Droit de la famille — 20515 |
2020 QCCS 1150 |
JO 0267 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEAUCE |
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N°: |
350-04-000050-147 |
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DATE : |
6 avril 2020 |
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L’HONORABLE SUZANNE OUELLET, j.c.s. |
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V… C… |
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Demandeur
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c. |
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C… T… |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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1. Contexte
[1] Les parties sont les parents séparés de deux enfants :
- X, 10 ans[1];
- Y, 8 ans[2].
[2] Le Québec est plongé dans une pandémie.
[3] Le 13 mars 2020, l’état d’urgence sanitaire est décrété par le Gouvernement du Québec.
[4] De sévères mesures sont en place pour éviter la propagation du virus COVID-19.
[5] Monsieur a la garde des enfants pendant la période scolaire. Madame bénéficie de droits d’accès aux deux semaines, du vendredi au dimanche, prolongés des jours pédagogiques et/ou fériés.
[6] Madame bénéficiait d’un droit d’accès les 27 (fin de journée), 28 et 29 mars 2020.
[7] Invoquant la pandémie, Monsieur a gardé les enfants chez lui.
[8] La soussignée fut saisie de la problématique par l’avocate de Madame le 30 mars 2020, vu l’impossibilité d’entente[3].
2. Analyse et décision
2.1 Le maintien des droits d’accès de Madame
[9] L’escalade a débuté vers le 21 mars 2020 par plusieurs messages-texte de Madame faisant part à Monsieur de ses inquiétudes par rapport à la présence de sa conjointe qui est infirmière.
[10] Le 24 mars 2020, Monsieur transmet à Madame un courriel pour, déclare-t-il, discuter de la situation et trouver une solution à l’amiable. Il suggère l’utilisation des moyens technologiques (Skype, etc.)[4].
[11] Le 27 mars 2020, alors que Madame est en route, il sollicite l’intervention des policiers.
[12] Dans sa déclaration sous serment du 31 mars 2020, Monsieur allègue ce qui suit :
« 8.- Vu le manque d’ouverture de madame et n’ayant aucune information sur la situation qui existe chez madame, j’ai décidé de garder les enfants la fin de semaine du 27 mars 2020 par souci de sécurité; »
[13] Il déclare de plus ce qui suit :
« 11.- Pour prendre ma décision de ne pas envoyer les enfants j’ai tenu compte du fait que le gouvernement recommandait d’éviter les déplacements entre régions, que je n’avais pas d’information sur une possible contamination chez Madame et enfin, que les enfants de son conjoint doivent également faire des déplacements entre régions vu les nouvelles modalités de garde dont je n’ai pas été informé; »
[14] Monsieur se rabat donc sur le manque d’information pour justifier sa décision de priver Madame de ses droits d’accès.
[15] Dans sa déclaration sous serment du 31 mars 2020, Madame rétorque :
« [2] Avant l’envoi de ce courriel [du 24 mars 2020], le défendeur ne s’est pas informé des mesures que nous appliquions chez nous ni si nous avions quelques symptômes que ce soit; »
[16] En regard de ces déclarations, il semble que Monsieur omet le plus important : s’informer de la situation chez Madame et des mesures qui y sont prises.
[17] Or, il appert que Madame et son conjoint appliquent les mesures suivantes :
- ni Madame ni son conjoint n’ont voyagé dans les 14 jours précédant l’accès et au-delà;
- ils n’ont eu aucun contact avec des gens qui ont voyagé dans les 14 jours précédant l’accès;
- ils ne présentent aucun symptôme de la COVID-19, du rhume ou de la grippe;
- ils n’ont pas été en contact avec des gens qui présentent de tels symptômes;
- Madame ne travaille pas actuellement;
- son conjoint travaille de nuit comme mécanicien;
- le couple ne sort pas de la maison, sauf pour l’essentiel;
- Madame et son conjoint n’ont aucun contact avec les familles et amis;
- le conjoint de Madame a modifié l’horaire de garde de ses enfants afin qu’ils ne soient pas à la maison en même temps que X et Y;
- le milieu de vie de la mère des enfants du conjoint de Madame est sécurisé[5].
[18] Madame déclare de plus :
« [9] Nous lavons nos mains fréquemment, nous désinfectons les produits achetés à l’épicerie et à la pharmacie et nous faisons le ménage de fond en comble après le départ de mes enfants ou de ceux de mon conjoint. Nous sommes très méticuleux. »[6]
[19] En cette période historique de tumulte et de bouleversements sociaux, le Tribunal rappelle qu’une communication efficiente et transparente entre les parents prend tout son sens. L’intérêt des enfants le commande.
[20] Par un courriel du 1er avril 2020 (19 h 11), l’avocate de Monsieur annonce qu’il ne conteste plus la demande de Madame quant au respect de ses droits d’accès. Lors des représentations du 2 avril 2020, l’avocate de Monsieur représente qu’il accepte que soient repris les droits d’accès perdus.
[21] Selon son avocate, Monsieur a compris la règle en prenant connaissance d’un jugement du 27 mars 2020 rendu par l’honorable Johanne April, j.c.s.[7] et de l’Arrêté 2020-013 émis par la ministre de la Santé et des services sociaux le 1er avril 2020[8].
[22] Pourtant, depuis le début de la crise, le principe est que les jugements et les ordonnances demeurent, sauf urgence. Dès le 20 mars 2020, la juge coordonnatrice de la chambre familiale, division de Québec, émet le communiqué suivant, publié à tout le moins sur le site du Barreau du Québec :
« Membres des Barreaux de la division de Québec,
Mesdames, Messieurs,
Pandémie de la COVID-19
Les jugements et les ordonnances demeurent, incluant les lieux d’échange des enfants. En cas d’urgence, veuillez transmettre votre demande en mesures de sauvegarde à conferenceqc@justice.gouv.qc.ca […] »[9]
[23] Jamais une autorité n’a véhiculé l’idée ni décrété que les jugements en matière de garde et d’accès pouvaient ne pas être respectés[10].
[24] À preuve, selon l’Arrêté 2020-013, l’accès aux régions confinées est permis notamment aux personnes suivantes :
« 6. Celles qui doivent s’y rendre pour se conformer à une ordonnance contenue dans un jugement rendu par un tribunal ou pour permettre l’exercice des droits de garde ou d’accès parentaux contenus dans une entente; […] »
[25] De plus, les domiciles des parties (Ville A et Ville B) ne sont pas situés en régions confinées au sens de l’Arrêté numéro 2020-013 en vigueur depuis le 1er avril, midi, pas plus qu’ils ne l’étaient en vertu de celui mis en vigueur le 28 mars 2020 (Arrêté 2020-011) remplacé depuis.
2.2 La reprise des journées d’accès de Madame
[26] Madame suggère de juxtaposer les deux jours d’accès perdus à sa part du congé Pascal.
[27] Monsieur n’accepte pas cette proposition. Il suggère plutôt la fin de semaine suivante.
[28] La solution proposée par Monsieur impliquera deux voyages pour Madame qui, rappelons-le, représentent, pour l’aller seulement, une distance variant entre 66 et 77 km selon le trajet emprunté.
[29] Dans le contexte actuel de pandémie, les autorités suggèrent de limiter les déplacements. Paradoxalement, alors que Monsieur en faisait un argument pour priver Madame de son droit d’accès du 27 mars 2020[11], il propose maintenant une solution de reprise qui implique deux déplacements (aller-retour) au lieu d’un seul.
[30] Par ailleurs, contrairement à ce que plaide Monsieur, l’esprit du jugement du 31 mars 2020 n’est pas de limiter les accès de Madame à deux jours consécutifs.
[31] Nulle part il n’est mentionné qu’elle ne peut bénéficier de quatre jours d’accès d’affilée. Au contraire :
- Elle peut bénéficier de droits d’accès, prolongés des jours pédagogiques et/ou fériés;
- À la relâche scolaire, elle bénéficie de cinq jours de suite;
- À la période des Fêtes, elle bénéficie de sept jours de suite;
- À l’été, une garde partagée est instaurée.
[32] Enfin, les enfants sont actuellement retirés obligatoirement de l’école, de sorte qu’il n’est pas contre-indiqué d’accorder la reprise des jours d’accès perdus durant la semaine.
[33] Dans l’intérêt des enfants, il faut éviter que persiste la frustration reliée à l’événement du 27 mars 2020. Une régularisation rapide de la situation s’impose et la semaine du congé Pascal est le moment approprié pour ce faire.
[34] Le pragmatisme s’impose ici.
[35] La solution préconisée par Madame sera retenue.
2.3 La provision pour frais
[36] Madame demande une provision pour frais de 1 500 $. Elle allègue que :
« 13. […] le comportement du demandeur m’a obligé [sic], encore une fois, à m’adresser au Tribunal afin que mes droits d’accès soient respectés; »[12]
[37] Avant de se faire justice lui-même, Monsieur aurait pu demander à Madame des précisions sur l’état de la situation qui prévalait chez elle.
[38] Si le mobile de l’intervention de Monsieur était véritablement relié à la pandémie, il aurait été certes rassuré par les réponses de Madame qu’elle a d’ailleurs données dans sa déclaration sous serment du 31 mars 2020.
[39] L’information aurait pu ainsi éviter les coûts reliés à l’imbroglio.
[40] Par ailleurs, même la reprise du droit d’accès de Madame a nécessité l’intervention du Tribunal puisque Monsieur s’opposait à la proposition, pourtant sensée, de Madame.
[41] Il est indéniable que la conduite de Monsieur a nécessité pour Madame de recourir à son avocate.
[42] Il s’agit d’un cas clair où la judiciarisation aurait pu être évitée.
[43] Heureusement, l’impasse s’est dénouée favorablement sans trop de délai, mais pas sans coûts.
[44] Madame est sans emploi actuellement. Monsieur est en arrêt de travail et achève de recevoir ses prestations d’assurance-emploi. Il envisage cependant le recours à l’aide d’urgence déployée par le Gouvernement.
[45] Les circonstances justifient une provision pour frais. Dans les 30 jours suivant son retour au travail, Monsieur aura la capacité de verser une somme de 700 $ à titre de provision pour frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[46] ORDONNE que les droits d’accès de la défenderesse soient repris à compter du mardi 7 avril 2020, 15 h 30 jusqu’à la fin de la part du congé Pascal de cette dernière;
[47] ORDONNE au demandeur de payer à la défenderesse une provision pour frais de 700 $ payable par chèque à l’ordre de Carré Webster en fidéicommis, dans les 30 jours suivant son retour au travail.
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__________________________________ SUZANNE OUELLET, j.c.s. |
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Me Louise Brisset Des Nos Avocate du demandeur 1017 boulevard Vachon Nord, bureau 213 |
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Me Maryse Carré Me Gabrielle Martineau-Desautels Carré et Webster Avocats Avocats de la défenderesse 400 boulevard Jean-Lesage, bureau 550 |
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Date de l’instruction : |
2 avril 2020 |
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[1] Née le [...] 2009.
[2] Né le [...] 2011.
[3] Courriel de Me Gabrielle Martineau-Desautels du 27 mars 2020 (16 h 38).
[4] Déclaration sous serment de Monsieur du 31 mars 2020, par. 5, 6.
[5] Déclaration sous serment de Madame du 31 mars 2020, par. 4-8.
[6] Id., par. 9.
[7] Droit de la famille - 20474, 2020 QCCS 1051.
[8] Courriel de Me Brisset Des Nos du 1er avril 2020.
[9] Communiqué de la juge coordonnatrice de la chambre familiale, division de Québec, du 20 mars 2020.
[10] https://www.justice.gouv.qc.ca/coronavirus/questions-reponses-garde-enfants/.
[11] Déclaration sous serment de Monsieur du 31 mars 2020, par. 11.
[12] Déclaration sous serment de Madame du 31 mars 2020, par. 13.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.