Natures's Touch Frozen Foods Inc. c. CNA Financial Corporation | 2022 QCCS 3472 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
| ||||||
CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
| ||||||
No : | 500-17-107132-196 | |||||
|
| |||||
| ||||||
DATE : | 27 septembre 2022 | |||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARC ST-PIERRE, J.C.S. | ||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
| ||||||
NATURES’S TOUCH FROZEN FOODS INC. | ||||||
Demanderesse | ||||||
c. | ||||||
CNA FINANCIAL CORPORATION | ||||||
et | ||||||
CONTINENTAL CASUALTY COMPANY (CNA CANADA) | ||||||
Défenderesses | ||||||
| ||||||
| ||||||
| ||||||
JUGEMENT | ||||||
______________________________________________________________________ | ||||||
| ||||||
APERÇU
[1] Un fabricant et distributeur de produits congelés poursuit sa compagnie d’assurance pour se faire rembourser des frais de vaccination qu’il a dû assumer à la suite de la détection d’un microbe pouvant causer l’hépatite A dans un de ses produits.
[2] Le produit a été vendu à un seul client, parce que préparé spécialement pour lui; ce client, une chaîne nationale et même internationale de magasins spécialisés en alimentation a pu retracer toutes les personnes à qui le produit a été vendu.
[3] Il (le client) a organisé une campagne téléphonique pour avertir tout le monde soit de ne pas consommer le produit si ce n’était pas déjà fait ou de se faire vacciner dans les deux semaines de l’ingestion autrement.
[4] Le client qui opère une pharmacie dans certaines succursales a lui-même organisé la campagne et pratiqué la vaccination sur les quelque neuf-mille (9000) personnes qui avaient ingéré le produit.
[5] La compagnie d’assurance du distributeur a été immédiatement mise en cause et elle a assumé la compensation par le règlement d’actions collectives au Québec et en Ontario pour les dommages occasionnés aux individus.
[6] Une partie de la compensation allait aux personnes qui avaient ingéré le produit et qui avaient été vaccinées mais qui n’ont pas eu de symptômes.
[7] La compagnie d’assurance a aussi assumé des frais accessoires encourus par le distributeur lui-même en vertu d’une couverture spéciale.
[8] Cependant, elle a refusé d’assumer les coûts de la campagne de vaccination que le distributeur avait volontairement remboursés à son client; à l’audience, sa procureure a invoqué diverses dispositions dans le contrat d’assurance pour justifier le refus de paiement; le tribunal les passera en revue dans l’analyse ci-après.
[9] Il y a eu lieu de signaler que le distributeur a poursuivi deux personnes morales, mais la corporation qui était véritablement l’assureur du distributeur au moment des événements a été identifiée à l’audience; également, les parties ont convenu du quantum.
QUESTION EN LITIGE : Est-ce que les frais de la campagne de vaccination sont couverts par le contrat d’assurance?
[10] Nous analyserons donc les diverses dispositions pertinentes du contrat d’assurance en commençant par la couverture elle-même :
[11] C’est la première phrase dans l’extrait ci-dessous qui dit tout: la demanderesse était légalement obligée de payer pour les frais de la campagne de vaccination de Costco, ça n’a pas été contesté à l’audience; il y a donc couverture à prime abord.
[12] Passons maintenant à la définition de bodily injury :
5. Bodily injury: physical injury, sickness or disease sustained by a person, including mental anguish, mental injury, shock or death resulting therefrom. Bodily injury also includes damages claimed by any person or organization for care or loss of services resulting at any time from such physical injury, sickness or death.[2]
[13] Ici, les parties ne s’entendent pas; la demanderesse croit que la deuxième phrase s’applique à la campagne de vaccination, parce que ça serait un soin pour une maladie; la défenderesse propose une autre interprétation.
[14] Pour le tribunal, il est effectivement possible que la deuxième phrase ne trouve pas application parce qu’il n’y a aucune preuve tendant à démontrer que parmi les personnes vaccinées une ou plusieurs étaient infectées – en sorte qu’il n’y avait peut-être pas présence de maladie et que donc, le soin n’en résulterait pas.
[15] Néanmoins, aux yeux du soussigné, la première phrase suffit : Bodily injury inclut la mental anguish; comme l’a plaidé la demanderesse, il est manifeste que quelqu’un qui est averti qu’il a ingéré un aliment pouvant le contaminer à l’hépatite A subit un stress; le tribunal convient que c’est de connaissance judiciaire.
[16] Les défenderesses ont invoqué à l’aide d’une définition du dictionnaire que l’expression mental anguish correspond à quelque chose de sérieux et de grave; elles ont aussi plaidé que certaines personnes auraient pu se faire vacciner pour bénéficier de la protection contre l’hépatite A recommandée à l’occasion de voyages dans le Sud.
[17] Pour le tribunal, au-delà de la définition du dictionnaire, par le sens ordinaire des mots, le stress occasionné par l’avertissement et la recommandation de vaccination est nécessairement inclus dans l’expression mental anguish.
[18] Quant à la protection en cas de voyage dans le sud en tant que motif pour accepter la vaccination, le tribunal ne croit pas que ça puisse être la raison principale pour laquelle les personnes ayant ingéré le produit potentiellement contaminé se sont fait vacciner – il s’agit d’une pure hypothèse.
[19] Par ailleurs, dans la partie de sa plaidoirie sur l’exclusion au cœur du débat qui sera analysé plus loin, lorsque questionnée par le tribunal pourquoi l’exclusion ne s’était pas appliquée pour la compensation aux personnes non contaminées dans le cadre du règlement des actions collectives, la procureure a indiqué que le règlement des actions collectives pour elles, 150 $[3], a compensé pour le stress, ce qui confirme que les personnes qui ont reçu le vaccin sans être infectées étaient couvertes par la définition.
[20] Nous en arrivons au cœur du litige : l’exclusion de la couverture voulant que l’assurance ne s’applique pas lorsque la maladie provient d’une possible exposition à un microbe :
(1) Bodily injury arising out of or relating to, in whole or in part, the actual, alleged or threatened inhalation of, ingestion of, contact with, exposure to, existence of, growth or presence of any fungi or microbes. This exclusion applies regardless of any other cause or event that contributes concurrently or in any sequence to such injury or damage, loss, cost or expense. But, this exclusion does not apply where your business is food processing, sales, or serving, and the bodly injury is caused solely by food poisoning in connection with such processing, sales or serving.
(2) Property damage arising out of or relating to the actual, alleged or threatened contact with, exposure to, existence of or growth or presence of any fungi or microbes.
(3) Any loss, cost or expense arising out of or relating to the testing for, monitoring, cleaning up, removing, containing, treating, detoxifying, neutralizing, remediating, or disposing of, or in any way responding to or assessing the effects of fungi or microbes by any insured or by anyone else.[4]
[21] Il y a lieu de noter qu’il n’y a pas ici nécessité de présence effective de la maladie par l’ingestion du produit parce que le test dans la première phrase du sous-paragraphe un (1) parle d’exposition alleged or threatened.
[22] Revenons à l’exclusion; de toute évidence, celle au premier sous-paragraphe s’applique à la situation sauf que l’exception dans la troisième phrase pour le business (in) food processing s’applique aussi; ce n’est pas contesté.
[23] En fait, le débat se situe essentiellement sur l’interprétation du troisième sous-paragraphe; pour la demanderesse, cette exclusion vise les dommages pour la récupération du produit potentiellement contaminé et son retour à son entrepôt; les défenderesses ne sont pas d’accord invoquant notamment que ces frais-là font l’objet d’une couverture spéciale, n’étant pas couverts par le contrat principal.
[24] Ladite couverture spéciale a d’ailleurs bénéficié à la demanderesse qui a reçu cinquante mille dollars (50 000$) à cet égard de la compagnie d’assurance, le montant limite de la garantie.
[25] Cependant, appelée par la cour à expliquer pourquoi l’exclusion du sous-paragraphe trois (3) ne jouait pas lorsqu’est venu le temps de régler les actions collectives, notamment celle au Québec, la procureure des défenderesses revient à la notion de bodily injury qui inclurait les dommages aux personnes mais non pas les frais de vaccination.
[26] De fait, dans la première phrase de la définition de bodily injury il n’y a pas de référence à ou de lien avec un soin (pour la blessure ou la maladie) contrairement à la deuxième phrase; ainsi, l’explication de la procureure est valable : c’est le dommage à la personne qui est visé et non pas les frais pour le soulager.
[27] Néanmoins, on ne sait pas ce qui est visé par l’exclusion au sous-paragraphe trois (3); au texte, elle s’appliquerait aux dommages corporels subis par les personnes qui ont ingéré le produit, le stress en fait partie, si c’est l’interprétation soutenue par les défenderesses qui doit être acceptée.
[28] D’autre part, dans la même hypothèse, on voit mal où commence et où s’arrête l’application de l’exception à l’exclusion dans la dernière phrase du sous-paragraphe un (1) pour les business (in) food processing.
[29] Sur le tout, le tribunal, notamment à partir de la règle qui veut qu’une ambigüité dans le contrat d’assurance doive bénéficier à l’assuré, le contrat en étant un d’adhésion, conclut que l’exclusion au sous-paragraphe trois (3) ne s’applique pas.
[30] Il a donc eu d’accueillir l’action de la demanderesse contre la défenderesse Continental Casualty Company (CNA Canada).
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[31] ACCUEILLE la demande introductive d’instance modifiée de la demanderesse contre la défenderesse Continental Casualty Company (CNA Canada);
[32] CONDAMNE la défenderesse Continental Casualty Company (CNA Canada) à payer à la demanderesse la somme de 1 311 358,52$ avec les intérêts à partir du 26 septembre 2016[5];
[33] AVEC les frais de justice.
[34] REJETTE la demande introductive d’instance de la demanderesse contre la défenderesse CNA FINANCIAL CORPORATION;
[35] SANS frais de justice.
| ||
| __________________________________MARC ST-PIERRE, j.c.s. | |
| ||
| ||
Me Alexandre Fallon | ||
Me Marie-Laure Saliah-Linteau | ||
OSLER, HOSKIN & HARCOURT LLP | ||
Avocats de la demanderesse | ||
| ||
Me Catherine Chaput | ||
GASCO GOODHUE ST-GERMAIN | ||
Avocate des défenderesses | ||
| ||
| ||
Date d’audience : | 12 et 13 septembre 2022. | |
[1] SECTION I – COVERAGES, COVERAGE A. BODILY INJURY AND PROPERTY DAMAGE LIABILITY, 1. Insuring Agreement, page 57.
[2] SECTION IV – DEFINITIONS, par. 5, page 72 contrat.
[3] Au Québec, le tribunal n’a pas vérifié pour l’Ontario.
[4] SECTION II. Exclusions, SECTION I – COVERAGES, COVERAGE A. BODILY INJURY AND PROPERTY DAMAGE LIABILITY, sous-section r., page 61 du contrat.
[5] Les intérêts à partir du 26 septembre 2016, mais sans l’indemnité additionnelle, font partie des admissions convenues entre procureur-e-s quant à la valeur de la réclamation.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.