Décision

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A c. B

2022 QCCS 768

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 No :

500-17-102751-180

 

 

 

DATE :

Le 23 février 2022 

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHEL YERGEAU, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

A

X

Demanderesses

c.

B

Défendeur

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

Table des matières

1. Le recours...............................................................3

2. En rétrospective..........................................................4

3. Les protagonistes........................................................4

3.1. X...................................................................5

3.2. A...................................................................5

3.3. B...................................................................6

4. La responsabilité civile et la preuve : les fondamentaux........................7

5. La faute : le comportement du défendeur...................................10

6. un geste isolé ou un continuum?..........................................15

6.1. Les aveux successifs des 5 et 6 janvier 2016............................16

6.1.1. L’aveu à A.......................................................16

6.1.2. L’aveu en présence de la directrice générale de l’arrondissement.......17

6.1.3. L’aveu au maire Denis Coderre....................................17

6.1.4. L’aveu à M. Denis Dolbec.........................................18

6.2. Les procédures au criminel, le plaidoyer de culpabilité du défendeur et l’Exposé sommaire des faits du 28 novembre 2016              19

6.3. Le contre-interrogatoire du défendeur du 21 décembre 2021...............24

6.4. Aveu judiciaire ou extrajudiciaire?......................................25

6.5. Un continuum comportemental........................................26

7. Le préjudice............................................................27

7.1. La preuve d’expert...................................................29

7.2. Certaines propositions du défendeur...................................35

8. Le lien causal...........................................................36

9. L’indemnité.............................................................40

9.1. La notion de crime à caractère sexuel chez les enfants mineurs............42

9.2. Le témoignage de Y..................................................45

9.3. La réclamation de X..................................................46

9.3.1. Les dommages psychologiques....................................46

9.3.2. Les dommages physiques.........................................49

9.3.3. Les dommages exemplaires.......................................50

9.3.4. La perte de revenus..............................................54

9.4. La réclamation de A..................................................56

9.4.1. Les dommages moraux...........................................56

9.4.2. Les dommages matériels pécuniaires...............................58

10. Les honoraires extrajudiciaires..........................................58

11. Les frais de l’experte des demanderesses.................................59

12. L’ordonnance du 13 décembre 2021.....................................59

13. Épilogue..............................................................60

14. Remerciements.......................................................60

15. dispositif..............................................................60

 

[1]                 Au cœur de ce dossier se dresse une réalité incontournable: les crimes à caractère sexuel commis sur des enfants par des personnes en autorité sont des crimes à caractère violent qui ne doivent en aucun cas être tenus pour bénins[1].

[2]                 Disons-le d’entrée de jeu, la douleur ressentie durant 23 mois par la demanderesse X tout comme son désarroi et sa détresse ne relèvent pas de la fiction, pas plus que le recours intenté par elle et sa mère ne relève de la simple vengeance.

[3]                 Cette douleur et cette détresse sont le fruit d’un amour déviant, incestuel dira une experte, d’un grand-père à l’endroit de l’aînée de ses petites-filles. Cet amour s’est traduit par des gestes à caractère sexuel répétés à son endroit. Jusque-là adulé, le défendeur était l’archétype de la personne en autorité.

[4]                 La douleur, le désarroi et la détresse de X et le sentiment de trahison qui les accompagne sont à la hauteur de la confiance que prêtaient au défendeur les demanderesses.

1.                               Le recours

[5]                 Il s’agit d’une action en dommages-intérêts logée conjointement par la petite-fille et par la fille du défendeur qui aurait résulté de gestes répétés à caractère sexuel portés par ce dernier à l’endroit de la première pendant une période d’environ deux ans.

[6]                 X, la victime de ces gestes, est la petite-fille de B et la fille de la codemanderesse, A. L’une et l’autre, à des titres différents, allèguent avoir été et être encore aujourd’hui profondément perturbées par les gestes du défendeur qui aurait profité de la confiance qu’elles lui prêtaient pour abuser de X et la confiner dans un silence nocif du début de son adolescence jusqu’à l’âge de 15 ans. Celle-ci aurait développé la conviction durable d’avoir brisé à elle seule la famille modèle que formaient jusque-là [la famille A] et un sentiment de culpabilité à l’égard de sa mère. Elle présente, si on en croit l’acte de procédure des codemanderesses, des symptômes d’un choc post-traumatique grave.

[7]                 Les codemanderesses réclament du défendeur, dans le cas de X, la somme de 492 479,54$ avec intérêts au cours légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. et dans le cas de A, la somme de 79 623,37$, à parfaire, ainsi que 25 844,49$ d’honoraires extra-judiciaires, à parfaire, et les frais de justice.

[8]                 Le défendeur dans sa défense écrite ne nie pas totalement les allégations des demanderesses. Il apporte des nuances, nie certains aspects, tempère, remet en perspective, édulcore et, pour l’essentiel, soumet que les faits mis de l’avant par les demanderesses comme les indemnités réclamées sont exagérés.

[9]                 De fait, le défendeur ne reconnait pleinement qu’un seul épisode de contact sexuel, qu’il qualifie lui-même d’agression, qui est survenu dans sa voiture le 22 octobre 2015. Il reconnaît que ce geste a été «tout à fait inapproprié»[2].

[10]           Pour le défendeur, mise à part cette agression, les gestes qu’il a posés à l’endroit de sa petite-fille seraient somme toute bénins et s’apparenteraient à de simples gestes d’affection. Le fait qu’il se soit excusé de l’épisode du 22 octobre 2015 devrait être pris en considération.

[11]           Par ailleurs, selon lui, les séquelles de ces abus sont exagérées par les demanderesses. Il estime que la description qu’elles en donnent est disproportionnée au regard du peu de gravité de la faute, hormis l’épisode précédemment mentionné.

[12]           Au final, dans sa défense, il ne fait aucune offre et consignation au sens de l’article 1573 C.c.Q. et se borne à demander le rejet de la réclamation avec les frais de justice.

[13]           C’est le 6 avril 2018 que les demanderesses déposent leur recours. La Demande introductive d’instance est modifiée le 26 mars 2019, une fois X devenue majeure pour lui permettre de réclamer en son nom propre. Du même coup, sa mère porte sa réclamation pour remboursement de frais encourus pour prendre soin de sa fille de 11 030,55$ à 29 623,37$.

2.                 En rétrospective

[14]           Au terme d’un procès qui aura duré 9 jours et qui fut éprouvant pour les parties et leurs proches, le Tribunal conclut que B, entre le 23 décembre 2013 et le 22 octobre 2015, a posé à répétition sur la personne de sa petite-fille des gestes à caractère sexuel dans un continuum harcelant.

[15]           Le comportement du défendeur a eu chez sa victime des effets psychologiques sérieux avec pour résultat qu’elle présente encore aujourd’hui les symptômes d’un choc post-traumatique grave et persistant ayant des conséquences durables sur sa vie en société et son parcours académique.

[16]           Sa mère de son côté, au plan personnel, a dû encaisser ce coup porté à la confiance inconditionnelle qu’elle prêtait à son père et, au plan familial, composer avec les séquelles d’ordre psychologique et financier de ce comportement sur sa fille aînée, sur sa fille Z, sur son époux et sur elle-même.

[17]           Ce comportement est en rupture avec les règles de conduite attendues a) d’un homme d’âge mûr envers une enfant et b) d’un grand-père à l’égard de sa petite-fille. Ces privautés et attouchements participent sans l’ombre d’un doute de l’inceste. Non seulement ont-ils entrainé la responsabilité criminelle du défendeur, ils amènent aujourd’hui à conclure à sa responsabilité civile pour laquelle il doit réparation.

3.                 Les protagonistes

[18]           Pour faciliter la lecture, le Tribunal croit utile dès maintenant de présenter les trois protagonistes au dossier. Ce portrait est tiré des allégations de fait prouvées au cours de l’instruction.

3.1.           X

[19]            X est née le [...] 2000. Elle est la fille de la codemanderesse et de M. C. Elle a une sœur, Z, âgée aujourd’hui de 17 ans.

[20]            Passionnée de danse depuis l’âge de trois ans, inscrite à un programme danse/étude dans un collège privé, elle était une première de classe jusqu’à ce que survienne un premier épisode d’attouchements de son grand-père le 24 décembre 2013. Des gestes de ce type se sont par la suite répétés de façon récurrente par la suite jusqu’à l’ultime épisode du 22 octobre 2015 déjà mentionné.

[21]            Le parcours scolaire de X, jusque-là rempli de succès, s’en trouvera peu à peu affecté à la consternation de ses parents qui se perdront en conjectures pour expliquer la cause de ce déclin. D’une adolescente radieuse, elle est devenue en peu de temps une adolescente troublée et inquiète.

[22]           Si les choses avec le temps se tassent en partie, X vit, encore maintenant, les lendemains difficiles du choc qu’aura provoqué le manège du défendeur et qui se traduit par un état dépressif, de l’anxiété et des phobies dont elle ne voit pas la fin. Elle porte encore les traces des mutilations qu’elle s’est infligées. Son parcours académique en dents de scie et les portes qui se sont fermées à elle, par suite de résultats scolaires se situant en deçà des niveaux exigés en science et mathématique, la priveront de la carrière de pharmacienne qu’elle entrevoyait. Sur la gravité du choc subi, les opinions des psychologues expertes retenues en demande et en défense concordent. Il y a une relation de cause à effet entre les gestes déviants du grand-père et l’état dépressif de sa victime.

[23]            Au final, le Tribunal, à partir de son long témoignage au procès, relève que X ne se définit pas d’abord et avant tout comme une victime mais plutôt comme une jeune femme lucide qui regarde en face les limites et contraintes qu’ont laissées et laisseront chez elle les gestes du défendeur et ce, pour une période de temps dont l’horizon ne peut être établi.

[24]           Bref, si dans l’ensemble elle n’est pas l’enfant brisée que décrit la Demande introductive d’instance, c’est néanmoins d’une personne qui peine à se relever du choc provoqué par l’insistance coupable de son grand-père dont il s’agit.

3.2.           A

[25]           La codemanderesse A est diplômée universitaire. Elle est comptable professionnelle agréée. Elle est aujourd’hui à l’emploi d’une institution d’enseignement après avoir travaillé pendant plusieurs années au sein du cabinet A.

[26]           Elle a été le témoin de la dégradation de l’état de sa fille, à la fois au plan physique, dû entre autres à un problème de scoliose, et au plan psychologique qui s’est traduit par une détérioration progressive des résultats scolaires, une irritabilité et une tristesse marquées, de l’agressivité envers sa mère, son père et sa sœur ainsi qu’une  négligence dans sa tenue et dans son hygiène en rupture avec ses habitudes.

[27]           La mère de la victime s’est mobilisée sans tarder une fois révélés les gestes déviants du défendeur et s’est investie corps et âme pour éviter la déliquescence de la cellule familiale.

[28]           Le choc ressenti par la révélation des gestes posés à l’endroit de X par son propre père et la perte momentanée de ses repères ne laissent place à aucun doute. La métaphore du miroir éclaté en mille morceaux à laquelle elle a recours pour décrire sa vie et celle de sa famille à l’instant où le défendeur a admis devant elle avoir posé des gestes inacceptables sur X n’est pas une simple figure de style.

[29]           Pour elle, autant que pour sa fille, le défendeur et son épouse faisaient l’objet d’une confiance sans borne : «Il y avait, dans l’ordre, Dieu puis mes parents» dira-t-elle. Elle n’a jamais été elle-même la victime d’un tel comportement de son père[3]. L’indignation durable qu’elle en ressent est à la dimension de l’amour filial trahi et se comprend aisément.

3.3.           B

[30]           Le défendeur B était une figure d’autorité au sein de sa famille et dans la société civile jusqu’à sa démission abrupte le 6 janvier 2016 du poste de maire de l’arrondissement de Montréal-Nord.

[31]           En effet, le défendeur a d’abord fait carrière à titre de policier au sein du Service de police de la Ville de Montréal. Il demeurera en poste pendant 30 ans, de 1968 à 1999. Au cours de sa carrière au SPVM, il aura été affecté pendant plus de cinq ans aux enquêtes sur des crimes de nature sexuelle sur des mineurs.

[32]           Puis en 1999, excédé par des décisions de la haute direction avec lesquelles il se dit avoir été en désaccord, il quitte le SPVM pour se joindre à l’équipe de Mme Line Beauchamp. Celle-ci venait alors d’être élue pour une première fois députée de la circonscription de Sauvé. À compter de 2003, Mme Beauchamp occupera divers postes ministériels au sein du gouvernement du Québec. De 1999 à 2009, le défendeur occupera, à son invitation, le poste de responsable du bureau de comté de cette dernière.

[33]           En 2009, il se lance lui-même en politique active et est élu maire de l’arrondissement de Montréal-Nord. Réélu en 2013, il occupera ce poste jusqu’à ce que le scandale éclate et le force à démissionner en janvier 2016. Il aura occupé durant ces années, outre ses responsabilités à la tête de l’arrondissement, des fonctions au sein du  Comité exécutif de la Ville de Montréal, auprès de la Communauté métropolitaine de Montréal et auprès du Conseil d’agglomération de Montréal. Ce dernier réunit non seulement le maire ou la mairesse et 15 élus municipaux de Montréal mais aussi les maires des 14 villes reconstituées. Ces responsabilités témoignent de la confiance dont il bénéficiait et de son leadership.

[34]           Très impliqué, de même que son épouse, auprès d’organismes caritatifs et de loisirs, le défendeur était donc, à l’époque qui nous intéresse, une personne connue et respectée dans le secteur nord-est de Montréal. Sa démission fracassante à l’époque a fait l’objet d’une importante couverture médiatique.

[35]           Jusqu’à sa chute, le défendeur fut un homme influent, rompu à l’exercice de l’autorité, sollicité à gauche et à droite et habitué des cercles du pouvoir. Bref, un notable n’offrant au regard du public que la meilleure face de lui-même.

[36]           Le soin qu’il met au cours de son témoignage à décrire sa carrière et son engagement le démontre à l’envi. La meurtrissure de voir étalés au grand jour ses travers, de laquelle il témoigne à l’instar de son épouse (laquelle ne décolère pas du traitement que font subir les médias à son mari tout en refusant de voir en face la gravité des gestes posés par lui), l’empêche encore de reconnaître l’ampleur de son comportement harcelant pour ce qu’il est.

[37]           Ce n’est qu’au terme d’un douloureux contre-interrogatoire qu’il finira par admettre que l’épisode de contact sexuel du 22 octobre 2015 n’était pas le fruit d’une errance isolée mais celui d’un comportement répréhensible et persistant.

[38]           Arrêté et mis en accusation le 11 janvier 2016, ces gestes le conduiront en prison après avoir plaidé coupable à une accusation de contacts sexuels.

[39]           En plus d’être le père de la codemanderesse A, le défendeur et son épouse sont aussi les parents de D, leur aîné, et de E. Le premier a une fille, Y, qui témoignera au procès. Le second est le père de deux filles. X est l’aînée des cinq petites-filles [de la famille A]; elle est la seule à avoir été victime du comportement du défendeur.

4.                 La responsabilité civile et la preuve : les fondamentaux

[40]           Dans un recours civil, c’est à la partie demanderesse qu’il revient de prouver les faits qui soutiennent ses prétentions[4]. L’article 2804 C.c.Q. énonce que le niveau de preuve requis en pareil cas est celui de la prépondérance :

2804. La preuve est suffisante si elle rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.

[41]           En comparaison, en droit criminel et pénal, la preuve attendue de la poursuite doit répondre au critère de la preuve hors de tout doute raisonnable, un niveau évidemment plus exigeant.

[42]           Il appartenait donc aux parties demanderesses de prouver par prépondérance les faits au soutien de chaque élément de la responsabilité civile du défendeur, soit la faute, le préjudice et le lien causal entre les deux comme le prévoit l’article 1457 C.c.Q., alinéas 1 et 2 :

1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.

[…]

[43]           Sur l’un et l’autre de ces trois éléments, le Tribunal, à partir d’une jurisprudence immense, retient ces extraits de trois arrêts récents de la Cour suprême du Canada qui était appelée dans chaque cas à se prononcer sur des pourvois de droit civil. Ces passages ont pour mérite de distiller pour ainsi dire les commentaires des auteurs et les jugements des tribunaux sur chacun.

[44]           Sur la notion de faute en droit civil, dans l’arrêt Kosoian c. Société de transport de Montréal[5], la juge Côté, au nom de la Cour suprême du Canada unanime, écrit :

[42] En droit civil québécois, l’art. 1457 C.c.Q. impose à toute personne « le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui ». Une faute civile extracontractuelle survient lorsqu’une personne douée de raison manque à ce devoir en se comportant d’une manière qui s’écarte de la conduite qu’une personne raisonnable, prudente et diligente aurait eue dans les mêmes circonstances […]. En ce sens, la faute est un « concept universel » qui s’applique à toute action en justice fondée sur l’art. 1457 C.c.Q. […].

[43] La norme de conduite dont le respect est attendu de la personne raisonnable correspond à une obligation de moyens […]. Le régime général de la responsabilité civile extracontractuelle n’exige pas «l’infaillibilité totale» ni d’ailleurs le «comportement d’une personne douée d’une intelligence supérieure et d’une habileté exceptionnelle, capable de tout prévoir et de tout savoir et agissant bien en toutes circonstances» […].

 

[45]           Sur la réparation du préjudice, dans l’arrêt Ville de Montréal c. Dorval[6], le juge Wagner, au nom de la majorité de la Cour suprême, fait la synthèse suivante :

[30] En somme, l’atteinte fautive, qu’elle soit de nature corporelle, matérielle ou morale, demeure le fondement du recours en responsabilité civile, et les conséquences de cette atteinte sont cristallisées par les chefs de dommages-intérêts réclamés. Pour la victime d’une atteinte fautive à son intégrité physique et pour toute autre victime qui subit également des conséquences immédiates et directes de cette atteinte, il leur sera possible de réclamer leurs pertes pécuniaires ou non pécuniaires en fonction des chefs de dommages-intérêts allégués dans une action fondée sur la même atteinte fautive.

[46]           Enfin, pour ce qui est du lien causal entre la faute et le préjudice, dans l’arrêt Salomon c. Matte-Thompson[7], le juge Gascon parlant au nom de la majorité de la Cour suprême, écrit :

[84] Une faute constitue une cause véritable du préjudice si celui-ci en est la suite logique, directe et immédiate […] Cette détermination est dans une large mesure une question de fait et elle dépend de l’ensemble des circonstances de l’affaire […]

[47]           Ces propos rejoignent ce qu’écrivent les auteurs Baudouin, Deslauriers et Moore[8] dans leur traité de la responsabilité civile :

1-683 Position générale La seule constante véritable de toutes les décisions est la règle selon laquelle le dommage doit avoir été la conséquence logique, directe et immédiate de la faute. Maintes fois mise de l’avant par les tribunaux, cette règle révèle un désir de restreindre le champ de la causalité et de ne retenir comme cause que le ou les événements ayant un rapport logique et intellectuel étroit avec le préjudice dont se plaint la victime.

[48]           En 2015, dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation)[9], la Cour suprême s’exprimait ainsi sur la notion de «lien causal» :

[50] […] l’expression « lien causal » réfère à une notion précise en droit civil québécois. En effet, en matière de responsabilité civile, le demandeur doit établir, selon la prépondérance des probabilités, le « lien causal » entre la faute du défendeur et le préjudice qu’il subit […] D’après la définition qu’en donnent les tribunaux québécois, ce « lien causal » exige que le dommage soit la conséquence logique, directe et immédiate de la faute. Suivant cette règle, la cause doit donc présenter un rapport « étroit » avec le préjudice subi par la victime […].

5.                 La faute : le comportement du défendeur

[49]           Cela dit, les codemanderesses allèguent que le défendeur s’est livré à des gestes à caractère sexuel à répétition sur la personne de X, à l’insu des autres membres de la famille, soit A, sa mère, C, son père, Z, sa sœur cadette ou F, l’épouse du défendeur.

[50]           Précisons avant d’aller plus loin ce qu’il en est de ces gestes. Il est en preuve qu’il n’y a pas eu de rapport sexuel complet à proprement parler entre le défendeur et X. Il n’y a pas eu de pénétration ou de sodomie. Il n’y a pas eu de masturbation en présence de l’enfant. Il n’y a pas eu de viol. Celle-ci ne s’est pas retrouvée enceinte des œuvres de son grand-père. La faute du défendeur réside plutôt dans un continuum de gestes, d’attouchements et de contacts sexuels répétés et insistants qui en eux-mêmes se situent aux antipodes des règles de conduite attendues d’un grand-parent envers ses petits-enfants.

[51]           La preuve nous apprend que le premier de ces épisodes survient au chalet des grands-parents à la veille de Noël 2013, au retour de la messe de minuit, après la distribution des cadeaux, une fois que les parents et la jeune sœur de X de même que l’épouse du défendeur aient été se coucher un à un. Ne restaient debout que X et son grand-père qui s’installent au salon pour regarder un film. Au programme, l’Ère de glace, un film d’animation que l’enfant venait de recevoir comme présent.

[52]           Durant le film, le défendeur se lève pour aller à la toilette. Lorsqu’il revient, X est étendue sur le divan avec la tête tournée vers l’écran, si on en croit le défendeur.

[53]           Selon X, il s’allonge à ses côtés, se place derrière elle, se couche en cuillère en la tenant par les épaules, lui tourne la tête vers la sienne et l’embrasse sur la bouche «comme un amoureux le ferait à son amoureuse». Il ne porte qu’un caleçon de type boxer et une camisole, selon elle.

[54]           Une fois le premier choc passé, l’enfant, perturbée, se lève et va rejoindre sa petite sœur dans sa chambre où le grand-père la suit. Il l’embrasse à nouveau, lui dit qu’il l’aime et lui caresse les cheveux et les bras avant de se retirer.

[55]           Selon la codemanderesse, ses baisers n’étaient pas des becs secs (sic) innocents mais plutôt des becs mouillés (sic), sans pénétration de la langue cette fois-là[10]. Ceci n’a rien à voir avec faire la bise, un exemple sur lequel revient sans cesse le défendeur par comparaison dans le cours de son témoignage.

[56]           Dans la vie de tous les jours, quand les enfants [de la famille A] arrivent et quittent leurs grands-parents, elles sont en présence l’une de l’autre et de leurs parents. Tous se font alors la bise et s’échangent des câlins. C’est évident.

[57]           Mais, selon X, il en va tout autrement lorsqu’elle et son grand-père se retrouvent seul à seul, alors que les becs se transforment en baisers, avec ou sans pénétration de la langue, et les câlins en caresses.

[58]           Cela dit, selon le défendeur, lorsqu’il revient au salon quelques minutes plus tard, X refuse de bouger, ne lui répond pas et ne se déplace pas lorsqu’il lui demande de le faire. Il aurait donc cherché à la contourner pour retrouver sa place sur le divan mais ce faisant, aurait culbuté pour se retrouver étendu entre elle et le dossier, «en cuillère». Constatant sa position précaire, il se serait vite ressaisi, se serait relevé et aurait été s’asseoir dans son fauteuil habituel.

[59]           La codemanderesse ne rapporte pas l’incident de cette façon. Elle dit avoir été sidérée par les gestes et l’attitude de son grand-père et en avoir ressenti un profond malaise. Elle avait alors 13 ans. Pour elle, la confusion s’installe dès lors.

[60]           Bref, pour le défendeur, ce n’était que de la tendresse prodiguée à l’enfant, sans arrière-pensée à caractère sexuel. Il lui dira après cet incident : «Je t’aime quand même», comme si c’était à lui de pardonner à sa petite-fille. Il ajoute que, le lendemain, cet épisode était déjà «enterré». Lorsqu’il a revu les codemanderesses la semaine d’après, «il n’en a pas été question». Bref, à ses yeux, un non-événement.

[61]           Qui dit vrai? Le Tribunal considère plus probable la version de la codemanderesse que celle du grand-père. En effet, certains éléments d’information tendent à crédibiliser la première aux dépens de la seconde.

[62]           Dans son interrogatoire préalable du 28 mai 2019, le défendeur, pour expliquer qu’il aurait pu être allongé aux côtés de sa petite-fille, commence par dire qu’ils étaient assis dans des fauteuils inclinables de type Lazy boy[11] pour ensuite se raviser et reconnaître qu’il s’agissait d’un divan à trois places[12].

[63]           Dans ce contexte, alors qu’il reconnaît pourtant s’être «retrouvé en cuillère» avec sa petite-fille, la version du défendeur n’apparaît pas crédible. En effet, alors qu’il aurait très bien pu s’asseoir ailleurs, comment a-t-il pu culbuter comme il le prétend et se retrouver inopinément derrière X et se lover contre elle, un point de détail qu’il ne nie pourtant pas? Cette proposition, telle que la relate le défendeur, est abracadabrante et doit être écartée au profit de la version plus crédible de la codemanderesse.

[64]           Cet épisode représente le premier de ces dérapages au cours desquels il se révélera incapable de respecter «la ligne qu’il ne fallait pas [qu’il] dépasse», pour reprendre ses propres mots[13]. Pourtant, la preuve nous apprend qu’il n’a jamais jugé bon de consulter alors qu’il savait qu’il n’était «pas en mesure de [se] contrôler»[14].

[65]           Près de deux ans plus tard, survient l’épisode du 22 octobre 2015 déjà mentionné. Le défendeur ne le nie pas bien qu’il cherche à en atténuer la portée au plan temporel, factuel et émotif.

[66]           Ce jour-là, X apprend que c’est son grand-père qui la conduira au CHU Ste-Justine pour un traitement de physiothérapie associé à un problème de scoliose. Elle doit porter à cette époque un corset orthopédique qui l’incommode.

[67]           Depuis deux ans, X cherchait par tous les moyens à tenir le défendeur à distance. Plutôt que de monter à l’avant du véhicule du défendeur, elle propose donc de s’asseoir sur le siège arrière pour avoir plus d’espace en prenant prétexte du corset. Mais il insiste pour qu’elle s’assoit à ses côtés au motif que le siège arrière est déjà occupé par divers objets. En cours de route, il lui tient la main et entrelace ses doigts dans les siens.

[68]           À l’insu de son grand-père, elle prend une photo de leurs mains au moyen de sa tablette parce qu’elle est convaincue que personne ne la croira si elle ne conserve pas de traces. La photo est éloquente : les doigts de l’enfant ne sont pas refermés sur ceux du défendeur mais restent tendus[15].

[69]           Quelques minutes après, il dégage sa main droite et la pose sur la cuisse de X près de l’entrejambe. L’enfant prend une seconde photo[16].

[70]           Puis le défendeur remonte sa main et l’appuie sur la vulve de sa petite-fille et la caresse dans un mouvement de va-et-vient. Il lui dit de se détendre mais X s’en montre incapable. Elle se tourne plutôt sur son flanc droit, contre la portière, et fait semblant de dormir pour échapper à cette nouvelle agression. Elle pleure.

[71]           Au retour, plutôt que de la ramener directement au collège, il s’engage dans un chemin de travers dans le parc A, situé à faible distance de leur destination. Il dit l’avoir fait pour lui donner l’occasion de s’excuser de son agression. Il lui propose de l’argent, ce que la codemanderesse refuse par peur que sa mère, comptable, s’en rende compte et lui pose des questions. Il lui prend le visage entre ses mains et l’embrasse sur la bouche, ce que le défendeur admet.

[72]           Mais ce dernier, selon sa version, affirme avoir pris la main de sa petite-fille et l’avoir tenue dans la sienne pour la rassurer, parce qu’il la sentait «down», dit-il. Il nie aussi le mouvement de va-et-vient de la main dont témoignage X. Pourtant, ce détail a fait l’objet d’une admission de sa part, comme on le verra plus loin.

[73]           Mais peu importe les nuances que le défendeur propose, il reconnaît que l’épisode du 22 octobre 2015 a été le point de bascule. C’est le moment où à ses propres yeux il est allé trop loin. Il condamne lui-même son geste en termes sévères bien qu’il tente du même souffle d’en atténuer la portée et de le ramener à un incident fugace à défaut d’être innocent.

[74]           L’ensemble de la preuve démontre qu’il s’agit plutôt de l’acte final d’une déviance de nature sexuelle de sa part et qu’il s’inscrit dans un «continuum» d’épisodes homogènes, au sens qu’accorde à ce mot la Cour suprême dans l’arrêt Salomon[17].

[75]           Entre ces deux épisodes, que 667 jours séparent, la codemanderesse allègue avoir été l’objet de caresses incessantes non sollicitées et non voulues, de contacts sexuels, de tripotage, de baisers avec ou sans pénétration de la langue, de Je t’aime malaisants, de manifestations d’un amour charnel mal contenu qui détonnent de la part d’un grand-père.

[76]           Les demanderesses allèguent que ces gestes à caractère sexuel atteignent le chiffre de 250 épisodes.

[77]           À l’issue du procès, le Tribunal reconnaît que tous ces épisodes n’ont pas eu la même importance et que certains se détachent du lot. Le Tribunal comprend par contre que la codemanderesse, dans le silence où les gestes embarrassants de son grand-père la gardaient prisonnière, n’en ait pas tenu le calendrier.

[78]           Mais le Tribunal comprend surtout qu’une fois enclenché, ce type de comportement, incompréhensible aux yeux d’une victime en bas-âge, ait laissé place à une peur phobique à l’endroit du grand-père pouvant transformer les «salutations d’usage», les bises et les caresses anodines en autant de moments de panique chez l’enfant agressée. Sur cet aspect, c’est ce que le Tribunal retient du témoignage de l’experte des demanderesses sur lequel il reviendra plus loin.

[79]           Mais de toute façon, le nombre précis d’épisodes importe peu. C’est de leur caractère répétitif et inexorable que découle le préjudice.

[80]           Au cours de son témoignage et durant un long contre-interrogatoire, livrés hors la présence du défendeur, X demeure cohérente, ferme, certes par moment bouleversée, mais dans l’ensemble contenue malgré sa frayeur de devoir à nouveau être confrontée à cette succession de souvenirs douloureux pour elle.

[81]           C’est ainsi que X relate avec précision certains épisodes.

[82]           Au printemps 2014, ses parents s’absentent pour une semaine de vacances. Elle panique lorsqu’elle apprend qu’elle et sa sœur passeront la semaine chez leurs grands-parents maternels. Elle craint pour elle et pour sa petite sœur Z.

[83]           Une fois parvenues à la maison des grands-parents, cette dernière ne veut pas partager le lit de X où elle se sent à l’étroit forçant du même coup cette dernière à coucher dans une chambre au sous-sol.

[84]           Un soir, après que X eut terminé ses travaux scolaires dans sa chambre vers 22 :00, son grand-père l’y rejoint et reprend son manège, lui dit combien il la trouve belle, la caresse, pose sa main sur sa cuisse. Elle prend alors prétexte de devoir aller à la toilette, monte à l’étage et s’y enferme pour se mettre en sécurité. Elle y passera le plus clair de la nuit.

[85]           Les grands-parents affirment que jamais X n’a couché dans la chambre au sous-sol de leur résidence mais Z corrobore le témoignage de sa sœur à ce propos, aussi bien dans son témoignage en chef qu’en contre-interrogatoire.

[86]           Elle se souvient que X ne voulait rien savoir d’aller passer la semaine chez leurs grands-parents et quelle ne comprenait pas la raison de cette réticence. Elle se souvient très bien que sa sœur ne voulait pour rien au monde coucher au sous-sol, qu’elle souhaitait dormir avec elle à l’étage même si c’était dans un lit simple et que c’est elle, Z, qui sy objectait.

[87]           Cet aspect du témoignage de X est solidement corroboré par celui de Z. Cela suffit pour que le Tribunal le préfère à la version des grands-parents. Il rend plus crédible le récit que fait la codemanderesse de ce qui s’est passé ce soir-là et de l’endroit où elle a trouvé refuge durant une partie de la nuit que la version du défendeur et de son épouse qui se contentent d’aligner des généralités sans se concentrer sur les circonstances spécifiques relatées par leurs petites-filles.

[88]           À une autre occasion, pendant l’été 2015, alors que X était contrainte de suivre des cours de rattrapage au collège, le défendeur est allé l’y chercher et l’a reconduite chez elle. Contrairement à son habitude et contre la volonté de sa petite-fille, qui dit avoir craint là encore de se retrouver seule avec lui, le grand-père est entré dans la maison. Aussitôt entrés, X, prise d’inquiétude, demande à Z de les rejoindre. Celle-ci refuse tout net. Le défendeur en profite pour tripoter sa petite-fille et l’embrasser avec la langue. En quittant, il achète plusieurs boîtes de bonbons déposées sur le comptoir de cuisine que la codemanderesse vendait dans l’objectif de financer un voyage avec son groupe de danse.

[89]           Dans son témoignage, Z se souvient que sa sœur lui a demandé de la rejoindre dans la cuisine à une occasion, durant l’été 2015, au retour de ses cours de rattrapage. Elle a refusé parce qu’elle considérait ne pas avoir d’ordre à recevoir de sa sœur aînée. Ce qui corrobore le témoignage de X.

[90]           Quant au reste, soit des attouchements furtifs, des baisers, des caresses fugaces et des déclarations d’amour, la codemanderesse décrit un modus operandi du défendeur qui profite des moindres prétextes pour s’approcher de l’enfant à l’insu de tous. Une affaire souvent de quelques secondes ou de quelques minutes, non sollicitée et redoutée par X.

[91]           Pour avoir la paix et ne plus avoir à subir ces assauts à répétition, à deux reprises, en 2015, elle invite Malek, un ami du collège à qui elle s’est ouverte de ce que son grand-père lui faisait vivre, à se joindre à elle et à la famille pour fêter l’Halloween ou Noël. Elle se sert de lui, avec son plein accord, comme d’un bouclier humain pour échapper aux privautés du grand-père. Malek corrobore cette partie du témoignage de la codemanderesse. Il explique avoir ressenti de la colère et de l’incompréhension à l’endroit du défendeur qui de son côté ignorait que Malek était informé de ses actes.

[92]           En somme, la preuve ne permet pas de chiffrer le nombre de contacts sexuels dont X aurait été la victime. Mais peu importe leur nombre exact, il se dégage de la preuve un schéma comportemental du défendeur à l’égard de sa petite-fille. Celui-ci se serait développé à partir d’une révélation qu’il aurait eue le 21 décembre 2013 en lui prenant la main au sortir d’un spectacle du Cirque du Soleil  «Et là là, pour moi ça été comme une révélation, quelqu’un qui s’occupait de moi»[18] pour se muter en gestes sexualisés répétitifs et à caractère incestueux.

[93]           À cela, le défendeur, dans sa défense et son témoignage en chef, oppose une série de dénégations, invoque l’affection qu’il ressent pour ses petites-filles et, s’il reconnait avoir dépassé les bornes le 22 octobre 2015 en posant un geste qu’il qualifie tour à tour d’«incompréhensible», de «démentiel», d’«inqualifiable» et de «dramatique», répète que c’était un geste isolé qu’il regrette amèrement. Pour le reste, il n’aurait pas embrassé X avec la langue, ne l’aurait pas tassée dans les coins, ne l’aurait pas tripotée et n’aurait utilisé les mots «je t’aime» que pour témoigner de son affection de bon-papa.

[94]           Qu’en est-il? La question est cruciale parce qu’à défaut de cerner la faute, il est impossible d’apprécier le préjudice.

6.                 un geste isolé ou un continuum?

[95]           Comme on l’a vu et au risque de répétition, le défendeur admet avoir posé le geste du 22 octobre 2015. Il ne se l’explique pas, le déplore, le condamne sévèrement et s’en excuse tant et plus. Toutefois, selon lui, il s’agirait d’un geste aussi isolé que fugace, qui ne peut avoir entrainé le préjudice allégué. C’est là son principal motif de défense. Cette proposition du défendeur doit être recadrée à partir de l’ensemble de la preuve.

[96]           À cette fin, voyons maintenant a) les aveux du défendeur des 5 et 6 janvier 2016 d’abord à sa fille, puis à la directrice générale de l’arrondissement de Montréal-Nord, à son directeur de cabinet et au directeur de cabinet du maire de Montréal; b) son Exposé conjoint des faits du 28 novembre 2016 et c) son contre-interrogatoire du 21 décembre 2021. Ces éléments de preuve conjugués accréditent la version des faits des demanderesses au détriment de celle du défendeur.

6.1.           Les aveux successifs des 5 et 6 janvier 2016

[97]           C’est le 5 janvier 2016 que la vérité éclate au grand jour.

[98]           La codemanderesse A profite d’une journée libre avant son retour au travail après la pause du temps des Fêtes.

6.1.1.    L’aveu à A

[99]           Vers 13 :15, elle reçoit un téléphone de Mme Mélanie Lainesse de la Direction de la protection de la jeunesse qui demande à la rencontrer d’urgence avec Z, X étant déjà en sa compagnie puisquelle-même était allée la chercher à l’école. Motif de cet appel : l’enfant aurait été victime d’une agression sexuelle. L’incompréhension de la codemanderesse est totale.

[100]      Soulignons que X ne s’est pas adressée au Service de police de Montréal ou à la DPJ pour dénoncer la situation. C’est plutôt une de ses amies du collège, Mathilde Pellerin, laquelle a témoigné au procès, qui, après que la codemanderesse se soit confiée à elle de ce que son grand-père lui faisait, a jugé bon d’en parler à ses parents. Tous les trois ont dès lors jugé urgent de prévenir les autorités le mardi 5 janvier 2016. C’est ainsi que la DPJ est rapidement intervenue.

[101]      Cela dit, A appelle spontanément son père pour l’informer et lui demander conseil puisqu’il jouit de la confiance de sa fille qui voit en lui l’ancien policier familier de ce genre de situation. Le défendeur l’informe qu’il va la rejoindre à l’école de Z.

[102]      Pendant qu’elle attend que cette dernière la rejoigne à l’auto, le défendeur arrive sur les lieux, stationne son véhicule à proximité de celui de sa fille et lui fait signe de l’y rejoindre, ce qu’elle fait.

[103]      C’est alors qu’il dit à la codemanderesse, sans la regarder : «S’il y a quelque chose, c’est moi». Elle relate qu’elle passe alors en un  éclair de l’inquiétude d’avoir été appelée par la DPJ à l’incompréhension puis à l’effarement. Il lui avoue être tombé en amour avec X deux ans plus tôt et se sentir comme un petit garçon devant elle. Pour la rassurer, il ajoute qu’il n’y a eu ni pénétration, ni masturbation en présence de sa petite-fille seulement des baisers et des caresses.

[104]      Pour la demanderesse, c’est le moment où le miroir de sa vie vole en éclats, pour reprendre la métaphore déjà évoquée.

[105]      Cette déclaration du défendeur à sa fille trouve son écho dans la réaction de X lorsqu’elle se retrouve devant Mme Lainesse de la DPJ venue la chercher directement au collège. En effet, une fois que celle-ci se soit identifiée, l’enfant fond en larmes en lui disant connaître la raison de sa présence : «À cause de mon papy» déclare-t-elle spontanément, comme le rapporte Mme Lainesse dont il n’y a pas lieu de douter de la sincérité[19].

6.1.2.    L’aveu en présence de la directrice générale de l’arrondissement

[106]      Le lendemain matin, aux bureaux de l’arrondissement, était prévue à 10 :00 une rencontre en vue de préparer la prochaine réunion du Conseil d’arrondissement. Y participaient quelques personnes réunies autour du défendeur dont Mme Rachel Laperrière, la directrice générale de l’arrondissement, et M. Jean-Marc Jacques, le directeur de cabinet du maire de l’arrondissement, qui tous deux témoignent au procès. Leurs témoignages concordent.

[107]      Lorsque débute cette réunion, prévue durer deux heures mais qui prendra 10 minutes, le défendeur, manifestement secoué, leur remet copie de la lettre de démission avec effet immédiat qu’il vient de faire parvenir au maire de Montréal, M. Denis Coderre. Il leur dit du même coup avoir posé des gestes répréhensibles et avoir fait des attouchements sur une jeune fille. Il ajoute être seul responsable de cette situation. Pour son directeur de cabinet, cette information confirmait ce que B lui avait dit la veille au soir après l’avoir rencontré pendant environ 30 minutes dans le stationnement d’un commerce situé à Anjou.

[108]      Tant la directrice générale que le directeur de cabinet ont fourni des dépositions en ce sens au SPVM.

6.1.3.    L’aveu au maire Denis Coderre

[109]      Dans sa lettre du 6 janvier 2016 adressée au maire Coderre, le défendeur annonce démissionner de toutes ses fonctions soit à titre de maire d’arrondissement de Montréal-Nord, de conseiller de ville, de président du conseil de l’agglomération de Montréal ainsi que de ses fonctions au sein de la Communauté métropolitaine de Montréal[20].

[110]      Il reconnait que des «circonstances extrêmement malheureuses», dont il dit être l’unique responsable, le forcent à démissionner. Il ajoute :

Je suis le seul artisan de mon malheur et je regrette infiniment tout le mal que j’ai fait à mes proches et ainsi qu’à la trahison à l’ensemble de mes amis, partenaires et concitoyens.

J’ai honte de moi-même !!

6.1.4.    L’aveu à M. Denis Dolbec

[111]      Le contenu de cette lettre correspond à ce que le défendeur avait indiqué un peu plus tôt le même jour dans le cadre d’une conversation téléphonique avec le directeur de cabinet du maire de Montréal, M. Denis Dolbec, appelé lui aussi à témoigner au procès.

[112]      M. B a avoué à ce dernier avoir commis à répétition des attouchements sexuels de toute nature sur sa petite-fille de 15 ans, que des poursuites criminelles seraient intentées contre lui et qu’il avait l’intention de plaider coupable pour éviter à celle-ci les affres d’un procès.

[113]      Lorsqu’il reparle au défendeur peu après pour lui demander sa lettre de démission, M. Dolbec dit avoir eu l’impression de s’adresser à un homme brisé qu’il entendait hurler avant quil n’accepte de prendre l’appareil : «C’étaient les cris qu’on pourrait entendre devant une tombe qu’on referme» dit-il pour se faire bien comprendre.

[114]      Considérant avoir reçu un aveu extra-judiciaire d’actes punissables au criminel sur la personne d’une mineure, M. Dolbec communique sur le champ avec le directeur de cabinet du directeur du SPVM pour se mettre à la disposition des enquêteurs. Il rencontrera ceux-ci peu aps à son bureau de l’Hôtel-de-ville pour faire une déposition.

[115]      Du témoignage des personnes qui ont rencontré ou directement parlé au défendeur entre le début de l’après-midi du 5 janvier 2016 et 10 :00 le lendemain, le Tribunal retient que ce dernier a reconnu et admis à au moins quatre reprises avoir posé des gestes de nature sexuelle à répétition sur la personne de sa petite-fille. À sa propre fille, il a avoué que ce manège avait duré deux ans.

6.2.           Les procédures au criminel, le plaidoyer de culpabilité du défendeur et l’Exposé sommaire des faits du 28 novembre 2016

[116]      Le 11 janvier 2016, M. B est arrêté en vertu d’un mandat d’arrestation émis le jour même. Il s’agissait pour le SPVM et la DPJ d’une affaire grave et urgente comme en témoigne à l’enquête la sergente-détective Mélanie Noiseux du Module agressions sexuelles du SPVM où elle est en service depuis 1998.

[117]      Le défendeur est ainsi inculpé sous deux chefs d’accusation, soit un d’agression sexuelle en vertu de l’article 271 du Code criminel et un de contacts sexuels sur un mineur de moins de 16 ans en vertu de l’article 151 C.cr[21].

[118]      Ces deux articles se lisent ainsi :

151 Toute personne qui, à des fins d’ordre sexuel, touche directement ou indirectement, avec une partie de son corps ou avec un objet, une partie du corps d’un enfant âgé de moins de seize ans est coupable :

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de un an;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour, la peine minimale étant de quatre-vingt-dix jours.

271 Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans ou, si le plaignant est âgé de moins de seize ans, d’un emprisonnement maximal de quatorze ans, la peine minimale étant de un an;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois ou, si le plaignant est âgé de moins de seize ans, d’un emprisonnement maximal de deux ans moins un jour, la peine minimale étant de six mois.

[119]      Il est remis en liberté au moment de sa comparution.

[120]      Après avoir plaidé non coupable et opté pour un procès devant juge et jury, le défendeur opte finalement pour un procès devant un juge seul, sans enquête préliminaire. Puis, le 1er décembre 2016, il modifie sa position et enregistre un plaidoyer de culpabilité à l’accusation de contacts sexuels avec une enfant de moins de 16 ans. En échange, il bénéficie d’un arrêt des procédures sous le chef d’agression sexuelle.

[121]      Le [...] 2017, les codemanderesses ont l’occasion de lire à la juge Myriam Lachance, alors juge à la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, des textes dans lesquels elles expriment la détresse qu’auront engendrée chez X les gestes sexualisés posés par le défendeur[22].

[122]      Un rapport présententiel du 14 mars 2017 fait état du caractère répétitif des gestes et contacts sexuels auxquels s’est livré le défendeur[23]. Il est accompagné d’une Évaluation criminologique du 9 septembre 2016 signée de M. Jonathan Lambert, M.Sc. Criminologue, qui témoignera au procès. Fait à noter, celui-ci a été choisi et payé par Me Frank Pappas, un des deux avocats du défendeur dans le dossier criminel; il n’y a pas de contre-expertise criminologique au dossier de la Cour du Québec. Ce document donne une voix au grand-père et lui permet de mettre en contexte les gestes à portée sexuelle qu’il a posés sans s’exposer au contre-interrogatoire.

[123]       Le [...] 2017, le défendeur a été condamné à une sentence de 184 jours de détention accompagnée d’une ordonnance de probation de deux ans sans surveillance et de l’obligation de s’inscrire au registre des délinquants sexuels pour une période de 10 ans.

[124]      Or, afin de pouvoir enregistrer un plaidoyer de culpabilité sous l’accusation de contacts sexuels en échange d’un retrait par le DPCP de l’accusation plus grave d’agression sexuelle, le défendeur a signé le 28 novembre 2016, un Exposé conjoints (sic) des faits[24]. Ce document, outre la sienne propre, porte la signature de Mes Frank Pappas et Alexandre Bergevin, les avocats criminalistes de B, ainsi que de Me Louise Blais, la procureure aux poursuites criminelles et pénales. C’est un document important qui pèse ici de tout son poids.

[125]      Le défendeur y admet que :

a)                   la victime est sa petite-fille;

b)                   les faits «à l’origine des accusations» se sont déroulés alors qu’elle était âgée de 13 à 15 ans;

c)                   en décembre 2013, en écoutant un film, il l’a «collée», l’a retenue, ramenée vers lui et embrassée sur la bouche, ce baiser «étant celui d’un chum à sa blonde»;

d)                   lorsqu’il se trouvait seul avec elle, il lui «donnait des becs sur la bouche, des câlins et des becs sur la bouche avec la langue»;

e)                   ces gestes ont été posés «fréquemment»;

f)                     le 22 octobre 2015, sa petite-fille, «craignant qu’il la touche» aurait préféré s’asseoir sur la banquette arrière plutôt qu’à l’avant;

g)                   en route vers le CHU Ste-Justine, il lui a flatté la cuisse et pris la main;

h)                   au retour de l’hôpital, il lui a à nouveau flatté la cuisse, «mais a remonté sa main plus haut et, avec sa main, a fait un mouvement de haut en bas au niveau du vagin, par-dessus-ses vêtements»;

i)                      après qu’elle lui eut dit d’arrêter, il a persisté; et

j)                      par la suite, il «a arrêté sa voiture à côté d’un petit boisé […], s’est excusé, l’a embrassée sur la bouche avec la langue», avant de la laisser au collège.

[126]      Dans le cadre de son interrogatoire préalable du 28 mai 2019, M. B s’emploie à atténuer la portée de cet Exposé. Il répète à au moins cinq reprises que l’épisode du 22 octobre 2015, qu’il reconnaît, selon ses mots, avoir été «démentiel», «inapproprié» et «grave»[25], n’aura duré qu’«entre 0,8 et 1,2 seconde». Bref, une misère.

[127]      Malgré ce qui est écrit noir sur blanc dans l’Exposé signé de sa main, il nie aujourd’hui avoir embrassé sa petite-fille avec la langue ou l’avoir caressée sur le corps et dans les cheveux. Bref, à part le geste spécifique du 22 octobre 2015, il n’aurait rien fait pouvant s’apparenter à des actes criminellement punissables.

[128]      Ce qui expliquerait le hiatus entre ce qu’il a vraiment fait et les gestes qu’il a admis dans son Exposé serait sa volonté de soustraire sa petite-fille et sa famille au regard des journalistes, ces «requins»[26].

[129]      Quand Me Pappas lui a présenté ce document, le défendeur, après l’avoir lu, aurait, selon lui, répliqué «Jamais»[27]. Puis, son avocat lui aurait expliqué que s’il signait ce document, il écoperait d’une peine de prison pouvant aller de trois à 12 mois mais, «[s]i on va au procès, tu vas peut-être avoir entre un an puis 18 mois»[28]. Selon lui, pour briser sa résistance, Me Pappas aurait ajouté : «[…] tu sais, il faut leur donner quelque chose, c’est ça ou on s’en va au procès»[29], puisque, aux yeux des enquêteurs, B était un «trophée de chasse».

[130]      C’est donc, selon ce qu’il prétend, pour le bien des codemanderesses et pour leur éviter d’être la proie des requins de la presse qu’il aurait signé ce document. Or, ce scrupule semble s’être dissipé avec le temps puisque ce qu’il disait vouloir éviter s’est produit au procès civil dans le cadre duquel les membres de la famille A se sont entredéchirés durant 9 jours. Le Tribunal ne prête aucune foi à ce que dit le défendeur à ce chapitre. C’est pour éviter un procès au criminel humiliant pour lui qu’il a plaidé coupable. Rien d’autre.

[131]      Le Tribunal estime donc que l’Exposé a été signé par le défendeur pour lui permettre de bénéficier : a) d’un arrêt des procédures sous l’accusation la plus grave et b) d’une peine assez légère de six mois pour contacts sexuels sur une enfant de moins de 16 ans.

[132]      De fait, de la peine de six mois de prison qui lui a été imposée, il ne purgera que 32 jours dans des circonstances sur lesquelles il n’y a pas lieu de s’étendre ici[30] mais dont s’indignent encore aujourd’hui les codemanderesses pour des motifs que le Tribunal est en mesure de comprendre.

[133]      Cela dit, le défendeur, dans son interrogatoire préalable, réduit son comportement déviant à un seul épisode. Pour le reste, son Exposé est, comme il le dit lui-même, un «compromis avec la vérité»[31]. Si on le comprend bien, il se serait attribué des gestes répréhensibles pour permettre à ses avocats de lui ménager la sentence la plus clémente possible.

[134]      Là non plus, le Tribunal ne le suit pas. Cette proposition est cousue de fil blanc et mine le peu de crédibilité qui lui reste. La vérité n’est pas une monnaie d’échange qui s’accommode tantôt d’une version et tantôt d’une autre. Le défendeur ne peut pas bénéficier du beurre au criminel et de l’argent du beurre au civil. Dit autrement, en signant l’Exposé, il aurait délibérément trompé le système de justice criminelle et pénale pour tirer son épingle du jeu et voudrait maintenant faire croire à une version alternative des faits pour minimiser sa faute et minorer le montant des dommages. Le Tribunal ne peut prêter foi à ce qu’il propose. Les dénégations répétées du défendeur n’ajoutent ni ne retirent une goutte d’eau à la pluie. Elles ne sont tout simplement pas crédibles.

[135]      Avant d’enchaîner, le Tribunal souligne que le défendeur aura pris grand soin de se présenter sous son meilleur jour dans le cadre de son témoignage en chef. On en retient que le défendeur se considère comme un bourreau de travail s’employant sans relâche au bien de la collectivité à la fois dans ses tâches de policier, de responsable du bureau de comté de la ministre Beauchamp, de président des Loisirs Ste-Colette de Montréal-Nord et de maire d’arrondissement. Il décrit longuement son engagement auprès des jeunes, des handicapés intellectuels et des mères monoparentales comme auprès de la communauté haïtienne de Montréal-Nord. Il vante ses efforts pour soutenir le sport chez les jeunes et son indéfectible appui au Grand défi Pierre Lavoie. Il met l’accent sur les moments difficiles pour lui et son couple que furent le décès de sa belle-mère puis celui de sa propre mère qu’il pleure encore.

[136]      Il juge sévèrement sa fille A pour sa sévérité envers X alors que la mère cherchait tant bien que mal à comprendre les difficultés qu’éprouvait sa fille. Il lui fait reproche d’avoir menacé l’enfant de la retirer du collège privé pour l’inscrire à «l’école des gens de couleur», une formule qui n’est pas sans surprendre venant de lui.

[137]      Il porte un regard hautain sur son gendre qui ne serait qu’un «vendeur de pâtes chez [la Compagnie A]» et qui ne se «grouille pas […]», pour citer le défendeur au texte.

[138]      Mais il s’égare vraiment lorsqu’il cherche à faire de son gendre le vrai responsable de ce qui s’est produit le 22 octobre 2015. Le Tribunal reproduit à ce chapitre les propos tenus par le défendeur dans le cadre de son contre-interrogatoire :

M. le juge, j’ai de la misère à m’expliquer, puis là je vais être très transparent, comment se fait-il qu’il y a des occasions où on a besoin de quelqu’un qui aille à l’hôpital avec X et que ce soit […] le grand-père, le maire de Montréal-Nord, celui qui a du travail incroyable. J’en veux pas au monsieur [i.e. le père de X], monsieur y vend des pâtes alimentaires [Compagnie A], c’est correct c’est correct. Il n’a selon moi, dans toutes ces années-là, n’a jamais été présent pour un transport spécifique chez l’optométriste, chez Jean Allard, le docteur de famille, pour ces occasions-[…] Papa C n’est pas présent mais grand-papa lui, lui est capable, il est fait fort. […] Quelle est la responsabilité du père? […] pourquoi que le père a pas perçu que sa fille avait besoin, pourquoi que le 22 octobre le père n’est pas présent. L’événement malheureux, là démentiel, M. le juge, ne se serait pas produit.[32]

(Le Tribunal souligne)

Ces propos en disent long sur la perception que le défendeur entretient de sa responsabilité à l’endroit de sa petite fille.

[139]      Réunis les uns aux autres, ces différents aspects du témoignage en chef du défendeur ou de son contre-interrogatoire corroborent les conclusions du psychologue Yohan Raymond, que le défendeur a consulté entre le 21 janvier 2016 et le 31 août 2016, telles que rapportées dans le rapport présententiel du 14 mars 2017 signé de l’agente de probation Stéphanie Daigneault :

«Ce dernier a décelé des traits de personnalité narcissique chez l’accusé, mais également une émotivité forte quant à la crise qu’il traversait».[33]

[140]      Madame Daigneault souligne par ailleurs plus loin dans son rapport que :

«Sur le plan criminologique, cette immaturité émotive a amené Monsieur à confondre ses sentiments d’amour paternel à de l’amour intime pour la victime qui lui était chère et qu’il percevait souffrante».[34]

[141]      Et encore :

«Après chacun des contacts inadéquats avec la victime, Monsieur a ressenti des regrets, mais sans rechercher d’aide pour les comprendre, ceux-ci se sont répétés».[35]

[142]      Ces dernières remarques ne changent évidemment rien à la faute civile du défendeur. Elles permettent toutefois de cerner son état d’esprit et l’aspect déroutant de son témoignage au cours duquel il tend à mettre l’accent sur sa propre situation et à se présenter comme la victime d’événements qui lui échappent plutôt que comme l’agresseur.

[143]      Par contre, le contre-interrogatoire mené par l’avocat des codemanderesses amènera peu à peu le défendeur à sortir de son déni et à reconnaître que les faits relatés dans l'Exposé du 28 novembre 2016 sont vrais et qu’ils donnent un aperçu assez juste de la vérité. Du même coup, il corrobore la version de X.

6.3.           Le contre-interrogatoire du défendeur du 21 décembre 2021

[144]      Si le défendeur reconnait avoir posé un geste déplorable le 22 octobre 2015, à l’entendre, pour le reste, il ne s’agissait de rien d’autre que de l’affection.

[145]      Le contre-interrogatoire révèle pourtant par petites touches un autre aspect des choses.

[146]      Il admet ainsi que l’incident du 22 octobre 2015 lui a ouvert les yeux et lui a permis de comprendre qu’il avait dérapé peu à peu : «Je n’ai pas été capable de percevoir la gradation des gestes déplacés», admet-il finalement.

[147]      Il reconnait avoir eu un sentiment plus fort envers X qu’envers ses autres petites-filles.

[148]      Il admet avoir éprouvé une attirance physique pour sa petite-fille et ne pas avoir pris les moyens qu’un adulte aurait dû savoir prendre pour se garder à distance de sa victime. Il n’a pas jugé bon de consulter alors qu’il lui aurait été loisible de le faire en toute confidentialité.

[149]      Il est d’accord avec ce passage de l’analyse des faits réalisée en mars 2017 par l’agente de probation Stéphanie Daigneault dans le rapport présententiel déjà mentionné[36] :

[…]  Au premier événement survenu dans le chalet de l’accusé, en décembre 2013, il reconnaît s’être collé à la victime « en cuillère », mais avoir réalisé l’inadéquation de ce contact rapidement pour ensuite changer de position. Quant aux câlins et aux baisers sur la bouche qu’il lui a donnés les mois suivants, il cherchait ainsi à y démontrer la grandeur de son amour qu’il sentait fort, sans lui-même en comprendre l’ampleur. Au cours des mois, un malaise face à ses comportements l’a habité suffisamment pour qu’il sente une envie d’en parler à sa conjointe, mais il s’est abstenu par crainte des impacts émotifs sur ses proches. Il a cru qu’il arrêterait de lui-même ses comportements inadéquats. Il dira « je l’aimais trop ». Enfin, au dernier événement survenu dans la voiture de l’accusé, en octobre 2015, Monsieur mentionne qu’il cherchait un contact avec la victime adolescente qui était alors occupée à son iPad et à écouter sa musique à l’aide d’écouteurs. Il reconnaît lui avoir touché la main pour avoir son attention, puis la cuisse et avoir glissé vers l’entrecuisse, en réaction au manque d’attention qu’il recevait. Ce geste était une recherche de pouvoir sur la situation qui lui déplaisait ce qu’il reconnaît. […][37]

[150]      Il est bien conscient d’avoir développé un schéma comportemental dont il ne parvenait pas à s’éloigner. En parler à son épouse aurait été la chose à faire : «Cela aurait été honteux et difficile mais moins pire que ce l’est maintenant», finit-il par déclarer en réponse à une question de l’avocat des demanderesses.

[151]      Le 22 octobre 2015 au matin, avant de quitter la maison, il sait ce qui l’attend. Il confesse qu’une voix intérieure  ̶  qu’il attribue au Saint-Frère André  ̶  lui a dit, avant d’aller chercher X chez elle, de ne pas rester seul avec elle et de demander à son épouse de l’accompagner. Il a choisi de ne pas écouter ce sage conseil.

[152]      Il regrette d’avoir causé des blessures psychologiques dont il ne mesurait pas les séquelles et leur impact sur sa victime.

[153]      Il affirme avoir écouté attentivement le témoignage de l’experte Mariette Lepage et en avoir été bouleversé. Il mesure ainsi peu à peu le tort causé à X, à sa fille et son conjoint, à son épouse. Il se dit conscient des dégâts et de leur caractère irréversible. «Tout est brisé», conclut-il.

6.4.           Aveu judiciaire ou extrajudiciaire?

[154]      L’Exposé sommaire des faits a été versé dans le dossier [...], soit le dossier criminel de B. Il constitue un aveu judiciaire au sens de l’article 655 du Code criminel.

[155]      Au niveau civil, l’article 2850 C.c.Q. prévoit que l’aveu est la reconnaissance d’un fait de nature à  produire des conséquences juridiques contre son auteur.

[156]      L’article 2852 C.c.Q. précise qu’il ne peut être révoqué si l’aveu est fait au cours de l’instance où il est invoqué, à moins qu’on ne prouve qu’il a été fait à la suite d’une erreur de fait.

[157]      L’Exposé a été consenti dans l’instance criminelle conduite devant la Cour du Québec et non dans le présent dossier. Il ne s’agit donc pas d’un aveu judiciaire au sens strict.

[158]      Sans le dire expressément, le défendeur cherche à le contredire.

[159]      Le Tribunal est d’avis qu’il ne peut le faire alors que c’est lui-même qui a choisi de le verser en preuve et qui l’invoque à son bénéfice.

[160]      Il s’agit d’un aveu extrajudiciaire de faits matériels pertinents signé par le défendeur qui entraine des conséquences juridiques contre lui et qui doit bénéficier de la force probante rattachée à une telle reconnaissance[38].

6.5.           Un continuum comportemental

[161]      Le Tribunal conclut de l’analyse de la preuve que, contrairement à ce que prétend le défendeur, la codemanderesse a été l’objet non pas d’un geste «démentiel» isolé et fugace survenu le 22 octobre 2015 mais d’un schéma comportemental proprement déviant de la part d’un homme parvenu au milieu de la soixantaine envers une enfant âgée de moins de 15 ans. Il s’agit du cas d’un grand-père devenu amoureux de sa petite-fille et qui n’a pas pris les mesures qui s’imposaient pour se prémunir de ce travers et la protéger.

[162]      Ce comportement s’est manifesté à compter du 24 décembre 2013, s’est implanté et s’est prolongé plus ou moins jusqu’à l’intervention de la DPJ et du SPVM le 5 janvier 2016. Il s’est traduit par des gestes à caractère sexuel répétés, non-souhaités et non-sollicités, des baisers avec ou sans introduction de la langue, des caresses insistantes, des privautés, des déclarations d’amour et des manifestations de tendresse attendues d’un amoureux mais jamais d’un aïeul. Ces gestes sont aux antipodes de ce qui était reproché au défendeur Marcel Beaumont dans La Reine c. Beaumont[39].

[163]      Tout cela a été infligé à une adolescente pétrifiée de se voir assaillie de la sorte par un papy jusque-là adoré. On ne saurait trouver plus bel exemple de harcèlement venant d’une figure d’autorité. C’est l’«ensemble de l’œuvre», pour reprendre un terme utilisé à répétition par le défendeur dans son interrogatoire préalable, qui permet de prendre la mesure de la faute commise.

[164]      D’abondant, la preuve révèle que le défendeur était conscient qu’il s’aventurait dans une zone qu’il savait interdite sans en parler à quiconque. Jamais n’a-t-il réclamé l’aide professionnelle qui lui était accessible. L’avoir fait lui aurait probablement permis de mettre à l’abri de ses démons à la fois sa victime, sa fille, sa famille et lui-même. C’était de sa part faire preuve d’une insouciance coupable.

[165]      En somme, la preuve démontre que la proposition du défendeur voulant que sa faute se réduise au geste du 22 octobre 2015 est à la fois erronée et trompeuse. Ses aveux répétés des 5 et 6 janvier 2016, son Exposé conjoint des faits du 28 novembre 2016 et son contre-interrogatoire du 21 décembre 2021 permettent d’écarter le voile qu’il aimerait jeter sur son comportement véritable et de retenir la version de sa victime.

[166]      Dans ce contexte, les efforts que met le défendeur pour soulever des contradictions assez mineures et faciles à comprendre dans les circonstances entre la déclaration initiale de X le 5 janvier 2016 et son interrogatoire préalable ou entre celui-ci et son témoignage au procès apparaissent périphériques au vue de la preuve. 

[167]      Voyons maintenant la nature et la portée du préjudice causé aux codemanderesses et lévaluation des dommages qui en découlent.

[168]      Dans leur Demande introductive d’instance modifiée, les codemanderesses réclament tant à titre de dommages pécuniaires et non pécuniaires qu’à titre de dommages punitifs les sommes suivantes :

a)                   150 000$ de dommages moraux liés aux agressions sexuelles dont X a été victime;

b)                   50 000$ pour les dommages anatomo-physiologiques reliés aux agressions (scoliose et automutilation);

c)                   292 479,54$ à titre de dommages punitifs dus à X;

d)                   50 000$ de dommages moraux, stress et inconvénients causés à la mère de la victime;

e)                   29 623,37$ de frais que cette dernière a dû engager par suite des actes posés par le défendeur et non remboursés par l’IVAC;

f)                     25 844,49$ (à parfaire) d’honoraires extra-judiciaires.

[169]      Abordons donc tour à tour le préjudice subi par X et sa mère, le lien causal et l’évaluation monétaire des dommages causés à chacune.

7.                 Le préjudice

[170]      Autant il était important d’établir la nature et la portée temporelle de la faute du défendeur, autant il importe de circonscrire le préjudice qui en découle dans le but d’éviter de l’exagérer ou de le banaliser. Le préjudice est d’abord et avant tout d’ordre psychologique dans le cas de X.

[171]      Rappelons avant d’enchainer que la notion de préjudice se décompose en trois catégories : corporel, matériel et moral. Chacune d’entre elles peut entrainer à la fois des dommages pécuniaires et non pécuniaires. Il importe donc de rechercher la nature de l’atteinte première comme le signale la Cour suprême dans l’arrêt Cinar c. Robinson[40] :

[102] Il convient davantage de qualifier les souffrances psychologiques subies par M. Robinson de préjudice non pécuniaire découlant d’un préjudice matériel.  De fait, la violation du droit d’auteur constituait une violation des droits de propriété de M. Robinson.  C’est la violation initiale, plutôt que les conséquences de cette violation, qui sert de fondement pour décider du type de préjudice subi.  Comme l’affirme le professeur Gardner, « la spoliation de l’œuvre de Claude Robinson constitue pour lui un préjudice matériel avec des conséquences pécuniaires (les profits générés par son exploitation) et des conséquences non pécuniaires (le stress, les souffrances morales ou, dit autrement, le préjudice psychologique qui en résulte) » […] Rappelons que le plafond fixé dans Andrews est d’application limitée; il ne s’applique pas à des dommages-intérêts non pécuniaires découlant d’un préjudice matériel.

[172]      La Cour d’appel, dans l’arrêt Agence du revenu du Québec c. Groupe Enico inc.[41], précise que le préjudice corporel comprend l’atteinte à l’intégrité physique et à l’intégrité psychologique de la victime[42]. C’est en ces termes que la Cour d’appel, dans ce même arrêt, définit chacune des catégories de préjudice :

[140]     À titre d’exemple, le préjudice corporel peut engendrer des dommages pécuniaires (perte de salaire) et des dommages non pécuniaires (souffrances). Rappelons que le préjudice corporel peut découler d’un acte qui constitue une atteinte à l’intégrité physique ou psychologique de la victime.

[141]     Le préjudice matériel (la perte d’une entreprise) peut engendrer des dommages pécuniaires (valeur de l’entreprise) et non pécuniaires (souffrances en découlant).

[142]     Pour reprendre les propos tenus par le juge Taschereau il y a plus de 60 ans, le préjudice moral comporte « toute atteinte aux droits extrapatrimoniaux, comme le droit à la liberté, à l’honneur, au nom, à la liberté de conscience ou de parole »38. Par exemple, l’atteinte à la réputation constitue un préjudice moral qui peut engendrer des dommages pécuniaires (perte de revenus) et des dommages non pécuniaires (souffrances psychologiques).

                         

Chaput c. Romain, [1955] R.C.S. 834, 841.

[173]      Ainsi donc, le Tribunal retient de ces enseignements des tribunaux d’appel que l’atteinte à l’intégrité psychologique des deux demanderesses relève du préjudice corporel dont peuvent découler à la fois des dommages pécuniaires et non pécuniaires. S’y ajoutent, dans le cas de X, une réclamation pour atteinte à l’intégrité physique et, dans le cas de sa mère, une réclamation pour préjudice matériel visant à obtenir le remboursement des frais engagés et non remboursés par les assureurs ou en vertu de la Loi sur l’indemnisation d’actes criminels[43] (IVAC) et pour les honoraires extra-judiciaires. En plus, X réclame près de 300 000$ de dommages punitifs en se fondant sur l’article 49, al. 2 de la Charte des droits et libertés de la personne[44] (Charte québécoise).

7.1.           La preuve d’expert

[174]      L’atteinte à l’intégrité psychologique de X est l’élément central de ce dossier. La preuve de ce préjudice repose évidemment sur les témoignages de la victime et de son agresseur. Mais elle repose aussi sur une preuve d’expert qui est à la fois consistante et cruciale.

[175]      À ce chapitre, le Tribunal a pu compter sur le travail de deux psychologues expertes dont les services ont été retenus de part et d’autre. Il s’agit de Mme Mariette Lepage, M.Ps., déjà mentionnée, du côté des demanderesses, et de Mme Diane Pérusse, M.A., pour le compte du défendeur.

[176]      Chacune souscrit un rapport d’expertise. Celui de Mme Lepage porte la date du 12 mars 2019[45] alors que celui de Mme Pérusse est daté du 11 décembre 2019[46]. Cette dernière a bénéficié de celui de Mme Lepage avant de compléter le sien et il constitue une contre-expertise du premier.

[177]      Fait à noter, à part une divergence d’opinion d’ordre méthodologique sur l’utilisation du test de Rorschach, les conclusions des deux expertes se recoupent pour dresser un portrait «clairement souffrant»[47] de la petite-fille du défendeur. Bref, le rapport de Mme Pérusse, sur le fond, corrobore celui de l’experte en demande; sur certains aspects, il en durcit même le trait.

[178]      Le Tribunal souligne qu’à l’instruction, le défendeur reconnaît n’avoir pris connaissance, avant le procès, ni du rapport d’expertise de Mme Lepage ni de celui de sa propre experte. Il prend toutefois acte de la somme de travail abattue par Mme Lepage.

[179]      Précisons avant d’enchainer que le Tribunal à l’enquête a pu bénéficier du témoignage de Mme Lepage alors que le défendeur a choisi ne pas y appeler Mme Pérusse.

[180]      Le Tribunal a donc devant lui deux rapports de psychologues, toutes deux expérimentées, qui vont dans le même sens l’une que l’autre et qui concluent que Xest l’objet, par suite des gestes posés pendant deux ans par son grand-père, d’un syndrome post-traumatique majeur assorti de nombreux symptômes dont l’impact se fera sentir pendant encore longtemps. Ce choc aura eu un effet nocif sur les résultats scolaires de l’enfant et sur son développement.

[181]      Le tableau d’ensemble quelles dressent de l’état psychologique de X se présente comme suit.

[182]      Inquiète des répercussions qu’une dénonciation des gestes du défendeur auraient sur sa famille, la victime du défendeur demeure encore aujourd’hui sous l’impression que tout est de sa faute. X était et continue d’être habitée de craintes. Crainte de croiser le défendeur et crainte des hommes en général, sauf de celui qui est devenu son amoureux et compagnon depuis cinq ans.

[183]      Repliée sur elle-même, elle a peur de sortir seule, alors qu’elle était auparavant épanouie et sociable. Elle souffre de problèmes de sommeil, fait des cauchemars récurrents liés aux attouchements qu’elle a subis. Elle s’est automutilée à répétition afin d’apaiser sa douleur intérieure.

[184]      Les souvenirs des gestes de son grand-père à son égard l’ont grugée de plus en plus et ont handicapé sa concentration au point de faire de cette élève, qui accumulait jusque-là les succès scolaires, une piètre étudiante durant la deuxième moitié de son secondaire. Résultat : elle n’a pas pu obtenir la cote «R» qui lui aurait donné accès au programme de science qu’elle visait. Elle se dirige maintenant vers une carrière en éducation plutôt que vers la profession de pharmacienne qu’elle aurait souhaitée. Rien dans les rapports d’expertise ne permet de rattacher cette situation à un simple problème lié à l’adolescence comme le prétendent les grands-parents [de la famille A].

[185]      Elle est, encore maintenant, suivie en psychologie et en psychiatrie. Elle doit prendre une médication antidépressive, un anxiolytique, des médicaments pour dormir et d’autres pour la concentration.

[186]      Malgré l’importance des suivis en psychologie et en psychiatrie, il n’y a pas encore d’amélioration notable des symptômes du choc post-traumatique grave qu’elle continue à porter.

[187]      Pour asseoir son analyse, Mme Lepage a consacré neuf heures d’entrevue avec X, dont une pleine journée le 12 janvier 2019 de 09 :10 à 16 :25. L’experte a de plus rencontré ses deux parents. Elle l’a revue peu avant le procès sans relever beaucoup d’amélioration.

[188]      Dans ce cadre, elle s’est attachée à comprendre l’organisation psychologique de X, à évaluer son intelligence, à analyser la portée et la gravité des symptômes de choc post-traumatique et à dresser un portrait de l’état psychologique du sujet sous l’angle projectif à partir du tableau de son état présent. En somme, elle s’est employée à établir un diagnostic.

[189]      Pour ce faire, l’experte a eu recours à une batterie de tests et de sous-tests, les uns subjectifs, les autres objectifs : Échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes (Wechsler Adult Intelligence Scale ou WAIS-4) et Inventaire multiphasique de la personnalité (Minnesota Multiphasic Personality Inventory ou MMP1-2) pour le fonctionnement intellectuel et Test d’aperception thématique de Murray (Thematic Apperception Test  ou TAT) couplé au Rorschach pour le volet projectif.

[190]      Un des objectifs poursuivis par l’experte était de ne pas prendre les énoncés de la victime pour la réalité mais de s’assurer que ce qu’elle déclare est congruent et convergeant de manière à objectiviser la perception qu’entretient X des gestes posés par le défendeur entre Noël 2013 et octobre 2015 en rapport avec les symptômes qu’elle présente.

[191]      Du rapport d’expertise, du témoignage et du contre-interrogatoire de Mme Lepage, le Tribunal dresse la synthèse suivante :

a)           le fonctionnement intellectuel de X a été atteint bien qu’elle dispose d’un potentiel la situant dans la moyenne élevée lui permettant de suivre un cursus universitaire;

b)           présentement, X fonctionne à la frontière de l’intelligence moyenne faible et de l’intelligence moyenne, donc en-dessous de son potentiel;

c)            le ralentissement psychomoteur de même que les troubles d’attention et de mémoire observés sont compatibles avec la présence d’une composante dépressive importante;

d)           les gestes d’abus du défendeur sont intervenus dans la vie de X au moment où son rendement académique s’avérait de toute première importance dans la poursuite de ses ambitions;

e)           ses capacités intellectuelles ne seraient toutefois pas atteintes de façon irréversible;

f)             l’échelle de dépression indique un retrait social important de X et un sentiment de ne pas pouvoir s’en sortir s’accompagnant d’une image très pauvre d’elle-même et d’un fort ressentiment;

g)           la question sexuelle et de l’abus «crève l’écran» selon l’experte et révèle que le sujet a été l’objet d’un traumatisme important pouvant difficilement découler d’un événement isolé;

h)           les contacts sexualisés à répétition peuvent avoir une incidence importante lorsque la victime est en état de déséquilibre comme c’est le cas au cours de l’adolescence;

i)              X a donc tendance à adopter un repli d’allure symbiotique qui engendre une difficulà jouer un rôle actif dans sa guérison et nuit à la résorption des symptômes;

j)              X présente un profil de symptômes de choc post-traumatique importants;

k)            les résultats obtenus au test MMPI-2 mettent en évidence de nombreux symptômes toujours opérants et indiquent la présence de psychopathologie, d’inconfort psychologique ou de détresse à un niveau excessivement élevé;

l)              au plan projectif, l’organisation maniaco-dépressive est déterminante alors que la recherche de contact et d’harmonie s’avère importante comme c’est le cas en général des personnes éminemment relationnelles comme X;

m)         l’agressivité de X s’exprime difficilement et peut être tournée contre elle-même, sous forme d’automutilation ou de fantasmes de suicide;

n)           la désorganisation de la codemanderesse sous un mode mélancolique, que mettent en évidence les tests projectifs administrés par l’experte, peut être associée à des facteurs traumatiques d’ordre sexuel qui, dans le cas à l’étude, apparaissent transcender l’ensemble des protocoles;

o)           de nombreux aspects du fonctionnement de X ont été touchés par les gestes à caractère sexuel du grand-père : son humeur, sa confiance en la vie, son sommeil, sa capacité d’apprentissage, son image d’elle-même. Elle a besoin d’une importante médication pour être fonctionnelle;

p)           elle présente un haut niveau de désorganisation psychique qui ne peut s’expliquer que par les abus répétés dont elle a été la victime;

q)           la mère est profondément atteinte par l’effondrement d’un idéal familial lequel pourrait entraîner inconsciemment sa fille, par solidarité symbiotique, dans un désir de vengeance et de réparation;

r)             les gestes abusifs du grand-père ont eu pour effet d’ébranler de nombreux acquis, de remettre en question la perception qu’a X des images parentales, de questionner sa responsabilité et de jeter par terre sa capacité de se défendre des agressions subies et de reprendre le contrôle de sa vie;

s)            ces gestes ont eu un effet de «destruction psychique à petit feu» et ont gravement handicapé l’évolution de X;

t)             jamais au cours des entrevues, X n’a-t-elle parlé de ses problèmes de scoliose et du fait qu’elle ait été astreinte à porter un corset durant un an. Par ailleurs, les résultats des tests ne révèlent pas que l’image d’elle-même ait été affectée par ce problème passager. La scoliose ne peut être d’origine somatique. Rien n’appuie la thèse voulant que la scoliose soit à l’origine de l’état de X aujourd’hui. Rien d’autre que les gestes à caractère sexuel n’expliquent l’«immense dépression» et l’atteinte de l’image masculine que présente le sujet;

u)           un travail de psychothérapie échelonné sur plusieurs années sera requis pour compléter le travail amorcé par les psychologues et psychiatres et neutraliser les effets de la culpabilité ressentie par X d’avoir brisé sa famille;

v)            X ne souffre pas de psychose. Seuls des épisodes de contacts sexualisés peuvent expliquer l’état psychologique où se trouve X;

w)          l’incapacité temporaire partielle peut être établie à 15% mais il s’avère impossible de chiffrer l’incapacité partielle permanente puisque la capacité d’être heureuse de X demeure présente tout comme son potentiel intellectuel, même si la victime n’y a pas accès pour le moment étant envahie par les symptômes du choc post-traumatique.

[192]      Le rapport d’expertise de Mme Pérusse, l’experte du défendeur, appuie pour l’essentiel les conclusions de Mme Lepage. 

[193]      Celle-ci n’a pas administré à nouveau les tests déjà utilisés par sa consœur. Mme Pérusse n’a pas relevé d’erreur dans les résultats des tests MMPI-2 et WAIS-4. Pour ce qui est des tests projectifs, l’experte retenue a refait la cotation et l’interprétation du TAT. Même si elle est d’opinion qu’il n’y a plus lieu aujourd’hui d’avoir recours au Rorschach, elle note que les résultats obtenus par Mme Lepage «apparaissent aller dans le même sens que les résultats au MMPI et TAT»[48], ce qui rejoint la conclusion à ce propos de l’experte des codemanderesses.

[194]      Sur le fond, l’experte souligne la possibilité d’une légère exagération des difficultés, symptômes et souffrances de la part du sujet, «mais pas de façon importante et rien de rare lors de ce type d’évaluation»[49].

[195]      Des constatations et conclusions de l’experte en défense, le Tribunal retient ce qui suit :

a)     l’entrevue qu’elle a eue avec X révèle qu’elle est «nettement émotivement affectée»[50] par la situation qu’elle dit avoir vécue;

b)     les résultats des tests indiquent une souffrance psychologique et une symptomatologie «nettement plus élevées que la moyenne»;

c)     le portrait d’ensemble (sentiment dépressif important, préoccupations pour l’état de son corps, baisse d’énergie, idéations suicidaires, anxiété importante, désorganisation de la pensée, etc.) est compatible avec un état de stress post-traumatique;

d)     il n’y a pas d’enjeu à l’échelle de psychopathie;

e)     les résultats du TAT donnent une «souffrance dépressive élevée», bien au-dessus de la moyenne;

f)       X est pessimiste et abattue avec pour résultat qu’elle est incertaine de pouvoir aller mieux un jour;

g)     l’image masculine intériorisée est perçue comme agressive, persécutrice et dangereuse et s’accompagne de réactions d’anxiété et d’impuissance;

h)     à l’échelle d’intelligence, les résultats se situent à la limite inférieure de l’intelligence moyenne, la disponibilité intellectuelle efficace pour les études étant probablement affectée négativement par son état;

i)        l’ensemble du portrait clinique semble résulter essentiellement de l’expérience d’abus à laquelle X réagit d’une façon assez régulière au plan clinique;

j)        les atteintes sont importantes même si le sujet réussit malgré tout à conserver  ses amitiés, à maintenir de façon durable une relation amoureuse et à poursuivre ses études, signes que des efforts sérieux ont été consentis par X et ses proches pour parvenir à ces résultats;

k)     la victime est animée de sentiments d’injustice, d’impuissance et de victimisation face à sa perception de ce qui serait la sentence inappropriée imposée à son grand-père qui ne sont pas étrangers à sa recherche d’une forme de réparation;

l)        malgré ses réticences initiales à se prêter à nouveau à un exercice d’analyse, d’autant plus que c’est à l’initiative du défendeur qu’elle a dû le faire, X a participé à la rencontre avec l’experte de façon suffisamment adéquate pour que l’évaluation soit considérée valide et étayée.

[196]      En somme, les observations, constatations, analyses et conclusions des deux psychologues expertes se recoupent pour dresser un diagnostic assez sombre de l’état psychologique où est plongée X par suite des gestes à caractère sexuel posés sur elle par le défendeur. L’experte du défendeur ne répugne pas à écrire que les attouchements dont X rapporte avoir été l’objet relèvent de l’inceste.

[197]      Il est établi que le témoignage non contredit d’un expert ne peut être écarté arbitrairement et qu’il doit généralement être accepté[51]. Or, le rapport d’expert de Mme Lepage non seulement n’est pas contredit mais reçoit, pour l’essentiel, l’aval de l’experte en défense. Le Tribunal n’a donc aucune raison de s’en écarter.

7.2.           Certaines propositions du défendeur

[198]      De son côté, le défendeur soutient que sa petite-fille exagère à la fois la portée des gestes abusifs qu’il aurait supposément posés et leur impact sur son intégrité psychologique.

[199]      Au niveau des gestes, il prétend que X confond les manifestations de tendresse attendues d’un grand-père envers sa petite-fille et les gestes qu’il a posés. Certes, il y a eu l’épisode du 22 octobre 2015 mais il s’agit, selon lui, d’un geste isolé, fait à la dérobée, dont il s’est excusé sur le champ et pour lequel il demande crédit.

[200]      Pour ce qui est du préjudice, il serait le produit d’une crise d’adolescence mal résolue. Encouragé en cela par son épouse dans son témoignage, X, contrairement à sa petite sœur, n’aurait jamais été vaillante à l’école. L’effondrement de ses résultats scolaires résulterait de son manque d’ardeur au travail et était inévitable, aux dires de l’avocate du défendeur en plaidoirie. Il n’y a rien de solide dans la preuve pour soutenir cette hypothèse.

[201]      Par ailleurs, selon la défense, les problèmes d’ordre scolaire et d’ordre psychologique qu’allèguent les codemanderesses, le repli et la faible image d’elle-même de X dépendraient en réalité de la scoliose dont elle a souffert depuis l’âge de 14 ans et qui n’a rien à voir avec les gestes à caractère sexuel allégués. Le préjudice dont se plaint X et l’énergie déployée par sa mère pour y pallier auraient pour cause ce problème d’ordre physiologique. Le défendeur n’a présenté aucun rapport d’expertise en ce sens.

[202]      Pour le reste, X serait manipulée par sa mère qui serait engagée sur le sentier de la guerre suite à une peine de prison selon elle insuffisante. Il n’y a aucune preuve à ce propos, même si la codemanderesse A ne fait pas mystère de sa déception à l’endroit du système pénal qui a permis au défendeur d’échapper à la prison au sixième de sa peine. Au contraire de ce que plaide le défendeur, la codemanderesse s’est révélée, dans le cadre de son témoignage, soucieuse de laisser X décider pour elle-même

[203]      Avec respect, le Tribunal estime que ces diverses propositions sont réductrices et pour tout dire, contraires à la preuve concordante, tant au chapitre de la faute qu’à celui du préjudice.

[204]      Il s’agit de toute évidence de la part des grands-parents maternels d’une attitude de déni. D’ailleurs, l’épouse du défendeur ne s’en cache pas : elle n’a jamais lu la déclaration introductive d’instance au complet pas plus que la défense de son mari ou les rapports d’expertise. Elle souhaite oublier et tourner la page. Elle ne veut plus, à 73 ans, en entendre parler, affirme-t-elle, sur un ton exaspéré, en contre-interrogatoire.

[205]      Mais le déni, qui permet sans doute au couple [de la famille A] de survivre aux lendemains difficiles du 5 janvier 2016 et à l’arrestation du défendeur, ne peut pas faire échec aux faits mis en preuve et aux conclusions auxquelles en viennent les deux expertes.

8.                 Le lien causal

[206]      Quelle est la cause véritable de l’état psychologique dépressif de X, de la détérioration de ses résultats scolaires, de son repli sur elle-même, bref du préjudice décrit par les deux psychologues expertes? Quelle est la cause véritable du préjudice allégué par sa mère?

[207]      On a vu précédemment, à la section 4, que le préjudice doit être la conséquence logique, directe et immédiate de l’acte délictueux. Celui-ci doit donc entretenir un rapport étroit avec celui-là.

[208]      Mais, comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Snell c Farrell[52], il faut se garder d’une application trop rigide de la causalité :

La causalité n'a pas à être déterminée avec une précision scientifique.  C'est, comme l'a dit lord Salmon dans l'arrêt Alphacell Ltd. v. Woodward, [1972] 2 All E.R. 475, à la p. 490:

[traduction]  . . . essentiellement une question de fait pratique à laquelle on peut mieux répondre par le bon sens ordinaire plutôt que par une théorie métaphysique abstraite.

Cette approche de common law est celle qui prévaut en droit civil.

[209]      En effet, selon la jurisprudence de droit civil au Québec[53], il s’agit, au même titre que la faute et le préjudice, d’une question de fait qui doit être appréciée en fonction de la preuve qu’une partie avait le pouvoir de produire et que la partie adverse avait le pouvoir de contredire, pour paraphraser la formule exprimée par Lord Mansfield dans l’arrêt Blatch c. Archer[54].

[210]      Il aurait ainsi été loisible pour le défendeur de présenter une preuve d’expert sur le problème de scoliose et sur les effets qu’un problème de cet ordre, accompagné du port d’un corset, pouvait avoir sur une adolescente de 15 ans et sur son estime de soi. Le Tribunal répète que ce n’est pas l’approche retenue en défense.

[211]      Le défendeur invite pourtant le Tribunal à conclure en faveur de cette hypothèse sur la base de la coïncidence entre l’apparition de la scoliose et la détérioration de l’état psychologique de X.

[212]      Il est vrai que, dans le cadre de son contre-interrogatoire, la codemanderesse a souligné l’inconfort que lui causait le corset et le fait qu’en le portant, elle «ne se sentait pas femme». Elle souffrait aussi à cette époque de maux de tête sérieux, sans qu’il n’y ait de preuve médicale liant ceux-ci à la scoliose. De toute façon, cette dernière n’a été diagnostiquée qu’en décembre 2014, un an après le début des agressions et les demanderesses ont renoncé à présenter une preuve liant la scoliose aux actes délictuels du défendeur. Mme Lepage, l’experte des codemanderesses, souligne de toute façon que la scoliose ne peut pas être d’origine somatique.

[213]      Il est indéniable, comme le mentionne d’ailleurs la Demande introductive d’instance, que la scoliose et le port d’un corset ont entrainé leur lot d’inconfort et qu’ils ont pu ajouter au désarroi engendré par les actes illicites à répétition du grand-père. Mais malgré ces contraintes, X a continué à fréquenter l’école, à voir des amis et à pratiquer la danse, son activité favorite d’alors.

[214]      Rien n’empêchait non plus le défendeur de soumettre cette question à Mme Pérusse, son experte, ou à un professionnel de la santé pour éclairer le Tribunal. D’ailleurs, celle-ci, selon ce qu’elle relate dans son rapport[55], a été informée de l’existence d’une scoliose par la codemanderesse A dans le cadre de l’entrevue qu’elle a eue avec elle. L’experte n’a pas senti le besoin de pousser plus loin sa recherche à ce propos; la synthèse de son rapport de contre-expertise n’en traite pas.

[215]      Le défendeur ne peut attendre du Tribunal qu’il joue un rôle qui n’est pas le sien. Il propose en fait de spéculer sur la cause directe, logique et immédiate des nombreux problèmes d’ordre psychologique que les expertes ont diagnostiqués chez X pour les rattacher aux douleurs et contrariétés causées par la scoliose et le port d’un corset. Ce n’est rien d’autre qu’une hypothèse. Le travail des expertes ne pointe pas dans cette direction.

[216]      En effet, les résultats des tests administrés par Mme Lepage, avec lesquels Mme Pérusse se dit en accord, et les entrevues auxquelles X s’est prêtée tant avec l’une qu’avec l’autre, n’amènent pas les expertes à relier les importants symptômes de stress post-traumatique à une cause physiologique mais plutôt à la «malheureuse expérience vécue avec son grand-père maternel» pour reprendre une formule qu’emploie l’experte du défendeur[56].

[217]      Ni l’une, ni l’autre, au terme de leurs travaux, ne mettent en doute que l’enfant a été l’objet d’abus répétés.

[218]      L’experte Lepage écrit dans son rapport d’expertise :

Le tableau clinique actuel indique que cette jeune fille présente encore maintenant un haut niveau de désorganisation psychique. La symptomatologie est multidéterminée et occupe une trop grande place dans l’univers de cette jeune fille. Cette désorganisation ne peut s’expliquer que par les abus répétés que X a subis.[57]

[…] Il faut néanmoins considérer que les abus qu’elle a subis ont eu l’effet d’une destruction psychique à petit feu et qu’ils ont gravement handicapé l’évolution de cette jeune fille, qui était adolescente, au moment des abus, alors qu’il s’agit de la phase de structuration définitive de la personnalité d’un individu.[58]

(Le Tribunal souligne)

[219]      L’experte Pérusse de son côté écrit :

L’anxiété, le sentiment d’impuissance, la perte des repères sécurisants ainsi que la détresse affective associées à l’expérience d’abus demeurent majeures, et confinent en fait à une positionnement phobique face au grand-père maternel […][59]

De façon prédominante, on note chez la jeune femme des affects dépressifs importants (tristesse, abattement, pessimisme, sentiment d’inadéquation, baisse d’énergie, idéations suicidaires probables, retournement de l’agressivité sur elle-même; elle demeure ainsi habitée par les pertes reliées aux attouchements sexuels [...][60]

L’ensemble de ce portrait clinique apparaît résulter essentiellement de l’expérience d’abus, à laquelle elle a réagi d’une façon qui est assez régulière sur le plan clinique […][61]

(Le Tribunal souligne)

[220]      Cette preuve d’expert concordante conjuguée au témoignage crédible de la victime et aux autres éléments de preuve suffit à convaincre le Tribunal du lien causal entre la faute du défendeur et les dommages causés à X.

[221]      Par ailleurs, une fois établie la faute délictuelle du défendeur à l’endroit de la victime immédiate, la codemanderesse A, de l’avis du Tribunal, a réussi à établir le préjudice propre qu’elle a subi et le lien de causalité entre son propre préjudice et celui causé à sa fille.

[222]      Le Tribunal fait sien à ce propos ce qu’écrivent les auteures Louise Langevin et Nathalie Des Rosiers dans L’indemnisation des victimes de violence sexuelle et conjugale[62] :

Pour obtenir gain de cause, la victime par ricochet doit prouver non seulement les éléments du recours de la victime immédiate, mais aussi des éléments de preuve supplémentaires. D’abord, la victime par ricochet doit prouver la faute du défendeur envers la victime immédiate, le préjudice de celle-ci et le lien de causalité entre la faute et le préjudice de la victime immédiate. Ensuite, la victime par ricochet doit prouver le préjudice propre qu’elle a subi, le lien de causalité entre son préjudice et celui de la victime immédiate, causé par la faute du défendeur.

Ces éléments sont réunis dans le cas présent.

[223]      Cela dit, à compter du moment où le Tribunal conclut à une faute civile de la part du défendeur, à l’existence d’un préjudice et au lien causal, il n’est pas pertinent d’établir une gradation dans la gravité des gestes à caractère sexuel posés par le grand-père.

[224]      Le Tribunal n’est pas non plus lié par la nature de l’acte criminel auquel le défendeur a plaidé coupable. Le fait qu’il ait été trouvé coupable de contacts sexuels sur une mineure de moins de 16 ans est un des éléments de preuve de la faute civile. Il n’est pas du ressort du Tribunal d’établir si en réalité la preuve réunie aurait permis de le trouver coupable du crime plus grave d’agression sexuelle. Il ne revient pas non plus au juge d’instance civile de déterminer où les gestes à caractère sexuel se situent dans la hiérarchie des facteurs à considérer au sens des arrêtes Litchfield[63] ou R. c. V. (K.B.)[64] de la Cour suprême.

[225]      C’est sur ces bases que le Tribunal aborde maintenant le calcul de l’indemnité.

9.                 L’indemnité

[226]      Au risque de redite mais pour mieux comprendre ce qui suit, dressons tout d’abord la synthèse de la faute du défendeur et de ses retombées.

[227]      La tourmente dans laquelle est plongée X depuis bientôt neuf ans a pour cause le fait que le défendeur s’est entiché d’un amour charnel pour l’aînée de ses petites-filles alors qu’il savait son comportement déviant et qu’il n’a rien fait pour la mettre à l’abri de ses ardeurs alors que chaque rapprochement devenait de plus en plus menaçant pour elle.

[228]      La répétition de ses déclarations d’amour ponctuées d’attouchements a plongé peu à peu X dans un état de prostration et de détresse qui ont fini par occuper tout son espace intérieur sans qu’elle puisse confronter la figure d’autorité que représentait son agresseur et affronter les réactions d’une mère qui elle-même portait ses parents au pinacle. L’enfant en a été réduite au silence.

[229]      L’hydre de ces agressions a fini par lever un tribut que les rapports d’expertise psychologique et le témoignage nuancé de Mme Lepage permettent de cerner : traumatisme important, syndrome post-traumatique sévère, dépression, perte de concentration, sentiment de culpabilité insurmontable, perte de sens, chute progressive des résultats scolaires, tristesse chronique, automutilation, difficulté à se mobiliser, abandon forcé de projets de carrière, peur des hommes, repli sur elle-même.

[230]      Si l’intervention de la DPJ puis l’arrestation du défendeur ont mis fin au silence, elles n’ont pas mis un terme au traumatisme causé à X qui, malgré le support des psychologues et des psychiatres, continue à afficher des symptômes importants de stress post-traumatique. En découle par le fait même le préjudice causé à sa mère.

[231]      Quelle réparation faut-il accorder?

[232]      Il importe, par application de l’article 1611 C.c.Q., de fixer l’indemnité de façon personnalisée en fonction de la preuve offerte dans l’objectif de procurer une «compensation objective d’un intérêt légitime lésé» et «non comme une sanction de la gravité de la faute» ou «comme un prix de consolation»[65]. Dans le cas présent, les codemanderesses réclament principalement des dommages non pécuniaires ce qui rend toujours plus délicat l’objectivisation de l’indemnité. Les dommages punitifs de leur côté répondent à des critères distincts que nous verrons plus loin.

[233]      Comme le soulignait, en traitant de la perte non pécuniaire, le juge Kasirer, alors qu’il était juge de la Cour d’appel, dans l’arrêt Stations de la Vallée de St-Sauveur inc. c. M.A. :

[…]One of the defining characteristics of non-pecuniary loss is that it is largely measured subjectively, according to the suffering felt by the victim, and the existence of a judicially-created scale would wrongly suggest that the measure can be made objectively. […]

The same injury in different persons generally produces different levels of pain and suffering. [66]

[234]      Dans ce même arrêt, la Cour d’appel favorise la conciliation entre les trois approches théoriques abordées par la Cour suprême dans l’arrêt St-Ferdinand[67], soit les approches conceptuelle, fonctionnelle et personnelle dans le but de mettre en équilibre la gravité du préjudice et la situation individuelle de la victime : 

In Quebec (Public  Curator) v. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, the Supreme Court emphasized the importance of giving some consideration to the conceptual approach to measuring loss based on an appreciation of the objective seriousness of the injury as part of the evaluation of non-pecuniary losses in Quebec civil law. The Court said the personal approach (stressing individualized sensibilities to pain and suffering) and the functional approach (emphasizing solace in awards) apply too. This balanced method ensures that both the objective and subjective concerns are available to a trial judge called upon to treat like cases alike and unlike cases differently in this fact-driven exercise. This balanced method advanced by the Supreme Court allows for comparisons between the seriousness of injuries, without the judge becoming a prisoner of past findings by other courts, while at the same time giving full scope to a personalized analysis of each victim’s own situation.[68]

9.1.           La notion de crime à caractère sexuel chez les enfants mineurs

[235]      Il est utile d’aborder cet aspect puisque le défendeur plaide que les gestes à caractère sexuel posés sur sa petite-fille sont moins graves que ceux qu’on retrouve dans la jurisprudence dans des dossiers de responsabilité civile[69].

[236]      Les différents arrêts et jugements cités en défense ont en commun d’avoir été rendus avant l’arrêt R. c. Friesen[70] de la Cour suprême du 2 avril 2020. Ce dernier représente un tournant et demande qu’on s’y arrête puisque le plus haut tribunal y utilise son pouvoir normatif en matière de crimes sexuels sur les enfants. Les enseignements qu’il contient font maintenant partie de la connaissance d’office.

[237]      Il s’agit d’une affaire criminelle et non pas civile, portant sur la détermination de la peine dans un dossier où l’intimé a plaidé coupable à des accusations de contact sexuel sur une enfant de quatre ans et de tentative d’extorsion à l’encontre de la mère.

[238]      Cet arrêt de principe formule des enseignements sur la gravité objective des crimes commis sur des mineurs qui ne sont pas en âge de consentir. Ses enseignements sont de portée générale et transcendent les catégories de droit civil et de droit criminel et pénal. Ils définissent ce qu’est la norme au Canada en la matière. Le jugement unanime du plus haut tribunal a été écrit conjointement par le juge en chef Wagner et le juge Rowe. 

[239]      D’entrée de jeu, la Cour suprême y énonce que :

[1] Les enfants représentent l’avenir de notre pays et de nos collectivités. Ils font également partie des membres les plus vulnérables de notre société. Ils méritent de vivre une enfance à l’abri de la violence sexuelle.

Pour donner effet à ce qui précède, la Cour formule le message suivant :

[5] […] nous envoyons le message clair que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont des crimes violents qui exploitent injustement leur vulnérabilité et leur causent un tort immense ainsi qu’aux familles et aux collectivités.[71]

(Le Tribunal souligne)

[240]      Le plus haut tribunal énonce que les infractions de ce type ont un caractère répréhensible en soi et que «la violence fait toujours partie inhérente de l’acte»[72] :

[77] […] Il s’agit également d’une forme de violence psychologique, précisément parce que l’intégrité physique et l’intégrité psychologique sont étroitement liées (voir Ewanchuk, par. 28; L.M., par. 26). Le degré d’atteinte physique et l’intensité de la violence physique et psychologique varient selon les faits de chaque affaire. Cependant, tout contact physique de nature sexuelle avec un enfant constitue toujours un acte répréhensible de violence physique et psychologique même s’il ne s’accompagne pas du recours à une violence physique additionnelle et ne cause pas des blessures physiques ou psychologiques.

(Le Tribunal souligne)

[241]      Puis, abordant le préjudice potentiel sur les enfants, la Cour écrit ce qui suit qu’un juge d’instance civile doit aujourd’hui prendre en considération. On voudra bien excuser la longueur de la citation qui suit :

[79] Outre le caractère intrinsèquement répréhensible de l’atteinte à l’intégrité physique et de l’exploitation, les tribunaux ont reconnu que la violence sexuelle contre des enfants est intrinsèquement susceptible de causer plusieurs formes reconnues de préjudice. La probabilité que ces formes de préjudice se matérialisent varie bien sûr selon les circonstances de chaque affaire. Or, la possibilité qu’elles se concrétisent est toujours présente chaque fois qu’il y a atteinte physique de nature sexuelle avec un enfant et même dans le cas des infractions d’ordre sexuel contre des enfants qui ne requièrent ni n’impliquent d’atteintes physiques. Ces formes de préjudice potentielles illustrent la gravité de l’infraction même en l’absence de preuve qu’elles se soient matérialisées. […]

[80] Nous souhaitons concentrer l’attention des tribunaux sur les deux catégories de préjudice suivantes : le préjudice qui se manifeste durant l’enfance, et le préjudice à long terme, qui ne devient évident qu’à l’âge adulte. Durant l’enfance, outre le caractère répréhensible de l’atteinte à leur intégrité physique, les enfants peuvent subir des préjudices physiques et psychologiques qui les suivront durant toute leur enfance […]. Ces formes de préjudice peuvent être si profondes que les enfants se voient [traduction] « voler leur jeunesse et leur innocence » […]. La liste ci-dessous de formes de préjudice reconnues qui se manifestent durant l’enfance le montre clairement :

       [traduction]

Ces effets comprennent un comportement excessivement docile et un besoin intense de plaire; un comportement autodestructeur comme le suicide, l’automutilation, la toxicomanie et la prostitution; la perte de patience et des crises de colère fréquentes; un comportement agressif et de la frustration; un comportement sexuellement agressif; une incapacité à se faire des amis et un refus de participer aux activités scolaires; un sentiment de culpabilité et de honte; un manque de confiance, particulièrement envers ses proches; une faible estime de soi; une incapacité à se concentrer à l’école et une baisse soudaine des résultats scolaires; une crainte excessive des hommes; des fugues; des troubles du sommeil et des cauchemars; des comportements régressifs comme mouiller son lit, se cramponner à ses parents, sucer son pouce et parler en bébé; de l’anxiété et une crainte extrême; et la dépression.

        (Bauman, p. 354-355)

[] 

[82] Nous tenons à souligner que les tribunaux devraient rejeter la croyance selon laquelle il n’y a pas de préjudice grave aux enfants en l’absence de violence physique additionnelle […]. Comme nous l’avons expliqué, tout contact physique de nature sexuelle entre un adulte et un enfant est intrinsèquement violent et susceptible de causer un préjudice. […]

(Le Tribunal souligne)

[242]      Toujours de l’arrêt Friesen, le Tribunal retient également ces remarques particulièrement pertinentes compte tenu du témoignage de Y, la cousine de X, que le défendeur a appelée comme témoin au procès et sur lequel le Tribunal reviendra un peu plus loin :

 ii) Préjudice relationnel : Tort causé aux relations des enfants avec  leurs familles et leurs collectivités

[60] La violence sexuelle cause un préjudice supplémentaire aux enfants en nuisant à leurs relations avec leurs familles et les personnes qui s’occupent d’eux. Comme une bonne partie de la violence sexuelle à l’égard des enfants est l’œuvre d’un membre de la famille, la violence s’accompagne souvent de l’abus d’une relation de confiance (R. c. D.R.W., 2012 BCCA 454, 330 B.C.A.C. 18, par. 41). Si un parent ou un membre de la famille est l’auteur de la violence sexuelle, l’autre parent ou les autres membres de la famille causent dans certains cas un nouveau traumatisme en prenant parti pour l’agresseur et en ne croyant pas la victime […]. Même dans les cas où l’agresseur n’est pas un parent ou un gardien, la violence sexuelle peut déchirer des familles ou les rendre dysfonctionnelles […]. Par exemple, la fratrie et les parents peuvent rejeter la victime de violence sexuelle parce qu’elle leur reproche sa propre victimisation […]. Les victimes peuvent également perdre confiance en la capacité des membres de leur famille de les protéger et ils peuvent s’isoler de leur famille en conséquence […].

[243]      Ainsi donc, selon la Cour suprême, les tribunaux doivent être alertés du caractère violent inhérent aux crimes de nature sexuelle sur des enfants mineurs et du cortège de problèmes qui plus tard en résultent pour eux tant durant l’enfance que fréquemment à l’âge adulte. Ces propos de portée générale trouvent leur écho dans le cas présent.

[244]      On doit donc se garder de présumer que parce qu’ici il n’y pas eu viol, sodomie, pénétration complète ou masturbation en présence de l’enfant, les gestes à caractère sexuel posés par le défendeur (qui ont mené à sa condamnation en cour criminelle ne l’oublions pas) n’auraient eu qu’un impact modeste sur X. Ce serait oublié que le préjudice doit être évalué en fonction des conséquences qu’ils ont eues et continuent d’avoir sur la victime et non pas en vertu d’une échelle objective de gravité préétablie :

Measuring the pain and suffering that a physical injury produces as a non-pecuniary loss involves coming to an understanding of subjective experience of pain and unhappiness that is not transposable from one person to another. […][73]

[245]      Commentant ce passage de l’arrêt Stations de la Vallée de St-Sauveur, l’auteur Patrice Deslauriers écrit :

Ce faisant, la Cour, sans nier complètement l’utilité de recourir à des comparaisons (procédé qui de toute façon s’inspire de l’approche conceptuelle), notamment dans le but de favoriser une certaine stabilité dans le domaine, revalorise ainsi l’importance à accorder à l’approche personnelle.[74]

9.2.           Le témoignage de Y

[246]      Comme le Tribunal vient de le souligner, le défendeur a appelé comme témoin une autre de ses petites-filles, Y, la fille de D qui lui-même a coupé les liens avec ses parents.

[247]      Y déplore l’éclatement de la famille après que A leur ait laissé le choix d’être solidaire de X ou solidaire du défendeur mais non des deux à la fois.

[248]      Y est la cousine de X dont elle a le même âge. Elle a fait le choix de se ranger du côté de ses grands-parents. Dans son témoignage au procès, elle fait porter sur X la responsabilité du fait que la famille se soit divisée en deux clans et se dit triste d’être privée de l’harmonie qui y régnait antérieurement. Elle reproche à sa cousine X d’avoir à une occasion affiché à la fois de la bonne humeur, du ressentiment et de la méchanceté envers son grand-père après qu’elles se soient croisées dans une boutique. Elle se présente en victime. Pourtant, ce n’est pas elle qui a fait l’objet d’attouchements, c’est X. Suivre Y dans cette voie signifierait, soit d’imposer le silence à la victime directe du défendeur au nom du maintien de l’harmonie familiale, soit de l’isoler dans un coin pour permettre aux autres de vivre comme avant.

[249]      Quant à l’agressivité de X, l’experte des codemanderesses a expliqué les difficultés qu’elle éprouve à lexprimer. Les actes d’automutilation en sont une des manifestations.

[250]      Que la victime fasse preuve de rancœur se comprend dans les circonstances sans qu’il faille y voir de la part du Tribunal un encouragement à le faire. L’important à ce chapitre est d’objectiviser le mieux possible les dommages causés par le défendeur de façon à y rattacher une indemnité basée sur le préjudice réellement subi et non pas sur le désir de vengeance de la victime à l’endroit de son agresseur.

9.3.           La réclamation de X

[251]      Cette réclamation se décline en trois chefs distincts : 150 000$ de dommages d’ordre psychologique pour agression sexuelle, 50 000$ de dommages anatomo-physiologiques  et 294 479,54$ de dommages punitifs.

[252]      Une fois l’enquête complétée, elle réclame de plus une compensation pour la perte de revenus liés à une carrière dont l’accès lui est refusé par suite des résultats scolaires décevants qu’elle a connus après le début des agressions.

9.3.1.    Les dommages psychologiques

[253]      Il faut s’employer à établir l’indemnité juste rattachée à la détresse, la dépression, la perte des repères, la souffrance, la culpabilité et la crainte que ressent X.

[254]      À cette fin, l’exercice de comparaison avec des cas offrant des similarités, comme nous y invite le défendeur, demeure délicat comme le souligne si bien la juge Dulude de cette Cour dans H.C. c. V.CI.[75] :

[167]     Cela étant, comme le précise la Cour d’appel, l’exercice de comparer la situation d’une victime d’abus avec celle d’une autre victime indemnisée par les tribunaux est très délicat. Il serait inapproprié d’envisager une indemnité type selon un barème dans les cas d’abus. Chaque victime a son bagage, chacun réagit de façon bien différente. Comparer les souffrances et les douleurs des victimes d’abus sexuel peut s’avérer fort complexe.

(Le Tribunal souligne)

[255]      Dans cette affaire, la juge Dulude a condamné le défendeur à 125 000$ de dommages moraux, psychologiques et physiques et 25 000$ de dommages punitifs à la suite de quatre épisodes d’abus sexuel sur la personne du demandeur, répartis sur une période de huit ans, alors que ce dernier était mineur. Les gestes reprochés n’avaient pas mené à des accusations au criminel.

[256]      Parmi les autres précédents consultés par le Tribunal, aux fins de comparaison, citons : G.C. c. L.H.[76]; P.L. c. J.L.[77]; Tremblay c. Lavoie[78]; L.P. c. Succession de G.P.[79]; Auger c. Lauzon[80]; É.S. c. C.D.[81]; A. c. B.[82]; Ringuette c. Ringuette[83]; Borduas c. Catudal[84]; J.K. c. S.D.[85]; M.R. c. G.L.[86]; Y.R. c. D.D.[87]; D.L. c. R. La. (Succession de)[88]; A. c. B.[89]. Dresser un sommaire, même court, de chacun alourdirait indûment ce jugement.

[257]      Dans le présent cas, on parle de gestes à caractère sexuel pour lesquels le défendeur a été trouvé coupable au criminel. Ces gestes se sont répétés durant presque deux ans au cours d’un nombre d’épisodes indéterminé mais partagé entre certains plus significatifs et d’autres plus sournois qui ont tous contribué à entretenir le désarroi et la frayeur de X.

[258]      Les conséquences sur son estime de soi, sa confiance envers sa famille, ses résultats scolaires, sa peur des hommes sont clairement exposées par les expertes, comme on l’a vu précédemment.

[259]      En contrepartie, il faut tenir compte aussi du fait qu’il ne s’agit pas d’une situation irréversible n’offrant aucune voie de sortie à la victime. Elle a un amoureux depuis plus de quatre ans avec qui elle entretient une relation harmonieuse. Elle poursuit ses études dans le domaine de l’éducation et, après avoir débuté à l’université, n’a pas craint de retourner au cégep pour lui permettre de repartir dans une direction qui correspond mieux à ses aspirations :

En ce moment, je suis au cégep en technique d’éducation spécialisée au cégep A pour remonter ma cote R pour ensuite pouvoir retourner à l’université faire ce que j’aimerais faire.[90]

[260]      Selon l’experte des codemanderesses, certains signes encourageants permettent de croire qu’au cours des prochaines années, elle pourrait retrouver la paix de l’esprit qui lui est pour le moment refusée.

[261]      Elle vit maintenant éloignée de Montréal ce qui réduit le risque de croiser son grand-père, une situation qu’elle n’est pas en mesure d’affronter.

[262]      Toutefois, le portrait d’ensemble clairement souffrant, le haut niveau de désorganisation psychique de la codemanderesse et la présence récurrente d’affects dépressifs réguliers et importants croisés au testing psychologique indiquant une souffrance psychologique et symptomatologique plus élevée que la moyenne[91] amènent le Tribunal à conclure aux répercussions importantes que les gestes déviants du défendeur ont eues et continuent d’avoir sur sa petite-fille.

[263]      En décembre 2019, X avait déjà eu 50 rendez-vous en psychologie et 68 en psychiatrie. S’y ajoute un nombre indéterminé de consultations du même type depuis lors. Ces chiffres à eux seuls suffisent à conclure à un dommage corporel d’ordre psychique grave. Rien dans la preuve n’indique que X aurait eu précédemment recours aux services de psychologues ou de psychiatres.

[264]      Quant à ses résultats scolaires, les bulletins versés en preuve sont éloquents. Pour l’année scolaire 2012-2013, dans chaque matière, du français au cours d’éthique et culture religieuse, les résultats de X la placent bien au-dessus de la moyenne du groupe. En mathématique, elle affiche un résultat de 91 par rapport à 74 pour le groupe. En science et technologie, il est de 84 par rapport à 73[92].

[265]      Puis, à la fin de l’année scolaire suivante, le tableau s’assombrit. Dans la plupart des matières, les résultats de X sont légèrement au-dessus de la moyenne du groupe, sauf en mathématique où ils sont trois points sous la moyenne, alors qu’en science, ils se placent cinq points au-dessus[93].

[266]      L’année suivante, les résultats deviennent inquiétants et passent sous la moyenne du groupe en français, en anglais langue seconde enrichie, en espagnol, en mathématique, en science et en histoire. En mathématique, l’écart est de 16 points[94].

[267]      Aucune explication de cette chute des résultats scolaires de X n’a été apportée à part la corrélation entre les gestes à caractère sexuel du défendeur et la détresse grandissante de sa victime.

[268]      Du tableau d’ensemble, le Tribunal conclut que le dommage causé à X est substantiel. Il y a maintenant huit ans qu’il en va ainsi et il est raisonnable d’estimer à partir des rapports d’expertise qu’entre cinq et dix ans de plus seront requis avant que la codemanderesse retrouve son équilibre. Dans l’intervalle, son incapacité partielle temporaire est établie à 15%, soit près de la limite de la fonctionnalité selon l’experte Lepage.

[269]      Que la douleur ressentie par une victime soit incommensurable ne signifie pas que le Tribunal doit s’abstenir de la reconnaître. Pas plus que le fait qu’on ne peut pas mesurer objectivement en termes monétaires les pertes non pécuniaires ne devrait amener le Tribunal à ne pas faire un exercice d’évaluation[95]. S’il est reconnu qu’on ne peut pas fonder le montant d’une indemnité sur la sympathie qu’on ressent pour une victime, il faut s’assurer qu’elle soit raisonnable et équitable, c’est-à-dire en proportion de la perte réelle subie par cette dernière[96].

[270]      Peu importe l’approche théorique retenue pour évaluer la perte non pécuniaire, le Tribunal considère que la somme de 150 000$ que réclame X sous ce chef est justifiée et doit lui être accordée intégralement.

[271]      Une telle somme de dommages non pécuniaires résultant d’un préjudice corporel respecte le plafond de 100 000$, indexé, établi par la Cour suprême dans les arrêts Andrews, Teno et Thornton de 1978[97]. Ce plafond ne doit pas être traité ou interprété comme un barème[98]. Indexé, il représente aujourd’hui une somme de plus de 395 000$.

9.3.2.    Les dommages physiques

[272]      Sous cette rubrique, les codemanderesses allèguent dans leur Demande introductive d’instance que les gestes du défendeur ont eu un effet direct sur le développement accéléré de la scoliose dont a été affectée X à compter de 2015.

[273]      Or, leur experte affirme que ce problème ne peut pas être d’origine somatique. Aucune preuve médicale n’a été présentée par les demanderesses au soutien des allégations liées à la scoliose. Aucune indemnité ne peut être accordée à ce propos.

[274]      Par contre, la preuve de marques d’automutilation est indiscutable. Le témoignage de X n’est aucunement contredit. Elle s’est automutilée à plusieurs reprises avec les ongles, des agrafes, des objets tranchants et même avec une lame de rasoir, à la fois pour échapper à sa détresse et se punir. Des photos versées en preuve corroborent son témoignage et font voir des marques sur ses poignets et ses chevilles[99]. Les deux expertes en exposent les motifs. Ces gestes d’automutilation sont reliés aux gestes à caractère sexuel du grand-père. Ils ne se sont pas reproduits depuis 2017.

[275]      De la même façon faut-il imputer au comportement du défendeur l’importante médication à laquelle doit s’astreindre X encore aujourd’hui. Celle-ci est prescrite pour contrôler ou réduire à la fois l’anxiété, la dépression, des problèmes de concentration et l’insomnie.

[276]      Le Tribunal juge que X a droit à une indemnité de 15 000$ sous ce poste de réclamation.

9.3.3.    Les dommages exemplaires

[277]      Les dommages-intérêts punitifs ont une fonction préventive, punitive et dissuasive[100] plutôt que compensatoire. Comme l’énonce l’article 1621 C.c.Q., ils ne peuvent être accordés que lorsque la loi le permet.

[278]      L’article 49 de la Charte québécoise prévoit ce qui suit :


49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[279]      Dans l’arrêt Hôpital St-Ferdinand[101], la Cour suprême s’emploie à établir la portée des mots illicite et intentionnelle qu’on retrouve à cet article :

116.            Pour conclure à l’existence d’une atteinte illicite, il doit être démontré qu’un droit protégé par la Charte a été violé et que cette violation résulte d’un comportement fautif.  Un comportement sera qualifié de fautif si, ce faisant, son auteur transgresse une norme de conduite jugée raisonnable dans les circonstances selon le droit commun ou, comme c’est le cas pour certains droits protégés, une norme dictée par la Charte elle-même […].  L’existence d’une atteinte illicite établie, la victime peut, selon les termes du premier alinéa de l’art. 49 de la Charte, «obtenir [. . .] la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte».  Que ce soit en vertu du droit civil ou de la Charte, le préjudice et le lien de causalité, notions distinctes de la faute et de l’atteinte illicite, concernent les conséquences réelles de la conduite de l’acteur fautif ou de l’auteur de l’atteinte illicite, conséquences dont l’évaluation est destinée à circonscrire l’étendue du droit à la réparation de la victime.

 117.  Contrairement aux dommages compensatoires, l’octroi de dommages exemplaires prévu au deuxième alinéa de l’art. 49 de la Charte ne dépend pas de la mesure du préjudice résultant de l’atteinte illicite, mais du caractère intentionnel de cette atteinte.  Or, une atteinte illicite étant, comme je l’ai déjà mentionné, le résultat d’un comportement fautif qui viole un droit protégé par la Charte, c’est donc le résultat de ce comportement qui doit être intentionnel.  En d’autres termes, pour qu’une atteinte illicite soit qualifiée d’«intentionnelle», l'auteur de cette atteinte doit avoir voulu les conséquences que son comportement fautif produira. […]

121.    En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art. 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.  […]

[280]      La preuve démontre qu’il y a eu atteinte illicite et intentionnelle au droit de X à la sûreté et à l’intégrité de sa personne inscrit à l’article 1 de la Charte québécoise.

[281]      En effet, la description des gestes à caractère sexuel répétés, leur aspect harcelant et leur impact sur X couplés au fait que le défendeur ait été déclaré coupable de contacts sexuels sur la personne de sa petite-fille permet au Tribunal de conclure à une atteinte illicite au sens de l’arrêt St-Ferdinand.

[282]      Par ailleurs, le défendeur, prenant en considération les rôles importants qu’il a joués dans la collectivité pendant près de 50 ans, était en mesure non seulement de distinguer le bien du mal mais de juger du caractère à la fois erratique et illicite de son comportement. Il reconnaît qu’il savait qu’il franchissait une ligne interdite, qu’il aurait dû s’en ouvrir à son épouse, qu’il aurait pu consulter et surtout qu’il avait une obligation de se tenir à distance de sa petite-fille à défaut de pouvoir se guérir de l’amour qu’il lui vouait. En négligeant de le faire, il a porté atteinte de façon intentionnelle au droit à l’intégrité de la personne de X.

[283]      La Cour suprême, dans l’arrêt St-Ferdinand[102] puis dans l’arrêt Cinar[103], souligne que l’atteinte au droit à l’intégrité «doit affecter de façon plus que fugace l’équilibre physique, psychologique ou émotif de la victime». Ici, on sait que la faute repose sur le continuum comportemental du défendeur et que l’équilibre psychologique et émotif de sa victime en a été et en est toujours affecté.

[284]      L’attribution de dommages-intérêts punitifs s’impose donc.

[285]      La discrétion du Tribunal est large en pareil cas comme en témoigne l’utilisation du verbe peut au second alinéa de l’article 49 de la Charte québécoise[104]. Cette discrétion englobe à la fois l’opportunité d’accorder des dommages exemplaires et le montant approprié permettant d’atteindre leurs fins.

[286]      Cela dit, les dommages punitifs doivent être accordés avec retenue, comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Cinar[105], compte tenu de la formulation de l’article 1621 C.c.Q. : «[…] ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive».

[287]      L’article 1621, al. 2 C.c.Q. établit des critères d’appréciation des dommages-intérêts punitifs, dont la gravité de la faute du débiteur, sa situation patrimoniale et l’étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier.

[288]      La codemanderesse suggère une approche d’abord et avant tout punitive. En effet, sa réclamation de 292 479,54$ représente deux fois l’indemnité de départ de 146 239,77$ que B a reçue de la Ville de Montréal après sa démission. Selon elle, accorder moins que cette dernière somme serait injuste puisque son grand-père s’est enrichi de cette somme pour avoir démissionné. N’accorder que le montant de la prime de départ voudrait dire que les dommages punitifs seraient en totalité payés par celle-ci. Pour un effet punitif réel, X conclut qu'il faut que le défendeur lui verse deux fois plus que ce qu’il a reçu.

[289]      Le Tribunal ne peut pas avaliser cette approche.

[290]      Ce raisonnement ne trouve pas appui dans la loi, dans la littérature juridique ou dans la jurisprudence. Il oublie que le défendeur aurait eu droit à sa prime de départ de toute façon.

[291]      Pour tout dire, s’engager dans cette voie mènerait à transformer la fonction punitive et préventive des dommages exemplaires en vengeance pour compenser une peine de prison jugée insuffisante. Le jugement n’a pas pour fonction de venger la victime.

[292]      Par contre, les dommages accordés à ce titre doivent avoir pour effet de décourager le type de comportement auquel ils sont rattachés. Comme le signalait déjà le juge Dumas de cette Cour en 2005 :

[97]            […]  Les tribunaux semblent avoir à se pencher de plus en plus souvent sur des cas d'abus sexuels d'enfants mineurs et il faut encourager les victimes à dénoncer les abuseurs.  Ne donner que de minces condamnations, découragerait les victimes plutôt que de les encourager à dénoncer et à poursuivre.[106]

[293]      Au même sens, la Cour suprême, en 2010, dans l’arrêt de Montigny c. Brossard (Succession)[107] écrit que :

L’octroi de ces dommages exprime l’avis de la justice sur la gravité de ces actes et la nécessité de les dénoncer comme une atteinte aux valeurs les plus fondamentales de la société.

[294]      Dans le cas présent, le défendeur a commis une faute grave qui doit être dénoncée pour ce qu’elle est. La nature même des gestes à caractère sexuel et leur aspect répétitif et harcelant constituent un comportement à la fois délétère et nocif que la Cour suprême, dans l’arrêt Friesen, déjà cité, n’hésite pas à qualifier de violent en soi.

[295]      D’autre part, le défendeur, sans être un homme riche, bénéficie d’une certaine aisance financière que lui procurent ses revenus de pension, soit environ 90 000$ par année, dont un peu plus de 30 000$ ont été transférés à son épouse durant l’année 2018[108]. Il s’agit de revenus indexés qui sont peu susceptibles de varier.

[296]      Il est aussi le propriétaire indivis de la résidence familiale qui est évaluée au rôle d’évaluation foncière des années 2020 à 2022 à 315 000$[109]. Il est possible, voire probable compte tenu de l’évolution du marché immobilier, que l’évaluation municipale soit plus élevée dans le prochain rôle triennal mais la preuve ne permet pas d’établir une valeur probable de l’immeuble dans ce cadre. Il n’y a pas d’hypothèque qui grève la résidence principale du couple [de la famille A].

[297]      De plus, jusqu’en novembre 2019, le défendeur était propriétaire avec son épouse d’une résidence secondaire dans [la région A]. Celle-ci a été vendue pour la somme de 175 305,95$[110] et le produit de la vente a été partagé à part égale après remboursement d’une hypothèque de 15 000$ et les frais de notaire. Le défendeur a donc ainsi touché 79 617,26$. À même cette somme, il a dû ou doit acquitter des honoraires d’avocat de 57 397,84$[111].

[298]      Sur sa prime de départ de 146 239,77$, le défendeur a été tenu de payer 17 280,84$ d’impôt fédéral et 30 079,47$ d’impôt provincial lui laissant un solde de 98 879,46$[112].

[299]      S’ajoute à cela, 355 812,81$ au 21 décembre 2021 constitués de placements non enregistrés, de FERR et de CELI[113].

[300]      Enfin, il est propriétaire d’un véhicule de marque Kia, modèle 2022, d’une valeur de 43 665,15$ acheté le 3 août 2021 et payé comptant[114].

[301]      C’est sur la base de ces chiffres que le Tribunal conclut que le défendeur jouit d’une certaine aisance financière.

[302]      Mais cela ne suffit pas pour établir le montant des dommages-intérêts exemplaires puisque le Tribunal doit tenir compte aussi de la réparation à laquelle il sera tenu envers les codemanderesses en vertu de ce jugement. Celle-ci s’établit à plus de 200 000$ au total, dont 165 000$ à être versés à X.

[303]      Cette réparation devra être payée en moins prenant de l’actif du défendeur que le Tribunal établit à 500 000$. Pour parvenir à ce total, il inclut à l’actif du défendeur une valeur dépréciée de 35 000$ pour le véhicule et considère compris dans son portrait financier[115] le solde de 98 879,46$ de sa prime de départ et le solde de 22 219,42$ du prix de vente du chalet. Et il ne prend pas en considération l’augmentation probable de la valeur marchande de la résidence du couple [de la famille A].

[304]      Le Tribunal tient compte des revenus annuels du défendeur d’environ 90 000$.

[305]      Enfin, pour établir le montant des dommages-intérêts exemplaires, le Tribunal prend aussi en considération la position sociale du défendeur, qui est passé de maire d’un arrondissement de Montréal à repris de justice inscrit au registre des délinquants sexuels, et le fait qu’il connaît depuis lors avec son épouse une certaine mise au banc de la société certainement difficile à vivre. Ces éléments constituent autant de facteurs de punition et de dissuasion.

[306]      Par contre, il doit être compris que tourmenter un enfant par la répétition de gestes à caractère sexuel n’est jamais anodin et doit être tenu pour grave.

[307]      Dans ce contexte, le Tribunal estime que la somme de 75 000$ constitue un montant suffisant pour assurer aux dommages-intérêts exemplaires leur fonction préventive.

9.3.4.    La perte de revenus

[308]      L’article 1611 C.c.Q. énonce que l’indemnité compense la perte que subit le créancier et le gain dont il est privé. Pour les déterminer, le tribunal doit tenir compte du «préjudice futur lorsqu’il est certain et qu’il est susceptible d’être évalué».

[309]      X n’a pas formulé de demande spécifique pour perte de revenus futurs dans la demande introductive d’instance, initiale ou modifiée. Le défendeur plaide être pris au dépourvu par ce chef de réclamation et soutient qu’y faire droit mènerait à adjuger au-delà de ce qui est demandé.

[310]      Avec respect, le Tribunal ne partage pas cet argument de l’ultra petita. En effet, la Demande introductive d’instance modifiée traite abondamment des ratées dans le parcours académique de X. Son témoignage en chef du 14 décembre 2021 porte entre autres sur le fait que ses résultats scolaires lui ont fermé la porte à certains cours de science et de mathématique au cégep faute d’avoir pu bonifier sa cote R. Le but de l’expertise de Mme Mariette Lepage est de «déterminer […] l’influence de ces abus sur la capacité de X de poursuivre ses études et d’accomplir un emploi rémunérateur […][116]. Les avocats du défendeur ont eu l’opportunité de contre-interroger les codemanderesses et l’experte à ce propos et s’en sont prévalus.

[311]      Dans l’arrêt Continental Casualty[117], la Cour d’appel rappelle que «[l]a règle de l’ultra petita est liée au droit d’être entendu»[118]. Le défendeur a eu l’occasion de l’être.

[312]      Quant au montant de 50 000$ que réclame à ce titre X, il entre dans l’enveloppe globale des sommes réclamées par elle à un titre ou à un autre[119].

[313]      À la lumière des allégations en demande et de la preuve offerte au procès, l’argument dultra petita doit être écarté.

[314]      Par contre, si la preuve démontre que la codemanderesse connaît des retards dans son parcours scolaire et qu’elle doit effectuer un recul stratégique pour améliorer sa cote R, il est permis de croire que X retrouve peu à peu une capacité à se mobiliser vers un objectif professionnel.

[315]      Or, aucune preuve d’expert, actuarielle ou autre, n’appuie le poste de réclamation pour perte de revenus. Il est difficile, chez une jeune personne qui n’a pas encore commencé à travailler, d’établir le métier ou la profession qu’elle aurait pu occuper n’eut été la faute du défendeur ou le salaire qu’elle aurait pu gagner si les choses s’étaient déroulées différemment.

[316]      En l’espèce, on parle d’un préjudice non pécuniaire d’ordre psychologique auquel Mme Lepage associe une incapacité temporaire partielle de 15%, sans la situer dans le temps. L’experte se dit par ailleurs incapable d’attribuer un pourcentage d’incapacité permanente «puisque l’état de X peut évoluer, au cours des prochaines années, et s’améliorer de façon importante»[120].

[317]      Le cas présent se distingue de l’arrêt Carra c. Lake[121] que les codemanderesses invoquent en plaidoirie. Dans cette affaire, la Cour d’appel, sous la plume du juge Vallerand, devait décider de la perte pécuniaire associée à un préjudice corporel physique chez une personne exerçant la profession d’experte comptable compte tenu du tribut à la productivité à long terme prélevé par les graves blessures aux jambes l’affectant.

[318]      Que la Cour d’appel, à ce chapitre, se soit contentée en bout de piste de «spéculer»[122] sur le montant de l’indemnité est une chose mais il n’en demeure pas moins que des experts avaient été entendus à ce propos dans l’objectif d’établir un montant même si c’était de façon «assez discrétionnaire».

[319]      La Cour d’appel, à partir de faits toutefois très différents, nous enseigne, dans l’arrêt Pinsonneault[123], que la difficulté à quantifier un dommage «ne signifie pas qu’il n’est pas quantifiable en raison de son caractère aléatoire».

[320]      Dans le cas présent, le Tribunal considère ne pas avoir devant lui une preuve suffisante pour accorder une indemnité pour perte de revenus. Tout en tenant compte des enseignements de la Cour d’appel dans les arrêts Carra et Pinsonneault précités et Quintal[124] qui nous invitent à rendre justice aux parties sur la foi du dossier et des plaidoiries, le Tribunal ne peut ignorer le texte même de l’article 1611 C.c.Q. qui exige que le préjudice futur soit certain et qu’il soit susceptible d’être évalué. Ce n’est pas le cas ici. Devant tant d’inconnus, accoler un chiffre au préjudice allégué pour perte de revenus serait de la pure spéculation. La loi n’autorise pas le Tribunal à le faire.

[321]      À ce chapitre, le Tribunal est d’avis que cet aspect est déjà compensé par les pertes non pécuniaires déjà accordées à X.

9.4.           La réclamation de A

[322]      Le 5 janvier 2016, lorsque son père, alors qu’elle est assise à ses côtés dans son véhicule, reconnaît avoir posé des gestes à caractère sexuel sur X et qu’il lui avoue être en amour avec elle, le monde de A tel qu’elle le connaît arrête de tourner. Compte tenu des liens étroits entre sa famille et le couple [de la famille A] ainsi que de la confiance sans réserve en son père, le Tribunal n’a aucune raison de douter de son témoignage lorsqu’elle affirme avoir vu à cet instant son monde voler en éclats et en avoir perdu ses repères.

[323]      Pour elle, la douleur était d’autant plus vive que l’homme qui a touché à sa fille est non seulement son propre père mais aussi un ancien policier dont le rôle fut un temps de pourchasser ceux ayant défié cet interdit. Il était impossible pour lui, dit-elle, d’ignorer la gravité de ses gestes et leurs conséquences sur la victime, sur sa famille et sur ses proches.

9.4.1.    Les dommages moraux

[324]      Encaisser le coup, sauver son couple, assumer le remord de n’avoir rien perçu ni rien vu venir, protéger ses filles et les consoler de l’absence de leur mamie, retenir les services de psychologues pour répondre aux besoins de chacun, accompagner X dans d’innombrables rendez-vous en psychologie et en psychiatrie tout en faisant les démarches auprès du collège de sa fille pour obtenir les accommodements nécessaires afin qu’elle réussisse malgré tout son année scolaire, naviguer dans les méandres de l’IVAC pour obtenir un support financier adéquat permettant d’assurer à X les soins et les services requis, confronter les autres membres de la famille A et les sommer de choisir leur camp, continuer à mener sa carrière de comptable professionnelle agréée, bref, être à la fois au four et au moulin : voilà ce que retient le Tribunal du témoignage et du contre-interrogatoire de la codemanderesse A lorsqu’elle parle de ce que ce moment charnière a entrainé pour elle.

[325]      L’état dépressif grave de X et la conviction d’avoir été injuste envers elle en l’accablant de reproches pour la baisse de ses résultats scolaires sans avoir pris le temps de comprendre les raisons de cette détérioration progressive n’ont fait qu’ajouter au fardeau que A a eu à porter par la faute du défendeur.

[326]      Le résumé des entrevues que les deux psychologues expertes ont eues avec A démontre à quel point cette dernière s’est investie une fois qu’elle eut été informée des gestes du grand-père et comment s’est développée la relation symbiotique entre elle et X. Il est plus probable que cette relation soit la conséquence des gestes posés par le défendeur que la cause des problèmes qu’ont éprouvés et éprouvent toujours la mère et sa fille à se tourner vers l’avenir.

[327]      À la lumière de l’ensemble de la preuve, les dommages non pécuniaires propres et directs causés à la codemanderesse du fait des gestes à caractère sexuel posés par le défendeur sur sa petite-fille sont importants.

[328]      La défense suggère qu’une somme modeste soit accordée à la fille du défendeur à titre de dommages non pécuniaires.

[329]      Le défendeur invoque à ce titre le jugement du juge Tardif de 2004 dans J.-G. C. et J.L. c. J.M.[125], qui réfère à son tour au jugement du juge Paradis rendu en 1986 dans l’affaire Colette Rousseau c. Jean-Paul Quessy[126]. Il s’agit là de deux des rares jugements rendus sur des réclamations de ce type.

[330]      Dans ces deux affaires, les juges ont eu à se pencher sur les dommages non pécuniaires à accorder à un proche ou aux parents de victimes de crimes de nature sexuelle.

[331]      Dans le dossier de 1986, le tribunal a octroyé 15 000$ au mari de la victime d’un viol. Dans celui de 2004, le juge Tardif a accordé 10 000$ aux parents d’une enfant âgée de 9 ans victime d’attouchements à une seule occasion. Actualisée, cette somme de 10 000$ vaudrait aujourd’hui près de 15 000$.

[332]      Dans ce dernier cas, le juge a estimé que le crime commis sur l’enfant était moins grave que le viol d’une femme d’âge adulte. Après avoir actualisé les dommages accordés dans le dossier de 1986, il a établi les dommages non pécuniaires dus aux parents de l’enfant mineure à 30% de ceux accordés par le juge Paradis.

[333]      Par comparaison, dans le cas à l’étude, le défendeur a adopté un comportement harcelant en posant à répétition des gestes à caractère sexuel qui ont eu des effets graves non seulement sur la victime mais sur sa mère.

[334]      Les faits de l’espèce sont différents des affaires Rousseau et J.-G. C. Le préjudice de la mère a fait ici l’objet d’une preuve élaborée sur l’investissement personnel qu’elle a dû consentir pour venir au secours de sa fille. Ce préjudice excède celui que le juge Tardif décrit au paragraphe 41 du jugement J.-G. C. De plus, ces deux jugements remontent à plusieurs années, à une époque où les crimes de nature sexuelle sur les enfants avaient tendance à être souvent tenus pour moins pernicieux qu’ils ne le sont vraiment.

[335]      Pour tous ces motifs, le Tribunal en vient à la conclusion d’établir le montant des dommages non pécuniaires de la codemanderesse A à 40 000$.

9.4.2.    Les dommages matériels pécuniaires

[336]      La codemanderesse réclame 29 623,37$ de frais et déboursés qu’elle a dû assumer en conséquence des gestes posés par le défendeur.

[337]      Certains de ces frais et déboursés doivent être écartés parce qu’ils n’ont pas de lien direct avec la faute du défendeur, parce qu’ils relèvent des frais extrajudiciaires ou parce qu’ils doivent être inclus dans les frais de justice.

[338]      De la liste des déboursés dressée par la codemanderesse[127], le Tribunal exclut les frais de notaire (640$), les honoraires versés à Me Dorais (12 849,49$), les frais de scan cérébral (265$) et les frais d’expertise (4 480$), lesquels pourront être réclamés à titre de frais de justice.

[339]      Les dommages matériels pécuniaires remboursables à la codemanderesse totalisent donc 11 388,88$.

10.             Les honoraires extrajudiciaires

[340]      Si on peut faire bien des reproches au défendeur pour la faute qu’il a commise, on ne peut pas pour autant lui imputer l’obligation d’assumer les honoraires professionnels des avocats des codemanderesses.

[341]      En effet, la preuve veut qu’il ait offert de régler cette affaire et qu’il y ait eu des discussions en ce sens[128]. Comme c’est souvent le cas, les positions des parties se sont révélées irréconciliables. Dès lors, un procès s’imposait.

[342]      Même si le Tribunal estime qu’il eut été préférable, considérant qu’il admet en partie une faute, que le défendeur fasse une offre réelle au sens de l’article 215 C.p.c. plutôt que de demander simplement le rejet de la Demande introductive d’instance, on ne peut conclure pour autant qu’il ait abusé de son droit d’ester en justice.

[343]      Le défendeur a exercé son droit de se défendre à une action dont il jugeait les conclusions disproportionnées. Ce faisant, il n’a pas commis d’abus de procédure. Le plumitif témoigne du fait qu’aucune partie n’a entrainé l’autre dans des débats judiciaires inutiles.

[344]      Pour paraphraser le juge Tardif dans l’affaire J.-G. C. et J.L. c. J.M.[129], ce n’est pas parce que les gestes commis par le défendeur étaient odieux que ce dernier devait être empêché de contester la réclamation dirigée contre lui.

[345]      Les codemanderesses ne réunissent donc pas les conditions établies par la Cour d’appel dans l’arrêt Viel[130] pour obtenir la conclusion qu’elles demandent relativement aux honoraires extra-judiciaires.

11.             Les frais de l’experte des demanderesses

[346]      Le rapport d’expertise de Mme Mariette Lepage et son témoignage à l’enquête se sont révélés utiles et nécessaires à la compréhension du préjudice psychique subi par X.

[347]      Les honoraires de l’experte pour la rédaction de son rapport, soit 4 480$[131], et ceux facturés pour préparer son témoignage et le livrer, soit 2 000$[132], sont justifiés et doivent être inclus dans les frais de justice.

12.             L’ordonnance du 13 décembre 2021

[348]      Le 13 décembre 2021, le Tribunal a rendu une ordonnance sur une demande de l’intervenante MédiaQMI inc. pour mettre fin à la mise sous scellé du dossier prononcée par le juge St-Pierre le 6 avril 2018.

[349]      Dans les circonstances, il y a lieu de réitérer dans les conclusions du jugement deux paragraphes du dispositif de cette ordonnance pour s’assurer que demeure  confidentielle de l’identité des codemanderesses.

13.             Épilogue

[350]      Même si la détresse vécue par X était palpable au procès, les chances d’une sortie du tunnel à moyen terme semblent néanmoins raisonnables. Si elle y parvient, ce sera grâce à sa détermination et à celle de son entourage. Quant au défendeur, l’introspection qu’auront entrainée sa chute et les procédures judiciaires au criminel et au civil l’amènera peu à peu, il faut le souhaiter, à comprendre la véritable dimension des séquelles qu’aura laissée son égarement sur sa victime, sur sa propre fille, sur sa carrière, sur son couple et sur sa famille. Pour les uns comme pour les autres, se défaire de ses rancœurs et tourner cette page seront un défi à la hauteur du courage et de l’intelligence dont ils ont su faire preuve au cours du procès.

14.             Remerciements

[351]      Le Tribunal est bien conscient qu’une cause de ce type exige beaucoup tant des parties au litige que de leurs procureurs.

[352]      Ce dossier, pour être mené à bon port, aura requis énormément de travail et de doigté de la part des avocats et avocates d’un côté comme de l’autre. Le Tribunal les remercie de leur contribution, qui s’est avérée exempte de reproche tout au long du procès, et de leur collaboration non seulement entre eux mais avec le personnel de la Cour et avec le juge.

15.             dispositif

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[353]      ACCUEILLE en partie la Demande introductive d’instance modifiée des codemanderesses;

[354]      ORDONNE au défendeur de verser à la demanderesse X la somme de 150 000$ à titre de dommages moraux non cuniaires, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter de la date d’assignation;

[355]      ORDONNE au défendeur de verser à la demanderesse X la somme de 15 000$ pour le préjudice physique, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter de la date d’assignation;

[356]      ORDONNE au défendeur de verser à la demanderesse X la somme de 75 000$ à titre de dommages exemplaires, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter du présent jugement;

[357]      ORDONNE au défendeur de verser à la codemanderesse A la somme de 40 000$ à titre de dommages moraux non pécuniaires, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter de la date d’assignation;

[358]      ORDONNE au défendeur de verser à la codemanderesse A la somme de 11 388,88$ à titre de dommages matériels pécuniaires, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter de la date d’assignation;

[359]      REJETTE la défense du défendeur;

[360]      ORDONNE la mise sous scellé des pièces versées en preuve et en particulier des pièces P-10 (rapport d’expertise de Mme Mariette Lepage), D-9 (rapport d’expertise de Mme Diane Pérusse), D-5 (évaluation criminologique du 9 septembre 2016) et des interrogatoires préalables des codemanderesses;

[361]      ORDONNE que ne soient ni publiés, ni diffusés les noms des demanderesses, leurs coordonnées et toute autre information, nominative ou autre, qui aurait pour effet de révéler au public soit l’identité des demanderesses ou leurs coordonnées, soit un lien familial pouvant exister entre elles et le défendeur,

AVEC les frais de justice, y compris les honoraires et frais de l’experte Mariette Lepage que le Tribunal établit à 6 480$.

 

 

__________________________________

MICHEL YERGEAU, J.C.S.

Me Benoit Marion

Me Myriam Donato

BM Avocats

Avocats des demanderesses

 

Me Régis Nivoix

Me Cindy Thiffault

Doyon, Izzi, Niviox

Avocats du défendeur

 

Dates d’audience:

13, 14, 15, 16, 17, 20, 21, 22 décembre 2021 et 18 janvier 2022

 


[1]  R. Friesen, 2020 CSC 9, par. 5.

[2]  Défense du 4 avril 2009, par. 69.

[3]  Pièces P-18, en liasse, document 2, p. 1 et D-10.

[4]  Art. 2803, al. 1 C.c.Q.

[5]  2019 CSC 59.

[6]  [2017] 2 R.C.S. 250.

[7]  [2019] 1 R.C.S. 729.

[8]  Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 9e éd., 2020, Montréal, Éditions Yvon Blais, vol. 1 : Principes généraux, p. 765.

[9]  [2015] 2 R.C.S. 789.

[10]  Voir aussi, pièces P-18A, p. 1 et D-1.

[11]  Interrogatoire oral préalable à l’instruction du défendeur, 28 mai 2019, p. 28.

[12]  Idem, p. 30.

[13]  Contre-interrogatoire de M. B, 21 décembre 2021.

[14]  Idem.

[15]  Pièce P-1.

[16]  Pièce P-2.

[17]  Préc., note 7, par. 86.

[18]  Contre-interrogatoire de M. B, 21 décembre 2021, à 15 :57.

[19]  Voir aussi à ce propos, pièce P-19, p. 1.

[20]  Pièce P-20.

[21]  Pièce P-4.

[22]  Pièces P-7 et P-8.

[23]  Pièce D-5.

[24]  Pièce D-4.

[25]  Interrogatoire de M. B du 28 mai 2019, p. 44.

[26]  Idem, p. 32.

[27]  Id., ligne 11.

[28]  Id., lignes 23 et 24.

[29]  Id., p. 33, lignes 21 et 22.

[30]  Voir à ce propos, pièce P-15.

[31]  Interrogatoire préalable de M. B du 28 mai 2019, p. 33, ligne 2.

[32]  Contre-interrogatoire B, 21 décembre 2021, 15 :59.

[33]  Pièce D-5, p. 3.

[34]  Idem, p. 7.

[35]  Idem, p. 6.

[36]  Pièce D-5.

[37]  Ibid, p. 6.

[38]  Desjardins c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [2004] R.D.F.Q. 101, 103.

[39]  La Reine c. Marcel Beaumont, 200-01-043982-994, 1er septembre 1999, juge Jean-François Dionne, j.c.q., J.E. 99-2025.

[40]  [2013] 3 R.C.S. 1168.

[41]  2016 QCCA 76.

[42]  Voir aussi en ce sens, Daniel Gardner, Le préjudice corporel, 4e éd., 2016, Montréal, Éditions Yvon Blais, p. 22.

[43]  RLRQ, c. I-6.

[44]  RLRQ, c. C-12.

[45]  Pièce P-10.

[46]  Pièce D-9.

[47]  Idem, p. 11.

[48]  Pièce D-9, p. 10.

[49]  Idem.

[50]  Idem, p. 6.

[51]  Jean-Claude ROYER, La preuve civile, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 349; P.L. c. J.L., 2011 QCCA 1233, par. 64.

[52]  [1990] 2 R.C.S. 311, 328. Voir aussi, Simard c. Larouche, 2011 QCCA 911, par. 74 et 75; Succession de G.P. c. L.P., 2019 QCCA 863, par. 27.

[53]  Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoit MOORE, La responsabilité civile, préc., note 8, p. 762.

[54]  (1774), 1 Cowp. 63, 98 E.R. 969, cité par le juge Sopinka dans l’arrêt Snell, p. 328.

[55]  Pièce D-9, p. 14.

[56]  Pièce D-9, p. 12.

[57]  Pièce P-10, p. 13.

[58]  Idem, p. 14.

[59]  Pièce D-9, p. 9.

[60]  Idem, p. 18.

[61]  Id. p. 19.

[62]  Louise LANGEVIN et NATHALIE DES ROSIERS, en collaboration avec Marie-Pier NADEAU, L’indemnisation des victimes de violence sexuelle et conjugale, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 338.

[63]  R. c. Litchfield, [1993] 4 R.C.S. 333.

[64]  [1993] 2 R.C.S. 857.

[65]  Jean-Louis BAUDOUIN, La responsabilité civile délictuelle,, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1985, p. 143. Voir aussi, Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 68.

[66]  2010 QCCA 1509, par. 78 et 79.

[67]  Préc., note 65.

[68]  Stations de la Vallée de St-Sauveur inc. c. M.A., préc., note 66, par. 83.

[69]  L.P. c. Succession de G.P., 2017 QCCS 2583; P.L. c. J.L., 2011 QCCA 1233.

[70]  Préc., note 1.

[71]  Voir à ce propos aussi, K. (M.) c. H. (M.), [1992] 3 R.C.S. 6, 17 et 36.

[72]  Voir aussi, R. c. L.M., [2008] 2 R.C.S. 163.

[73]  Stations de la Vallée de St-Sauveur c. M.A., préc., note 66, par. 79.

[74]  Patrice DESLAURIERS, La place de l’approche fonctionnelle en droit civil en matière de pertes non pécuniaires, dans Mélanges Jean-Louis Baudouin, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2012, p. 715.

[75]  2016 QCCS 858.

[76]  J.E. 2005-824 (C.S.).

[77]  2011 QCCA 1233.

[78]  2014 QCCS 3185.

[79]  Préc., note 69.

[80]  2012 QCCA 27.

[81]  J.E. 2004-256 (C.S.).

[82]  R.E.J.B. 1998-07954 (C.S.).

[83]  R.E.J.B. 2003-40151 (C.S.).

[84]  R.E.J.B. 2004-61616 (C.S.).

[85]  2009 QCCS 2004.

[86]  J.E. 2004-945 (C.S.).

[87]  2012 QCCS 6297.

[88]  2010 QCCS 2077.

[89]  2007 QCCS 5.

[90]  Témoignage de X, 14 décembre 2021, 14 :36.

[91]  Le Tribunal emprunte ici aux mots choisis par l’experte du défendeur.

[92]  Pièce P-6, pp. 6 à 8.

[93]  Idem, pp. 9 à 11.

[94]  Idem, pp. 12 à 14.

[95]  Voir à ce propos, Roy c. Privé, 2017 QCCS 986, par. 132 et ss.

[96]  Andrews c. Grand and Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229, 242.

[97]  Andrews, 265; Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287; Thornton c. Board of School Trustees of School District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267. Voir aussi, Cinar Corporation c. Robinson, préc., note 40, par. 93; Hinse c. Canada (Procureur général), [2015] 2 R.C.S. 621, par. 146.

[98]  Brière c. Cyr, 2007 QCCA 1156, par. 14; Gagné c. Gagné, 2020 QCCS 1409, par. 54.

[99]  Pièces P-16 et P-17.

[100]  Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345; Richard c. Time Inc., [2012] 1 R.C.S. 265.

[101]  Préc., note 65.

[102]  Préc., note 65, par. 97.

[103]  Préc., note 40, par. 115.

[104]  St-Ferdinand, préc. note 65, par. 125 et 126.

[105]  Préc., note 40, par. 138.

[106]  G.C. c. L.H., préc., note 76. Voir au même sens, L.P. c. Succession de G.P., préc., note 69, par. 287.

[107]  [2010] 3 R.C.S. 64, par. 61.

[108]  Pièce P-14.

[109]  Pièce P-13.

[110]  Pièce D-14.

[111]  Pièce D-15.

[112]  Pièce D-13.

[113]  Pièce D-12.

[114]  Pièce D-16.

[115]  Pièce D-12.

[116]  Pièce P-10, p. 1.

[117]  Continental Casualty company c. Taillefer, 2014 QCCA 203, par. 7.

[118]  Voir aussi, Droit de la famille 871, [1990] R.J.Q. 2107 (C.A.); Congrégation Amour pour Israël c. Investissements Diane de Chantal inc., [1998] R.D.I. 1 (C.A.).

[119]  Marciano (Séquestre de), 2012 QCCA 1879; Succession de Holland, 2018 QCCA 436.

[120]  Pièce P-10, p. 13.

[121]  [1995] R.R.A. 326 (C.A.).

[122]  Idem, par 13.

[123]  M.G. c. Pinsonneault, 2017 QCCA 607, par. 265.

[124]  Quintal c. Godin, [2002] R.J.Q. 2925.

[125]  J.E. 2004-476 (C.S.).

[126]  1986 R.R.A. 222 (C.S.).

[127]  Pièce P-11.

[128]  Pièce D-6.

[129]  Préc., note 125, par. 46.

[130]  Viel c. Les entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.).

[131]  Pièce P-11, en vrac.

[132]  Note d’honoraires du 21 décembre 2021.

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