernant la période qui s’est écoulée entre le déguerpissement de la locataire et la relocation du logement. La preuve est muette sur les démarches faites par le locateur pour relouer le logement et rien n’explique, aux termes de la preuve, le délai de sept mois pour relouer le logement. Si, après quelque temps, le locateur constate que ses démarches ne donnent pas de résultat, il se doit de prendre d’autres mesures pour intéresser des locataires potentiels.

[30]   Le locateur a l’obligation de minimiser ses dommages, ce qu’il n’a pas fait en l’instance de l’avis du Tribunal. Sur ce principe, le professeur Jobin enseigne :

« 116. Dommages — intérêts. Le recours en dommages — intérêts vient presque toujours s’ajouter à celui en résiliation. En plus d’une indemnité pour pertes causées au bien loué ou autres dommages le cas échéant, le locateur réclame systématiquement une indemnité pour perte de loyer durant la période nécessaire pour trouver un nouveau locataire ; plus précisément, l’indemnité couvre la perte de loyer jusqu’à la délivrance du bien au nouveau locataire, car c’est à partir de l’entrée en jouissance que le nouveau loyer est calculé. L’indemnité de relocation obéit aux règles habituelles. Ainsi, le locateur a droit uniquement à la réparation du préjudice qui constitue une suite immédiate et directe de la faute du locataire. De plus, on ne doit pas oublier que le locateur a le devoir de minimiser sa perte : dans le contexte d’une résiliation, il doit prendre les moyens raisonnables pour remplacer le locataire fautif le plus vite possible. Ainsi, à partir du moment où le locateur apprend que la locataire quittera son logement avant terme, il a l’obligation d’entreprendre sans délai, des démarches raisonnables pour relouer le logement, dans le but de minimiser les dommages qu’il encourt en raison du départ précipité du locataire[12]. »

[Nos soulignements]

[31]    Dans les circonstances, le Tribunal considère, arbitrairement, qu’un délai de trois mois était suffisant pour relouer le logement et accorde en conséquence au locateur la somme de 1 290 $.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[32]   ACCUEILLE en partie la demande du locateur;

[33]   CONSTATE la résiliation du bail;


[34]   CONDAMNE solidairement la locataire et la caution à payer au locateur 1 290 $, plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 4 février 2019, plus les frais judiciaires de 94 $;

[35]   REJETTE les autres conclusions recherchées.

 

 

 

 

 

 

 

 

Philippe Morisset

 

Présence(s) :

le mandataire du locateur

la locataire

Date de l’audience :  

18 novembre 2019

 

 

 


 



[1] Pièce P-1.

[2] Pièce L-3.

[3] Pièces L-1 et L-2.

[4] Pièce L-5.

[5] Savard-Bellemare c. Coopérative La Rose des vents (R.D.L., 1998-09-15), SOQUIJ AZ-98061140, [1998] J.L. 326.

[8] Article 1021 du Code civil du Québec.

[9] Voir entre autres : Tutino c. Drouin (R.D.L., 2018-09-13), 2018 QCRDL 30433 (CanLII), SOQUIJ AZ-51529395, 2018EXP-2682; Marois c. Gestion R. Labonté et Fils, 2012 QCRDL 993, 21-111121-004G, 13 janvier 2012, r. Landry ; Béland c. Blais (R.D.L., 2014-05-12), 2014 QCRDL 16967, SOQUIJ AZ-51073918 ; Dispaltro c. Charbonneau (R.D.L., 2016-07-29), 2016 QCRDL 26803, SOQUIJ AZ-51312327, 2016EXP-3239 ; L’Ilot St-Pierre c. Lachance, 18-071023-011P-071122 et 18-071119-009G, r. Simard.

[10] De Blois c. Bourgeois (R.D.L., 2018-06-14), 2018 QCRDL 20286 (CanLII), SOQUIJ AZ-51504155, 2018EXP-1826.

[11] Sommeco Outremont Inc. c. Nadeau, 2016 QCRDL 4886.

[12] Jobin, Pierre-Gabriel, Le louage, 2e édition, no 116, p. 364.

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