Décision

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Gabarit EDJ

R. c. Jean-Gilles

2018 QCCQ 828

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

505-01-142281-167

 

DATE :

22 février 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MONSIEUR LE JUGE PIERRE BÉLISLE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Poursuivante

 

c.

 

KARIM JEAN-GILLES

 

Accusé

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1.         Introduction

[1]       Monsieur Karim Jean-Gilles (accusé) fait face à une accusation d’avoir par négligence criminelle, causé des lésions corporelles à X, âgée de 7 ans, suivant l’article 221 C. cr.

[2]       L’événement s’est produit le 20 septembre 2015 au parc Marquise, à Brossard, où la victime a été agressée par un chien Pitbull, propriété de l’accusé.

[3]       La poursuite a fait entendre 12 témoins en preuve principale. L’accusé n’a ni témoigné ni présenté de témoins au soutien de sa défense.

2.         Contexte factuel

[4]       Le 20 septembre 2015, vers 14 h 30, Mme M... B... (mère de la victime) se rend au parc Marquise en compagnie de ses deux filles X (7ans) et Y (5 ans). Elle aperçoit une dame âgée (Mme Parker, mère de l’accusé) avec deux chiens qui se promènent autour d’elle. Elle lui demande pourquoi ils ne sont pas attachés et n’obtient aucune réponse.

[5]       Soudainement, les chiens se mettent à japper et à grogner. Mme Parker n’a aucun contrôle sur eux. Les jeunes filles ont peur et partent à courir, l’une vers la droite, l’autre vers la gauche. L’un des chiens, prénommé « Ashes », saute sur X. Mme Parker saisit une branche et frappe le chien. X s’enfuit. Le chien la rattrape et la mord brutalement au visage, au cou et aux mains. Puis, sa mère se couche sur sa fille pour tenter de la protéger. L’accusé arrive rapidement sur les lieux. Il a eu beaucoup de difficulté à maîtriser son animal.

[6]       Les blessures et les séquelles subies par la victime sont sérieuses : multiples lacérations au visage, main, cou, multiples fractures du massif facial et de la base du crâne, main droite et mâchoire fracturées, nerfs et muscles déchirés, paralysie faciale et autres lésions détaillées dans le dossier médical de l’Hôpital Ste-Justine (P-1). Les photos produites en preuve montrent le côté gauche du visage ravagé par l’agression violente (P-2).

3.         Position des parties

[7]       La poursuite soutient avoir démontré hors de tout doute raisonnable les éléments de l’infraction de négligence criminelle causant des lésions corporelles par omission.

[8]       L’accusé n’a présenté aucune défense. Durant sa plaidoirie, il mentionne qu’il n’a pas voulu qu’une telle situation se produise. Il plaide qu’on doit respecter les choix de vie privée des citoyens et insinue que les chiens ont peut-être été provoqués.

4.         Analyse et discussion

[9]       Pour obtenir une condamnation, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l’infraction de négligence criminelle causant des lésions corporelles, à savoir :

1)        l’omission de faire quelque chose qu’il était du devoir de l’accusé d’accomplir (al. 219(1) b) C. cr.);

2)        en omettant d’accomplir son devoir ou son obligation légale, il a montré une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui (al. 219.(1) b) C. cr.); et que

3)        le comportement de l’accusé a causé des lésions corporelles à la victime (art. 221 C. cr.).

[10]    Pour l’application de l’article 219 C. cr., le terme « devoir » désigne une obligation légale imposée par la loi, laquelle réfère à la fois à une loi fédérale et à « l’ensemble des dispositions législatives adoptées par quelqu’autorité compétente que ce soit et qui régissent la vie en société [1]» ainsi qu’à la common law qui oblige un citoyen à prendre des mesures raisonnables de prudence dans l’accomplissement d’un acte susceptible d’être dangereux pour la sécurité d’autrui : R. v. Coyne, [1958] N.B.J. No. 11, Regina v. Fortin (1958), 29 C.R. 28, p. 33, Regina v. Salmon (1880), 6 Q.B.D. 79, p. 83.

4.1            L’omission reprochée

[11]    La poursuite a établi que l’accusé avait l’obligation légale de se conformer au Règlement municipal de la ville de Brossard relatif au contrôle des animaux et qu’il ne s’en est pas acquitté.

[12]    Les articles 17, 18 et 21 du Règlement no REG-219 (P-9), chapitre 3, concernant les règles relatives à la garde et au contrôle des animaux, sont rédigés ainsi :

17.       Le gardien doit avoir, en tout temps, la capacité physique de retenir son chien et de le maîtriser pour que celui-ci ne lui échappe pas. [REG-245, a. 2 (2013-05-01]

18.       Dans les endroits publics à l’exception des aires d’exercices canins, tout chien doit être conduit au moyen d’une laisse d’une longueur maximale de 1,85 mètre, incluant la poignée.

Cette laisse et le collier doivent être de matériaux suffisamment résistants, compte tenu de la taille et du poids de l’animal, pour permettre à son gardien de le maîtriser en tout temps. [REG-245, a. 3 (2013-05-01]

21.       Sur la propriété de son gardien, un chien doit être gardé selon l’une des manières suivantes :

1o      dans un bâtiment d’où il ne peut sortir;

2o      dans un enclos fermé dont les clôtures l’empêchent d’en sortir et qui sont en tout temps dégagées de neige ou de matériaux permettant à l’animal de les escalader;

3o      attaché à un poteau au moyen d’une chaîne ou d’une corde de fibre métallique ou synthétique;

Le poteau, la chaîne ou la corde et l’attache doivent être d’une taille et d’une résistance suffisantes pour empêcher l’animal de s’en libérer. La longueur de la chaîne ou de la corde ne doit pas lui permettre de s’approcher à moins de deux mètres d’une limite du terrain qui n’est pas séparée du terrain adjacent par une clôture. S’il s’agit d’un terrain accessible par plusieurs occupants, la chaîne ou la corde et l’attache ne doivent pas lui permettre de s’approcher à moins de deux mètres d’une allée ou d’une aire commune. [REG-245, a, 4 (2013-05-01]

[13]    L’article 53 du Règlement REG-219, édicte que « [l]e gardien d’un animal est responsable de toute infraction au présent règlement commise par son animal ».

[14]    En l’espèce, l’accusé a manqué à tous ses devoirs légaux. Il ne s’est acquitté d’aucune de ces obligations imposées par la loi.

[15]    La preuve a démontré que les chiens de l’accusé n’avaient ni laisse ni collier lors de l’événement en cause, au parc Marquise. De plus, quatre voisins ont relaté avoir vu ses chiens errer ou se promener sans surveillance dans la rue ou sur un terrain sans collier ni laisse. Je réfère aux témoignages de M. Guy De Tonancour, Mme Michèle Lemay, Mme Linda St-Jean et M. Neil Alexander. Mme St-Jean a même constaté que le chien « Ashes » se trouvait à l’intérieur de sa résidence lors son arrivée en soirée après avoir participé à un tournoi de golf. Elle a dû le reconduire chez l’accusé en l’informant qu’il s’était encore sauvé. Puis, le 5 mai 2015, M. Alexander a vu son chien se faire agresser par ses deux chiens sans laisse ni collier. Il lui a dit qu’ils ne devaient pas être « lousses ». L’accusé a rétorqué : « Fuck off, mêle-toi de tes affaires ». Son chien a subi des blessures à la tête et à l’œil (P-14 en liasse) qui ont nécessité une chirurgie pratiquée par un vétérinaire au coût de 451,88 $ (P-15).

[16]    Mme Stéphanie Daigle, commis aux finances à la ville de Brossard, a rapporté que l’accusé était propriétaire de deux chiens pour lesquels il avait enregistré deux certificats de licence en 2013 pour « Jordan », no 13-1664, et en 2014 pour « Ashes », no 14-1593.

[17]    De plus, en tant que propriétaire et gardien de ses chiens, l’accusé a reçu plusieurs constats pour diverses infractions en contravention du Règlement municipal REG-219, soit :

-               le fait pour un animal d’attaquer ou de mordre une personne ou un animal (art. 34.5);

-               omission de garder un chien sur la propriété de son gardien (art. 21);

-               propriétaire d’un chien et ne pas l’avoir tenu en laisse dans un parc (art. 8).

[18]    Dans tous ces cas, l’accusé a enregistré des plaidoyers de non-culpabilité. Au procès, il a été déclaré coupable par défaut. Par la suite, il a pris des ententes de paiement avec la ville de Brossard qui ont été respectées.

[19]    Au surplus, l’accusé a contrevenu à l’art. 17 du Règlement REG-219 en laissant la garde de ses chiens à sa mère âgée qui n’avait pas la capacité physique de les retenir pour qu’ils ne lui échappent pas surtout qu’ils ne portaient pas de collier et qu’elle n’avait pas de laisse pour les maîtriser.

[20]    Par conséquent, la poursuite a démontré hors de tout doute raisonnable que l’accusé ne s’est pas conformé à ses obligations imposées par la réglementation municipale en vigueur.

4.2            L’insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui

[21]    Afin d’établir que l’accusé a montré une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui, la poursuite doit démontrer :

1)        que le comportement de l’accusé constituait un écart marqué et important (R. c. J. F., 2008 CSC 60) par rapport au comportement d’une personne placée dans les mêmes circonstances (R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3, paragr. 139); et

2)        qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait prévu que ce comportement posait un risque à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui (R. c. J. F., précité, paragr. 9).

[22]    L’état de lieux est totalement non sécuritaire et ne répond pas aux prescriptions de la réglementation municipale. Contrairement aux exigences du paragr. 21(2) du Règlement REG-219 de la ville de Brossard, aucune disposition n’a été prise par l’accusé pour construire un enclos fermé dont les clôtures empêchent les chiens de s’échapper, et ce, même s’il a été condamné pour ne pas s’y être conformé.

[23]    Mme Linda St-Jean, voisine immédiate de l’accusé, a relaté qu’il n’y avait qu’une haie de feuillus pour servir de clôture avec un trou béant par où les chiens sortaient régulièrement. Le croquis des lieux montre aussi un bac de recyclage couché attenant à la maison pour servir de barrière (P-11).

[24]    Un mois avant l’événement en cause, Mme St-Jean a entendu un cri. Le chien de l’accusé s’en prenait au chien d’une dame qui se promenait. L’accusé a pris 10 minutes pour aller le récupérer. Une autre voisine, Mme Michèle Lemay, a dû attendre dans son véhicule que les deux chiens, errant dans la rue, quittent les lieux avant de rentrer chez elle. Le 5 mai 2015, M. Neil Alexander a vu les deux chiens attaquer le sien. Lorsque l’accusé est intervenu, il l’a insulté alors que son chien était maculé de sang.

[25]    Plusieurs incidents de cette nature se sont produits dans le voisinage de l’accusé qui n’a rien fait pour empêcher que cela se reproduise. Il avait la charge et la responsabilité de ses animaux et ne s’en est guère préoccupé. Ni chaîne, ni collier, ni clôture, ni muselière, rien n’a été fait pour sécuriser les lieux. En omettant à de multiples reprises de respecter ses obligations légales, force est de constater que l’accusé est une personne irresponsable qui se moque éperdument de la loi et de la sécurité d’autrui.

[26]    L’accusé savait que ses chiens étaient dangereux. Il en a tout de même laissé la garde à sa mère qui n’avait aucun contrôle sur eux. Il avait la connaissance d’un risque grave pour la sécurité d’autrui. Il était conscient du danger et n’a rien fait pour l’écarter ou a refusé délibérément de s’en soucier. Ce faisant, l’accusé a montré une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Sa conduite constitue un écart marqué et important par rapport au comportement d’une personne placée dans les mêmes circonstances. Une personne raisonnable aurait été consciente du risque à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

[27]    En somme, l’accusé aurait dû prévoir les conséquences de son inaction. Il connaissait le potentiel de dangerosité de ses chiens de type Pitbull et n’a pas pris les mesures qui s’imposent pour les contrôler.

[28]    Par ailleurs, dans les décisions soumises par la poursuite, les juges de première instance ont conclu à la culpabilité des accusés qui avaient failli à leur obligation de contrôler des chiens qui avaient une propension à l’agressivité : R. v. Mayerhofer, [1983] B.C.J. No  923; R. v. Gallagher, [1985] B.C.J. No 346; R. v. Hough, [1987] B.C.J. No 2860; R. v. McEachen, [1988] B.C.J. No 1235;  R. c. Zeitner, 1991 CanLII 1805 (BC CA).

[29]    En fonction d’une norme objective, je conclus que la « conduite de l’accusé révèle une dérogation marquée et importante à ce que l’on est en droit d’attendre d’une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances » : R. c. Anderson, 1990 CanLII 128, [1990] 1 R.C.S. 265.

4.3            Le comportement de l’accusé a-t-il causé des lésions corporelles à la victime?

[30]    Il ne fait aucun doute que la victime a subi des lésions corporelles et que le comportement de l’accusé y a contribué de manière importante : R. c. Nette, 2001 CSC 78, [2001] 3 R.C.S. 488. En fait, il n’y a aucune différence entre laisser les chiens errer à leur guise sans aucun contrôle et les confier à une personne totalement inapte à les surveiller adéquatement.

[31]    La conduite insouciante et téméraire de l’accusé a contribué « de façon appréciable[2] » aux lésions même s’il n’en est pas la seule cause, sa mère ayant amené les chiens au parc Marquise. Il importe peu de savoir qui a sorti les chiens de la résidence. La preuve a cependant établi que l’accusé était à proximité des lieux, puisqu’il est arrivé moins de deux minutes après l’agression. On peut inférer raisonnablement qu’il était chez lui. Il ne pouvait laisser la garde de ses chiens dangereux à sa mère qui était incapable de les contrôler et de les maîtriser en cas de besoin.

5.         La plaidoirie de l’accusé

[32]    L’accusé n’a pas témoigné au soutien de sa défense. En argumentation, il prétend que les chiens ont peut-être été provoqués.

[33]    Cet argument est sans fondement.

[34]    La preuve a révélé que les enfants ont eu peur et qu’ils n’ont provoqué d’aucune façon les chiens dans le parc. Le sens commun veut que lorsqu’une personne se présente dans un parc public accompagnée de chiens dangereux ou non, ceux-ci doivent être sous le contrôle de leur maître. D’ailleurs, à l’entrée du parc, un pictogramme signale qu’ils doivent être tenus en laisse. L’accusé ne peut se disculper en transférant sa responsabilité de gardien sur les épaules des enfants et de leur mère.

6.         Conclusion

[35]    En résumé, l’examen de l’ensemble de la preuve ne suscite aucun doute dans mon esprit et me convainc que la culpabilité de l’accusé a été établie hors de tout doute raisonnable sur l’infraction reprochée.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[36]    DÉCLARE l’accusé coupable de l’accusation de négligence criminelle causant des lésions corporelles à la victime alléguée à la dénonciation.

 

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PIERRE BÉLISLE, J.C.Q.

Me Claudie Gilbert

Procureure aux poursuites criminelles et pénales

Pour la poursuivante

 

Karim Jean-Gilles

Pour lui-même

Dates d’audience :

19 et 20 février 2018

 



[1] R. c. St-Germain, [1976] J.Q, 105, paragr. 56.

[2] R. c. Maybin, 2012 CSC 24, paragr. 5.

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