Geoffroy c. Pelletier |
2017 QCCQ 8674 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« DIVISION DES PETITES CRÉANCES » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC DISTRICT DE LONGUEUIL |
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LOCALITÉ DE |
LONGUEUIL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
505-32-035302-166 |
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DATE : |
Le 14 juin 2017 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
LUC POIRIER, J.C.Q. |
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MARTIN GEOFFROY |
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Demandeur |
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c. |
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BRUNO PELLETIER |
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Défendeur |
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JUGEMENT |
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[1] Monsieur Martin Geoffroy réclame 5 280,62 $ à monsieur Bruno Pelletier, courtier immobilier, en responsabilité, lui reprochant de ne pas avoir déclaré les hypothèques de construction grevant l’immeuble acheté en mars 2013.
[2] Monsieur Pelletier conteste, mentionnant ne pas être tenu de vérifier le registre foncier et que sa responsabilité ne peut donc être retenue.
QUESTIONS EN LITIGE :
[3] Le défendeur, courtier immobilier, a-t-il engagé sa responsabilité professionnelle en ne divulguant pas les hypothèques légales de construction grevant l’immeuble vendu?
[4] Dans l’affirmative, à quel montant monsieur Geoffroy a-t-il droit?
CONTEXTE :
[5] Le 21 mars 2013, monsieur Geoffroy achète une unité de condominium à construire au […] à Longueuil, de l’entrepreneur Riodel inc. (contrat pièce P-3), la vente étant notariée le 5 novembre 2013.
[6] Au moment de cette transaction, monsieur Pelletier agit comme courtier du vendeur, soit l’entrepreneur Riodel.
[7] Après avoir acquis l’unité de condominium, monsieur Geoffroy constate que de nombreuses hypothèques légales de construction ont été enregistrées sur son immeuble (voir Index aux immeubles P-8). Il est aux prises avec le vendeur constructeur contre qui il obtient jugement le 19 décembre 2014 (jugement P-2), lequel fera cession de ses biens en février 2016 (P-7).
[8] Monsieur Geoffroy prétend que s’il avait connu l’état de solvabilité du constructeur Riodel, ce qu’aurait démontré la présentation des hypothèques légales de construction par monsieur Pelletier, il n’aurait pas acquis l’unité de condominium. Il aurait refusé de faire affaire avec une firme aux prises avec des difficultés financières.
[9] La réclamation de monsieur Geoffroy se base sur la décision obtenue contre Riodel et produite sous la cote P-2. N’ayant pu obtenir paiement, il en réclame maintenant le coût à monsieur Pelletier.
ANALYSE :
[10]
La partie qui fait valoir un droit doit démontrer par prépondérance de
preuve le bien-fondé de ses prétentions, comme le prévoient les articles
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[11] Monsieur Geoffroy doit donc prouver que monsieur Pelletier, par ses gestes ou omissions, a commis une faute engageant sa responsabilité. [12] L’auteur Jacques Deslauriers, dans son ouvrage « Vente, louage, contrat d’entreprise ou de service »[1] définit les obligations et responsabilités des courtiers immobiliers de la façon suivante : « … Pour sa part, le courtier en immeubles doit informer et conseiller de façon objective tant son client que l’autre partie à la transaction projetée, avertir en temps utile l’acheteur des vices de titres et des empiétements révélés par un certificat de localisation. (…) » (Références omises) [13] Selon Jacques Deslauriers, l’obligation de renseignement ne vise pas uniquement le client, comme c’est le cas dans le présent dossier. [14] La jurisprudence a, depuis longtemps, illustré les obligations du courtier immobilier. Dans tous les cas, l’obligation de l’agent est une obligation de moyens. La Cour supérieure, dans la décision Shaloomov c. Hermez[2], décrit ainsi l’obligation du courtier : « [70] Le courtier immobilier doit exécuter le contrat de service qui lui est confié avec prudence et diligence. Dans son traité sur le courtage immobilier, Me Claude G. Leduc rappelle que le courtier n’assume qu’une obligation de moyens et que son comportement doit s’analyser suivant la norme d’un courtier normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes circonstances (…) (…) [72] En l’instance, le Tribunal est d’avis que Couture ne s’est pas comportée de manière prudente et diligente. D’une part, elle a confirmé à Shaloomov la constructibilité du terrain, sur simplement confirmation verbale de Girard, une information cruciale qui s’est avérée inexacte. (…) (…) [76] (…) Couture recommande à Shaloomov de compléter un document qui confirme que la condition liée à l’obtention d’un permis de construction est réalisée. Or, elle sait qu’il n’en est rien. (…) » [15] Dans la cause sous étude, Monsieur Pelletier prétend qu’il n’avait pas de vérification à faire et que des vérifications ont quand même été effectuées de sa part quant au registre foncier lorsque son mandat a débuté, et qu’il n’avait plus à vérifier quoi que ce soit par la suite. [16] La prétention du défendeur quant à son implication va à l’encontre de la vision qu’en a le Pr Deslauriers[3] : « … Un courtier immobilier qui reçoit des honoraires importants pour représenter un client dans la négociation d’une vente immobilière ne peut se contenter de faire accomplir la plus grande partie de son travail par son client, le vendeur, ou par l’acheteur. Si ces gens font appel aux services d’un courtier, c’est qu’ils croient que son expertise pourra leur être utile. L’expertise d’un courtier ne se limite pas à installer une pancarte devant une propriété, à faire publier deux ou trois annonces dans un journal et à la faire visiter par quelques acheteurs potentiels. Si c’était là l’unique responsabilité du courtier, il ne serait pas nécessaire pour les vendeurs de recourir à leurs services et de leur payer une commission importante. … » [17] À la lumière des écrits du Pr Deslauriers et de la jurisprudence, le Tribunal ne peut être d’accord avec les prétentions de monsieur Pelletier. Référant à la décision de la Cour supérieure dans l’arrêt Genesse c. Brun[4], le Tribunal fait siens les propos de l’honorable juge Blanchard quant à la détermination de la faute de la façon suivante : « [20] La détermination d’une éventuelle faute commise par Brun s’articule, d’abord et avant tout, en fonction d’une analyse de son obligation de vérification et de conseil. (…) » [18] Cette citation pourrait être utilisée dans la présente affaire en substituant le nom de famille « Brun » pour celui de Pelletier. Toujours dans cette même décision, le Tribunal pose la question concernant la vérification des hypothèques de la façon suivante[5] : « [37] De plus, l’admission de Brun, dans le cadre des procédures devant son comité de discipline, concernant l’existence d’une hypothèque inconnue par elle postérieure à ses vérifications préalables, étaye la conclusion à l’effet que de telles démarches découlent naturellement et normalement de son devoir de vérification. En effet, si l’on soutient que l’on ne possède pas le devoir de vérifier, point besoin d’affirmer qu’on ignore l’existence de l’hypothèque. (…) » [19] Dans le cas de monsieur Pelletier, ce dernier a fait des vérifications au tout début du dossier, et il témoigne qu’il n’avait pas repéré toutes les hypothèques légales de construction qui sont venues après sa vérification initiale. [20] Un peu plus loin, la Cour supérieure, toujours dans l’affaire Genesse c. Brun[6], clarifie le devoir de vérification concernant les hypothèques de la façon suivante : « [41] (…) le devoir de vérification du courtier immobilier lui impose de vérifier l’existence de limitation facilement vérifiable dans tout registre public. À l’évidence, une hypothèque constitue une telle limitation. Le simple fait d’exiger que le courtier vérifie si une hypothèque affecte l’immeuble concerné ne lui impose pas l’obligation d’effectuer ce que l’on appelle communément une « recherche de titre ». Il suffit que le courtier avise les parties à la transaction de son existence. Ensuite, il doit référer celles-ci à leur notaire ou avocat (…) » [21] Finalement, sur l’argument de vérification initiale qui n’a pas à être refaite, le Tribunal souligne l’obligation de faire des vérifications au fur et à mesure de l’évolution du dossier[7] : « [51] Ainsi, Brun ne peut se retrancher derrière ses vérifications du début 2010 alors que son premier client signe sa promesse d’achat le 17 février 2011. Elle se devait de mettre à jour son dossier pour s’assurer que la situation apparente demeurait semblable à sa première vérification. Conclure autrement viderait de sens l’obligation de vérification et de conseil du courtier immobilier. En effet, point besoin de faire preuve de beaucoup d’imagination pour comprendre que des événements postérieurs à une première vérification peuvent amener des modifications substantielles de l’apparente réalité dans laquelle évoluent les parties à la transaction. (…) » [22] En appliquant ces principes à la présente décision, il est clair que monsieur Pelletier ne pouvait se contenter de vérifier une seule fois le registre foncier et en être dispensé par la suite. Ces vérifications étaient d’autant plus importantes qu’il s’agissait d’un chantier en évolution puisqu’il était en construction, et la possibilité d’enregistrer des hypothèques légales de construction étaient réelles. [23] À titre d’exemple, au moment où la promesse d’achat est faite le 21 mars 2013, au moins 4 hypothèques légales de la construction sont enregistrées, et au moment de l’enregistrement de l’acte notarié, 3 autres hypothèques légales de construction s’ajoutent. [24] Le Tribunal conclut qu’un courtier immobilier prudent et diligent, placé dans la même situation que monsieur Pelletier, n’aurait pas agi comme ce dernier et aurait fait les vérifications nécessaires au registre foncier et en aurait informé l’acheteur, monsieur Geoffroy. [25] Le Tribunal conclut donc que monsieur Pelletier a commis une faute entraînant sa responsabilité. [26] Le Tribunal doit maintenant se positionner quant aux dommages subis par monsieur Geoffroy. [27] Les prétentions de ce dernier sont à l’effet qu’il n’aurait jamais fait affaire avec une compagnie étant aux prises avec tant d’hypothèques légales de construction puisqu’elle révélait une solvabilité douteuse. [28] Les événements donnent raison à monsieur Geoffroy puisqu’il a obtenu un jugement contre la compagnie Riodel inc. au montant de 4 368,47 $ le 19 décembre 2014 (P-2) et qu’il n’a jamais pu l’exécuter suite à la faillite de la compagnie le 3 février 2016. [29] Le Tribunal conclut que la perte subie par monsieur Geoffroy relève directement de l’état d’insolvabilité de la compagnie Riodel inc. et que c’est justement cet état d’insolvabilité ou de difficulté financière qui aurait été révélé par les informations du registre foncier qui n’ont jamais été transmises à monsieur Geoffroy. POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : [30] ACCUEILLE la réclamation du demandeur Martin Geoffroy; [31]
CONDAMNE le défendeur Bruno Pelletier à payer au demandeur
Martin Geoffroy la somme de 5 280,62 $ plus intérêts au taux légal
plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article [32] FRAIS DE JUSTICE contre le défendeur Bruno Pelletier.
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__________________________________ LUC POIRIER, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
Le 18 avril 2017 |
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AVIS :
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