Décision

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Simard c. 9054-1582 Québec inc.

2022 QCCQ 4878

COUR DU QUÉBEC

Chambre civile

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 :

500-22-261759-206

 

DATE :

 15 juillet 2022

_____________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

LUC HUPPÉ, J.C.Q.

_____________________________________________________________________

 

 

CAROLINE SIMARD

Demanderesse

c.

9054-1582 QUÉBEC INC.

et 

SUBARU CANADA INC.

Défenderesses

 

_____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

_____________________________________________________________________

 

[1]                Mme Caroline Simard demande l’annulation du contrat d’achat d’une automobile signé en 2015 avec 9054-1582 Québec inc. (ci-après appelée « Subaru Outaouais ») en raison d’un déficit d’usage et de vices cachés qui se sont manifestés dès cette acquisition. Outre le remboursement du prix d’achat, elle réclame aussi à Subaru Outaouais et à Subaru Canada inc. (ci-après appelée « Subaru Canada »), le distributeur canadien du véhicule, le remboursement des dépenses encourues pendant la période de garantie ainsi qu’une indemnisation pour troubles et inconvénients.

 

 

 

 

[2]                Les défenderesses ne prennent pas position quant à l’état du véhicule au moment de la vente[1]. Leur défense commune porte plutôt sur les conclusions demandées par Mme Simard. Étant donné le temps écoulé depuis l’achat du véhicule, elles remettent en cause l’opportunité d’annuler la vente. Elles offrent plutôt à Mme Simard une indemnisation de 14 000 $.

 

CONTEXTE

 

[3]                Mme Simard et son conjoint, M. Nelson Picard, habitent la petite municipalité de Cantley, située au nord de Gatineau. Au cours de l’année 2014, ils apprennent que leur fils de huit ans est atteint d’un cancer rare qui met potentiellement en danger sa survie. Le seul hôpital canadien susceptible de lui prodiguer les traitements expérimentaux nécessaires pour combattre la maladie se trouve à Toronto, une ville située à cinq heures de route de leur résidence. Ces traitements doivent être administrés sur une base régulière, ce qui implique pour eux des déplacements fréquents, sur une distance de plusieurs centaines de kilomètres.

 

[4]                Après avoir envisagé différents scénarios, et tenant compte qu’ils peuvent entre autres être appelés à transporter leur fils dans des situations d’urgence alors que les services ambulanciers n’offrent pas nécessairement une alternative appropriée, Mme Simard et M. Picard prennent la décision d’acquérir une nouvelle voiture. Elle est destinée à être utilisée principalement aux fins des déplacements de toutes sortes requis par l’état de santé de leur fils.

 

[5]                Au début 2015, ils se rendent chez Subaru Outaouais, où ils rencontrent M. Marcel Galipeau, un vendeur d’expérience. Ils lui expliquent la situation particulière dans laquelle ils se trouvent et l’usage qu’ils comptent faire de l’automobile en rapport avec l’état de santé de leur fils. Pour eux, la fiabilité de l’automobile est une considération primordiale. Ils en font clairement état au cours de leur discussion avec M. Galipeau. Pendant cette rencontre, ils s’informent aussi à propos de problèmes de consommation d’huile qui affecteraient certains véhicules de marque Subaru. M. Galipeau les rassure en leur affirmant que de tels problèmes ont été réglés et qu’ils peuvent se fier au véhicule qu’il leur vend.

 

[6]                Le 29 janvier 2015, Mme Simard signe avec Subaru Outaouais un contrat d’achat d’une automobile neuve Subaru Outback 2.5 l. Touring de l’année 2015. En tenant compte des accessoires, le prix d’achat s’élève à 38 761,73 $, incluant les taxes, et il est acquitté par Mme Simard. Le véhicule est livré deux semaines plus tard, soit le 13 février 2015. Mme Simard et son conjoint disposent aussi d’un autre véhicule, beaucoup moins récent. Ils ont comme pratique de conserver longtemps leurs automobiles et d’économiser année après année pour pouvoir les remplacer. Dans cette perspective, Mme Simard planifie garder pendant environ dix ans le véhicule qu’elle vient d’acquérir auprès de Subaru Outaouais.

 

[7]                Ce véhicule est notamment couvert par une garantie conventionnelle de 36 mois ou 60 000 Kilomètres concernant les défauts de matériau ou de fabrication des pièces, ainsi que par une garantie de 60 mois ou 100 000 kilomètres protégeant les composants principaux du véhicule, dont le moteur, contre les défauts de fabrication ou de matériau.

 

[8]                Dès l’acquisition du véhicule, le couple éprouve des problèmes avec son fonctionnement. Environ deux ou trois mois après l’achat, le voyant de bas niveau d’huile s’allume au tableau de bord. Subaru Outaouais les rassure en les informant que cette situation est normale puisque le véhicule est en période de rodage. On leur recommande simplement d’ajouter de l’huile dans le moteur. Néanmoins, le voyant continue à s’allumer ponctuellement. Chaque fois, les représentants de Subaru Outaouais leur répètent le même conseil. Bien qu’ils effectuent régulièrement l’entretien de l’automobile, Mme Simard et M. Picard s’interrogent pourtant sur le fait qu’un véhicule neuf consomme autant d’huile à moteur.

 

[9]                Lors d’une vérification qui se produit le 31 août 2016, Subaru Outaouais ajoute 1,5 litre d’huile, dans un moteur qui en contient cinq litres. Étant donné que le problème persiste et ne peut plus être attribué à la période de rodage[2], Subaru Outaouais décide de procéder à un test de consommation d’huile. Les vérifications réalisées à l’occasion de ce test montrent ce qui suit :

 

  • le 2 décembre 2016 : il manque 1,4 litre d’huile;

 

  • le 6 février 2017 : il manque 1,2 litre d’huile;

 

  • le 28 avril 2017 : il manque au moins un litre d’huile.

 

[10]           Au cours de la vérification qui a lieu le 28 avril 2017, M. Picard apprend que le test de consommation d’huile mené par Subaru Outaouais depuis plusieurs mois ne comprend pas les changements d’huile. Étant sous l’impression que Subaru Outaouais s’en chargeait, il n’a procédé à aucun tel changement d’huile depuis le début du test. Subaru Outaouais lui indique que le test doit en conséquence être entièrement repris. Le 5 mai suivant, M. Picard procède à un changement d’huile chez Mécanique Serge Lafontaine, le garagiste dont il utilise les services depuis 2010.

 

[11]           Les vérifications effectuées dans le cadre de la reprise du test de consommation d’huile montrent ce qui suit :

 

  • le 30 juin 2017 : ajout dun litre d’huile;

 

  • le 31 juillet 2017 : il manque un litre d’huile;

 

  • le 6 novembre 2017 : deux litres d’huile sont nécessaires.

 

[12]           Lors de la vérification du 6 novembre 2017, Subaru Outaouais prend la décision de garder le véhicule et de remplacer le moteur pour régler le problème de consommation excessive d’huile. Mme Simard et M. Picard sont abasourdis par une telle mesure, à l’égard d’un véhicule acheté neuf 2 ½ ans auparavant, qui n’a alors parcouru que 68 441 kilomètres. Ils récupèrent le véhicule le 10 novembre 2017, soulagés, en étant sous l’impression que le problème de consommation excessive d’huile est dorénavant réglé.

 

[13]           En mai 2018, une fuite d’huile est détectée en raison d’un dommage à l’essieu avant. La réparation est effectuée par Subaru Outaouais le 7 juin[3]. Un mois plus tard, alors qu’ils se rendent au Centre hospitalier pour enfants de l’Est de l’Ontario (CHEO), de la fumée sort du véhicule, du liquide est soudainement projeté dans le pare-brise et de nombreux voyants s’allument au tableau de bord. Ils font remorquer le véhicule à partir du CHEO et Subaru Outaouais effectue la réparation requise le 9 juillet 2018.

 

[14]           Dans les jours qui suivent, la famille entreprend un voyage aux Îles-de-la-Madeleine, planifié plusieurs mois à l’avance, en utilisant ce véhicule. M. Picard prend la précaution de faire procéder à un changement d’huile le 11 juillet auprès de son garagiste habituel. À leur arrivée à destination, ils constatent avec déception que le voyant de bas niveau d’huile s’allume au tableau de bord, malgré le changement du moteur quelques mois auparavant.

 

[15]           Lorsque M. Picard contacte Subaru Outaouais, un technicien lui répond d’ajouter de l’huile et d’amener l’auto au garage à leur retour. M. Picard se procure ensuite quatre litres d’huile. Il ajoute de l’huile au moteur tout au long du voyage de retour, car le voyant de bas niveau d’huile s’allume au tableau de bord. S’étendant sur une vingtaine d’heures, ce voyage se déroule dans l’inquiétude constante de ne pouvoir se rendre à destination et dans la crainte d’un accident. Mme Simard et M. Picard en concluent que le changement du moteur n’a aucunement réglé le problème de consommation excessive d’huile. Ils sont excédés par ce problème, dont ils ne parviennent pas à se défaire.

 

[16]           Le véhicule est amené chez Subaru Outaouais le 21 août 2018. Malgré de nombreuses vérifications, aucun problème n’est détecté. Mme Simard et M. Picard demandent alors à rencontrer M. Érik Perreault, directeur des opérations fixes de Subaru Outaouais, pour lui faire part de leur insatisfaction à l’égard du véhicule et demander l’annulation de la vente. Au cours de leur conversation, M. Perreault les informe que toutes les automobiles à transmission manuelle de Subaru ont un problème de consommation d’huile et que deux ou trois véhicules par année présentent des problèmes comme celui de leur véhicule.

 

[17]           Lors d’une vérification qui a lieu le 2 octobre 2018, après que le voyant du tableau de bord se soit à nouveau allumé, Subaru Outaouais constate qu’il manque un litre l’huile. Le véhicule revient encore une fois chez Subaru Outaouais le 4 décembre 2018, puisque le voyant de bas niveau d’huile persiste à s’allumer. Il y reste jusqu’au 10 janvier 2019 pour faire l’objet d’une vérification extensive, qui consiste notamment à ouvrir le moteur et à changer de nombreuses pièces. Deux tests routiers de trente kilomètres sont aussi réalisés à cette occasion. Cette vérification extensive n’empêche toutefois pas le retour du véhicule chez Subaru Outaouais le 21 janvier 2019, soit onze jours plus tard. Cette fois, c’est une surchauffe du moteur qui est en cause. Subaru Outaouais procède à d’autres vérifications, à d’autres tests routiers.

 

[18]           Quelques semaines plus tard, Mme Simard et M. Picard vivent une autre expérience éprouvante. Alors qu’ils reviennent d’un séjour de vacance dans la ville de Québec, le 8 mars 2019, et que la chaufferette ne fonctionne pas, le moteur se met encore une fois à surchauffer et les voyants du tableau de bord s’allument. Rejoint par téléphone, un représentant de Subaru Outaouais les autorise à arrêter chez un concessionnaire se trouvant dans les parages. Celui-ci n’a pas de disponibilités pour procéder à une réparation, mais constate tout de même le problème de surchauffe du moteur et le fait qu’il manque un litre d’huile à moteur.

 

[19]           À leur retour de la ville de Québec, le véhicule est ramené chez Subaru Outaouais, le 11 mars 2019. Lorsque Mme Simard et M. Picard en reprennent possession, le 8 avril suivant, le seul problème qui leur est mentionné est la présence d’une bulle d’air restée coincée dans le système de refroidissement lors des travaux antérieurs sur le moteur.

 

[20]           Quatre ans après l’achat du véhicule, Mme Simard et M. Picard sont maintenant à bout de patience. Ils demandent à rencontrer M. Jeremi Toulouse, directeur général de Subaru Outaouais. Cette rencontre, à laquelle participe aussi M. Perreault, se déroule quelques jours plus tard, à une date qui n’a pas été précisée. Les parties donnent des versions différentes de leurs échanges.

 

[21]           Selon Mme Simard et M. Picard, M. Toulouse aurait admis au cours de cette rencontre que leur véhicule est un « citron » et que certains mécaniciens ayant effectué des opérations sur le véhicule n’ont pas agi selon les règles de l’art. Ils lui demandent de reprendre le véhicule, ce à quoi M. Toulouse n’exprime pas d’opposition de principe. Il refuse toutefois de leur rembourser intégralement le prix d’achat, leur proposant plutôt un montant de 14 000 $, qui représente selon lui la juste valeur marchande du véhicule.

 

[22]           Au cours de cette rencontre, M. Toulouse indique aussi à Mme Simard et à M. Picard son intention, si Subaru Outaouais reprend possession du véhicule, de le remettre en circulation pour le revendre à un autre consommateur. Mme Simard est choquée par cette affirmation, qu’elle considère animée par la cupidité et qui manifeste une insensibilité aux problèmes qu’elle et son époux ont éprouvés. Elle ne peut s’imaginer qu’en raison d’une telle revente, un autre acheteur se retrouve aux prises avec les problèmes qui les accablent depuis quatre ans. Au cours de cette rencontre, M. Toulouse tente aussi de leur vendre un nouveau véhicule.

 

[23]           M. Toulouse témoigne que, lors de cette rencontre, il a proposé deux options à Mme Simard, lorsqu’elle lui a exprimé son insatisfaction à l’égard du véhicule : soit le racheter à sa juste valeur marchande, soit lui vendre une autre automobile au prix coûtant. Bien que sa mémoire ne soit pas très précise à ce sujet, il pense avoir proposé un prix de rachat de 17 000 $ ou de 19 000 $. Il nie avoir qualifié le véhicule de « citron » ou avoir affirmé qu’il n’avait jamais vu un véhicule avec autant de problèmes. M. Perreault, qui admet ne pas avoir de souvenir précis de cette rencontre, témoigne sensiblement dans le même sens.

 

[24]           Cette rencontre ne débouche sur aucune entente entre les parties. Le 11 avril 2019, Mme Simard adresse une lettre à Subaru Canada et à Subaru Outaouais. Elle les tient responsables des vices cachés du véhicule et des fautes commises par les mécaniciens de Subaru Outaouais. En conséquence, elle demande l’annulation du contrat d’achat et le paiement d’un montant de 83 782,73 $, qui comprend le remboursement du prix d’achat du véhicule et un montant de 45 000 $ en dommages-intérêts, pour lequel elle ne fournit toutefois aucun détail.

 

[25]           Quatre jours plus tard, le 15 avril 2019, le véhicule est de retour chez Subaru Outaouais en raison du fait que des voyants s’allument au tableau de bord. Le même scénario se répète le 19 avril 2019, malgré toutes les interventions de Subaru Outaouais sur le véhicule. Par courriel du 14 mai 2019, M. Picard informe M. Perreault que la veille, le moteur a de nouveau surchauffé et que le voyant « check owner’s manual » s’est allumé.

 

[26]           À la demande de Mme Simard, un second rendez-vous est fixé avec M. Toulouse et M. Perreault pour le 29 mai suivant. Ce rendez-vous est confirmé par Mme Simard dans un courriel qu’elle leur adresse le 27 mai 2019. Elle leur indique vouloir « évaluer l’étendue du problème récurrent et persistant impliquant, cette fois-ci, le voyant « check owner’s manual » et l’aiguille qui indique « hot » en ce qui a trait à la chaleur du moteur ». Elle mentionne aussi que « par la même occasion, vous pourriez nous confirmer si, malgré les problèmes qui persistent, vous maintenez votre position de ne pas annuler le contrat de vente, nous rembourser le prix d’achat et nous payer les dommages encourus ».

 

[27]           Le lendemain, 28 mai, Mme Simard reçoit la réponse suivante de M. Toulouse :

 

Nous comprenons votre point de vue et nous sommes sincèrement désolés de votre insatisfaction relativement aux procédures de réparations sous garantie de manufacturier Subaru (Subaru Canada).

 

Étant un concessionnaire automobile sous la bannière Subaru, nous sommes, en premier lieu spécialisés pour effectuer vos entretiens et/ou réparations sur votre véhicule Subaru, selon les normes et obligations du manufacturier.

 

Conséquemment, nous sommes dans l’impossibilité de contrepasser le protocole clair et précis du manufacturier (Subaru Canada) quant à la marche à suivre concernant les réparations sous garantie.

 

Malgré la réception, par courrier recommandé le 11 avril 2019, de votre intention de poursuite envers le manufacturier (Subaru Canada) et le concessionnaire automobile (Subaru Outaouais), notre département du service après-ventes a tout de même continué de vus servir selon les mêmes attentes et exigences du service à la clientèle en faisant fi du conflit d’intérêt qui se manifestait.

 

Cependant, suite à votre plus récente correspondance datée du 27 mai 2019 21h00, nous avons statué sur la décision de ne plus vous assister jusqu’à la réception formelle d’une main levée quant à vos intentions de poursuite envers notre concessionnaire automobile (Subaru Outaouais).

 

Veuillez agréer de nos sentiments les plus sincères, au plaisir de vous servir prochainement, dans des conditions plus agréables.

(Soulignement ajouté)

 

[28]           Face à cette prise de position de Subaru Outaouais, Mme Simard et M. Picard adressent le 30 mai 2019 une lettre détaillée au président et chef de la direction de Subaru Canada pour l’informer de la situation et lui faire part de leurs multiples démarches auprès de Subaru Outaouais et de Subaru Canada à propos du véhicule.

 

[29]           À la suite de cette lettre, Subaru Canada autorise Mme Simard à faire vérifier son véhicule par un autre concessionnaire, soit Otto’s Subaru (ci-après appelée « Otto ») situé à Ottawa. Le véhicule est amené chez Otto le 5 juin 2019. Il y restera jusqu’au 17 septembre 2019. Parmi les multiples réparations effectuées au cours de cette période de plus de trois mois, Otto remplace une nouvelle fois le moteur du véhicule. Otto procède également à des tests de conduite sur une distance de plusieurs dizaines de kilomètres.

 

[30]           Après cette troisième intervention majeure sur le moteur, Mme Simard et M. Picard pourraient penser que le problème qui affecte le véhicule est enfin corrigé. Pourtant, lors d’une vérification effectuée par un garagiste indépendant de Ville St-Laurent le 30 septembre 2019, soit deux semaines après la fin de l’intervention d’Otto, il appert qu’il manque un litre d’huile dans le moteur et qu’une pièce du moteur est manquante. Sur le chemin du retour à Cantley, un voyant lumineux s’allume au tableau de bord. Le véhicule est ramené chez Otto le 7 octobre, où la pièce manquante est ajoutée. Le véhicule est à nouveau examiné par Otto le 1er novembre 2019. Il est alors constaté qu’il manque deux litres d’huile, malgré le remplacement du moteur quelques semaines auparavant. À cette occasion, le moteur est enlevé et vérifié. Le véhicule est remis à Mme Simard le 19 novembre 2019.

 

[31]           Cette ultime démarche constitue toutefois pour Mme Simard et M. Picard un point de rupture. Ayant perdu confiance en Subaru Outaouais et Subaru Canada, ils cessent d’utiliser le véhicule et le remisent. Ils prennent aussi la décision d’acquérir un nouveau véhicule, pour lequel ils doivent obtenir un financement. Par lettre du 25 novembre 2019, adressée à Subaru Canada et à Subaru Outaouais par l’intermédiaire de son avocat, Mme Simard réclame l’annulation de la vente, le remboursement intégral du prix d’achat, le paiement d’une somme de 1 094,71 $ pour des réparations diverses effectuées pendant la période de garantie, ainsi que le paiement d’une somme de 25 000 $ pour troubles et inconvénients. Elle offre aussi de remettre le véhicule.

 

[32]           Subaru Canada répond comme suit à cette mise en demeure dans une lettre du 4 décembre 2019 :

 

Nous accusons réception de votre correspondance datée du 25 novembre 2019 dans le dossier cité en rubrique.

 

Subaru Canada, Inc. (ci-après « Subaru »), une filière à part entière du manufacturier de véhicules Subaru Corporation du Japon, distribue exclusivement et met en marché les véhicules Subaru au Canada par l’intermédiaire d’un réseau de concessionnaires indépendants autorisés.

 

Le ou vers le 29 janvier 2015, Mme. Simard a pris possession d’un véhicule Subaru Outback 2015 portant le numéro de série 4S4BSCDC2F1288109 (le « Véhicule »).

 

Nous croyons comprendre que la dernière visite par Mme. Simard était chez Otto Subaru (« Otto ») le ou vers le 20 novembre 2019. D’après Otto, le véhicule a été réparé et il n’a pas reçu d’autres plaintes de Mme. Simard.

 

Veuillez noter que Subaru a toujours honoré la garantie et a assisté à plusieurs reprises Mme. Simard, par exemple, en faisant des arrangements pour un véhicule de courtoisie pendant que le Véhicule était en réparation et aussi de couvrir les frais de réparations comme acte de bon volonté. Subaru est toujours prêt à aider ses clients.

 

Vu ce qui précède, il est de notre compréhension que, depuis le 20 novembre 2019, le Véhicule fonctionne tel qu’il le devrait et qu’il n’exhibe aucun problème. Si notre compréhension est inexacte, veuillez s.v.p. nous indiquer précisément les problèmes allégués exhibés actuellement sur le Véhicule.

 

Dans l’attente, veuillez agréer mes meilleures salutations.

 

[33]           Le dossier ne contient aucune réponse de Subaru Outaouais à la mise en demeure du 25 novembre 2019. Mme Simard intente son action devant la Cour du Québec le 9 juin 2020.

 

ANALYSE

 

A)    Les manquements aux obligations des défenderesses

 

i)                    L’existence d’un vice caché

 

[34]           Mme Simard bénéficie, à l’égard de son véhicule, des garanties prévues aux articles 37 et 38 de la Loi sur la protection du consommateur[4], dont la portée est complétée par les articles 53 et 54 de cette Loi :

 

37. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à l’usage auquel il est normalement destiné.

 

38. Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien.

 

Un recours contre le fabricant fondé sur une obligation résultant de l’article 37 ou 38 peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien.

 

53. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur un vice caché du bien qui a fait l’objet du contrat, sauf si le consommateur pouvait déceler ce vice par un examen ordinaire.

 

Il en est ainsi pour le défaut d’indications nécessaires à la protection de l’utilisateur contre un risque ou un danger dont il ne pouvait lui-même se rendre compte.

 

Ni le commerçant, ni le fabricant ne peuvent alléguer le fait qu’ils ignoraient ce vice ou ce défaut.

 

Le recours contre le fabricant peut être exercé par un consommateur acquéreur subséquent du bien.

 

54. Le consommateur qui a contracté avec un commerçant a le droit d’exercer directement contre le commerçant ou contre le fabricant un recours fondé sur une obligation résultant de l’article 37, 38 ou 39.

 

[35]           Ces dispositions constituent une application particulière de la notion de vice caché[5]. Elles s’appliquent à Subaru Outaouais en tant que vendeur du véhicule. Elles s’appliquent aussi à Subaru Canada puisque, dans le contexte du présent dossier, le distributeur est assimilé au fabricant en vertu du paragraphe 1 g) de la Loi sur la protection du consommateur.

 

[36]           Dans l’arrêt Fortin c. Mazda Canada inc. (no. 1)[6], la Cour d’appel définit comme suit les conditions d’application de ces dispositions :

 

[60]  Je crois ne pas trahir la jurisprudence en concluant qu’un défaut caché selon la L.p.c., lorsqu’il prend l’aspect d’un déficit d’usage, exige, à l’instar du C.c.Q., de satisfaire aux critères suivants : 1) avoir une cause occulte, 2) être suffisamment grave, 3) être inconnu de l’acheteur et finalement 4) être antérieur à la vente.

 

[61]  S’il est maintenant généralement accepté que les différentes garanties de qualité en droit de la consommation relèvent d’une source commune, il faut cependant noter que le régime de preuve qui leur est applicable se distingue souvent de celui du droit commun, notamment en raison des présomptions contenues aux articles 37, 38 et 53 de la L.p.c.

 

[62]  L’article 37 L.p.c. confère au consommateur la garantie d’usage, c'est-à-dire que l'usage du bien doit répondre à ses attentes légitimes. Ainsi, dès que le bien ne permet pas l’usage auquel le consommateur peut raisonnablement s’attendre, il y a alors présomption que le défaut est antérieur à la vente, ce qui laisse également présumer, en application du troisième alinéa de l’article 53 L.p.c., de la connaissance par le vendeur de son existence.

 

[63]  À mon avis, le consommateur bénéficie aussi de cette autre présomption, découlant de la lecture de l’article 37 L.p.c., relative à l'existence d'une cause occulte. En raison du résultat précis imposé au commerçant par cette disposition, la preuve du consommateur doit pour l’essentiel se concentrer sur ce résultat insuffisant ou absent, selon le cas, si, bien entendu, il s’est livré à un examen ordinaire du bien avant l’achat. Ces preuves le dispensent de démontrer la cause à l’origine du déficit d’usage.

 

[37]           La preuve démontre clairement que le véhicule acquis par Mme Simard n’est pas conforme aux exigences posées par les articles 37 et 38 de la Loi sur la protection du consommateur et qu’il est en conséquence affecté d’un vice caché. La protection offerte par ces dispositions couvre entre autres les problèmes de consommation excessive d’huile à moteur dans les véhicules automobiles[7]. En l’instance, ils ont été multiples et persistants, malgré les nombreuses mesures prises par Subaru Outaouais et Otto pour tenter de corriger la situation. Entre autres vices, il n’est pas banal que le moteur du véhicule ait été changé deux fois sur une période de quatre ans et qu’il ait fait l’objet de vérifications extensives pendant la même période.

 

[38]           Mme Simard a acquis un véhicule neuf. Elle était légitimement en droit de s’attendre à l’utiliser sans avoir, de manière ponctuelle et répétée, à s’inquiéter quant à son bon fonctionnement parce que des voyants s’allument au tableau de bord. Elle pouvait aussi raisonnablement s’attendre à ce que les diverses interventions du concessionnaire corrigent les problèmes de manière satisfaisante et permanente. C’est tout le contraire qui s’est produit. Elle et son époux ont été confrontés à un problème récurrent de consommation excessive d’huile à moteur et de surchauffe du moteur, en dépit de tous les efforts de Subaru Outaouais et d’Otto.

 

[39]           Même si les défenderesses n’ont pas ménagé leurs efforts et leurs interventions, à leurs frais, pour trouver une solution, la réapparition continuelle du problème démontre que le véhicule vendu à Mme Simard ne satisfait pas aux standards fixés par la Loi sur la protection du consommateur quant à sa qualité, sa durabilité et sa fiabilité. De toute évidence, ce véhicule comporte un déficit d’usage, au sens où la Cour d’appel définit cette expression dans l’arrêt Fortin c. Mazda Canada inc. (no. 1)[8] :

 

[71]  La gravité du déficit d’usage réside dans la diminution importante de l’utilité du bien au point où le consommateur ne l’aurait pas acheté ou n’aurait pas consenti à donner un si haut prix s’il avait connu l’usage réduit qu’il pouvait obtenir de ce bien. La doctrine résume ainsi les indices permettant de cerner cette notion :

 

[…] Pour décider si un vice est assez grave pour donner ouverture à la garantie, on ne considère pas seulement le coût de sa réparation par rapport à la valeur du bien : on regarde tous les aspects, dont notamment la baisse de la valeur marchande du bien, la diminution de son usage normal (déficit d’usage), les inconvénients, actuels et prévisibles, du vice pour l’acheteur, étant entendu que les attentes légitimes de l’acheteur sont plus grandes pour un bien neuf que pour un bien usagé – parfois une même lacune ne constitue pas un vice pour un bien passablement usagé alors qu’elle l’est pour un bien neuf.

[Références omises.]

 

[72]  Il n’est cependant pas nécessaire que le déficit enlève toute utilité au bien ou rende son usage impossible. Seule la preuve d’une gravité suffisante au point de jouer un rôle déterminant sur la décision du consommateur s’avère nécessaire. Bref, le fabricant doit concevoir le bien en conservant à l’esprit les besoins et les objectifs de sa clientèle. Telle est la norme.

 

[40]           Le tribunal accorde foi au témoignage de Mme Simard et de M. Picard lorsqu’ils rapportent les paroles prononcées par M. Toulouse au cours de leur rencontre d’avril 2019, quant au fait que le véhicule est un « citron » et que les mécaniciens qui ont effectué des vérifications ou des réparations sur le véhicule n’ont pas fait preuve de toute la compétence requise dans les circonstances. Même si la preuve diverge quant au prix offert par Subaru Outaouais, le fait que M. Toulouse ait accepté de reprendre le véhicule démontre avec éloquence qu’il ne satisfait pas les attentes raisonnables d’un consommateur à l’égard d’un véhicule neuf.

 

[41]           Les quatre critères identifiés par la Cour d’appel dans l’arrêt Fortin c. Mazda Canada inc. (no. 1) sont donc présents[9] :

 

  • la cause du problème est occulte : la preuve en est que les multiples interventions de Subaru Outaouais et d’Otto n’ont pas permis de la détecter de manière satisfaisante afin de corriger le problème;

 

  • le défaut est suffisamment grave : Mme Simard ne pouvait certes pas prendre à la légère la surchauffe du moteur de son véhicule, elle n’a pas à accepter une situation de faits dans laquelle elle doit constamment s’inquiéter quant au niveau d’huile dans le moteur et quant aux conséquences de cette consommation excessive d’huile à moteur;

 

  • le défaut était de toute évidence inconnu de Mme Simard au moment de l’achat, et ce, d’autant plus qu’elle a expressément abordé la question de la consommation excessive d’huile à moteur lors de sa discussion avec M. Galipeau et qu’elle a été explicitement rassurée à ce sujet;

 

  • le défaut était aussi clairement antérieur à la vente, comme le démontre sa prompte manifestation dans les quelques mois suivant l’achat.

 

[42]           En conséquence, Mme Simard est justifiée de mettre en œuvre la garantie légale qui couvre ce véhicule.

 

[43]           À la lumière de la preuve, la position prise par les défenderesses dans l’exposé de leurs moyens de défense, soit qu’elles sont « disposées à considérer que la demanderesse ait pu avoir eu certains problèmes avec le Véhicule »[10] manifeste une dose de mauvaise volonté de leur part quant à la reconnaissance de l’étendue réelle des problèmes vécus par Mme Simard et M. Picard. Il en est de même de leur affirmation que « les défauts de qualité qui auraient prétendument affecté le moteur du Véhicule sont résolus et n’ont jamais rendu le Véhicule impropre à son usage, requérant au pire l’ajout d’huile à moteur supplémentaire de temps en temps, tel que le nécessite l’entretien régulier de tout moteur »[11].

 

[44]           À la lecture des factures émises lors des vingt-trois vérifications effectuées par Subaru Outaouais entre le 24 juillet 2015 et le 19 avril 2019 et des trois vérifications effectuées par Otto entre le 17 septembre et le 19 novembre 2019, les problèmes affectant le véhicule de Mme Simard sont évidents et bien plus substantiels que la description qu’en font les défenderesses.

 

ii)                  Les fausses représentations

 

[45]           En marge de la garantie relative à l’état du véhicule, la Loi sur la protection du consommateur impose aussi au commerçant une obligation de véracité dans ses représentations au consommateur. La protection du consommateur contre les représentations fausses ou trompeuses constitue l’un des objectifs principaux de cette Loi[12]. Larticle 219 de la Loi, qui a été qualifié d’« abc du droit de la consommation »[13], énonce la pratique interdite suivante :

 

219. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.

 

[46]           Dans le cadre des discussions précédant l’achat du véhicule, Mme Simard et M. Picard ont spécifiquement posé des questions au vendeur de Subaru Outaouais concernant un éventuel problème de consommation excessive d’huile à moteur[14]. Selon leur témoignage, M. Galipeau leur a expressément représenté que ce problème avait été réglé. M. Galipeau n’a pas témoigné à l’audience[15], de sorte que le témoignage de Mme Simard et de M. Picard à ce sujet demeure non contredit. Le tribunal n’a aucune raison de remettre en cause leur crédibilité.

 

[47]           Or, ils ont été rapidement confrontés à un tel problème de consommation excessive d’huile à moteur après l’achat du véhicule et ce problème a persisté pendant des années. Il n’est d’ailleurs peut-être toujours pas réglé. Il appert donc que, volontairement ou non, les représentations de Subaru Outaouais quant à la consommation d’huile à moteur par le véhicule étaient fausses.

 

[48]           Le tribunal conclut que Mme Simard a démontré des manquements de la part des défenderesses aux obligations que leur impose la Loi sur la protection du consommateur. Elle est donc en droit de se prévaloir des recours prévus à cette Loi.

 

B)    La réparation appropriée

 

[49]           La Loi sur la protection du consommateur prévoit les recours suivants en cas de manquement aux obligations du commerçant :

 

272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:

 

a)   l’exécution de l’obligation;

 

b)   l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;

 

c)   la réduction de son obligation;

 

d)   la résiliation du contrat;

 

e)   la résolution du contrat; ou

 

f)   la nullité du contrat,

 

sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.

 

[50]           Outre l’annulation de la vente, Mme Simard réclame aux défenderesses une somme totale de 66 266,16 $, qui se détaille comme suit :

 

  • une somme de 38 761,73 $ en remboursement intégral du prix d’achat du véhicule;

 

  • une somme de 1 069,65 $ pour des frais d’entretien et de réparation du véhicule pendant la période de garantie;

 

  • une somme de 1 434,78 $ à titre de frais d’entreposage du véhicule à compter de l’automne 2019;

 

  • une somme de 25 000 $ pour troubles et inconvénients.

 

[51]           Les défenderesses considèrent qu’il n’est pas opportun pour le tribunal d’annuler le contrat d’achat du véhicule. Dans l’exposé de leurs moyens de défense, elles offrent plutôt un dédommagement de 14 000 $ à Mme Simard, qui représente la somme arrondie des montants suivants :

 

  • un montant de 6 757,80 $ correspondant à une réduction de 20 % du prix d’achat du véhicule;

 

  • une compensation de 6 000 $ pour troubles et inconvénients;

 

  • un montant de 400 $ pour les frais d’entreposage;

 

  • les frais de justice et les frais d’huissier, sur présentation de pièces justificatives.

 

[52]           Cette offre n’est pas formulée sous toutes réserves et sans admission de responsabilité de la part des défenderesses. Elle constitue une reconnaissance claire du préjudice subi par Mme Simard. Elle sous-entend nécessairement que les défenderesses admettent que Mme Simard a droit à une réparation en raison de l’état du véhicule qui lui a été vendu. Assortie de montants précis, cette offre démontre aussi le caractère quantifiable du préjudice subi par Mme Simard, une condition qui influence la nature de la réparation appropriée[16]. L’enjeu véritable du litige consiste donc à déterminer quelle est la réparation juste et appropriée dans les circonstances.

 

i)                    L’annulation du contrat d’achat

 

[53]           La conclusion principale demandée par Mme Simard consiste en l’annulation du contrat d’achat intervenu le 29 janvier 2015 entre elle et Subaru Outaouais. Au procès, les défenderesses soutiennent que le tribunal ne peut annuler ce contrat, étant donné l’absence de preuve d’un vice de consentement, et que c’est plutôt la résolution de la vente qui aurait dû être demandée par Mme Simard, bien qu’elle soit selon elles impossible en l’instance[17]. Il appert toutefois que, quel que soit le mécanisme juridique utilisé, la demande de Mme Simard est claire : elle souhaite que les défenderesses reprennent le véhicule et que le prix d’achat lui soit remboursé.

 

[54]           L’article 272 de la Loi sur la protection du consommateur accorde au consommateur la possibilité d’obtenir la résolution ou l’annulation du contrat convenu avec le commerçant. Tel que l’affirme la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Richard c. Time inc.[18], la contravention par le commerçant aux obligations que lui impose la Loi sur la protection du consommateur crée une présomption absolue de préjudice. Le choix de la réparation appropriée appartient au consommateur.

 

[55]           Le tribunal ne devrait mettre de côté que pour des motifs sérieux la réparation spécifique demandée par le consommateur. En l’instance, les défenderesses invoquent dans l’exposé de leurs moyens de défense[19] plusieurs raisons pour lesquelles le tribunal ne devrait pas annuler le contrat d’achat du 29 janvier 2015 :

 

  • la durée d’utilisation du véhicule par Mme Simard, soit de février 2015 à novembre 2019;

 

  • la distance parcourue par le véhicule pendant son utilisation par Mme Simard, soit près de 100 000 kilomètres;

 

  • les nombreuses réparations effectuées par les défenderesses sur le véhicule, à leurs frais, et le fait que des voitures de courtoisie ont été fournies à Mme Simard;

 

  • l’affirmation non contredite de Subaru Canada, à la suite de la dernière réparation en novembre 2019, que le véhicule est désormais en bon état de fonctionnement;

 

  • le fait que les défauts de qualité constatés n’auraient jamais rendu le véhicule impropre à son usage.

 

[56]           Avec égards, ces raisons ne suffisent pas à démontrer le caractère inopportun de l’annulation ou de la résolution du contrat d’achat du 29 janvier 2015.

 

[57]           Ce sont les défenderesses, et non Mme Simard, qui doivent en définitive porter le fardeau économique découlant des déficiences du véhicule qu’elles ont mis en marché. Engagées dans une entreprise commerciale, elles doivent assumer ce risque, inhérent à leurs opérations et intrinsèquement relié à la vente de biens de consommation. Sur un lot de biens mis en marché par un commerçant, il existe une possibilité bien réelle que le niveau de qualité ne soit pas constant. Le bénéfice tiré des activités d’un commerce[20] est indissociable d’une responsabilité à l’égard de la clientèle concernant ceux des biens vendus qui ne satisfont pas aux standards de qualité applicables.

 

[58]           Le véhicule acquis par Mme Simard s’est avéré bien en dessous des attentes légitimes d’un consommateur raisonnable. La preuve montre qu’il ne constitue pas un bien de consommation d’un niveau de qualité, de fiabilité et de durabilité suffisantes pour Mme Simard. Une telle prise de position de sa part n’est pas déraisonnable eu égard à ce que démontre la preuve.

 

[59]           Certes, le temps écoulé depuis l’achat du véhicule, de même que le kilométrage parcouru avant son remisage, contribuent à former un contexte particulier pour la demande d’annulation présentée par Mme Simard. N’eût été des interventions ponctuelles et multiples de Subaru Outaouais et d’Otto sur le véhicule tout au long de ces années, l’écoulement du temps et l’ampleur du kilométrage auraient éventuellement pu faire obstacle à l’annulation ou à la résolution du contrat d’achat.

 

[60]           Mais les quatre ans et neuf ou dix mois écoulés entre la prise de possession du véhicule et son remisage, ainsi que les presque 100 000 kilomètres parcourus[21], ne doivent pas être considérés dans l’abstrait. Ces données doivent être appréciées en tenant compte des nombreuses interventions de Subaru Outaouais et d’Otto, qui s’échelonnent de manière continue sur l’ensemble de cette période. Plusieurs de ces interventions ponctuelles – et en particulier les deux changements de moteur – pouvaient raisonnablement laisser croire à Mme Simard que les problèmes étaient réglés. Il est vraisemblable que telle était aussi la perception des représentants de Subaru Outaouais et d’Otto.

 

[61]           C’est en tenant compte de ce contexte particulier que doit être appréciée la demande d’annulation du contrat d’achat, en dépit du temps écoulé et de la distance parcourue par le véhicule. Mme Simard a choisi de donner aux défenderesses de très nombreuses occasions de corriger les défauts de qualité du véhicule, jusqu’au moment où la répétition continuelle des problèmes et l’inefficacité des interventions des mécaniciens n’entraînent une rupture définitive du lien de confiance à l’égard des défenderesses. Elle n’a pas à être pénalisée en raison de la bonne foi et de la bonne volonté qu’elle a manifestée envers les défenderesses, en étant privée du droit d’obtenir l’annulation de l’achat.

 

[62]           Cette conclusion s’impose d’autant plus que Mme Simard avait spécifiquement pris la peine, avant l’achat du véhicule, de s’informer à propos d’un éventuel problème de consommation excessive d’huile à moteur. Elle a été rassurée par la réponse trompeuse du vendeur de Subaru Outaouais, dont rien dans la preuve ne permet par ailleurs de remettre en cause la bonne foi. Il n’est pas douteux que, si elle avait pu entrevoir ce qui l’attendait pour les 4 ½ années subséquentes à l’achat, Mme Simard n’aurait pas acquis ce véhicule.

 

[63]           Mme Simard n’est donc pas privée de la possibilité d’obtenir l’annulation ou la résolution du contrat d’achat du véhicule. Les défenderesses prétendent que, depuis la dernière réparation effectuée par Otto, le véhicule est désormais en bon état de fonctionnement. À la lumière de l’expérience vécue par Mme Simard et M. Picard entre 2015 et 2019, comment accorder foi à une telle affirmation ? En raison de ses nombreuses déconvenues, Mme Simard n’est pas tenue de faire confiance aux défenderesses, encore une fois, et de courir à nouveau le risque de voir surgir, comme par le passé, des problèmes qu’elle ne consent plus à subir. Après tant de vaines tentatives, les défenderesses ont perdu toute crédibilité quant à leur capacité de réparer le véhicule de manière à éviter la résurgence continuelle des problèmes éprouvés par Mme Simard.

 

[64]           Si, comme l’allèguent les défenderesses dans l’exposé de leurs moyens de défense, le véhicule a été « réparé pour de bon » et qu’il « fonctionne normalement »[22], elles ne subissent aucun préjudice à le reprendre.

 

[65]           Par ailleurs, l’opposition des défenderesses à l’annulation ou à la résolution du contrat d’achat est incohérente avec la position prise par M. Toulouse lors de sa rencontre avec Mme Simard et M. Picard. Selon la preuve présentée de part et d’autre, M. Toulouse acceptait de reprendre le véhicule. Le point de divergence entre les parties concernait plutôt le remboursement intégral du prix d’achat et le versement d’une compensation pour les troubles et inconvénients. Cette rencontre intervient en avril 2019, soit plus de quatre ans après l’achat, alors que le véhicule a déjà parcouru plus de 90 000 kilomètres[23]. Les quelques mois additionnels d’utilisation du véhicule après cette rencontre ne justifient pas, de la part des défenderesses, une position contraire à celle exprimée par M. Toulouse quant à la reprise du véhicule.

 

[66]           Contrairement à ce que prétendent les défenderesses[24], Mme Simard n’était pas tenue de vendre le véhicule pour mitiger ses dommages, une hypothèse qui aurait reporté sur un éventuel et improbable acheteur tout le fardeau des problèmes du véhicule et qui aurait pu, au surplus, sérieusement engagé la responsabilité de Mme Simard en tant que vendeur[25]. En outre, elle n’avait aucune obligation légale d’accepter l’offre de M. Toulouse de reprendre le véhicule en contrepartie du paiement de sa valeur marchande plutôt que du remboursement du prix d’achat. Subaru Outaouais ne pouvait, au moyen d’une telle proposition, mettre de côté la responsabilité que lui impose la Loi sur la protection du consommateur et priver Mme Simard des voies de recours que lui offre cette Loi.

 

[67]           À l’audience, les défenderesses soulèvent un moyen additionnel pour faire échec à la demande d’annulation de la vente. Elles soutiennent qu’en cas de manquement par le commerçant aux obligations que lui impose la Loi sur la protection du consommateur, le consommateur peut, outre des dommages-intérêt, exiger une seule réparation parmi celles énumérées à l’article 272 de cette Loi. En requérant que les défenderesses corrigent les problèmes dont le véhicule est affecté, Mme Simard aurait choisi le recours prévu au paragraphe a) de cette disposition, soit l’exécution de l’obligation. Elle ne pourrait donc réclamer, en plus de ce remède, la nullité ou la résolution du contrat d’achat.

 

[68]           Avec égards, le tribunal ne peut retenir ce point de vue. Il aurait pour conséquence que le consommateur qui se prévaut des garanties que lui accorde la Loi sur la protection du consommateur relativement aux déficiences du bien acheté, en permettant au commerçant de tenter de corriger le problème détecté, renoncerait par voie de conséquence à la possibilité d’exercer les recours prévus à l’article 272 de cette Loi, et ce, indépendamment du résultat atteint par le commerçant.

 

[69]           En l’instance, quatre ans d’efforts soutenus de la part de Subaru Outaouais et d’Otto n’ont pas réussi à empêcher la résurgence des problèmes dont le véhicule de Mme Simard est affecté. À la lumière de cet historique navrant, il apparaît plus que présomptueux de la part des défenderesses de conclure que ces problèmes sont dorénavant réglés et qu’il n’y a donc pas lieu d’annuler la vente. L’impossibilité pour les défenderesses, pendant une aussi longue période, de corriger durablement les problèmes du véhicule démontre leur incapacité à exécuter les obligations qui s’imposent à elles en raison des garanties prévues à la Loi sur la protection du consommateur.

 

[70]           Dans la mesure où les diverses tentatives de réparation du véhicule par les défenderesses résultaient de l’exercice par Mme Simard du recours prévu au paragraphe 272 a) de la Loi sur la protection du consommateur, ce recours s’est avéré illusoire. Ses démarches infructueuses ne font pas échec à la demande d’annulation de l’achat du véhicule qu’elle présente en l’instance.

 

[71]           Par ailleurs, l’argument des défenderesses est incohérent avec la position prise dans l’exposé de leurs moyens de défense. Elles y soutiennent que la réduction de l’obligation, plutôt que l’annulation de la vente, devrait être la réparation retenue par le tribunal en l’instance, outre des dommages-intérêts[26]. C’est à ce titre qu’elles lui offrent un montant de 6 757,80 $, représentant 20 % du prix d’achat du véhicule[27]. Or, la réduction de l’obligation est la réparation énoncée au paragraphe 272 c) de la Loi sur la protection du consommateur. En prenant cette position dans l’exposé de leurs moyens de défense, les défenderesses reconnaissent nécessairement que Mme Simard est encore en droit de se prévaloir contre elles des recours prévus à cette disposition, malgré les réparations du véhicule pendant la période de garantie.

 

[72]           Le tribunal conclut que Mme Simard est en droit d’obtenir l’annulation du contrat d’achat du 29 janvier 2015. Cette annulation entraîne la restitution des prestations.

 

ii)                  La restitution des prestations

 

[73]           Lorsqu’une personne est tenue, en vertu de la loi, de rendre à une autre personne des biens qu’elle a reçus en vertu d’un acte juridique subséquemment anéanti de façon rétroactive, l’article 1699 du Code civil du Québec prévoit qu’il y a lieu à la restitution des prestations. Cette disposition autorise aussi le tribunal, de manière exceptionnelle, à refuser cette restitution lorsqu’elle aurait pour effet d’accorder un avantage indu à l’une des parties, à moins qu’il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l’étendue ou les modalités de la restitution.

 

[74]           Le pouvoir discrétionnaire de refuser la restitution des prestations constitue une mesure d’équité; l’exercice de ce pouvoir doit se fonder sur la preuve et favoriser l’équilibre entre les parties[28]. En effet, la restitution des prestations « vise à remettre les parties en état, non à les enrichir », de sorte que « la correction d’une première iniquité n’en crée pas une seconde »[29]. Le cas échéant, il incombe au débiteur de la restitution de faire la preuve de cet avantage indu[30].

 

[75]           Selon l’arrêt Murray c. Prestige Gabriel Ouest[31], l’utilisation d’une automobile subséquemment à la découverte de la cause qui entraîne la nullité de son achat ne constitue pas un obstacle à la restitution des prestations :

 

[34]  La juge conclut que la restitution n’est pas possible en l’espèce, car l’utilisation de la voiture par l’appelant rend la remise en état impossible. Or, le fait de continuer à utiliser la chose vendue, même après la connaissance de la cause d’annulation, ne fait pas nécessairement obstacle à la restitution. Les principes régissant la restitution permettent de prendre en considération une telle utilisation.

 

[35]  Il en découle que l'appelant n'était pas tenu de cesser d'utiliser la voiture et de la remettre immédiatement dans l'état où elle se trouvait au moment de la vente afin de préserver son recours à l’annulation. (…)

 

[76]           En l’instance, la preuve ne fournit aucun motif justifiant de refuser la restitution des prestations. Dans sa demande introductive d’instance, Mme Simard offre de remettre le véhicule acheté en 2015. Il est remisé depuis qu’elle a cessé de l’utiliser en novembre 2019. Rien n’indique que l’automobile soit actuellement dans un état substantiellement différent de celui dans lequel Otto l’a remise à Mme Simard le 19 novembre 2019.

 

[77]           Selon le principe énoncé à l’article 1700 du Code civil du Québec, la restitution des prestations se fait en nature. En ce qui concerne Mme Simard, cette modalité est accomplie par son offre de remettre le véhicule. L’obligation de restitution existe au premier chef entre les parties au contrat[32], de sorte que Subaru Outaouais doit pour sa part lui remettre le prix d’achat, soit 38 761,73 $. De plus, étant donné que les articles 53 et 54 de la Loi sur la protection du consommateur permettent d’exercer contre le fabricant – ce qui inclut le distributeur – les recours découlant d’une contravention aux articles 37 et 38 de la Loi, Subaru Canada est elle aussi tenue envers Mme Simard de cette restitution[33].

 

[78]           Il en est ainsi même si les défenderesses reprendront possession d’un véhicule usagé ayant parcouru environ 100 000 kilomètres. En effet, et de manière corrélative, Mme Simard aura été privée pendant une période de plus de sept ans, soit depuis janvier 2015, de l’argent utilisé pour payer le prix d’achat du véhicule, sans avoir droit à des intérêts sur ce montant jusqu’à l’assignation en l’instance.

 

[79]           Bien que l’exposé de leurs moyens de défense ne contiennent aucune demande à ce sujet, les défenderesses soutiennent, au moment du procès, avoir droit à une indemnité de la part de Mme Simard pour la jouissance du bien, étant donné que l’automobile achetée par Mme Simard se déprécierait rapidement. Cette demande est basée sur l’article 1704 du Code civil du Québec, qui prévoit ce qui suit:

 

1704. Celui qui a l’obligation de restituer fait siens les fruits et revenus produits par le bien qu’il rend et il supporte les frais qu’il a engagés pour les produire. Il ne doit aucune indemnité pour la jouissance du bien, à moins que cette jouissance n’ait été l’objet principal de la prestation ou que le bien était susceptible de se déprécier rapidement.

 

Cependant, s’il est de mauvaise foi, ou si la cause de la restitution est due à sa faute, il est tenu, après avoir compensé les frais, de rendre ces fruits et revenus et d’indemniser le créancier pour la jouissance qu’a pu lui procurer le bien.

 

(Soulignements ajoutés)

 

[80]           Les défenderesses n’ont fait aucune preuve de l’étendue de la dépréciation de l’automobile vendue à Mme Simard, ni de la rapidité avec laquelle cette dépréciation se serait produite[34]. Elles prennent plutôt appui sur le passage suivant de l’arrêt Location Holand (1995) Ltd. c. Daimler Chrysler Insurance Co.[35] :

 

[37]  Avec égards, il me semble que les parties – et particulièrement l'appelante – attachent une importance indue aux précédents jurisprudentiels pour déterminer si une automobile est un bien qui se déprécie rapidement.  Il n'y a pas là une question de droit, mais une pure question factuelle.

 

[38]  D'ailleurs, même au strict plan factuel, le juge en chef Tremblay dans l'affaire Locas c. Brisebois n'a pas dit que les automobiles ne se dépréciaient pas rapidement, mais - ainsi que le fait remarquer le juge Dalphond dans l'affaire 166606 Canada Inc. (Gabriel Lexus Toyota) c. Bashtanik - il s'est uniquement prononcé quant «à l'automobile saisie en cette cause».

 

[39]  En second lieu, je suis d'accord avec l'avocat de Location Holand qu'il eût été préférable de présenter une preuve d'expert.  Néanmoins, et contrairement à ses prétentions, je suis d'opinion que, de nos jours, le tribunal a une connaissance d'office du fait que les automobiles se déprécient rapidement:  c'est là un «fait dont la notoriété rend l'existence raisonnablement incontestable» (art. 2808 C.c.Q.).

(Soulignement ajouté)

 

[81]           Avec égards, cet arrêt a été rendu dans un tout autre contexte, de sorte que les motifs cités ci-dessus ne peuvent être transposés à la situation juridique des parties dans le présent dossier. Saisie d’un litige dans lequel deux parties se disputaient la propriété d’un véhicule ayant fait l’objet d’une saisie avant jugement, la Cour d’appel devait alors décider dans quelles circonstances une automobile pouvait être considérée comme un bien périssable ou un bien susceptible de se déprécier rapidement au sens de l’article 575 du Code de procédure civile applicable à l’époque[36]. Cette disposition prévoyait que, dans le cadre d’une saisie après jugement, le tribunal pouvait ordonner la vente d’un tel bien afin que le produit de vente soit consigné au greffe.

 

[82]           Dans son arrêt, la Cour d’appel souligne entre autres que la vente aux enchères de l’automobile saisie est justifiée étant donné que le jugement de première instance concernant le litige relatif à cette automobile « risque d’être prononcé plus de cinq ans après la saisie » et qu’« on ne peut, au surplus, exclure la possibilité d’un appel par la suite »[37]. En outre, la partie de cet arrêt traitant de la dépréciation des automobiles peut être considérée comme un obiter dictum puisqu’en définitive, la Cour d’appel rejette, pour un autre motif, la demande visant à faire vendre le bien saisi.

 

[83]           Ces motifs ne peuvent être appliqués dans le contexte d’une demande d’annulation ou de résolution d’une vente d’automobile en vertu de la Loi sur la protection du consommateur. Ils auraient pour conséquence que la restitution des prestations ne pourrait jamais avoir lieu sans que le consommateur n’indemnise son vendeur pour la perte de jouissance du bien. Une mesure aussi draconienne, susceptible de faire peser un lourd fardeau financier sur le consommateur, constituerait un frein certain à l’exercice des droits que lui confère cette Loi.

 

[84]           Une proposition comme celle mise de l’avant par les défenderesses apparaît tout à fait contraire à l’objectif de la Loi sur la protection du consommateur, qui vise prioritairement à protéger le consommateur – et non le commerçant – contre les défaillances de la société de consommation. Tel que mentionné précédemment, c’est au commerçant qu’il incombe d’assumer les risques afférents à ses activités commerciales, ce qui peut certes parfois impliquer pour lui une perte financière à l’égard des biens défectueux qu’il met en marché.

 

[85]           De plus, dans l’appréciation de cette demande d’indemnisation de la part des défenderesses relativement à la dépréciation du véhicule, il y a lieu de tenir compte que dès sa rencontre avec M. Perreault, en août 2018, Mme Simard a offert à Subaru Outaouais de reprendre son automobile. Cette offre a été réitérée par la suite, lors de la rencontre du printemps 2019 avec M. Toulouse, de même que dans sa demande introductive d’instance. Subaru Outaouais a refusé de donner suite à cette offre. Elle attend au moment du procès pour se plaindre de la dépréciation du véhicule et demander une indemnisation.

 

[86]           L’obligation de restitution des prestations découle en l’instance de l’annulation de la vente d’une automobile en raison des manquements du vendeur et du fabricant aux obligations que leur impose cette loi d’ordre public qu’est la Loi sur la protection du consommateur. Dans un tel contexte, il serait paradoxal de leur accorder le bénéfice d’une indemnisation pour la jouissance d’un bien qui ne satisfait pas aux exigences légales de qualité, de fiabilité et de durabilité. Le tribunal ne peut prendre en considération la demande d’indemnisation tardive, non quantifiée et indéfendable présentée au moment du procès par les défenderesses.

 

[87]           Il est vraisemblable que le véhicule ait perdu une partie de sa valeur depuis l’achat de 2015. Mme Simard n’est toutefois pas tenue d’indemniser les défenderesses à ce sujet étant donné que rien dans la preuve ne démontre qu’elle en a fait un usage anormal. C’est la règle que prévoit l’article 1702 du Code civil du Québec :

 

1702. Lorsque le bien qu’il rend a subi une perte partielle, telle une détérioration ou une autre dépréciation de valeur, celui qui a l’obligation de restituer est tenu d’indemniser le créancier pour cette perte, à moins que celle-ci ne résulte de l’usage normal du bien.

 

[88]           La Cour d’appel en est arrivée à la même conclusion dans l’arrêt Murray c. Prestige Gabriel Ouest[38]. En outre, il ressort de la preuve que Mme Simard et M. Picard ont divulgué à M. Galipeau, au cours de la discussion préalable à l’achat, l’usage qu’ils comptaient faire du véhicule, qui impliquait des déplacements d’envergure.

 

[89]           En vertu de la règle énoncée à l’article 1703 du Code civil du Québec, Mme Simard est en droit de réclamer les montants déboursés pour l’entretien et la réparation du véhicule[39]. Selon la preuve, ces déboursés s’élèvent à 1 069,65 $[40]. Elle est aussi en droit de réclamer les frais d’entreposage, que les défenderesses acceptent par ailleurs de payer[41]. Sa réclamation à ce sujet s’élève à 1 434,78 $[42]. Ces deux chefs de réclamation peuvent aussi être considérés comme des dommages-intérêts qu’elle est en droit de réclamer en vertu de l’article 272 de la Loi sur la protection du consommateur.

 

[90]           Les règles de la restitution des prestations ont pour conséquence que Mme Simard est en droit de réclamer, outre le remboursement du prix d’achat, une somme de 2 504, 43 $ (soit 1 069,65 $ plus 1 434,78 $). Les défenderesses sont solidairement responsables de lui payer cette somme. Par ailleurs, les défenderesses n’ont droit à aucune somme de la part de Mme Simard en vertu des règles de la restitution des prestations.

 

iii)                Les dommages pour troubles et inconvénients

 

[91]           Au cours de son témoignage, Mme Simard évoque différents éléments factuels pour fonder sa réclamation de 25 000 $ pour troubles et inconvénients :

 

  • le stress occasionné par les problèmes continuels du véhicule et l’incertitude constante quant à sa fiabilité;

 

  • le fait que l’achat du véhicule visait à trouver une solution pour la situation précaire de son fils, alors que Subaru Outaouais lui a vendu un « paquet de problèmes » qui contribuait plutôt à amplifier la situation de crise dans laquelle la famille se trouvait et à accentuer la difficulté à y faire face;

 

  • le très haut niveau d’insécurité vécu au cours des quatre années d’utilisation du véhicule lorsque les voyants du tableau de bord s’allumaient;

 

  • le fait de se retrouver enfermée dans un système où le concessionnaire cherche à faire de l’argent plutôt qu’à se comporter comme son alliée;

 

  • l’obligation d’avoir constamment à aménager sa vie en fonction d’une solution alternative en cas de problèmes avec l’automobile et à planifier ses déplacements en fonction d’éventuels problèmes.

 

[92]           Toutes ces justifications n’ont pas la même valeur. Le tribunal retient que la situation médicale du fils de Mme Simard et de M. Picard, ainsi que les mesures requises pour y faire face, ont considérablement amplifié pour eux le préjudice résultant des problèmes éprouvés avec le véhicule et du faible degré de fiabilité qu’ils lui accordaient. Cette situation médicale, de même que l’utilisation projetée de l’automobile, ont été divulguées à Subaru Outaouais avant l’achat. Le concessionnaire ne pouvait ignorer ce contexte particulier, qui faisait en sorte que Mme Simard et M. Picard dépendaient de cette automobile pour un aspect de leur vie suscitant de vives émotions.

 

[93]           Ceci étant, la preuve montre que les problèmes éprouvés avec l’automobile ne se sont pas tous manifestés dans un tel contexte. Ces problèmes sont parfois survenus lors de séjours de vacances : les inconvénients bien réels vécus par Mme Simard et M. Picard à ces occasions ne comportent pas une dimension aussi grave que ceux éprouvés dans le contexte angoissant relié à la santé de leur fils.

 

[94]           Pour apprécier l’étendue des dommages subis par Mme Simard, le tribunal prend aussi en compte les dizaines de déplacements chez Subaru Outaouais, Otto et d’autres garagistes. L’ampleur de ces déplacements dépasse largement les « troubles ordinaires de la vie », ou encore les « inconvénients normaux auxquels tous les propriétaires de véhicules sont confrontés ici et là dans le cours normal d’une année », pour reprendre le vocabulaire utilisé dans l’arrêt Fortin c. Mazda Canada inc. (no. 1)[43]. Il y a également lieu de tenir compte de la nécessité pour Mme Simard de s’adapter à un ou plusieurs véhicules de courtoisie, aux conditions fixées par les concessionnaires Subaru pour l’utilisation de ces véhicules, ainsi que de ses nombreuses démarches auprès des défenderesses pour faire état de ses problèmes et trouver une solution.

 

[95]           L’évaluation des troubles et inconvénients comporte intrinsèquement une part d’arbitraire. Les défenderesses acceptent de payer une somme de 6 000 $ pour les troubles et inconvénients résultant des déplacements au garage[44]. Ce montant, qui constitue une admission de l’existence de tels troubles et inconvénients, ne tient pas compte des autres composantes du dommage subi par Mme Simard.  Compte tenu des circonstances du présent dossier, il est insuffisant pour la compenser adéquatement.

 

[96]           La situation vécue par Mme Simard s’est étendue sur une période de 4 ½ ans, soit de l’été 2015 à l’automne 2019, époque à laquelle l’automobile est remisée. La décision prise par les défenderesses tout au long de ces années de tenter de corriger les problèmes de l’automobile vendue à Mme Simard a contribué à prolonger la durée des inconvénients éprouvés avec son véhicule. Les défenderesses, qui reprochent maintenant à Mme Simard de ne pas avoir mitigé ses dommages, auraient pu elles-mêmes atténuer le préjudice subi par celle-ci en acceptant d’annuler la vente et de compenser adéquatement Mme Simard lorsqu’elle leur en a fait la demande.

 

[97]           Usant de sa discrétion, le tribunal fixe à 20 000 $ le montant des dommages subis par Mme Simard à titre de troubles et inconvénients et dont les défenderesses sont solidairement responsables.

 

[98]           Outre le remboursement du prix d’achat, Mme Simard est donc en droit de réclamer aux défenderesses un montant de 22 504,43 $ (soit 1 069,65 $ pour l’entretien et la réparation du véhicule, plus 1 434,78 $ pour les frais d’entreposage, plus 20 000 $ pour troubles et inconvénients).

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[99]           ACCUEILLE partiellement la demande;

 

[100]       DÉCLARE insuffisantes les offres réelles des défenderesses;

 

[101]       ANNULE à toutes fins que de droit le contrat d’achat intervenu le 29 janvier 2015 entre la demanderesse Caroline Simard et la défenderesse 9054-1582 Québec inc. concernant une automobile neuve Subaru Outback 2.5 l. Touring de l’année 2015 dont le numéro de série est 4S4BSCDC2F1288109;

 

[102]       DONNE ACTE à la demanderesse Caroline Simard de son offre de remettre cette automobile aux défenderesses 9054-1582 Québec inc. et Subaru Canada inc.;

 

[103]       CONDAMNE solidairement les défenderesses 9054-1582 Québec inc. et Subaru Canada inc. à payer à la demanderesse Caroline Simard la somme de 38 761,73 $ à titre de remboursement du prix d’achat de cette automobile, avec intérêts et l’indemnité additionnelle à compter de l’assignation;

 

[104]       CONDAMNE solidairement les défenderesses 9054-1582 Québec inc. et Subaru Canada inc. à payer à la demanderesse la somme de 22 504,43 $, avec intérêts et l’indemnité additionnelle à compter de l’assignation;

 

[105]       LE TOUT, avec les frais de justice.

 

 

__________________________________

LUC HUPPÉ, J.C.Q.

 

 

Me Jacques Castonguay

Mercier, Leduc

Avocat de la demanderesse

 

Me Laurence McCaughan

Me Mathieu Lacasse

Borden Ladner Gervais, s.e.n.c.r.l., s.r.l.

Avocats des défenderesses

 

 

 

 

 

Dates d’audience :

4, 5 et 6 mai 2022

 


[1]  Le paragraphe 2.2 de l’exposé modifié des moyens de défense (au 22 février 2021) énonce ce qui suit : « Considérant les faits particuliers en litige ainsi que la situation de la demanderesse dans le cadre des présentes procédures, les défenderesses proposent, afin de limiter le débat et de ne traiter que de la question des dommages ».

[2]  Au 31 août 2016, l’odomètre du véhicule indique 40 296 kilomètres.

[3]  L’essieu est à nouveau remplacé le 18 juillet suivant.

[4]  RLRQ c. P-40.1.

[5]  Fortin c. Mazda Canada inc. (no. 1), 2016 QCCA 31, paragr. 58; demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada rejetée : 2016 CanLII 51055 (CSC).

[6]  Idem.

[7]  Trigui c. Automobiles Prestige DG inc., 2021 QCCQ 4133; Chevalier c. 9207-6017 Québec inc., 2019 QCCQ 3044; Lamarre c. Sherbrooke Automobile inc., 2015 QCCQ 8586; Blais-Therrien c. 2970-7528 Québec inc., 2011 QCCQ 5663; Têtu c. Honda Canada inc., 2008 QCCQ 5678; Lachance c. 9107-7644 Québec inc., 2006 QCCQ 4244.

[8]  Précité, note 5.

[9]  Supra, paragraphe 36.

[10]  Exposé modifié des moyens de défense (au 22 février 2021), paragraphe liminaire du paragraphe 2.5.

[11]  Id., paragraphe 2.5 f).

[12]  Richard c. Time inc., 2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265, p. 290 (paragr. 44).

[13]  Luc THIBAUDEAU, Guide pratique de la société de consommation, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 129 (paragr. 47.5).

[14]  Une action collective concernant d’autres types de véhicules de marque Subaru a d’ailleurs été autorisée à propos de la consommation excessive d’huile à moteur : Champagne c. Subaru Canada inc., 2017 QCCS 5049 et Champagne c. Subaru Canada inc., 2018 QCCA 1554. D’autres jugements rendus au cours des dernières années font aussi référence à un problème de consommation excessive d’huile à moteur par des véhicules de marque Subaru : Leduc c. Subaru Canada inc., 2020 QCCQ 5819; Chevalier c. 9207-6017 Québec inc., 2019 QCCQ 3044; Larouche c. Henderson Rallye inc., 2018 QCCQ 740; Kacem c. Autos Centre-ville, 2017 QCCQ 9812; Alexandre c. Subaru Canada, 2017 QCCQ 2028.

[15]  Dans un interrogatoire au préalable tenu le 23 février 2021, M. Perreault évoque le fait que M. Galipeau ne travaille plus chez Subaru Outaouais et qu’il est peut-être décédé (p. 8).

[16]  Fortin c. Mazda Canada inc. (no. 2), 2022 QCCA 635, par. 16.

[17]  Plan d’argumentation des défenderesses, paragr. 31 à 34.

[18]  Précité, note 12, p. 315 (paragr. 113).

[19]  Exposé modifié des moyens de défense (au 22 février 2021), paragraphe 2.5.

[20]  L’article 2 de la Loi sur la protection du consommateur énonce qu’elle s’applique à tout contrat conclu entre un consommateur et un commerçant « dans le cours des activités de son commerce » et ayant pour objet un bien ou un service.

[21]  Au moment de la dernière visite chez Otto, le 19 novembre 2019, l’odomètre indiquait 98 646 kilomètres.

[22]  Exposé modifié des moyens de défense (au 22 février 2021), paragraphes 2.5 d) et e).

[23]  La dernière facture de Subaru Outaouais avant cette rencontre mentionne que l’odomètre indiquait alors 93 173 kilomètres.

[24]  Exposé modifié des moyens de défense (au 22 février 2021), paragr. 2.8; Plan d’argumentation des défenderesses, paragr. 26.

[25]  Code civil du Québec, article 1728.

[26]  Le paragraphe 2.7 de l’exposé modifié des moyens de défense (au 22 février 2021) se lit comme suit : « Par conséquent, les défenderesses soumettent que la réduction de l’obligation et des dommages-intérêts sont le remède auquel la demanderesse pourrait avoir droit, et ce, à la hauteur de 14 000 $, tel que détaillé ici-bas ».

[27]  Paragraphe 2.8 de l’exposé modifié des moyens de défense (au 22 février 2021).

[28]  Procureure générale du Québec c. Vidéotron, 2019 QCCA 880, paragr. 70, 72 et 78; Roy c. L’Unique, assurances générales inc., 2019 QCCA 1887, paragr. 81 et 82.

[29]  Montréal (Ville) c. Octane Stratégie inc., 2019 CSC 57, [2019] 4 R.C.S. 138, p. 168 (paragr. 42 et 43).

[30]  Banque Amex du Canada c. Adams, 2014 CSC 56, [2014 2 R.C.S. 787, p. 803 (paragr. 38).

[31]  2021 QCCA 1394.

[32]  Vincent KARIM, Les obligations, 5ième édition, volume 2, Montréal, Wilson et Lafleur, 2020, p. 1500-1501 (no. 3837).

[33]  Même si elle n’est pas partie au contrat d’achat conclu entre Subaru Outaouais et Mme Simard, Subaru Canada offre aux paragraphes 2.7 à 2.9 de l’exposé modifié des moyens de défense (au 22 février 2021) de verser à Mme Simard un montant de 6 757,80 $ en réduction d’obligation, représentant 20 % du prix d’achat.

[34]  En cours d’audience, le tribunal a accueilli une objection à la preuve relativement au témoignage de M. Toulouse concernant la valeur marchande de l’automobile au moment du procès, étant donné l’absence d’allégation à ce sujet dans l’exposé des moyens de défense et compte tenu que ce sujet relève du témoignage d’expert.

[35]  2005 QCCA 198.

[36]  Id., paragr. 7.

[37]  Id., paragr. 41.

[38]  Précité, note 31, paragr. 45. Dans le même sens, voir : 3223701 Canada inc. c. Darkallah, 2018 QCCA 937, paragr. 59.

[39]  Vallières c. 9251-2078 Québec inc., 2020 QCCQ 7050, paragr. 88 à 90.

[40]  Soit 128,95 $ (facture du 24 juillet 2015), 63,21 $ (facture du 31 juillet 2017), 68,93 $ (facture du 10 novembre 2017), 340,35 $ (facture du 27 février 2018), 57,47 $ (facture du 15 avril 2019), 275,64 $ (facture du 19 avril 2019) et 135,10 $ (facture du 30 septembre 2019).

[41]  Plan d’argumentation des défenderesses, paragr. 61.

[42]  Cette réclamation est fondée sur un reçu du 22 décembre 2019 au montant de 400 $, une facture du 1er novembre 2020 au montant de 517,39 $ et une facture du 5 novembre 2021 au montant de 517,39 $.

[43]  Précité, note 5, paragr. 168 et 170.

[44]  Le paragraphe 56 du plan d’argumentation des défenderesses est libellé ainsi : « Deuxièmement, les défenderesses acceptent de payer la somme de 6 000 $ à la demanderesse pour dommages, troubles et inconvénients en guise de bonne foi et en reconnaissance des inconvénients ayant pu être entraînés par les divers aller-retour au garage ».

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