Boyer c. Légaré |
2017 QCCQ 14335 |
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JP2239 (Division des petites créances) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT D'ABITIBI |
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N°: |
605-32-700030-173 |
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DATE : |
28 novembre 2017 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
Me VASIL PETRISHKI, greffier spécial |
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CHANTAL BOYER |
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PARTIE DEMANDERESSE
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c.
GUY LÉGARÉ |
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PARTIE DÉFENDERESSE |
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JUGEMENT |
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[1] Me Chantal Boyer, avocate, réclame de la partie défenderesse la somme de 2 311,80$ (en capital, intérêts et frais de perception) avec intérêts au taux de 24% l’an plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, ainsi que les frais de justice de 100,00$ pour des services professionnels rendus à la partie défenderesse.
1. La procédure
[2] La demande a été notifiée au défendeur le 28 août 2017 conformément aux articles 110, alinéa 1 et 546 du Code de procédure civile[1].
[3] Le défendeur n'a pas n'a pas fait part au greffier de l'option choisie dans le délai prescrit[2].
[4] Je suis le seul greffier spécial de la Cour du Québec, district judiciaire d’Abitibi et je rends jugements dans tous les dossiers par défaut devant la Division des petites créances conformément à l’article 552 du Code de procédure civile et aux directives de la juge coordinatrice de la Cour du Québec pour le district d’Abitibi.
[5] Comme la majorité des greffiers spéciaux et des registraires au Québec, je suis membre en règle du Barreau du Québec, je dois respecter le Code de déontologie des avocats[3].
[6] Les exceptions doivent être interprétées restrictivement et le troisième alinéa de l'article 2 du Code de déontologie des avocats ne s'applique pas aux greffiers et greffiers spéciaux membres du Barreau qui exercent une fonction juridictionnelle puisque la Cour du Québec n'est pas un tribunal administratif.
[7] Je dois par conséquent respecter le Code de déontologie des avocats et je suis soumis au contrôle exercé par le syndic du Barreau et les syndics correspondants.
[8] La demanderesse est syndic correspondant du district d’Abitibi.
[9] Je souscris à l’opinion de Me Gaëtan Corbeil exprimé dans l’affaire Bois Sélect 2000 inc. (Syndic de)[4] en ce qui concerne l’absence de garanties d’indépendance et d’impartialité des attachés judiciaires du Québec.
[10] Malgré cette particularité du système de justice du Québec qui date déjà depuis plusieurs années, je rends le présent jugement en préservant mon intégrité personnelle et en sauvegardant mon indépendance professionnelle conformément à l’article 13 du Code de déontologie des avocats.
[11] L'Honorable Jean-Louis Baudouin J.C.A., écrit que pour que le redressement de l'article 268 (article 292 de l’ancien Code de procédure civile[5]) puisse recevoir application in faut qu'il y ait «[…] une carence sur un élément essentiel entraînant une insuffisance de la preuve déterminante pour le sort même du litige».[6]
[12] Le dossier devant moi ne répond pas à cette exigence.
[13] Le dossier est similaire au dossier Boyer c. Paquette 2016 QCCQ 13572 (voir les paragraphes 8 et 9 du jugement) et la partie demanderesse doit savoir qu’elle a le fardeau de prouver la mise en demeure du défendeur.
[14] Il ne s’agit pas d’ « une carence sur un élément essentiel entraînant une insuffisance de la preuve déterminante pour le sort même du litige.»
[15] En ce qui concerne la validité de la clause 7 de la convention d'honoraire, il s'agit d'une question de droit et la demanderesse n'a pas le fardeau de prouver "ce dont le tribunal est tenu de prendre connaissance d'office."[7]
2. Les faits
[16] Le 18 mars 2016, les parties ont signé une convention d’honoraires et de mandat professionnel, pièce P-1.
[17] Le 21 avril 2016, pour les services professionnels rendus à la partie défenderesse, la demanderesse a émis une facture[8] portant le numéro 1532 pour un montant de 258,98$ (la somme de 1 258,98$ moins acompte reçu de 1000,00$).
[18] Le 19 octobre 2016, la demanderesse a émis une deuxième facture[9] : pour un montant total de 1 688,57$, soit des honoraires professionnels et des débours totalisant 1 409,59$ plus le solde précédent de 258,98$.
[19] Deux lettres sont déposées au dossier : « Lettre du 8 mai 2017 », pièce P-4 et « Mise en demeure du 15 juin 2017 », pièce P-5.
[20] Je ne trouve aucune preuve au dossier relativement à l’expédition ou de la réception de ces lettres.
3. Analyse et décision
[21] Si la demande est accueillie selon ses conclusions, le jugement serait nul, de nullité absolue[10], puisqu’il permettrait à la demanderesse de percevoir des intérêts à un taux criminel.
[22] Individuellement, la clause de la convention d’honoraires qui prévoit un taux d’intérêt de 24% l’an et la clause qui prévoit des honoraires professionnels extrajudiciaires ne peuvent pas être validées par le tribunal et lorsque combinées, elles sont abusives et peuvent permettre la perception des intérêts à un taux contraire au Code criminel du Canada (ceci dépend de la durée de la période pendant laquelle elles s’appliquent).
[23] Finalement, la partie demanderesse ne justifie aucunement les frais de perception de 385,30$.
3.1. Solde dû en capital
[24] Il appert de la preuve au dossier que le solde dû par la partie défenderesse en capital s'élève à la somme de 1 668,57$.
3.2 La mise en demeure
[25] Le premier paragraphe de la clause 7 de la convention d'honoraires et de mandat professionnel, pièce P-1 et P-2, se lit ainsi:
« Le client convient de payer à son mandataire un intérêt de 2% par mois, soit 24% l'an, sur tout montant dû après trente jours de la date d'expédition d'une facture partielle ou finale du mandataire ».
[26] Le premier et le deuxième alinéas de l'article 1617 C.c.Q. prévoient que les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation de payer une somme d'argent consistent dans l'intérêt au taux conventionnel ou le cas échéant, au taux légal et que le créancier y a droit à compter de la demeure.
[27] La partie demanderesse ne dépose aucune preuve au dossier concernant l'expédition des factures à la partie défenderesse.
[28] Par conséquent, j'arrive à la conclusion que la partie défenderesse n'a pas été constituée en demeure par les termes même du contrat[11] conformément au premier alinéa de l'article 1594 du Code civil du Québec.
[29] La partie demanderesse n’a pas prouvé la réception de la demande extrajudiciaire, pièce P-5.
[30] L’article 1596 du Code civil du Québec prévoit que la demande en justice formée contre le débiteur, sans que celui-ci n'ait été autrement constitué en demeure au préalable, ne constitue le débiteur en demeure qu'à l'expiration d'un délai raisonnable à compter de la signification de l'action[12];
[31] Par conséquent, le défendeur a été constitué en demeure en date du 3 septembre 2017, soit après l'expiration d'un délai d'exécution de 5 jours à compter de la réception de la demande.
3.3. Le taux d’intérêt conventionnel et la pénalité
[32] L’article 7 de la convention d’honoraires et de mandat professionnel, pièce P-1 se lit ainsi :
« Le client convient de payer à son mandataire un intérêt de 2% par mois, soit 24% l’an, sur tout montant dû après trente jours de la date d’expédition d’une facture partielle ou finale du mandataire.
Le client convient de payer des frais de perception de 20% du montant dû advenant que des procédures judiciaires soient entreprises pour récupérer le solde de ses factures. »
3.3.1. Le droit applicable. Notes préliminaires.
[33] En ce qui concerne la validité et l'interprétation de la convention d'honoraires et de mandat professionnel, pièce P-1, les lois réglementant l'exercice des professions comme la Loi sur le Barreau[13] ou le Code de déontologie des avocats sont la "loi spéciale" et l'emportent sur le Code civil du Québec.[14]
[34] Je suis d'avis que pour les fins du présent dossier il n'est pas nécessaire de répondre à la question si la convention d'honoraire entre les parties constitue un contrat d'adhésion.
[35] Selon le premier alinéa de l'article 1379 du Code civil du Québec le contrat d'adhésion suppose un contrat dont les stipulations essentielles ont été imposées par une des parties ou rédigées par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et ne pouvaient être librement discutées.[15]
[36] Selon l'Honorable Louis J. Gouin de la Cour supérieure, dans Distribution Stéréo Plus inc. c, 140 Gréber Holding inc.[16], pour qu'un contrat soit qualifié d'adhésion, il faut qu'il y ait impossibilité réelle d'en négocier les clauses.
[37] La Cour d'appel s'exprime ainsi dans l'affaire Régie d'assainissement des eaux du bassin de La Prairie [17]:
« Ce qui distingue essentiellement le contrat d'adhésion du contrat par négociation, c'est la détermination unilatérale par l'une des parties ou par un tiers du contenu contractuel. L'autre partie perd la faculté de libre négociation des conditions de son engagement en se voyant imposer d'avance les éléments essentiels du contrat et en ne gardant que le choix parfois purement théorique de contracter ou de ne pas contracter. Le législateur québécois, à l'article 1379 C.c.Q., a retenu cette spécificité qui implique non point l'absence volontaire de négociation mais plutôt l'absence de la faculté de négocier librement les stipulations essentielles du contrat. »
[38] Le dossier a procédé par défaut et je n'ai aucune preuve relativement à la faculté de la partie défenderesse de discuter les clauses de la convention. Un contrat type n'est pas nécessairement un contrat d'adhésion, même si la place réservée à la volonté des parties peut être très restreinte[18].
[39] Il y a lieu de souligner que la nullité relative ne peut pas être soulevée d'office par le tribunal[19]. Dans l'arrêt United European Bank and Trust Nassau Ltd. c. Duchesneau[20], la Cour d'appel conclut que les dispositions du Code civil en matière de contrat de consommation et de contrat d'adhésion sont d'ordre public de protection[21] puisqu'elles visent à rétablir une certaine équité contractuelle. Le juge Dufresne réfère à la doctrine[22], notamment l'ouvrage "Les Obligations" des auteurs Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin.
[40] Je dois préciser également que la règle d'interprétation contra proferentem[23] n'est pas limitée aux contrats d'adhésion. Elle ne s'applique que si le contrat à être interprété comporte, au préalable, une véritable ambiguïté que les règles d'interprétation des articles 1425 et suivants du Code civil du Québec ne sauraient pas résoudre[24].
[41] Les règles impératives du Code de déontologie des avocats applicables au présent dossier exigent une analyse approfondie.
[42] La jurisprudence élaborée sous l'empire de l'ancien Code de déontologie des avocats[25] s'applique mutatis mutandis lors de l'interprétation du nouveau Code.
[43] Les tribunaux reconnaissent généralement le caractère d'ordre public aux lois professionnelles.
[44] Ainsi dans l'arrêt Pauzé c. Gauvin[26], la Cour suprême a jugé que la Loi sur les architectes était une loi d'intérêt public car, bien qu'elle ait été édictée principalement pour le bénéfice des architectes, elle servait également à protéger le public en général contre les constructeurs incompétents et malhonnêtes.
[45] De même, la Cour d'appel a jugé de façon constante que les lois établissant des normes professionnelles sont d'ordre public même si elles protègent un groupe restreint au sein de la société[27].
[46] Ce qui est plus difficile, c'est de déterminer si les normes professionnelles pertinentes sont d'ordre public de protection ou de direction. La Cour suprême s'exprime ainsi dans l'arrêt Côté c. Rancourt[28]:
« Il est clair que les dispositions régissant l’organisation des corporations professionnelles et l’exercice exclusif des professions touchent en principe l’ordre public politique général (Fortin c. Chrétien, [2001] 2 R.C.S. 500, 2001 CSC 45, par. 20-21). Une contravention à ces dispositions confère à la partie lésée un recours civil fondé sur la nullité absolue du contrat ainsi entaché. Toutes les dispositions réglementaires adoptées en vertu des lois d’organisation des professions n’ont cependant pas la même importance, et la sanction d’une contravention doit être adaptée à la prohibition en cause et aux circonstances de l’affaire. »
Mes soulignements
[47] L’entente en vertu de laquelle un avocat rend des services professionnels à son client est assujettie aux règles concernant le contrat de service (articles 2098 et 2100 du Code civil du Québec) et à celles traitant du mandat lorsqu’il y a représentation devant les tribunaux (art. 2130 et 2138 du Code civil du Québec.)
[48] En principe, au sujet des honoraires réclamés par un avocat, le tribunal doit appliquer la convention intervenue entre les parties. Le tribunal doit cependant examiner les honoraires réclamés afin de vérifier s’ils sont conformes aux règles édictées[29] par le Code de déontologie des avocats et si les honoraires réclamés sont justes et raisonnables.
[49] De ces règles, il découle que le tribunal peut toujours intervenir, que les honoraires aient été établis au forfait, à l’heure ou au pourcentage, pour faire en sorte que les sommes réclamées soient en définitive justes et raisonnables au regard des circonstances propres à l’affaire[30].
[50] Dans Terreault c. Bigras[31] la Cour d'appel déclare que l'article 3.08.03 du Code de déontologie des avocats est d'ordre public de protection quand la validité des pactes de quota litis est en cause.
[51] L'Honorable Danielle Richer, J.C.S., après une étude extensive conclut dans l'affaire Francoeur c. Belzil[32] que la convention d'honoraires extrajudiciaires d'un avocat qui contrevient au Code de déontologie des avocats est nulle de nullité absolue comme contraire à l'ordre public de direction. Dans les paragraphes 33 et 34 de son jugement, la juge Richer s'exprime ainsi:
« Notre premier constat est que le législateur s'exprime en termes très directifs, notamment, à l'article 3.08.03 lorsqu'il précise:
«L'avocat doit éviter toutes les méthodes et attitudes susceptibles de donner à sa profession un caractère de lucre et de commercialité.»
Dans les quatre (4) articles sous étude, le législateur utilise le verbe devoir, il s'agit donc de dispositions impératives qui revêtent un caractère d'ordre public. La dérogation à une telle disposition impérative se sanctionne par la nullité absolue de la convention ou de la transaction qui fait fi de ces dispositions. C'est à ce point où les professionnels ne peuvent y déroger même avec le plein accord (libre et éclairé) du client. »
Je souligne.
[52] En appel de cette décision, la Cour d'appel sous la plume de la juge Rousseau-Houle rejette l'appel. La Cour d'appel déclare qu'une simple entente de retenir un pourcentage sur le montant obtenu n'est pas en soi illicite, cependant "… l'avocat qui conclut une telle entente demeure néanmoins tenu de respecter les devoirs et obligations que lui dicte le Code de déontologie des avocats."[33] Au paragraphe 34 du jugement, la juge Rousseau-Houle écrit:
" Le Code de déontologie attache, en effet, aux conventions d'honoraires des devoirs et obligations auxquels l'avocat ne peut déroger sous peine de voir la convention déclarée nulle. "
[53] Le juge Grenier de la Cour du Québec partage cette position dans le jugement rendu en 2008 dans l'affaire Bourgoin c. Bouchard[34].
[54] Finalement, l'ordre public est à la fois législatif et judiciaire. Les tribunaux ont le devoir de le sanctionner et de le modeler en prenant en compte les valeurs fondamentales de la société à un moment donné de son évolution. La Cour d'appel s'exprime ainsi à ce sujet:
« L'ordre public est aussi judiciaire dans sa détermination. Les tribunaux ont le devoir de le sanctionner et de le modeler en prenant en compte les valeurs fondamentales de la société à un moment donné de son évolution. »[35]
Mes soulignements.
[55] Je suis d'avis que dans le contexte actuel le problème de l'accessibilité à la justice occupe plus que jamais une place primordiale[36] ce qui devrait être pris en considération lors de l'interprétation de la portée des articles du Code de déontologie des avocats relatifs aux honoraires des avocats. On peut noter également le préambule du nouveau Code de déontologie des avocats qui souligne l'importance de cet aspect y compris pour l'interprétation du Code.
[56] Dans l'application de la jurisprudence pertinente, je dois tenir compte du fait que je suis membre en règle du Barreau du Québec et que les dispositions du nouveau Code de déontologie des avocats[37] m'imposent une position plus active et probablement une obligation d'agir dans cette situation particulière[38].
3.3.2 Le taux d'intérêt
[57] Les articles 1565 et 1617 du Code civil du Québec prévoient que les intérêts réclamés doivent l'être au taux convenu entre les parties ou à défaut de convention, au taux légal et que ces intérêts sont payables à compter de la mise en demeure.
[58] Toutefois, les articles 7 et 103 du Code de déontologie des avocats, qui est la loi spéciale et l'emporte sur le Code civil du Québec, se lisent ainsi:
« 7. L’avocat évite toutes les méthodes et attitudes susceptibles de donner à sa profession un caractère de lucre, soit le fait de rechercher un gain avec avidité ou cupidité ou d’utiliser de manière abusive son statut d’avocat dans le but de s’enrichir.
103. Sauf l’intérêt légal, l’avocat ne peut percevoir sur les comptes en souffrance que les intérêts convenus par écrit avec le client. Les intérêts ainsi convenus doivent être à un taux raisonnable. »
[59] Dans l'affaire Jolin c. Pageau[39], l'Honorable François Marchand, J.C.Q. devait interpréter l'article 53 du Code de déontologie des notaires[40] qui prévoit que:
« 53. Le notaire ne peut percevoir d'intérêts sur les comptes en souffrance qu'après en avoir dûment avisé son client. Les intérêts ainsi exigés doivent être d'un taux raisonnable. »
[60] Le juge Marchand s'exprime ainsi:
« (…)Le Code ne définit pas ce qu'est un taux «raisonnable». À cet égard, comme le Tribunal ne peut appliquer une définition légale, il doit alors s'inspirer du sens commun du mot raisonnable».
Ainsi, le Petit Larousse Illustré 2002[41] , définit le mot «raisonnable» comme suit:
1. Doué de raison; qui agit conformément au bon sens, d'une manière réfléchie.
2. Qui manifeste du bon sens, de la sagesse, de la mesure et de la réflexion.
3. Situé dans une juste moyenne; suffisant, convenable.
(….)
Le mot «raisonnable», signifie donc: qui doit se situer dans une juste moyenne, dans la normale et avec modération. Pour ce faire, le Tribunal doit analyser le taux d'intérêt fixé en fonction du contexte économique existant à l'époque des événements. Il doit l'examiner en relation avec le taux d'intérêt en vigueur sur le marché. Il est de notoriété publique que, depuis plusieurs années, le taux d'intérêt exigé par les banques émettrices de cartes de crédit telles Visa, Master Card se situe autour de dix-huit pour cent (18%) l'an, alors que celui prescrit par le gouvernement pour les créances des différents ministères est inférieur à quinze pour cent (15%) l'an. Au surplus, les taux d'intérêt fixés par les différentes municipalités pour les taxes impayées sont aussi inférieurs à quinze pour cent (15%) l'an. »
[61] En ce qui concerne les articles 3.08.03 et 3.08.07 du Code de déontologie des avocats, l'Honorable Alain Breault, J.C.Q. décide dans l'affaire Rudick c. V.B.[42] :
« Cette somme ne portera pas intérêts au taux de 18 % l’an comme le mentionne la convention relative au mandat et aux honoraires. Dans le contexte économique actuel, ce taux d’intérêt est déraisonnable et donne un caractère de commercialité aux services juridiques. »
[62] Dans l'affaire Sabbagh & associés,[43] l'Honorable Louise Comeau, J.C.Q. écrit dans le paragraphe 35 de son jugement:
« L'article 3.08.07 du Code de déontologie des avocats précise que les intérêts réclamés doivent être justes et raisonnables. Considérant les taux d'intérêt actuellement exigés par les institutions financières, le Tribunal juge déraisonnable ce taux d'intérêt conventionnel de 16 % et accorde plutôt à la demanderesse l'intérêt au taux légal auquel doit s'ajouter l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec. »
[63] L'Honorable juge Keable n'hésite pas à déclarer le taux d'intérêt de 18% dans une convention d'honoraires dérogatoire au Code de déontologie des avocats[44] et à appliquer le taux légal.
[64] Dans l'affaire Simard c. Brulotte[45], l'Honorable Eliana Marengo, J.C.Q. refuse d'accorder les intérêts réclamés et ceci malgré la convention intervenue entre les parties. La juge Marengo s'exprime ainsi:
« Cependant, quant aux intérêts réclamés au taux de 18% l'an, le demandeur ne peut les exiger, car ce taux n'est pas raisonnable (art. 3.08.07 du Code de déontologie des avocats, R.R.Q., 1981, c. B-1, r.1). De plus, le demandeur doit éviter toutes les méthodes et attitudes susceptibles de donner à sa profession un caractère de lucre et de commercialité (art. 3.08.03 du Code). »
[65] Le taux d'intérêt de 24% l'an dans la convention d'honoraires entre les parties, pièce P-1, est contraire aux articles 7 et 103 du Code de déontologie des avocats. Ce taux d'intérêt est déraisonnable et donne un caractère de lucre à la profession.
[66] Je suis d’avis que le tribunal peut intervenir d’office et appliquer le taux légal pour les motifs que j’ai énoncés dans les dossiers suivants : Pelletier c. Bisson 2015 QCCQ 3283, Pelletier c. Boucher 2015 QCCQ 2814 et Pelletier c. Rivard 2015 QCCQ 2802.
[67] Dans un dossier qui procède par défaut, cette intervention est faite par le tribunal en raison du Code de déontologie des avocats[46].
3.3.3. Les frais de perception de 20% du solde dû
[68] Le deuxième paragraphe de la clause 7 de la convention d'honoraires, pièce P-1 est de type pénal. En matière commerciale on peut validement prévoir une telle clause pénale dans un contrat conclu de gré à gré prévoyant le remboursement des honoraires extrajudiciaires advenant qu’une partie devrait recourir à la justice pour faire valoir ses droits[47].
[69] En passant, je considère que la clause pénale prévue à l'article 7 de la convention d'honoraires est déterminée ou déterminable quant à son espèce et quant à sa quotité (art. 1374 du Code civil du Québec)[48]
[70] Il y a lieu de reproduire les paragraphes pertinents de l'arrêt précité Van Houtte sous la plume de l'Honorable Marie-France Bich J.C.A.:
« [104] Sous ce rapport, la validité générale de ces clauses doit, je crois, être aujourd'hui reconnue, du moins dans le cadre d'un contrat qui, comme celui de l'espèce, est un contrat de gré à gré, dûment négocié par les parties. Dans un contrat d'adhésion ou de consommation, en effet, la validité d'une telle clause devrait en outre être examinée au regard de l'article 1437 C.c.Q., qui n'est pas en cause ici. Dans le cas du contrat de consommation, il faudrait par ailleurs tenir compte, il va sans dire, des dispositions de la Loi sur la protection du consommateur[49]. […]
[112] Je fais mien ce point de vue, que partagent également les auteurs Baudouin, Jobin et Vézina, qui rapprochent ce genre de clause des clauses pénales et écrivent que :
À l'instar d'autres auteurs, nous sommes d'avis que semblable clause doit aujourd'hui être admise en règle générale. En effet, depuis la réforme du Code civil, le contrôle judiciaire de la clause pénale s'applique ici aussi, et il arrive qu'une telle stipulation soit considérée abusive dans les circonstances d'une affaire. Le débiteur est maintenant protégé contre les comptes d'honoraires excessifs de l'avocat du créancier et d'autres abus semblables. De plus, l'alinéa 3, nouveau, de l'article 1617 du Code civil soutient le principe de la validité de cette clause de « frais d'avocat ». Le contrôle judiciaire de la clause pénale constitue la base la plus appropriée, aujourd'hui, pour contrôler cette pratique commerciale, d'autant plus que le pouvoir du juge, à cet égard, n'est aucunement restreint à des contrats d'adhésion ou de consommation. »
Mes soulignements.
[71] Sous l'empire de l'ancien Code de déontologie des avocats cette "pratique commerciale" était expressément déclarée inadmissible dans les relations entre un avocat et son client.
[72] Un avocat ne peut pas être assimilé à un commerçant[50] et l'ancien Code de déontologie des avocats interdisait expressément aux avocats de donner à leur profession un caractère de lucre et de commercialité[51].
[73] Je suis d'avis qu'un bureau d'avocats qui réclame à son client de manière cumulative des intérêts au taux de 24% l'an plus l’indemnité additionnelle sur les comptes en souffrance en capital, des intérêts au taux de 24% l'an plus l’indemnité additionnelle sur les intérêts échus, des frais de perception de 20% du montant dû en capital et intérêts et les frais de justice contrevient à l'article 7 du nouveau Code de déontologie des avocats.
[74] Il est à noter que le dossier procède devant la Division des petites créances, les parties ne sont pas représentées et que c’est le Ministère de la justice qui assume les frais de signification des procédures.
[75] Il appert du dossier que les frais payés par le Ministère de la justice pour la notification de la demande s’élèvent à plus de 140,00$.
[76] Les « frais » de 20% du solde dû ne correspondent pas à des frais réellement engagés par la demanderesse.
[77] L'article 103 du nouveau Code de déontologie des avocats reprend sans changements l'article 3.08.07 de l'ancien Code.
[78] Cette disposition interdit expressément aux avocats de réclamer sur les comptes en souffrance des dommages-intérêts additionnels[52] ou des dommages-intérêts évalués par anticipation[53].
[79] En appliquant les règles énoncées par le juge Deschamps de la Cour suprême dans Côté c. Rancourt[54], je dois considérer qu'il s'agit d'une prohibition expresse de l'article 103 du Code de déontologie des avocats de concert avec la prohibition plus générale de l'article 7 du Code.
[80] On doit également considérer l'article 102 du Code, ainsi que les obligations de l'avocat de loyauté et de conseil envers son client.
[81] Le Comité de déontologie du Barreau s'est déjà penché[55] sur la question de savoir si une clause pénale peut être incluse dans une convention d’honoraires:
« De manière générale, le Comité croit qu’en matière de convention d’honoraires l’inclusion d’une clause pénale s’avère incompatible avec l’article 3.08.02 qui commande que les honoraires soient justes et raisonnables, justifiés par les circonstances et proportionnés aux services professionnels rendus. L’établissement d’un montant préétabli correspondant soit à des dommages ou à des honoraires liquidés semble peu compatible avec ces dispositions. […]
D’un point de vue éthique, la difficulté d’une clause pénale en matière d’honoraires tient au fait qu’elle ne présente pas d’adéquation entre le travail fait par l’avocat et le montant que doit alors payer le client.
Les seules circonstances où le Comité pourrait voir justifiée l’existence d’une telle clause serait la situation où l’avocat, pour exécuter le mandat doit, pour une longue période de temps arrêter le service auprès de la majorité de ses clients ou ne pas accepter de nouveaux clients. Une compensation en cas de rupture de ce mandat et compte tenu des circonstances de pertes que pourrait subir l’avocat, pourrait possiblement être prédéterminée. Il ne s’agit pas d’un honoraire de fin de mandat comme dans le cas qui nous était soumis, mais d’une compensation pour la perte de clientèle.
Hors ce cas très particulier et celui où des circonstances très spéciales pourraient la rendre raisonnable, le Comité considère que l’introduction d’une clause pénale dans les normes de calcul des honoraires est incompatible avec le Code de déontologie actuel. »
[82] L'indépendance professionnelle est inhérente au contrat qui lie l'avocat à son client et afin d'assurer le respect du système judiciaire et sa transparence[56], le législateur interdit aux avocats de se porter acquéreurs de droits litigieux, sous peine de nullité absolue de la vente.
[83] La prohibition de l'article 1783 du Code civil du Québec s'étend à toute créance dont le recouvrement est susceptible de soulever un débat judiciaire[57] et il appartient au tribunal d'apprécier si un droit est litigieux conformément à l'article 1782 du Code civil du Québec.
[84] L'article 1783 du Code civil du Québec prévoit:
« Les juges, avocats, notaires et officiers de justice ne peuvent se porter acquéreurs de droits litigieux, sous peine de nullité absolue de la vente. »
[85] Il s'agit d'une incapacité de jouissance,[58] ce qui a comme conséquence la nullité absolue de l'acte prohibé.
[86] L'article 103 du Code de déontologie des avocats sous-tend le même principe et compte tenu des considérations déjà discutées dans le volet "Le droit applicable. Notes préliminaires", je suis d'avis que la clause 7 (2) de la convention d'honoraires est nulle, de nullité absolue[59].
[87] La réclamation de la demanderesse de 20% du solde dû par la défenderesse à titre d'honoraires de perception extrajudiciaires ne peut pas être validée par le tribunal[60].
[88] Je dois préciser que dans ce dossier l'application du troisième alinéa de l'article 1617 du Code civil du Québec aurait donné le même résultat.
[89] Premièrement, la demanderesse n'a produit aucune preuve quant aux coûts reliés au recouvrement de sa créance.
[90] Tel que déjà discuté, c’est le Ministère de la justice qui assume les frais de notification de la demande, puisque le dossier procède selon les règles établies dans le Titre II du Livre VI du Code de procédure civile « Le recouvrement des petites créances. »
[91] La demanderesse n'a pas rencontré le fardeau de preuve[61] imposé par l'article 1617, alinéa 3 in fine.
[92] Deuxièmement, la demanderesse réclame de façon cumulative des intérêts au taux de 24% l'an plus l’indemnité additionnelle sur les comptes en souffrance en capital, des intérêts au taux de 24% l'an plus l’indemnité additionnelle sur les intérêts échus, des frais de perception de 20% du montant dû en capital et intérêts et les frais de justice de 100,00$.
[93] La Cour d'appel s'est prononcée sur le double effet d'une clause d'intérêts associée à une clause pénale qui prévoit le versement de dommages additionnels au cas où le créancier aurait recours à des procédures judiciaires ou devrait retenir les services d'un avocat pour recouvrer sa créance.
[94] Dans 9149-5408 Québec inc. c. Groupe Ortam inc.[62], la Cour d'appel a déclaré l'effet cumulatif des deux clauses, " non négociées et apparemment standards pour l'intimée ", l'une imposant des intérêts de 24% par année sur les montants impayés et l'autre, des frais de cour et extrajudiciaires d'un minimum de 850$ et/ou de 25% de la facture totale, abusif au sens de l'article 1623 C.c.Q. puisqu'elles prévoient une double pénalité et constituent une peine comminatoire c'est-à-dire, selon les auteurs Baudouin et Jobin[63], une pénalité qui non seulement vise à compenser le préjudice subi par la victime, « mais aussi à punir le cocontractant récalcitrant; alors, la pénalité excède largement le montant des dommages-intérêts que recevrait la victime en l'absence de la clause pénale. ».
[95] En outre, dans Diamantopoulos c. Construction Dompat inc.[64], la Cour d'appel a déclaré abusif l'effet cumulatif de deux clauses du même type que les précédentes, la première prévoyant des intérêts de 24% et la seconde, des frais de recouvrement de 20%. Le contrat n'était ni de consommation ni d'adhésion.
[96] Dans l'affaire Crédit-Bail R.G. inc[65]., l'Honorable Gérald Bossé s'exprime comme suit au paragraphe 28:
« La clause pénale contenue dans la clause 15 du contrat ne contient pas un montant compensatoire exorbitant. Toutefois, s'y ajoute la clause 18 par laquelle le crédit-preneur s'engage à payer un intérêt au taux de 26,82% sur tout « montant en souffrance ». En pratique, c'est une pénalité de 46,82% qui frappe alors les mensualités impayées. Ça me paraît exorbitant. Il y a lieu de réduire au taux légal le taux d'intérêt prévu par la clause 18. »
[97] À l’instar de l’arrêt Van Houtte[66], il faut considérer que le taux d’intérêt conventionnel applicable en vertu de la clause 7 de la convention d'honoraires a déjà un aspect compensatoire très marqué.[67]
[98] En conclusion, la réclamation de la demanderesse de la somme de 385,30$ à titre de frais de perception extrajudiciaires n'a aucune chance raisonnable de succès.
3.4. Les intérêts et les frais de perception. Application du Code criminel
[99] À l’instar du jugement récent Pépin c. B2B Alliance inc.[68] de l'Honorable Serge Gaudet, J.C.S., je soulève proprio motu la question quant à l'application du Code criminal du Canada[69].
[100] Les dispositions pertinentes de l’article 347 du Code criminel se lisent ainsi :
« 347 (1) Malgré toute autre loi fédérale, quiconque conclut une convention ou une entente pour percevoir des intérêts à un taux criminel ou perçoit, même partiellement, des intérêts à un taux criminel est coupable :
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’une amende maximale de 25 000 $ et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines.
(2) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.
capital prêté L’ensemble des sommes d’argent et de la valeur pécuniaire globale de tous biens, services ou prestations effectivement prêtés ou qui doivent l’être dans le cadre d’une convention ou d’une entente, déduction faite, le cas échéant, du dépôt de garantie et des honoraires, agios, commissions, pénalités, indemnités et autres frais similaires résultant directement ou indirectement de la convention initiale ou de toute convention annexe. (credit advanced)
(….)
frais pour découvert de compte Les frais, d’un maximum de cinq dollars, payables lorsqu’un compte est à découvert ou lorsqu’il y a aggravation de ce découvert, et perçus soit par une caisse populaire ou credit union groupant uniquement ou principalement des personnes physiques, soit par un établissement recevant des fonds en dépôt, lesquels sont entièrement ou partiellement garantis par la Société d’assurance-dépôts du Canada ou par la Régie de l’assurance-dépôts du Québec. (overdraft charge)
intérêt L’ensemble des frais de tous genres, y compris les agios, commissions, pénalités et indemnités, qui sont payés ou payables à qui que ce soit par l’emprunteur ou pour son compte, en contrepartie du capital prêté ou à prêter. La présente définition exclut un remboursement de capital prêté, les frais d’assurance, les taxes officielles, les frais pour découvert de compte, le dépôt de garantie et, dans le cas d’un prêt hypothécaire, les sommes destinées à l’acquittement de l’impôt foncier.
taux criminel Tout taux d’intérêt annuel effectif, appliqué au capital prêté et calculé conformément aux règles et pratiques actuarielles généralement admises, qui dépasse soixante pour cent. […]
(3) Quiconque reçoit paiement, total ou partiel, d’intérêts à un taux criminel est présumé connaître, jusqu’à preuve du contraire, l’objet du paiement et le caractère criminel de celui-ci. »
[101] L'article 347 du Code criminel prévoit deux infractions distinctes. En premier lieu, suivant l'alinéa (1)a) de l'article, il est illégal de conclure une convention ou une entente pour percevoir des intérêts à un taux criminel. En second lieu, aux termes de l'article 347(1)b), il est illégal de percevoir, même partiellement, des intérêts à un taux criminel[70].
[102] La convention d’honoraires, pièce P-1, ne viole pas l’article 347 (1) a). Cependant, si les conclusions de la demande sont accueillies sans modification, c’est la deuxième infraction prévue à l’article 347 du Code criminel qui peut être commise.
[103] Le crédit accordé par la demanderesse aux défendeurs pour un total de 1 688,57$, en capital répond à la définition de « capital prêté[71]».
[104] La définition d’intérêt prévue à l’article 347 du Code criminel est très large[72], l’objectif du législateur est d’empêcher les créanciers de contourner la loi en manipulant simplement la forme du paiement exigé de leurs débiteurs. La définition vise donc à déterminer le coût réel d’emprunt pour le débiteur, à la lumière de toutes les sommes payables en contrepartie du capital prêté[73].
[105] La Cour suprême s'exprime ainsi sous la plume du juge Major :
« […] le législateur a expressément élargi le sens du mot « intérêt » à l’art. 347, de manière à inclure les frais calculés une seule fois, qu’ils soient payables au début d’une opération (par exemple, les honoraires et les commissions) ou une fois que le remboursement est exigible (par exemple, les amendes et les pénalités). »[74]
[106] La pénalité de 20% de tout solde dû répond à cette définition, il ne s'agit pas de "frais de découvert de compte" au sens du Code criminel. Ces frais de 20% du solde dû doivent être considérés comme "intérêts" au sens du Code criminel pour calculer "le taux d’intérêt annuel effectif, appliqué au capital prêté."
[107] En applicant la formule utilisée par l'Honorable Serge Gaudet dans l'affaire Pépin c. B2B Alliance inc., précitée, on arrive à la conclusion que si les conclusions de la demande sont accueillies, la demanderesse peut percevoir des intérêts au taux criminal.
[108] Comme la Cour suprême l’a indiqué dans l’affaire Degelder Construction c. Dancorp Developments :
« […] des honoraires ou une commission payés sur une courte période entraîneront un taux d’intérêt beaucoup plus élevé que si le même montant est payé sur une longue période. […] »[75].
[109] En l’espèce, vu la durée courte de la période, le taux d’intérêt réel (au sens du Code criminel) dépasserait 60% l’an.
[110] Je souscris à l'opinion de l'Honorable Serge Gaudet que:
" Le demandeur invoque aussi que la nullité du prêt n’a pas été invoquée par les défendeurs, ni demandée par leurs conclusions. Cela ne change cependant rien à l’affaire puisque la nullité absolue peut être invoquée d’office par le tribunal[76]. En outre, il semble aller de soi que le système judiciaire ne saurait être utilisé pour forcer l’exécution d’un contrat contraire au Code criminel."
[111] Le contrat contraire au Code criminel doit être frappé de nullité absolue puisque ces règles visent à sanctionner une conduite contraire à l'intérêt général[77].
[112] Dans l'affaire 2960-7835 Québec inc. c. Saratoga Multimédia inc[78], la Cour d'appel décide ainsi:
« Il ressort de la preuve que le contrat de prêt n'aurait pas été conclu sans le taux d'intérêt retenu, et ce, notamment eu égard aux risques que disait prendre le prêteur. En conséquence, le contrat doit être considéré comme indivisible et être annulé en entier (1438 C.c.Q.). »
[113] En l’espèce, le contrat ne viole pas l’article 347 (1) a) du Code criminel. De plus, j’aurais pu appliquer l'article 1438 du Code civil du Québec et déclarer nulles seulement les clauses du contrat prévoyant un taux criminel, puisque le contrat ne doit pas être considéré comme un tout indivisible et n'est pas nul ab initio[79].
[114] En résumé, la clause 7 du contrat entre les parties, pièce P-1, ne peut pas être appliquée.
[115] Premièrement, les clauses prévoyant un taux d’intérêt de 24% l’an et des frais de perception de 20% du solde dû sont nulles en vertu du Code de déontologie des avocats.
[116] Deuxièmement, la pénalité n’est pas justifiée conformément au troisième alinéa de l’article 1617 du Code civil du Québec. Au surplus, l’effet cumulatif de la pénalité et du taux d’intérêt conventionnel est abusif et le tribunal doit intervenir d’office en application du droit civil (voir les paragraphes 92 à 97 du jugement).
[117] Dernièrement, si la demande est accordée sans intervention du tribunal, la demanderesse pourrait percevoir des intérêts au taux criminel.
[118] Par conséquent, la demanderesse aura droit au capital avec intérêt au taux légal à compter de la demeure.
[119] La décision d'accorder ou non l'indemnité additionnelle relève de la discrétion judiciaire.
[120] Je n’aurais pas dû accorder l'indemnité additionnelle si le taux d’intérêt conventionnel de 24% l’an était valide, puisque les intérêts prévus par les parties dépassent largement le taux légal prévu par la Loi, y compris l'indemnité additionnelle[80].
[121] Cependant, la nullité de l’article 7 de la convention d’honoraires a comme conséquence une absence de fixation d'intérêts. Puisque c’est le taux légal qui est applicable, j’accorde l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec.
[122] La demanderesse aura également droit aux frais de justice.
[123] Vu l’obligation du soussigné prévue à l’article 134 du Code de déontologie des avocats, une copie du jugement sera envoyée au Syndic du Barreau.
POUR CES MOTIFS, LE GREFFIER SPÉCIAL:
[124] ACCUEILLE en partie la demande;
[125] CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse la somme de 1 688,57$ avec intérêts au taux de 5% l'an plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 3 septembre 2017, date de la demeure judiciaire;
[126] CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse les frais judiciaires de 100,00$;
[127] PRIE le greffier de transmettre une copie du présent jugement au Syndic du Barreau.
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Me Chantal Boyer, avocate
Partie demanderesse
M. Guy Légaré, [...], Amos, Québec, [...]
Partie défenderesse
Bureau du syndic, 76, rue Saint-Paul, Québec (Québec) G1K 3V9
[1] Il appert de la preuve au dossier qu’après une démarche sans succès de la part de l’huissier de justice du 7 août 2017, la greffière de la Cour du Québec a contacté le défendeur par téléphone. Le 28 août 2017, le défendeur s’est présenté au greffe et la greffière lui a remis la demande, l’avis (art. 546 du Code de procédure civile) et les pièces. Monsieur Légaré a signé qu’il avait bel et bien reçu la demande et les pièces.
[2] Art. 546 al.2 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01)
[3] Code de déontologie des avocats, chapitre B-1, r. 3.1
[4] Voir l’annexe au jugement Bois Sélect 2000 inc. (Syndic de), (C.S., 2005-05-25), SOQUIJ AZ-50317461, J.E. 2005-1160
[5] Code de procédure civile (chapitre C-25)
[6] Johansson c. Marsolais-Bouchard [1993] R.R.A. 227 (C.A.); Voir également le jugement récent de la Cour d'appel Solarcan Architectural Corp. c. Turcotte 2015 QCCA 947, ainsi que Centre commercial Lachute inc. c. Assaly [1984] R.D.J. 177 (C.A.); St-Lambert c. Boursier [1994] 60 Q.A.C. 87 (C.A.)
[7] Articles 2806 et 2807 du Code civil du Québec
[8] Pièce P-2
[9] Pièce P-3
[10] Voir Anne Lagacé c. Mario Gravel et Chantal Gaudreau (17 janvier 2005), 200-17-005161-047, l’Honorable Denis Jacques J.C.S.
[11] Le premier paragraphe de la clause 7 de la convention d'honoraires, pièce P-1
[12] Lluelles, Didier et Moore, Benoit, Droit des obligations. 2e édition, p.1657
[13] Loi sur le Barreau (chapitre B-1, a. 4)
[14] Lex specialis derogat legi generali
[15] Nathalie Croteau, Le contrat d'adhésion: de son émergence à sa reconnaissance, Montréal, Wilson & Lafleur, 1996, p. 123-132
[16] Distribution Stéréo Plus inc. c, 140 Gréber Holding inc., 2012 QCCS 33. Voir également Michael Publishing Company Inc. (Suburban) c. Holand Chrysler Dodge Jeep ltée 2014 QCCQ 427, par. 28 et suivants
[17] Régie d'assainissement des eaux du bassin de La Prairie c. Janin Construction (1983) Ltée (30 mars 1999), Montréal 500-09-001609-940 (C.A.), p. 41
[18] MGB Auto inc. c. Trois diamants Autos (1987) Ltée, (C.S. 1997-02-12), J.E.-97-777
[19] Art. 1420, al. 1 in fine du Code civil du Québec
[20] United European Bank and Trust Nassau Ltd. c. Duchesneau 2006 QCCA 652, par. 52
[21] Pour la distinction entre l'ordre public de protection et l'ordre public de direction, voir Isidore Garon ltée. c. Tremblay [2006] 1 R.C.S. 27, par. 60., Gestion Olymbec inc. c. Montréal (Ville de), C.Q. 500-32-119017-095, par. 31 et s., ainsi que la doctrine: Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 6e ed. Cowansville, Yvon Blais, par P.G. Jobin avec la collaboration de N. Vézina, 2005, par. 147, Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, Montréal, Éditions Thémis, 2006, au no 1129., Vincent Karim, Les obligations, Vol. 1, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2002, à la p. 250
[22] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les Obligations, 6e édition, Éditions Yvon Blais, p. 215-216.
[23] Art. 1432 C.c.Q.
[24] Lord c. Guimond 1957 R.C.S. 79; Assurances générales des Caisses Desjardins inc. c. Jourdain, 2005 QCCA 1226
[25] Code de déontologie des avocats, chapitre B-1, remplacé, D. 129-2015, 2015 G.O. 2, 456, eff. 2015-03-26, voir chapitre B-1, r. 3.1
[26] Pauzé c. Gauvin [ 1954] R.C.S. 15.
[27] Landry c. Cunial, [1977] C.A. 157 ; Pouliot c. Cie Trust Royal, [1980] C.A. 157 ; Belgo-Fisher (Canada) Inc. c. Lindsay, [1988] R.J.Q. 1223 ; In re Réserves du Nord (1973) Ltée: Biega c. Drucker, [1982] C.A. 181 .
[28] Côté c. Rancourt, (CS. Can., 2004-06-11), par. 10
[29] Art. 3.08.01 à 3.08.07 de l'ancien Code de déontologie des avocats, art. 101 et suivants du nouveau Code
[30] Archambault c. Fleury (Succession de), (C.Q., 2006-09-14), AZ-50438155 (le juge Martin Hébert).
[31] Terreault c. Bigras, 2005 QCCA 1243 (CanLII),
[32] Francoeur c. Belzil, (C.S.) J.E. 2002-1957, appel rejeté par la Cour d'appel (CA 2004-06-27)
[33] Francoeur c. Belzil (C.A.) J.E. 2004-1252 (C.A.), au par. 33
[34] Bourgoin c. Bouchard 2008 QCCQ 7141
[35] Godbout c. Longueuil (Ville de) (C.A.), jugement rectifié le 1995-11-15)
[36] Pelletier c. Boucher 2015 QCCQ 2814
[37] Voir les articles 5, 129 et 134 du nouveau Code de déontologie des avocats.
[38] Art. 4.03.00.01 de l'ancien Code de déontologie des avocats, ainsi qu'article 134 du nouveau Code de déontologie des avocats
[39] Daniel T. Jolin c. Camille Pageau, dossier 460-22-001281-013, 11 octobre 2005, C.Q., par.41 à 44
[40] Code de déontologie des notaires, Loi sur le notariat (chapitre N-3) Code des professions
(chapitre C-26, a. 87)
[41] Petit Larousse Illustré 2002, Larousse / VUEF 2001, Paris
[42] Rudick c. V.B., (C.Q., 2010-03-19), 2010 QCCQ 2701, par. 129
[43] Sabbagh & associés, s.e.n.c. c. Manikis 2010 QCCQ 5553, par. 35
[44] Denoncourt c. Di Milo 2006 QCCQ 1722, par. 69
[45] Simard c. Brulotte, 2008 QCCQ 2854
[47] Groupe VanHoutte inc. (A.L. VanHoutte Ltée) c. Développements industriels et commerciaux de Montréal inc., 2010 QCCA 1970. Voir également : Marchés mondiaux CIBC inc. c. Côté, 2013 CCS 3731.
[48] Idem., voir également Laferrière c. Entretiens Servi-pro inc., J.E. 2006-84 (C.A.).
[49] Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., c. P-40.1.
[50] Idem, art. 188 i). Voir les commentaires de Nicole L'Heureux dans Droit de la consommation 5ième Édition, Wilson & Lafleur, 2000, page 30. Voir aussi Côté c. Pelletier-Harpin, (C.Q. 2003-06-27), AZ-50188229
[51] Art. 3.08.03 de l'ancien Code de déontologie des avocats
[52] Art.1617 al.3 C.c.Q
[53] Art. 1622 C.c.Q.
[54] Côté c. Rancourt, par. 10, précité note 28
[55] Opinion 41 - Émise le 29 avril 2005, consulté en ligne le 27 novembre 2017: http://www.barreau.qc.ca/fr/avocats/deontologie/capsules/opinions/41.html
[56] Caisse populaire St-Joseph de Hull c. Bégin (C.S.) J.E. 95-725
[57] Gosselin c. Lapointe (C.A. 1972-08-04) , (1973) CA 156
[58] Édith Deleury et Dominique Goubau, Le droit des personnes physiques, 4e éd. par Dominique GOUBAU, Montréal, Wilson et Lafleur, 2008, pages 377 à 381
[59] Pelletier c. Boucher, précité, note 36. Voir également Bordeleau c. Lessard, REJB 1999-13678 ; J.E. 99-1578 (C.S.).
[60] Art. 1417 et 1418 C.c.Q. Ex hihilo nihil
[61] Art 2803 et 2804 C.c.Q. Voir également F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, par. 46, EYB 2008-148155
[62] 9149-5408 Québec inc. c. Groupe Ortam inc., EYB 2012-215628
[63] Baudouin Jean-Louis et Jobin Pierre-Gabriel, Les Obligations, 6e éd., Éditions Yvon Blais, 2005, page 168.
[64] Diamantopoulos c. Construction Dompat inc., EYB 2013-222336
[65] Crédit-Bail R.G. inc. c. Épicerie 2H (1990) inc. (8 avril 2003), Québec 200-22-021128-020 (C.Q.)
[66] Groupe VanHoutte inc. (A.L. VanHoutte Ltée) c. Développements industriels et commerciaux de Montréal inc., précité note 47, par. 139.
[67] 2754-7769 Québec inc. c. 9202-2078 Québec inc. 2013 QCCS 4426 par. 105
[68] Pépin c. B2B Alliance inc. 2016 QCCS 852
[69] Code criminel L.R.C. (1985), ch. C-46
[70] Degelder Construction Co. c. Dancorp Developments Ltd., [1998] 3 R.C.S. 90 ; Goldon Garland c. Consumers' Gas Co., [1998] 3 R.C.S. 112 ; Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp, [2004] 1 R.C.S. 249, 18 C.R. (6th).
[71] Transport North American Express Inc. c. New Solutions Financial Corp, [2004] 1 R.C.S. 249, 18 C.R. (6th). En l’espèce, les parties ont conclu une deuxième convention d’honoraires malgré le fait que l’article 4 de la première convention n’a pas été respecté. Le solde dû correspond à «la valeur pécuniaire globale des services prêtés » (art. 347 al.2, par. 1 du Code criminel.
[72] Garland c. Consumers’ Gas co. , précité, note 70
[73] Pépin c. B2B Alliance inc., par. 13 précité note 68
[74] Garland c. Consumers’ Gas co., précité note 70
[75] Degelder Construction c. Dancorp Developments, précité, note 70
[76] Art. 1418 C.c.Q.
[77] Art. 1417 C.c.Q. et Amusements St-Gervais inc., c. Legault, J.E. 2000-550 (C.A.)
[78] 2960-7835 Québec inc. c. Saratoga Multimédia inc., 2006 QCCA 447
[79] Idem;
[80] Monpetit c. Léger, J.E. 2000-1879 (C.S.), Ahsan c. Second Cup Ltd., SOQUIJ AZ-50168900, J.E. 2003-76, REJB 2003-39565 (C.A.); Boisvert c. Laberge, SOQUIJ AZ-97021551, J.E. 97-1372, REJB 1997-00931 (C.S.); Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Constructions Denard inc., SOQUIJ AZ-99121012, [1999] R.L. 136 (C.S.); Banque de Montréal c. Solunac, SOQUIJ AZ-50105960, J.E. 2002-539, REJB 2001-28194 (C.S.); Habitations Vi-Zé-Au inc. c. Élevages Carfio inc., SOQUIJ AZ-50124463 (C.S.). Voir également Vincent Karim, Les obligations, 2ème édition, Wilson & Lafleur, Montréal, 2002, p 524; Didier Lluelles et Benoît Moore, droit des obligations, Édition Thémis 2006, p. 1799
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