Décision

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Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Langlois

2022 QCCDTSTCF 16

 

CONSEIL DE DISCIPLINE

ORDRE DES TRAVAILLEURS SOCIAUX ET DES THÉRAPEUTES CONJUGAUX

 ET FAMILIAUX DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 :

37-21-111

 

DATE :

Le 9 juin 2022.

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me GEORGES LEDOUX

Président

Mme BRIGITTE CÔTÉ, T.S.

Membre

Mme SONIA GILBERT, T.S.

Membre

______________________________________________________________________

 

MÉLANIE PIN, T.S., en sa qualité de syndique adjointe de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec

Plaignante

c.

DANIEL LANGLOIS, T.S.

Intimé

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR CULPABILITÉ ET SANCTION ET EN VERTU

DE L’ARTICLE 149.1 DU CODE DES PROFESSIONS

______________________________________________________________________

Conformément à l’article 142 du Code des professions, le Conseil A PRONONCÉ UNE ORDONNANCE DE NON-divulgation, DE NON-publication ET de NON-diffusion DU NOM de LA PERSONNE MENTIONNÉ DANS LA PLAINTE, LORS DE L’AUDITION, DANS LES DOCUMENTS PRODUITS EN PREUVE ainsi que DE TOUt renseignement permettant de L’Identifier, et ce, DANS LE BUT D’ASSURER LA PROTECTION DE SA VIE PRIVÉE.

APERÇU

[1]                Le Conseil de discipline s’est réuni pour disposer d’une plainte portée par la plaignante contre l’intimé en date du 18 novembre 2021.

[2]                Dans le cadre de l’audience du 19 mai 2022, la plaignante, avec le consentement de l’intimé, demande au Conseil l’autorisation de modifier la plainte, soit le libellé du chef 1 et de retirer le chef 4 de cette plainte.

[3]                Sous le premier chef de la plainte modifiée, la plaignante reproche à l’intimé, à la suite d’un plaidoyer de culpabilité, d’avoir été déclaré coupable le 29 avril 2021 de cinq infractions criminelles dans le cadre de deux dossiers qui, suivant son avis, ont un lien avec l’exercice de la profession de travailleur social.

[4]                Dans le cadre d’un premier dossier, l’intimé est déclaré coupable de s’être livré à des voies de fait sur une personne, commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 266 a) du Code criminel.

[5]                De même, l’intimé, étant en liberté aux termes d’une promesse, dans le dossier-no […], a été déclaré coupable d’avoir omis, sans excuse légitime, de se conformer à une condition de cette promesse, soit s’abstenir de communiquer, directement ou indirectement, avec une personne ou de se rendre au Y, avenue Y, Rouyn-Noranda.

[6]                Dans le cadre d’un second dossier, la Cour du Québec (Chambre criminelle et pénale) déclare également l’intimé coupable de s’être introduit par effraction dans une maison d’habitation située au domicile d’une personne, et y a commis un acte criminel, soit : des voies de fait, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 266 a) du Code criminel.

[7]                De même, il a séquestré, emprisonné ou saisi de force la personne, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 279 (2) a) du Code criminel.

[8]                Enfin, en étant en liberté aux termes d’une ordonnance de mise en liberté, dans le dossier no […], a omis, sans excuse légitime, de se conformer à une condition de cette ordonnance, autre que celle de se présenter devant le tribunal, soit de ne pas communiquer ou tenter de communiquer de quelque façon que ce soit avec une personne et de se trouver à son domicile, quelle qu’en soit l’adresse, sauf si un consentement écrit et révocable est déposé au poste de la Sûreté du Québec de Rouyn-Noranda, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 145 (5) a) du Code criminel.

[9]                Sous le chef 2 de la plainte modifiée, il est reproché à l’intimé d’avoir omis d’informer la Secrétaire de l’Ordre, dans les dix jours à compter de celui où il en fut informé, qu’il faisait l’objet d’une poursuite pour des infractions punissables de cinq ans d’emprisonnement ou plus, soit voies de fait (art. 266 a) du Code criminel) (dossier no […]), contrevenant ainsi à l’article 59.3 du Code des professions.

[10]           Enfin et dans le cadre du chef 3, l’intimé a aussi omis d’informer, dans les dix jours à compter de celui où il en fut informé, la Secrétaire de l’Ordre qu’il faisait l’objet d’une poursuite pour des infractions punissables de cinq ans d’emprisonnement ou plus, soit introduction par effraction (art. 348(1) b) d) du Code criminel) et séquestration (art. 279(2)a) du Code criminel) (dossier no […]), contrevenant ainsi à l’article 59.3 du Code des professions.


LIEN DES INFRACTIONS CRIMINELLES AVEC L’EXERCICE DE LA PROFESSION

[11]           Sous le chef 1 de la plainte modifiée portée contre lui, l’intimé, lors de l’audience, admet le lien entre les infractions criminelles dont il a été déclaré coupable avec l’exercice de la profession de travailleur social.

[12]           Suivant le même consentement, l’intimé accepte et décide qu’il est opportun qu’une sanction lui soit imposée sous le chef 1 de la plainte modifiée.

DÉCISION DU CONSEIL RENDUE CONCERNANT LE LIEN DES INFRACTIONS CRIMINELLES AVEC L’EXERCICE DE LA PROFESSION ET L’OPPORTUNITÉ D’IMPOSER UNE SANCTION

[13]           Considérant la nature des infractions, les dispositions de l’article 149.1 du Code des professions et le consentement de l’intimé, le Conseil, séance tenante, a décidé lors de l’audition du 19 mai 2022 que les infractions criminelles visées par le chef 1 de la plainte modifiée avaient un lien avec l’exercice de la profession de travailleur social et a jugé aussi qu’il était opportun de lui imposer une sanction sous ledit chef de cette plainte.

[14]           Par ailleurs et lors de l’audience du 19 mai 2022, l’intimé enregistre un plaidoyer de culpabilité sous les chefs 2 et 3 de la plainte modifiée.

[15]           De plus, les parties présentent également une recommandation conjointe concernant la sanction à imposer à l’intimé sous chacun des chefs 1, 2 et 3 de la plainte disciplinaire modifiée qui a été portée contre lui.


RECOMMANDATION CONJOINTE

[16]           Suivant ce qui est mentionné précédemment, sous le premier chef de la plainte modifiée, les parties suggèrent d’imposer à l’intimé une radiation temporaire d’un an.

[17]           D’autre part, les parties recommandent d’imposer à l’intimé une radiation temporaire de trois mois sous chacun des chefs 2 et 3.

[18]           Les radiations temporaires imposées doivent être purgées concurremment, et ce, à compter de l’éventuelle réinscription au tableau de l’intimé.

[19]           Suivant cette recommandation, un avis de la décision doit être publié dans un journal conformément aux dispositions du septième alinéa de l’article 156 du Code des professions, aux frais de l’intimé, et ce, au moment de l’éventuelle réinscription au tableau de l’intimé.

[20]           La plaignante demande aussi que l’intimé soit condamné au paiement de tous les déboursés prévus par le quatrième alinéa de l’article 151 du Code des professions.

[21]           Il est aussi convenu qu’un délai de 12 mois soit accordé à l’intimé pour le paiement des frais de publication de l’avis de la décision, le cas échéant, et des déboursés, et ce, à compter de la date d’exécution de la présente décision.


PLAINTE

[22]           La plainte portée contre l’intimé comme elle a été modifiée est libellée ainsi :

  1. À Rouyn-Noranda, aux termes de jugements rendus le 29 avril 2021 par la Cour du Québec, Chambre criminelle, dans les dossiers […], et […], l’intimé a été reconnu coupable, suite à un plaidoyer de culpabilité, des infractions criminelles suivantes, lesquelles ont toutes un lien avec l’exercice de la profession de travailleur social :
  • Dans le dossier […],:

1. Le 26 décembre 2019, à Rouyn-Noranda, district de Rouyn-Noranda, s’est livré à des voies de fait contre Madame […], commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 266 a) du Code criminel ;

4. Entre le 6 mars 2020 et le 7 mars 2020, à Rouyn-Noranda, district de Rouyn-Noranda, étant en liberté aux termes d’une promesse, dans le dossier […], a omis, sans excuse légitime, de se conformer à une condition de cette promesse, soit s’abstenir de communiquer, directement ou indirectement avec Mme […] ou de se rendre au Y, avenue Y, Rouyn-Noranda, commettant ainsi l’acte criminel prévue à l’article 145(4)a) du Code criminel ;

  • Dans le dossier […], :

1. Le ou vers le 22 novembre 2020, à Rouyn-Noranda, district de Rouyn-Noranda, (…) s’est livré à des voies de fait contre […], commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 266 a) du Code criminel;

2. Le ou vers le 22 novembre 2020, à Rouyn-Noranda, district de Rouyn-Noranda, a séquestré, emprisonné ou saisi de force Mme […], commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 279 (2)a) du Code criminel ;

3. Le ou vers le 22 novembre 2020, à Rouyn-Noranda, district de Rouyn-Noranda, étant en liberté aux termes d’une ordonnance de mise en liberté, dans le dossier […],a omis, sans excuse légitime, de se conformer à une condition de cette ordonnance, autre que celle de se présenter devant le tribunal, soit : Ne pas communiquer ou tenter de communiquer de quelque façon que ce soit avec Mme X et de se trouver à son domicile, quelqu’en (sic) soit l’adresse, sauf si un consentement écrit et révocable est déposé au poste de la Sûreté du Québec de Rouyn-Noranda commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 145(5)a) du Code criminel ;

Se rendant ainsi passible, par l’effet de l’article 149.1 du Code des professions, des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions.

2. À Rouyn-Noranda, depuis le ou vers le 26 mars 2020, l’intimé a omis et continue d’omettre d’informer la Secrétaire de l’Ordre, dans les dix (10) jours à compter de celui où il en fut informé, qu’il faisait l’objet d’une poursuite pour des infractions punissables de cinq (5) ans d’emprisonnement ou plus, soit voies de fait (art. 266 a) du Code criminel) (dossier […],) contrevenant ainsi à l’article 59.3 du code des professions. RLRQ c. C-26.

3. À Rouyn-Noranda, depuis le ou vers le 25 janvier 2021, l’intimé a omis et continue d’omettre d’informer, dans les dix (10) jours à compter de celui où il en fut informé, la Secrétaire de l’Ordre qu’il faisait l’objet d’une poursuite pour des infractions punissables de cinq (5) ans d’emprisonnement ou plus, soit introduction par effraction (art. 348(1)b)d) du Code criminel) et séquestration (art. 279(2)a) du Code criminel) (dossier 600-01-017838-215) contrevenant ainsi à l’article 59.3 du code des professions, RLRQ c. C-26.

4. [Retiré]

[Transcription textuelle]

[Modifications soulignées]

[23]           À la suite du plaidoyer de culpabilité de l’intimé, le Conseil le déclare coupable des chefs 2 et 3 de la plainte modifiée, et ce, suivant les modalités plus amplement décrites au dispositif de la présente décision.

QUESTION EN LITIGE

[24]           Le Conseil doit-il entériner la recommandation conjointe sur sanction des parties?

[25]           Pour les motifs exposés ci-après, le Conseil entérine la recommandation conjointe, jugeant qu’elle n’est pas contraire à l’intérêt public ni susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

CONTEXTE

[26]           L’intimé est membre de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux du Québec (l’Ordre), et ce, depuis le 16 décembre 2005[1].

[27]           La plaignante ne témoigne pas, mais dépose de consentement une preuve documentaire[2].

[28]           De son côté, l’intimé témoigne lors de l’audience.

[29]           Les parties déposent aussi un énoncé conjoint des faits[3].

[30]           Le Conseil résume la preuve administrée comme suit.

[31]           Le 29 juillet 2020, le Bureau du syndic de l’Ordre reçoit une demande d’enquête concernant la conduite de l’intimé[4].

[32]           Dans le contexte décrit dans la preuve documentaire[5], l’intimé est accusé de diverses infractions criminelles à l’endroit d’une personne visée par l’ordonnance prononcée par le Conseil et reproduite au début de la présente décision. Il s’agit notamment d’infractions de voies de fait et de séquestration.

[33]           La dénonciation lui reproche aussi, alors qu’il était en liberté aux termes d’une promesse, d’avoir omis, sans excuse légitime, de se conformer à une condition de cette promesse, soit s’abstenir de communiquer, directement ou indirectement avec la personne précitée, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 145 (4) a) du Code criminel.

[34]           Dans le cadre d’un second dossier, l’intimé fait l’objet d’autres accusations criminelles. Il est accusé de s’être livré à des voies de fait contre une personne, commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 266 a) du Code criminel.

[35]           Il a aussi séquestré, emprisonné ou saisi de force cette personne, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 279 (2) a) du Code criminel.

[36]           De même, en étant en liberté aux termes d’une ordonnance de mise en liberté, il a omis, sans excuse légitime, de se conformer à une condition de cette ordonnance, autre que celle de se présenter devant le tribunal, soit de ne pas communiquer ou tenter de communiquer de quelque façon que ce soit avec une personne et de se trouver à son domicile, commettant ainsi l’infraction prévue à l’article 145 (5) a) du Code criminel.

[37]           À la suite d’un plaidoyer de culpabilité, le 29 avril 2021, l’intimé est déclaré coupable par la Cour du Québec (Chambre criminelle et pénale) des infractions résumées précédemment[6].

[38]           Dans le cadre du second chef de la plainte modifiée, l’intimé a reconnu avoir omis d’informer, en mars 2020, la secrétaire de l’Ordre qu’il a fait l’objet d’une poursuite pour des infractions punissables de cinq d’emprisonnement, ou plus, contrevenant ainsi à l’article 59.3 du Code des professions.

[39]           Dans le cadre du chef 3, l’intimé a admis avoir omis d’informer la secrétaire de l’Ordre, en janvier 2021, de la date à laquelle il en a été informé qu’il a fait l’objet d’une poursuite pour des infractions punissables de cinq ans d’emprisonnement ou plus, contrevenant ainsi à l’article 59.3 du Code des professions.

[40]           L’intimé témoigne et explique les circonstances prévalant au moment des condamnations criminelles dont il a fait l’objet. Il relate en particulier l’existence de difficultés personnelles.

[41]           L’intimé exprime de la honte et est désolé des actes qu’il a commis.

[42]           Il exprime des regrets à l’endroit de la personne mentionnée dans les procédures criminelles.

[43]           Il ajoute que la collaboration qu’il a offerte au Bureau du syndic de l’Ordre n’a pas été exemplaire au moment de l’enquête considérant la condition médicale dans laquelle il se trouvait.

[44]           Il offre ses excuses à la plaignante et aux représentants de l’Ordre.

[45]           Toutefois, il affirme qu’il a respecté toutes les ordonnances émises par la Cour du Québec (Chambre criminelle et pénale).

[46]           Il décrit certains problèmes de santé et indique être en arrêt de travail depuis deux ans.

[47]           Il mentionne avoir bénéficié du programme d’aide de son employeur (PAE) et a participé à plusieurs rencontres pour mieux gérer ses émotions ou sa colère. Il précise avoir été en mesure d’identifier les causes de son comportement et qu’il a maintenant adopté de saines habitudes de vie.

[48]           Quant à son risque de récidive, il ajoute que les mesures qu’il a prises font en sorte qu’il ne compte plus poser les mêmes gestes à l’avenir.

[49]           Il a été radié du tableau en avril 2022 pour ne pas avoir acquitté sa cotisation professionnelle. Il ajoute qu’il compte éventuellement se réinscrire au tableau de l’Ordre.

[50]           Il espère reprendre la pratique de travailleur social et éventuellement travailler de nouveau au CLSC.

[51]           Il demande au Conseil de lui accorder un délai de 12 mois pour acquitter les déboursés et les frais de publication de l’avis de la décision.

ARGUMENTATION DE LA PLAIGNANTE

[52]           La plaignante rappelle les critères devant être pris en compte par le Conseil dans l’imposition de la sanction disciplinaire : la protection du public, l’exemplarité, la dissuasion et le droit du professionnel d’exercer sa profession.

[53]           Elle est d’avis que les infractions criminelles pour lesquelles l’intimé a été déclaré coupable se situent au cœur même de l’exercice de la profession de travailleur social.  

[54]           En effet, ces infractions mettent en cause les qualités sur le plan humain devant être démontrées en tout temps par le travailleur social. Celles-ci impliquent de préconiser une approche respectueuse des personnes puisqu’un travailleur social doit contrôler ses émotions, mesurer ses gestes, faire preuve d’écoute et tempérer ses paroles.

[55]           Il s’agit donc d’infractions graves et qui portent atteinte à l’honneur et à la dignité de la profession. Ces infractions minent la confiance du public dans la profession de travailleur social.

[56]           La plaignante demande au Conseil de tenir compte de certains facteurs atténuants, notamment du fait que l’intimé a admis le lien des infractions criminelles avec l’exercice de la profession dans le cadre du premier chef de la plainte modifiée.

[57]           Dans le cadre des chefs 2 et 3, l’intimé a admis les faits et a décidé de plaider coupable.

[58]           De plus, l’intimé n’a aucun antécédent disciplinaire.

[59]           Par contre, elle souligne qu’au moment des évènements, l’intimé compte plus de 15 années de pratique à titre de travailleur social.

[60]           Elle demande au Conseil d’entériner la recommandation conjointe des parties.


[61]           La plaignante produit des autorités au soutien de sa position[7].

ARGUMENTATION DE L’INTIMÉ

[62]           Sans tenter de minimiser la gravité objective des infractions criminelles pour lesquelles il a plaidé coupable devant la Cour du Québec (Chambre criminelle et pénale), l’intimé explique le contexte dans lequel les infractions ont été commises.

[63]           Il explique qu’il a pris les mesures nécessaires afin d’éviter toute récidive, notamment en participant à des rencontres et à un suivi thérapeutique pour mieux gérer ses émotions ou pour contrôler sa colère.

[64]           Pour ces motifs, il juge que son risque de récidive doit être considéré comme étant faible.

[65]           Il rappelle qu’il demande un délai de 12 mois pour acquitter les déboursés, car il est en congé de maladie depuis deux ans.

[66]           L’intimé commente certaines autorités de la plaignante et demande au Conseil de donner suite à la recommandation conjointe des parties.


ANALYSE

Le critère d’intervention à l’égard d’une recommandation conjointe de sanction

[67]           Une recommandation conjointe sur sanction est le résultat d’une négociation à laquelle le Conseil n’est pas partie et dont les tenants et aboutissants ne sont pas portés à son attention.

[68]           À ce sujet, le Conseil rappelle l’enseignement de la Cour d’appel dans l’arrêt Blondeau[8] :

[56] Sur une suggestion commune incluant un plaidoyer de culpabilité, les parties ont eu l’opportunité d’évaluer les forces et les faiblesses de leurs dossiers respectifs. Elles conviennent d’un règlement qu’elles jugent équitable et conforme à l’intérêt public. Le juge n’est pas au fait de l’ensemble des considérations stratégiques ayant pu justifier l’entente entre les parties. C’est pourquoi les juges ne devraient pas rejeter aisément de telles suggestions communes.

[69]           Sans le lier, la recommandation conjointe invite le Conseil « non pas à décider de la sévérité ou de la clémence de la sanction, mais à déterminer si elle s'avère déraisonnable au point d'être contraire à l'intérêt public et de nature à déconsidérer l'administration de la justice »[9].

[70]           En effet, la recommandation conjointe « dispose d'une "force persuasive certaine" de nature à assurer qu'elle sera respectée en échange du plaidoyer de culpabilité »[10].

[71]           De plus, une recommandation conjointe ne doit pas être écartée « afin de ne pas discréditer un important outil contribuant à l'efficacité du système de justice tant criminel que disciplinaire »[11].

[72]           Dans l’affaire Vincent[12], le Tribunal des professions réitère ainsi sa position :

[11] Les principes applicables en matière de recommandation commune sont bien connus. Le conseil de discipline n’a pas à s’interroger sur la sévérité ou la clémence des suggestions conjointes et il doit y donner suite, sauf s’il les considère comme déraisonnables, contraires à l’intérêt public, inadéquates ou de nature à déconsidérer l’administration de la justice. Il s’agit essentiellement de la même règle applicable en matière pénale et énoncée par la Cour suprême dans R. c. Anthony-Cook laquelle règle a été « importée » en matière disciplinaire par notre tribunal.

[73]           Dans l’arrêt Anthony-Cook[13], la Cour suprême rappelle qu’une recommandation conjointe sur sanction ne peut être écartée que si elle est :

[34] [] à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé — et à juste titre []

[…]

[42] D’où l’importance, pour les juges du procès, de faire montre de retenue et de ne rejeter les recommandations conjointes que lorsque des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la peine proposée fait échec au bon fonctionnement du système de justice. Un seuil moins élevé que celuici jetterait trop d’incertitude sur l’efficacité des ententes de règlement. Le critère de l’intérêt public garantit que ces ententes de règlement jouissent d’un degré de certitude élevé.

[74]           En 2019, dans l’arrêt Binet[14], la Cour d’appel réitère qu’« un juge ne peut écarter une suggestion commune des parties en matière de peine que s’il estime que celle proposée est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou si elle est contraire à l’intérêt public ».

[75]           La Cour d’appel du Québec fait ainsi sienne la position de la Cour d’appel de l’Alberta, qui enseigne que pour déterminer si une recommandation conjointe est ou non contraire à l’intérêt public, il ne s’agit pas pour le juge de rechercher la sentence qu’il juge lui-même appropriée et la comparer à celle faisant l’objet de la suggestion commune, mais bien d’analyser la recommandation et se demander en quoi elle pourrait être contraire à l’intérêt public[15].

[76]           Ainsi, en présence d’une recommandation conjointe, le critère d’intervention du Conseil n’est pas la justesse de la sanction, mais celui plus rigoureux de l’intérêt public[16].

[77]           Le Conseil ne doit donc pas évaluer la sévérité ou la clémence de la sanction suggérée et y substituer la sanction qu’il juge la plus juste et appropriée dans les circonstances[17]. Il ne doit pas non plus déterminer la sanction qui pourrait être imposée pour ensuite la comparer à celle suggérée[18].

[78]           Le Conseil doit examiner les fondements sur lesquels se sont basées les parties pour faire une telle recommandation et y donner suite à moins qu’il soit d’avis que la sanction proposée est contraire à l’intérêt public ou susceptible de déconsidérer l’administration de la justice[19].

[79]           Autrement dit, le Conseil doit écarter la recommandation conjointe des parties prévoyant d’imposer à l’intimé de trois radiations temporaires, dont deux de trois mois et l’une d’un an s’il est d’avis que cette recommandation est :

[…] à ce point dissociée des circonstances de l’infraction […] que son acceptation amènerait des personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice a cessé de bien fonctionner. Il s’agit d’un seuil élevé[20].

[80]           En vertu du principe de l’harmonisation des sanctions, le Conseil doit retenir également la suggestion des sanctions proposées et la considérer comme étant raisonnable, lorsqu’elle se situe dans la fourchette des sanctions disciplinaires imposées dans des circonstances semblables[21].

Les facteurs objectifs

[81]           Dans le cadre du premier chef de la plainte portée contre lui, l’intimé a reconnu le lien entre les infractions criminelles dont il a été déclaré coupable et le lien avec l’exercice de la profession de travailleur social. Il a aussi souscrit à une recommandation conjointe quant à la sanction à lui être imposée sous ce chef.

[82]           Il a plaidé coupable aux chefs 2 et 3 de la plainte disciplinaire modifiée portée contre lui, reconnaissant ainsi avoir contrevenu à l’article 59.3 du Code des professions qui est libellé en ces termes :

59.3. Tout professionnel doit, dans les 10 jours à compter de celui où il en est lui-même informé, aviser le secrétaire de l’ordre dont il est membre qu’il fait ou a fait l’objet d’une décision judiciaire ou disciplinaire visée à l’article 55.1 ou 55.2 ou d’une poursuite pour une infraction punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plu

[83]           Le Conseil n’est pas en présence d’un acte isolé. L’intimé a commis trois infractions entre mars 2020 et avril 2021.

[84]           Les gestes posés par l’intimé sont sérieux et préoccupants puisqu’il a omis d’informer son ordre professionnel de déclarations criminelles. Ces déclarations sont importantes afin que l’Ordre puisse prendre des mesures nécessaires pour assurer la protection du public et déposer toute plainte requise à cette fin.

[85]           Ces infractions mettent en cause l’intégrité et la transparence dont il doit faire preuve à titre de membre d’un ordre professionnel.

[86]           De manière générale et considérant les infractions commises, le Conseil estime qu’une telle conduite de la part de l’intimé nuit à l’image et à la crédibilité de la profession de travailleur social.


Les facteurs subjectifs

[87]           Comme facteurs subjectifs, le Conseil retient les éléments suivants.

[88]           En premier lieu, les facteurs subjectifs aggravants.

[89]           L’intimé est un travailleur social très expérimenté au moment des évènements, puisqu’il est membre de l’Ordre depuis 2005, soit depuis plus de 15 ans.

[90]           Le dossier de l’intimé présente cependant des facteurs subjectifs atténuants.

[91]           L’intimé a reconnu les faits et accepté de plaider coupable aux chefs 2 et 3 de la plainte modifiée. Il a aussi reconnu le lien des infractions criminelles dont il a été déclaré coupable et l’exercice de la profession de travailleur social. Il n’a pas tenté de minimiser la gravité des gestes qu’il a posés.

[92]           Au moment de l’audition, l’intimé n’est pas inscrit au tableau de l’Ordre.

[93]           De même, il n’a pas d’antécédents disciplinaires.

[94]           L’intimé a aussi pris des mesures pour ne pas commettre les mêmes infractions à l’avenir. Pour ce motif et suivant les déclarations des parties, le Conseil juge que le risque de récidive de l’intimé est faible.

[95]           Le Conseil retient aussi le témoignage de l’intisuivant lequel il a exprimé des regrets et du repentir concernant les gestes qu’il a posés, et ce, tant à l’endroit de la personne visée qu’auprès du Bureau du syndic, vu l’absence de divulgation des condamnations criminelles dont il a fait l’objet.

Le caractère raisonnable des sanctions suggérées à la lumière de l’intérêt public et de l’administration de la justice

[96]           Les parties suggèrent au Conseil d’imposer à l’intimé une radiation temporaire d’un an sous le chef 1 de la plainte modifiée et de trois mois sous chacun des chefs 2 et 3 de la plainte modifiée.

[97]           Les radiations temporaires imposées sous chacun des chefs 1, 2 et 3 de la plainte modifiée ne doivent être purgées que lors de l’éventuelle réinscription de l’intimé au tableau de l’Ordre. Un avis de la décision doit aussi être publié au même moment dans un journal conformément aux dispositions du septième alinéa de l’article 156 du Code des professions, et ce, aux frais de l’intimé.

[98]           Les parties demandent aussi au Conseil de condamner l’intimé au paiement des déboursés prévus au quatrième alinéa de l’article 151 du Code des professions.

[99]           Au soutien de cette recommandation conjointe, la plaignante présente au Conseil quelques décisions qui mettent en relief que la recommandation conjointe des parties se situe dans le spectre des sanctions imposées pour des infractions similaires à celles commises par l’intimé[22], et ce, pour les trois chefs de la plainte modifiée.

[100]       À l’analyse de ces autorités précitées et considérant ce qui précède, la recommandation conjointe présentée par les parties suggérant l’imposition d’une radiation temporaire d’un an sous le chef 1 et de trois mois sous chacun des chefs 2 et 3 de la plainte modifiée emporte l’adhésion du Conseil puisqu’elle est raisonnable et juste.

[101]       Elle respecte l’intérêt public et ne déconsidère pas l’administration de la justice.

[102]       Des personnes renseignées et raisonnables estimeraient que la recommandation conjointe proposée par les parties ne fait pas échec au bon fonctionnement du système de justice.

[103]       Les sanctions proposées conjointement ont le mérite d’atteindre les objectifs de dissuasion pour l’intimé et d’exemplarité pour les membres de la profession et la protection du public.

[104]       Finalement, le Conseil est d’avis que les sanctions respectent le principe de proportionnalité discuté par la Cour suprême dans Pham[23].

[105]       Comme il a accepté de les supporter, le Conseil condamne également l’intimé au paiement des déboursés prévus au quatrième alinéa de l’article 151 du Code des professions.


POUR CES MOTIFS, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, LORS DE L’AUDIENCE DU 19 MAI 2022 :

SOUS LE CHEF 1

[106]       A CONSTATÉ les déclarations criminelles contenues au chef 1 de la plainte disciplinaire modifiée portée contre l’intimé.

[107]       A DÉCLARÉ que les infractions criminelles pour lesquelles l’intimé a été déclaré coupable ont un lien avec la profession de travailleur social.

[108]       A DÉCIDÉ qu’il est à propos d’imposer à l’intimé l’une des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions à l’égard du chef 1 de la plainte modifiée.

SOUS LE CHEF 2

[109]       A DÉCLARÉ l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.3 du Code des professions.

SOUS LE CHEF 3

[110]       A DÉCLARÉ l’intimé coupable d’avoir contrevenu à l’article 59.3 du Code des professions.

ET CE JOUR :

SOUS LE CHEF 1

[111]       IMPOSE à l’intimé une radiation temporaire d’un an.

SOUS LE CHEF 2

[112]       IMPOSE à l’intimé une radiation temporaire de trois mois.

SOUS LE CHEF 3

[113]       IMPOSE à l’intimé une radiation temporaire de trois mois.

[114]       ORDONNE que les périodes de radiation temporaire imposées dans le cadre de la présente décision soient purgées concurremment, et ce, à compter de l’éventuelle réinscription au tableau de l’intimé.

[115]       ORDONNE la publication d’un avis de la décision dans un journal conformément aux dispositions du septième alinéa de l’article 156 du Code des professions à compter de l’éventuelle réinscription au tableau de l’intimé, et ce, aux frais de ce dernier.

[116]       CONDAMNE l’intimé au paiement de tous les déboursés prévus par le quatrième alinéa de l’article 151 du Code des professions.

[117]       ACCCORDE à l’intimé un délai de 12 mois à compter de la date d’exécution de la présente décision pour acquitter les frais de publication de l’avis de la décision et les déboursés.

 

__________________________________

Me GEORGES LEDOUX

Président

 

 

__________________________________

Mme BRIGITTE CÔTÉ, T.S.

Membre

 

 

__________________________________

Mme SONIA GILBERT, T.S.

Membre

 

Me Marie-Christine Bourget

Avocate de la plaignante

 

Me Sophie Brochu

Me Maryska Garon

Avocates de l’intimé

 

Date d’audience :

19 mai 2022

 


[1]  Pièce P-1.

[2]  Pièces SP-1 à SP-9.

[3]  Pièce SP-9.

[4]  Pièce SP-1.

[5]  Pièces SP-2 à SP-8.

[6]  Pièce SP-3.

[7]  Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux (Ordre professionnel des) c. Bouchard, 2016 CanLII 42935 (QC OTSTCFQ); Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Bussières, 2020 QCCDINF 18; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Vincent, 2022 QCCDIA 3; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Nadeau, 2020 QCCDIA 6; Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c St-Gelais, 2014 CanLII 73642 (QC CDOII); Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Deschênes, 2021 QCCDINF 33.

[8]  Blondeau c. R. 2018 QCCA 1250.

[9]  Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), 2014 QCTP 5.

[10]  Dumont c. R., 2013 QCCA 576; Gagné c. R., 2011 QCCA 2387.

[11]  Langlois c. Dentistes (Ordre professionnel des), 2012 QCTP 52.

[12]  Pharmaciens (Ordre professionnel de) c. Vincent 2019 QCTP116.

[13]  R. c. AnthonyCook, 2016 CSC 43.

[14]  R. c. Binet, 2019 QCCA 669.

[15]  R. v. Belakziz, 2018 ABCA 370.

[16]  R. c. AnthonyCook, supra, note 13.

[17]  R. c. Binet, supra, note 14.

[18]  Ibid., paragr. 19.

[19]  R. c. AnthonyCook, supra, note 13, paragr. 5 et 32; Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), supra, note 9; Gauthier c. Médecins (Ordre professionnel des) 2013 QCTP89; Boivin c. R., 2010 QCCA 2187.

[20]  R. c. AnthonyCook, supra, note 13, paragr. 36.

[21]  Chan c. Médecins (Ordre professionnel des), supra, note 9.

[22] Travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux (Ordre professionnel des) c. Bouchard, 2016 CanLII 42935 (QC OTSTCFQ); Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Bussières, 2020 QCCDINF 18; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Vincent, 2022 QCCDIA 3; Infirmières et infirmiers auxiliaires (Ordre professionnel des) c. Nadeau, 2020 QCCDIA 6; Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c St-Gelais, 2014 CanLII 73642 (QC CDOII); Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des) c. Deschênes, 2021 QCCDINF 33.

[23]  R. c. Pham, 2013 CSC 15, paragr. 6 et suivants.

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