Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301) c. Ville de Montréal

2021 QCTAT 2147

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

1035776-71-1909

(CM-2019-5251)

Dossier accréditation :

AM-1005-2091

 

 

Montréal,

le 4 mai 2021

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Benoit Aubertin

______________________________________________________________________

 

 

 

Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301)

Partie demanderesse         

 

 

 

c.

 

 

 

Ville de Montréal

 

Partie défenderesse

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

L’APERÇU

 

[1]           Le 27 septembre 2019, le Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301) (le syndicat) dépose contre la Ville de Montréal (l’employeur) une plainte en vertu de l’article 12 du Code du travail[1] (le Code). Il prétend que l’employeur cherche à entraver, à contrôler et à s’ingérer dans ses activités syndicales, en plus d’intimider ses membres.

[2]           Les faits reprochés se sont déroulés lors de trois rencontres entre des représentants de l’employeur et du syndicat. Le Tribunal doit donc déterminer si l’employeur a contrevenu à l’article 12 du Code et a entravé les activités du syndicat à ces occasions.

[3]           Comme il appert des paragraphes qui suivent, la plainte est accueillie.

CONTEXTE

[4]           Le syndicat plaide que l’employeur a entravé ses activités lors de trois rencontres, survenues les 28 août, 10 septembre et 26 septembre 2019.

LA RENCONTRE DU 28 AOÛT 2019

[5]           Le syndicat représente les cols bleus affectés aux travaux de voirie de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal.

[6]           La structure du syndicat comprend un poste de délégué social, qui n’est pas élu et qui n’est pas prévu à la convention collective intervenue avec l’employeur. Son rôle consiste à écouter les syndiqués qui en ressentent le besoin. Il exerce ses fonctions durant son quart de travail, mais à des heures variables, en fonction de l’urgence de la situation et de ses responsabilités vis-à-vis son travail.

[7]           Le 28 août 2019, le délégué social et une déléguée syndicale sont convoqués à une rencontre où sont présents leur cheffe de division, leur chef de section ainsi que deux contremaîtres. À leur arrivée, la cheffe de division leur remet un ordre du jour ainsi qu’un exemplaire du code de conduite adopté par l’employeur. L’ordre du jour indique les attentes de l’employeur envers les délégués syndicaux et sociaux. À l’audience, la cheffe de division explique qu’elle leur remet le code de conduite puisque certains salariés syndiqués y contreviennent. Elle pense que les représentants syndicaux exercent une certaine influence auprès de ceux-ci et elle requiert leur assistance afin d’assurer le respect du code de conduite par tous.

[8]           L’employeur explique les raisons à l’origine de la rencontre et les sujets abordés. Premièrement, en début de quart de travail, des délégués syndicaux remettent en question les décisions prises par les contremaîtres quant à l’affectation des tâches aux syndiqués. Par exemple, il est fréquent que des délégués demandent qu’une tâche soit effectuée par un salarié, alors que le contremaître l’avait déjà assignée à une autre personne. Le contremaître explique que cela crée des retards dans l’exécution du travail et mine sa crédibilité face à l’ensemble des salariés. Selon l’employeur, ces discussions devraient avoir lieu en privé.

[9]           Ensuite, l’employeur demande aux délégués de ne pas suggérer des méthodes de travail autres que celles imposées par l’employeur lorsque des salariés sont déjà à l’œuvre. Selon lui, de telles suggestions doivent être faites à un autre moment.

[10]        L’employeur informe également les délégués qu’il remettra maintenant des avis disciplinaires hors leur présence, contrairement à la pratique passée. La cheffe de division explique qu’elle désire fonctionner de cette manière puisqu’il s’agit de la méthode qu’elle utilisait à son ancien travail.

[11]        L’employeur ajoute que certains délégués syndicaux se mêlent de discussions entre des salariés et des représentants de l’employeur, alors que ces discussions ne concernent pas une mesure disciplinaire, mais plutôt un simple échange d’informations. L’employeur explique qu’en agissant ainsi, les délégués syndicaux font « déraper » les discussions et minent la crédibilité de l’employeur auprès des salariés. Il reconnaît par contre que ce sont ces derniers qui réclament la présence d’un délégué syndical à ces occasions.

[12]        L’employeur demande également aux délégués de l’aviser au moins 24 heures à l’avance des demandes de libération syndicale, afin de pouvoir les remplacer. En cas d’urgence, les délégués pourront quitter après en avoir avisé leur supérieur.

[13]        À l’égard de la déléguée syndicale présente à cette rencontre, l’employeur mentionne qu’elle traite les membres de la direction d’incompétents et de peureux, faisant en sorte que les représentants de l’employeur doivent souvent lui demander de changer de ton.

[14]        L’employeur affirme également que le délégué social discute fréquemment avec des syndiqués, sans avoir demandé une libération auprès de son supérieur. De plus, il se mêle de questions opérationnelles et de relations de travail, alors que l’employeur considère que ce n’est pas son rôle, n’étant pas délégué syndical. L’employeur lui demande alors d’effectuer ses tâches de délégué social à l’extérieur des heures de travail.

[15]        Finalement, l’employeur désire être informé, au moins 48 heures à l’avance, de tous les sujets dont le syndicat désirera discuter lors des comités de relations de travail. Il justifie sa décision par sa volonté de définir les sujets de discussion à l’avance et non de façon spontanée. Auparavant, certains sujets étaient spontanément discutés.

 

[16]        La cheffe de division prépare un compte-rendu de cette rencontre, lequel porte en en-tête la mention « CLARIFIER LES ATTENTES ET LES RÔLES ET RESPONSABILITÉS DES DÉLÉGUÉS ». Les extraits pertinents se lisent comme suit :

1. Définition de la gestion des employés :

 

La Direction de la voirie a clarifié auprès des délégués que leur présence ne sera plus acceptée lorsque les gestionnaires font des rencontres de types :


- Statutaire;

- Prestation de service;

- Gestion du temps;

- Gestion des priorités;

- Rencontre d’équipe.

 

2. Rôle et responsabilités du délégué social :


La Direction de la voirie a expliqué que le rôle du délégué social est à titre bénévole et qu’il doit être exercé en dehors des heures de travail, soit :


- Avant d’avoir commencé son quart de travail;

- Sur la pause du diner;

- Après avoir terminé son quart de travail.

 

3. Rôle et responsabilités du délégué syndical :


La Direction de la voirie a clarifié les attentes de l’équipe de gestion face au délégué syndical.


-           Dorénavant, pour toutes les types interventions ou rencontres, une demande de               libération doit être faite au minimum 24 heures à l’avance auprès du répartiteur par        courriel;

-           Dans le cas d’une urgence, avant de quitter son lieu de travail ou de répondre à une demande téléphonique, l’autorisation du gestionnaire immédiat est requise;

-           Le délégué ne doit pas interférer dans la gestion des employés par les gestionnaires;

-           En ce qui a trait à la gestion disciplinaire, le rôle du délégué commence après la remise de l’avis;

-           Le respect de la hiérarchie est de mise pour tous les dossiers à traiter (En ordre : employés, contremaîtres, chefs de section, chefs de division);

-           Pour les rencontres CRT, nous vous demandons de fournir vos points à ajouter à l’ordre du jour au minimum 48 heures avant les rencontres, et cela s’applique aussi du côté Ville.

 

4. Code de conduite des employés de la Ville de Montréal :


La Direction de la voirie a rappelé et a relu aux délégués la page 24 du code de conduite. Elle a insisté sur les définitions de :


- Agir avec intégrité;

- Agir avec loyauté;

- Agir avec respect.

Elle a rappelé aux délégués qu’en tant que représentants ils se devaient de prêcher par l’exemple.


Aucune forme d’harcèlement ni de menace ne sera toléré.

 

            [Nos soulignements]

[17]        Le compte-rendu se termine avec la mention suivante :

Le présent compte rendu, à la date ci-haut mentionnée, sera considéré comme approuvé sans réserve si aucune remarque n’est formulée, lors de la réunion suivante ou par écrit dans un délai de sept (7) jours de calendrier après sa réception par les participants.

 

 

[18]        Le délégué social perçoit que la rencontre est « à sens unique ». Il demande que des sujets soient ajoutés à l’ordre du jour, ce que l’employeur refuse. Il qualifie le climat de « lourd » et comprend que l’employeur désire faire en sorte que les fonctions des délégués ne soient plus exercées sur les lieux de travail.

LA RENCONTRE DU 12 SEPTEMBRE 2019

[19]        À la suite de la rencontre du 28 août, l’employeur convoque deux délégués syndicaux à une nouvelle rencontre, le 12 septembre 2019. Ces derniers contactent leurs deux directeurs syndicaux, lesquels sont libérés à temps plein, afin qu’ils soient présents.

[20]        À l’arrivée de ces derniers, l’employeur est surpris. Il explique ne pas avoir invité les directeurs syndicaux puisque la rencontre ne constitue pas un comité de relations de travail formel.

[21]        L’employeur débute par la lecture du compte-rendu de la rencontre du 28 août. Il explique ce qu’il identifie comme étant des « irritants » et mentionne vouloir les régler.

[22]        À l’audience, un directeur syndical explique que le déroulement de cette rencontre l’a rendu furieux. Premièrement, il apprend à ce moment qu’une rencontre a été tenue précédemment, le 28 août, sans qu’il en soit informé et alors que l’employeur cherche à encadrer l’exercice du rôle des délégués syndicaux et sociaux. Pour lui, l’employeur n’a pas respecté la hiérarchie syndicale.

[23]        La rencontre du 12 septembre est décrite comme étant « très tendue », même « toxique ». Les directeurs et délégués syndicaux, comme les représentants de l’employeur, haussent le ton. Les représentants syndicaux insultent même la cheffe de division.

[24]        Cette dernière propose de permettre aux délégués de remplir leurs fonctions durant les 30 premières minutes de leur quart de travail. Les directeurs et délégués répondent qu’elle ne peut s’immiscer dans la gestion de leurs activités syndicales.

[25]        La rencontre prend fin rapidement. La cheffe de division prépare à nouveau un compte-rendu de la rencontre, dont les passages pertinents se lisent comme suit :

Introduction par [la cheffe de division] pour expliquer le but de la rencontre. Elle propose de lire le compte-rendu de la rencontre du 28 août 2019.

 

[…]

 

L’équipe syndicale a décidé de se consulter à l’extérieur de la salle suite à la lecture du
compte-rendu.


Considérant l’intensité des échanges, il a été convenu de reporter la discussion.


Il a aussi été convenu, que les gestionnaires Ville respecteront les mêmes conditions pour  les demandes d’interventions des délégués syndicaux.

 

 

[26]        Le compte-rendu du 12 septembre se termine par la même mention que celui de la rencontre du 28 août[2].

[27]        Un des directeurs syndicaux remarque pour la première fois la présence d’une telle mention dans un compte-rendu préparé par l’employeur. Cela le rend nerveux puisqu’il constate que le même paragraphe apparaît dans le compte-rendu de la rencontre du 28 août, à laquelle il n’a pas été invité.

LA RENCONTRE DU 26 SEPTEMBRE 2019

[28]        Le 18 septembre, le syndicat transmet à l’employeur un courriel dans lequel il dénonce le contenu des comptes-rendus des rencontres des 28 août et 12 septembre et le déroulement de celles-ci. Il attire également son attention sur le dernier alinéa de l’article 21.01 de la convention collective, qui se lit comme suit :

Les délégués ont le pouvoir de discuter, régler ou tenter de régler, au nom de
l'employé, d'un ex-employé ou d'un ayant droit, tout grief, désaccord ou différend
intervenant entre ce dernier et la Ville ou un représentant de la Ville. Les
rencontres avec les représentants de la Ville ont lieu durant les heures de travail, sans préjudice aux droits des parties.

 

 

[29]        L’employeur répond qu’il est ouvert à discuter de la situation lors du comité de relation de travail prévu le 26 septembre suivant.

[30]        Le syndicat décrit à l’audience que lors de cette rencontre, l’employeur est alors « en mode solution »; il souhaite « effacer le passé » et dit qu’il y a mésentente sur ses intentions. L’employeur prépare à nouveau un compte-rendu de cette rencontre, dont les passages pertinents se lisent comme suit :

Introduction par [le directeur des travaux publics] et [le chef de division des ressources humaines] pour expliquer le but de la rencontre. L'employeur affirme que ce n'est pas son intention de dire aux délégués syndicaux comment ils doivent accomplir leur travail syndical ou d'empêcher les communications ou les tentatives de règlements des litiges entre les parties.

Le but de l'employeur n'est pas de cesser toute discussion, car il est d'accord avec le syndicat que les discussions sont à la base des relations de travail. Par contre, nous voulons rendre les communications efficaces et efficientes, tout en assurant le bon déroulement des opérations des travaux publics.

1. Retour sur le compte rendu du 28 août et 12 septembre 2019 et les attentes envers les délégués syndicaux:

Ce qui a été écrit ne reflète pas nécessairement les intentions de l'employeur et le tout a été peut-être mal expliqué. C'est pour cette raison-là que l’on refait une rencontre sur les attentes. Le but étant de clarifier les attentes face aux délégués, leur éviter des surprises face à nos mécanismes d'échanges, d'optimiser les canaux de communication et d'éviter les débats sur les lieux de travail. Le tout sans préjudice quant aux droits des parties;

Le présent compte rendu va remplacer et annuler les documents précédents du 28 août et du 12 septembre;

Les attentes envers les délégués syndicaux :

1- Gestion des employés :

 

L'équipe de gestion des travaux publics a clarifié auprès des délégués que leur présence ne sera plus acceptée automatiquement lorsque les gestionnaires font des rencontres de types :

·       Statutaire;

·       Prestation de service;

·       Gestion du temps;

·       Gestion des priorités;

·       Rencontre d’équipe.

Une autorisation au préalable est requise pour que le délégué syndical assiste à ces types de rencontres.

 

2- Rôle et responsabilités du délégué social :

L'équipe de gestion des travaux publics a expliqué que le rôle du délégué social est à titre bénévole et qu'il doit être exercé en dehors des heures de travail, soit :

·       Avant d'avoir commencé son quart de travail;

·       Sur la pause du diner:

·       Après avoir terminé son quart de travail.

En cas de détresse, un employé est autorisé à communiquer avec une personne ressource de son choix. Celle-ci doit avertir le contremaître le plus rapidement possible.

3- Attentes envers les délégués syndicaux :

Afin d'améliorer les communications entre les parties, de répondre à nos besoins opérationnels, sans brimer le délégué syndical dans son rôle et ses responsabilités; l'équipe de gestion des travaux publics a clarifié les attentes face aux délégués syndicaux.

·       L'employeur demande pour tous les types de rencontres prévues à la convention collective, qu'une demande de libération auprès du contremaître répartiteur soit faite par courriel, au minimum 48 heures à l'avance en respect de la convention collective. Cette demande devrait inclure les informations suivantes: Nom de l'employé, raison de la rencontre, article en vertu duquel l'employé est libéré, la date, l'heure et la durée de la rencontre;

·       L'employeur souhaite que pour tous les types d'interventions ou rencontres non prévus à la convention collective, les délégués conviennent du meilleur moment avec le gestionnaire concerné et/ou le contremaître répartiteur afin régler la situation, sans préjudice quant aux droits des parties ou aux besoins opérationnels;

·       Dans le cas d'une urgence, avant de quitter son lieu de travail ou de répondre à une demande téléphonique, l'autorisation du gestionnaire immédiat est requise;

·       L'employeur souhaite que les délégués syndicaux utilisent les canaux de communication prévus lors de désaccords dans la gestion des employés ou des activités, en déterminant un moment opportun pour rencontrer le gestionnaire concerné, afin de tenter de résoudre le litige. Si le litige perdure, les comités de relations de travail ou de griefs devront être utilisés,

·       L'employeur demande lors d'un désaccord en lien avec la gestion disciplinaire, que le syndicat utilise les canaux de communication prévus, soit les comités de CRT ou de griefs afin d'effectuer ses représentations;

·       L’employeur demande que le syndicat respecte la hiérarchie pour tous les dossiers à traiter (en ordre, s’adresser à : contremaîtres, chefs de section, chefs de division);

·       En prévision et préparation des rencontres CRT et comités de griefs, l’employeur demande de fournir les points à ajouter à l’ordre du jour au minimum 48 heures avant les rencontres, et l’inverse s’applique également.

 

4- Code de conduite des employés de la Ville de Montréal

L'équipe de gestion des travaux publics a rappelé le code de conduite. Notamment les notions de :

·       Agir avec intégrité;

·       Agir avec loyauté:

·       Agir avec respect.

L'employeur demande aux délégués de prêcher par l'exemple. Aucune forme d'harcèlement ni de menace ne sera tolérée.

            [Nos soulignements]

[31]        Le syndicat dépose sa plainte le lendemain de cette rencontre.

L’ANALYSE ET LES MOTIFS

[32]        Le premier alinéa de l’article 12 du Code prévoit ce qui suit :

12. Aucun employeur, ni aucune personne agissant pour un employeur ou une association d’employeurs, ne cherchera d’aucune manière à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d’une association de salariés, ni à y participer.

 

[Notre soulignement]

[33]        L’auteur Robert P. Gagnon explique la notion d’entrave comme suit[3] :

478 - Absence d'entrave et d'ingérence - L'autonomie syndicale suppose à la fois l'absence d'entrave à l'action collective légitime et celle d'une ingérence indue dans cette action. Le groupement syndical qu'est l'association de salariés doit ainsi pouvoir se former, s'organiser et s'administrer sans obstacle ni ingérence de la part de l'employeur, sous le seul contrôle et par la seule volonté des salariés dont il est destiné à défendre les intérêts. C'est cette dimension proprement collective du droit d'association que le législateur avait en vue, en édictant l'article 12, al. 1 C.t. Ce dernier interdit en effet à l'employeur et à toute personne agissant pour lui de chercher, de quelque manière, à entraver, dominer ou financer la formation ou les activités d'une association de salariés, ou à y participer.

479 - Entrave - L'entrave illégale de l'employeur à la formation ou aux activités du syndicat peut revêtir de multiples formes. Le recours à l'intimidation, aux menaces ou aux contraintes qui sont elles-mêmes prohibées par les articles 13 et 14 du Code peut constituer une entrave ou une tentative d'entrave au sens de l'article 12 C.t. […] L'employeur qui ignore ou qui cherche à contourner l'association accréditée comme unique représentante collective des salariés entrave également l'activité de cette dernière, tout comme celui qui cherche à s'immiscer dans la désignation des représentants syndicaux ou à empêcher un salarié d'exercer une fonction syndicale. […]

L'infraction d'entrave ou de tentative d'entrave requiert une intention coupable, dont la présence peut toutefois se trouver tout autant dans un acte d'imprudence grave que dans un geste délibéré, dès lors qu'un employeur raisonnable ne pouvait en ignorer les conséquences. L'interdiction ne rejoint pas la simple maladresse commise par des représentants de l'employeur sans la connaissance de ce dernier. Il n'est pas nécessaire que l'intervention fautive ait été fructueuse; il suffit qu'il y ait eu tentative d'entrave.

            [Notes omises]

[34]        Le Tribunal conclut que l’employeur a contrevenu à l’article 12 du Code. Premièrement, compte tenu de l’importance des sujets discutés, l’employeur devait aviser les directeurs syndicaux qu’il rencontrait les délégués le 28 août. Ensuite, bien que l’employeur affirme ne pas avoir voulu contrôler l’exercice des fonctions de ces derniers, le compte-rendu de la rencontre est éloquent. Il mentionne que l’employeur désire « CLARIFIER LES ATTENTES ET LES RÔLES ET RESPONSABILITÉS DES DÉLÉGUÉS », en plus d’imposer unilatéralement des conditions à l’exercice de leurs fonctions. Il décrète même que dorénavant, il remettra les avis disciplinaires aux salariés syndiqués hors la présence des délégués, contrairement à la pratique passée. Or, il ne revient pas à l’employeur de dicter aux délégués la manière dont ils exerceront leurs fonctions[4].

[35]        L’employeur entrave également les activités du syndicat lorsqu’il remet aux délégués le code de conduite et leur demande de « prêcher par l’exemple ». Le Tribunal y voit une tentative d’intimidation. De plus, l’employeur ne peut imposer aux délégués la conduite qu’ils adopteront face aux syndiqués ni exiger d’eux qu’ils transmettent des messages à ces derniers.

[36]        Lors de la rencontre du 26 septembre 2019, l’employeur tente d’effacer le passé. Il mentionne que « le présent compte rendu va remplacer et annuler les documents précédents du 28 août et du 12 septembre ». Or, cela ne fait pas disparaître ses propos antérieurs.

[37]        L’employeur plaide qu’en vertu de sa liberté d’expression, il peut transmettre son opinion au syndicat. Il affirme que ses propos véhiculés lors des trois rencontres constituaient simplement une opinion. Il se réfère à une décision rendue en 2015[5], dont les passages pertinents se lisent comme suit :

[50] Dans les faits, au moment où la plainte en vertu de l’article 12 est déposée, les seuls gestes de l’Employeur sont d’avoir communiqué à l’Association son désaccord avec l’intervention de madame Vallières auprès de madame Côté. Il estime, à tort ou à raison, qu’elle a intimidé celle-ci et dénonce cette approche, qu’il considère abusive. C’est donc le fait de communiquer à son interlocuteur, l’Association, son opinion sur la façon dont il exerce son rôle de représentant syndical qui constituerait une entrave illégale.

[51] Une telle interprétation de l’article 12 du Code ne peut pas être retenue puisque cela équivaudrait à nier à l’employeur toute liberté d’expression. Or, comme dans l’affaire Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (CPS et APTMQ) c. Centre de santé et des services sociaux de Rimouski-Neigette, 2011 QCCRT 0285, la Commission estime plutôt que la représentante patronale « pouvait exprimer ses opinions sur l’organisation des relations du travail [du syndicat], mais il ne pouvait imposer sa vision ».

[52] L’article 12 du Code ne prive pas un employeur de son droit de communiquer au syndicat son opinion sur la façon dont il représente les salariés. Il lui est même possible d’être critique à ce propos lorsqu’il s’adresse aux représentants syndicaux. Les échanges francs et directs sont à la base de saines relations du travail.

[53] C’est ce que fait l’Employeur en avril 2015. Il donne son opinion sur l’intervention faite auprès de madame Côté, directement aux représentants syndicaux. Aucun salarié n’était présent lors de ces échanges, si bien que l’Association n’a pas été discréditée à leurs yeux. De plus, l’Employeur n’a pas cherché à imposer sa vision des choses, à ce stade. Il a plutôt tenté de convaincre les représentants syndicaux de la justesse de son point de vue. Ceux-ci ont fait de même en relançant la discussion sur cette question lors de la rencontre du comité de relations professionnelles, le 17 avril.

[54] Ces échanges se situent donc « (…) à l’intérieur d’un cadre normal de discussions et de dialogues qui peuvent avoir lieu, même dans le contexte que nous connaissons », Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ) c. Les Services à domicile de la région de Matane, 2011 QCCRT 0149.

[Nos soulignements]

[38]        Or, contrairement aux faits à l’origine de cette affaire, dans ce cas-ci, l’employeur s’appuie sur son droit de gérance pour tenter d’imposer sa vision des choses au syndicat. Il dicte la façon dont il voudrait que les délégués exercent leurs fonctions, sans en discuter avec le syndicat. Les témoignages des représentants syndicaux démontrent qu’il n’y a pas de discussion et que les échanges lors des rencontres sont « à sens unique ».

[39]        L’employeur affirme également qu’il a commis une simple maladresse et que ceci ne peut constituer une entrave aux activités du syndicat. L’employeur, en tentant de contrôler l’exercice des fonctions des délégués, en leur remettant le code de conduite et en leur demandant à deux reprises de « prêcher par l’exemple » a commis un acte d’imprudence grave, voire un geste délibéré qui ne peut constituer une simple maladresse.

[40]        Compte tenu de tout ce qui précède, la plainte est accueillie.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE                        la plainte en vertu de l’article 12 du Code du travail;

DÉCLARE                            que la Ville de Montréal a entravé et s’est illégalement ingérée dans les activités du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301);

ORDONNE                           à la Ville de Montréal, ses représentants et mandataires, de cesser toute forme d’entrave ou d’ingérence dans les activités du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP, 301).

 

 

__________________________________

 

Benoit Aubertin

 

 

 

 

Mme Mélanie Paquet

Pour la partie demanderesse

 

Me Vladimir G. Antoine

GAGNIER GUAY BIRON AVOCATS NOTAIRES

Pour la partie défenderesse

 

 

Date de la dernière audience :                  5 février 2021

 

 

 BA/ab/ga



[1]          RLRQ, c. C-27.

[2]          Voir le paragraphe 17 de la présente décision.

[3]          Robert P. GAGNONLe droit du travail du Québec, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, par. 478 et suivants.

[4]          Gervais c. Québec, 2010 QCCRT 0444; Landry c. Bois Chic-Chocs, 2021 QCTAT 1059.

[5]          Vallières c. Syndicat de la fonction publique du Québec, 2015 QCCRT 605.

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