Décision

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Medvedovsky c. Solidarity for Palestinian Human Rights McGill (SPHR McGill)

2024 QCCS 1518

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

montréal

 

 

 

No :

 

 500-17-129763-242

 

 

 

DATE :

1er mai 2024

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

 

L’HONORABLE

 

chantal masse, J.C.S

______________________________________________________________________

 

GABRIEL MEDVEDOVSKY

-et-

RAIHAANA ADIRA

Demandeurs

c.

SOLIDARITY FOR PALESTINIAN HUMAN RIGTHS MCGILL (SPHR MCGILL)

-et-

SOLIDARITY FOR PALESTINIAN HUMAN RIGHTS CONCORDIA (SPHR CONCORDIA)

-et-

MONTRÉAL4PALESTINE

-et-

PALESTINIAN YOUTH MOVEMENT MONTRÉAL (PYMMONTREAL)

-et-

ALLIANCE4PALESTINE.QC

Défendeurs

-et-

MCGILL UNIVERSITY

           Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

                                                     JUGEMENT

                              (sur demande en injonction provisoire)

 

______________________________________________________________________

 

 

[1]   L’intervention des tribunaux est parfois susceptible d’être un remède pire que le mal auquel on cherche à remédier. À ce stade-ci et à la lumière de la preuve au dossier actuellement, et le Tribunal est tout à fait conscient que la situation pourrait changer, il n’y a pas lieu pour l’instant d’intervenir en accordant les conclusions recherchées.

[2]   Le Tribunal est également saisi d’une demande de mise sous scellés des déclarations assermentées soumises par les demandeurs, deux étudiants de l’Université McGill. Les conditions requises pour l’obtention d’une telle ordonnance ne sont pas rencontrées et cette demande doit donc également être rejetée.

[3]   Par ailleurs, il n’a pas été nécessaire pour le Tribunal de considérer les déclarations assermentées produites par des parties qui ne sont pas encore intervenues au dossier mais se sont présentées lors de l’audience afin de rendre la présente décision. Dans ce contexte, il n’y a pas lieu de disposer de l’objection des demandeurs au dépôt de celles-ci. Le débat quant à l’intervention de ces parties, si débat il y a, pourra donc avoir lieu au moment où celles-ci se prévaudront du processus prévu au Code de procédure civile, et advenant qu’elles le fassent bel et bien.

  1. La demande en injonction

[4]   Les demandeurs étudient tous les deux à l’Université McGill sur le campus de laquelle des manifestants se sont installés dans des tentes depuis le 27 avril 2024.

[5]   Les demandeurs font état dans leur demande d’autres manifestations antérieures qui se sont déroulées à Montréal à différents endroits autres que le campus de l’Université McGill et sur le campus de l’Université McGill, à compter des événements survenus en Israël et à Gaza de l’automne 2023 jusqu’à maintenant, de même que du contexte plus global des manifestations se déroulant présentement sur plusieurs campus nord-américains.

[6]   Le remède qu’ils demandent vise 154 édifices occupés par l’Université McGill et non le seul secteur lié au campement récemment installé[1]. Dans les conclusions de leur recours, ils ne demandent pas explicitement le démantèlement du campement bien que ceci pourrait être considéré comme implicitement compris dans le remède demandé. Ils requièrent en effet essentiellement, pour une période de dix (10) jours au stade provisoire, pendant l’instance au stade interlocutoire et de façon permanente au fond :

[7]   Les demandeurs qualifient eux-mêmes leur demande d’« injonction quia timet », cette expression latine signifiant « parce qu’il/elle craint », un tel remède visant à empêcher que surviennent des gestes fautifs imminents ou que se concrétisent des menaces que de tels gestes soient posés.

  1. Les déclarations assermentées considérées

[8]   Les demandeurs, en plus de leurs propres déclarations assermentées, produisent celles de 9 autres personnes. Sans prétendre les relater en détail, le Tribunal en résume ici l’essentiel.

[9]   Le demandeur GM indique qu’il ne se sent pas confortable sur le campus et n’y étudie plus. Il réfère plus particulièrement à la période depuis laquelle le campement s’est installé sur les lieux. Il ajoute que les manifestants sont selon lui imprévisibles et comme ils ne sont pas restreints dans leurs déplacements sur le campus et qu’ils l’intimident par leur nombre, il craint pour sa sécurité. Il dit comprendre les appels à l’« intifada revolution  » comme des appels à la violence.  Il souligne qu’il doit être présent entre le 29 avril et le 3 mai sur le campus pour compléter un examen et corriger des examens pour un professeur avec qui il travaille. Il craint d’être identifié comme étant juif et d’être pris pour cible. Il ajoute être déconcentré et sous pression en raison des craintes pour sa sécurité en cette période d’examens et se plaint du fait que l’Université McGill ne fasse pas respecter le code de conduite des étudiants.

[10]           Le demandeur ne fait pas mention d’une crainte telle qu’il ne se risquera plus sur le campus. Il n’établit aucunement que les accès à des locaux quelconques à l’Université McGill seraient présentement entravés. Il n’indique aucunement qu’il ne sera pas en mesure de passer l’examen qui lui reste, bien qu’il affirme ne pas vouloir se rendre sur le campus pour le passer, et dont la date précise de la tenue n’est pas identifiée dans sa déclaration assermentée du 29 avril 2024.

[11]           La demanderesse RA indique craindre de se rendre à l’Université McGill depuis février 2024 et se sentir comme si sa sécurité physique est en danger (« I feel like my physical safety is at risk ») ce qui l’a conduite à ne pas se rendre sur place lorsqu’une manifestation s’est déroulée en février 2024, lors d’un autre événement le 28 mars 2024 et ne s’est pas présentée en personne pendant plusieurs cours. Elle indique qu’elle fréquentera l’Université McGill pendant la session d’été à compter du 1er mai 2024.

[12]           Le campement commencé le 27 avril 2024 a exacerbé ses craintes et elle ne se rend plus sur place. Elle dit qu’en raison du fait que les manifestants ont déjà bloqué l’accès à des édifices lors de manifestations antérieures, cela justifie ses craintes qu’ils continueront de le faire. Comme musulmane, elle a été ciblée comme étant « Zionist » parce qu’elle appuyait des amis juifs et a été accusée d’« aimer tuer des enfants » parce qu’elle avait emmené une tasse de café de la marque Starbucks en classe, cette compagnie étant identifiée comme ne devant pas être supportée par les manifestants. Cette demanderesse rapporte des propos d’autres étudiants qui auraient subi du harcèlement raciste. Elle se plaint de l’inaction de l’Université McGill qui ne ferait pas respecter le code de conduite, n’agirait pas pour maintenir un environnement sécuritaire et appuierait des étudiants sympathisant avec le terrorisme. Elle soutient avoir été contrainte au silence et diffamée, en plus d’être aliénée par sa communauté religieuse et académique mais n’explique pas par qui ni dans quelles circonstances précisément.

[13]           Les déclarations des demandeurs contiennent plusieurs éléments de ouï-dire qui ont donc peu de force probante. Dans ce contexte, les craintes qu’ils expriment ne sont pas entièrement objectives. Plusieurs situations décrites relèvent d’un amalgame de faits isolés ou même peu liés avec la situation actuelle qui prévaut sur le campus.

[14]           Les slogans qui pourraient être interprétés comme des appels à la violence sont certes troublants. Il demeure pour l’instant que les demandeurs eux-mêmes indiquent qu’il s’agit d’une interprétation de leur part et ne prétendent pas que cet appel à la violence les viserait personnellement mais plutôt que cela affecte négativement l’ambiance sur le campus et ne favorise pas l’étude sur les lieux.

[15]           Quant aux autres déclarations assermentées, elles émanent de personnes qui ne se sont pas portées demanderesses. Elles font pour l’essentiel, état de craintes semblables à celles des demandeurs, de l’impossibilité de jouir pleinement des lieux en découlant et de reproches identiques quant à l’inaction de l’Université McGill, avec peut-être trois exceptions.

[16]           Les deux premières sont deux déclarations assermentées qui vont plus loin dans leur interprétation des slogans utilisés par les manifestants. L’une fait état d’une intensification d’un message « pro-hamas/hezbollah » plutôt que d’un message « pro-palestinien » une différence qui, il faut le souligner, mérite de faire l’objet de nuances. L’interprétation du message – on lit jusqu’au désir d’éliminer tous les juifs dans une bannière comportant le message « Intifada until victory ».

[17]           Il faut souligner ici que les sensibilités ne sont pas toutes les mêmes, ce qui est tout à fait compréhensible, considérant le vécu de cette affiante, descendante de survivants de l’Holocauste. L’autre affiante va jusqu’à affirmer qu’elle et d’autres vont jusqu’à cacher leur identité juive de leurs camarades de classe en raison des manifestations qu’elle décrit comme étant « antisémites » et accuse les manifestants d’avoir des propos haineux, menaçants et harcelants à l’endroit des juifs mais ne donne pas de détails sur des propos spécifiques autres que « Intifada », « Israel is terrorist » et « from the river to the sea ».    

[18]           La troisième exception est une déclaration assermentée d’une anesthésiste de l’hôpital du Sacré-Coeur suivant laquelle un incident serait survenu alors qu’un homme d’une cinquantaine d’années grimpé sur un rocher aurait crié « Long live Israel » « Am Israel Chai » et que plusieurs personnes l’ont ensuite entouré et filmé, l’un d’eux le frappant sur le bras avec un bâton au bout duquel un drapeau noir flottait, ayant manqué sa tête. L’homme a pu quitter les lieux suivant l’affiante. Toujours selon celle-ci, des témoins représentant l’Université McGill n’auraient rien fait devant cette situation. Une déclaration assermentée de la personne qui aurait été ainsi entourée n’a pas été produite au dossier, de telle sorte que le Tribunal n’est pas en mesure de comprendre la perception de la principale personne intéressée de cet événement, le seul faisant état d’un geste violent, ni son contexte complet.

[19]           L’Université McGill, qui n’a pris position ni pour ni contre l’octroi de la demande en injonction provisoire, a déposé la déclaration assermentée de Angela Campbell, professeure de droit et « Associate Provost, Equity and Academic Policies ».

[20]           La professeure Campbell indique que selon sa compréhension, les manifestants qui ont commencé à installer le campement le 27 avril dernier cherchent à protester contre la guerre à Gaza et/ou à faire pression sur l’Université McGill afin qu’elle rompe ses liens avec des entités connectées, selon eux, avec le financement de cette guerre ou facilitant cette guerre.

[21]           Elle ajoute que l’Université McGill respecte et accorde sa protection à la liberté d’expression et de réunion pacifique tout en précisant que celle-ci considère que le campement qui s’est installé sur les lieux est illégal et, qu’après avoir tenté de discuter et négocier avec certains des manifestants et notamment d’obtenir des engagements à ne pas tenir de propos antisémites, elle en est venue à demander l’intervention des policiers, après avoir donné deux avertissements aux personnes sur les lieux.  Elle dit ignorer quand et comment les policiers procéderont pour mettre fin au campement et indique que l’Université McGill se fie à leur expertise à ce sujet, comprenant qu’ils travailleront au mieux de leurs habiletés afin de mettre fin au campement de façon pacifique et en évitant la violence et de causer des préjudices aux manifestants.

[22]           L’Université McGill n’a pas jugé bon de s’adresser au Tribunal pour demander une injonction, et ce, malgré que ses politiques reconnaissent que le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique est limité par le droit des membres de la communauté universitaire de s’adonner à leurs activités sans interférence indue et dans un environnement sécuritaire.

[23]           La défenderesse SPHR-Concordia a produit au dossier la déclaration assermentée de Zeyad Abisaab, laquelle fait un portrait diamétralement opposé des manifestations de celui tracé par les demandeurs et leurs affiants et insiste sur l’importance de la liberté d’expression des manifestants et le risque d’un « chilling effect » de toute ordonnance sur cette liberté fondamentale. Suivant la perception de celle-ci, les risques de violence viendraient des contre-manifestants plutôt que des manifestants.

[24]           À ce stade-ci, il n’est pas possible ni approprié de trancher les contradictions apparentes entre les versions données par les affiants.  

  1. L’analyse des critères au stade de la demande en injonction provisoire

[25]           Les critères sont bien connus. Il s’agit ici de les appliquer.

Absence de démonstration d’une urgence

[26]           Les demandeurs ne convainquent pas le Tribunal qu’il y a une urgence de rendre les ordonnances demandées.

[27]           L’urgence alléguée, soit la fin de la période d’examens, n’est pas suffisante puisqu’aucune déclaration assermentée ne démontre l’impossibilité d’avoir accès aux lieux de la tenue des examens ni que ceux-ci ne pourront être tenus ou encore ne démontre que des examens spécifiques seront manqués ou encore ont été manqués jusqu’ici.

[28]           Les craintes de blocage de l’accès à des édifices sont insuffisantes puisque découlant de faits liés à d’autres manifestations et non à celle qui vient de commencer. Le seul fait que les mêmes organisations soient impliquées est également insuffisant, les stratégies et objectifs pouvant être différents d’une manifestation à l’autre.  Les craintes pour la sécurité reposent soit sur des craintes en bonne partie subjectives et sur des propos perçus comme généralement menaçants mais sans que l’on identifie une menace s’adressant à l’un des défendeurs ou des affiants personnellement, soit sur des événements isolés quant auxquels le Tribunal ne possède pas le contexte complet.

[29]           Rien à ce stade-ci, n’indique que les manifestants ont l’intention de faire manquer des examens aux étudiants ou de bloquer leur accès aux édifices de l’Université McGill et les priver de passer leurs examens.

[30]           Comme l’indique la professeure Campbell, les manifestants s’emploient plutôt à protester contre la guerre et tentent de faire pression sur l’Université afin qu’elle rompe ses liens avec certaines organisations.  

[31]           Ce faisant, il est vrai qu’ils occupent illégalement les lieux en y campant. Toutefois, il faut souligner que l’Université McGill, contrairement aux prétentions des demandeurs, a été proactive, a appliqué le processus qu’elle a prévu, a tenté de négocier une entente pour un démantèlement progressif avec le respect de certaines conditions, donné des avertissements faute d’entente et, enfin, fait appel aux policiers en dernier recours, afin de mettre fin à cette situation.

[32]           Tout cela a été fait depuis le 27 avril. Nous sommes le 1er mai, soit 5 jours plus tard seulement.

[33]           Il est pour l’instant prématuré de conclure que la situation ne se résoudra pas adéquatement et de façon non violente avec une intervention policière progressive, ce qu’une ordonnance du Tribunal ne favoriserait pas nécessairement. 

[34]           Bref, il n’y a donc pas d’urgence démontrant la nécessité pour le Tribunal d’intervenir pour rendre les ordonnances souhaitées par les demandeurs ce qui mène au rejet de la demande en injonction provisoire.

[35]           Il y a quand même lieu d’examiner sommairement les autres critères, comme le recommande généralement la jurisprudence.

L’apparence de droit

[36]           L’apparence de droit à l’ordonnance cherchant à bannir les manifestations sans égard à leur contenu à moins de 100 mètres des entrées et sorties des édifices de l’Université McGill est très douteuse. Cette ordonnance que recherchent les demandeurs est bien plus large et bien plus restrictive des droits fondamentaux que sont la liberté d’expression et de réunion pacifique, que le seul démantèlement du campement.

[37]           Les universités sont des lieux particuliers. Il est bien possible qu’à l’occasion d’une analyse plus en profondeur à une autre étape, il faille conclure que les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique doivent s’y voir donner un poids important compte tenu de la nature de leur mission[2]. Que des thèses divergentes y soient défendues et puissent y avoir cours n’a rien d’étonnant, au contraire.

[38]           Cette ordonnance serait de plus contraire aux politiques de l’Université McGill qui reconnaît elle-même l’importance de ces droits en son sein. Les tribunaux n’interfèrent généralement pas dans les choix des politiques d’institutions telles que les universités.

[39]           Quant à l’apparence de droit en lien avec l’ordonnance de s’abstenir de poser des actes de nuisance publique, de troubler la paix, ou par leur conduite de tenter d’intimider, effrayer, menacer, créer un environnement hostile, harceler ou empêcher toute personne d’avoir un accès sécuritaire aux 154 édifices de l’Université McGill, et ce, à l’intérieur d’une distance de 100 mètres des entrées et sorties de ces édifices, une question sérieuse se pose certainement au moins quant à certains des éléments de cette ordonnance.

[40]           Tout le monde est pour la vertu, bien sûr. Mais tout le monde ne voit pas de la même façon comment elle doit s’incarner. Rendre une telle ordonnance dans le contexte qui nous occupe ici est presque une invitation à rendre une décision difficilement exécutoire et suscitant d’avance des débats sur son respect vu les divergences d’interprétation quant aux comportements qui ont cours et les droits fondamentaux en cause. Le caractère discrétionnaire du remède demandé, dans ces circonstances, n’en favorise pas l’octroi aux demandeurs.

Préjudice irréparable et balance des inconvénients 

[41]           La preuve présentée par les demandeurs est bien fragile quant à leur préjudice irréparable en lien avec plusieurs des éléments des ordonnances demandées.

[42]           Quant à l’ordonnance visant à bannir les manifestations, à plus de 100 mètres des entrées et sorties de 154 édifices, le Tribunal est d’avis que la balance des inconvénients penche du côté des manifestants dont la liberté d’expression et de réunion pacifique seraient atteinte de façon importante alors que les préjudices mis en preuve par les demandeurs faute d’obtenir une telle ordonnance sont plutôt limités, relevant d’avantage de craintes subjectives et d’inconforts que de craintes précises et sérieuses pour leur sécurité.

[43]           De plus, comme les demandeurs n’ont pas eux-mêmes subi de harcèlement, de gestes de violence, ou de menaces qui leur auraient été adressées, et que leurs craintes sont en grande partie subjectives ou reposent sur des événements isolés contenus dans d’autres déclarations assermentées que les leurs, les demandeurs n’établissent pas que sans ordonnance visant à interdire le harcèlement, la violence ou les menaces, ils subiraient un préjudice irréparable important ou sérieux. Au surplus, même s’ils étaient considérés comme agissant dans l’intérêt public, question que le Tribunal n’a pas à trancher, les éléments de preuve présentés par les demandeurs sont insuffisants pour conclure à un risque de préjudice irréparable ou sérieux suivant la balance des probabilités.

[44]           En l’absence de toute preuve de tentative d’empêcher l’accès aux 154 édifices dont il s’agit ici depuis le 27 avril, donc en lien avec les manifestations actuelles, les demandeurs n’établissent pas non plus que sans ordonnance visant à interdire d’empêcher cet accès, ils risquent de subir un préjudice irréparable. Et le Tribunal réitère ici que les stratégies d’un même groupe peuvent différer d’une manifestation à l’autre et qu’il ne peut accepter de prendre le raccourci suggéré par les demandeurs suivant lequel le passé est garant de l’avenir.

[45]           Enfin, La partie de l’ordonnance visant à forcer les défendeurs à s’abstenir de créer un environnement hostile soulève la question de la prise en compte suffisante de la liberté fondamentale d’expression et de réunion des manifestants considérant les faits mis en preuve. Du point de vue du Tribunal, il n’est pas évident que la balance des inconvénients soit en faveur des demandeurs sur cette question, qui paraît néanmoins à ce stade-ci et à la seule lumière de la preuve considérée, la plus sérieuse vu les allégations liées à des propos antisémites et à des appels à la violence.

[46]           Toutefois, puisque le Tribunal a considéré qu’il n’y avait pas eu une démonstration suffisante de l’urgence, et vu l’étape très préliminaire de la preuve dont il s’agit ici, il n’y a pas lieu de se pencher davantage sur la question. Une preuve contradictoire, en effet, est annoncée et les questions de crédibilité joueront éventuellement un rôle à des étapes ultérieures, les défendeurs entendant même plaider que le recours serait abusif et viserait à faire taire tout discours ne cadrant pas avec une vision pro-israëlienne.

[47]           Après une certaine hésitation, et au risque de faire preuve d’une grande naïveté, le Tribunal lancera toutefois une invitation aux défendeurs et manifestants. Une invitation à mieux choisir leurs mots sans renoncer à leur message anti-guerre. Une invitation dans le sens d’un apaisement et sans admission. À tous les manifestants idéalistes : exercer sa liberté d’expression dans le sens d’un plus grand respect des autres et de leurs perceptions, fondées ou non, tout en maintenant son message, n’est pas interdit. Au contraire, c’est peut-être un sage exercice de sa liberté d’expression.

[48]           Au stade provisoire et dans l’état actuel de la preuve, la demande en injonction est rejetée faute de démonstration d’une urgence. Il vaut la peine en terminant de rappeler à tous que, si les circonstances n’évoluaient pas dans le bon sens ou se détérioraient, il demeure possible à l’Université McGill et aux demandeurs de s’adresser aux tribunaux.

  1. Demande de mise sous scellés des déclarations assermentées produites par les demandeurs

[49]           Les demandeurs demandent la mise sous scellés des déclarations assermentées qu’ils ont produites au dossier. Les allégations au dossier sont insuffisantes pour leur accorder cette demande suivant les critères énoncés dans la jurisprudence[3]. Elle est donc rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[50]           REJETTE la demande en injonction au stade provisoire;

[51]           INVITE les défendeurs et les manifestants à revoir les mots utilisés lors des manifestations et à se dispenser d’utiliser ceux susceptibles d’être perçus, à tort ou à raison, comme des appels à la violence ou comme des propos antisémites;

[52]           REJETTE la demande des demandeurs pour mise sous scellés;

[53]           FRAIS À SUIVRE le sort de l’instance.

 

 

 

chantal masse, j.c.s.

 

 

 

Me Neil G. Oberman

Me Carolyn Booth

Spiegel Sohmer Inc. pour les demandeurs

 

Me Geneviève Grey

Me Papa Adama Ndour

Grey Casgrain s.e.n.c. pour la défenderesse SPHR-Concordia

 

Me David Grossman

IMK s.e.n.c.r.l./LLP pour la mise en cause Université McGill

 

Me Maxwell Silverman

Max Silverman Avocat pour Independant Jewish Voices, une partie ayant annoncé vouloir intervenir au dossier lors de l’audience

 

Me Sibel Ataogul

Melançon, Marceau, Grenier Cohen pour SSMU and AMPD, des parties ayant annoncé vouloir intervenir au dossier lors de l’audience

 

Me Pierre-Luc Bouchard, pour Palestinian and Jewish Unity, une partie ayant annoncé vouloir intervenir au dossier lors de l’audience

 

 

 

 

 

Date d’audience :

 

30 avril 2024.

 


[1]  Liste des édifices visés, pièce P-1.

[2]  Voir en ce sens, R. v. Whatcott,2012 ABQB 231, par. 33, UAlberta Pro-Life v. Governors of the University of Alberta, 2020 ABCA 1, par. 110 à 117 et 148. Cette dernière decision est commentée dans HED-150 Application of the Charter, Halsbury’s Laws of Canada – Eduction (2022 Reissue), comme décidant que les universités doivent respecter la liberté d’expression lorsqu’elles encadrent les activités des étudiants sur le campus faute de quoi un contrôle judiciaire pourrait permettre d’annuler certaines décisions. Voir aussi Arig al SAIBAH et Sophie POINAR, “Managing campus expression and equality rights: contemporary considerations for Canadian universities”, (2021) 10 Can. J. Hum. Rts 73, p.98-100 et 102-103, sur les différents lieux à considérer à l’intérieur d’une université, lesquels peuvent appeler un encadrement différent.

 

[3]  A.B. c. Robillard, 2022 QCCA 959, par. 19 à 25 et Sherman (Succession) c. Donovan, [2021] 2 R.C.S. 75.

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