Décision

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Commission municipale du Québec

 

 

 

 

Date : Le 26 février 2024

 

 

Dossier : CMQ-70263-001   (33565-24)

 

 

Juge administrative : Mélanie Robert

 

 

 

 

 

Oasis pour adultes handicapés de Lévis

 

Demanderesse

 

et

 

Ville de Lévis

 

Mise en cause

 

 

 

 

 

 

DEMANDE DE RECONNAISSANCE AUX FINS

D’EXEMPTION DES TAXES FONCIÈRES

 

 

 

D écision

LA DEMANDE

[1]               La Commission municipale du Québec reçoit de la demanderesse Oasis pour adultes handicapés de Lévis (Oasis) une demande afin que lui soit accordée une reconnaissance aux fins d’exemption des taxes foncières à l’égard de l’immeuble situé au 4010, rue Saint-Georges, sur le territoire de la Ville de Lévis (l’immeuble).

[2]               Cette demande est formulée en vertu des articles 243.1 et suivants de la Loi sur la fiscalité municipale[1] (la Loi) qui prévoient les conditions d’admissibilité à une reconnaissance.

[3]               Le 22 janvier 2024, la Ville de Lévis (la Ville) informe la Commission qu’elle est favorable à la demande[2].

[4]               Le 7 février 2024, la Commission tient une audience. Elle entend alors le témoignage de monsieur Denis Beaumont, membre fondateur et administrateur d’Oasis. Cette audience permet à Oasis, par le témoignage de monsieur Beaumont, de répondre aux questions de la Commission et de compléter la preuve documentaire au dossier.
La Ville n’est pas présente à l’audience.

[5]               À L’issue de cette audience, la Commission est en mesure de rendre une décision dans le présent dossier.

ANALYSE

[6]               Pour accorder la reconnaissance, la Commission doit s’assurer qu’Oasis est une personne morale à but non lucratif et que l’immeuble est inscrit à son nom au rôle d’évaluation foncière de la Ville. Elle doit aussi s’assurer que les activités exercées dans l’immeuble sont admissibles, qu’elles y sont exercées dans un but non lucratif et qu’elles constituent l’utilisation principale de l’immeuble.


Les conditions générales

[7]               Oasis est un organisme à but non lucratif constitué le 19 avril 2011 par lettres patentes délivrées en vertu de la Partie III de la Loi sur les compagnies[3].

[8]               Le 20 septembre 2018, la Oasis devient propriétaire de l’immeuble[4] et à partir du 1er juillet 2019, elle accueille ses premiers résidents.[5]

[9]               Inscrite au rôle d’évaluation foncière[6], elle a donc la qualité requise pour demander la reconnaissance.

[10]           L’immeuble est composé d’un terrain sur lequel se trouve un bâtiment résidentiel de 2 étages :

  • Au rez-de-chaussée se trouvent principalement le vestibule, le hall d’entrée, le bureau administratif, les aires communes (la cuisine, la salle à manger, une salle polyvalente et une salle communautaire) ainsi qu’un studio aménagé à la demande du Centre intégré de santé et de services sociaux de Chaudière-Appalaches (le CISSS). Le résident de ce studio n’a aucun lien contractuel avec Oasis qui ne lui apporte que du soutien occasionnel.[7]
  • Le premier étage abrite les quatorze chambres, trois salles de bain, dont deux adaptées, ainsi qu’un salon d’étage.[8]

[11]           Oasis est la seule utilisatrice de l’immeuble ci-devant décrit.

[12]           Les états financiers au 30 juin 2023 établissent qu’elle exerce ses activités dans un but non lucratif. Ses produits proviennent principalement de subventions, de loyers et de revenus de pension. Ses charges quant à elles sont composées de frais d’exploitation et d’administration. Aucun avantage ou gain pécuniaires n’est généré en faveur de ses membres. En cas de bénéfices, ceux-ci seraient affectés à la diminution de la marge de crédit.[9]


Les activités exercées

[13]           Dans son rapport annuel d’activités, Oasis décrit sa mission comme suit : « créer un milieu de vie et d’hébergement permanent pour personnes adultes handicapées intellectuellement, avec ou sans handicap physique, et qui soit fidèle aux habitudes de vie du milieu familial. ».[10]

[14]           Cette description est également reprise dans le formulaire de demande de reconnaissance déposé par Oasis : « L’Oasis pour adultes handicapés de Lévis est un milieu d’hébergement temps plein pour 14 adultes handicapés intellectuels semi à non-autonomes, tous sur la sécurité du revenu et disposant de faibles moyens financiers pour se permettre une saine qualité de vie physique et mentale. Issu du profond désir de 14 parents (dont la moyenne d’âge est plus de 70 ans) de créer un milieu de vie stable fidèle aux habitudes de vie familiale. ».[11]

[15]           Cette qualification de la nature de l’hébergement est importante en raison de l’article 243.7 de la Loi qui stipule qu’un immeuble ne peut être visé par une reconnaissance si son utilisation principale consiste dans l’hébergement autre que transitoire. Ainsi, pour bénéficier d’une exemption, Oasis doit donc offrir de l’hébergement de nature transitoire.

[16]           La Cour supérieure, dans l’affaire Corporation de la ressource intermédiaire d’hébergement de la MRC d’Asbestos c. Commission municipale du Québec[12] a eu l’occasion de préciser que le caractère « transitoire » n’est pas rattaché à une durée spécifique, mais à une intention liée à l’hébergement « de façon à ce que l’on considère une situation transitoire par opposition à un hébergement permanent. ».

[17]           Cette intention doit donc être recherchée et évaluée par la Commission. La nature transitoire de l’hébergement peut être manifeste des activités exercées par l’organisme, c’est le cas notamment de l’hébergement des personnes en situation d’itinérance qui sont accueillis par temps froid. Parfois, cette intention est moins évidente, plus implicite et cela survient, entre autres, lorsque les personnes hébergées ont besoin de soins et d’assistance sur une plus longue période. C’est le cas ici.

[18]           Dans de telles situations, la Commission doit examiner la preuve pour cerner l’intention de l’organisme quant à l’hébergement effectué. Le caractère transitoire de cet hébergement peut, entre autres, apparaître lorsque des services personnels spécialisés sont disponibles et dispensés aux bénéficiaires favorisant la transition de ces derniers vers un autre type d’hébergement, la réintégration de leur milieu familial ou encore leur réinsertion sociale. Pour conclure à la nature transitoire de l’hébergement, la preuve doit alors démontrer que ces soins sont ainsi offerts pour permettre des gains ou des avancées au niveau de l’autonomie des résidents et participent à cet objectif de transition, de réintégration ou de réinsertion.

[19]           Après analyse de la preuve soumise et à la lumière du témoignage rendu par monsieur Beaumont, la Commission est d’avis que l’intention d’Oasis est de faire de son milieu de vie, une résidence permanente pour ses utilisateurs.

[20]           Dans son témoignage, monsieur Beaumont explique qu’Oasis offre aux 14 résidents de l’Oasis un milieu de vie stable et permanent de type familial, c’est-à-dire une alternative à leur famille naturelle.

[21]           Se démarquant des résidences de type institutionnel, Oasis est novatrice en ce qu’elle permet aux parents vieillissants[13] d’accepter que leurs enfants quittent le nid familial tout en offrant à ces parents la possibilité d’intervenir au sein de l’organisme à titre de bénévoles et, ainsi, maintenir les liens affectifs les unissant à leurs enfants.[14]

[22]           Les 14 bénéficiaires de l’Oasis sont handicapés intellectuellement, sont semi ou non autonomes et requièrent une aide au quotidien, que ce soit au niveau de leurs soins ou de leurs activités régulières.[15]

[23]           Une douzaine d’employés s’affairent à dispenser les services offerts par Oasis. Un guide explicatif de ces services vient compléter le bail qui est signé entre Oasis et ses locataires.[16] Après une introduction où il rappelle que « la résidence Oasis a été créé afin d’offrir un milieu de vie permanent à des adultes ayant une déficience intellectuelle, avec ou sans handicap physique », ce guide énumère la gamme des services offerts : outre l’hébergement, des services de loisirs en fonction des intérêts des locataires, des services alimentaires, des services d’assistance personnelle (soins à la personne), d’aide-domestique (entretien ménager), d’accompagnement (notamment lors de rendez-vous) et de transport adapté sont disponibles.

[24]           L’accompagnement du CISSS auprès d’Oasis se fait de façon ponctuelle[17] et selon les besoins[18]. Quant à l’infirmière du Centre local de services communautaires (le CLSC) dédiée à l’organisme, elle se déplace pour l’administration de vaccins et de certains médicaments auprès de quelques résidents.[19]


[25]           La Commission ne voit pas, ni dans la description des tâches du personnel de l’Oasis ni dans les services offerts par le CISSS et le CLSC, de soins ou de services spécialisés visant l’amélioration des conditions ou de l’état des résidents pour une relocalisation ou un déplacement éventuel. Ceux-ci ne sont pas que de passage à l’Oasis et il ne s’agit pas d’une étape transitoire à une autre.[20]

[26]           Au contraire, il ressort de la preuve que tout est mis en place chez Oasis pour offrir aux résidents une ressource d’hébergement fidèles aux habitudes de vie issues de leur milieu familial, et ce, afin qu’ils s’y « établissent ».[21] Temps et énergie y sont par ailleurs investis pour que les 14 bénéficiaires développent un véritable sentiment d’appartenance à leur nouvelle résidence.

[27]           S’il est vrai qu’Oasis a instauré un milieu de vie qui permet à ses locataires de se déployer et, souvent, de gagner en autonomie[22], l’objectif poursuivi n’est pas de les faire progresser et cheminer vers une résidence mieux adaptée. Aucun processus ni protocole n’est établi en ce sens non plus.

[28]           De l’avis de la Commission, la volonté bien exprimée par Oasis est de faire de son milieu de vie une résidence fixe, stable et permanente, un réel « chez soi » pour ses résidents.

[29]           En terminant, elle tient à apporter les distinctions suivantes eu égard à ces autres affaires où de l’hébergement était effectué et qu’une reconnaissance fut accordée :

  • Services résidentiels Kaël et Ville de Dollard-des-Ormeaux[23]. Après avoir constaté de la preuve que les activités exercées dans l’immeuble traduisaient une volonté de modifier l’état des usagers présentant différents troubles, notamment une déficience intellectuelle, la Commission a conclu que l’hébergement était de nature transitoire.
  • Corporation Route d'enfants et Sherbrooke (Ville de)[24]. Dans cette affaire, la demanderesse proposait une gamme de services de soutien (tel des programmes d’employabilité et de participation sociale) à des personnes souffrant de problèmes de santé mentale, de traumatismes crâniens, toxicomanes, itinérantes ou présentant des contraintes à l’emploi. À noter que l’hébergement permanent offert aux personnes souffrant de limitations fonctionnelles ou intellectuelles avait été exclu de la demande.


  • Fondation de la déficience intellectuelle et des troubles du spectre de l'autisme de Montréal (Fondation DI-TSA de Montréal) et Ville de Montréal[25]. Les résidents qui bénéficiaient de l’hébergement étaient inscrits au programme DI-TSA du CIUSSS du Centre-Sud-de-l‘Île-de-Montréal, programme ciblant le développement des habiletés sociales des adolescent(e)s de 12 à 17 ans présentant une déficience intellectuelle légère ou moyenne. Leur séjour se terminant à l’âge de 17 ans, la Commission a conclu à de l’hébergement temporaire.
  • Fondation DI-TSA de Montréal et Ville de Montréal[26]. Dans ce dossier, les usagers étaient également inscrits à un programme du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal qui impliquait un encadrement et une supervision du personnel du CIUSSS présent sur les lieux 24 heures par jour. Puisque la preuve avait démontré que ce suivi professionnel amenait éventuellement les personnes ainsi hébergées à bénéficier d’un type d’hébergement plus adapté à leur réalité « et ce, dans le but ultime de se prendre en charge et vivre en société », la Commission a estimé que les exigences de l’article 243.7 de la Loi étaient respectées.
  • Maison Joseph Vincent et Montréal (Ville)[27]. La demanderesse gérait une maison d’hébergement pour des personnes de 50 ans et plus en situation ou à risque d’itinérance. Visant la réinsertion sociale de ses résidents, lesquels étaient redirigés vers une autre résidence mieux adaptée en cas de changement, la Commission a qualifié de transitoire l’hébergement ainsi effectué.
  • Centre Marc Vanier inc. et Ville de Beaconsfield[28]. Dans cette affaire, des travailleurs sociaux et éducateurs spécialisés assuraient un suivi régulier des plans de services individualisés des résidents vivant avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme. La preuve avait démontré que l’hébergement, les soins et les services offerts par le CIUSSS de l’Ouest-de-l ’Ile-de-Montréal visaient à améliorer l’état des personnes hébergées, redirigées vers d’autres ressources plus adaptées en cas de changement. Rappelant ce passage de la décision Centre Signes d’espoir et Québec (Ville de)[29], « le critère applicable quant à la nature transitoire de l’hébergement n’est pas la réussite, mais l’objectif poursuivi et les moyens utilisés pour y arriver, en tenant compte du type de clientèle », la Commission a confirmé la reconnaissance à l’égard des immeubles utilisés par le CIUSSS.


[30]           Considérant la preuve administrée et l’état de la jurisprudence sur la question, la Commission conclut donc que les exigences prévues à la Loi, plus particulièrement à son article 243.7, ne sont pas rencontrées dans le présent dossier.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION MUNICIPALE DU QUÉBEC :

        REJETTE la demande de reconnaissance d’exemption des taxes foncières à Oasis pour adultes handicapés de Lévis pour l’immeuble situé au 4010, rue
Saint-Georges, sur le territoire de la Ville de Lévis, pour l’utilisation qu’elle en fait.

 

 

 

 

Mélanie Robert

Juge administrative

 

MR/md

 

Audience tenue à Québec, le 7 février 2024, par visioconférence Zoom.

 

 

La version numérique de
ce document constitue l’original de la Commission municipale du Québec

 

 

Secrétaire

Président

 


[1] RLRQ, chapitre F-2.1.

[2] Résolution CV-2024-00-10 du 22 janvier 2024.

[3] RLRQ, chapitre C-38. Lettres patentes du 19 avril 2011.

[4] Acte de cession notarié daté du 20 septembre 2018.

[5] Témoignage de monsieur Beaumont.

[6] Compte de taxes de 2023.

[7] Témoignage de monsieur Beaumont.

[8] Plans de l’immeuble. Témoignage de monsieur Beaumont.

[9] États financiers en date du 30 juin 2023. Témoignage de monsieur Beaumont.

[10]  Rapport annuel d’activités 2022-2023.

[11]  Formulaire de demande de reconnaissance à des fins d’exemption de taxes foncières (Formulaire).

[12]  2017 QCCS 5400.

[13]  Dont la moyenne d’âge se situe entre 70 et 85 ans selon le témoignage de monsieur Beaumont.

[14]  Témoignage de monsieur Beaumont.

[15]  Formulaire. Témoignage de monsieur Beaumont.

[16]  Guide des services. Témoignage de monsieur Beaumont. Voir également les Plans de travail (quart de jour, de soir et de nuit).

[17]  Monsieur Beaumont donne l’exemple d’une visite de conformité/de qualité. La Commission comprend que monsieur Beaumont fait alors référence à l’article 6.3 de l’Entente de services signée avec le CISSS.

[18]  Voir l’article 6.1 de l’Entente de services signée entre Oasis et le CISSS.

[19]  Témoignage de monsieur Beaumont.

[20]  Ville de Brownsburg-Chatham c. Commission municipale du Québec, 2019 QCCS 4887 (CanLII).

[21]  Voir Habitats Causapscal inc. et Ville de Causapscal, 2021 CanLII 110129 (QC CMNQ).

[22]  Témoignage de monsieur Beaumont.

[23]  2021 CanLII 42311 (QC CMNQ).

[24]  2016 CanLII 65833 (QC CMNQ).

[25]  2023 CanLII 113171 (QC CMNQ).

[26]  2021 CanLII 135545 (QC CMNQ).

[27]  2015 CanLII 82486 (QC CMNQ).

[28]  2023 CanLII 101604 (QC CMNQ).

[29]  2016 CanLII 15490.

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