Décision

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Castro c. Air Canada

2012 QCCQ 10869

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

LOCALITÉ DE

REPENTIGNY

« Chambre civile »

N° :

730-32-007233-112

 

DATE :

19 octobre 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

DENIS LE RESTE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

DANIEL CASTRO,

-et-

GUYLAINE BÉLANGER,

Partie demanderesse

c.

AIR CANADA,

Partie défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Les demandeurs réclament 810 $ à la défenderesse en dommages-intérêts pour la perte d'une journée complète de leur forfait à Punta Cana, en République dominicaine.

 

LES FAITS:

[2]           Voici les faits les plus pertinents retenus par le Tribunal.

[3]           À l'automne 2010, les demandeurs achètent un forfait comprenant le vol et l'hébergement à l'hôtel Magestic Colonial de Punta Cana.  Ils doivent séjourner à cet endroit du 27 décembre 2010 au 3 janvier 2011.

[4]           Les demandeurs et le fils de madame Bélanger ont tous trois leur billet d'avion pour le vol 1836 en partance de Montréal.

[5]           Deux des trois billets avaient été obtenus par le biais de leur programme de fidélisation exploité par la société en commandite Aéroplan.

[6]           Seul le billet de l'enfant a donc été acheté par la voie régulière.

[7]           Le 27 décembre, ils sont présents à l'heure prévue à l'aéroport.  On leur assigne les sièges D, E et F de la rangée 19 dans l'avion.

[8]           L'avion a un certain retard et on informe les passagers déjà assis dans l'aéronef qu'un problème technique est survenu.

[9]           Dans un premier temps, on demande si trois personnes acceptent de changer d'avion, car trois sièges sont considérés défectueux.  Personne ne se porte alors volontaire.

[10]        On informe alors les passagers qu'on doit obligatoirement faire sortir trois personnes à défaut de quoi, le vol ne pourra quitter.  Encore une fois, aucun volontaire.  À un certain moment, un agent de bord s'est approché des demandeurs pour les informer qu'ils avaient été choisis et qu'ils devaient sortir de l'avion.

[11]        Le demandeur, Daniel Castro, prétend qu'ils ont été choisis simplement parce qu'ils avaient payé leur billet d'avion à coût moindre compte tenu du programme Aéroplan.

[12]        Dès leur sortie, un préposé de la défenderesse les a informés des compensations qu'ils allaient recevoir.  On les informe cependant qu'ils devront prendre un vol de Montréal à Calgary, passer la nuit dans un hôtel à cet endroit et reprendre un vol le lendemain pour Punta Cana.

[13]        Notons que le vol 1836 en partance de Montréal était prévu initialement à 13 heures.  Celui pour Calgary n'a été qu'à 19 h 20 en soirée, laissant ainsi les demandeurs plusieurs heures à attendre à l'aéroport Montréal-Trudeau.

[14]        C'est finalement à 22 h 30 qu'ils arrivent à Calgary.

[15]        La nuit fut courte, puisqu'à 5 heures le lendemain matin, ils devaient quitter leur chambre d'hôtel pour leur vol prévu à 7 h 15 de Calgary à Punta Cana.

[16]        Les demandeurs réclament donc des dommages-intérêts de 810 $, soit 1/7 du coût total de leur voyage pour cette perte de 24 heures de leurs vacances.

[17]        Les demandeurs admettent qu'ils ont reçu des compensations, mais demandent à être dédommagés, puisque nulle part dans la documentation ou les contrats de vente, il n'est prévu spécifiquement la possibilité d'être sorti d'un avion après l'embarquement.

[18]        La représentante d'Air Canada, Manon Gagnon, explique qu'elle a fait une enquête interne poussée dans cette affaire.  Elle présente une preuve très bien élaborée.

[19]        D'une part, elle explique que trois sièges étaient problématiques dans l'avion puisque les masques à oxygène étaient défectueux.  Air Canada a donc appliqué la procédure dans des cas similaires de survente.

[20]        La défenderesse prétend qu'elle a respecté ses obligations contractuelles et que les demandeurs n'ont pas droit au dédommagement réclamé.

[21]        Madame Gagnon explique que le contrat de transport intervenu entre les demandeurs et la défenderesse est régi par les dispositions contenues à l'itinéraire-reçu qui inclut par référence les tarifs publiés applicables (pièce D-1).

[22]        En fait, la défenderesse explique que le retard dans le transport aérien des demandeurs vers Punta Cana le 27 décembre 2010 résulte d'une force majeure, soit un bris mécanique soudain et imprévu, malgré un programme d'entretien complet et rigoureux pour lequel la défenderesse, Air Canada, ne peut être tenue responsable.

[23]        Une telle défectuosité affectant trois sièges à bord d'un appareil est un cas de force majeure, selon elle.

[24]        En conséquence, pour des raisons évidentes de sécurité, la défenderesse n'a eu d'autre choix que de refuser l'embarquement à trois passagers ayant des sièges confirmés à bord du vol AC-1836.

[25]        Ce n'est que par obligation qu'Air Canada a dû procéder au retrait des demandeurs et du jeune homme de l'avion.  C'est parce que cette situation n'est pas officiellement prévue au contrat qu'on a procédé à l'application des règles régissant la survente des sièges.

[26]        Le vol était initialement prévu à 13 heures et s'est effectué à 13 h 37.

[27]        Conformément aux règles tarifaires applicables, la défenderesse a dirigé les demandeurs sur le premier vol disponible de Montréal en direction de Punta Cana, soit le vol AC-155, le 27 décembre 2010, en direction de Calgary et le vol AC-1754 le 28 décembre vers Punta Cana.

[28]        Suivant les règles tarifaires applicables, la défenderesse a remis aux demandeurs un bon pour services divers d'une valeur de 500 $ par personne aux fins de compensation (pièce D-2).

[29]        De plus, à titre gracieux et en guise de courtoisie et souci d'offrir un bon service à sa clientèle, la défenderesse explique qu'elle a fourni aux demandeurs les accommodations de base nécessaires, telles que l'hôtel et la nourriture.

[30]        Aussi, la défenderesse a surclassé les demandeurs pour le vol en direction de Punta Cana leur permettant, par la même occasion, de profiter des salons Feuille d'érable à l'aéroport.

[31]        Madame Gagnon ajoute qu'en acceptant la compensation offerte par la défenderesse, les demandeurs n'ont aucun recours.  En fait, puisqu'ils ont conservé en leur possession les bons pour services divers pour une durée de plus de 30 jours, soit le délai prévu de contestation suivant les règles tarifaires applicables, ils les ont, par la suite, utilisés contre une réservation avec Vacances Air Canada.  Les demandeurs ont ainsi accepté la compensation et renoncé à tout recours.

[32]        La défenderesse prétend qu'Air Canada a respecté l'entièreté de ses obligations contractuelles prévues au contrat de transport.

[33]        Le Tribunal constate que le contrat de transport intervenu entre les demandeurs et la défenderesse est imprimé à l'itinéraire-reçu et inclut par référence les tarifs publiés applicables.

 

ANALYSE ET DISCUSSION:

[34]        Le Tribunal souligne l'article 1458 du Code civil du Québec.

1458. Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.


Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice, corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l'application des règles du régime contractuel de responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.


[35]        L'article 9 du contrat de transport prévoit ce qui suit:

«9.        Le transporteur s'engage à faire de son mieux pour transporter le passager et les bagages avec une diligence raisonnable.  Les heures indiquées sur les horaires ou ailleurs ne sont pas garanties et ne font pas partie du présent contrat.  Le transporteur peut, sans préavis, se substituer d'autres transporteurs, utiliser d'autres avions;  il peut modifier ou supprimer les escales prévues sur le billet en cas de nécessité.  Les horaires peuvent être modifiés sans préavis.  Le transporteur n'assume aucune responsabilité pour les correspondances.»

 

[36]        L'article 3 du contrat prévoit que:

«3.        Dans la mesure où leur contenu ne fait pas échec à ce qui précède, tout transport effectué et tous autres services rendus par chaque transporteur sont régis par : (i) les stipulations figurant sur le présent billet, (ii) les tarifs applicables, (iii) les conditions de transport du transporteur et la réglementation applicable, lesquelles sont réputées faire partie intégrante des présentes et peuvent être consultées sur demande dans les bureaux du transporteur, à moins qu'il ne s'agisse de transports effectués entre un lieu situé sur le territoire des États-Unis ou du Canada et un autre lieu situé hors de ces territoires, auquel cas, ce sont les tarifs en vigueur dans ces pays qui s'appliquent.»

 

[37]        Rappelons que la défenderesse a décidé d'appliquer à cette délicate situation les règles régissant la survente des sièges.  Les conditions du contrat de transport stipulent:

«SURVENTE

En cas de survente, il peut arriver qu'un passager avec réservation confirmée ne puisse obtenir de place pour le vol désiré.  Le cas échéant, le personnel de la société aérienne demandera d'abord des volontaires disposés à céder leur place en échange d'une indemnité laissée à la discrétion du transporteur.  S'il n'y a pas assez de volontaires, ce dernier refusera l'embarquement à d'autres passagers suivant un système de priorités qui lui est propre.  Sauf rares exceptions, les personnes à qui l'embarquement a été refusé involontairement ont droit à une indemnité.  Les modalités d'indemnisation et les priorités d'embarquement des sociétés aériennes peuvent être consultées à tous les comptoirs de billetterie et points d'embarquement des aéroports.»

 

[38]        De plus, l'article AC89 des tarifs applicables stipule que:

«(C) BOARDING PRIORITIES

(1)  IF A FLIGHT IS OVERSOLD, NO PASSENGER MAY BE INVOLUNTARILY DENIED BOARDING UNTIL AC HAS FIRST REQUESTED VOLUNTEERS TO RELINQUISH THEIR SEATS.

(2)  IN THE EVENT THERE ARE NOT ENOUGH VOLUNTEERS, OTHER PASSENGERS MAY BE INVOLUNTARILY DENIED BOARDING INN ACCORDANCE WITH AC BOARDING PRIORITY POLICY.  PASSENGERS WITH CONFIRMED RESERVATIONS WHO HAVE NOT RECEIVED A BOARDING PASS, WILL BE PERMITTED TO BOARD IN THE FOLLOWING ORDER UNTIL ALL AVAILABLE SEATS ARE OCCUPIED:

(A)       DISABLED PASSENGERS, UNACCOMPANIED CHILDREN UNDER 12 YEARS OF AGE AND OTHER FOR WHOM, IN AC ASSESSMENT, FAILURE TO CARRY WOULD CAUSE SEVERE HARDSHIP.

(B)       PASSENGERS PAYING FIRST (F), EXECUTIVE (J) OR FULL ECONOMY (Y) CLASS FARES.

(C)       ALL OTHER PASSENGERS, INCLUDING TOUR CONDUCTORS ACCOMPANYING A GROUP.  THESE PASSENGERS WILL BE ACCOMMODATED IN THE ORDER IN WHICH THEY PRESENT THEMSELVES FOR CHECK-IN AND BOARDING.

(D) TRANSPORTATION FOR PASSENGERS DENIED BOARDING

A PASSENGER WHO HAS BEEN DENIED BOARDING, EITHER VOLUNTARILY OR INVOLUNTARILY, WILL BE PROVIDED TRANSPORTATION IN ACCORDANCE WITH THE FOLLOWING:

(1) THE PASSENGER WILL BE TRANSPORTED WITHOUT STOPOVER ON THE NEXT AVAILABLE AC FLIGHT, REGARDLESS OF THE CLASS OF SERVICE, AND AT NO ADDITIONAL COST TO HIM.

(2) SHOULD AC NOT BE ABLE TO PROVIDE ONWARD TRANSPORTATION, ACCEPTABLE TO THE PASSENGER, ON THE SERVICES OF AC, TRANSPORTATION VIA THE SERVICES OF ANOTHER CARRIER (S) WILL BE PROVIDED AS FOLLOWS:

      (A)        THE PASSENGER WILL BE ACCOMMODATED IN THE CLASS OF SERVICE AND/OR BOOKING CLASS APPLICABLE TO HIS TRANSPORTATION ON AC.

      (B)        TRANSPORTATION IN A DIFFERENT CLASS OF SERVICE AND/OR BOOKING CLASS WILL BE PROVIDED WITHOUT ADDITIONAL COST TO THE PASSENGER ONLY IF IT WILL PROVIDE FOR AN EARLIER ARRIVAL AT HIS DESTINATION OR NEXT POINT OF STOPOVER.

(E) COMPENSATION

IN ADDITION TO PROVIDING TRANSPORTATION IN ACCORDANCE WITH (D) A PASSENGER WHO HAS BEEN DENIED BOARDING WILL BE COMPENSATED BY AC AS FOLLOWS:

[…]                                                  Draft                             MCO

Canada to all other destinations     CAD 200.00                 CAD 500.00»

 

[39]        Bien que la situation ne réfère pas directement aux obligations d'un détaillant ou d'un grossiste en voyages, le Tribunal rappelle que les auteurs et la jurisprudence constante considèrent que ces derniers ont envers leur client une obligation de résultat.

[40]        Le Tribunal estime qu'il importe de rappeler l'article 40 de la Loi sur la protection du consommateur[1].

40. Un bien ou un service fourni doit être conforme à la description qui en est faite dans le contrat.

 

[41]        De plus, l'article 2098 C.c.Q. édicte que:

2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

[42]        Rappelons que les demandeurs avaient droit ici à un bien ou à un service conforme à la description qui en était faite dans leur contrat.  Les demandeurs n'ont pas à prouver la faute de la défenderesse pour engager sa responsabilité.  Le seul fait que la prestation ne soit pas conforme aux stipulations du contrat est suffisant.

[43]        Le Tribunal estime que la défenderesse ne peut prétendre n'avoir agi qu'à titre de transporteur et ne pas être responsable de la situation.

[44]        Le fait que le document intitulé «itinéraire-reçu» comporte un avertissement ou une mention à l'effet que les horaires sont sujets à changement ou ne sont pas garantis n'est pas suffisant dans les circonstances.

[45]        Le Tribunal fait une très grande distinction entre un «horaire» et un «itinéraire».  L'horaire est généralement défini comme le tableau des heures d'arrivée et de départ des vols alors que l'itinéraire, lui, fait plutôt référence à la route à suivre dans le cadre d'un voyage.

[46]        Le Tribunal retient donc l'argument des demandeurs à l'effet qu'une mention relative à l'horaire n'est pas suffisante pour constituer un avertissement valable à l'effet qu'un changement d'itinéraire leur sera imposé, leur faisant ainsi perdre une journée de vacances.

[47]        Au surplus, rappelons la façon arbitraire et cavalière choisie par la défenderesse pour sortir les trois passagers de l'avion une fois installés confortablement dans leur siège.  Cette situation est vraiment déplorable.

[48]        Aussi, le fait que la défenderesse a appliqué par analogie la procédure en cas de survente est une méthode qu'elle a unilatéralement choisie justement parce que le contrat ne prévoit pas une situation telle que celle vécue par les demandeurs.  On a improvisé, tout simplement.

[49]        Le Tribunal estime que la défenderesse a engagé sa responsabilité envers les demandeurs.  Rappelons cependant les avantages offerts aux demandeurs et allégués par la défenderesse.  Le Tribunal en tient compte dans le cadre du présent jugement.

[50]        Usant de sa discrétion judiciaire, le Tribunal fixe à 500 $ la somme à laquelle les demandeurs ont droit en dommages en pareilles circonstances.

[51]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[52]        ACCUEILLE en partie la réclamation.

[53]        CONDAMNE la défenderesse, Air Canada, à verser aux demandeurs, Daniel Castro et Guylaine Bélanger, la somme de 500 $ plus les intérêts au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter de l'assignation et les frais judiciaires de 70 $.

 

 

__________________________________

DENIS LE RESTE, J.C.Q.

 

Date d’audience :

11 octobre 2012

 



[1] P-40.1.

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