Droit de la famille — 20543 |
2020 QCCS 1215 |
|
COUR SUPÉRIEURE (Chambre de la famille) |
||
|
||
CANADA |
||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||
DISTRICT D’ARTHABASKA |
||
|
||
N° : |
415-04-004048-163 |
|
|
||
DATE : |
14 avril 2020 |
|
|
||
|
||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE ÉRIC HARDY, j.c.s. (JH 5512) |
||
|
||
|
||
N… P…, domiciliée et résidant au [...], Ville A, province de Québec, district judiciaire d’Arthabaska, [...] |
||
Demanderesse |
||
c. |
||
S… L…, domicilié et résidant au [...], Ville A, province de Québec, district judiciaire d’Arthabaska, [...] |
||
Défendeur |
||
et |
||
LE DIRECTEUR DE LA PROTECTION DE LA JEUNESSE, , Ville B, province de Québec, district judiciaire de Trois-Rivières, [...] |
||
Mis en cause |
||
|
||
|
||
JUGEMENT (sur demande pour ordonnance de sauvegarde) |
||
|
||
L’Aperçu
[1] Les parties sont les parents de :
· X, née le [...] 2014, âgé de cinq ans;
· Y, né le [...] 2012, âgée de sept ans;
· Z, né le [...] 2011, âgé de neuf ans.
[2] Madame en a la garde exclusive et Monsieur bénéficie d’accès réguliers.
[3] Or, depuis le 13 mars 2020, soit à la fermeture des écoles en raison de la pandémie Covid-19, Monsieur refuse de remettre à la garde de Madame les trois enfants. Il ne lui permet que des accès par des moyens technologiques.
[4] Par sa demande de sauvegarde, Madame demande au Tribunal d’ordonner à Monsieur de respecter la dernière ordonnance de garde rendue.
[5] Le 7 mars 2017, madame la juge Johanne April, j.c.s., confie la garde des trois enfants à Madame et accorde à Monsieur de généreux droits d’accès comprenant une garde à temps partagé durant la période estivale.
[6] Le [...] 2018, la Cour du Québec (Chambre de la jeunesse), après avoir noté qu’il dénigre Madame en présence de ses enfants, recommande à Monsieur de recevoir de l’aide au niveau personnel. En plus, elle ordonne qu’une personne travaillant pour un établissement ou un organisme apporte aide, conseils et assistance aux trois enfants et à leur famille pour une période d’un an et confie au Directeur de la protection de la jeunesse le soin de veiller à l’exécution de cette ordonnance.
[7] Une demande du Directeur de la protection de la jeunesse afin de faire réviser ou prolonger cette ordonnance est pendante devant la Cour du Québec (Chambre de la jeunesse).
[8] Enfin, le 9 juillet 2019, Monsieur produit devant la Cour supérieure une demande pour garde à temps partagé des trois enfants. Celle-ci est également pendante.
[9] Monsieur ne présente aucune demande de modification de l’ordonnance de garde prononcée par madame la juge April le 7 mars 2017.
[10] Le Tribunal fait sien l’exposé des principes applicables en matière de garde d’enfants et de droits d’accès en cette période de pandémie Covid-19 contenu dans les décisions Droit de la famille — 20474[1], Droit de la famille — 20506[2] et Droit de la famille — 20515[3].
[11] Voici ce qu’il en retient :
· les ordonnances de garde et d’accès continuent de s’appliquer;
· les parents peuvent convenir du réaménagement de celles-ci dans le meilleur intérêt de l’enfant;
· si un différend existe, une ordonnance modificative doit alors être rendue avant que les modalités de garde et d’accès ne soient modifiés, aucun parent ne pouvant se faire justice à soi-même;
· de simples appréhensions théoriques ne justifient pas une modification des modalités de garde d’accès;
· le parent qui sollicite le prononcé d’une ordonnance modificative doit démontrer, de façon prépondérante, que l’autre parent désobéit aux consignes sanitaires émanant des autorités publiques et que ce faisant, il met en péril la santé et la sécurité de l’enfant.
[12] Madame a raison. Monsieur se fait justice. Unilatéralement, il prive ses trois enfants de la garde exclusive confiée à leur mère. Il la force à s’adresser au Tribunal pour faire respecter l’ordonnance prononcée par madame la juge April le 7 mars 2017.
[13] Dans sa déclaration sous serment, Madame atteste que sa famille et elle-même sont en bonne santé et ajoute n’éprouver aucun symptôme relié à la Covid-19. Elle est préoccupée par le risque de contagion et s’engage à respecter toutes les consignes d’hygiène et de sécurité émises par les autorités gouvernementales. En somme, elle affirme que le milieu de vie qu’elle offre à ses enfants est sécuritaire.
[14] Quant à Monsieur, il dépose, ce matin, une déclaration non signée et non assermentée dans laquelle il affirme, de façon laconique, craindre pour la santé de ses enfants au motif que Madame ne respecterait pas les mesures de confinement. Aucune précision n’est fournie.
[15] Il dépose également le rapport de la travailleuse sociale [intervenante 1] du 31 mars 2020 adressé à la Cour du Québec (Chambre de la jeunesse).
[16] À la page 4 de ce rapport, on lit qu’à la suite de la fermeture des écoles annoncée le 13 mars 2020, Monsieur garde les enfants avec lui croyant que cette fermeture est assimilable, aux fins de l’exercice de ses droits d’accès, à une journée pédagogique. Madame s’y oppose. Elle demande le respect de l’ordonnance de garde prononcée par la juge April. Monsieur propose alors à Madame une garde à temps partagé durant la période la pandémie. Après un refus initial, Madame accepte sa proposition. Monsieur change ensuite d’avis. Il informe Madame qu’elle ne verra les enfants que deux jours pendant la période de fermeture annoncée qui était initialement de deux semaines. La travailleuse sociale relate que Monsieur explique son geste en disant avoir des craintes que Madame ne respecte pas les mesures de confinement et de distanciation sociale imposées par le gouvernement. Sur ce, la travailleuse sociale écrit : « [n]ous légitimons les craintes du père, en sachant qu’effectivement, la mère ne respecte pas les mesures de confinement, en se rendant chez des membres de sa famille et en recevant des personnes chez elle ». La travailleuse sociale n’indique pas quelles sont ses sources. S’agit-il de la mère ou des enfants? Elle ne le précise pas. Par ailleurs, Monsieur ne produit aucune déclaration sous serment émanant de la travailleuse sociale.
[17] Ce rapport de la travailleuse sociale ayant été produit au tout début d’audience, le Tribunal permet à Madame de témoigner sous serment pour répondre à la partie de ce rapport résumée au paragraphe précédent. L’avocat de Monsieur contre-interroge ensuite Madame. Elle témoigne s’être rendue à l’épicerie ainsi que chez son médecin depuis les mesures de confinement. À son anniversaire le 22 mars dernier, ses parents ainsi que sa sœur se sont présentés à son domicile pour lui remettre une carte d’anniversaire. Ils sont demeurés sur le seuil de la porte. À distance, elle s’est entretenue avec eux pendant un maximum de 15 minutes.
[18] Ainsi, le Tribunal constate que Monsieur est en défaut de respecter l’ordonnance de garde prononcée le 7 mars 2017 par la juge April.
[19] S’il croyait que des changements importants en justifiaient la modification, il devait s’adresser au tribunal en faisant la preuve prépondérante de tels changements, ce qu’il n’a pas fait.
[20] De toute façon, Monsieur n’a pas fait ce matin la preuve de changements importants.
[21] Sa déclaration non signée et non assermentée est irrecevable. Un communiqué sur l’assermentation à distance disponible sur le site Internet du ministère de la Justice du Québec indique pourtant la marche à suivre pour être assermenté en cette période de confinement. Même en période de pandémie, il aurait pu déposer en preuve une déclaration assermentée.
[22] Quant au rapport de la travailleuse sociale, il est difficile d’y voir une preuve prépondérante alors que ses sources ne sont pas divulguées et qu’elle ne produit aucune déclaration sous serment.
[23] Cela dit, le remède applicable lorsqu’une partie refuse d’obtempérer à une ordonnance n’est pas le prononcé de nouvelle ordonnance réitérant la première, mais plutôt celui de l’outrage au tribunal selon les articles 57 et suivants du Code de procédure civile.
[24] Néanmoins, le Tribunal confirmera l’ordonnance de garde et d’accès du 7 mars 2017, déclarera qu’elle continue de s’appliquer, ordonnera à Monsieur de conduire les trois enfants chez Madame au plus tard à 18 heures aujourd’hui et autorisera tout agent de la paix à prendre les mesures nécessaires afin que soit exécuté le présent jugement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[25] CONFIRME l’ordonnance de garde et d’accès prononcée par madame la juge Johanne April le 7 mars 2017;
[26] DÉCLARE que celle-ci continue de s’appliquer en cette période de pandémie Covid-19;
[27] ORDONNE au défendeur de reconduire au domicile de la demanderesse situé au [...], Ville A, province de Québec, district judiciaire d’Arthabaska, [...], le 14 avril 2020 à 18 heures, les enfants X, Y Z;
[28] En cas de défaut de Monsieur d’obtempérer à l’ordonnance qui précède, AUTORISE tout agent de la paix à prendre les mesures nécessaires afin que soit exécuté le présent jugement;
[29] RECOMMANDE aux parties de respecter de façon stricte les diverses consignes sanitaires émises par les autorités publiques en cette période de pandémie Covid-19;
[30] SOULIGNE aux parties que le présent jugement pourra être révisé, à l’initiative de l’une ou l’autre d’entre elles, s’il devait être démontré, à la satisfaction du tribunal, qu’un non-respect de ces consignes sanitaires, par l’autre parent, survenu subséquemment au présent jugement, est susceptible de mettre en péril la santé ou la sécurité de l’un ou l’autre des trois enfants des parties;
[31] SANS FRAIS de justice, vu la nature du litige.
|
|
|
|
ÉRIC HARDY, j.c.s. |
|
|
||
|
||
Me Marie-Pier Laplante-Moreau |
||
Bureau d’aide juridique de Victoriaville |
||
746, rue Notre-Dame Ouest |
||
Victoriaville (Québec) G6P 1T8 |
||
Pour la demanderesse |
||
|
||
Me Marco Morin |
||
Marco Morin et Associés avocats inc. |
||
1171, rue Notre-Dame Ouest |
||
Victoriaville (Québec) G6P 7L1 |
||
Défendeur personnellement |
||
|
||
Le Directeur de la protection de la jeunesse |
||
[...] |
||
Ville B (Québec) [...] |
||
Mis en cause |
||
|
||
Date d’audience : |
Le 14 avril 2020 |
|
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.