Lemieux et Secrétariat du Conseil du Trésor | 2025 QCCFP 7 |
COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIERS Nos : | 1302357 et 2000116 |
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DATE : | 26 mai 2025 |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : | Denis St-Hilaire |
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stéphane lemieux |
Partie demanderesse |
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secrétariat du conseil du trÉsor |
Partie défenderesse et CYNTHIA NADEAU LYDIA SAVARD CLAUDIE ST‑HILAIRE SUZANNE ST-PIERRE Parties intervenantes |
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DÉCISION
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(Article 81.20, Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1) |
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- Le 12 octobre 2021, M. Stéphane Lemieux dépose un recours en matière de harcèlement psychologique à la Commission de la fonction publique (Commission), en vertu de l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail[1] (LNT), à l’encontre de son employeur, le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT).
- Le 18 avril 2024, M. Lemieux dépose un second recours en vertu du même article encore une fois à l’encontre de son employeur.
- Dans ses deux plaintes, il allègue avoir fait l’objet de harcèlement psychologique de la part de sa coordonnatrice, de sa supérieure immédiate, de deux supérieures hiérarchiques, mais aussi de la Direction des ressources humaines (DRH) du SCT.
- La Commission a permis à Mmes Cynthia Nadeau[2], Lydia Savard, Claudie St-Hilaire et Suzanne St-Pierre[3], visées personnellement par certaines allégations de M. Lemieux, d’intervenir dans la présente affaire.
[6] À l’égard des deux plaintes, la Commission doit déterminer si M. Lemieux a été victime de harcèlement psychologique au sens de la LNT.
[7] Pour les motifs qui suivent, la Commission conclut qu’il n’y a pas eu de démonstration, selon la règle de la prépondérance de la preuve, que M. Lemieux a subi du harcèlement psychologique.
[8] La Commission rejette donc les deux recours.
CONTEXTE
- M. Lemieux est engagé au SCT le 3 octobre 2018 à titre de technicien en aménagement.
- Le 30 septembre 2019, il est nommé technicien des travaux publics.
- Au moment des allégations de harcèlement psychologique, il est technicien principal des travaux publics depuis le 20 novembre 2019.
- Selon sa description d’emploi, sous l’autorité de la direction des ressources matérielles et des opérations, il coordonne la réalisation des travaux des fournisseurs et manutentionnaires, il gère les demandes courantes d’aménagement et de déménagement et il identifie les priorités dans les demandes à traiter.
- Il travaille au sein d’une petite équipe, mais il interagit également avec des employés qui occupent des bureaux dans les édifices du SCT et avec différents fournisseurs et sous‑traitants.
- Tout se passe bien les deux premières années de son emploi au SCT puisque M. Lemieux jouit d’une grande autonomie. Possédant de l’expérience en rénovation, il coordonne la réalisation de différents travaux d’aménagement dans les bureaux du SCT. Il estime que sa marque de commerce est le service à la clientèle et la rapidité d’exécution. Il aime être dans l’action plus que dans « la paperasse ».
- Ses supérieurs apprécient manifestement son travail puisqu’il est engagé d’abord comme technicien en aménagement, pour combler un poste temporaire, et obtient rapidement un poste de technicien des travaux publics, pour finalement décrocher un poste de technicien principal des travaux publics.
- La situation évolue au cours de l’année 2020, notamment à l’égard de l’organisation du travail. Différents évènements culminent vers une première plainte de harcèlement psychologique.
La première plainte (21 octobre 2021)
- Cette première plainte logée contre son employeur vise personnellement Mmes Savard, St-Hilaire et St-Pierre comme étant à l’origine du harcèlement subi par M. Lemieux.
- Au début, il existe une bonne collaboration dans l’équipe notamment avec Mmes St-Hilaire et St-Pierre (cette dernière entre en fonction le 25 février 2019) qui sont respectivement directrice adjointe et directrice générale de l’administration. Il travaille également avec Mme Savard qui est d’abord embauchée comme technicienne, mais qui deviendra professionnelle et responsable des aménagements.
- Lorsqu’il obtient son poste de technicien principal des travaux publics le 20 novembre 2019, son ancien poste devient vacant. Le 6 janvier 2020, Mme Gaëlle Le Quinio est engagée afin de le combler. M. Lemieux la trouve négative et la relation devient rapidement conflictuelle, à un point tel qu’ils ne s’adressent plus la parole.
- Selon M. Lemieux, elle a de la difficulté à composer avec les fréquents impondérables reliés aux travaux d’aménagement. Elle ferait preuve de comportements incivils envers lui et la clientèle.
- En janvier 2020, Mme Savard obtient une promotion à titre de responsable des aménagements. Sous l'autorité du directeur des ressources matérielles et des opérations, elle organise, coordonne et gère les projets de rénovation des espaces du SCT. Elle est également appelée à proposer des orientations, à conseiller et à recommander aux autorités des solutions afin de répondre à leurs besoins. C’est elle qui coordonne et supervise le travail de M. Lemieux.
- Le 13 mars 2020, la pandémie de COVID-19 vient complètement bouleverser le quotidien des fonctionnaires. Afin d’éviter la prolifération de cette maladie, une grande partie de ceux-ci doivent quitter leur milieu de travail rapidement dans le contexte de l’urgence sanitaire, ce qui occasionne des retards dans les travaux d’aménagement des bureaux du SCT.
- Puisque les bureaux seront inoccupés pendant la période estivale, il est convenu d’en profiter pour effectuer plusieurs travaux. Pour utiliser l’expression de M. Lemieux, « on ouvre la machine ».
- La pandémie change également la nature des travaux à réaliser au SCT. Puisque les bureaux sont beaucoup moins occupés, le nombre de demandes d’interventions journalières mineures diminue et laisse place à davantage de projets d’aménagement planifiés. La planification de ces travaux et le suivi des dépenses occupent une place plus importante, ce qui cadre moins avec les forces de M. Lemieux qui est un « homme d’action » et « de terrain ».
- Il faut ajouter que le SCT doit faire la promotion de la revitalisation des milieux de travail auprès des ministères et des organismes du secteur public québécois afin qu’ils soient des employeurs attractifs et rétentifs, ce qui a pour effet d’augmenter le nombre d’aménagements des espaces de travail à réaliser. En effet, la Stratégie de gestion des ressources humaines 2018-2023[4] vise notamment un nouveau concept d’aménagement des espaces de travail flexibles et collaboratifs.
- M. Lemieux aimerait travailler « comme avant » puisque cela correspond davantage à son profil. Il est heureux dans l’action. Cela le valorise beaucoup et concorde avec son grand désir d’offrir un service à la clientèle de qualité. Progressivement, la situation le rend amer et nostalgique. Il a tendance à revenir sur le passé et à parler de ses réalisations antérieures, ce qui a pour effet d’exaspérer ses collègues au fil du temps.
- En mai 2020, on lui confie le mandat de coordonner les mesures d’urgence. Il voit cela comme une marque d’appréciation, de confiance et de reconnaissance de son expérience. Ce mandat lui donne également droit à une allocation de disponibilité.
- L’été 2020 ne s’est pas déroulé comme souhaité. M. Lemieux se dit débordé. Il considère que Mme Le Quinio lui prend beaucoup de son énergie par son attitude négative et elle est affectée à des tâches administratives alors qu’il aurait besoin d’aide. De plus, les absences de certaines personnes, notamment pour les vacances, affectent la progression des travaux planifiés.
- Il apprend seulement quelques jours à l’avance que Mme Savard s'absentera pour quatre semaines de vacances à la fin du mois de juillet. Lorsqu’il exprime sa surprise et demande à Mme St-Hilaire pourquoi Mme Savard prend des vacances à un moment où ils sont débordés, il dit se faire répondre agressivement qu’il n’a qu’à regarder le calendrier des vacances.
- Au mois d’août, Mmes St-Hilaire et St-Pierre lui ajoutent d’autres projets alors qu’il est pratiquement seul puisqu’il n’attend plus d’aide de Mme Le Quinio. Il est épuisé et attend impatiemment le retour de Mme Savard. Le retour de cette dernière n’a pas été à la hauteur de ses attentes puisqu’elle lui a alors souligné des retards relatifs à des travaux de finition.
Le travail avec Mme Le Quinio
- En ce qui concerne l’utilisation de Mme Le Quinio, il y a manifestement divergence d’opinions. M. Lemieux considère qu’elle est engagée pour lui donner un coup de main. Pour Mme St-Hilaire, elle est plutôt à la disposition de Mme Savard, la responsable des aménagements, qui doit l’affecter à des tâches et à des projets d’aménagement selon les besoins.
- De plus, la façon de travailler est bien différente. Mme Le Quinio est une personne très organisée qui n’aime pas déroger à ce qui a été planifié. M. Lemieux est davantage axé sur l’action que sur la planification composant très bien avec les impondérables qui peuvent survenir en cours de route.
- La répartition du travail est la suivante : Mmes St-Pierre et St-Hilaire déterminent les priorités, Mme Savard coordonne les projets, M. Lemieux et Mme Le Quinio exécutent les travaux avec d’autres collègues en ayant recours à des sous-traitants au besoin.
- Le 16 septembre 2020, une chicane importante éclate entre M. Lemieux et Mme Le Quinio près de leurs cubicules de travail justement en lien avec les méthodes de travail. Le ton monte à un tel point que Mme St-Hilaire doit intervenir pour calmer les ardeurs et les aviser qu’une rencontre aura lieu afin de s’expliquer au sujet de cette querelle.
- Une première rencontre se tient alors le lendemain entre les protagonistes et Mme St-Hilaire afin de régler la situation. Il y a divergence d’opinions sur la façon de travailler, notamment sur la planification des travaux et la gestion des impondérables. M. Lemieux et Mme Le Quinio s’expriment et échangent une attente réciproque pour l’avenir afin de favoriser le travail d'équipe.
- La rencontre semble positive pour tout le monde. Par ailleurs, M. Lemieux est déçu et considère que Mme St-Hilaire est demeurée impassible lorsque Mme Le Quinio se serait attaquée verbalement à lui. Il est sous le choc et il envisage de quitter son emploi.
- Il sollicite donc une deuxième rencontre qui se tient le 21 septembre 2020, mais cette fois uniquement avec Mme St-Hilaire puisqu’il veut comprendre pourquoi elle est demeurée impassible lors de la précédente rencontre malgré les paroles de Mme Le Quinio à son endroit. Autre déception, Mme St-Hilaire considère que c’est plutôt lui qui a été dur avec Mme Le Quinio. Le lendemain, afin de définir le travail et éviter les zones grises, elle lui remet la liste de tâches que Mme Le Quinio doit effectuer et elle lui permet d’en ajouter au besoin. Il ne propose aucun ajout.
Les agissements de Mme Savard
- C’est également lors de cette période que M. Lemieux se fait dire par Mme Savard qu’il ne sait pas gérer ses priorités puisque des pots de fleurs n’ont pas été peints et que des travaux de finition ne sont pas terminés pour la visite devancée de M. Éric Caire dans les bureaux.
- Le 24 septembre 2020, M. Lemieux participe à une réunion d’équipe avec Mmes Savard et Le Quinio. Mme Savard lui dit encore une fois qu’il ne sait pas gérer ses priorités et qu’il n’a pas les compétences pour s’occuper d’une équipe de travail. Maintenant, c’est elle qui s’occupera de la liste des tâches à effectuer et il n’aura qu’à décider qui utiliser pour chaque projet. Elle validera chaque décision et établira dorénavant la liste de ses priorités. C’est un coup dur pour M. Lemieux qui considère avoir exécuté un excellent travail lors des deux dernières années. Il voit la situation comme une rétrogradation alors que, pour Mme Savard, il s’agit de la mise en place de nouvelles méthodes de travail. M. Lemieux est vexé et se sent rabaissé de se faire dire quoi faire et de se faire « tenir par la main » pour utiliser ses propres mots. Il se fait reprocher de revenir constamment sur le passé alors qu’il doit se concentrer sur le présent.
- M. Lemieux se sent humilié, rabaissé et dénigré. Pour lui, il s’agit d’un manque de confiance. Il estime que ses réalisations et ses compétences ne sont pas reconnues. Il demande immédiatement une rencontre avec Mmes Savard et St-Hilaire afin de comprendre la raison de ce changement. Mme St-Hilaire lui précise alors que Mme Savard est la coordonnatrice et qu’il lui revient de décider. Mme Savard lui explique qu’il n’a pas à s’inquiéter, qu’elle l’affecterait à des projets dans lesquels « il est bon » sur un ton que M. Lemieux considère comme condescendant.
- Le 29 septembre 2020, il achemine à Mme St-Hilaire une ébauche de plainte de harcèlement psychologique, visant Mme Savard, qu’il n’a pas déposée formellement afin de lui démontrer son désarroi.
- Il se sent épuisé et il veut prendre une semaine de vacances pour se reposer. Il demande une rencontre avec Mme St-Hilaire, en présence de Mme St-Pierre, qui aura lieu le 2 octobre suivant.
- Encore une fois, cette rencontre n’est pas satisfaisante pour M. Lemieux. Il veut comprendre pourquoi il est « passé de héros à zéro ». Mme St-Pierre est émotive et elle trouve l’approche de M. Lemieux difficile puisqu’il débute en lui disant « je t’en veux ». C’est la première fois de sa carrière qu’elle vit une telle situation. Elle est déroutée et tente de comprendre. Quant à Mme St‑Hilaire, elle appuie la position de Mme Savard sur les nouvelles méthodes de travail. Pour M. Lemieux, elle prend plutôt la défense de cette dernière.
- Il consulte un médecin qui lui prescrit un arrêt de travail. Il ne retourne pas au travail après sa période de vacances. Il estime être « détruit psychologiquement ».
Les références pour un autre emploi
- Le 10 février 2021, il rencontre Mme St-Hilaire afin de savoir si elle va lui fournir de bonnes références dans le cadre de sa recherche d’emploi puisqu’il veut quitter le SCT. Elle le rassure et lui répond positivement. Par ailleurs, il s’est senti « pousser vers la porte ». Même si l’échange est courtois, il est contrarié puisqu’elle ne lui parle pas de son retour au travail.
- Il lui demande donc une autre rencontre qui se tient en mode virtuel le 16 février 2021 où elle lui aurait exprimé clairement, en réponse à sa question, qu’elle préfère qu’il ne revienne pas au SCT. Il accepte mal qu’elle ne veuille pas qu’il revienne après tout le bon travail qu’il a effectué. Mme St-Hilaire nie avoir dit qu’elle voulait qu’il quitte le SCT. Lorsque M. Lemieux fait un retour sur cette rencontre à une employée de la DRH, il lui rapporte pourtant avoir eu une très bonne conversation avec Mme St-Hilaire.
- La semaine suivante, il contacte le programme d’aide aux employés (PAE) et consulte un psychologue. Il postule dans d’autres ministères et organismes, mais est freiné par le fait que s’il obtient un poste de technicien classe nominal, il aura un salaire moindre. Il perdra aussi l’allocation associée aux mesures d’urgence. De plus, lorsqu’il mentionne qu’il est absent du travail pour cause d’invalidité, sa candidature n’est pas retenue selon lui.
Le retour au travail en juin 2021
- Il veut revenir au travail en juin 2021 lorsqu’il apprend que Mme Le Quinio quitte le SCT pour un autre emploi. Cependant, le plan de réintégration au travail ne lui convient pas puisqu’on lui enlève la responsabilité des mesures d’urgence et une partie des tâches qu’il effectuait auparavant.
- Il considère qu’il subit non seulement une perte financière due au retrait de cette responsabilité, mais aussi une perte d’autonomie et de dignité ainsi que de l’humiliation et du harcèlement psychologique. Bref, il se sent dépouillé des responsabilités et de la marge de manœuvre dont il bénéficiait et qu’il appréciait grandement.
- Il retourne finalement au travail le 16 juin 2021 en retour progressif, mais le cœur n’y est pas. Il ne doit s’en tenir seulement aux tâches inscrites dans son plan de retour au travail, rien de plus. Essentiellement, il obtient deux mandats afin de travailler un nombre de dossiers limités, soit l’aménagement de la salle du PAE et le « chemin de clés ».
- Il n’est pas convié aux réunions d’équipe avant celle du 7 septembre 2021 afin qu’il se concentre uniquement sur ses dossiers. D’ailleurs, lors de cette rencontre, il fait des suggestions, mais il sent qu’elles ne sont pas bien reçues. Il est déçu puisqu’il aimerait être au courant des autres dossiers de ses collègues et participer à toutes les rencontres afin de pouvoir contribuer en cas d’absences.
La rencontre du 15 septembre 2021
- Le 14 septembre 2021, il est convoqué à une rencontre se tenant le lendemain avec sa supérieure Mme St-Hilaire. Lors de cette rencontre, elle lui mentionne qu’il doit seulement répondre aux questions des collègues si celles-ci sont en lien avec ses projets. Elle lui demande également de contrôler sa charge émotionnelle ou de consulter au besoin le PAE.
- Elle lui confirme qu’il ne sera plus responsable des mesures d’urgence et de s’en tenir à ses tâches. La décision relative aux mesures d’urgence s’explique notamment par une approche différente en ce domaine depuis la pandémie. Il s’est senti dénigré et humilié.
- Le 23 septembre 2021, il reçoit sa fiche de gestion de la performance afin de lui spécifier ses attentes pour les six prochains mois. Il n’est pas d’accord avec certaines attentes contenues dans cette fiche puisque, selon lui, elles ne correspondent pas à la description d’emploi d’un technicien principal des travaux publics. Il ne peut plus prendre en charge les projets et il doit se référer à Mme Savard, perdant ainsi beaucoup d’autonomie. Pour lui, il s’agit d’une rétrogradation.
- Certaines attentes visent également son comportement dans l’équipe, comme être en mode solution plutôt que critique, avoir l’esprit de collaboration, s'abstenir de partager sa charge émotive, être solidaire des membres de l'équipe tant dans ses succès que dans ses échecs et avoir une attitude positive. Bien qu’il ait été invité à le faire, il ne suggère pas de modifications se sentant épuisé par la situation qu’il considère vexatoire. Il n’a plus d’énergie.
Une dernière tentative avec Mme St-Pierre
- Le 4 octobre 2021, Mme St-Pierre, la directrice générale, apprend à M. Lemieux qu’il ne pourra pas obtenir son avancement d’échelon pour fins de rémunération puisqu’il s’est trop absenté du travail pour qu’elle puisse l’évaluer. Il a échangé avec elle par rapport à sa situation sans grand succès. Il sent que Mme St‑Hilaire, sa gestionnaire, souhaite son départ et que cela est cautionné par la directrice générale.
- Les versions de Mmes St-Hilaire et St-Pierre ne coïncident pas avec celle de M. Lemieux. Toutes les deux considèrent avoir été à l’écoute et bienveillantes envers ce dernier.
- Le 12 octobre 2021, M. Lemieux amorce une longue absence du travail pour cause d’invalidité qui se terminera en septembre 2023.
La deuxième plainte (18 avril 2024)
- Cette deuxième plainte vise Mme Nadeau, directrice générale de l’administration, qui a remplacé Mme St-Pierre à la suite de son départ en septembre 2022, et la DRH du SCT comme étant à l’origine du harcèlement subi par M. Lemieux.
- En août 2023, lorsque M. Lemieux apprend le départ de Mmes Savard et St-Hilaire, il planifie un retour au travail avec la DRH.
Un retour au travail difficile en septembre 2023
- Le 20 septembre 2023, M. Lemieux débute un retour au travail progressif. Il prend part à une rencontre avec Mme Nadeau et un employé de la DRH. M. Lemieux considère que, lors de cette rencontre, Mme Nadeau ne l’écoute pas lorsqu’il veut parler de ses réalisations et qu’elle parle davantage d’elle.
- M. Lemieux explique aussi que, le 3 octobre 2023, lors d’une visite en équipe d’entrepôts et d’un étage rénové d’un bâtiment, Mme Nadeau pose beaucoup de questions. Malgré son absence du travail depuis plusieurs mois, il est en mesure de répondre, mais il sent que son expérience et ses connaissances dérangent.
- Le 4 octobre 2023, un autre évènement ébranle M. Lemieux. Il s’agit de sa première journée complète depuis son retour au travail et il a de la difficulté à se trouver une place de stationnement. Il arrive quelques minutes en retard et décide de rester au travail plus tard en fin de journée afin de compenser le temps perdu. Mme Nadeau s’apercevant qu’il est encore au travail aussi tardivement l’aurait interpellé et questionné de façon cavalière. Il tente d’expliquer ce qui s’est passé, mais, selon lui, elle est vraiment fâchée. Elle aurait profité de l’occasion pour lui dire qu’il ne doit pas avoir les clés en sa possession lors d’un retour progressif.
- Elle l’avise également qu’il ne doit plus se mêler d’un déménagement pour lequel il a communiqué de l’information à une employée puisqu’il s’agit d’un projet qui relève d’un collègue. Il justifie sa présence sur les lieux pour prendre des photos du mobilier et que c’est uniquement par courtoisie qu’il a aidé cette employée anxieuse à obtenir des boîtes rapidement puisqu’elle devait partir en vacances. Mme Nadeau lui aurait interdit d’y retourner.
- En décembre, un autre évènement le perturbe lorsqu’il effectue le ménage d’un entrepôt. Alors qu’il attend un collègue, il voit quelqu’un devant l’ascenseur qui s’avère être Mme Nadeau. Il la salue et lui mentionne qu’il ne l’avait pas reconnue. Cette dernière l’aurait alors regardé froidement et serait partie sans dire un mot. M. Lemieux croit qu’elle pensait qu’il se cachait pour ne pas travailler. Il est tellement sous le choc qu’il écrit un message texte à un ami pour lui raconter ce qui s’est passé. Il se sent dénigré et ridiculisé.
- Il va la voir plus tard pour clarifier la situation et en même temps lui parler de ses réalisations et de son travail, mais elle lui aurait répondu agressivement qu’il est technicien et qu’il doit s’en tenir à faire des plans.
- Mme Nadeau a une version complètement différente de l’évènement expliquant qu’elle est simplement allée voir qui se trouvait dans l’entrepôt, qu’elle l’a salué et qu’elle lui a demandé ce qu’il faisait. Elle ne comprend vraiment pas la réaction de M. Lemieux à la suite de cette rencontre et sur quelles bases il peut en tirer de telles conclusions.
- M. Lemieux explique que, lors de ces évènements, Mme Nadeau lui lance le même regard que celui de la personne qui l’a agressé dans un bar en juin 2021. Il se sent alors intimidé et en danger. Il ajoute qu’elle est froide lorsqu’elle le croise et qu’il y a peu d’interactions entre eux. Il qualifie son regard de désagréable et de haineux.
La visite de trois huissiers
- Le début de l’année 2024 coïncide avec la mise au rôle à la Commission de la première plainte de harcèlement psychologique de M. Lemieux. Étant donné qu’il doit répondre aux trois demandes d’intervention des prétendues harceleuses concernant cette plainte, il devient épuisé et stressé par toutes ces démarches d’autant plus qu’il n’est pas représenté par avocat.
- Il s’absente d’abord du travail les 2, 3 et 4 avril 2024 et il dit avoir avisé son employeur. Regardons de plus près la trame factuelle de cette période importante afin d’analyser le comportement de l’employeur relativement aux justifications des absences de M. Lemieux.
- Le 2 avril 2024, il avise son supérieur, M. Yanick Larose, qu’il sera absent toute la journée et peut-être aussi le lendemain puisqu’il y a certains développements dans son recours à la Commission et qu’il vit énormément de stress. Cela a un impact majeur sur sa santé.
- Le lendemain 3 avril 2024, il informe cette fois-ci M. Larose et M. Frédéric Pageau, un autre employé du SCT, qu’il sera absent toute la journée et probablement de retour le lendemain.
- Le 4 avril 2024, il informe M. Pageau qu’il sera encore absent sans plus de détails.
- Le 5 avril 2024, il dort toute la journée ayant une grippe depuis le week-end précédent, mais il oublie de justifier cette absence. Il reçoit d’ailleurs en fin de journée un texto de M. Larose qui commence à s’inquiéter.
- Le 8 avril 2024, n’ayant toujours pas de nouvelles en fin de journée, M. Larose lui écrit encore un message texte puisqu’il est inquiet et qu’il veut savoir s’il se porte bien.
- Le 8 ou le 9 avril 2024, M. Lemieux dit avoir acheminé un courriel pour justifier son absence, mais la « connexion » ne se serait pas effectuée. Ce courriel serait parti seulement le 17 avril 2024 quand M. Lemieux s’est connecté à son compte, mais malgré des vérifications du SCT il n’a jamais été retrouvé.
- Le 9 avril 2024, il reçoit un appel de la police puisque l’employeur s’inquiète et il a avisé la police de la situation. M. Lemieux communique alors avec M. Larose pour le rassurer et lui explique que bien que son moral soit bas, c’est le stress qui provoque des crises d’arthrose chronique qui lui occasionnent un manque de sommeil. Il mentionne qu’il ne sera pas disponible avant le 22 avril 2024 puisque son dossier de plainte de harcèlement psychologique à la Commission l’a épuisé.
- Le 10 avril 2024, alors qu’il travaille justement sur son dossier de plainte et qu’il n’est pas très en forme, il reçoit un courriel de Mme Emma Brassard de la DRH. Elle lui demande de lui faire parvenir des documents médicaux afin de justifier son absence du travail depuis le 2 avril 2024, et ce, au plus tard le 12 avril 2024.
- Le 12 avril 2024, après trois nuits blanches à travailler sur son dossier et à subir du stress, il reste à la maison à ne rien faire et à dormir afin de récupérer de sa grippe persistante.
- Le 16 avril 2024, il reçoit un message texte de M. Larose. Ce dernier lui pose des questions sur certaines procédures en lien avec le travail et lui dit de ne pas oublier de communiquer avec la DRH.
- M. Lemieux répond le 17 avril 2024 à 8 h 37 aux questions en lien avec le travail. Il indique aussi qu’il va communiquer avec la DRH dans la journée et qu’il devrait revenir au travail la semaine suivante. À 8 h 49, il répond enfin à Mme Brassard, pour lui expliquer qu’il n’a pas les documents médicaux demandés n’ayant plus de médecin de famille depuis janvier 2024. Il indique qu’il consultera dans les prochains jours pour sa grippe qui a dégénéré. Il croit aussi avoir un problème de bronches et une conjonctivite. Cela aurait occasionné une très grosse crise d’arthrose généralisée et de goutte qui l’a rendu incapable de remplir ses tâches, de dormir et de se déplacer.
- Quelques minutes plus tard, soit à 9 h 02, il reçoit une réponse de Mme Brassard indiquant que puisque l’employeur n’a reçu aucun document justifiant son absence, il est dans l’obligation de saisir au système de gestion une absence non justifiée (sans traitement), rétroactivement au 2 avril 2024. Elle l’invite fortement à prendre contact rapidement avec son gestionnaire.
- M. Lemieux écrit à M. Larose à 9 h 41. Il lui explique qu’on le menace de couper son salaire immédiatement et qu’il va communiquer avec le PAE et essayer de consulter pour ses problèmes de santé. Il en profite pour demander d’utiliser ses vacances pour combler la période sans salaire. M. Larose lui répond en fin de journée que les vacances doivent être préalablement autorisées, ce qui n’est pas le cas. M. Larose lui rappelle que son absence est sans autorisation et sans justification valide depuis le 2 avril 2024 et qu’il a l’obligation de régulariser la situation ou de se présenter au travail.
- À 11 h 54, M. Lemieux reçoit la visite d’un huissier qui lui remet une lettre signée par Mme Nadeau. Cette lettre souligne son absence du travail sans autorisation depuis le 2 avril 2024 et lui ordonne formellement de se présenter au travail le lendemain 9 h. À défaut, il sera considéré absent sans autorisation et sans justification et Mme Nadeau sera dans l’obligation de prendre à son égard les mesures appropriées pouvant aller jusqu’au congédiement.
- Il est surpris et considère le geste de l’employeur disproportionné. Le lendemain, soit le 18 avril 2024, il dépose à la Commission sa deuxième plainte de harcèlement psychologique.
- À cette même date, M. Lemieux reçoit la visite d’un autre huissier qui lui remet une deuxième lettre signée par Mme Nadeau puisqu’il ne s’est pas présenté au travail tel qu’ordonné à 9h. Cette dernière lui ordonne maintenant de se présenter au travail le lendemain à 9 h sans quoi elle sera dans l’obligation de prendre à son égard les mesures appropriées pouvant aller jusqu’au congédiement.
- Le lendemain, soit le vendredi 19 avril 2024, à 8 h 57, M. Lemieux écrit à M. Larose pour l’aviser qu’il ne sera pas présent à 9 h puisqu’il est en démarche avec le PAE et qu’il essaie d’obtenir un rendez-vous d’urgence chez un médecin.
- Il écrit aussi à 9 h 33 à M. Patrick Dubé, le dirigeant du SCT, afin de solliciter une rencontre avec lui pour parler de son cas et dénoncer sa situation qu’il considère comme contraire à la Stratégie de gestion des ressources humaines 2018‑2023. Il reçoit un accusé de réception indiquant que M. Dubé va prendre connaissance du courriel et lui répondre ultérieurement.
- M. Lemieux se présente à l’urgence d’un hôpital. Il obtient un billet médical pour un arrêt de travail du 19 avril au 22 avril 2024. Le médecin de l’urgence lui dit de consulter son médecin pour la période d’absence du 2 avril au 18 avril 2024. M. Lemieux ne remet pas immédiatement ce billet médical.
- Le lundi 22 avril 2024 à 8 h 57, il écrit de nouveau à M. Larose pour l’aviser qu’il ne sera pas présent puisqu’il attend un appel du PAE et de M. Dubé.
- Il reçoit une réponse de M. Dubé le 23 avril 2024 qui le rassure que la santé globale au travail constitue l’une de ses plus grandes préoccupations. Il indique que le personnel et les gestionnaires du SCT doivent pouvoir travailler dans un climat de travail sain. Il a pris connaissance de sa plainte de harcèlement psychologique et l’invite à consulter la Politique-cadre en matière de prévention et de traitement des situations d’incivilité, de conflit et de harcèlement psychologique ou sexuel au travail et à compléter le formulaire de plainte et certains documents. Ainsi, il pourra y avoir une analyse de sa plainte par un tiers.
- Le 24 avril 2024, M. Lemieux a un rendez-vous avec un médecin qu’il ne connaît pas puisqu’il n’a plus de médecin de famille. Il lui explique sa situation et il obtient un billet médical justifiant son arrêt de travail jusqu’au 6 mai 2024. La période d’absence du 2 au 18 avril 2024 ne sera jamais justifiée par une attestation médicale.
- En fin de journée, il reçoit la visite d’un huissier pour une troisième occasion. Encore une fois, on lui remet une lettre signée par Mme Nadeau qui lui rappelle son absence injustifiée du travail depuis le 2 avril 2024. Elle lui ordonne de se présenter au travail le lendemain matin à 9 h ou encore de fournir les documents médicaux justifiant son absence au plus tard le lendemain 9 h. Il est avisé que s’il ne se conforme pas à sa demande, il sera congédié. Il envoie finalement à l’employeur ses deux attestations médicales dans la nuit, soit le 25 avril 2024 à 3 h 07.
Les témoignages
- La Commission a constaté des versions divergentes, voire contradictoires, entre M. Lemieux et certains témoins à propos de plusieurs évènements. Ainsi, elle relate ce qu’elle retient de la preuve, selon la règle de la balance des probabilités, en considérant notamment la crédibilité et la fiabilité des témoignages ainsi que ce qui est appuyé par la preuve documentaire, le cas échéant.
- La Commission a eu l’occasion de se prononcer sur la façon d’analyser la crédibilité et la fiabilité des témoignages[5] en s’appuyant sur la jurisprudence qui dénombre plusieurs facteurs susceptibles d’être pris en compte[6] :
[46] Plus particulièrement, dans l’affaire Gosselin, la Commission, aux prises avec des versions contradictoires, cite avec approbation la décision de la Commission des relations du travail dans l’affaire A et Compagnie A, et énumère les critères généraux suivants qui permettent d’évaluer la crédibilité et la fiabilité d’un témoin :
[48] En conséquence, aux prises avec des versions contradictoires, la Commission doit déterminer laquelle est la plus probante en appréciant la crédibilité des témoins et de leurs témoignages :
[148] Pour évaluer la crédibilité d’un témoin, la Commission [des relations du travail] retient les critères présentés par Léo DUCHARME dans son ouvrage, Précis de la preuve, 6e éd., Montréal, Wilson Lafleur ltée, 2005, p. 537 à 540. Ces critères sont les suivants :
• les moyens par lesquels le témoin a connaissance des faits;
• son sens d’observation;
• la fidélité de sa mémoire;
• les raisons qu’il a de s’en souvenir;
• son indépendance par rapport aux parties en cause.
[149] Selon l’auteur, il faut également tenir compte de sa manière de témoigner, soit son comportement, sa manière de répondre et ses sentiments manifestés durant l’instance. Enfin, un témoignage considéré faux sur un point ne doit pas être nécessairement rejeté en entier.
[150] Pour apprécier leur témoignage, la Commission [des relations du travail] tiendra compte également des critères suivants :
• la vraisemblance d’une version, en présence de versions contradictoires;
• la constance et la cohérence des déclarations, bien qu’une cohérence parfaite ne soit pas un facteur de garantie absolue surtout si les faits sont survenus il y a longtemps;
• la corroboration, particulièrement en présence de deux versions, sans toutefois que cela soit une garantie d’authenticité ou que la Commission soit tenue de croire un témoin qui n’est pas contredit;
• l’absence de contradiction sur les points essentiels, même s’il est possible de retrouver des variations sinon des contradictions lorsque plusieurs témoins racontent un même fait.
- La version des faits de M. Lemieux est caractérisée par une forte propension à exagérer l’importance ou la gravité de certaines situations, au point de miner l’évaluation qu’il en fait. La façon dont il relate les évènements est rarement corroborée, et ce, même par ses propres témoins.
- Par exemple, dans sa plainte du 12 octobre 2021, il utilise des expressions qui rendent la Commission perplexe :
- « […] je me suis fait répondre férocement […] »
- « […] je suis resté bouche bée devant l’agressivité de ma gestionnaire […] »
- « Elle s’est mise à me taper sur la tête […] »
- « C’était une humiliation totale, une attaque gratuite sans fondement, du dénigrement […] »
- « […] le peu de confiance que j’avais en l’humanité venait de tomber à zéro […] »
- « En bref, on m’a dit de fermer ma gueule et fait ce qu’on te dit. »
- « C’est une histoire d’horreur, de héros à zéro, pour n’avoir rien fait. »
- Dans la plainte du 18 avril 2024, il mentionne :
- « […] elle avait le même regard que le gars qui m’a agressé […] »
- « Son regard désagréable et haineux quand elle me croise […] »
- Au regard de la preuve soumise à la Commission, ces propos sont exagérés.
- M. Lemieux s’érige en victime dans des situations normales en milieu de travail rendant ses supérieures et collègues perplexes devant ses réactions. Il a vécu des conflits dans son milieu de travail avec Mmes St-Pierre, St-Hilaire, Nadeau, Savard et Le Quinio et il a tendance à glisser dans les perceptions négatives. La Commission est d’avis qu’il faut éviter de confondre les rapports sociaux difficiles et le harcèlement psychologique.
- La version de M. Lemieux est peu vraisemblable aux yeux de la Commission. Il a l’impression de ne pas être reconnu à sa juste valeur alors que ce n’est pas le cas puisque ses supérieures et collègues reconnaissent ses forces et ses faiblesses. Ses prétentions reposent essentiellement sur des suppositions alimentées par ses propres perceptions. Il fait preuve de peu d’introspection.
- Lorsqu’il rencontre ses supérieures pour faire le point sur certains désaccords avec elles ou ses collègues, il est rarement satisfait et il est peu enclin à accepter les critiques et à amender ses comportements.
ANALYSE
- La Commission doit déterminer s’il y a eu des manifestations de harcèlement psychologique au sens de la LNT.
- Les articles pertinents de cette loi sont les suivants :
81.18. Pour l’application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique de la personne salariée et qui entraîne, pour celle-ci, un milieu de travail néfaste. Pour plus de précision, le harcèlement psychologique comprend une telle conduite lorsqu’elle se manifeste par de telles paroles, de tels actes ou de tels gestes à caractère sexuel.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour la personne salariée.
81.19. Toute personne salariée a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique.
L’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique provenant de toute personne et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. Il doit notamment adopter et rendre disponible à ses personnes salariées une politique de prévention et de prise en charge des situations de harcèlement psychologique.
Cette politique doit entre autres prévoir:
1° les méthodes et les techniques utilisées pour identifier, contrôler et éliminer les risques de harcèlement psychologique, incluant un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel;
2° les programmes d’information et de formation spécifiques en matière de prévention du harcèlement psychologique qui sont offerts aux personnes salariées ainsi qu’aux personnes désignées par l’employeur pour la prise en charge d’une plainte ou d’un signalement;
3° les recommandations concernant les conduites à adopter lors de la participation aux activités sociales liées au travail;
4° les modalités applicables pour faire une plainte ou un signalement à l’employeur ou pour lui fournir un renseignement ou un document, la personne désignée pour en prendre charge ainsi que l’information sur le suivi qui doit être donnée par l’employeur;
5° les mesures visant à protéger les personnes concernées par une situation de harcèlement psychologique et celles qui ont collaboré au traitement d’une plainte ou d’un signalement portant sur une telle situation;
6° le processus de prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, incluant le processus applicable lors de la tenue d’une enquête par l’employeur;
7° les mesures visant à assurer la confidentialité d’une plainte, d’un signalement, d’un renseignement ou d’un document reçu ainsi que le délai de conservation des documents faits ou obtenus dans le cadre de la prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, lequel doit être d’au moins deux ans.
- Il existe une abondante jurisprudence qui permet de bien circonscrire le harcèlement psychologique au sens de la LNT. Dans une décision phare, citée à maintes reprises, soit l’affaire Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph)[7], Me François Hamelin, arbitre de griefs, décrit comme suit les cinq critères cumulatifs à respecter afin de conclure à la présence de harcèlement psychologique :
1) Une conduite vexatoire
[164] Dans le sens courant du terme, une « conduite » renvoie à une manière d’agir et se manifeste par des attitudes et des comportements objectifs, incluant des paroles, des actes ou des gestes, précise le législateur.
[165] La « conduite vexatoire » est plus subjective. Selon les dictionnaires courants, il s’agit d’une conduite qui entraîne des vexations, c’est-à-dire qui contrarie, maltraite, humilie ou blesse quelqu’un dans son amour-propre et qui cause des tourments.
[166] La conduite vexatoire est donc une attitude ou des comportements qui blessent et humilient la personne dans son amour-propre. Dans la loi, le législateur a mis l’accent sur les conséquences psychologiques qui en découlent pour la victime, d’où l’importance de définir des critères objectifs d’appréciation, comme nous le verrons plus loin.
2) Le caractère répétitif des comportements
[167] Sous réserve du second alinéa de l’article 81.18, le législateur précise ensuite que pour qu’il y ait harcèlement psychologique, les comportements, paroles, actes ou gestes vexatoires doivent être répétés, c’est-à-dire qu’ils doivent normalement se produire à plusieurs reprises, ce qui suggère l’idée d’un étalement dans le temps.
[…]
3) La nature hostile ou non désirée des comportements
[171] La disposition législative prévoit ensuite que les comportements, paroles, gestes ou actes répétitifs qui sont visés, doivent être soit hostiles, soit non désirés.
[172] Selon les dictionnaires courants, un comportement hostile est celui de quelqu’un qui manifeste des intentions agressives, qui se conduit en ennemi, de façon belliqueuse, antagoniste, adverse, défavorable ou menaçante.
[173] Quant au comportement non désiré, il s’agit d’un comportement qui n’a pas été recherché, voulu ou souhaité, ni explicitement, ni implicitement.
[…]
4) Une atteinte à la dignité ou à l’intégrité du salarié
[176] Dans sa définition, le législateur a prévu que pour être considérée comme du harcèlement psychologique, la conduite vexatoire résultant de la répétition de comportements hostiles ou non désirés doit entraîner deux conséquences précises : il doit d’abord porter atteinte soit à la dignité, soit à l’intégrité physique ou psychologique du salarié et ensuite, entraîner pour ce dernier un milieu de travail néfaste.
[…]
5) Un milieu de travail néfaste
[179] Il s’agit ici de la seconde conséquence préjudiciable rattachée au concept de harcèlement psychologique. Selon la définition prévue à l’article 81.18 de la LNT, la conduite vexatoire ne doit pas seulement porter atteinte à la dignité ou à l’intégrité d’une personne, mais également entraîner un milieu de travail néfaste pour cette dernière.
[180] Un milieu de travail néfaste pour un salarié est un milieu qui est nuisible et négatif, un environnement de travail psychologiquement défavorable.
[181] Un effet néfaste sur le milieu de travail est donc beaucoup plus large que la simple matérialisation d’un préjudice ou la perte d’une condition de travail qui existait avant la conduite vexatoire.
- C’est à M. Lemieux de faire la preuve qu’il a été victime de harcèlement psychologique au sens de l’article 81.18 de la LNT. Pour ce faire, il doit prouver, selon la règle de la prépondérance de la preuve, ces cinq critères cumulatifs.
- Par ailleurs, le deuxième alinéa de l’article 81.18 de la LNT prévoit qu’une « seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié ».
- Les conduites vexatoires alléguées, sous la forme de comportements, de paroles, d’actes ou de gestes, peuvent donc se manifester par leur caractère répétitif ou par une seule conduite revêtant une gravité telle qu’elle entraîne un effet nocif continu pour le salarié.
- La preuve doit être appréciée dans une perspective globale, de façon objective en fonction du test de la personne raisonnable, normalement diligente et prudente, placée dans les mêmes circonstances[8].
- En effet, « il y a une différence importante entre le fait de se sentir harcelé et celui de l’être véritablement, d’où l’importance de définir des principes fiables et objectifs d’évaluation »[9].
- Chaque individu, en raison de ses traits de personnalité, de son éducation, de sa culture, de sa religion, de son milieu de vie ou autres, peut réagir de façon différente à une même situation, voire à une même conduite[10].
- La preuve d’une conduite vexatoire doit reposer sur « des faits qui affectent directement la victime » alléguée, et non « sur des perceptions ou des suppositions »[11].
- M. Lemieux allègue avoir été humilié et dénigré. Il se dit victime de certaines attaques gratuites qui heurtent ses valeurs et ses compétences.
La première plainte (21 octobre 2021)
- Cette première plainte vise personnellement Mmes Savard, St-Hilaire et St-Pierre comme étant à l’origine du harcèlement subi par M. Lemieux. Les preuves soumises par les parties mettent en lumière une approche bien différente entre M. Lemieux et ces dernières dans la réalisation du travail. Elles indiquent également des perceptions différentes de certains évènements.
- M. Lemieux est un homme d’action qui aime être sur le terrain et pour qui la priorité est le service à la clientèle. Mmes Savard, St-Hilaire et St-Pierre se préoccupent également du service à la clientèle, mais elles ont davantage un profil de gestionnaire axée sur la planification, les suivis et le contrôle des coûts qui occupent une place importante dans l’administration publique.
- Il est engagé au SCT avant la pandémie. Il est alors plus facile d’utiliser ses forces puisque les demandes d’interventions quotidiennes sont nombreuses étant donné que les employés travaillent généralement au bureau tous les jours. Mais, la pandémie change la nature du travail à réaliser. Les interventions quotidiennes cèdent le pas aux travaux d’aménagement qui occupent maintenant une place importante dans les tâches à réaliser.
- M. Lemieux semble inconfortable avec la situation pour ne pas dire réfractaire aux changements. Il est de moins en moins heureux à son travail, le cœur n’y est plus. Qui plus est, il a la fâcheuse habitude de revenir sur le passé et particulièrement sur ses réalisations antérieures au grand dam de ses collègues et de ses supérieures. Il est tout à fait acceptable de vouloir souligner à l’occasion un travail qui nous rend fiers, mais, selon les témoignages entendus, cela était devenu une mauvaise habitude néfaste pour l’esprit d’équipe.
- Mmes Savard, St-Hilaire et St-Pierre ont apporté des changements afin de s’ajuster aux effets de la pandémie. Elles ont agi à l’intérieur de leur droit de direction sans en abuser. M. Lemieux n’a pas convaincu la Commission que les gestes reprochés constituent des manifestations de harcèlement psychologique.
Le travail avec Mme Le Quinio
- M. Lemieux semble considérer que Mme Le Quinio est engagée pour lui donner un coup de main, ce qui n’est manifestement pas l’opinion de Mme St-Hilaire qui est plutôt d’avis qu’elle fait partie de l’équipe de Mme Savard, la responsable des aménagements, qui doit l’affecter à des tâches et à des projets d’aménagement selon les besoins. Il ne revient pas à M. Lemieux de décider la répartition des tâches ou l’attribution des rôles, mais bien à ses supérieures. La Commission ne voit pas en quoi cela peut représenter du harcèlement psychologique bien qu’elle comprenne que M. Lemieux soit déçu.
- Lorsqu’une chicane importante éclate le 16 septembre 2020 entre Mme Le Quinio et M. Lemieux, Mme St-Hilaire intervient afin de tenter de régler le conflit et éviter que la situation dégénère. Elle tient une rencontre avec les deux employés. M. Lemieux est d’avis qu’elle demeure impassible devant les attaques de Mme Le Quinio.
- La Commission juge plutôt que Mme St-Hilaire a tenté de résoudre ce conflit afin qu’ils puissent continuer à travailler ensemble. La preuve n’a pas convaincu la Commission que M. Lemieux a été l’objet d’attaques disgracieuses devant Mme St-Hilaire. Au contraire, cette dernière leur a permis de s’exprimer sur la situation et de verbaliser une attente respective l’un envers l’autre. Tant Mme St-Hilaire que Mme Le Quinio étaient satisfaites au sortir de cette rencontre. Elles pensaient d’ailleurs que c’était également le cas pour M. Lemieux.
Les agissements de Mme Savard
- Mme Savard dit à M. Lemieux qu’il ne sait pas gérer ses priorités et qu’elle validera chaque décision et établira dorénavant la liste de ses priorités. M. Lemieux se sent humilié, rabaissé et dénigré. Il voit la situation comme une rétrogradation alors que, pour Mme Savard, il s’agit de la mise en place de nouvelles méthodes de travail.
- Il est fréquent qu’un milieu de travail doive s’adapter à une nouvelle réalité et que cela bouleverse les habitudes de certains. Un employeur est en droit de modifier le rôle et les responsabilités de ses employés. Si M. Lemieux considérait que sa description de tâches n’était pas respectée, il aurait pu déposer un recours à cet égard.
Les références pour un autre emploi
- M. Lemieux veut quitter le SCT. Il n’est plus heureux au sein de cette organisation. En février 2021, lorsqu’il demande à Mme St-Hilaire si elle va lui fournir de bonnes références auprès d’éventuels employeurs, elle répond que oui. M. Lemieux la suspecte de vouloir se débarrasser de lui et qu’il quitte le SCT. Il prétend même qu’elle aurait répondu positivement lorsqu’il lui a posé directement la question. Les versions sont diamétralement opposées en ce qui concerne cet évènement puisque Mme St-Hilaire nie avoir répondu cela. La Commission retient la version de cette dernière et ne croit pas qu’elle ait affirmé cela.
- Son témoignage était précis et crédible. Sa nature prudente et posée et son expérience comme gestionnaire ont convaincu la Commission qu’elle n’aurait pas agi de la sorte.
Le retour au travail en juin 2021
- Après une absence pour cause d’invalidité, le retour de M. Lemieux au travail en juin 2021 est difficile puisque ses tâches sont différentes et on lui retire la responsabilité des mesures d’urgence. Encore une fois, il est déçu et c’est tout à fait compréhensible, mais il ne faut pas oublier qu’il revient après une absence pour cause d’invalidité de plusieurs mois. Il est donc en retour progressif avec des mandats limités afin de s’assurer qu’il peut réintégrer son emploi en considérant son état de santé. Il doit s’en tenir aux tâches inscrites dans son plan de retour au travail, ce qui est normal en pareilles circonstances.
- Il n’est pas convié aux réunions d’équipe avant celle du 7 septembre 2021 afin qu’il se concentre uniquement sur ses dossiers. La Commission peut comprendre qu’il apprécie être au courant de l’ensemble des mandats confiés à ses collègues, mais aucune preuve n’a révélé qu’il s’agit d’un geste de l’employeur qui constitue une manifestation de harcèlement psychologique. Il n’y a rien de vexatoire dans le fait de convier à une réunion que les personnes qui sont concernées par les sujets qui y seront discutés.
- M. Lemieux revient d’une absence pour cause d’invalidité de plusieurs mois. Le geste de l’employeur semble, dans les circonstances, inspiré par la prudence.
- Il faut aussi ajouter à cela qu’avant son départ en invalidité, l’employeur avait mis en place de nouvelles méthodes de travail afin de s’ajuster aux mandats qui ont changé en raison de la pandémie. Ceux-ci sont désormais davantage orientés vers les travaux d’aménagement que sur les demandes d’intervention quotidiennes.
- Certains changements avaient été mis en place afin de pallier les difficultés de priorisation constatées par Mme Savard. M. Lemieux n’était pas d’accord et il l’a exprimé. Il s’agit d’une situation fréquente en milieu de travail qui ne constitue pas du harcèlement psychologique dans les circonstances.
- En ce qui concerne le retrait de la responsabilité des mesures d’urgence, il ne s’agit pas d’une tâche qui fait partie de la description d’emploi de M. Lemieux, mais d’un mandat additionnel que l’employeur peut lui confier et qui lui donne droit à une allocation de disponibilité. Les explications fournies par Mme St‑Hilaire relativement à cette décision ont convaincu la Commission qu’il s’agit d’une décision de gestion et non d’une manifestation de harcèlement psychologique.
La rencontre du 15 septembre 2021
- La preuve a révélé que M. Lemieux avait tendance à s’ingérer dans les mandats de ses collègues à l’occasion et à manifester son négativisme relativement à sa situation. Il veut contribuer, mais il ne lui revient pas de déterminer les tâches qu’il doit effectuer et encore moins de participer à la formation des nouveaux employés.
- La rencontre de M. Lemieux avec Mme St-Hilaire, tenue le 15 septembre 2021, a permis de faire le point et de corriger le tir. Mme St-Hilaire lui mentionne qu’il doit seulement répondre aux questions de ses collègues si celles-ci sont en lien avec ses projets. Elle lui demande également de contrôler sa charge émotionnelle ou de consulter au besoin. Elle lui confirme qu’il ne sera plus responsable des mesures d’urgence et de s’en tenir à ses tâches. Cette rencontre ne plaît pas à M. Lemieux, mais un employeur est en droit de manifester ses insatisfactions et de préciser ses attentes. Cela fait partie du droit de gérance.
Une dernière tentative avec Mme St-Pierre
- Le 4 octobre 2021, M. Lemieux prend part à une rencontre avec Mme St-Pierre qui lui apprend qu’il ne pourra pas obtenir son avancement d’échelon puisqu’il s’est trop absenté du travail. Sur ce point, il est d’accord puisque cela est conforme à ses conditions de travail.
- Il échange également avec elle sur sa situation et il lui fait part qu’il sent que Mme St-Hilaire souhaite son départ. Mme St-Pierre n’est pas du même avis. M. Lemieux considère dès lors que « tout est cautionné » par la directrice générale.
- Aucune preuve convaincante n’a été soumise que ses supérieures voulaient qu’il quitte. Au contraire, elles ont fait preuve de patience et d’écoute envers lui notamment en acceptant de le rencontrer chaque fois qu’il le demandait.
Conclusion sur la première plainte
- Il revient à M. Lemieux de démontrer de manière probante qu’il a été victime de harcèlement psychologique au sens de la LNT.
- Pour ce faire, il doit prouver, selon la règle de la balance des probabilités, les cinq éléments cumulatifs mentionnés au premier alinéa de l’article 81.18 de la LNT.
- La Commission ne constate aucune manifestation de harcèlement psychologue. Bien que M. Lemieux ne soit pas d’accord avec les décisions de Mmes Savard, St-Hilaire et St-Pierre visées par sa plainte, il demeure qu’elles ont exercé leur droit de gérance conformément à ce qu’édicte la jurisprudence[12] :
[249] Rappelons que le traditionnel droit de direction de l’employeur, qui lui confère le pouvoir de diriger et de contrôler les activités de son entreprise, est un pouvoir de nature discrétionnaire et qu’à ce titre, la doctrine et la jurisprudence reconnaissent une liberté d’action assez large à l’employeur, qui inclut le droit à l’erreur à la condition que celle-ci ne soit pas abusive ou déraisonnable.
[250] C’est ainsi que dans la direction et le contrôle de son personnel, l’employeur possède une discrétion étendue lorsqu’il s’agit d’établir et de faire respecter les procédures de travail, les règles et les usages du milieu de travail, d’évaluer le rendement des salariés et de contrôler la qualité du travail qu’ils accomplissent : tout cela fait partie de l’exercice normal du droit de direction et il est entendu qu’il peut en résulter du stress et des désagréments. Tout cela fait partie de la normalité des choses. Ce n’est donc qu’en cas d’exercice déraisonnable du droit de direction que l’on peut parler d’abus de droit.
[251] En somme, l’exercice discrétionnaire du droit de direction de l’employeur ne peut constituer un abus que s’il est exercé de manière déraisonnable et cet abus ne peut constituer du harcèlement que s’il satisfait aux éléments essentiels de la définition qu’en donne le législateur à l’article 81.18 de la LNT.
- Ce que conteste M. Lemieux, c’est l’exercice légitime du droit de direction de l’employeur. Ce dernier n’a pas à être parfait en tous points, mais il ne doit pas utiliser son droit de direction afin d’introduire subtilement dans ses relations avec ses employés des manifestations de harcèlement psychologique. La Commission considère que l’employeur n’a pas adopté de tels comportements dans le présent dossier.
- La Commission s’est déjà prononcée sur son rôle en matière de harcèlement psychologique lorsqu’elle est en présence d’un comportement réfractaire d’un employé vis-à-vis le droit de direction de son employeur[13] :
[83] Cependant, dans le cadre d’une plainte de harcèlement psychologique, la Commission n’a pas à se prononcer si une action ou une omission de l’employeur est bien fondée ou adéquate ou bien s’il s’agit d’une bonne pratique de gestion. Elle n’a pas à trancher si l’employeur a pris la bonne décision, mais seulement si le plaignant a été victime de harcèlement psychologique, selon le cadre juridique applicable, en prenant en considération que l’employeur lorsqu’il exerce son droit de direction dispose d’une « liberté d’action assez large […] qui inclut le droit à l’erreur ».
[84] En effet, être insatisfait, déçu ou frustré d’une décision de son employeur n’équivaut pas à du harcèlement psychologique. Le refus du ministère d’accorder à M. Verreault ce qu’il demande ne devient pas de ce seul fait une conduite vexatoire.
[Soulignement de la Commission]
- Le harcèlement psychologique se matérialise par une conduite vexatoire qui se manifeste par une attitude ou des comportements qui blessent et humilient la personne plaignante dans son amour-propre. La Commission ne constate pas de telles attitudes ou comportements, mais plutôt des décisions de gestion qui déçoivent M. Lemieux et envers lesquelles il exprime son désaccord.
- La preuve ne révèle pas des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés qui sont hostiles ou non désirés. Les personnes visées par la plainte ont écouté M. Lemieux et ont tenté de comprendre son désarroi, mais en vain. Il aurait aimé revenir en arrière et travailler comme avant, mais ce n’était plus possible compte tenu des besoins de l’employeur.
- L’approche, le ton et les mots n’ont peut-être pas été parfaits, mais personne n’a porté atteinte à la dignité ni à l’intégrité psychologique ou physique de M. Lemieux.
- Un comportement hostile est celui de quelqu’un qui manifeste des intentions agressives, qui se conduit en ennemi, de façon belliqueuse, antagoniste, adverse, défavorable ou menaçante. Rien dans la preuve ne démontre de tels comportements hostiles de la part des personnes visées par la plainte.
- La preuve présentée par M. Lemieux a été appréciée dans une perspective globale, de façon objective en fonction du test de la personne raisonnable, normalement diligente et prudente, placée dans les mêmes circonstances. Il y a une différence importante entre le fait de se sentir harcelé et celui de l’être véritablement.
- M. Lemieux n’a pas convaincu la Commission que les cinq éléments constitutifs du harcèlement psychologique sont présents.
La deuxième plainte (18 avril 2024)
- Lorsque M. Lemieux revient au travail en septembre 2023, les trois personnes visées par sa première plainte ont quitté le SCT.
Un retour au travail difficile en septembre 2023
- Dès la première rencontre avec Mme Nadeau le 20 septembre 2023, M. Lemieux ne se sent pas écouté lorsqu’il veut parler de ses réalisations antérieures. Il considère que Mme Nadeau parle trop d’elle. Cette dernière et un employé de la DRH, qui est également présent lors de cette rencontre, ne voient pas les choses du même œil. Pour eux, il s’agit simplement d’éviter de retourner dans le passé et de se concentrer sur le présent.
- La Commission adhère à cette version qui semble plus plausible compte tenu des reproches qui avaient déjà été formulés à l’endroit de M. Lemieux qui avait tendance à revenir constamment sur le passé.
- Le 3 octobre 2023, lors d’une visite en équipe de certains espaces de l’édifice du SCT, c’est le même scénario qui se répète. M. Lemieux sent que ses interventions exaspèrent Mme Nadeau et que son expérience et ses connaissances dérangent. Encore une fois, la Commission ne peut y voir une manifestation de harcèlement psychologique puisque M. Lemieux avait déjà été avisé de cesser un tel comportement. La preuve révèle qu’il s’agit davantage de vantardise que d’une réelle intention de contribuer par ses connaissances.
- Le 4 octobre 2023, lors de sa première journée de travail à temps plein dans le cadre de son retour progressif, M. Lemieux arrive en retard à cause d’un problème de stationnement. Il décide de demeurer au travail plus tard afin de compenser le temps perdu. Selon sa version, Mme Nadeau le questionne cavalièrement sur la situation et elle en aurait profité pour lui dire qu’il ne doit pas avoir les clés en sa possession lors d’un retour progressif. Elle l’avise également qu’il ne doit plus se mêler d’un déménagement pour lequel il a communiqué de l’information à une employée puisqu’il s’agit d’un projet qui relève d’un collègue.
- Encore une fois, les versions divergent sur le contenu et le ton de l’échange, mais la Commission ne peut y voir de manifestations de harcèlement. La preuve ne le permet pas puisque M. Lemieux a tendance à interpréter les critiques et les mises au point comme du harcèlement, sans y voir une occasion de s’amender et de s’améliorer. Un employeur peut demander à un employé de changer certains comportements sans que cela soit du harcèlement psychologique. Tout est une question de contexte.
- L’évènement qui s’est produit à l’entrepôt en décembre s’ajoute à la liste des évènements qui rendent difficile le retour au travail de M. Lemieux. Encore une fois, deux versions complètement différentes sont présentées à la Commission. M. Lemieux prétend s’être fait questionner froidement alors que Mme Nadeau soutient avoir simplement cherché à comprendre ce qu’il faisait à l’entrepôt. M. Lemieux s’est senti dénigré et ridiculisé.
- Il est difficile pour la Commission de voir en quoi Mme Nadeau a pu le ridiculiser dans une telle situation et encore moins le dénigrer lors d’un échange aussi court sur un sujet bénin. Il est légitime pour un supérieur de chercher à comprendre comment un employé utilise son temps. Il est dans la nature même du travail d’un gestionnaire de contrôler le travail des employés.
- Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances pourrait être contrariée, mais ne se sentirait pas dénigrée ni ridiculisée. Il suffisait pour M. Lemieux d’expliquer calmement sa présence dans l’entrepôt et l’incident était clos. Encore une fois, il y a une différence importante entre le fait de se sentir harcelé et celui de l’être véritablement.
- M. Lemieux explique que, lors de ces évènements, Mme Nadeau lui lance le même regard que celui de la personne qui l’a agressé dans un bar en juin 2021. Il se sent alors intimidé et en danger. Il ajoute qu’elle est froide lorsqu’elle le croise et qu’il y a peu d’interactions entre eux. Il qualifie son regard de désagréable et de haineux. Aucune preuve n’a convaincu la Commission de tout cela.
- Ces propos sont manifestement exagérés. Il est possible que le ton et l’expression de Mme Nadeau ne soient pas toujours adéquats, mais il est difficile de croire que M. Lemieux a pu se sentir en danger.
- La Commission en vient donc à la conclusion que les allégations de harcèlement psychologique de la part de Mme Nadeau ne sont pas fondées
La visite de trois huissiers
- Au début de l’année 2024, la première plainte de harcèlement psychologique de M. Lemieux est mise au rôle à la Commission. Ce dernier n’est pas représenté par avocat et cela lui occasionne beaucoup de stress.
- Le 2 avril 2024, M. Lemieux débute une longue absence du travail dont les premières semaines seront ponctuées de plusieurs échanges entre différentes personnes et de trois visites d’huissiers chez M. Lemieux.
- Il interprète la situation comme un abus de pouvoir de la part de la DRH du SCT, alors que ce dernier considère qu’il devait obtenir la justification de ces journées d’absence comme tout employeur a le droit de le faire afin d’assurer une saine gestion de ses ressources humaines.
- La Commission considère effectivement que la DRH s’est comportée de façon responsable et diligente. La visite de trois huissiers peut surprendre à première vue, mais il demeure qu’il était difficile, pour ne pas dire risqué, pour l’employeur de laisser les choses aller alors que la situation était pour le moins confuse.
- Au début de son absence, M. Lemieux invoque que les démarches liées à sa première plainte soumise à la Commission l’épuisent et qu’il doit utiliser tout son temps pour se préparer.
- Le 5 avril 2024, changement de cap : il affirme avoir dormi toute la journée ayant une grippe depuis le week-end précédent, mais il a oublié de justifier cette absence auprès du SCT.
- Le 8 ou le 9 avril 2024, il dit avoir transmis un courriel pour justifier son absence, mais la « connexion » ne se serait pas effectuée. Ce courriel serait parti seulement le 17 avril 2024 quand il s’est connecté à son compte, mais il n’a jamais été retrouvé par l’employeur.
- L’employeur n’a donc plus de nouvelles depuis le 4 avril 2024 et il s’inquiète au point d’aviser la police qui contacte M. Lemieux. Ce dernier communique alors avec M. Larose pour le rassurer et pour lui expliquer que bien que son moral soit bas, c’est le stress qui provoque des crises d’arthrose chronique qui lui occasionnent un manque de sommeil. Il mentionne qu’il ne sera pas disponible pour travailler avant le 22 avril 2024 puisque son dossier de plainte de harcèlement psychologique à la Commission l’a épuisé. Aucune attestation médicale justificative n’est alors acheminée.
- Le 10 avril 2024, alors qu’il travaille justement sur son dossier de plainte et qu’il n’est pas très en forme, il reçoit un courriel de Mme Brassard de la DRH. Elle demande de lui faire parvenir des documents médicaux afin de justifier son absence du travail depuis le 2 avril 2024, et ce, au plus tard le 12 avril 2024.
- La Commission considère que cette démarche est justifiée puisque M. Lemieux ne peut pas décider d’écrire à la personne de son choix au SCT, au moment qui lui convient, sans fournir d’attestation médicale lorsqu’il prétend être malade pendant plusieurs jours. La situation est devenue confuse pour l’employeur. M. Lemieux a déjà été absent du travail pour cause d’invalidité dans le passé, il devrait donc connaître les procédures en pareilles circonstances.
- Ce n’est que le 17 avril 2024 qu’il répond à Mme Brassard de la DRH, qui lui avait pourtant écrit le 10 avril 2024, pour lui expliquer qu’il n’a pas les documents médicaux demandés n’ayant plus de médecin de famille depuis janvier 2024. Il indique qu’il consultera dans les prochains jours pour sa grippe qui a dégénéré. Il croit aussi avoir un problème de bronches et une conjonctivite. Cela aurait occasionné une très grosse crise d’arthrose généralisée et de goutte qui l’a rendu incapable de remplir ses tâches, de dormir et de se déplacer.
- M. Lemieux est absent du travail depuis le 2 avril 2024. Malgré qu’il invoque notamment des problèmes de santé importants, il n’a toujours pas consulté un médecin en date du 17 avril 2024. Il allègue que c’est en raison du fait qu’il n’a plus de médecin de famille. Or, la Commission considère qu’il avait, durant ces nombreuses journées, d’autres options comme les urgences des hôpitaux.
- Bien qu’il en soit avisé, M. Lemieux ne régularise pas sa situation et ne fournit pas d’attestation médicale à son employeur. Il tente plutôt d’utiliser des vacances pour « combler » ses absences sans succès puisqu’il n’a pas fait la démarche appropriée. Le 17 avril 2019, il reçoit la première visite d’un huissier. Il est surpris et considère le geste de l’employeur disproportionné. Le lendemain, soit le 18 avril 2024, il dépose à la Commission sa deuxième plainte de harcèlement psychologique.
- Cette lettre souligne son absence du travail sans autorisation depuis le 2 avril 2024 et lui ordonne formellement de se présenter au travail le lendemain à 9 h. À défaut, il sera considéré absent sans autorisation et sans justification et l’employeur sera dans l’obligation de prendre à son égard les mesures appropriées pouvant aller jusqu’au congédiement. La Commission considère qu’un tel avertissement aurait dû le faire réagir. M. Lemieux se devait de retourner au travail ou bien de fournir une attestation médicale.
- Il ne fait ni l’un ni l’autre. Il reçoit donc une deuxième visite d’un huissier, le 18 avril 2019, qui lui ordonne, encore une fois, de se présenter au travail le lendemain à 9 h sans quoi l’employeur sera dans l’obligation de prendre à son égard les mesures appropriées pouvant aller jusqu’au congédiement.
Le lendemain, soit le vendredi 19 avril 2024 à 8 h 57, M. Lemieux écrit à M. Larose pour l’aviser qu’il ne sera pas présent au travail à 9 h puisqu’il est en démarche avec le PAE et qu’il essaie d’obtenir un rendez-vous chez un médecin.
- Il se présente à l’urgence d’un hôpital. Il obtient un billet médical pour un arrêt de travail du 19 au 22 avril 2024. Le médecin de l’urgence lui dit de consulter son médecin pour la période d’absence du travail du 2 avril au 18 avril 2024. M. Lemieux ne transmet pas immédiatement ce billet médical au SCT pour des raisons qui échappent à la Commission.
- Le 24 avril 2024, il a un rendez-vous avec un autre médecin. Il lui explique sa situation et il obtient un billet médical justifiant un arrêt de travail jusqu’au 6 mai 2024. La période d’absence du 2 au 18 avril 2024 ne sera jamais justifiée par une attestation médicale.
- En fin de journée, il reçoit la visite d’un huissier pour une troisième occasion. Encore une fois, on lui remet une lettre signée par Mme Nadeau qui lui rappelle son absence injustifiée du travail depuis le 2 avril 2024. Elle lui ordonne de se présenter au travail le lendemain matin à 9 h ou encore de fournir les documents médicaux justifiant son absence au plus tard le lendemain à 9 h. Il est avisé que s’il ne se conforme pas à sa demande, il sera congédié. Il envoie enfin à l’employeur ses deux attestations médicales dans la nuit, soit le 25 avril 2024 à 3 h 07.
- La Commission constate que l’employeur gère le dossier de façon diligente et rigoureuse selon les règles applicables en pareilles circonstances. Il ne revient pas à la Commission d’établir s’il s’agit de la meilleure façon de faire, mais bien de déterminer si cela constitue du harcèlement psychologique.
- Un employé doit offrir sa prestation de travail ou justifier son absence lorsqu’il dit être malade. Un employeur a des responsabilités et il doit déterminer comment traiter une absence notamment pour des fins de rémunération.
- M. Lemieux n’a pas convaincu la Commission que le comportement de son employeur, et plus spécifiquement celui de la DRH, dans la gestion de son absence du travail constitue du harcèlement psychologique.
Conclusion à l’égard des deux recours
La Commission conclut qu’il n’y a pas eu de démonstration, selon la règle de la prépondérance de la preuve, que M. Lemieux a subi du harcèlement psychologique.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
REJETTE les deux recours de M. Stéphane Lemieux.
Original signé par : |
| __________________________________ Denis St-Hilaire |
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M. Stéphane Lemieux |
Partie demanderesse |
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Me Jean-François Dolbec et Me Julie-Ann L. Blain |
Procureurs du Secrétariat du Conseil du trésor |
Partie défenderesse |
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Lieu de l’audience : | Québec |
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Dates de l’audience : | 16 et 24 septembre 2024, 1 et 9 octobre 2024, 11 et 13 novembre 2024, 2, 4, 10 et 12 décembre 2024, 21 février 2025 et 24 mars 2025 |
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