R. c. J.C. | 2025 QCCQ 10 |
COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
DISTRICT DE | SAINT-HYACINTHE |
Chambre criminelle et pénale |
N° : | 750-01-055193-195 750-01-057854-208 |
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DATE : | 9 janvier 2025 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | CHRISTIAN JARRY, J.C.Q. |
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SA MAJESTÉ LE ROI |
Poursuivant |
c. |
J... C... |
Contrevenant |
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DÉTERMINATION DE LA PEINE
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AVERTISSEMENT : En conformité avec l’article 486.4 du Code criminel, une ordonnance interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime est en vigueur.
- À une certaine époque, la vie familiale de J... C... était au beau fixe.
- En 2009, en couple avec une conjointe depuis plusieurs années, il acquiert une maison.
- Puis, en 2010, sa conjointe donne naissance à leur fille.
- C’était l’époque des beaux jours. Mais peu après, la relation conjugale commence à se dégrader.
- Éventuellement, l’infidélité s’installe dans le couple.
- Lors d’une relation extraconjugale, un des partenaires s’infecte de l’herpès, puis le transmet à l’autre.
- La dégradation de la relation devenant ensuite irrécupérable, le couple se sépare.
- L’histoire aurait pu en rester là, mais hélas il n’en est rien.
- L’enfant du couple, X, souffre d’infections urinaires à répétition. De la crème protectrice doit lui être appliquée régulièrement aux parties génitales.
- Il arrive que son père, le contrevenant, s’en charge.
- Là encore, l’histoire aurait pu en rester là. Mais une fois de plus, la réalité est tout autre.
- À l’occasion de l’application de cette crème, le contrevenant s’adonne à des agressions sexuelles sur sa fille. Elle a alors entre 6 et 8 ans.
- À une quinzaine de reprises, il frotte son pénis sur la vulve de sa fille[1] ou reçoit une fellation de celle-ci contre le gré de cette dernière. La plupart du temps, il éjacule.
- Mais le pire est encore à venir. Par suite de ces agressions sexuelles, le contrevenant transmet l’herpès à sa fille.
- Le diagnostic de l’herpès précipite l’intervention de la Direction de la protection de la jeunesse (« DPJ ») dans la famille du contrevenant.
- Dans le cadre de procédures judiciaires découlant de l’intervention de la DPJ, la mère est surprise de constater que le contrevenant a connaissance de conversations électroniques privées qu’elle a eues avec un tiers.
- Une perquisition dans le matériel informatique du contrevenant est donc menée et révèle qu’il utilisait les mots de passe de son ex-conjointe pour accéder à ses comptes de réseaux sociaux et ainsi prendre connaissance des communications privées qu’elle avait avec d’autres personnes.
- Cette perquisition révèle en outre la présence, dans l’ordinateur du contrevenant, de 1543 fichiers animés et graphiques de pornographie juvénile, montrant des enfants de 4 à 14 ans impliqués dans des activités sexuelles. Certains fichiers remontaient à 2017, soit avant la séparation du couple.
- Le contrevenant a été déclaré coupable au terme d’un procès d’agression sexuelle causant des lésions corporelles et d’agression sexuelle[2].
- Dans un dossier distinct, il a plaidé coupable, après avoir échoué à faire exclure la preuve, d’avoir intercepté des communications privées de son ex-conjointe et d’avoir possédé de la pornographie juvénile.
- Les deux dossiers ont été réunis aux fins de la détermination de la peine. Il s’agit donc de déterminer la peine juste et appropriée pour sanctionner ces transgressions.
- Les faits pour lesquels une peine doit être imposée au contrevenant ont été exposés sommairement plus haut : une quinzaine d’agressions sexuelles sur sa fille, dont au moins une durant laquelle il l’a infectée de l’herpès. Ce virus engendre une maladie incurable et constitue les lésions corporelles causées à la victime. La possession de plus de 1 500 fichiers de pornographie juvénile et l’interception de communications privées doivent aussi être sanctionnées.
- Une preuve a été produite au stade de la détermination de la peine.
- La victime a décrit les conséquences engendrées par la commission du crime.
- X, aujourd’hui âgée de 14 ans, déclare qu’en raison des agressions subies, elle ressent maintenant de la peur à l’idée d’avoir des contacts physiques avec les autres, a de la difficulté à comprendre la notion d’espace personnel et ne sait pas comment agir avec les personnes de son entourage. Elle vit régulièrement des crises d’anxiété, crie et peut même devenir agressive envers autrui ou elle-même. Elle consulte une psychologue hebdomadairement.
- Ses études sont affectées par ses difficultés à se concentrer. Ses relations amoureuses le sont aussi en raison de ses difficultés à s’accepter comme elle est.
- Évidemment, son infection à l’herpès l’affecte beaucoup. Elle doit prendre une médication et elle entrevoit des difficultés dans ses relations amoureuses futures lorsqu’elle devra dévoiler sa condition à ses partenaires. Elle devra soit révéler avoir été agressée par son père, soit inventer une histoire pour expliquer le fait qu’elle soit porteuse de ce virus.
- Enfin, X explique qu’elle craint son père. Lors du verdict de culpabilité, elle a eu peur qu’il vienne s’en prendre à elle. Lors de ses présences au tribunal, elle est anxieuse à l’idée de le croiser. Lorsqu’elle est chez sa grand-mère, la mère de son père, elle appréhende qu’il s’y présente. Elle craint non seulement pour sa propre sécurité, mais aussi que son père s’en prenne à d’autres personnes, peut-être même à sa mère.
- Une expertise sexologique et un rapport présentenciel ont été préparés concernant le contrevenant.
- Élevé au sein d’une famille conventionnelle, le contrevenant a reçu une scolarité adéquate, mais a subi une agression sexuelle de la part d’un proche venu le garder. Les rédacteurs des rapports n’établissent pas de parallèle entre cette agression et les crimes dont il s’est rendu coupable plus de 30 ans plus tard.
- En ce qui concerne les agressions sexuelles sur sa fille, le contrevenant maintient son innocence, affirmant l’avoir toujours respectée et en avoir pris soin correctement. Le contrevenant n’est donc d’aucune façon dans la reconnaissance de ses actes et la responsabilisation face à ceux-ci. Au contraire, il demeure dans la justification, la rationalisation et la négation.
- Eu égard aux interceptions de communications privées, le contrevenant s’en félicite, alors qu’il explique avoir voulu accéder aux conversations de son ex-conjointe avec son nouvel amoureux dans le but de protéger sa fille, qui rendait visite à sa mère occasionnellement après leur rupture.
- À l’occasion de ces visites, il pouvait arriver que X dorme dans le même lit que sa mère et son conjoint. Inquiet de cette situation, le contrevenant affirme avoir demandé à un ami féru d’informatique d’accéder à l’adresse IP de ce nouveau conjoint. Celui-ci aurait acquiescé à sa demande et découvert, dans l’ordinateur du conjoint, de la pornographie juvénile. Le contrevenant aurait alors demandé d’en recevoir copie dans le but de s’assurer que sa fille ne s’y trouvait pas.
- La possession de pornographie juvénile par le contrevenant s’inscrirait donc dans un souci de protection de sa fille. Il est par ailleurs incapable d’expliquer la présence de certains fichiers qui remontaient à 2017, soit avant la séparation du couple, ce qui fait dire à l’autrice du rapport présentenciel que l’explication du contrevenant est « tout aussi farfelue qu’invraisemblable »[3]. Je partage son point de vue.
- L’hypothèse de l’auteur de l’expertise sexologique est beaucoup plus plausible : « à la suite des premières agressions sexuelles sur sa fille (2016), il a désiré nourrir ses fantaisies sexuelles déviantes par le visionnement de fichiers d’enfants exploités sexuellement (pornographie juvénile) retrouvés sur Internet. Ceci expliquerait les fichiers datés de 2017. »[4]
- Quant à l’aspect criminologique, l’auteur de l’expertise sexologique conclut à un pointage de 2 sur une échelle de 0 à 5 au SSPI-2 visant à vérifier la présence d’intérêts sexuels de nature pédophilique. Un tel pointage ne suggère pas la présence d’intérêts de cette nature.
- De façon similaire, le contrevenant obtient un score de 2 sur 5 à la Statique-99R, à savoir un niveau de risque sous la moyenne d’être accusé ou déclaré coupable d’une autre infraction sexuelle. Il s’agit néanmoins d’un certain risque de récidive, considérant que le risque très faible équivaut au niveau I alors que le contrevenant relève du niveau II.
- Enfin, sur l’échelle Stable-2007, le contrevenant affiche un niveau modéré en matière de densité des besoins criminogènes.
- Les parties s’entendent qu’une longue peine de pénitencier est nécessaire.
- La poursuite recommande une peine d’un peu plus de 14 ans, constituée de peines consécutives de 12 ans pour les agressions sexuelles[5], deux ans pour la possession de pornographie juvénile et quatre mois pour les interceptions de communications privées.
- Le contrevenant croit qu’une peine de sept à huit ans est suffisante pour les agressions sexuelles[6], qu’une peine consécutive de six mois sanctionnerait adéquatement la possession de pornographie juvénile et que les interceptions de communications privées ne nécessitent pas une peine d’emprisonnement.
- La détermination de la peine n’est pas une science exacte.
- Il s’agit d’un exercice discrétionnaire qui amène le Tribunal à soupeser différents facteurs de détermination de la peine et à donner à chacun le poids qu’il estime approprié en fonction des facteurs aggravants et atténuants, eux aussi sujets à une importance qu’il revient au juge d’apprécier.
- Bien que l'objectif général de toute peine est de contribuer, parallèlement à d'autres initiatives, à la prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d'une société paisible par l’imposition de sanctions justes, chaque peine vise de façon plus pointue plusieurs objectifs précis :
- la dénonciation du comportement illégal et du tort causé par le contrevenant;
- la dissuasion générale et individuelle;
- l’isolement, au besoin, du contrevenant;
- sa réinsertion sociale;
- la réparation des torts causés à la collectivité; et
- la prise de conscience par le contrevenant de ses responsabilités.
- Le principe fondamental de la détermination de la peine est qu’elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du contrevenant[7]. Lors de la détermination de la peine, le tribunal doit éviter l’imposition d’une peine excessive, examiner les sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient ainsi que les mesures substitutives raisonnables.
- Il faut aussi, dans la mesure du possible, chercher à harmoniser la peine avec celles infligées à d’autres contrevenants pour des infractions semblables, tout en s’assurant qu’elle soit individualisée[8]. Il s’agit du principe de parité ou d’harmonisation des peines, selon lequel « des délinquants semblables ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables devraient recevoir des peines semblables »[9]. Ce principe fait partie de ceux dont le juge doit tenir compte en exerçant son pouvoir discrétionnaire, car « [l]es tribunaux ne peuvent déterminer une peine proportionnée en se fondant uniquement sur des principes de base, mais doivent plutôt “calibre[r] les exigences de la proportionnalité en regard des peines infligées dans d’autres cas” »[10].
- Bien que les principes de détermination de la peine énoncés plus haut s’appliquent en toute matière, des considérations particulières s’appliquent lorsqu’il s’agit de sanctionner la commission de crimes de nature sexuelle sur des personnes mineures.
- Parmi les objectifs de détermination de la peine mentionnés sous la rubrique précédente, il revient habituellement au juge de choisir celui ou ceux au(x)quel(s) il donnera préséance. Or, lors de la détermination de la peine visant à sanctionner la commission d’une infraction sexuelle à l’endroit d’une personne de moins de 18 ans, il en va autrement. En effet, l’art. 718.01 C.cr. requiert du tribunal qu’il accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement[11]. Le législateur oblige d’ailleurs le juge qui détermine la peine à considérer ce fait comme une circonstance aggravante[12].
- Ces obligations législatives limitent dès lors le pouvoir discrétionnaire du juge qui détermine la peine, de sorte qu’il ne lui est plus loisible d’accorder une importance équivalente ou plus grande à d’autres objectifs, par exemple la réhabilitation ou la réinsertion sociale. Cela étant, bien qu’il soit obligatoire d’accorder la priorité à la dissuasion et à la dénonciation, je conserve néanmoins le pouvoir discrétionnaire d’accorder un poids, qui selon les circonstances peut même être important, à d’autres facteurs pour en arriver à une peine juste, de façon à respecter le principe général de la proportionnalité[13]. En définitive, « il incombe au tribunal d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, ce qui affecte donc forcément l’exercice de pondération auquel il doit se livrer aux fins de déterminer la peine »[14].
- Cela étant, la Cour suprême enseigne dans Friesen qu’au cœur du principe de la proportionnalité en matière d’abus sexuel contre un enfant ou un adolescent, se trouvent deux considérations qui ont une incidence sur la gravité de l’infraction et sur le degré de responsabilité du contrevenant. Il s’agit du caractère hautement répréhensible de tels agissements d’une part et la grande nocivité de ces abus d’autre part[15].
- Notons ici que les enseignements de l’arrêt Friesen relatifs aux abus sexuels contre un enfant visent évidemment les agressions sexuelles ou les contacts sexuels à leur endroit, mais aussi les crimes n’impliquant pas de contact direct entre le contrevenant et la victime, tels le leurre[16] ou les crimes relatifs à la pornographie juvénile, comme la possession de tel matériel en cause ici[17].
- En rappelant l’importance de la dissuasion générale, de la réprobation de la société et de la dénonciation que doivent véhiculer les peines imposées aux contrevenants ayant commis des infractions d’ordre sexuel contre des personnes mineures, la Cour suprême envoie dans Friesen un message clair et prescrit en toutes lettres le prononcé de peines plus sévères pour ce genre de crime[18].
- Pour bien marquer le point, la Cour suprême a d’ailleurs réitéré la directive dans l’arrêt Bertrand Marchand, précisant que « les peines infligées pour des infractions comportant de la violence sexuelle contre des enfants doivent généralement être alourdies afin de refléter la conception moderne qu’a la société de telles infractions et du choix du Parlement d’alourdir les peines associées à ces crimes »[19].
- Une peine doit être imposée pour trois actes délictuels distincts : les agressions sexuelles, la possession de pornographie juvénile et les interceptions de communications privées.
- Concernant les agressions sexuelles et la possession de pornographie juvénile, les parties conviennent que des peines d’emprisonnement consécutives sont requises. Cette position commune est bien fondée considérant les propos de la Cour d’appel selon lesquels « la règle générale veut que les infractions étroitement liées au point de constituer un incident criminel unique puissent, sans que cela soit obligatoire, donner lieu à des peines concurrentes, et que toutes les autres infractions doivent donner lieu à des peines consécutives »[20]. Les agressions sexuelles et la possession de pornographie juvénile ne sont pas un incident criminel unique et ne peuvent donc pas donner lieu à des peines concurrentes.
- Il est donc nécessaire de procéder à un examen distinct de chaque infraction dans le but de déterminer la peine juste qui lui est applicable.
a. Les agressions sexuelles
- La gravité des infractions et le degré de responsabilité du contrevenant étant tributaires de la gravité objective et subjective, il convient de les examiner.
- Le contrevenant a été déclaré coupable d’agression sexuelle infligeant des lésions corporelles à une victime de moins de 16 ans contrairement à l’alinéa 272(2)a.2) C.cr. et d’agression sexuelle sur une victime de moins de 16 ans, contrairement à l’alinéa 271a) C.cr. Il a été déclaré coupable des deux accusations compte tenu de l’impossibilité de déterminer laquelle des agressions sexuelles a, dans les faits, mené à la transmission de l’herpès. Il y a donc eu une ou plus d’une agression sexuelle causant des lésions corporelles et celles où le virus n’a pas été transmis sont des agressions sexuelles dites « simples ».
- La gravité objective de chaque infraction est très élevée.
- Dans le premier cas, la peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité, la peine la plus lourde du Code criminel. Le législateur a assorti cette infraction d’une peine minimale d’emprisonnement de cinq ans, mais elle a été invalidée dans l’arrêt Trottier[21]. Cela n’a pas d’incidence ici, considérant la position des deux parties selon laquelle la peine appropriée excède cinq ans.
- Dans le second cas, la peine maximale est de 14 ans d’emprisonnement, la peine minimale étant d’un an. Il s’agit de la seconde peine maximale la plus sévère prévue par le législateur. Quant à la peine minimale, elle demeure applicable au Québec, considérant que dans chaque affaire où elle a été contestée, la peine appropriée était égale ou supérieure à la peine minimale[22]. À tout événement, la peine minimale est d’une pertinence limitée ici considérant la position des parties suivant laquelle la peine juste excède de beaucoup la peine minimale. L’agression sexuelle d’une personne de moins de 16 ans est cependant objectivement plus grave que celle d’une personne dont l’âge atteint ou dépasse ce seuil.
II. La gravité subjective
- Contrairement à la gravité objective d’une infraction qui dépend essentiellement de la peine que le Parlement lui a associée, sa gravité subjective relève des circonstances dans lesquelles elle est commise, incluant la façon de commettre l’infraction et les caractéristiques du contrevenant.
- La gravité subjective est ainsi tributaire des circonstances aggravantes et atténuantes. C’est en fonction de celles-ci que la véritable gravité des infractions, ainsi que le degré de responsabilité du contrevenant, qui sont les étalons d’une peine juste et proportionnelle, peuvent être fixés. Les facteurs tenus en compte dans l’identification des circonstances aggravantes et atténuantes reprennent ceux identifiés dans l’arrêt L.(J.‑J.).[23]
- Au chapitre des circonstances aggravantes, il y a lieu de mentionner :
- le mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans, circonstance aggravante codifiée à l’alinéa 718.2a)(ii.1) C.cr. Je n’ignore pas que le fait que la victime ait moins de 16 ans est un élément constitutif de l’infraction d’agression sexuelle causant des lésions corporelles prévue à l’alinéa 272(2)a.2) C.cr. qui prévoit une peine plus lourde en pareille circonstance[24]. Bien qu’en principe on ne doive pas considérer comme aggravant ce qui est un élément constitutif d’une infraction[25], les Cours d’appel de l’Ontario et de la Colombie‑Britannique[26] ont déterminé qu’en ce qui concerne une circonstance aggravante codifiée par le législateur comme celle dont il est ici question, elle peut être considérée nonobstant le fait qu’elle est aussi un élément de l’infraction;
- le fait que l’infraction constitue un abus de confiance et d’autorité, autre circonstance aggravante codifiée, celle-là à l’alinéa 718.2a)(iii) C.cr. Le législateur y mentionne à la fois l’abus de confiance et d’autorité comme facteurs aggravants. Ici, les deux types d’abus sont présents. En tant que fille du contrevenant, X lui faisait confiance en le laissant lui appliquer la crème que sa condition nécessitait. Il a trahi cette confiance de la pire des façons. Par ailleurs, comme détenteur de l’autorité parentale, le contrevenant a sans aucun doute abusé de cette autorité. Les abus de confiance et d’autorité peuvent varier en intensité selon les faits de chaque dossier. Lorsque, comme ici, le contrevenant est le père de la victime, ces abus sont de la plus grande intensité;
- l’âge de la victime, qui avait entre 6 et 8 ans au moment des agressions. Il ne s’agit pas d’un double emploi avec la première circonstance aggravante identifiée ci-haut. En effet, dès que la victime a moins de 18 ans, la circonstance aggravante identifiée par le législateur s’applique[27]. En revanche, plus la victime est jeune, plus le crime est répugnant et plus il est grave[28]. L’âge véritable de la victime peut donc s’ajouter à titre de circonstance aggravante, laquelle aura plus ou moins d’importance selon que l’âge s’écarte beaucoup ou peu du seuil des 18 ans, puisqu’« un mauvais traitement envers une très jeune personne commande une dénonciation à la mesure de la gravité, en principe accrue, du comportement criminel d’un adulte faisant fi d’une règle de conduite s’imposant à l’évidence »[29]. Ici, je considère que l’écart d’âge de la victime avec l’âge de la majorité est important et qu’il s’agit d’une circonstance aggravante qui a un poids prépondérant;
- l’écart d’âge entre la victime et le contrevenant[30]. Celui-ci était dans la trentaine lorsqu’il a commencé à abuser de sa fille qui n’avait alors que 6 ans;
- le fait que l’infraction a eu un effet important sur la victime en raison de sa situation personnelle, circonstance aggravante codifiée à l’alinéa 718.2a)(iii.1) C.cr. Étant la fille du contrevenant, X explique être dans un état d’anxiété constant à l’idée de croiser son père. Cela aggrave le crime;
- la répétition des gestes à caractère sexuel. Il s’agit ici d’une quinzaine d’agressions sexuelles;
- la durée des incidents sexuels qui se sont étalés sur une période d’environ deux ans;
- le caractère attentatoire des gestes sexuels posés, qui sont des fellations et des contacts péniens à la vulve. S’il est exact que les gestes moins attentatoires sont tout aussi nocifs et doivent être dénoncés avec la même vigueur[31], il faut reconnaître que des gestes plus envahissants sont nécessairement plus graves[32];
- le fait que les contacts sexuels ont eu lieu chez la victime et même, pour certains d’entre eux, dans son propre lit[33]. Même s’il s’agissait de la résidence familiale, et donc aussi celle de l’accusé, X n’en avait pas moins le droit de considérer sa résidence comme son château fort, comme un endroit où rien ne pouvait lui arriver. Le contrevenant a fait fi de l’attente légitime de sécurité de la victime et l’a agressée à répétition sous son propre toit et même entre les quatre murs de sa chambre à coucher, l’endroit où l’expectative de vie privée de la victime était naturellement la plus élevée;
- la planification des contacts sexuels, commis alors que la mère était absente;
- l’entière responsabilité du contrevenant. Il arrive qu’un conjoint soit entraîné par l’autre dans des activités dépravées avec un enfant et que son implication soit moindre[34]. Ce n’est pas le cas ici. Le contrevenant est le seul et unique responsable des sévices subis par sa fille;
- l’importance des lésions corporelles subies par la victime. En matière d’infractions entraînant des lésions corporelles, la peine doit tenir compte de la nature et de l’ampleur des conséquences sur la victime, tant les conséquences immédiates lors de la commission de l’infraction que celles se manifestant au long cours[35]. Ici la victime a contracté l’herpès par suite des agressions sexuelles du contrevenant. Il s’agit d’une maladie qui ne se guérit pas, susceptible de causer des irruptions douloureuses et contagieuses à tout moment. X est donc condamnée à vivre avec cette condition pour le reste de ses jours et risque même de transmettre le virus à ses partenaires ou encore à un ou des bébés dont elle accoucherait. Le risque de victimes futures est exponentiel et cela est dû exclusivement à l’objectification sexuelle de sa fille par le contrevenant;
- l’existence de séquelles psychologiques chez la victime qui décrit l’impact des agressions sur elle. Cela illustre concrètement la nocivité des abus sexuels d’enfants, décrite dans l’arrêt Friesen.
- La poursuite voit dans l’existence d’un certain risque de récidive une autre circonstance aggravante. Le contrevenant voit plutôt un facteur atténuant dans le fait que le risque de récidive soit sous la moyenne. Dans les circonstances, je qualifie de neutre le risque de récidive dont l’ampleur est mitigée.
- Au chapitre des circonstances atténuantes, il y a peu à mentionner :
- l’absence d’antécédent judiciaire;
- le fait que le contrevenant occupe un emploi comme postier depuis plusieurs années;
- le soutien de sa nouvelle conjointe et de sa mère.
- Le contrevenant présente comme circonstance atténuante l’absence de violence extrinsèque aux infractions commises. Cela n’a rien d’atténuant. Il est reconnu que l’absence d’un facteur aggravant n’est pas un facteur atténuant[36]. En matière sexuelle, de l’avis de la Cour d’appel, un argument voulant que l’absence de violence extrinsèque soit une circonstance atténuante n'a aucune valeur puisque, si le contrevenant menace ou autrement violente la victime, cela constitue un facteur aggravant[37].
- Les parties reconnaissent enfin que le fait que le contrevenant maintienne sa dénégation ne constitue pas un facteur aggravant, mais en revanche, l’empêche de bénéficier des facteurs atténuants généralement reconnus que sont la reconnaissance des faits et l’expression conséquente de remords et d’empathie.
- Depuis 20 ans, au Québec, l’imposition de la peine pour des crimes de nature sexuelle passe par l’application des fourchettes de peine développées par suite de l’affaire Cloutier que synthétisent comme suit les auteurs Parent et Desrosiers :
- Les peines de plus courte durée (moins de deux ans) : ces peines sanctionnent des gestes sexuels de peu de gravité et/ou survenus en de rares occasions et/ou sur une courte période, commis à l’endroit d’une seule victime.
- Les peines de deux à six ans (avec une concentration de peines de trois à quatre ans) : la ligne médiane des peines pour crimes sexuels se situerait autour de trois ans et demi. De telles peines seront généralement imposées à des contrevenants sans antécédent judiciaire, où de l’abus de confiance, de pouvoir ou d'autorité est démontré, mais où il y a absence de violence directe (autre que celle inhérente à la nature de l'infraction).
- Les peines de plus longue durée (peines de plus de six ans) : généralement imposées en raison de circonstances particulières de violence, au-delà des gestes sexuels et/ou de la présence d'antécédents judiciaires, ou en relation avec des infractions comportant une gravité objective élevée.[38]
- Depuis Friesen, bon nombre de décisions de première instance concluent que ces fourchettes devraient être revues – à la hausse – car elles datent d’une époque où la nocivité des abus sexuels sur des enfants était mal comprise et où la gravité objective des infractions était moindre[39].
- Cependant, aucune nouvelle fourchette n’a été établie par la Cour d’appel. Au contraire, elle concluait récemment que la fourchette précitée est « toujours d’actualité »,[40] et ce, après s’être étonnée dans une autre affaire d’une invitation du ministère public à ce qu’elle soit revue[41]. Cela étant, je suis limité à faire comme le juge Simon dans P.T., soit « tenir compte des fourchettes de peines identifiées dans l’affaire Cloutier, tout en m’assurant de fixer un quantum qui reflète le message lancé dans Friesen et la compréhension contemporaine de la gravité du préjudice qui découle de la violence sexuelle envers les enfants »[42], approche reprise dans certaines autres affaires.[43]
- De mon point de vue, cela nécessite généralement d’imposer une peine qui tend vers le haut, plutôt que vers le bas, de chaque catégorie tirée de Cloutier, lorsque la victime est mineure.
- Compte tenu de la gravité objective très élevée de l’agression sexuelle causant des lésions corporelles à une victime de moins de 16 ans et du fait que les lésions causées à la victime ici sont permanentes et risquent même d’être transmises à d’autres personnes malgré les précautions qu’elle devra prendre pour le reste de ses jours, le crime commis par le contrevenant se situe dans la troisième catégorie de Cloutier. Je reconnais qu’il n’y a pas ici « de circonstances particulières de violence, au-delà des gestes sexuels », mais l’infliction de lésions corporelles aussi sérieuses que l’herpès constitue une circonstance alternative qui, conjuguée à la gravité objective la plus élevée qui soit, justifie de classifier les agressions sexuelles commises par le contrevenant dans la troisième catégorie, celle justifiant des peines de sept ans et plus.
- Les parties ont affirmé n’avoir retracé aucune décision où une peine pour des agressions sexuelles par lesquelles l’herpès a été transmis a été imposée. La suggestion de la poursuite d’imposer une peine de 12 ans résulte d’une analogie avec des peines pour avoir commis l’inceste[44] ou pour avoir risqué de transmettre le VIH sans l’avoir transmis[45].
- J’ai pu trouver deux décisions où une peine a été imposée pour avoir commis des agressions sexuelles par suite desquelles l’herpès a été transmis.
- La première est d’une pertinence mitigée, considérant que la victime était majeure et qu’il s’agissait de deux agressions sexuelles - et non une quinzaine – commises sur une période de quelques jours. Malgré une gravité objective moindre due au fait que la victime avait plus de 16 ans, le contrevenant s’est vu imposer une peine de cinq ans[46].
- La seconde, R. c. G.B.[47], est plus pertinente au plan factuel, mais doit faire l’objet de distinctions importantes au plan juridique.
- Comme ici, il y était question d’un père ayant agressé sexuellement sa jeune fille sur une période de deux ans, alors qu’elle était âgée de 5 à 7 ans. Il avait soumis sa fille à des épisodes de fellation et de masturbation et lui avait ainsi transmis l’herpès. Comme le contrevenant ici, il niait sa culpabilité même après un verdict en ce sens et le rapport présentenciel ne laissait entrevoir aucune amorce de réhabilitation. La seule distinction au plan factuel était l’existence d’antécédents judiciaires n’impliquant pas, cependant, des crimes sexuels.
- La peine imposée, confirmée par la Cour d’appel, fut de six ans.
- Cette peine n’est pas appropriée ici, compte tenu des distinctions juridiques qui s’imposent.
- D’abord, dans G.B., l’accusation portée était une agression sexuelle simple, punissable de 10 ans d’emprisonnement, donc significativement moins grave que celle en cause ici.
- Ensuite, l’affaire remonte à plus de 20 ans, avant même l’affaire Cloutier et, bien sûr, à une époque où les enseignements de Friesen n’existaient pas. Depuis l’arrêt G.B., le législateur a multiplié les réformes législatives visant à mieux protéger les enfants de la violence sexuelle, notamment en augmentant les peines associées aux crimes sexuels commis envers eux.
- Enfin, cette peine de six ans fait partie de celles imposées avant Friesen que la Cour suprême a dénoncées comme ayant été trop clémentes durant trop longtemps.
- Si le père de la victime dans G.B. a été condamné à six ans alors qu’il était passible de 10 ans d’emprisonnement, quelle peine doit être imposée au contrevenant ici, passible de l’emprisonnement à perpétuité et dont la peine doit obéir aux exigences de l’arrêt Friesen? Je conclus que cette peine doit être de 10 ans sur le chef d’agression sexuelle causant des lésions corporelles. Une telle peine respecte les enseignements de Friesen, notamment celui selon lequel « des peines de 10 ans et plus ne devraient être ni inusitées ni réservées aux circonstances rares et exceptionnelles »[48].
- Cette peine tient compte de l’absence d’antécédents judiciaires. Si le contrevenant ici avait eu de tels antécédents comme celui dans G.B., j’aurais imposé une peine se rapprochant davantage de la peine de 12 ans recommandée par la poursuite.
- Une peine concurrente de cinq ans est imposée pour les agressions sexuelles simples.
b. La possession de pornographie juvénile
- Comme pour les agressions sexuelles, la gravité de l’infraction et le degré de responsabilité du contrevenant sont tributaires de la gravité objective et subjective.
I. La gravité objective
- La possession de pornographie juvénile poursuivie par mise en accusation est passible de 10 ans d’emprisonnement. Il s’agit donc d’une infraction dont la gravité objective la situe dans la partie médiane supérieure de l’échelle de gravité[49].
- Au-delà de la gravité objective définie par la peine qui y est associée cependant, il s’agit d’une infraction aux multiples ramifications délétères. La Cour d’appel de l’Ontario, après avoir rappelé que les enseignements de Friesen s’appliquaient intégralement à la possession de pornographie juvénile, recensait récemment dans l’arrêt Pike six maux et méfaits qu’une telle criminalité engendre :
- Premièrement, les personnes qui possèdent de la pornographie juvénile violent la dignité des enfants puisque, évidemment, du matériel de cette nature qui représente de vrais enfants, des enfants en chair et en os, ne peut exister sans l’exploitation et l’abus de ces derniers. Ceux qui possèdent ces images ou ces vidéos possèdent donc des représentations de scènes criminelles d’exploitation ou d’abus sexuel et, en les possédant et en les regardant, perpétuent la violation de la dignité de ces enfants qui ont été abusés sexuellement dans le but de créer les fichiers de pornographie juvénile;
- Deuxièmement, les personnes qui possèdent des images d’enfants abusés sexuellement portent atteinte de façon extrême à la vie privée de ces derniers, en raison de la dissémination incontrôlée d’images intimes, privées et criminelles qui ne devraient absolument pas exister. En outre, les atteintes à la vie privée sont répétées aux moments de l’obtention, puis du catalogage, et de nouveau lors du visionnement des images ou des vidéos;
- Troisièmement, les possesseurs de pornographie juvénile infligent des souffrances émotionnelles importantes aux enfants. Il est difficile pour un enfant de se remettre de la violence sexuelle subie, et ceux qui possèdent de la pornographie juvénile augmentent encore cette difficulté puisque le traumatisme subi au moment de la production des scènes pornographiques se perpétue dans le temps. Non seulement les victimes mineures souffrent‑elles de leur victimisation immédiate au moment du tournage ou de la prise de photographies, mais leurs souffrances se répètent également chaque fois qu’elles apprennent ou qu’elles se doutent que des inconnus à travers le monde utilisent ces images pour les regarder, ou pire encore, satisfaire leur appétit sexuel. Les victimes ont un sentiment d’impuissance en ce qu’elles n’ont aucun moyen de détruire les images d’elles-mêmes qui circulent, pas plus qu'elles ne peuvent éviter d’être reconnues par les possesseurs de ces images;
- Quatrièmement, les personnes qui possèdent de la pornographie juvénile créent un marché pour ce matériel illicite et, manifestement, incitent les créateurs à produire, puis distribuer ces photos ou vidéos pornographiques illégales;
- Cinquièmement, la possession et le visionnement de pornographie juvénile peuvent inciter ceux qui s’y adonnent à commettre d’autres infractions sexuelles sur des enfants en les amenant à minimiser et même normaliser l’illicéité de leur conduite. Rappelons qu’il s’agit ici de l’hypothèse du sexologue qui a rédigé l’expertise sexologique concernant le contrevenant;
- Sixièmement, les possesseurs de pornographie juvénile perpétuent un message pernicieux qui s’en prend au droit à l’égalité des enfants. L’avenir de notre société dépend de ce que les enfants, dont le jeune âge les rend vulnérables, grandissent et deviennent des adultes épanouis. Les soumettre à de la pornographie juvénile met à mal cet objectif de faire des enfants des êtres humains à part entière et non des objets de satisfaction sexuelle.[50]
- Ces considérations, ancrées dans des décennies de jurisprudence et d’études sociales, montrent que, en dépit de la peine maximale qui n’est pas la plus élevée de toutes celles retenues par le législateur, la possession de pornographie juvénile est une infraction très grave en toutes circonstances. La Cour d’appel de l’Ontario a d’ailleurs profité de cette étude exhaustive pour rehausser l’extrémité supérieure de la fourchette de peines applicables dans cette province de trois ans et demi à cinq ans[51].
II. La gravité subjective
- Comme mentionné plus tôt, la gravité subjective est tributaire des circonstances aggravantes et atténuantes. Dans Pike, on retrouve une actualisation des considérations pertinentes en la matière.
- Ainsi, l’existence d’un casier judiciaire, la production ou la distribution du matériel possédé, l’ampleur de la collection de matériel pornographique, la nature du matériel en ce qui concerne l’âge des victimes et la dépravation des scènes, le fait que le contrevenant pose un risque pour les enfants et le paiement pour recevoir le matériel illégal, continuent d’être des circonstances aggravantes[52].
- La Cour d’appel de l’Ontario précise toutefois que l’ampleur de la collection, soit le nombre de fichiers possédés, doit être considérée de pair avec le nombre de vrais enfants, le degré d’organisation et la proportion de fichiers animés par rapport aux photographies[53].
- Quant à la nature du matériel pédopornographique, l’examen doit porter sur le degré de nocivité des scènes, ce qui passe par un examen du degré d’intrusion physique des actes posés et sur l’existence d’une violence extrinsèque à celle inhérente aux activités sexuelles illégales que montrent les photos ou vidéos[54].
- La nocivité s’intéresse aussi au fait que les enfants sont de vrais êtres humains, par opposition à des dessins animés ou des récits littéraires. Bien que moralement répréhensible, la possession de matériel montrant des enfants virtuels ou fictifs est moins grave[55].
- Constituent aussi des facteurs aggravants le fait que la possession a duré longtemps, que le matériel offensant a été visionné fréquemment, qu’il était organisé, que la possession était planifiée et que le possesseur faisait partie d’un réseau ou qu’il était un participant au sein de la sous-culture pédopornographique[56].
- Inversement, le jeune âge du contrevenant, sa bonne réputation, le fait qu’il ait un emploi, la prise de conscience de sa mauvaise conduite, l’expression de remords, la participation à des thérapies pertinentes, le plaidoyer de culpabilité, les stigmates associés à une condamnation et l’existence de conséquences collatérales peuvent constituer des facteurs atténuants[57].
- La bonne réputation et l’emploi ont toutefois un impact négligeable puisqu’il arrive souvent que ce soient des personnes par ailleurs respectables jusque-là qui possèdent secrètement de la pornographie juvénile et que cette possession est rarement un faux pas momentané, mais plus souvent une entreprise à long terme, réfléchie et occulte. Quant aux stigmates, ils sont une conséquence prévisible d’une condamnation en pareille matière et ne peuvent servir à atténuer la peine de façon importante. Il s’ensuit que les tribunaux ne peuvent se servir de ces éléments de façon indue pour ainsi réduire la peine imposée à des professionnels ou des personnes bien en vue sous prétexte que la condamnation aura sur eux un impact plus grand que sur d’autres. Cela serait en réalité de la discrimination visant à donner un traitement préférentiel aux privilégiés de la société[58].
- Évidemment, comme en toute matière, l’absence d’un facteur aggravant n’est pas un facteur atténuant. Ainsi, même si, par exemple, le contrevenant n’a pas payé pour le matériel trouvé en sa possession ou si ce matériel ne représente pas de très jeunes enfants, cela n’atténue pas la gravité du crime. Il faut se garder conséquemment d’imposer des peines disproportionnellement basses dans les cas de pornographie juvénile montrant des préadolescents ou des adolescents[59].
- Sur cette toile de fond, il convient de jauger de la gravité subjective de la possession de pornographie juvénile en cause ici.
i. Les circonstances aggravantes
- Au chapitre des circonstances aggravantes, il y a lieu de mentionner :
- le mauvais traitement à l’égard de personnes âgées de moins de 18 ans, circonstance aggravante codifiée à l’alinéa 718.2a)(ii.1) C.cr. Je n’ignore pas que la pornographie juvénile implique nécessairement des victimes mineures. Je rappelle cependant les commentaires du paragraphe 64 en lien avec cette circonstance aggravante retenue par le législateur;
- l’âge des enfants représentés dans les fichiers trouvés en possession du contrevenant, soit entre 4 et 14 ans. Il s’agit de vrais enfants, et non de dessins ou d’écrits. Les fichiers montrant des enfants en bas âge sont particulièrement abjects et constituent une circonstance particulièrement aggravante suivant l’arrêt Pike. Quant aux enfants plus vieux, bien que l’aggravation soit moins importante, ceux en cause ici étaient manifestement sous l’âge de 18 ans et cela constitue aussi un facteur aggravant;
- le nombre de fichiers, soit 1 543. Il s’agit d’un nombre important, même si la jurisprudence recense malheureusement des cas où le nombre était bien plus grand;
- la nature des fichiers. La proportion n’a pas été révélée, mais il y avait des vidéos parmi les documents trouvés en possession du contrevenant. Aussi, la nature dépravée de certains fichiers, montrant notamment des enfants décédés, est particulièrement répugnante;
- la durée de la possession, soit deux ans, de 2017 à 2019;
- La poursuite voit dans l’existence d’un risque de récidive une autre circonstance aggravante. Le contrevenant voit plutôt un facteur atténuant dans le fait que le risque de récidive soit sous la moyenne. Dans les circonstances, comme pour les agressions sexuelles, je qualifie de neutre le risque de récidive dont l’ampleur est mitigée.
ii. Les circonstances atténuantes
- Au chapitre des circonstances atténuantes, ce sont les mêmes que celles préalablement identifiées :
- l’absence d’antécédent judiciaire;
- le fait que le contrevenant occupe un emploi comme postier depuis plusieurs années;
- le soutien de sa nouvelle conjointe et de sa mère.
- Le plaidoyer de culpabilité n’est pas ici une circonstance atténuante. Cela est dû d’abord au fait que le plaidoyer a été enregistré seulement après que le contrevenant ait échoué à faire exclure la preuve. Aussi, suivant l’expertise sexologique, il a été enregistré dans le but d’en finir avec le tout, de passer à autre chose. Le plaidoyer de culpabilité n’est donc aucunement une amorce de réhabilitation ou même l’expression de quelque remords ou regret. Au contraire, le contrevenant justifie la possession de matériel pédopornographique par une espèce d’enquête visant à protéger sa fille, une explication loufoque même aux yeux de l’agent de probation. Bien que le plaidoyer ait évité à des témoins de venir témoigner, ces témoins auraient été des policiers et non des victimes. Dans ces circonstances, le plaidoyer de culpabilité ne nécessite pas d’atténuer la peine.
- Quant à l’absence d’antécédent judiciaire, qui participe de la bonne réputation du contrevenant, ainsi que son emploi, ils atténuent très peu la peine, comme mentionné plus tôt.
- En définitive, il n’existe presque aucune circonstance atténuante significative.
III. L’identification de la peine appropriée
- La fourchette de peines pour la possession de pornographie juvénile n’est pas facilement identifiable.
- Dans Marien Frenette, la Cour d’appel la situe « généralement » entre 12 et 18 mois[60].
- Mon collègue le juge Marcoux mentionne quant à lui, à la lumière du fait que la peine minimale a été invalidée, qu’elle va de deux à 18 mois dans des cas mettant en cause la possession de quelques centaines de fichiers d’enfants de 2 à 12 ans.[61]
- Tel que mentionné précédemment, la Cour d’appel de l’Ontario, elle, a relevé la limite supérieure de la fourchette à cinq ans dans Pike.
- Les auteurs Parent et Desrosiers, quant à eux, décrivent la fourchette applicable à la possession de pornographie juvénile comme étant de 6 à 36 mois. Ils subdivisent la fourchette en trois sous-catégories et précisent que les peines de plus de 18 mois sont plus rares[62].
- Selon eux, les peines de plus courte durée, soit de six à 12 mois, conviennent aux cas comportant « certaines circonstances atténuantes se rapportant à la gravité du crime ou au degré de responsabilité du délinquant »[63]. Les « peines de durée intermédiaire se caractérisent par l’accumulation de facteurs aggravants et l’essoufflement des circonstances atténuantes »[64] et vont de 12 à 18 mois. Enfin, les peines de plus longue durée, soit de 18 à 36 mois et plus, « sont réservées aux cas les plus graves », que ce soit en lien avec le nombre de fichiers saisis, la nature troublante de ceux-ci, le partage ou la présence d’antécédents judiciaires chez le contrevenant.
- Hormis le nombre de fichiers saisis en possession du contrevenant et une description générale qui en est faite, je n’ai pas suffisamment d’éléments me permettant de classer la possession de pornographie juvénile par le contrevenant dans la troisième catégorie.
- Par ailleurs, l’examen des circonstances aggravantes et atténuantes effectué précédemment montre de façon éloquente « l’accumulation de facteurs aggravants et l’essoufflement des circonstances atténuantes » justifiant de situer la criminalité du contrevenant dans la seconde catégorie, celle justifiant une peine de 12 à 18 mois. Considérant l’existence de plusieurs facteurs aggravants et la quasi-absence de facteurs atténuants, une peine de 18 mois, soit à la limite supérieure de la sous-catégorie, est justifiée.
- Toutefois, à la lumière du fait que cette peine doit être purgée de façon consécutive à celles pour les agressions sexuelles, il y a lieu de tenir compte du principe de la totalité et de réduire la peine à 12 mois.
c. L’interception de communications privées
- Cette infraction, poursuivie par voie de mise en accusation, est passible de cinq ans d’emprisonnement. Sa gravité objective est donc relativement faible.
- Le poursuivant recommande une peine consécutive de quatre mois. Questionnée lors de l’audience de détermination de la peine, sa représentante a reconnu que n’eut été des autres accusations, l’interception de communications privées ne nécessiterait pas à elle seule une peine privative de liberté.
- Compte tenu de la peine de 11 ans autrement justifiée pour les autres accusations, je ne suis pas convaincu de la nécessité d’ajouter une peine d’emprisonnement significative, et encore moins d’en ordonner la consécution de façon à prolonger davantage une peine déjà très importante.
- Dans les circonstances, une peine de 30 jours à purger de façon concurrente est suffisante. Cette peine tient compte du seul facteur aggravant réellement important, soit qu’il s’agit du mauvais traitement de la partenaire intime du contrevenant (al. 718.2a)(ii) C.cr.). Ce facteur aggravant s’applique même lorsque la relation conjugale est terminée[65].
POUR CES MOTIFS,
DANS LE DOSSIER 750-01-055193-195
Sur le chef 1, le contrevenant est condamné à 10 ans d’emprisonnement;
Sur le chef 2, le contrevenant est condamné à cinq (5) ans d’emprisonnement, cette peine étant purgée de façon concurrente à la peine du chef 1;
Conformément à l’article 743.21 C.cr., le contrevenant devra, durant la période de détention, s’abstenir de communiquer directement ou indirectement avec la victime X;
Conformément à l’alinéa 109(2)a) C.cr., il est interdit au contrevenant d’avoir en sa possession des armes à feu, arbalètes, armes à autorisation restreinte, munitions et substances explosives pendant 10 ans après sa libération;
Conformément à l’alinéa 109(2)b) C.cr., il est interdit au contrevenant d’avoir en sa possession des armes à feu prohibées, armes à feu à autorisation restreinte, armes prohibées, dispositifs prohibés et munitions prohibées, et ce à perpétuité.
DANS LE DOSSIER 750-01-057854-208
Sur le chef 1, le contrevenant est condamné à 12 mois d’emprisonnement, cette peine étant purgée consécutivement à toute autre peine;
Sur le chef 2, le contrevenant est condamné à 30 jours d’emprisonnement, cette peine étant purgée de façon concurrente aux autres peines.
DANS LES DEUX DOSSIERS
Conformément à l’article 161 C.cr., il est interdit au contrevenant, pour une période de 10 ans à compter de sa libération :
- de se trouver dans un parc public ou une zone publique où l’on peut se baigner s’il y a des personnes âgées de moins de 16 ans ou s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y en ait, une garderie, un terrain d’école, un terrain de jeu ou un centre communautaire;
- de se trouver à moins de deux kilomètres de toute maison d’habitation où réside habituellement la victime X, ainsi que de tout lieu où elle pourrait étudier ou travailler;
- de chercher, d’accepter ou de garder un emploi — rémunéré ou non — ou un travail bénévole qui le placerait en relation de confiance ou d’autorité vis-à-vis de personnes âgées de moins de 16 ans;
- d’avoir des contacts — notamment communiquer par quelque moyen que ce soit — avec une personne âgée de moins de 16 ans, à moins de le faire sous la supervision directe d’un des parents de cette personne;
- d’utiliser Internet ou tout autre réseau numérique, à moins de le faire en présence d’un adulte au courant de la présente condamnation et de l’existence de cette condition.
Conformément à l’alinéa 490.013(2)c) et au par. 490.013(4) C.cr., le contrevenant devra se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, et ce, à perpétuité;
Conformément à l’article 487.051 C.cr., le prélèvement du nombre d’échantillons de substances corporelles du contrevenant jugé nécessaire pour analyse génétique est autorisé.
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| __________________________________ CHRISTIAN JARRY, J.C.Q. |
Me Isabelle Morin |
Pour le poursuivant |
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Me Julie Lepage |
Pour le contrevenant Date d’audience : 20 novembre 2024 |
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[1] La victime témoigne de pénétrations péniennes. Suivant la preuve scientifique administrée au procès, il ne peut être exclu que ce que la jeune fille croit avoir été des pénétrations n’en aient pas été en réalité, d’autant qu’aucune lésion à l’hymen n’ait été constatée. Bien cela soit probablement le cas, il est impossible de conclure, suivant la norme de preuve requise, qu’il y a réellement eu pénétration.
[2] La narration complète des faits relatifs aux agressions sexuelles, qu’on trouve dans la décision sur le verdict, R. c. J.C., 2024 QCCQ 485, est réputée faire partie de la présente décision.
[3] Rapport présentenciel, pièce S-2, p. 6.
[4] Expertise sexologique, pièce S-3, p. 15.
[5] 12 ans pour le chef d’agression sexuelle causant des lésions corporelles et six ans à purger de façon concurrente pour le chef d’agression sexuelle.
[6] Sept à huit ans pour le chef d’agression sexuelle causant des lésions corporelles et cinq ans à purger de façon concurrente pour le chef d’agression sexuelle.
[7] R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 42; R. c. Suter, [2018] 2 R.C.S. 496, par. 56 R. c. Friesen, [2020] 1 R.C.S. 424, par. 30; R. c. Bertrand Marchand, 2023 CSC 26, par. 27.
[8] R. c. Nasogaluak, précité, par. 43.
[9] R. c. Sandel, 2024 QCCA 644, par. 22, citant R. c. Friesen, précité, par. 31.
[10] R. c. Sandel, précité, par. 22, citant R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 11.
[11] Courchesne c. R., 2024 QCCA 960, par. 49, référant à R. c. Friesen, précité.
[12] Al. 718.2a)(ii.1) C. cr.
[13] R. c. Friesen, précité, par. 104; R. c. Bertrand Marchand, précité, par. 28.
[14] Courchesne c. R., précité, par. 51, italiques dans l’original.
[15] R. c. Friesen, précité, par. 1 et 87
[16] R. c. Bertrand Marchand, précité, par. 32.
[17] R. c. Laganière, C.Q. Longueuil, 505-01-177928-229, 6 décembre 2024, j. Marcoux, par. 16; R. c. Pike, 2024 ONCA 608.
[18] R. c. Friesen, précité, par. 5.
[19] R. c. Bertrand Marchand, précité, par. 31; Courchesne c. R., précité, par. 53 et note infrapaginale 35.
[20] R. c. Dubé, 2021 QCCA 1143, par. 31, souligné dans l’original; Gasse Hervieux c. R., 2024 QCCA 1107, par. 21.
[21] R. c. Trottier, 2020 QCCA 703. Voir aussi Bazile c. R., 2022 QCCA 1009.
[22] R. c. Lambert, 2019 QCCQ 3315; R. c. J.M., 2019 QCCQ 901; R. c. Simard-Cloutier, 2021 QCCS 4276; R. c. Barra, 2022 QCCQ 7190; R. c. Ouellette-Brière, 2024 QCCQ 1721; R. c. Blais, 2024 QCCQ 5167.
[23] R. c. L.(J.-J.), [1998] R.J.Q. 971 (C.A.).
[24] Il en va de même de l’agression sexuelle, art. 271 C.cr.
[25] R. c. Lacasse, [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 83; R. c. Camiré, 2010 QCCA 615; R. v. Adan, 2019 ONCA 709, par. 113.
[27] R. c. Poitras, 2017 QCCA 1768.
[28] R. c. Bergeron, 2016 QCCA 339, par. 31.
[30] Lemay-Gendron c. R., 2024 QCCA 1244, par. 20.
[31] R. c. Friesen, précité, par. 145.
[33] R. v. D.S., 2024 ONCA 831, par. 49.
[34] Par exemple, R. c. G.B., 2003 CanLii 47955 (C.A.Q.).
[35] R. c. Kravchenko, 2020 MBCA 30.
[36] G.D. c. R., 2009 QCCA 1290, par. 38; R. v. C.P., 2024 ONCA 783, par. 35.
[37] G.D. c. R., précité, par. 38; R. c. S.R., 2008 QCCA 2359, par. 17 R. c. Bergeron, 2013 QCCA 7, par. 56.
[38] Hugues PARENT et Julie DESROSIERS, Tome III du Traité de droit criminel : la peine, 3e édition, Montréal, Éditions Thémis, 2020, p. 836.
[39] R. c. Robichaud, 2023 QCCS 2753, par. 55 à 58; R. c. J.F., 2022 QCCQ 8119, par. 68 à 70; R. c. Blais, 2023 QCCQ 9425, par. 71-72; R. c. Bernier, C.Q. Iberville, no. 755-01-052892-228, 5 mai 2023, par. 31-32; R. c. N.B., 2024 QCCQ 4562; R. c. R.G., 2024 QCCQ 6308, par. 114; R. c. Robineau, 2024 QCCQ 6967, par. 75.
[40] R. c. Tremblay, 2024 QCCA 543, par. 42.
[41] S.J. c. R., 2024 QCCA 253, par. 229.
[42] R. c. P.T., 2024 QCCQ 20, par. 102.
[43] R. c. N.B., précité, par. 58; R. c. R.G., précité, par. 116; R. c. C.B., 2024 QCCQ 562, par. 66 à 70.
[44] R. c. Blais, précité; R. c. P.S., 2022 QCCQ 1716.
[45] R. c. Dubuisson, 2021 QCCQ 13204.
[46] R. c. Evans, 2023 ONCA 365.
[47] Bien que l’arrêt soit intitulé R. c. G.B., précité, le père de la victime avait comme initiales M.M.
G.B. était sa conjointe de fait, aussi accusée et condamnée.
[48] R. c. Friesen, précité, par. 114; R. c. Tremblay, 2024 QCCA 1590, par. 11.
[49] R. c. Gravel, 2023 QCCQ 397, par. 79; R. c. R.G., précité, par. 96.
[50] R. c. Pike, précité, par. 147-154.
[60] Marien Frenette c. R., 2024 QCCA 207, par. 28.
[61] R. c. Laganière, précité, par. 27.
[62] Tome III du Traité de droit criminel : la peine, 3e édition, précité, p. 885.
[65] R. c. A.G., 2018 QCCA 1950.