Décision

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Bolduc c. Ferland-Bouchard

2016 QCCQ 2017

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre civile »

N° :

200-32-060906-145

 

 

DATE :

23 mars 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CHRISTIAN BRUNELLE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

Lucie BOLDUC et David BRETON (en leur qualité de tutrice et tuteur légaux de leur fils Alexis BRETON)

[…] Québec (Québec) […]

           Demandeurs

 

c.

 

 

Érika FERLAND-BOUCHARD

[…]Québec (Québec) […]

et

Brien BÉRUBÉ

[…]Québec (Québec) […]

            Défendeurs

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]   Les demandeurs, Lucie Bolduc et David Breton, sont les parents d’Alexis Breton, un jeune garçon qui a subi des blessures après avoir été attaqué par un chien. Ils réclament 7000,00 $ en dommages-intérêts au propriétaire de l’animal, Brien Bérubé, et à son amie, Érika Ferland-Bouchard, laquelle était responsable de l’animal le jour de l’événement.

CONTEXTE

L’attaque du garçon par le chien

[2]   Le 10 juillet 2013, madame Bolduc, enceinte de 37 semaines, et son fils ainé Alexis, âgé de 5 ans, se trouvent au bar laitier La Grange (photo P-11) dans le secteur Beauport.

[3]   Âgée de 17 ans, madame Ferland-Bouchard, accompagnée d’une amie et d’un chien de race berger allemand arrivent sur les lieux en voiture. Elle descend de la voiture et sort le chien, ce que semble désapprouver son amie.

[4]   Selon le témoignage de madame Bolduc, madame Ferland-Bouchard aurait dit à son amie : « Je vais toujours pas le laisser dans l’auto ! ». Madame Bolduc précise que l’animal ne portait pas de muselière, qu’il était en laisse mais n’était pas tenu en garde rapprochée. Elle soutient que madame Ferland-Bouchard, qui est plutôt petite, ne semblait pas en contrôle du chien.[1]

[5]   De son côté, madame Ferland-Bouchard affirme que la laisse ne faisait pas plus de 95 cm - elle parle plutôt d’un mètre (1 m) dans sa contestation amendée du 30 mai 2014 - et qu’elle gardait « toujours » le chien à 30 cm d’elle.

[6]   Une fois la crème glacée consommée, madame Bolduc et son fils s’avancent vers le comptoir pour y cueillir des serviettes de table en papier. Alexis est calme et joue avec son camion tout neuf. Il demande à sa mère, agenouillée devant lui, s’il peut flatter le chien et celle-ci lui donne la consigne de ne pas s’approcher des chiens que l’on ne connaît pas. L’enfant lui obéit.

[7]   Soudainement, sans avertissement, le chien attaque l’enfant et celui-ci tente de se protéger avec ses bras. L’animal saisit le bras droit d’Alexis entre ses crocs, secoue l’enfant et tente de l’entraîner avec lui tandis que madame Bolduc cherche à dégager son fils en le tirant vers elle par les hanches.

[8]   Le chien finit enfin par lâcher prise. L’enfant saigne abondamment de la main et du poignet et présente des traces d’abrasions aux genoux, aux coudes et dans le dos.

Les suites de l’attaque

[9]   Selon madame Bolduc, madame Ferland-Bouchard aurait figé pendant l’attaque  et maintenait un « air de glace ». Lors de son témoignage, madame Ferland-Bouchard dira qu’elle était à ce moment « en état de choc » et qu’elle n’a pas voulu tirer sur le chien pour éviter la panique et « qu’il aggrave la blessure »[2]. « Je ne savais pas quoi faire », dira-t-elle, admettant qu’elle n’a pas offert son aide. Elle mentionne cependant que les policiers sont arrivés sur les lieux « 30 secondes » après.

[10]        Myriam Cinq-Mars, l’employée en fonction ce jour-là au bar laitier, affirme que le garçon n’a pas touché au chien avant que l’attaque ne survienne. Alertée par les cris de madame Bolduc, elle a vu Alexis étendu par terre.

[11]        Elle a tendu le téléphone à un client afin que celui-ci compose sans délai le
« 9-1-1 » pendant qu’elle courait chercher la trousse des premiers soins pour venir en aide à la mère et l’enfant. Elle dit que madame Ferland-Bouchard ne réagissait pas et qu’elle a même dû insister pour qu’elle et son chien s’éloignent des victimes.

[12]        Avec l’aide de madame Cinq-Mars et de monsieur Simon Girard, Alexis et sa mère ont été emmenés à l’intérieur du commerce. Madame Bolduc insistait pour obtenir les coordonnées de madame Ferland-Bouchard, de « peur qu’elle se sauve ».

[13]        Les policiers sont arrivés rapidement sur les lieux. L’un d’eux a demandé à madame Ferland-Bouchard d’aller porter son chien dans la voiture. Puis les policiers ont fait les constats d’usage en vue de rédiger un rapport d’événement (P-8).

[14]        L’enfant et sa mère ont été transportés en ambulance (P-4) vers le « CHUL »[3] pour y être soignés.

Les conséquences préjudiciables de l’attaque

[15]        Madame Bolduc témoigne que ses inquiétudes étaient grandes dans l’attente de savoir si le chien était affecté de la rage, vu le haut risque d’infection que crée une morsure.

[16]        L’événement a eu sur Alexis des conséquences préjudiciables importantes. Dans les semaines qui ont suivi l’événement, le traitement par antibiotiques qui lui a été administré provoquait des douleurs abdominales et des diarrhées. Le garçon, qui est droitier, n’arrivait pas à s’habiller et à manger sans aide. Madame Bolduc, qui est infirmière, devait lui refaire fréquemment ses pansements. En outre, il ne s’expliquait pas que le chien l’ait attaqué alors qu’il avait suivi à la lettre la consigne de sa mère : « J’ai fait ce que tu m’as dit, et j’ai mal quand même », lui disait-il.

[17]        Il conserve des cicatrices permanentes à sa main et son poignet droits (Rapport P-3; photos P-1 et P-12). Il a subi un traumatisme et a développé une phobie des chiens qui a nécessité la mise en place, par une travailleuse sociale (madame Justine McHugh), d’un plan d’action destiné à l’aider à contenir sa peur par diverses mises en situation (P-2). Il paniquait à la vue d’un chien, même si celui-ci se trouvait derrière la vitre d’une animalerie ou d’une voiture.

[18]        Sa peur est telle qu’il en oublie parfois les consignes élémentaires de sécurité, madame Bolduc donnant l’exemple d’une situation où l’enfant était enclin à se précipiter dans la rue plutôt que de croiser un chien.

[19]        En outre, l’enfant n’a plus d’intérêt pour le camping en raison de la présence fréquente de chiens sur les sites. De l’aveu de madame Bolduc, son fils « est changé à jamais ».

[20]        Elle-même n’est pas sortie complètement indemne de l’événement non plus. Cela a provoqué chez elle des contractions et compliqué la fin de sa grossesse par la réduction forcée de ses activités normales. Elle dit faire encore des cauchemars dans lesquels elle se revoit « les mains pleines de sang ». La cicatrice qu’Alexis porte au bras est un rappel constant de l’événement. Elle a elle aussi développé elle-même une peur des chiens, elle qui a pourtant déjà été propriétaire d’un gros bouvier bernois.

La réclamation

[21]        Le 9 août 2013, Madame Bolduc expédiait une mise en demeure à madame Ferland-Bouchard par laquelle elle demandait « la somme de 250 $ qui inclus (sic) la facture d’ambulance, les frais des médicaments et les autres sommes encourus à l’hôpital », une réponse étant attendue « dans les 30 prochains jours » (P-6).

[22]        Le 29 janvier 2014, une nouvelle mise en demeure de « payer la somme de 7000 $ dans un délai de dix jours » est envoyée à madame Ferland-Bouchard (P-7).

[23]        Le 3 avril 2014, Madame Bolduc et monsieur Breton déposaient leur demande en justice.

ANALYSE ET DÉCISION

A)        La présomption de responsabilité   

[24]        L’article 1466 du Code civil du Québec[4] énonce la règle suivante :

1466.  Le propriétaire d'un animal est tenu de réparer le préjudice que l'animal a causé, soit qu'il fût sous sa garde ou sous celle d'un tiers, soit qu'il fût égaré ou échappé.

La personne qui se sert de l'animal en est aussi, pendant ce temps, responsable avec le propriétaire.

[25]        La preuve révèle que monsieur Brien Bérubé est le véritable propriétaire du chien. Comme il était au travail le jour de l’événement, l’animal avait été laissé en cage chez lui. C’est son amie, madame Ferland-Bouchard, qui a pris l’initiative de l’en sortir et de l’emmener avec elle.

[26]        Quand un chien blesse un tiers par morsure, l’article 1466 C.c.Q. crée « une présomption de responsabilité »[5] qui pèse à la fois contre le propriétaire (monsieur Bérubé) et l’usager (madame Ferland-Bouchard) de l’animal.

[27]        Par l’effet de la loi, le régime instauré en est un de « responsabilité sans faute »[6] fondé sur le postulat que « la simple présence de l’animal » crée « un risque général pour les tiers ».[7]

[28]        Cela limite de manière très importante les moyens de défense que le propriétaire et l’usager du chien peuvent juridiquement faire valoir afin de tenter de se soustraire à l’obligation d’indemniser la victime d’une attaque canine: 

« Si le danger se réalise et que l’animal cause un dommage, leur responsabilité est alors engagée, peu importe qu’ils aient pris les moyens raisonnablement prudents et diligents pour prévenir sa survenance. […]  Seule donc la preuve d’une force majeure, de la faute de la victime ou de la faute d’un tiers, permet de libérer le propriétaire ou l’usager. Une preuve d’absence de faute ne suffit point. »[8]

(Nos italiques)

[29]        En l’espèce, la morsure subie par l’enfant n’est attribuable ni à un cas de « force majeure », ni à la faute de l’enfant, ni à celle d’un tiers.[9] Du reste, les témoignages convergent pour dire que la conduite de l’enfant était irréprochable et qu’il n’a jamais posé, avant que ne survienne l’attaque, quelque geste de nature à provoquer la réaction agressive du chien.

[30]        La défense avancée par madame Ferland-Bouchard selon laquelle il s’agit là d’un pur « accident » sans « aucune malveillance ou négligence » de sa part est donc irrecevable.[10]

 

B)        Les dommages et leur indemnisation

[31]        Selon les termes de l’article 1466 C.c.Q., le propriétaire et l’usager du chien doivent « réparer le préjudice que l’animal a causé », que ce préjudice « soit corporel, moral ou matériel ».[11] .

1.         Le préjudice corporel

Par définition, « [l]e préjudice corporel résulte d’une atteinte à l’intégrité physique ou psychique de la personne avec toutes ses conséquences, pécuniaires et non pécuniaires, tant pour elle-même que pour les victimes par ricochet ».[12] En font notamment partie « la perte de jouissance de la vie, le préjudice esthétique, les douleurs et souffrances physiques et psychologiques, les inconvénients, de même que le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel ».[13] 

Le préjudice de l’enfant

[32]        La morsure subie par Alexis lui a causé un préjudice corporel en laissant des cicatrices à sa main et son poignet droits.

[33]        Le 15 octobre 2014, le Dr André Léveillé, chirurgien plastique, rencontre l’enfant et procède à son évaluation. Dans son rapport daté du 21 octobre 2014, il constate des « séquelles cicatricielles sus-jacentes » qu’il décrit comme « inesthétiques », « apparentes », « permanentes » et « non vicieuses ». Il observe qu’il n’y a ni « défaut de mouvement » ni « douleur ». Ainsi, utilisant par analogie « le barème de la SAAQ », il « évalue l’atteinte permanente à 0,5% » (P-3).

[34]        S’il faut se réjouir que la blessure subie par Alexis ne le prive aucunement du plein usage de son membre supérieur droit, il n’en reste pas moins qu’il doit maintenant composer avec un préjudice esthétique à la main, lequel est difficile à dissimuler, par exemple sous des vêtements, en raison de sa localisation.

[35]        S’ajoute à cela la douleur physique et morale que lui a causé l’attaque. Il a été blessé dans sa chair, atteint dans son intégrité physique et psychologique. Il a dû être transporté d’urgence à l’hôpital, faire soigner ses plaies et subir, pour contrer les risques d’infection, un traitement par antibiotiques qui a entraîné des effets secondaires incommodants.

[36]        Pendant quelques semaines, il n’avait plus la même autonomie pour accomplir ses activités normales (se vêtir, manger, jouer…), ce qui a altéré sa qualité de vie en pleine période estivale.

[37]        Il a en outre développé une phobie des chiens qui a nécessité un suivi thérapeutique avec une travailleuse sociale. Plusieurs mois après l’événement, sa peur demeure persistante, malgré les progrès qu’il a pu réaliser (P-2).

[38]        Ceci dit, l’évaluation monétaire des pertes non pécuniaires résultant d’un préjudice corporel n’est pas une science exacte. Elle est tributaire des faits propres à chaque affaire et comporte forcément une certaine part d’arbitraire.[14] Pour tenter d’atténuer la subjectivité qui caractérise cet exercice délicat, les tribunaux supérieurs invitent à comparer l’affaire dont le Tribunal est saisi « à d’autres affaires analogues où des dommages - intérêts non pécuniaires ont été octroyés ».[15]

[39]        Dans l’affaire St-Jacques c. Tourigny[16], une fillette de 9 ans, mordue par un chien, avait subi des blessures à la cuisse gauche qui lui avait laissé « une cicatrice très légèrement bleuâtre dont la boursouflure est peu importante »[17] et « une phobie des chiens étrangers, de légère à modérée ».[18] Le tribunal lui accordait une indemnité de 3 000,00$ pour « préjudice esthétique » et de 5 000,00 $ pour « préjudice psychologique ».        

[40]        Dans l’affaire Lopera-Ortiz c. Whittick[19], notre collègue, l’honorable juge Gilles Lareau, procède à une revue de la jurisprudence portant sur des cas d’enfants blessés par suite de morsures de chiens :

« Dans Laliberté c. Imrico ltée, [1999] R.R.A. 711 (CS), un enfant de trois ans a été mordu au dos par le chien du défendeur laissant 3 cicatrices mineures. La preuve révèle que l'enfant a fait des cauchemars pendant plusieurs mois, et entretient toujours une grande crainte des chiens. Une somme globale de
8 000 $ pour dommage physique et psychologique est accordée.

Dans l'affaire Jean Laval Rodrigue c. Jean-Marie Doyon, B.E. 98BE-1228, AZ-98026645 (CS), une jeune fille de 10 ans est mordue à la cheville et à l'avant-bras laissant un préjudice esthétique évalué à 8%, ainsi qu'une crainte persistante des chiens. Une somme de 10 000 $ est accordée pour préjudice esthétique, ainsi qu'une somme de 2 000 $ pour souffrances, douleurs et inconvénients.

Dans Raymond c. Nottaway, B.E. 2005BE-38, AZ-50266211 (CQ), un enfant de trois ans est mordu au dos, ainsi qu'à l'abdomen par un chien, pour un total de sept morsures. La preuve établit que l'enfant fut invalide pendant 6 semaines, qu'il demeura avec un préjudice esthétique de 3 %. De plus, il appert que l'attitude de l'enfant a significativement changé vers un comportement agressif et qu'il fait plusieurs cauchemars. Le Tribunal accorde, compte tenu d'un partage de responsabilité, la somme de 13 450 $ répartie comme suit: 11 500 $ pour le préjudice esthétique, et 3 000 $ pour souffrances et inconvénients.

Dans l'arrêt Bégin c. Labrecque, [2004] R.L. 517 (CS), un enfant âgé de 8 ans et 11 mois, mordu au visage par un chien, se voit attribuer une somme globale de 15 000 $ à titre de dommage physique et psychologique. L'enfant demeure avec un préjudice esthétique estimé à 3 % consistant en une cicatrice à la lèvre supérieure. L'enfant était à ce moment en troisième année, et a vécu difficilement cette situation, plusieurs enfants se moquant régulièrement de lui. Aujourd'hui âgé de presque 16 ans, la cicatrice paraît toujours autant. »[20]

 

[41]        Pour ce qui est de cette affaire Lopera-Ortiz, elle impliquait une fillette de 9 ans victime de l’attaque d’un chien de race « pit-bull », ce qui avait nécessité « quatre points de suture au bras et deux points de suture à la poitrine ».[21] Les blessures avaient « été douloureuses pendant un mois rendant les mouvements du bras blessé difficiles ».[22] Deux ans après l’incident, la fillette conservait des « cicatrices mineures sur le bras et la poitrine »[23] et avait « toujours peur des gros chiens ».[24]  

[42]        S’inspirant des balises dégagées par la jurisprudence, monsieur le juge Lareau accorde à la fillette une somme totale de 7 000,00 $, soit 1 000,00 $ pour le préjudice esthétique, 2 500,00 $ pour la douleur et la souffrance, 2 500,00 $ pour les troubles et inconvénients et 1 000,00 $ pour le traumatisme psychologique.[25]

[43]        Plus récemment, dans l’affaire Tremblay c. Pelletier[26], l’honorable juge Richard Landry accordait une « indemnité de 10 000,00 $ pour les troubles, douleurs, inconvénients et perte de jouissance de la vie »[27] à une fillette blessée à l’œil par les dents ou les griffes d’une chienne de race Husky. L’enfant avait dû subir une intervention chirurgicale afin de réparer son canal lacrymal, suivie d’une « mise en convalescence de deux semaines à la maison avec la médication appropriée (médicaments, gouttes, gel) pour prévenir l’infection ».[28] Elle n’avait pas subi de préjudice esthétique apparent mais conservait une peur des chiens.

[44]        À la lumière de ces précédents, l’on constate que les indemnités accordées dans des circonstances relativement similaires à celles en cause oscillent entre 7 000,00$ et 15 000,00 $.

[45]        La réclamation de 7000,00 $ en faveur du jeune Alexis Breton se situe ainsi dans la limite inférieure des indemnités généralement attribuées en cette matière.

Le préjudice de la mère

[46]        De son côté, madame Bolduc a été une « victime par ricochet » de l’attaque subie par son fils. Enceinte de 37 semaines au moment du drame, elle a dû intervenir physiquement afin de dégager son fils des crocs de l’animal.

[47]        Elle a eu à lui prodiguer sur place les premiers soins avant de l’accompagner à l’hôpital, à un moment où son propre état de santé était une source importante d’inquiétude, vu le stade avancé de sa gestation. Les émotions fortes qu’elle a ainsi vécues ont compliqué la fin de sa grossesse, la contraignant à réduire considérablement ses activités.

[48]        Encore aujourd’hui, elle dit faire des cauchemars où elle revoit la scène. Elle ajoute qu’elle en est venue elle-même à craindre les chiens, à la suite de cet événement traumatisant à la fois pour elle et son fils aîné.

[49]        Soulignons que dans l’affaire Lopera-Ortiz, le tribunal avait attribué, à titre de « dommages moraux », une somme de 1 000,00 $ aux parents de la fillette mordue.[29]

[50]        En l’espèce, la situation difficile vécue par madame Bolduc commanderait sans doute une indemnité plus substantielle.

2.         Le préjudice matériel            

[51]        À l’audience, madame Bolduc a produit un document manuscrit (P-13) dans lequel elle regroupe tous les frais, directs ou indirects, qu’elle a dû payer à la suite de l’événement.

[52]        Le Tribunal estime que les frais suivants, démontrés par des factures et reçus, doivent lui être remboursés :

 

-       Transport par ambulance vers l’hôpital (P-4) :                                 156,50 $

-       Consultation et rapport du Dr André Léveillé (P-3) :                        862,31 $

-       Frais d’envoi de la 1ère mise en demeure (P-6) :                                10,50 $

-       Frais d’envoi de la 2e mise en demeure (P-7) :                                  10,50 $

 

Total :           1 039,81 $

[53]        Pour ce qui est des autres frais réclamés mais qui ne sont pas établis au moyen d’une facture ou d’un reçu (coût d’obtention du rapport d’événement, frais de stationnement et de nourriture à l’hôpital, frais de huit déplacements pour des rendez-vous avec des professionnels), le Tribunal est peu enclin à les accorder, faute de preuve documentaire.[30]

CONCLUSION

[54]        À la lumière de la preuve et des principes dégagés à partir des décisions rendues dans des affaires similaires, le Tribunal estime que les demandeurs ont pleinement droit à la totalité de la somme de 7 000,00 $ qu’ils réclament, celle-ci ne réparant qu’en partie le préjudice qu’ils ont réellement subi.

[55]        Reste à déterminer la part de responsabilité respective de chacun des défendeurs. À cet égard, l’article 1480 C.c.Q. énonce la règle suivante :

1480. Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu'elles ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d'avoir causé le préjudice, sans qu'il soit possible, dans l'un ou l'autre cas, de déterminer laquelle l'a effectivement causé, elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice.

(Nos italiques)

[56]        Cette disposition, combinée à l’article 1466 C.c.Q., permet de conclure que les défendeurs doivent être tenus solidairement responsables du préjudice causé par l’animal :

« À notre avis, s’il est possible d’appliquer une disposition qui prévoit la solidarité à l’article 1466 C.c.Q., l’article 1480 C.c.Q. et le fait collectif fautif seraient peut-être davantage appropriés : le propriétaire a mal dressé son animal et il a contribué avec l’usager à créer une situation dangereuse ou encore le propriétaire a mal choisi l’usager. Par contre, il ne s’agit pas d’une situation pour laquelle il est impossible de déterminer qui a réellement causé le préjudice. À notre avis, l’obligation in solidum semble être la solution la plus logique et la plus juridique… »[31]

[57]        Dans les circonstances, le Tribunal juge qu’une part de responsabilité de 65% échoit à madame Ferland-Bouchard et 35 % au propriétaire, monsieur Bérubé.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE la demande;

CONDAMNE in solidum les défendeurs, Érika Ferland-Bouchard et Brien Bérubé, à payer aux demandeurs Lucie Bolduc et David Breton, en leur qualité de tutrice et tuteur à leur fils Alexis Breton, la somme de 7 000,00 $ avec les intérêts calculés au taux légal annuel de 5%, majoré de l’indemnité additionnelle visée par l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 3 avril 2014.

CONDAMNE in solidum les défendeurs, Érika Ferland-Bouchard et Brien Bérubé, à payer aux demandeurs Lucie Bolduc et David Breton, en leur qualité de tutrice et tuteur à leur fils Alexis Breton, les frais de justice de 169,00 $.

DÉTERMINE, pour valoir entre les défendeurs seulement, la part de responsabilité de chacun à 65% pour la défenderesse Érika Ferland-Bouchard et 35% pour le défendeur Brien Bérubé.

 

 

 

__________________________________

CHRISTIAN BRUNELLE, J.C.Q.

 

 

 

 

 

Date d’audience :

21 décembre 2015

 



[1] Dans sa Déclaration pour valoir témoignage, le témoin Simon Girard parle d’« une fille très petite » accompagnée d’un « chien beaucoup trop gros pour elle ».

[2] Voir la contestation amendée du 30 mai 2014.

[3] Centre hospitalier de l’Université Laval, maintenant Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ)

[4] RLRQ, c. C-1991 (ci-après : « C.c.Q. »)

[5] Frédéric LÉVESQUE, Précis de droit des obligations : Contrat, responsabilité, exécution et extinction, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 279 (par. 534)

[6] Ibid.; Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 8e éd (vol.1 : Principes généraux), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 927 (par. 1-1021); Bégin c. Labrecque, (2004) R.L. 517 (C.S.), par. 10 (j. Dutil)

[7] BAUDOUIN, DESLAURIERS et MOORE, ibid.

[8] Ibid.

[9] Lessard c. Morrow, J.E. 2003-299, [2003] R.R.A. 39 (C.A.), par. 12; Bégin c. Labrecque, précité, note 6, par. 11

[10]LÉVESQUE, précité, note 5; Ménard c. Ouazana, 2012 QCCQ 1204, par. 17 et 20 (j. Gervais); Tremblay c. Pelletier, 2014 QCCQ 6005, par. 21 et 22 (j. Landry)

[11] Art. 1607 C.c.Q.

[12] Daniel GARDNER, Le préjudice corporel, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 17-18 (par. 17)

[13] Cinar Corporation c. Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 R.C.S. 1168, par. 95 (j. McLachlin)

[14] GARDNER, précité, note 12, p. 363 (par. 380)

[15] Cinar Corporation c. Robinson, précité, par. 106

[16] AZ-50179942, B.E. 2003BE-894 (C.Q.)

[17] Id., par. 18 (j. Lanctôt)

[18] Id., par. 26

[19] 2010 QCCQ 1957

[20] Id., par. 30

[21] Id., par. 8

[22] Id., par. 10

[23] Id., par. 27

[24] Id., par. 9

[25] Id., par. 31

[26] Précité, note 10

[27] Id., par. 38

[28] Id., par. 15

[29] Précité, note 19, par. 31

[30] Bégin c. Labrecque, précité, note 6, par. 47

[31] Frédéric LÉVESQUE, L’obligation in solidum en droit privé québécois, coll. Minerve, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 273; LÉVESQUE, précité, note 5, p. 278 (par. 531)

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