Décision

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Section des affaires immobilières

En matière de fiscalité municipale

 

 

Date : 16 décembre 2022

Référence neutre : 2022 QCTAQ 12304

Dossiers : SAI-Q-242385-1907 / SAI-Q-264379-2210

Devant les juges administratifs :

SHARON GODBOUT

MATTHIEU BEAUDOIN

 

ÉCOSAGE INC.

Partie requérante

c.

VILLE DE QUÉBEC

VILLE DE SAINT-AUGUSTIN-DE-DESMAURES

Parties intimées

 

 


DÉCISION


 


 


Aperçu

[1]                    La requérante, Écosage inc., conteste l’exactitude de l’inscription de la catégorie Terrains Vagues Desservis (TVD) aux rôles fonciers triennaux 2019 et 2022 relativement à son unité d’évaluation[1]. Cet immeuble est un terrain vacant d’une superficie d’un peu plus de 4 000 mètres carrés, situé dans la ville de Saint-Augustin-de-Desmaures (VSAD), dans l’agglomération de Québec (l’intimée).

[2]                    Elle prétend que la construction est interdite sur son terrain et qu’en conséquence, son immeuble ne peut appartenir à la catégorie TVD en vertu de l’alinéa 5 de l’article 244.36 de la Loi sur la fiscalité municipale (LFM)[2]. Elle demande qu’il soit inscrit dans la catégorie résiduelle.

[3]                    Pour les motifs qui suivent, le Tribunal maintient l’inscription de la catégorie TVD pour chacun des rôles triennaux en litige. Par ailleurs, pour le rôle triennal 2019, le Tribunal prend acte de l’admission des parties quant à la valeur réelle du terrain à 140 000 $.  

Contexte

[4]                    La requérante est une entreprise qui œuvre notamment dans le domaine de la vente de terrains.

[5]                    M. Robert Lesage, président de la requérante, témoigne que le terrain en cause résulte d’une opération de lotissement effectuée en 2013 dans le cadre d’un projet d’implantation de réseaux d’aqueduc et d’égout par la ville intimée dans le secteur.


[6]                    En 2014, dans le cadre de ce lotissement, la requérante souhaite vendre six lots qu’elle possède, incluant ce terrain, pour la construction résidentielle. En raison de la présence de milieux humides sur ces lots[3], elle s’adresse au ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (Ministère) pour demander un certificat d’autorisation (CA) en vertu de l’article 22 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE)[4].

[7]                    Le 12 septembre 2014, le Ministère répond à la requérante qu’il ne peut émettre un tel CA au motif que l’achat et la vente de terrains, incluant les milieux humides, ne sont pas régis par la LQE[5]. Il l’informe également que l’obtention d’un CA pourrait s’avérer nécessaire à l’égard de certains lots avant dy réaliser toute intervention.

[8]                    Le 12 décembre 2014, le Ministère confirme à la requérante que le terrain visé par le présent recours devra faire l’objet d’une autorisation du Ministère avant toute intervention dans le milieu humide[6].

[9]                    Par ailleurs, à l’automne 2014, suivant l’émission par l’évaluateur de l’intimée d’un avis de modification pour tenir compte de la présence des services d’aqueduc et d’égout, une entente intervient avec la requérante pour que le terrain soit inscrit à la catégorie résiduelle plutôt qu’à celle des TVD[7].

[10]               En janvier 2019, la requérante reçoit un avis d’évaluation foncière pour le rôle triennal 2019. La valeur imposable du terrain est alors fixée à 188 000 $ et celui-ci fait désormais partie de la catégorie des TVD[8].

[11]               Le 12 février 2019, la requérante présente une demande de révision de ce rôle afin que la valeur de l’immeuble soit modifiée à la baisse et pour que l’inscription de la catégorie résiduelle soit rétablie. Dans sa réponse, l’évaluateur propose une baisse de valeur à 140 000 $, laquelle est acceptée par la requérante, mais maintient la catégorie TVD[9].

[12]               Alors que le recours devant le Tribunal concernant le rôle triennal 2019 est toujours pendant, l’évaluateur dépose le rôle triennal 2022 qui entre en vigueur le 1er janvier 2022. L’immeuble est inscrit dans la catégorie TVD et sa valeur est établie à 140 000 $.


Analyse

[13]               Le Tribunal doit déterminer si l’obligation d’obtenir un CA, en vertu de l’article 22 LQE préalablement à tous travaux sur le terrain, a pour effet d’y interdire la construction, auquel cas ce dernier ne sera pas inscrit à la catégorie TVD en vertu de l’article 244.36, alinéa 5 de la LFM.

Cadre juridique

[14]               L’article 244.36 LFM énonce les critères pour qu’un terrain appartienne à la catégorie TVD :

« 244.36.   Appartient à la catégorie des terrains vagues desservis toute unité d’évaluation qui est constituée uniquement d’un tel terrain et, le cas échéant, de tout bâtiment visé au deuxième alinéa.

[…] 

Est desservi le terrain dont le propriétaire ou l’occupant peut, en vertu de l’article 244.3, être le débiteur d’un mode de tarification lié au bénéfice reçu en raison de la présence des services d’aqueduc et d’égout sanitaire dans l’emprise d’une rue publique.

[…] 

N’appartient pas à la catégorie une unité d’évaluation qui comporte :

[…] 

      un terrain sur lequel la construction est interdite en vertu de la loi ou d’un règlement. »

(Nos soulignements)

[15]               L’article 244.3 LFM auquel réfère cet article prévoit :

« 244.3.   […] 

Le bénéfice est reçu non seulement lorsque le débiteur ou une personne à sa charge utilise réellement le bien ou le service ou profite de l’activité mais aussi lorsque le bien ou le service est à sa disposition ou que l’activité est susceptible de lui profiter éventuellement. Cette règle s’applique également, compte tenu des adaptations nécessaires, dans le cas d’un bien, d’un service ou d’une activité qui profite ou est susceptible de profiter non pas à la personne en tant que telle mais à l’immeuble dont elle est propriétaire ou occupant.

[…]  »

(Nos soulignements)

[16]               Quant à l’article 22 LQE, invoqué par la requérante, il se lit comme suit :

« 22. […]  nul ne peut, sans obtenir au préalable une autorisation du ministre, réaliser un projet comportant l’une ou plusieurs des activités suivantes:

[…] 

  tous travaux, toutes constructions ou toutes autres interventions dans des milieux humides et hydriques visés à la section V.1;

[…] »

(Nos soulignements)

Position des parties

[17]               La requérante prétend qu’aux dates de référence pour chacun des rôles 2019 et 2022, la construction sur son terrain est interdite en vertu de l’article 22 LQE.

[18]               À cet égard, elle soumet que depuis la lettre du Ministère du 12 septembre 2014, elle est informée qu’aucun projet de construction ne peut être réalisé sur le terrain sans l’obtention au préalable d’un CA. Selon elle, tant qu’il n’y a pas d’autorisation du Ministère, il y a interdiction de construire. Elle ajoute que la décision d’émettre ou de refuser un tel CA relève du Ministère et non pas de l’intimée.

[19]               Pour la requérante, certains événements constituent une forme de reconnaissance par l’intimée que le terrain n’est pas constructible et qu’il devrait être inscrit dans la catégorie résiduelle. Entre autres, elle soumet qu’en 2014, l’évaluateur de l’intimée avait rétabli l’inscription de l’immeuble dans la catégorie résiduelle dans le cadre d’une demande de révision. Également, elle dépose une lettre, datée du 6 mars 2020, émanant d’un fonctionnaire de VSAD affirmant à la requérante que son terrain n’est pas constructible actuellement parce qu’en milieu humide[10]. En conséquence, un chèque lui est remis à titre de remboursement pour son paiement attribuable à la taxe d’infrastructures.

[20]               Par ailleurs, elle considère qu’elle ne bénéficie pas des services d’aqueduc et d’égout qui sont présents dans l’emprise de la rue où se situe le terrain, au sens de l’alinéa 3 de l’article 244.36 LFM, du fait qu’il est interdit de construire sur son terrain.

[21]               Enfin, elle affirme subir un impact du fait que la taxe foncière applicable à son terrain est doublée en raison de son inscription dans la catégorie TVD[11].

[22]               De son côté, l’intimée allègue que tous les critères d’appartenance à la catégorie TVD mentionnés à l’article 244.36 LFM sont rencontrés et que l’exception prévue à l’alinéa 5 de cet article ne trouve pas application. Elle plaide que pour que cette dernière s’applique, l’interdiction de construire en vertu d’une loi ou d’un règlement doit être absolue.

[23]               Elle soumet que l’article 22 LQE n’a pas pour effet d’interdire la construction sur le terrain, mais qu’il exige plutôt qu’une condition préalable soit accomplie, soit l’obtention d’un CA. Elle considère que la lettre du Ministère du 12 septembre 2014 ne fait pas état d’une interdiction, mais plutôt de certaines restrictions.

[24]               Elle ajoute qu’il s’agit ici d’une interdiction temporaire et que tant que la requérante n’entreprend pas les démarches pour obtenir un CA, elle ne peut affirmer que la construction sur son terrain est interdite. À titre illustratif, elle indique qu’une construction a été érigée sur le lot voisin[12], alors que celui-ci est également situé en milieu humide et visé par l’exigence d’obtenir un CA lors des échanges en 2014 entre la requérante et le Ministère[13].

[25]               Ainsi, elle plaide qu’il ne s’agit pas ici d’une interdiction absolue et l’obtention d’un CA ne remplit pas le caractère insurmontable de l’alinéa 5 de 244.36 LFM.

Considération du Tribunal

[26]               Pour les motifs qui suivent, le Tribunal est d’avis que la requérante n’a pas établi que la construction est interdite sur son terrain.

[27]               La seule disposition qu’elle invoque pour soutenir sa position est l’article 22 LQE.

[28]               L’article 22 LQE exige l’obtention d’un CA avant de réaliser tout projet impliquant tous travaux, toutes constructions ou toutes autres interventions dans des milieux humides. Lorsque cette condition est satisfaite, il n’y a pas d’interdiction de construction dans ce type de milieu.

[29]               La jurisprudence traitant de l’article 244.36, alinéa 5 de la LFM, établit que la construction doit être interdite en raison d’une prohibition absolue présente dans une loi ou un règlement[14]. Ainsi, il a déjà été conclu que l’impossibilité d’obtenir un permis de construction dans l’immédiat ne constitue pas un empêchement à la construction[15].

[30]               Compte tenu de cette jurisprudence, l’obligation d’obtenir un CA ne constitue donc pas une interdiction absolue, mais plutôt une condition préalable à rencontrer pour réaliser un projet spécifiquement énuméré à l’article 22 LQE. À ce jour, aucune démarche visant à obtenir une autorisation pour la réalisation d’un tel projet sur le terrain en cause n’a été faite.

[31]               À cet égard, la lettre du 14 septembre 2014 ne constitue pas un refus du Ministère d’accorder un CA, mais une fermeture administrative du dossier de la requérante pour absence de juridiction du Ministère en matière de vente et d’achat de terrain. Quant à celle datée du 12 décembre 2014, elle ne fait que confirmer l’assujettissement de tout projet d’intervention sur le terrain à une autorisation préalable du Ministère.

[32]               Par ailleurs, l’intimée n’est pas liée par la déclaration du fonctionnaire de la VSAD qui affirme dans sa lettre que le terrain n’est pas constructible[16]. De toute manière, cette correspondance concerne la taxe pour infrastructures, laquelle est appliquée de façon totalement indépendante de la taxe foncière[17].

[33]               Quant à l’argument de la requérante qu’elle ne bénéficie pas des services d’aqueduc et d’égout, le Tribunal souligne qu’il n’est pas nécessaire que le débiteur l’utilise ou en profite réellement dans l’immédiat selon l’article 224.3 LFM. La notion de bénéfice reçu mentionné à cet article est interprétée comme suit par la jurisprudence :

  • Ce bénéfice n’a pas à être immédiat et peut être prospectif [18];
  • Le propriétaire n’a pas à tirer personnellement du service susceptible de lui profiter éventuellement[19];
  • Un bénéfice économique pour le terrain suffit[20];
  • Un terrain vague peut retirer un bénéfice, du moins potentiel, du fait qu’il peut être éventuellement branché aux services d’aqueduc et d’égout municipaux[21].

[34]               Ainsi, malgré l’absence de raccordement actuel, la requérante pourra potentiellement en retirer un bénéfice.

Conclusions

[35]               En l’occurrence, le terrain rencontre tous les critères prévus à la loi pour appartenir à la catégorie TVD. L’inscription de cette catégorie aux rôles triennaux 2019 et 2022 doit donc être maintenue.

[36]               Par ailleurs, le Tribunal donne suite à l’entente des parties et fixe la valeur à inscrire au rôle triennal 2019 à 140 000 $.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

Relativement au rôle 2019-2021 :

ORDONNE à l’évaluateur de la Ville de Québec de corriger le rôle en conformité avec l’entente intervenue relativement à la valeur réelle de l’unité d’évaluation en litige à compter du 1er janvier 2019;

FIXE la valeur réelle à inscrire au rôle comme suit avec date de prise d’effet de la modification à compter du 1er janvier 2019 :

Terrain :

140 000 $

Bâtiment :

0 $

Total :

140 000 $

MAINTIENT l’inscription de la catégorie « terrains vagues desservis ».

Relativement au rôle 2022-2024 :

MAINTIENT l’inscription de la catégorie « terrains vagues desservis ».


LE TOUT sans frais.

 


 

SHARON GODBOUT, j.a.t.a.q.

 

 

MATTHIEU BEAUDOIN, j.a.t.a.q.


 

Giasson et Associés

Me Émilie Morissette

Procureure de la partie intimée


 


[1]  L’immeuble porte le matricule 3578-67-8586-000-0000-1. Les recours dans les dossiers SAI-Q-242385-              1907 et SAI-Q-264379-2210 ont fait l’objet d’une jonction, séance tenante, basée sur la même preuve.

[2]  RLRQ, chapitre F-2.1.

[3]  Pièce R-9.

[4]  RLRQ, chapitre Q-2.

[5]  Pièce R-7.

[6]  Pièce R-8.

[7]  Pièces R-1, R-2 et R-3.

[8]  Pièce R-4.

[9]  Pièce R-6. La valeur de l’immeuble à 140 000 $ fait l’objet d’une admission des parties.

[10]  Pièce R-15.

[11]  R-11 et R-12.

[12]  Il s’agit du lot 5 365 293 (pièces I-1 et R-9).

[13]  Pièces R-7, R-8 et R-9.

[14]  Entreprises E.A. Bourque (Québec) inc. c. Hull (Corp. Municipale de la Ville), (1992) EYB 1992-74885 (C.S.),               par. 33-35 (confirmé par : J.E. 96-1102 (CA). 8824371 Canada Inc. c. Montréal (Ville), 2022 CanLII 53046               (QC TAQ), par. 92 et 101. Voir également : Paradis c. Québec (Ville), 2005 CanLII 69824 (QC TAQ), par. 23               (confirmé par : 2007 QCCQ 12326 (CanLII).

[15]  8824371 Canada Inc. c. Montréal (Ville), supra, note 14, par. 92 et suiv.

[16]  Sylco Construction inc. c. Ville de Prévost, 2017 QCCS 2169 (CanLII), par. 21.

[17]  Comme il est mentionné dans la lettre (pièce R-15), la taxe d’infrastructures, soit la taxe de secteur décrété               par règlement d’emprunt, est imposée sur des paramètres distincts de la valeur foncière. L’application du               règlement d’emprunt se fait de façon indépendante du rôle d’évaluation foncière, donc sans tenir compte de               la classification au rôle.

[18]  Dagenais c. St-Adolphe-d'Howard (Municipalité de), 2008 QCCA 253 (CanLII), par. 41.

[19]  Id.

[20]  Longueuil (Ville) c. Modlivco inc., 2002 CanLII 63119 (QC CA), par. 21.

[21]  Ville de Boucherville c. Habitations Signature inc., 2017 QCCQ 6916 (CanLII), par. 12; Lesage c. St-              Augustin-de-Desmaures (Ville de), 2016 QCCQ 10812 (CanLII), par. 42-43.

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