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RECTIFICATION D’UNE DÉCISION
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[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu le 9 novembre 2006, une décision dans le présent dossier;
[2] Cette décision contient erreur d’écriture qu’il y a lieu de rectifier en vertu de l’article 429.55 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001;
[3] Le nom du membre issu des associations d’employeurs devrait se lire Jean E. Boulais et non Jean E. Blais.
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Daphné Armand |
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Commissaire |
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Monsieur Jean-Pierre Devost |
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Jean-Pierre Devost, Cabinet-Conseil |
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Représentant de la partie requérante |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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St-Jérôme : |
9 novembre 2006 |
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Région : |
Laurentides |
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Dossier : |
271462-64-0509 |
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Dossier CSST : |
126693506 |
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Commissaire : |
Me Daphné Armand |
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Membres : |
Jean E. Blais, associations d’employeurs |
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Claudette Lacelle, associations syndicales |
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Ginette Archambault Pilon |
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Partie requérante |
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Place des Aînés de Laval |
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Partie intéressée |
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[1] Le 7 septembre 2005, madame Ginette Archambault Pilon (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 24 août 2005, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 juillet 2005 donnant suite à l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale et déclare qu’en l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles reliées à sa lésion professionnelle du 10 août 2004, la travailleuse est capable d’exercer son emploi à partir du 30 décembre 2004 et n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu. La CSST lui fait une remise de dette concernant le surpayé pour la période du 30 décembre 2004 au 21 juillet 2005, étant donné sa bonne foi.
[3] L’audience s’est tenue le 21 septembre 2006 à St-Jérôme, en présence de la travailleuse et de son représentant. Place des Aînés de Laval (l’employeur) a été dûment convoqué, mais aucun représentant n’était présent à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle conserve un déficit anatomo-physiologique de 4 % ainsi que des limitations fonctionnelles de classe 3 telles que décrites au rapport du docteur Allen Payne en date du 29 avril 2005.
MOYEN PRÉALABLE
[5] La travailleuse invoque l’irrégularité de la décision rendue par la CSST le 24 août 2005, à la suite d’une révision administrative, parce que la procédure de contestation médicale devant le Bureau d’évaluation médicale n’a pas été initiée dans un délai raisonnable.
[6] Le représentant de la travailleuse estime que la CSST devait respecter un délai raisonnable pour enclencher la procédure de contestation médicale. Bien que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) ne prévoit pas spécifiquement un tel délai, le représentant soutient qu’un délai raisonnable devrait être respecté et qu’il correspond, soit au délai de 30 jours prévu par la loi pour contester une décision de la CSST rendue à la suite d’une révision administrative, soit au délai de 45 jours prévu pour présenter une requête devant la Commission des lésions professionnelles.
[7] Il ajoute que le délai de 65 jours qui s’est écoulé entre le 12 janvier 2005, date de réception par la CSST du Rapport final du docteur Payne daté du 30 décembre 2004, et le 18 mars 2005, date où l’indemnité de remplacement du revenu a été suspendue en raison d’une absence à un premier examen médical demandé par la CSST, n’est pas raisonnable et que l’organisme a enclenché la procédure de demande d’avis au Bureau d’évaluation médicale trop tardivement. En conséquence, le représentant de la travailleuse prétend que, l’avis du Bureau d’évaluation médicale ayant été obtenu irrégulièrement, ce sont les conclusions médicales du docteur Payne qui lient la CSST et le tribunal.
L’AVIS DES MEMBRES
[8] Le membre issu des associations syndicales estime que, bien qu’il soit souhaitable que la CSST respecte les mêmes délais que ceux prévus pour que l’employeur demande un avis du Bureau d’évaluation médicale (30 jours) ou pour la contestation d’une décision devant la Commission des lésions professionnelles (45 jours), rien n’oblige la CSST à le faire. La CSST n’avait donc pas à respecter un quelconque délai pour demander un avis au Bureau d’évaluation médicale et la décision du 24 août 2005 rendue par la CSST est régulière. Le moyen préalable devrait être rejeté.
[9] Au sujet du fond du litige, le membre issu des associations syndicales est d’avis que l’événement du 10 août 2004 a pu déclencher les symptômes de discopathie dégénérative. Le syndrome douloureux chronique mentionné par le docteur Payne dans son Rapport d’évaluation médicale du 29 avril 2005 serait donc en relation avec l’événement. Il faudrait alors retenir les conclusions médicales du docteur Payne à l’effet que la travailleuse a conservé de sa lésion professionnelle un déficit anatomo-physiologique de 4 % ainsi que des limitations fonctionnelles de classe 3. La requête de la travailleuse devrait donc être accueillie.
[10] Quant au membre issu des associations d’employeurs, il rejette le moyen préalable car il est d’avis que la loi ne prévoit aucun délai pour que la CSST demande un avis du Bureau d’évaluation médicale.
[11] Par ailleurs, sur la base des rapports médicaux et des faits au dossier, et étant donné que le fardeau de preuve repose sur la travailleuse, il estime que les conclusions du membre du Bureau d’évaluation médicale sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles doivent être retenues. Ainsi, la preuve prépondérante est à l’effet que la travailleuse n’a conservé aucune atteinte permanente et aucune limitation fonctionnelle suite à sa lésion professionnelle du 10 août 2004. La requête de la travailleuse devrait donc être rejetée.
DÉCISION SUR LE MOYEN PRÉALABLE
[12] Les modalités de la procédure d’évaluation médicale sont prévues aux articles 199 à 225 de la loi. Ce sont les articles 204, 205.1 et 206 de la loi en particulier qui prévoient la possibilité pour la CSST de contester une conclusion médicale du médecin qui a charge d’un travailleur :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
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1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
[13] L’article 212 énumère les sujets médicaux qui peuvent être soumis à un médecin désigné par la CSST et à un médecin membre du Bureau d’évaluation médicale :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[14] La Commission des lésions professionnelles constate qu’aucun délai n’est prévu dans la loi pour l’obtention par la CSST du rapport décrit à l’article 204. En effet, le législateur a laissé une grande marge de manœuvre à la CSST en tant qu’administrateur du régime de santé et sécurité au travail en ne lui imposant pas de délai pour faire examiner un travailleur et en lui permettant même de demander l’avis de son médecin désigné sur un sujet qui n’a pas été abordé par le médecin d’un travailleur[2]. En ce qui concerne l’obtention du rapport décrit à l’article 204, le tribunal ne peut limiter les droits de la CSST en ajoutant un délai[3] alors que le législateur s’abstient de le faire.
[15] De plus, depuis les modifications législatives de 1992, le législateur a clairement choisi de ne plus astreindre la CSST au respect d’un délai pour soumettre au Bureau d’évaluation médicale, en vertu de l’article 206, le rapport visé par l’actuel article 204. Encore une fois, le tribunal ne peut décider du contraire.
[16] Par ailleurs, le représentant de la travailleuse invoque l’affaire St-Yves et Natrel inc.[4] où la Commission des lésions professionnelles était d’avis que, bien que depuis 1992 la CSST n’est plus astreinte au respect d’un délai quelconque pour mettre en branle la procédure d’évaluation médicale prévue aux articles 199 et suivants, elle doit toutefois respecter un délai raisonnable et agir avec diligence et cette question doit s’apprécier en tenant compte des circonstances de chaque cas.
[17] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal est d’avis que ce critère de diligence et de délai raisonnable ne devrait s’appliquer que dans des cas exceptionnels lorsque le délai est injustifiable et devient la source d’une injustice.
[18] La Commission d'appel en matière de lésions professionnelles et la Commission des lésions professionnelles ont eu l’occasion de s’exprimer sur l’obligation de la CSST d’agir avec célérité dans le processus de contestation médicale.
[19] Dans Daniel Blais[5], il a été décidé que cette obligation découle de l’utilisation des termes « sans délai » à l’article 217 de la loi. Cet article prévoit ce qui suit :
217. La Commission soumet sans délai les contestations prévues aux articles 205.1, 206 et 212.1 au Bureau d'évaluation médicale en avisant le ministre de l'objet en litige et en l'informant des noms et adresses des parties et des professionnels de la santé concernés.
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1985, c. 6, a. 217; 1992, c. 11, a. 19; 1997, c. 27, a. 6.
[20] Toujours dans l’affaire Daniel Blais, le commissaire Ranger s’exprime de la façon suivante au sujet de l’article 217 de la loi:
Même si cette disposition traduit la volonté du législateur pour que la CSST agisse avec célérité lorsqu’une contestation semblable prend naissance, il faut observer que la LATMP ne fixe explicitement aucune sanction si le délai qui y est énoncé n’est pas respecté. Dans ces circonstances, comme il s’agit d’une disposition procédurale, l’irrespect de cette règle ne devrait pas être interprété de façon à faire perdre l’exercice du droit qu’elle encadre. Conséquemment, la Commission des lésions professionnelles doit se garder d’intervenir en cette matière à moins qu’il lui soit démontré qu’elle est confrontée à un délai injustifiable qui devient la source d’une injustice 2.
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2 Provencher et CLSC Longueuil Ouest, CALP no : 04445-62-8708, monsieur le commissaire Réginald Boucher, 30 juillet 1990.
[21] Par exemple, dans l’affaire Mitchell inc. et CSST-Laval[6], il a été décidé qu’un délai de deux mois pour que la CSST transmette une contestation de l’employeur au Bureau d’évaluation médicale n’est ni déraisonnable ni injustifié. La commissaire Morin rappelait que la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles a déjà déterminé que le défaut pour la CSST de respecter son obligation d’agir avec célérité et diligence imposée par l’article 217 de la loi « n’avait pas pour effet de compromettre la légalité de la procédure initiée sauf si le délai est injustifiable et qu’il entraîne une injustice. »
[22] Ainsi, le critère de diligence et de délai raisonnable pourrait être utilisé lorsque la CSST tente de pallier son inaction en revenant sur un sujet médical qui a déjà été traité dans une décision écrite ou implicite. Il y a donc lieu de distinguer la présente affaire du cas abordé dans Montigny et Nettoyeurs Prof. de conduits d’air[7], où la CSST contestait les limitations fonctionnelles retenues par le médecin qui a charge trois mois après avoir mis en branle le processus de réadaptation, sans que rien ne vienne motiver ce délai. Devant le caractère particulier de la situation, la Commission des lésions professionnelles avait alors jugé que ce délai injustifié était devenu la source d’une injustice pour le travailleur et avait alors déclaré irrégulière la procédure d’évaluation médicale devant le Bureau d’évaluation médicale. Toutefois, dans le cas sous étude, la travailleuse n’avait pas été admise au service de réadaptation de la CSST au moment où celle-ci la convoquait à l’examen médical initialement prévu pour le 10 mars 2005 et rien dans les agissements subséquents de la CSST ne lui permettait de prévoir être admise à ce programme.
[23] En d’autres mots, à moins qu’il soit démontré que le délai est long, injustifiable et cause une injustice, la CSST n’est pas assujettie à un délai quelconque pour désigner un médecin aux fins de produire le rapport prévu à l’article 204 ou pour soumettre le dossier à un membre du Bureau d’évaluation médicale et la Commission des lésions professionnelles doit se garder d’intervenir sur la question du délai.
[24] Dans le présent cas, les notes évolutives de la CSST indiquent que celle-ci décide d’enclencher le processus prévu aux articles 204 et 206, le 2 février 2005, soit seulement 21 jours après la réception du Rapport final du docteur Payne daté du 30 décembre 2004 et reçu le 12 janvier 2005 qu’elle désire contester, et avant même de recevoir le Rapport d’évaluation médicale du 29 avril 2005 qu’elle recevra le 3 mai 2005. Si le rapport prévu à l’article 204 et fait par le docteur Jacques Étienne Des Marchais n’a été obtenu par la CSST que le 26 avril 2005, c’est parce que la travailleuse n’avait plus de service téléphonique et n’était pas allée chercher au comptoir postal le courrier certifié contenant une première convocation pour un examen médical du 10 mars 2005.
[25] Devant un tel contexte, bien que la preuve ne révèle pas la date de la première convocation à l’examen médical demandé par la CSST, le tribunal est d’avis qu’il doit se garder d’intervenir puisque le délai de deux mois qui s’est écoulé entre la réception par la CSST du Rapport final, le 12 janvier 2005, et la première désignation d’un médecin pour procéder à l’examen prévu à l’article 204 et initialement prévu pour le 10 mars 2005 est court et ne crée aucune injustice pour la travailleuse.
[26] Le tribunal conclut que la CSST était en droit d’exiger que la travailleuse se soumette à l’examen du docteur Des Marchais le 26 avril 2005. La décision de la CSST initialement rendue le 21 juillet 2005 est donc conforme à la loi et le moyen préalable soulevé par le représentant de la travailleuse est rejeté.
LES FAITS
[27] Le 10 août 2004, madame Ginette Archambault Pilon, la travailleuse, est âgée de 63 ans et occupe le poste d’aide-cuisinière chez Place des Aînés de Laval, l’employeur. À l’audience, la travailleuse déclare que, ce jour-là, elle s’est penchée afin de ranger au réfrigérateur des nouvelles caissettes de petits contenants de lait et s’est blessée au dos. Elle précise qu’elle s’est accroupie pour ranger les items sur une tablette à un pied du sol, et que son dos a alors bloqué.
[28] Le 12 août 2004, la travailleuse consulte le docteur Allen Payne qui diagnostique une entorse à l’épaule droite, une entorse cervicale et une entorse lombaire, recommande un arrêt de travail et des traitements de physiothérapie.
[29] Lors de son témoignage, la travailleuse indique que le docteur Payne est son médecin de famille depuis l’année 2000 et qu’elle le consulte annuellement pour un examen de routine.
[30] Dans une décision du 1er septembre 2004, la CSST accepte la réclamation de la travailleuse pour une lésion professionnelle survenue le 10 août 2004. Les diagnostics en relation avec cette lésion professionnelle sont une entorse lombaire, une entorse cervicale et une entorse à l’épaule droite.
[31] À la demande du docteur Payne qui note une sciatalgie droite le 28 septembre 2004, une résonance magnétique est faite le 19 octobre 2004 afin d’éliminer la possibilité d’une hernie discale. Ce test médical met en évidence une discopathie lombaire multi-étagée de L1-L2 à L5-S1, de petits complexes disco-ostéophytiques à L4-L5, ainsi qu’une légère arthrose facettaire à L5-S1.
[32] Le 11 novembre suivant, le docteur Payne estime que l’entorse cervicale est consolidée, puis, dans son Rapport final du 30 décembre 2004, il retient le diagnostic d’entorse cervico-lombaire avec syndrome de douleur chronique et consolide la lésion professionnelle.
[33] À la suite d’un examen clinique fait le 12 avril 2005, le docteur Payne complète un Rapport d’évaluation médicale le 29 avril suivant. Il estime que l’entorse cervico-lombaire est consolidée alors que le syndrome douloureux chronique ne l’est pas et suggère qu’il soit évalué. Le médecin note que la travailleuse dit éprouver de la « difficulté du point de vue des postures, de manipulation de charge » (sic). À l’examen clinique, il relève des pertes d’amplitudes de 10 degrés pour les mouvements de la colonne cervicale et pour la colonne lombaire, hormis pour la flexion et l’extension lombaire qui sont à 45 et à 10 degrés respectivement.
[34] Le docteur Payne est d’avis que les entorses subies le 10 août 2004 laisseront à la travailleuse un déficit anatomo-physiologique de 4 % pour l’entorse lombaire et l’entorse cervicale ainsi que des limitations fonctionnelles de classe 2, mais que l’élément douloureux chronique nécessite plutôt des limitations fonctionnelles de classe 3, soit :
-Être en position assise pendant une heure au plus;
-Être debout pendant 30 minutes maximum;
-Faire de la marche pendant 30 minutes au plus;
-Limite au niveau des escaliers;
-Éviter le travail penché au niveau de la colonne cervicale et/ou lombaire.
[35] À la demande de la CSST, le 26 avril 2005, le docteur Jacques Étienne Des Marchais examine la travailleuse et complète un Rapport médical. Après avoir évalué la colonne cervicale, la colonne lombo-sacrée ainsi que le mouvement des épaules, ce médecin conclut à un examen clinique normal et estime que la travailleuse ne conserve de sa lésion professionnelle aucune atteinte permanente et aucune limitation fonctionnelle. Il ajoute que, selon lui, le syndrome de lombalgie persistant est lié à une discopathie dégénérative.
[36] Toujours à la demande de la CSST, le docteur André L. Desjardins, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, examine la travailleuse, le 12 juillet 2005, et rend son avis motivé, le 15 juillet 2005. Il estime que son examen et celui du docteur Des Marchais sont superposables et que la colonne cervicale est strictement normale. Il note une légère perte de 5 degrés à la rotation cervicale. Il qualifie de « très discrète » la limitation de flexion du tronc : la flexion est évaluée à 80 degrés plutôt que la flexion normale à 90 degrés constatée par le docteur Des Marchais. Toutefois, il est d’avis que cette limitation est normale compte tenu de l’âge de la travailleuse et des conditions personnelles dégénératives révélées par la résonance magnétique lombaire. Il conclut à l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles à la suite de la lésion professionnelle du 10 août 2004.
[37] À l’audience, la travailleuse déclare qu’avant l’événement du 10 août 2004, elle ne prenait pas d’anti-inflammatoires et effectuait son travail et ses activités quotidiennes sans problème. Actuellement, elle continue à prendre des anti-inflammatoires, est restreinte dans ses mouvements et éprouve des difficultés pour les mouvements de flexion du tronc. Par exemple, elle ne peut plus faire son ménage pendant plus de 60 ou 90 minutes et des douleurs au cou irradiant jusqu’aux épaules apparaissent lorsqu’elle soulève des charges. De même, son mal de dos l’empêche de marcher plus de 15 à 20 minutes consécutives.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[38] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si la travailleuse a conservé une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[39] Devant une travailleuse âgée de 63 ans au moment de l’événement et qui présente des signes de dégénérescence à tous les niveaux de la colonne lombaire, le tribunal estime important de souligner qu’il convient d’être prudent dans la détermination des séquelles d’une lésion professionnelle afin de ne pas inclure des séquelles non reliées à cette lésion.
[40] Le représentant de la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de retenir les conclusions du docteur Payne.
[41] Il allègue que les disparités lors des examens cliniques des docteurs Payne, Des Marchais et Desjardins s’expliquent par la médication que prenait la travailleuse, particulièrement lors de l’évaluation du docteur Des Marchais alors qu’elle prenait des anti-inflammatoires trois fois par jour.
[42] Le tribunal remarque que la travailleuse prenait également de la médication lors de l’évaluation du docteur Desjardins qui a pourtant trouvé de légères limitations de mouvements alors que le docteur Des Marchais concluait à un examen clinique normal. Nous ne pouvons retenir les prétentions de la travailleuse en ce qui concerne l’effet de la médication ou de son dosage sur la capacité à effectuer les mouvements évalués par les différents médecins, puisque la travailleuse ne présente pas de preuve médicale à l’appui de cette prétention.
[43] De plus, le tribunal constate qu’aucune preuve médicale n’est présentée pour expliquer les constatations fortement discordantes faites par le docteur Payne d’une part, et par les docteurs Des Marchais et Desjardins d’autre part, et ceci, particulièrement lorsque les évaluations des docteurs Payne et Des Marchais ont été faites seulement à deux semaines d’intervalle.
[44] Le tribunal considère que les conclusions médicales sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles faites par le docteur Payne ne peuvent être retenues pour les raisons que nous exposerons maintenant.
[45] En effet, bien que le représentant de la travailleuse prétende que le docteur Payne soit le seul médecin à tenir compte du syndrome douloureux chronique qui serait inclus dans la lésion professionnelle du 10 août 2004, le tribunal signale que le diagnostic de syndrome douloureux chronique n’a pas été accepté par la CSST. Seuls ceux d’entorses lombaire, cervicale et à l’épaule droite l’ont été. Par conséquent, les atteintes et limitations découlant de ce syndrome ne doivent pas être prises en compte dans la détermination de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles reliées à la lésion professionnelle du 10 août 2004. Or, les séquelles décrites par le docteur Payne ont été évaluées en fonction d’un syndrome douloureux chronique qui, de surcroît, n’était pas encore consolidé en date de l’examen clinique du 12 avril 2005. Pour ces motifs, nous ne pouvons retenir les conclusions médicales du docteur Payne relatives à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle du 10 août 2004.
[46] Par ailleurs, le représentant de la travailleuse soutient que les limitations fonctionnelles identifiées par le docteur Payne correspondent également à celles décrites lors du témoignage de la travailleuse. Dans les décisions déposées par le représentant[8], la Commission des lésions professionnelles a considéré qu’une douleur subjective peut être objectivée indirectement dans certaines circonstances. Si une douleur est toujours au même endroit, est observée par plusieurs médecins et correspond aux restrictions décrites lors du témoignage d’un travailleur, cela permet de conclure qu’une entorse lombaire a laissé des séquelles fonctionnelles objectivées. En d’autres mots, selon les circonstances, la persistance d’un tableau douloureux peut justifier la reconnaissance d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles.
[47] Dans le contexte de la présente affaire, la prétention du représentant de la travailleuse revient à demander au tribunal de reconnaître des limitations fonctionnelles à la travailleuse uniquement sur la foi de son témoignage, ce qui ne peut être fait. Sur ce point, le tribunal signale que la situation de madame Archambault Pilon est bien différente de celles prévalant dans les affaires citées par son représentant.
[48] Même si la travailleuse décrit à l’audience les gestes qui font apparaître ses douleurs et se déclare maintenant restreinte dans ses activités personnelles, ses allégations ne sont toutefois pas corroborées par tous les médecins l’ayant examinée. Ainsi, le docteur Payne note une importante perte d’amplitude au niveau cervical et lombaire, alors que le docteur Des Marchais conclut à un examen normal, et le docteur Desjardins trouve de légères pertes d’amplitude dans certains mouvements cervicaux et lombaires, ce qu’il estime normal compte tenu de l’âge et des conditions dégénératives lombaires de la travailleuse. Le tribunal retient d’ailleurs cette explication fournie par le docteur Desjardins.
[49] Devant la discordance entre la description des restrictions de mouvements fournie par la travailleuse à l’audience et les observations des docteurs Des Marchais et Desjardins, une preuve médicale aurait dû être produite par la travailleuse. En effet, le tribunal ne peut se baser uniquement sur le témoignage de la travailleuse pour reconnaître une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. En d’autres mots, le témoignage de la travailleuse ne peut ni pallier à l’absence de preuve médicale ni en tenir lieu.
[50] De l’ensemble de la preuve, le tribunal se doit d’écarter les conclusions médicales du docteur Payne pour retenir l’avis motivé de l’orthopédiste du Bureau d’évaluation médicale, et les conclusions de l’expertise du docteur Desjardins, y compris ses explications sur les légères pertes d’amplitude et l’âge de la travailleuse.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par madame Ginette Archambault Pilon (la travailleuse);
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 24 août 2005, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas conservé d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles suite à sa lésion professionnelle du 10 août 2004.
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Daphné Armand |
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Monsieur Jean-Pierre Devost |
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Jean-Pierre Devost, Cabinet-Conseil |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Voir Larue et C-Mac Network System, [2004] C.L.P. 1634 et Carrelages Centre du Québec et Thibodeau, 230800-04-0403, 28 janvier 2005, J.-F. Clément.
[3] Machand et Habitations Le Domaine enr., 64802-60-9412, 1er août 1996, M. Cuddihy : la CSST peut en tout temps exiger d’un travailleur qu’il se soumette à un examen par le médecin qu’elle désigne, puis soumettre son rapport au Bureau d’évaluation médicale.
[4] [1996] C.A.L.P, 1278
[5] 114971-05-9903, le 9 septembre 1999, F. Ranger
[6] 128440-61-9912, 21 juillet 2000, G. Morin
[7] 225935-71-0401, 29 mars 2005, R. Langlois, (05LP-8)
[8] Meunier et Construction Belgamme, 224362-62C-0401, 8 décembre 2004, C. Demers; Desharnais et Concept Cadi inc., 236162-62-0406, 11 février 2005, L. Couture.
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