Décision

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Lacroix c. 168360 Canada inc.

2021 QCCQ 6874

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

LOCALITÉ DE

JOLIETTE

« Chambre civile »

N° :

705-32-016535-194

 

DATE :

7 mai 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU JUGE

DENIS LE RESTE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

VÉRONIQUE LACROIX

Partie demanderesse

c.

168360 CANADA INC.

-et-

HYUNDAI AUTO CANADA CORPORATION

Partie défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Véronique Lacroix réclame 5 000 $ à 168360 Canada inc., agissant sous le nom de Hyundai Repentigny, et à Hyundai auto Canada Corporation, le fabricant.

[2]           Depuis l’achat de son véhicule neuf, madame Lacroix soutient qu’il comporte des déficiences majeures nécessitant plusieurs visites chez le concessionnaire.  Elle veut être indemnisée en dommages-intérêts, stress et inconvénients.

[3]           Les défenderesses soutiennent que les défectuosités du véhicule sont réparées sous garantie conventionnelle du fabricant, excluant toute possibilité de recours civil.

 

QUESTIONS EN LITIGE:

[4]           Les principales questions en litige retenues par le Tribunal sont les suivantes:

1.    Madame Lacroix peut-elle, malgré les réparations couvertes par la garantie contractuelle du fabricant, être indemnisée pour les dommages-intérêts découlant des défectuosités?

2.    Y a-t-il lieu à indemnisation?  Et, si oui, pour combien?

 

[5]           Il importe de rappeler les principes de droit applicables.

[6]           Le rôle principal des parties dans la charge de la preuve est établi aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec (C.c.Q.).

[7]           Comme le rappelle l’honorable Jacques J. Lévesque dans l’arrêt de la Cour d’appel Lemieux c. Aon Parizeau[1], le droit civil québécois porte en lui un principe cardinal qui s’applique à tous les recours judiciaires : «Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.»

[8]           Ainsi, les justiciables ont le fardeau de prouver l’existence, la modification ou l’extinction d’un droit.  Les règles du fardeau de la preuve signifient l’obligation de convaincre, qui est également qualifiée de fardeau de persuasion.  Il s’agit donc de l’obligation de produire dans les éléments de preuve une quantité et une qualité de preuve nécessaires à convaincre le Tribunal des allégations faites lors du procès.

[9]           En matière civile, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la partie demanderesse suivant les principes de la simple prépondérance.

 

1.         Madame Lacroix peut-elle, malgré les réparations couvertes par la garantie contractuelle du fabricant, être indemnisée pour les dommages-intérêts découlant des défectuosités?

[10]        Le 30 août 2017, madame Lacroix achète un véhicule neuf de marque et modèle Hyundai Elantra GLS 2018 pour 31 749,21 $.

[11]        À plusieurs reprises dans les semaines qui suivent, elle se présente chez le concessionnaire pour dénoncer des problématiques.  Elle soutient qu’il s’agit de défectuosités graves mettant en danger sa sécurité et celle de sa famille : le véhicule s’arrête brusquement à tout moment, sans aucun signe annonciateur.

[12]        Le véhicule est pris en charge par le concessionnaire à quatre reprises soit :

a)    du 8 au 18 juin 2018;

b)    du 11 au 19 septembre 2018;

c)    du 19 au 27 septembre 2018;

d)    du 1er octobre au 26 novembre 2018.

[13]        Le véhicule fait donc l’objet de réparations chez le concessionnaire Hyundai Repentigny pour un total de 86 jours en un peu plus de quatre mois.

[14]        Chaque fois, elle reprend son véhicule avec l’assurance qu’on a dûment effectué les réparations escomptées.  Malheureusement, les mêmes défectuosités surviennent à nouveau après quelques jours.

[15]        Madame Lacroix dit qu’elle subit ainsi plusieurs troubles et inconvénients.  Elle veut être indemnisée pour toutes ses démarches et pertes de temps pour faire corriger les défectuosités.

[16]        Elle dit qu’elle est en droit de s’attendre à ce que son véhicule neuf soit sécuritaire et puisse fonctionner convenablement sans avoir à faire l’objet de tant de vérifications et de réparations dès les premiers mois de son acquisition.

[17]        Elle ajoute qu’elle n’aurait jamais acheté ce véhicule et donné si haut prix si elle avait connu l’existence des vices et les déficiences affectant celui-ci.

[18]        Pour leur part, le concessionnaire, 168360 Canada inc., et Hyundai auto Canada Corporation, le fabricant, nient responsabilité.

[19]        D’abord, les témoins des défenderesses à l’instruction soutiennent avoir effectué les réparations sous garantie sans aucuns frais pour madame Lacroix.

[20]        Aussi, on ajoute que malgré plusieurs investigations, à chacune des visites de madame Lacroix chez le concessionnaire, les techniciens ne réussissent pas à identifier la problématique.  Le véhicule démarre bien et ne cesse pas de fonctionner lors des tests routiers.  On fait état d’un problème intermittent et indétectable.

[21]        À chacune des occasions où le véhicule est remis à madame Lacroix, on a procédé à plusieurs vérifications, sans pouvoir identifier de problématique.  C’est pour cela qu’il est impossible d’en effectuer la réparation auparavant.

[22]        On estime la réclamation mal fondée et exagérée.  Les défenderesses ajoutent que la garantie contractuelle du fabricant est justement là pour protéger les consommateurs des défauts de fabrication.

[23]        Les dommages indirects tels que les frais de déplacement, les désagréments, les pertes d’usage et tout autre dommage-intérêt ne peuvent pas juridiquement être indemnisés selon Hyundai.

[24]        Pourtant, la preuve prépondérante établit que madame Lacroix s’est présentée à plusieurs reprises chez le concessionnaire pour les mêmes troubles non résolus affectant son véhicule.

[25]        Le Tribunal conclut qu’il ne s’agit pas là d’une situation normale pour un véhicule neuf, malgré ce qu’en disent les défenderesses lors de l’instruction.

[26]        Madame Lacroix explique qu’elle a perdu totalement confiance en son véhicule.  Elle appréhende le moment de le conduire à nouveau.  Cette situation lui cause de nombreux désagréments et beaucoup de stress, notamment parce que le véhicule cesse de fonctionner sur la route sans signe préalable en freinant rapidement.

[27]        Le contrat de vente conclu par madame Lacroix avec un concessionnaire et un fabricant est un contrat de consommation au sens de la Loi sur la protection du consommateur (L.p.c.) et est aussi couvert par la garantie de qualité du Code civil du Québec.

[28]        Les articles 38, 39, 53 et 54 L.p.c. sont d’ordre public.  Ils imposent au concessionnaire vendeur et au fabricant du véhicule l’obligation de garantir la qualité de leur produit en regard de son usage et sa durabilité.

[29]        L’article 272 L.p.c. offre un éventail de recours, notamment les dommages-intérêts compensatoires pour les troubles et inconvénients occasionnés en pareilles circonstances.

[30]        L’article 1726 C.c.Q. s’applique également.

[31]        Dans la décision Leroux c. Gravano[2], la Cour d’appel du Québec résume les conditions d’application de la garantie légale pour vices cachés :

[40]       Pour se prévaloir de la garantie légale contre les vices cachés, quatre conditions doivent donc être respectées : (i) que le bien soit affecté d’un vice grave, l’intensité de cette gravité ayant été définie par la jurisprudence à partir des expressions « impropre à l’usage » et « diminuent tellement son utilité »; (ii) que le vice existait au moment de la vente; (iii) que le vice soit caché, qualité qui s’évalue objectivement et qui est accompagnée d’une obligation de s’informer; et (iv) que le vice soit inconnu de l’acheteur, qualité qui s’évalue subjectivement et dont le fardeau de preuve appartient au vendeur.

[32]        Après l’analyse de la preuve prépondérante, le Tribunal conclut que le véhicule neuf acheté par madame Lacroix est affecté d’un défaut de fabrication ou de conception lors de la vente.  Il n’a pas servi à l’usage auquel il est normalement destiné.  Le véhicule n’offre pas un rendement adéquat et, en plus, il n’est pas sécuritaire.

[33]        Les défenderesses ont l’obligation d’identifier promptement la cause de la problématique.  Un véhicule neuf de près de 32 000 $ doit fonctionner selon des standards de qualité auxquels sont en droit de s’attendre les consommateurs.

[34]        Les défenderesses doivent répondre des inconvénients anormaux vécus par madame Lacroix dans les circonstances particulières de cette affaire.

[35]        De plus, l’article 1729 C.c.Q. et la Loi sur la protection du consommateur prévoient une présomption qui dispense madame Lacroix de démontrer la cause à l’origine du déficit d’usage ou de durabilité.  Malgré les prétentions en défense, ce n’est pas à elle à identifier la problématique mécanique à l’origine des nombreuses pannes qu’elle a connues.  Il lui suffit d’établir que l’usage de son véhicule n’est pas celui auquel doit s’attendre toute autre personne placée en pareilles circonstances.

[36]        En plus, le résultat des réparations n’est pas celui auquel on peut s’attendre, surtout après que le véhicule eût été conservé chez le concessionnaire pendant 86 jours avant d’identifier la problématique.

[37]        Madame Lacroix est en droit de s’attendre que son véhicule fonctionne sans devoir se présenter chez le concessionnaire de façon répétée et, de surcroit, toujours pour les mêmes problématiques[3].

[38]        Dans Turcotte c. Hyundai Canada[4], notre collègue le juge Daniel Lavoie écrit :

[11]             La responsabilité d’un fabricant automobile ne se limite pas à réparer les défectuosités d’un véhicule conçu, fabriqué, exporté et vendu à un consommateur. Notre droit établit une présomption à l’avantage du consommateur voulant que le fabricant assume l’existence d’un vice de fabrication. Non seulement doit-il exécuter les travaux correctifs, mais il est contraint de dédommager le consommateur qui n’a pas pu profiter de son véhicule normalement.

[12]             La jurisprudence de notre Cour reconnaît, dans un tel cas, le bien-fondé d’une demande qui vise un dédommagement allant au-delà des réparations du concessionnaire et de la disponibilité d’un véhicule temporaire de remplacement.

[13]             Il appert de la preuve qu’un montant de 4 000 $ a été considéré entre les parties pour compenser le préjudice subi par le demandeur. Comme un de nos collègues l’a déjà souligné, la perte d’agrément de conduite d’un véhicule acheté neuf est certes compensable, mais difficilement chiffrable.

(Références omises)

[39]        Hyundai auto Canada corporation ne peut simplement plaider que la garantie conventionnelle lui permet d’échapper à la garantie légale ou à la Loi sur la protection du consommateur et ainsi refuser de dédommager madame Lacroix pour le préjudice réel qu’elle subit.  Au surplus, aucune preuve n’établit que le véhicule a été utilisé de façon anormale ou fait l’objet d’une mauvaise utilisation ou d’un mauvais entretien par madame Lacroix.

[40]        Le Tribunal conclut qu’il y a une présomption légale de l’existence du vice au moment de la vente et conclut que madame Lacroix s’est déchargée de son fardeau d’établir les éléments essentiels des déficits d’usage et d’ignorance des défauts.

[41]        Madame Lacroix a fait la preuve prépondérante que son véhicule n’a pas servi à un usage normal pendant une durée raisonnable eu égard au prix payé.  Ainsi, il y a lieu d’accueillir sa demande et d’analyser quels sont les dommages auxquels elle a droit.

 

2.         Y a-t-il lieu à indemnisation?  Et, si oui, pour combien?

[42]        Les indemnités en pareil cas varient de 2 000 $ à plus ou moins 5 000 $[5].

[43]        En résumé, le Tribunal conclut que les défectuosités vécues par madame Lacroix sont anormales avec un véhicule neuf, tant par leur fréquence, leur nature et le nombre de jours nécessaires au concessionnaire et au fabricant pour régler la situation, identifier la problématique et la corriger, soit 86.

[44]        Dans sa réclamation, madame Lacroix écrit :

24.        La demanderesse est donc bien fondée de demander au Tribunal de condamner les défenderesses à lui payer solidairement la somme de 5 000,00 $, à titre de diminution du prix de vente ainsi qu’à titre de dommages-intérêts pour l’ensemble du préjudice qu’elle a subi, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la réception de la mise en demeure, soit à compter du 29 octobre 2018.

[45]        Plusieurs des décisions précitées font état d’un nombre de visites plus élevé chez le concessionnaire avec un véhicule neuf.  Le Tribunal doit, bien sûr, apprécier le nombre de déplacements chez le concessionnaire, mais également les nombreux jours passés en réparation.

[46]        Le Tribunal conclut à la solidarité des défenderesses parce que le concessionnaire a vendu le véhicule et tenté d’en effectuer les réparations sans trop de résultat avant plusieurs jours et le fabricant, vu la présomption prévue à la Loi sur la protection du consommateur et au Code civil du Québec.

[47]        Usant de sa discrétion judiciaire, le Tribunal fixe à 3 500 $ la valeur des troubles, ennuis, inconvénients, pertes de temps et stress pour l’ensemble du préjudice subi par madame Lacroix.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[48]        ACCUEILLE en partie la réclamation.

[49]        CONDAMNE 138360 Canada inc. et Hyundai auto Canada Corporation, solidairement, à payer à Véronique Lacroix 3 500 $ plus les intérêts au taux légal majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter de la mise en demeure du 29 octobre 2018, plus les frais de justice de 103 $.

 

 

__________________________________

DENIS LE RESTE, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

29 mars 2021

 



[1] 2018 QCCA 1346.

[2] Leroux c. Gravano, 2016 QCCA 79.

[3] Fréchette c. Chrysler Canada, 2017 QCCQ 11780; Noël c. Chrysler Canada inc., 2014 QCCQ 10591; Tessier c. Mazda Canada, 2014 QCCQ 9840; Madon c. Laval Bourassa Chevrolet Buick GMC, 2014 QCCQ 11320; 7640838 Canada inc. c. Subaru Canada inc., 2014 QCCQ 12881.

[4] 2015 QCCQ 5271.

[5] Fréchette c. Chrysler Canada, préc. note 3; Leblanc c. Kia Canada inc., 2016 QCCQ 12915; Guimont c. Montmagny Toyota, 2012 QCCQ 6586; Bui c. Mercedes-Benz Canada inc., SOQUIJ AZ-50196310; Bolduc c. Kia Canada inc., 2016 QCCQ 8397.

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