Bouzidi c. 9291-5370 Québec inc. |
2018 QCRDL 20870 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Montréal |
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No dossier : |
367124 31 20171121 G |
No demande : |
2377703 |
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Date : |
19 juin 2018 |
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Régisseure : |
Sylvie Lambert, juge administrative |
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Abdoullah Omar Bouzidi
Soukaina Harti |
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Locataires - Partie demanderesse |
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c. |
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9291 5370 Québec Inc.
9348-2529 Québec Inc. |
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Locateurs - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Les locataires demandent l’exécution en nature des obligations des locateurs, une diminution de loyer de 50% à compter du mois de mars 2017, 1 000 $ en dommages-intérêts pour les troubles et inconvénients subis, 1 000 $ en dommages-intérêts moraux.
[2] 9291-5370 Québec inc. (9291) était locateur au bail lorsque les locataires ont emménagé dans le logement le 24 janvier 2017 et jusqu’à la vente de l’immeuble à 9348-2529 Québec inc (9348), à la fin du mois de septembre 2017.
[3] À l’audience, une entente intervient entre les locataires et 9348. Suite à cette entente, les locataires se désistent de leur demande à l’égard de 9348.
[4] Vu l’absence de 9291 à l’audience, les locataires procèdent par défaut contre cette dernière.
[5] Les motifs au soutien de la réclamation des locataires à l’égard de 9291sont les suivants :
- présence de souris et de coquerelles dans le logement
- absence de moustiquaires dans les fenêtres
- chaleur extrême dans la chambre des enfants
- négligence du locateur à corriger les problèmes
- stress, insomnie, troubles et inconvénients
[6] Les locataires et 9291 étaient donc été liées par un bail au loyer mensuel de 765 $ par mois pour la période du 24 janvier 2017 jusqu’à la fin septembre 2017, date à laquelle 9291 a vendu l’immeuble à 9348.
[7] Les locataires habitaient le logement, un 4 pièces et demie situé au demi-sous-sol d’un immeuble de 27 logements, avec leurs deux jeunes enfants.
[8] Le 18 janvier 2017, avant d’emménager dans le logement, le locataire trouve un rapport d’un exterminateur dans le logement. Ce rapport mentionne qu’un traitement contre les blattes a été effectué et que le niveau d’infestation est faible.
[9] Dès qu’il emménage dans le logement le 24 janvier 2017, il constate la présence de blattes vivantes et mortes.
[10] Au mois de mars 2017, il constate la présence de souris et d’excréments de souris.
[11] Le locataire témoigne qu’il y avait des coquerelles dans la salle de bain, la cuisine, la chambre à coucher des enfants, à l’intérieur de la cuisinière et dans le système de chauffage situé dans la cuisine.
[12] Quant aux souris, elles entraient, dit-il, principalement pas les fissures en-dessous du lavabo de la salle de bain et par des conduits qui se trouvaient dans la chambre des enfants. Il trouvait entre 1 à 3 souris par jour.
[13] Le locataire reproche notamment au locateur de ne pas avoir bouché les ouvertures qui permettaient aux souris d’entrer chez lui, alors que l’exterminateur recommandait cette mesure dans son rapport du 23 février 2017.
[14] Au soutien de son témoignage, le locataire produit des photos qui sont éloquentes quant à la présence de souris et de blattes dans le logement[1].
[15] Il produit également les rapports de l’exterminateur qu’il a pu obtenir[2].
[16] Selon ces rapports, des traitements d’extermination ont lieu les 24 janvier 2017 et 23 février 2017. L’exterminateur note sur son rapport que le niveau d’infestation est faible et que les blattes semblent provenir d’un logement voisin.
[17] Le 23 février 2017, l’exterminateur effectue un traitement d’extermination pour les souris. Il note sur son rapport qu’il n’a vu aucune présence de vermine lors de sa visite. Il note également ceci : « nouveau locataire ne furent pas avisé avant d’emménager de la présence de souris et blattes dans le passé » (sic).
[18] C’est en mars 2017 que le locataire constate la présence de souris pour la première fois.
[19] Le 8 mars 2017 l’exterminateur installe des trappes mécaniques et note sur son rapport un faible niveau d’infestation.
[20] Le 22 mars 2017 un traitement contre les souris a lieu. L’exterminateur note la capture de deux souris et recommande la fermeture des ouvertures sous le lavabo de la salle de bain.
[21] Le 6 avril 2017, l’exterminateur coche la case « service final » sur son rapport. Il mentionne : « aucune evidence de souris aucune crotte et aucune nourriture manger » (sic).
[22] Or, le locataire témoigne que contrairement à ce qui est indiqué dans le rapport, lors de cette visite du 6 avril 2017, il y avait présence d’excréments de souris dans le logement. Il affirme que le traitement effectué par l’exterminateur concernait non seulement les blattes, mais également les souris, contrairement à ce qui est indiqué au rapport.
[23] Entre le 17 mai et le 5 octobre 2017 l’exterminateur effectue quatre autres traitements contre les blattes. Le rapport du 5 octobre mentionne un niveau moyen d’infestation. Au cours de cette même période, selon les rapports de l’exterminateur, un seul traitement contre les souris est effectué.
[24] Or, selon le locataire, il y aurait eu deux traitements contre les souris pendant cette période. Le 5 octobre 2017, un traitement d’extermination des souris a eu lieu, alors que le rapport de l’exterminateur est silencieux sur ce point. Selon le locataire, le niveau de l’infestation de souris était moyen à ce moment-là.
[25] Sur le rapport du 5 octobre 2017, l’exterminateur inscrit une note à l’effet que la cuisine des locataires est insalubre. Le locataire produit des photos qu’il a prises de sa cuisine le même jour. Ces photos démontrent un endroit propre et bien tenu.
[26] Le locataire témoigne quant au stress, à l’insomnie, la fatigue et tous les inconvénients reliés à la présence des rongeurs et des insectes. Il souligne qu’il craignait pour la santé des membres de sa famille vu les nombreux traitements d’extermination et les produits utilisés.
[27] Quant à l’absence de moustiquaires, le locataire témoigne qu’il a demandé au concierge, à maintes reprises, et ce, dès qu’il a emménagé, d’installer des moustiquaires dans les fenêtres. Rien n’a été fait. Le rapport de l’exterminateur du 3 août 2017 contient d’ailleurs la note suivante : « Acheter moustiquaire svp Appat partout. »
[28] En ce qui concerne la chaleur extrême dans la chambre des enfants, le locataire témoigne que son logement était alimenté par un système central de chauffage au gaz et qu’il n’avait aucun contrôle sur la température.
[29] Dans la chambre des enfants, la température en hiver pouvait atteindre 31,1 degrés Celsius. Il produit des photos où on peut voir un thermomètre électronique sur un meuble, au centre de la pièce, qui indique cette température.
[30] Il a avisé le représentant du locateur en mars 2017 du problème de chaleur accablante dans la chambre des enfants, mais rien n’a été fait.
[31] La chaleur extrême empêchait les enfants de bien dormir. La solution trouvée fut que les enfants dorment dans la même chambre que les parents jusqu’à la fermeture du système de chauffage.
Analyse et conclusion
[32] La Loi impose
notamment les obligations suivantes au locateur : délivrer le logement en
bon état de réparation de toute espèce et procurer au locataire la jouissance
paisible du logement (article
[33] Il établit tant par la jurisprudence que par la doctrine que ces obligations en sont de garantie et que les moyens pour le locateur de s’en exonérer sont limités : la force majeure ou qu’il n’a pu remplir ses obligations en raison de l’acte d’un tiers ou du locataire. Il ne peut invoquer qu’il a agi avec diligence raisonnable pour atténuer sa responsabilité[3].
[34] L'inexécution d'une
obligation prévue par la Loi ou le bail confère le droit de demander, entre
autres, la diminution du loyer (article
[35] Pour donner ouverture à une diminution de loyer, la perte de jouissance doit être réelle, sérieuse, significative et substantielle[4].
[36] Dans l'affaire Mirza -Rana c. Chowdhory[5], le Tribunal explique bien la distinction entre le recours en diminution de loyer et le recours en dommages :
« [45] Le recours en diminution de loyer doit être distingué de celui en dommages en ce qu'il ne participe pas des mêmes règles d'application. L'un vise à rétablir l'équilibre des prestations en évaluant la valeur objective de la perte locative subie et l'autre à compenser le préjudice subi (moral, matériel) ou à punir l'auteur d'un fait dommageable (dommage punitif).
[46] L'attribution de dommages-intérêts compensatoires et l'évaluation des pertes subies obéissent aux règles générales du droit commun. Aussi, le tribunal doit considérer le lien de causalité qui existe entre la faute reprochée(3) et les dommages réclamés.
[47] Les dommages moraux visent à compenser les troubles, ennuis, inconvénients, la perte de jouissance de la vie, les douleurs et les souffrances psychologiques. »
La diminution de loyer
[37] En l’espèce, les locataires ont démontré, par preuve prépondérante, qu’ils ont subi une perte de jouissance réelle, sérieuse, significative et substantielle de leur logement en raison de la présence de souris et de blattes, de la chaleur élevée qui régnait dans la chambre des enfants et de l’absence de moustiquaires dans les fenêtres.
[38] Le Tribunal tient à souligner qu’il retient le témoignage franc, direct et spontané du locataire quant à la durée et au degré des infestations de souris et de blattes, quant à l’état de propreté de son logement, alors que son témoignage vient en contradiction sur certains points avec le contenu des rapports de l’exterminateur. Ce dernier n’est pas présent devant le Tribunal pour témoigner et le Tribunal ne peut ni le questionner, ni évaluer sa crédibilité.
[39] De plus, la preuve photographique produite par le locataire est éloquente et corrobore son témoignage.
[40] Les principes applicables quant au montant qui peut être alloué à titre de diminution de loyer sont les suivants :
« Le recours en diminution du loyer a pour but de rétablir l'équilibre dans la prestation de chacune des parties au bail; lorsque le montant du loyer ne représente plus la valeur de la prestation des obligations rencontrées par le locateur parce que certains services ne sont plus dispensés ou que le locataire n'a plus la pleine et entière jouissance des lieux loués, le loyer doit être réduit en proportion de la diminution subie.
Il s'agit en somme de rétablir le loyer au niveau de la valeur des obligations rencontrées par le locateur par rapport à ce qui est prévu au bail; la diminution ainsi accordée correspond à la perte de la valeur des services ou des obligations que le locateur ne dispense plus. Il ne s'agit donc pas d'une compensation pour des dommages ou des inconvénients que la situation peut causer. »[6]
[41] Afin de rétablir l’équilibre entre les prestations respectives des parties, considérant l’intensité et la durée des troubles, le Tribunal accorde la somme de 2 100 $ aux locataires pour tous les troubles allégués et prouvés et pour toutes les périodes ci-après mentionnées :
- du 24 janvier 2017 jusqu’à la vente de l’immeuble à la fin septembre 2017 pour l’infestation de blattes ;
- du 8 mars 2017 jusqu’à la vente de l’immeuble à la fin septembre 2017 pour l’infestation de souris;
- du 24 janvier 2017 jusqu’au 15 mai 2017 pour la chaleur accablante dans la chambre des enfants;
- du 15 mai 2017 jusqu’à la vente de l’immeuble à la fin septembre 2017 pour l’absence de moustiquaires.
Les dommages-intérêts
[42] Le locataire réclame 1 000 $ pour les troubles et inconvénients subis ainsi que 1 000 $ en dommages-intérêts moraux vu la négligence du locateur à exécuter ses obligations. Ces dommages-intérêts sont généralement identifiés sous un même vocable, soit les dommages-intérêts moraux. La négligence d’un locateur à remédier aux troubles dénoncés est un facteur à considérer dans l’octroi de tels dommages-intérêts.
[43] Le Tribunal a traité de l'octroi des dommages moraux dans l'affaire Obadia c. 3008380 Canada Inc.[7] :
« Sous ce titre, on entend les pertes non pécuniaires subies par les locataires pour les angoisses, les inconvénients, les problèmes de quelque nature qu'on a pu leur faire subir.
L'évaluation de tels dommages demeure un défi important, car sans nécessairement en laisser le quantum à la discrétion du Tribunal, la jurisprudence a établi des balises vastes et larges, pour en arriver finalement à donner comme règle que ces pertes non-pécuniaires doivent être équitables et raisonnables. (...) »
[44] En l’espèce, la preuve démontre que le locateur, bien qu’il procédait à des traitements répétés d’extermination, se souciait peu des problèmes vécus par ses locataires. Les recommandations de l’exterminateur quant à la nécessité de boucher les trous et fissures et d’installer des moustiquaires n’ont jamais été suivies par le locateur.
[45] La preuve démontre que les locataires ont subi du stress, de l’insomnie, de la fatigue, ainsi que d’autres inconvénients reliés à la présence de vermine et de blattes, tels que de ramasser les excréments et les individus morts et de craindre pour la santé de leurs enfants.
[46] Le Tribunal estime qu’un montant de 1 500 $ est équitable et raisonnable dans les circonstances, à titre de dommages-intérêts moraux.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[47] DONNE ACTE du désistement des locataires à l’égard du locateur 9348-2529 Québec inc.;
[48] CONDAMNE le locateur 9291-5370 Québec inc. à payer aux locataires la somme de 3 600 $, avec intérêts et l’indemnité additionnelle à compter du 21 novembre 2017, plus les frais judiciaires de 84 $;
[49] REJETTE la demande quant au surplus.
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Sylvie Lambert |
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Présence(s) : |
le locataire Abdoullah Omar Bouzidi pour lui-même et à titre de mandataire pour Soukaina Harti |
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Date de l’audience : |
14 mai 2018 |
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[1] L-3, L-4, L-5 et L6 en liasse.
[2] L-1 en liasse.
[3]
Albert c. Tang, R.L, Montréal,
31-090904-108G, 23 novembre 2009, j.a. Francine Jodoin.; Castillo c.
Rizutto, R.L., Montréal,
[5] R.L., 31-110407-037 31 20110407G, 22 novembre 2013.
[6] Gagné c. Larocque, R.L., 31-970501-054G ,1 Décembre 1997, r. Joly.
[7] Obadia c. 3008380 Canada Inc, 31-940510-040P-940517 31-970718-057, décision de la Régie du logement, le 11 février 1998, Me Gilles Joly, régisseur.
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