Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Association des cadres de la Société des casinos du Québec et Société des casinos du Québec inc.

2016 QCTAT 6870

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

CM-2009-5820

 

Dossier accréditation :

AM-2001-1195

 

Montréal,

le 7 décembre 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Irène Zaïkoff

______________________________________________________________________

 

 

 

Association des cadres de la Société des Casinos du Québec

Partie demanderesse

 

c.

 

 

 

La Société des casinos du Québec inc.

 

Employeur

 

 

 

et

 

Procureure générale du Québec

Partie intervenante de première part

 

 

 

Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec

Partie intervenante de deuxième part

 

Hydro-Québec

Partie intervenante de troisième part

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION INTERLOCUTOIRE

 

 

 

 

 

[1]           La présente décision, ainsi que celle qui est rendue ce même jour dans le dossier CM 2014-7415, porte sur la constitutionnalité, en regard du droit à la liberté d’association, de l’exclusion du statut de cadre de la définition de « salarié » prévue au Code du travail (le Code)[1], condition nécessaire à l’accréditation d’une association aux fins de la négociation collective.

les procédures

[2]           Le 10 novembre 2009, l’Association des cadres de la Société des Casinos du Québec (l’ACSCQ) dépose une requête en vertu de l’article 25 du Code à la Commission des relations du travail (la Commission)[2]. Elle demande à être accréditée auprès de la Société des casinos du Québec inc. (la Société), pour son établissement de Montréal, le Casino de Montréal (le Casino), à l’égard du groupe d’employés suivant:

« Les cadres de premier niveau (classes 4 et 4a) du secteur des jeux notamment ceux offerts aux tables de jeux, aux machines à sous/keno, aux salons de poker et à tout autre système de loterie de même nature aux fins de l’exploitation d’un casino d’état. »

[3]           Le 19 décembre 2014, l’Association professionnelle des cadres de premier niveau d’Hydro-Québec (l’APCPNHQ) dépose à son tour une requête afin d’être accréditée auprès d’Hydro-Québec pour représenter :

« Tous les cadres de premier niveau à l’emploi d’Hydro-Québec à l’exclusion des cadres avec relevants cadres, des cadres assujettis au SPIHQ, des cadres de la fonction Ressources humaines, des cadres régis par le Répertoire des conditions de travail chantier (RCTC), des cadres occupant des fonctions de nature stratégique ou confidentielle et des cadres affectés à des projets spéciaux. »

 

[4]           La Société et Hydro-Québec soulèvent toutes deux l’irrecevabilité de ces requêtes puisque les cadres ne peuvent être visés par l’accréditation, étant exclus de la définition de « salarié » prévue à l’article 1l) 1° du Code.

[5]           Ces dossiers sont joints le 30 janvier 2015 par décision de la Commission[3]. Après plusieurs aléas[4], les audiences sur la question de la constitutionnalité de l’exclusion du statut de cadre débutent en mars 2015 et se terminent en juillet 2016, par le dépôt de répliques et de documents.

[6]           Ces mêmes dossiers sont cependant disjoints lors de leur mise en délibéré. Il est convenu que le Tribunal ne traitera que de la question constitutionnelle. Les parties communes aux deux dossiers sont reproduites de façon identique dans chacune des décisions. Étant donné que le Tribunal arrive aux mêmes conclusions dans les deux dossiers, une partie des motifs l’est également.

[7]           Restera, le cas échéant, à déterminer dans le dossier de l’ACSCQ, les personnes devant faire partie de la liste des salariés visés par la requête en accréditation et, dans celui de l’APCPNHQ, la description de l’unité de négociation et la liste des salariés.

les questions en litige

[8]           Les questions en litige ont été définies lors d’une conférence préparatoire tenue avec l’ACSCQ et la Société, le 9 septembre 2014. Elles sont les mêmes dans le dossier Hydro-Québec et se lisent ainsi :

- Vu que les cadres sont exclus de la définition de salarié du Code.

 

- Vu que les personnes visées par la requête en accréditation de l’Association sont des cadres.

 

- Vu que, de ce fait, l’Association qui les représente ne peut bénéficier des avantages dont jouit une association accréditée en vertu du Code.

 

1.- Cette exclusion porte-t-elle atteinte à la liberté d’association, garantie par l’article 2.d de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte canadienne)[5] et par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c. C-12 (la Charte québécoise), des personnes visées par la requête en accréditation?

 

2.- Dans l’affirmative, cette atteinte est-elle justifiée en regard de l’article 1 de la Charte canadienne et de l’article 9.1 de la Charte québécoise?

 

(caractère gras ajouté)

la preuve

[9]           Bien que le Tribunal soit saisi de la question constitutionnelle aux fins des requêtes en accréditation de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ, les parties ont administré une preuve beaucoup plus large afin de brosser un portrait des associations de cadres et de leur situation en regard des relations du travail au niveau international, canadien et québécois. La présente décision en traitera en premier.

[10]        Après ce portrait des associations de cadres, le Tribunal abordera ensuite les démarches des associations de cadres québécoises, tant au niveau international qu’auprès du gouvernement du Québec. Par la suite, la preuve particulière à chaque dossier sera analysée.

Portrait des associations de cadres

[11]        L’ACSCQ et L’APCPNHQ ont fait témoigner, à titre d’expert, le professeur Michel Coutu[6], qui a présenté l’historique de la syndicalisation des cadres et la situation au Québec, tant historique que contemporaine. Son témoignage est complété par ceux de Gilles Lachance, qui fut président de la Conférence nationale des cadres du Québec (CNCQ) jusqu’en 2011, et de Michel Mathieu, président de l’Association des directeurs et directrices de la Société des alcools du Québec (ADDS/SAQ).

[12]        Pour sa part, la Procureure générale a fait entendre Marie-Pier Gagnon, dans le cadre de ses fonctions de conseillère en relations du travail, Isabelle Marcotte, directrice des régimes collectifs et Stéphane Gamache, directeur de l’actuariat, tous à l’emploi du secrétariat du Conseil du trésor. De plus, la Procureure générale a déposé une série de décrets portant sur la reconnaissance de diverses associations de cadres de l’État, de même que les codes du travail (ou lois de même nature) des autres provinces et territoires.

[13]        Le Tribunal résumera d’abord les grandes lignes qui se dégagent de la preuve testimoniale et documentaire, puis analysera les conclusions du professeur Coutu.

 

Portrait au niveau international

1. Les conventions internationales

[14]        De nombreuses conventions internationales portent sur les droits fondamentaux du travail, dont plusieurs sont ratifiées par le Canada, membre de l’Organisation internationale du travail (OIT)[7].

[15]        La Convention (n°87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, (la Convention 87)[8], ratifiée par le Canada en 1972, déclare que les travailleurs et les employeurs « sans distinction d’aucune sorte » - à l’exception des forces armées et de la police - ont le droit de « constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisations ».

[16]        La Convention (n°98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949 (la Convention 98) prévoit, notamment, le droit d’être protégé contre l’ingérence et le droit à la négociation collective. Celle-ci n’a pas été ratifiée par le Canada. Cependant, la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail[9], adoptée en 1998, prévoit que tout membre a l’obligation, de par sa seule appartenance à l’OIT, doit respecter, promouvoir et réaliser de bonne foi les principes concernant les droits fondamentaux au travail, dont font partie la liberté d’association et le droit de négociation collective.

[17]        Le Comité de liberté syndicale, institué au sein du Conseil d’administration de l’OIT, a pour mission de contrôler l’application de la Convention 87 et de la Convention 98, afin de s’assurer de leur respect par les États membres de l’OIT. Il examine les plaintes qui peuvent être déposées par des associations d’employeurs ou de travailleurs contre un État membre. S’il conclut qu’il y a violation des normes ou des principes établis, il soumet un rapport et ses recommandations au Conseil d’administration de l’OIT. Le gouvernement du pays en cause est ensuite invité à rendre compte de la mise en œuvre de ces recommandations.

[18]        Selon cette instance, le droit d’association, que protège la Convention 87, vise également les cadres, au même titre que les autres travailleurs. La liberté d’association comprend le droit à la négociation collective des conditions de travail, le droit de grève, l’accès à une procédure de règlement des différends et une protection contre l’ingérence[10]. La législation nationale peut cependant, à certaines conditions, prévoir que les cadres fassent partie d’une association distincte.

[19]        Outre les conventions de l’OIT, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[11], entré en vigueur et ratifié par le Canada en 1976, garantit la négociation collective et plus spécifiquement le droit de grève. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques[12], également entré en vigueur et ratifié par le Canada la même année, protège le droit à la liberté d’association, ce qui comprend le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer. Les restrictions permises sont celles nécessaires dans une société libre et démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Des restrictions légales peuvent aussi viser les membres des forces armées et de la police[13].

2. Le droit d’association des cadres en Europe

[20]        En Europe, les régimes législatifs permettent en général aux cadres l’accès à la négociation collective, tant dans les secteurs privé que public. La Confédération générale des cadres, créée en 1944 et reconnue comme syndicat représentatif par la France, compte 177 000 membres. En Allemagne, les cadres sont regroupés avec le reste des travailleurs. Seuls les cadres dirigeants sont exclus. Au Royaume-Uni, les cadres et les professionnels font partie des mêmes syndicats[14].

3. Le droit d’association des cadres aux États-Unis

[21]        En Amérique du Nord, la situation contraire prévaut[15]. Les cadres de tous les niveaux se trouvent généralement exclus des régimes d’accréditation. Toutefois, des exceptions existent pour les cadres de premier niveau.

[22]        Précisons d’abord que le terme « cadre » couvre un large spectre de personnes associées à la direction de l’entreprise, qu’on classe généralement en trois catégories. Les cadres « subalternes » - ou cadres de « premier niveau » - sont ceux qui s’assurent que les directives de l’employeur sont respectées; les cadres « intermédiaires » participent indirectement à l’élaboration des politiques de l’entreprise et les cadres « supérieurs » sont ceux qui sont investis d’un commandement et qui relèvent directement soit du conseil d’administration, soit du président ou encore du directeur général.

[23]        Ainsi, aux États-Unis, pendant des années, le National Labor Relations Board (le NLRB) hésite à considérer les cadres de premier niveau comme étant exclus de la définition de « salarié » de la Loi Wagner[16], laquelle n’interdisait pas alors explicitement la syndicalisation des cadres. La Foreman’s Association of America (FAA), association regroupant des contremaitres du secteur privé, d’abord reconnue volontairement, est accréditée en 1945 par le NLRB, décision confirmée par la Cour suprême des États-Unis deux ans plus tard[17]. Ce fut cependant pour une courte période, car la Loi Wagner est modifiée à la suite du jugement de la Cour suprême, deux ans plus tard, par la Loi Taft-Hartley, ce qui met un terme à la syndicalisation des cadres.

[24]        À l’heure actuelle, seule la législation d’une douzaine d’États américains permet la syndicalisation des cadres de premier niveau et intermédiaires. De plus, le professeur Coutu apporte la précision suivante : « contrairement à la situation prévalant au Canada, aux États-Unis les lois fédérales régissent 90% de la main d’oeuvre. La législation adoptée par les États de l’Union vise pour sa part 10% des salariés, relevant en grande partie du secteur public »[18]. Au New Jersey, la majorité des 65 000 fonctionnaires, cadres de premier niveau et intermédiaires, sont membres d’associations accréditées qui négocient collectivement.

Portrait de la situation au Canada (à l’exception du Québec)[19]

[25]        Au Canada, les lois provinciales excluent de la définition d’« employé » ou de « salarié », et donc de la syndicalisation, les personnes qui occupent des fonctions de direction, en des termes qui cependant varient. Sont aussi généralement exclues les personnes qui ont accès à de l’information confidentielle dans le cadre de leur fonction ou qui occupent un poste stratégique dans les relations du travail. Bien que l’analyse de la jurisprudence de chaque province n’ait pas été faite, on peut néanmoins déduire que ces définitions sont parfois moins restrictives que celle du Code et n’excluent pas nécessairement les cadres de premier niveau[20].

[26]        Au niveau fédéral, c’est à la suite du Rapport Woods[21] qu’une révision en profondeur du Code canadien du travail (Code canadien)[22] est faite en 1972. L’exclusion des cadres de la définition d’employé est restreinte afin de mettre l’accent sur les fonctions de direction, plutôt que sur celles de surveillance[23]. Nous y reviendrons. 

[27]        Le Conseil canadien des relations de travail (le CCRT), devenu depuis le Conseil canadien des relations industrielles (le CCRI), accordera dès lors la syndicalisation aux employés dont les tâches consistent notamment à surveiller d’autres employés, soit l’équivalent des cadres de premier niveau. Ont ainsi été accrédités les réalisateurs de la Société Radio-Canada, les surintendants d’une entreprise de débardage, des capitaines de navire et certains superviseurs d’entreprises de téléphonie.

[28]        De plus, le Code canadien permet que des employés qui exercent des fonctions de surveillance soient inclus dans la même unité que celle des employés qu’ils supervisent[24].

[29]        Dans le secteur public fédéral, les cadres supérieurs sont regroupés dans une association qui peut faire valoir ses positions devant le comité consultatif sur le maintien de poste et la rémunération du personnel de direction. Par ailleurs, la Loi sur les relations du travail dans la fonction publique[25] exclut de la définition de « fonctionnaire » les personnes qui occupent un poste de direction ou de confiance. Cette exclusion est cependant interprétée plus largement par la Commission des relations du travail dans la fonction publique que par le CCRI, mais la procédure de griefs est ouverte à ces personnes en cas de mesures disciplinaires.

Portait de la situation au Québec

1. Historique

[30]        L’exclusion de l’article 1l) 1° du Code existait déjà dans la législation précédant le Code, la Loi des relations ouvrières[26] de 1944. Tel que souligné précédemment, cette exclusion est plus large que celle du Code canadien et que celles que l’on trouve dans les lois de certaines provinces. Le professeur Coutu explique qu’elle répond à deux préoccupations: préserver l’indivisibilité de l’entreprise et éviter des conflits d’intérêts.

[31]        Le développement de la syndicalisation des cadres au Québec commence lors de ce qui est connu comme « la Révolution tranquille », au début des années 60, par un regroupement qui se fait souvent avec les professionnels, au sein d’une même association; ce n’est que plus tard que les cadres mettent sur pied des associations qui leur sont exclusives aux fins de négocier collectivement leurs conditions de travail avec les employeurs.

[32]        Ainsi, les professionnels, tout comme les cadres, sont aussi exclus de la définition de « salarié » dans la Loi des relations ouvrières, d’où la formation d’associations mixtes regroupant professionnels et cadres. Il en existe d’ailleurs encore. Ce n’est qu’à partir de 1964 que les professionnels peuvent se syndiquer. L’exclusion visant les cadres étant maintenue, des associations mixtes qui s’étaient constituées ne pourront être accréditées, ce qui en amènera certaines à exclure les cadres de leur rang[27].

[33]        En 1963, les ingénieurs de la Ville de Montréal forment le Syndicat professionnel des ingénieurs de la Ville de Montréal et de la Communauté urbaine de Montréal (le SPIVM) et ceux d’Hydro-Québec, en 1964, le Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec (le SPIHQ). Dans les deux cas, les ingénieurs cadres sont inclus dans la même unité. Ces associations feront l’objet d’une reconnaissance volontaire par leur employeur respectif, ce qui produit alors, pour l’essentiel, les mêmes effets que l’accréditation prévue au Code.

[34]        À la même époque, la Fédération des ingénieurs et cadres du Québec (CSN) est créée. Elle deviendra par la suite la Fédération des professionnels salariés et cadres du Québec. Son éclatement en 1979 marque la fin du syndicalisme des cadres à la Confédération des syndicats nationaux (CSN)[28].

[35]        En 1969, le Code est amendé et la reconnaissance volontaire d’association abolie[29]. Pour contrer l’effet de cette abolition sur les associations déjà reconnues de la Ville de Montréal et d’Hydro-Québec, le gouvernement adopte en 1970 un amendement au Code[30]. L’article 20, tel qu’il existait alors, maintient les accréditations pour les associations reconnues volontairement par leur employeur[31]. Le SPIVM et le SPHIQ, ainsi que l’Association des contremaitres employés par la Ville de Montréal, qui ne regroupe, elle, que des employés cadres, sont considérés comme accrédités.

[36]        Lors des débats parlementaires entourant cet amendement, la syndicalisation des cadres est abordée plus largement[32]. Le ministre du Travail de l’époque, Pierre Laporte, se dit ouvert à examiner cette question.

[37]        Par la suite, les associations exclusives de cadres se forment, essentiellement dans les secteurs publics et parapublics. Au niveau des sociétés d’État, l’ADDS/SAQ est créée en 1977, l’APCPNHQ en 1985 et l’ACSCQ en 1997.

[38]        En 1978, le gouvernement reconnait par décret l’Association des cadres supérieurs aux fins des relations du travail. Il adoptera par la suite plusieurs autres décrets reconnaissant des associations de cadres de la fonction publique: cadres juridiques, administrateurs et directeurs de centres de détention, gestionnaires de la fonction publique. Certaines associations changeront de nom au fil des années, d’autres se regrouperont, sans que cela pose problème. Elles demeurent reconnues par le gouvernement, qui adopte des décrets en conséquence des modifications.

[39]        À partir des années 90, des associations de cadres se regroupent en confédérations et fédérations.

[40]        Ainsi, en 1992, la CNCQ (qui rappelons-le est l’acronyme pour la Confédération nationale des cadres du Québec) est créée aux fins de demander un régime particulier de relations du travail pour les cadres. Elle regroupe des associations de cadres municipaux, des réseaux de la santé et scolaire et de trois sociétés d’État, soit l’ACSCQ et l’APCPNHQ et l’ADDS/SAQ, mais ne représente pas les associations de cadres du gouvernement, qui, en raison du nombre de membres qu’elles ont (près de 20 000), décident de rester autonomes, tout en entretenant de bonnes relations avec la CNCQ.

[41]        En 2001, lors de la réforme du Code, la CNCQ présente un mémoire en Commission parlementaire, dans lequel elle demande que les cadres ne soient plus exclus de la définition de salarié.

[42]        Le nombre de membres de la CNCQ fluctuera au cours des années. Au printemps 2003, alors qu’elle entame des démarches au palier politique et international pour l’obtention d’un régime donnant droit aux cadres à la négociation collective, elle représente 18 associations de cadres.

[43]        En 2003, les cadres municipaux forment la Fédération des cadres municipaux. Elle a comme objectif, notamment, la création d’un régime de relations du travail propre aux cadres municipaux.

[44]        En octobre 2006, la CNCQ tient un colloque qui porte sur la création d’un régime de relations de travail pour les cadres. L’Interassociation des cadres du Québec est alors constituée et rassemble, en plus des membres de la CNQC, les associations de cadres du secteur public. Sa mission est de négocier avec le gouvernement les suites d’une décision du Comité de la liberté syndicale, rendue en avril 2004, et concluant que l’exclusion des cadres du régime d’accréditation du Code contrevient à la liberté d’association. Nous y reviendrons.

[45]        En 2014, alors que l’Interassociation est dissoute, la CNCQ poursuit ses démarches afin d’améliorer sa position sur le plan international. Elle met sur pied, de concert avec des associations de cadres ontariennes, la Confédération canadienne des cadres (la CCC), afin d’élargir sa portée. L’ACSCQ et APCPNHQ en sont membres. La CNCQ mettra ensuite fin à ses activités. Le professeur Coutu souligne que la disparition de l’Interassociation et de la CNCQ est révélatrice des difficultés qu’elles ont rencontrées. Le nombre de cadres représentées par des associations membres de la CNCQ a chuté drastiquement et la CCC oriente ses activités davantage sur la valorisation du travail des cadres que sur leur droit à la négociation collective.

[46]        Par ailleurs, des associations de cadres dans le secteur public se regroupent pour partager des intérêts communs relatifs aux régimes de retraite et d’assurances collectives.

[47]        Le Regroupement des associations de cadres en matière d’assurance et de retraite (le RACAR) est créé à la fin des années 80. Ce regroupement vise maintenant à représenter ses membres aux fins de consultations et de discussions avec le gouvernement sur les questions relatives aux régimes de retraite et d’assurances. À la fin des années 90, la Coalition d’encadrement en matière de retraite et d’assurances (la CERA) est formée par des membres du RACAR. Ces deux regroupements sont reconnus par le gouvernement.

[48]        Jusque dans les années 2000, les cadres faisaient partie du même régime de retraite que les employés syndiqués (RREGOP). À leur demande, un régime pour le personnel d’encadrement a été mis sur pied (RRPE).

[49]        Des instances de consultation sont créées par le Conseil du trésor, tant pour les régimes de retraite que pour les assurances, auxquelles participent le RACAR et la CERA, ainsi que les principales associations reconnues de cadres.

[50]        Une première structure de consultation plus formelle, la Tribune sur les régimes de retraite des secteurs public et parapublic, voit le jour au début des années 90. Par la suite, la Table de développement la remplace, avec un mandat élargi, qui permet les échanges non seulement sur le régime de retraite, mais aussi sur les assurances. Finalement, en 2009, une Table de consultation est créée, non par une décision formelle du Conseil du trésor, comme l’ont été les précédentes instances, mais par les parties elles-mêmes..

2. Situation actuelle

·        Les associations reconnues par voie législative

[51]        La reconnaissance des associations de cadres par voie législative est exceptionnelle et se limite maintenant à deux associations qui ont fait l’objet d’une reconnaissance volontaire avant 1969, soit celle des contremaitres de la Ville de Montréal et celle des ingénieurs cadres, syndiqués avec le SPIHQ.

[52]        Le cas de ce dernier a fait l’objet d’une preuve plus détaillée, par voie d’admissions. Il représente environ 1 800 ingénieurs, dont 156 cadres qui font partie de la même unité et qui supervisent le personnel syndiqué. La convention collective comporte des dispositions régissant leurs conditions de travail et prévoit que les conditions salariales des ingénieurs cadres sont prévues soit dans une disposition de la convention collective, soit dans le Régime de rémunération du personnel non régi d’Hydro-Québec. Actuellement, la moitié des ingénieurs cadres visée par l’accréditation bénéficient des conditions salariales prévues à la convention collective, alors que l’autre est visée par ce régime. Les conditions salariales des ingénieurs qui seront promus cadres sont aussi prévues à ce régime.

·        Les associations reconnues par voie règlementaire

[53]        Les associations de cadres du secteur public, des établissements scolaires et de la santé et des services sociaux sont reconnues par décrets pour représenter l’ensemble du groupe visé auprès de l’employeur.

[54]        Le décret 1153-96, adopté en 1996[33], qui reconnait les associations de cadres de la fonction publique, prévoit ce qui suit :

·        la cotisation est prélevée à même le traitement de tout nouvel employé cadre, qui en est cependant exonéré pendant 30 jours, période pendant laquelle il peut aviser de son refus d’être soumis à la cotisation. Il peut décider par la suite à tout moment de s’en soustraire;

·        le caractère représentatif de l’association est susceptible d’être vérifié en tout temps par le ministre responsable, qui peut aussi suggérer au gouvernement une modification à la description du groupe d’employés. La détermination ou la modification de conditions de travail doit être précédée par une consultation;

·        l’association doit être consultée avant la détermination ou la modification d’une condition de travail.

[55]        Les conditions de travail sont prévues dans une directive du Conseil du trésor et modifiées par décisions de celui-ci. Elles sont en général plus avantageuses que celles des syndiqués. Un recours à la Commission de la fonction publique permet de trancher un différend sur l’interprétation d’une condition de travail[34].

[56]        Le mécanisme de consultation qui précède la modification à une condition de travail est informel : si l’association formule une demande, les représentants du Conseil du trésor l’analysent, afin d’obtenir un « mandat de consultation », et reviennent auprès de l’association avec une proposition. En pratique, il ne semble pas y avoir de négociations nécessitant l’échange de contre-propositions. Les sujets abordés au cours des cinq dernières années ont été réglés en une seule rencontre et consistent davantage en une actualisation des conditions de travail des cadres après la conclusion des conventions collectives avec les employés syndiqués. Le dossier le plus important au cours de ces dernières années aurait porté selon madame Gagnon, conseillère en relations du travail du Conseil du trésor, sur les congés parentaux.

[57]         Bien qu’en principe, toute modification, même mineure, doive être précédée d’une consultation, en pratique ce n’est pas toujours les cas. En effet, le boni au rendement, prévu à l’article 34 et à l’annexe I de la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres, a été aboli par décret depuis 2012, année après année, et ce, sans consultation préalable[35].

[58]        Quant au RACAR et à la CERA, ces deux regroupements d’associations représentent l’ensemble des cadres des secteurs public et parapublic ainsi que des associations d’autres organismes[36] et, comme mentionné précédemment, mènent les discussions en matière de régime de retraite et d’assurances sur une base régulière.

[59]        De plus, les cadres sont représentés au sein du comité de retraite, qui a pour fonction d’administrer le régime. Au cours des dernières années, la mauvaise santé financière du régime a nécessité des modifications, qui ont été adoptées après discussion avec les associations de cadres.

·        Les associations reconnues à la discrétion de leur employeur

[60]        D’autres associations de cadres sont reconnues par leur employeur, au moyen d’une entente. C’est le cas dans le secteur universitaire et dans certaines sociétés d’État. Le contenu des ententes varie d’un employeur à l’autre.

[61]        Dans le secteur privé, le mouvement associatif des cadres aux fins de négocier collectivement leurs conditions de travail est pratiquement inexistant.

3. L’opinion du professeur Coutu

[62]        Le professeur Coutu a procédé à l’analyse de documents de différentes natures : conventions internationales, jurisprudence de différentes instances, lois, sites Web d’associations et études d’auteurs de diverses nationalités portant sur la syndicalisation des cadres. Il n’a pas lui-même conduit de recherche sur le terrain et les études québécoises, voire canadiennes, sont rares et elles datent parfois. Il énonce les constats suivants :

·           À l’exception des associations de cadres accréditées, aucune autre ne bénéficie d’une protection contre la discrimination antisyndicale (entrave, ingérence, mesures de représailles pour activités syndicales);

·           l’employeur prélève les cotisations de leurs membres sur le salaire. Cependant, ce mode de prélèvement n’est pas équivalant à la formule Rand, puisque l’employé peut décider à tout moment de mettre fin à son adhésion;

·           quant aux libérations « syndicales », les ententes, protocoles ou décrets traduisent une grande variété de règles, allant d’un nombre d’heures déterminées accordées à l’association à une libération octroyée à la discrétion de l’employeur et à la pièce;

·           seules les associations accréditées ont accès à un véritable processus de négociation. Certaines associations ont des échanges avec leur employeur, mais celui-ci décide seul en cas d’impasse. Dans la plupart des cas, les ententes permettent une consultation préalable à la détermination ou à la modification unilatérale par l’employeur des conditions de travail plutôt qu’une véritable négociation[37];

·           certaines ententes comportent des conditions de travail, comme l’entente de partenariat conclut entre Hydro-Québec et l’APCPNHQ. Beaucoup ne portent que sur la reconnaissance de l’association;

·           à l’exception des associations accréditées, il n’existe pas de mécanisme pour sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi ni de procédure de règlement des différends par un tiers;

·           quant au règlement des mésententes relatives aux conditions de travail, un tel mécanisme est très rare. La plupart du temps, s’il existe, il ne permet que de contester un congédiement ou une mesure disciplinaire. Les cadres, autres que supérieurs, peuvent porter une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[38].

[63]        Le professeur Coutu met en garde contre le fait de placer les cadres, sans nuance, dans la catégorie des employés privilégiés, car cela ne correspondrait pas à la réalité. Il est d’avis que les cadres subissent une « certaine précarisation de leurs conditions de travail liées aux pressions engendrées par la mondialisation économique, la concurrence accrue entre les entreprises et les conséquences de leurs restructurations quasi permanentes, de même que des difficultés budgétaires que connaît l’État [39]». Les conditions de travail des cadres subalternes ne sont guère un incitatif pour les employés syndiqués à vouloir obtenir une promotion.

[64]        Il souligne aussi la « dissonance » entre la législation québécoise et fédérale quant à la syndicalisation des cadres subalternes, celle-ci étant permise au fédéral alors qu’elle est complètement exclue au Québec. À titre d’exemple, il rapporte le cas des superviseurs de Québec-Téléphone. Le syndicat en cause était au départ accrédité au Québec, mais sans les superviseurs, leur inclusion ayant été refusée en 1970 en raison de leur statut de cadre. Par la suite, en 1994, la Cour suprême, saisie d’une contestation constitutionnelle, décida que l’entreprise relevait de la compétence fédérale. Le syndicat a ainsi pu revenir à la charge pour faire inclure les superviseurs dans son unité, en 1996, par le CCRT[40].

[65]        Le professeur Coutu explique les difficultés des cadres à se regrouper par le fait que, dans le contexte nord-américain, « on a toujours préféré penser la direction de l’entreprise comme unique et indivisible, et exigé une loyauté sans failles de la part du personnel d’encadrement dont on se refuse à admettre un intérêt distinct de celui de la haute direction[41]». Outre le facteur culturel, l’absence d’une masse critique (en particulier dans le secteur privé) et l’absence d’un encadrement juridique permettant la syndicalisation seraient d’autres facteurs décourageant l’exercice du droit d’association des cadres.  

[66]        Par ailleurs, le professeur Coutu ne voit pas d’obstacle significatif à permettre la syndicalisation des cadres. Au contraire, certains avantages pourraient en découler, comme protéger les cadres de pressions indues[42].

[67]        Quelle est la force probante de cette expertise? La Procureure générale est d’avis que le témoignage du professeur Coutu et son rapport ont une faible valeur probante, pour les motifs suivants : celui-ci fonde son opinion sur des suppositions, plutôt que sur des faits; il passe sous silence des éléments contenus dans des études qu’il cite allant à l’encontre de son opinion; les données sur lesquelles il se repose sont insuffisantes.

[68]        À titre d’exemple, un professeur américain, Adam Goldstein, cité dans le rapport du professeur Coutu, est d’avis que les cadres ont des conditions nettement plus avantageuses que le reste des employés et aiment mieux une représentation par association que par syndicat[43]. Aussi, une étude québécoise des auteurs Arnaud Sales et Noël Bélanger[44] conclut qu’une importante majorité des cadres a le sentiment de faire un tout avec la direction et préfère entretenir une collaboration avec l’employeur plutôt que de se donner des moyens de représentation collective.

[69]        Un autre exemple serait celui de l’étude relative à la syndicalisation des cadres au New Jersey, qui précise que le droit de grève étant très rare dans le secteur public de cet État, la syndicalisation des cadres ne pose pas de difficulté dans ce contexte. Or, le professeur Coutu ne mentionne pas cette distinction avec le Québec, alors qu’il réfère abondamment à cette étude[45].

[70]        Le Tribunal constate qu’en effet certaines études, lues dans leur intégralité, auraient effectivement pu apporter des précisions ou nuances dans les conclusions du professeur Coutu. L’importance du sujet en cause aurait probablement mérité une étude plus approfondie et complète. Cependant, le rapport du professeur Coutu demeure utile et probant dans son ensemble. D’ailleurs, la Procureure générale y réfère à plusieurs occasions dans le cadre de son argumentation.

Les démarches des associations de cadres au niveau international

[71]        Le 18 mars 2003, la CNCQ et trois associations de cadres, l’ACSCQ, l’Association des cadres supérieurs de la santé et des services sociaux (ACSSSS) et l’ADDS/SAQ, déposent une plainte au Comité sur la liberté syndicale de l’OIT.

[72]        Elles allèguent ne pas bénéficier d’une protection législative adéquate contre les ingérences des employeurs, ne pas pouvoir négocier collectivement les conditions de travail des cadres québécois et ne pas disposer d’un mécanisme de règlement des différends du travail en remplacement du droit de grève.

[73]        En avril 2004, le gouvernement du Québec transmet ses observations au Comité sur la liberté syndicale, mais sans en envoyer copie à la CNCQ.

[74]        En novembre 2004, après avoir analysé les représentations respectives des associations et des gouvernements du Québec et du Canada, le Comité de la liberté syndicale conclut que l’exclusion des cadres du régime général du Code ne respecte pas les engagements internationaux du Canada en la matière et, plus spécifiquement, la Convention 87 et la Convention 98[46]. Il se fonde en particulier sur les éléments suivants :

462. Le comité note également que les démarches effectuées par les associations de cadres québécois en vue de la reconnaissance de leurs droits syndicaux dans le cadre du Code du travail durent depuis plus de vingt-cinq ans, sans résultats tangibles, et que le dialogue qui a pu exister est maintenant au point mort.

 

463. Au vu de tous ces éléments, le comité demande au gouvernement d’amender les dispositions pertinentes du Code du travail du Québec afin que les cadres jouissent du droit de bénéficier du régime général de droit du travail collectif et de constituer des associations jouissant des mêmes droits, prérogatives et voies de recours que les autres associations de « salariés ».

 

464. Les conclusions du comité concernant les autres aspects de la plainte découlent, mutatis mutandis, de la conclusion ci-dessus.

 

465. S’agissant de la reconnaissance des associations et de leurs droits de négociation collective, le comité note que, dans le cadre du régime actuel, les associations plaignantes jouissent d’une réelle forme de reconnaissance de leurs employeurs respectifs et participent à l’élaboration des conditions de travail de leurs membres. Ces dispositions d’ordre contractuel constituent un embryon de reconnaissance juridique, non consacrée toutefois dans un texte législatif. Les exemples donnés par les associations plaignantes démontrent que la reconnaissance est précaire, variable selon les employeurs et les établissements de travail, et que les conditions de travail ne sont pas codifiées dans de véritables conventions collectives assorties de droits et de garanties qui vont de pair. Cette précarité et l’incertitude qui en découle sur le plan des relations professionnelles sont dues à l’absence d’une véritable reconnaissance juridique des cadres comme « salariés » et de leurs associations, au sens du Code du travail, avec tous les droits afférents.

 

466. S’agissant du règlement des différends collectifs, en raison de leur exclusion du Code du travail, les cadres ne bénéficient pas de mécanismes et recours généraux établis par le Code (conciliation; arbitrage; grève). Le comité rappelle à cet égard que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir leurs intérêts économiques et sociaux. Ce droit peut être restreint, voire interdit : dans la fonction publique uniquement pour les fonctionnaires qui exercent des fonctions d’autorité au nom de l’état; dans les services essentiels au sens strict du terme, c’est-à-dire ceux dont l’interruption mettrait en danger, dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. Il ressort des éléments de preuve soumis que les membres des associations plaignantes ne sont pas des fonctionnaires et que les fonctions des membres d’au moins deux des associations plaignantes ne sauraient entrer dans la définition restrictive des services essentiels : les chefs de table des casinos, membres de l’ACSCQ, et les directeurs de succursale de SAQ, membres de l’ADDS/SAQ. La situation des membres de l’ACSSS est différente à ce titre étant donné que certains d’entre eux exercent leurs fonctions dans les services hospitaliers, dont le comité a reconnu qu’ils pouvaient être considérés comme des services essentiels. En conséquence, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures voulues pour faire en sorte que les cadres concernés jouissent, comme les autres travailleurs, de mécanismes de négociation collective et de règlements des différends conformes aux principes de la liberté syndicale.

 

467. En ce qui concerne les mesures de protection contre les actes d’ingérence et de contrôle par l’employeur, il ressort des allégations que cette protection laisse à désirer : tentative de restreindre les facilités accordées pour s’occuper des activités des associations; demandes de libération refusées; consultation directe de cadres outrepassant leurs associations; employeurs locaux découragent des cadres d’adhérer aux associations; refus de prélever des cotisations; traitement différencié dans le choix des associations admises à participer paritairement à l’administration des régimes d’assurance. De l’avis du comité, toutes ces actions ne peuvent avoir pour effet, en dernière analyse, que d’amener les membres actuels et potentiels des associations à s’interroger sur l’utilité d’y adhérer, puisque la négociation collective et ses incidents ne sont pas encadrés par le Code et qu’il n’existe pas de véritable protection juridique contre des actes qui seraient punissables aux termes du Code s’ils étaient posés contre des salariés couverts par le régime général de relations professionnelles. Les dispositions du Code criminel mentionnées par le gouvernement à cet égard ne sont pas appliquées par une juridiction spécialisée (tel un commissaire du travail ou un tribunal du travail) et n’offrent pas le même degré de protection étant donné le fardeau et le degré de preuve nécessaires. En conséquence, le comité demande au gouvernement d’amender la législation et de prendre les mesures voulues pour faire en sorte que les cadres concernés jouissent, comme les autres travailleurs visés par le Code du travail, de recours et de mécanismes de protection contre les actes d’ingérence et de domination des employeurs, conformément aux principes de la liberté syndicale.

 

(soulignement ajouté; références omises)

 

[75]        Au terme de ces conclusions, le comité formule trois recommandations:

Recommandation du comité

 

470. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes :

 

a) Le comité demande au gouvernement d’amender le Code du travail du Québec afin que les cadres aient le droit de bénéficier du régime général de droit du travail collectif et de constituer des organisations jouissant des mêmes droits, prérogatives et voies de recours que les autres organisations de travailleurs, notamment en ce qui concerne les mécanismes de négociation collective et de règlement des différends et la protection contre les actes de domination et d’ingérence des employeurs, le tout conformément aux principes de la liberté syndicale.

 

b) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation sur tous les aspects mentionnés ci-dessus et notamment des mesures prises pour mettre la législation en conformité avec les principes de la liberté syndicale.

 

c) Le comité attire l’attention de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs du présent cas.

 

(soulignement ajouté)

 

[76]        En août 2005, le gouvernement informe le BIT de la mise sur pied, au mois de mars précédent, d’un comité interministériel afin d’étudier les recommandations du Comité de la liberté syndicale.

[77]        En juin 2006, en l’absence d’autre développement, le Comité de la liberté syndicale rappelle au gouvernement que « les principes de la liberté syndicale doivent être intégralement appliqués sur l’ensemble de son territoire ». 

[78]        En décembre 2006, l’une des trois associations plaignantes, l’ACSSSS, se retire de l’instance devant le Comité de la liberté syndicale.

[79]        En septembre 2007, à la suite de discussions entre le gouvernement et l’Interassociation des cadres du Québec, une suspension de la plainte au BIT est demandée conjointement par les parties impliquées.

[80]        Le 2 décembre 2008, l’ACSCQ écrit au BIT afin que soit repris le traitement de sa plainte, démarche qui est encore une fois appuyée par la CNCQ.

[81]        À la suite d’un suivi de la mise en œuvre de ses recommandations, le Comité de la liberté syndicale déplore l’absence de progrès et requiert des explications du gouvernement. Il le fera à plusieurs reprises par la suite, sans que la situation n’évolue.

[82]        Ainsi, dans un rapport de suivi de novembre 2010, le Comité de la liberté syndicale note que le gouvernement répond devoir réserver ses commentaires en raison du dépôt de la requête en accréditation devant la Commission[47]. Puis, un an plus tard, il rapporte que le gouvernement a fait les observations suivantes:

Le Procureur général du Québec, agissant pour et au nom du gouvernement du Québec, est également partie à ces procédures judiciaires, lesquelles sont toujours en cours. Le gouvernement ajoute que les parties maintiennent ainsi une certaine forme de dialogue, qui n’exclut pas que des négociations, des consultations ou des échanges d’informations puissent avoir lieu entre les représentants des parties[48].

 

(soulignement ajouté)

 

[83]        En octobre 2013, faisant suite à une nouvelle relance de l’ACSCQ, le Comité de la liberté syndicale demande à nouveau au gouvernement d’entreprendre les modifications législatives au Code afin de le rendre conforme aux principes de la liberté syndicale.

[84]        Au moment de la mise en délibéré du présent dossier, la situation n’avait pas changé.

Les démarches des associations de cadres auprès du gouvernement

[85]        En parallèle à la plainte au BIT, la CNCQ poursuit ses démarches au niveau national. Le 21 mars 2003, elle écrit aux chefs des trois principaux partis politiques afin qu’ils prennent un engagement formel de créer un régime de relations du travail spécifiques pour les employés cadres, équivalent à celui que reconnait le Code. Elle les avise aussi du dépôt de la plainte au BIT.

[86]        À la suite des recommandations énoncées par le Comité de la liberté syndicale, la CNCQ sollicite une rencontre avec le ministre du Travail en mars, puis en septembre 2005. En octobre 2005, on l’avise de la création d’un comité interministériel qui doit se pencher sur les recommandations du Comité de la liberté syndicale. On l’assure qu’elle sera conviée à échanger sur le sujet par la suite.

[87]        En février 2006, toujours sans nouvelle, la CNCQ écrit à nouveau au ministre du Travail afin de lui demander de pouvoir discuter avec le gouvernement sur le nouveau régime à être mis en place et lui présenter un mémoire qu’elle a préparé à cet effet. On lui répond que les travaux du comité interministériel ne sont toujours pas exécutés, mais qu’elle peut transmettre son mémoire. La CNCQ refuse de le faire en dehors du cadre d’une rencontre.

[88]        Celle-ci a finalement lieu le 21 avril 2006, rencontre au cours de laquelle la CNCQ dépose son mémoire aux représentants du ministre du Travail et du ministre des Relations internationales. Elle réclame une législation particulière pour un régime de relations du travail pour les cadres des secteurs public, parapublic et des organismes gouvernementaux.

[89]        Par la suite, les associations de personnel cadre se réunissent pour faire le point sur leur position lors d’un colloque. En décembre 2006, la CNCQ sollicite à nouveau une rencontre avec les représentants du gouvernement afin de faire le suivi sur les travaux. Sa demande n’aura pas de suite.

[90]        Le 22 février 2007, la CNCQ dénonce auprès du premier ministre le non-respect des protocoles d’entente conclus avec l’ACSCQ et notamment l’abolition d’une vingtaine de postes au Casino du Lac-Leamy, sans aucune consultation.

[91]        En 2007, les représentants de l’Interassociation et ceux du gouvernement se rencontrent à deux reprises, en mars et en septembre. Cette fois, le gouvernement est représenté par le Secrétaire associé du Conseil du trésor, Gilles Charland, et par une sous-ministre du Travail.

[92]        L’Interassociation demande une loi établissant un régime de relations du travail pour les cadres comprenant les mêmes éléments que ceux énoncés dans sa plainte au BIT : reconnaissance des associations de cadres, droit à la négociation collective, mécanisme de règlements des conflits et arbitrage en remplacement du droit de grève.

[93]        Le gouvernement refuse catégoriquement l’adoption d’une telle loi, mais propose la mise en place d’un Guide de bonne gouvernance qui encadrerait ses discussions avec les associations du secteur public (fonction publique, éducation et réseau de la santé). Bien que ce Guide ne lierait pas les sociétés d’État, gérées par des conseils d’administration autonomes, le gouvernement s’engage à user de son influence afin qu’elles l’adoptent également.

[94]        Il est convenu de demander conjointement la suspension de la plainte au BIT, afin de permettre à la Société et à la Société des alcools du Québec (la SAQ) de négocier avec leurs associations de cadres respectives l’équivalent du Guide de bonne gouvernance.

[95]        À la fin de cette deuxième rencontre, l’ACSCQ aborde avec Gilles Charland plusieurs sujets de préoccupations : uniformisation des protocoles d’entente s’appliquant au Lac-Leamy et au Casino, la reconnaissance de l’association, les mécanismes de consultation et les libérations professionnelles. L’ACSCQ veut être reconnue comme représentant les cadres de premier niveau, tous secteurs confondus et dans l’ensemble des casinos. Elle se plaint de ne pas être consultée et parfois même d’être avisée tardivement lors de modifications de conditions de travail; elle requiert un mécanisme de règlement des différends, en particulier en cas de fin d’emploi; elle sollicite une révision du nombre de libérations avec solde en se comparant aux autres associations de cadres.

[96]        Le 12 décembre 2007, faisant suite à la rencontre du 6 septembre précédent, Gilles Charland écrit à l’Interassociation: « Tel qu’énoncé lors de cette rencontre, le gouvernement du Québec n’a pas l’intention d’imposer aux employeurs externes des secteurs public et parapublic (organismes publics, municipalités, etc.) une quelconque forme de reconnaissance d’une association de cadres pour fins de relations de travail.[49]»

[97]        Le projet de Guide de bonne gouvernance sera jugé insatisfaisant par l’Interassociation, car on n’y retrouve qu’un simple régime de consultation et non de négociation collective, sans aucun mécanisme de règlement des différends. L’ACSCQ fera également part de son mécontentement à l’égard de cette mesure en 2007 et en 2008.

[98]        En janvier 2008, l’ACSCQ, l’APCPNHQ et ADDS/SAQ écrivent à Gilles Charland afin de lui confirmer qu’elles entendent poursuivent leurs discussions avec leurs directions respectives pour atteindre trois objectifs : la reconnaissance des associations de cadres existantes, l’obtention du droit à la négociation des conditions de travail et la création d’un mécanisme de résolution de différends.

[99]        Les démarches semblent prometteuses pour certains. Ainsi, Gilles Lachance, président de la CNCQ à cette époque, témoigne des progrès réalisés en ces termes :

[J]e dois dire que les mois suivants, il y a eu énormément de débouchés, pratiquement dans tous les ministères et puis dans certaines sociétés d’État, où les employeurs, les représentants des employeurs ont convenu de convoquer les associations et puis de discuter de leurs conditions de travail[50].

 

[100]     L’ADDS/SAQ obtient de la part de sa direction des résultats qui la satisfont. Notamment, la libération de son président à temps complet, la participation à des comités mixtes, dont un relatif à la rémunération, et un processus de consultation et de discussion continu, tant pour les conditions de travail des directeurs de succursales que pour les questions opérationnelles. Elle ne poursuivra donc pas son intervention au niveau international.

[101]     Cependant, tel n’est pas le cas pour l’ACSCQ qui continue ses démarches, toujours avec l’appui de l’ADDS/SAQ et la CNCQ.

[102]     En novembre 2008, l’ACSCQ écrit au premier ministre Jean Charest, ainsi qu’aux chefs des deux autres partis, Pauline Marois et Mario Dumont, afin de les sensibiliser à ses revendications et à la nécessité d’établir un régime de relations du travail spécifique aux cadres des secteurs public, parapublic et des organismes publics, en faisant état des demandes formulées en janvier précédent au gouvernement. Elle ne reçoit que des accusés de réception des trois partis.

[103]     Le 26 octobre 2009, la CNCQ écrit au BIT, afin de réitérer son appui à la plainte de l’ACSCQ. Elle souligne que les multiples démarches de l’ACSCQ auprès de son employeur n’ont rien donné.

[104]     En février 2010, la CNCQ reprend le dossier de l’Interassociation et écrit au ministre du Travail ainsi qu’au BIT que le Guide de bonne gouvernance ne peut recevoir l’aval des associations en raison de l’exclusion des cadres du secteur parapublic et des sociétés d’État. Elle déplore « l’attitude intransigeante » de la Société[51]. Enfin, elle sollicite une rencontre avec le gouvernement afin de discuter d’un régime de relations du travail pour les cadres, sans succès. Elle réitère son intervention en mai 2010, avec le même résultat. 

la preuve particulière au dossier de L’ACSCQ

La Société

[105]     La Société, créée en 1992, est une filiale de la Société des loteries du Québec (Loto-Québec) [52]. Elle est responsable de la gestion des quatre casinos du Québec, celui de Montréal (1993), de Charlevoix (1994), du Lac-Leamy (1996) et de Mont-Tremblant (2009).

[106]     Il y a trois niveaux de structures pertinentes au présent dossier : celle de Loto-Québec, celle de la Société et celle du Casino.

[107]     Loto-Québec relève du ministre des Finances. Elle est dirigée par un président et un directeur général.

[108]     La Société est dirigée par le président des « opérations ». De celui-ci, relève le directeur général du Casino de Montréal. Se trouvent notamment sous ses ordres, le directeur des ressources humaines du Casino et le directeur des jeux.

[109]     Le secteur des jeux du Casino est celui qui nous intéresse plus particulièrement. Il est divisé en trois : les tables de jeux, les machines à sous - regroupées avec le Keno (une sorte de bingo) - et un salon de poker. À l’origine, les machines à sous et le Keno constituaient deux divisions distinctes.

[110]     La structure organisationnelle dans le secteur des jeux du Casino se décline en cinq paliers de direction : le directeur général, le directeur des jeux, deux chefs de service, les chefs d’opérations, les superviseurs des opérations (SDO). Le cinquième palier est constitué des cadres de premier niveau, visés par la présente requête. Ils supervisent les croupiers, qui sont des employés syndiqués.

[111]     Les SDO doivent s’assurer du bon déroulement des activités, notamment du respect des règles du jeu, et veiller au Service à la clientèle. Au moment des audiences, chaque SDO est affecté à une équipe de croupiers, dont le nombre varie entre deux et cinq. Les SDO sont, en quelque sorte, « les yeux et les oreilles de l’employeur sur le plancher ».

[112]     C’est à la suite d’une restructuration en 2005 que le titre de SDO est créé et remplace celui de chefs de table : des responsabilités accrues à l’égard de la supervision des croupiers leur sont alors confiées et le palier de supervision au-dessus d’eux est aboli.

[113]     Le statut de représentant de l’employeur des chefs de table a été clairement établi en 1995 dans une décision du Commissaire du travail Jacques Doré, rejetant une requête du Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3939, qui  visait à les inclure dans l’unité de négociation des croupiers[53].

l’ACSCQ

[114]     En 1996, le Casino décide de modifier les horaires de travail des chefs de table. Ce changement est mal reçu par ceux-ci et les amène à se regrouper en association. C’est ainsi que l’ACSCQ est constituée en 1997 en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels[54]. Elle s’appelle alors l’«Association des superviseurs de tables de jeux du Casino de Montréal ». Elle représente les chefs de tables, qui supervisent les croupiers, du Casino.

[115]     En 2001, l’association change de nom pour celui qu’elle porte encore à ce jour, l’ACSCQ. Par cette démarche, elle manifeste sa volonté de représenter tous les cadres de premier niveau de la Société, et non plus seulement ceux affectés aux tables du secteur des jeux du Casino. Elle représente les SDO des tables de jeux du Casino et du Casino du Lac-Leamy. Sa reconnaissance ne sera pas étendue, mais une entente sera signée avec la Société, laquelle sera abordée plus en détail ci-après, pour chaque établissement.

[116]      En 2005, l’ACSCQ adopte des règlements généraux. Elle est dirigée par un président et quatre vice-présidents (un de jour et un de soir, pour chaque établissement), un trésorier et un secrétaire, tous élus par les membres.

[117]     Au moment des audiences, l’ACSCQ représente 250 SDO affectés aux tables de jeux dans les deux casinos, dans une proportion de 70 %. De plus, des SDO d’autres divisions sont membres.

[118]     Étant donné la large proportion de SDO des tables de jeux qu’elle représente, l’ACSCQ détient aussi la majorité dans le secteur des jeux, toutes activités confondues. Le Casino ne la reconnait cependant que pour représenter, aux fins des relations du travail, les SDO des tables de jeux. Tel qu’il ressort du libellé de l’unité de négociation recherchée, l’ACSCQ demande, par la présente requête, à être accréditée afin de représenter également les cadres de premier niveau des autres divisions du secteur des jeux, soit ceux travaillant aux machines à sous, au Keno et au salon de poker du Casino.

La conclusion d’un protocole d’entente

[119]     Peu après sa formation en 1997, l’ACSCQ adhère à la CNCQ. Elle rencontre ainsi d’autres associations de cadres et constate que celles-ci sont reconnues par leurs employeurs et que leurs conditions de travail sont prévues par entente. C’est ainsi que germe l’idée d’avoir une entente écrite avec la Société qui régirait les conditions de travail du personnel cadre de premier niveau.

[120]      À cette fin, l’ACSCQ veut d’abord être reconnue par la Société pour représenter les cadres de premier niveau aux fins de négocier leurs conditions de travail. De plus, elle présente à la direction du Casino un cahier de demandes, dans lequel, entre autres choses, elle aborde le prélèvement des cotisations sur le salaire dès l’embauche, la libération de son président avec solde, l’accès à un local pour ses fins associatives et la bonification de certaines conditions de travail.

[121]     La direction du Casino refuse de conclure une entente écrite.

[122]     L’ACSCQ embauche alors un consultant, vice-président de la CNCQ, afin de l’aider dans ses démarches et se tourne vers Loto-Québec. Les discussions aboutissent, le 19 septembre 2001, à la signature d’un « Protocole d’entente » (le Protocole) entre la Société et l’ACSCQ pour l’établissement de Montréal. Un autre protocole est aussi conclu pour les SDO du Casino du Lac-Leamy.

[123]     Le Protocole comporte quatre articles. Le premier porte sur la reconnaissance de l’ACSCQ, le deuxième sur les relations entre les parties, le troisième sur les cotisations et le quatrième sur les libérations. Ainsi, il prévoit essentiellement les éléments suivants :

·           La Société reconnait, aux fins des relations du travail, que l’ACSCQ représente les chefs de table qui y sont membres en ces termes :

« L’A.C.S.C.Q. - Section Montréal est reconnue comme représentant les chefs de table qui sont membres de l’Association, aux fins de relations de travail. Toutefois, il est également reconnu que l’A.C.S.C.Q. puisse représenter d’autres cadres de premier niveau. En pareil cas, elle devra démontrer le caractère représentatif auprès du Casino de Montréal. Sont exclus les cadres avec des relevants cadres, les chefs de service et les directeurs-adjoints. »

 

·           La Société prélève les cotisations à même le traitement des membres de l’ACSCQ, qui font partie du groupe pour lequel elle lui reconnait le caractère représentatif;

·           des représentants de l’ACSCQ sont libérés aux fins de rencontres avec la Société ou d’activités; dans certains cas, leur rémunération est assumée par la Société et dans d’autres, par l’ACSCQ;

·           les deux parties conviennent de se réunir à la demande de l’une ou de l’autre pour discuter de leurs préoccupations respectives. À cette fin, la Société doit fournir tous les documents nécessaires à la discussion et à la compréhension des divers sujets pouvant être abordés;

·           la Société s’engage à consulter l’ACSCQ avant de modifier les conditions de travail des chefs de table[55];

·           la Société fait parvenir, une fois par année, la liste des chefs de table, membres de l’ACSCQ.

[124]     Le Protocole souligne que la Société s’appuie sur le « sens des responsabilités des chefs de table, sur leur loyauté institutionnelle et leur engagement soutenu ». La Société et l’ACSCQ « conviennent d’agir dans un esprit de concertation et de collaboration ».

[125]     Les conditions de travail ne sont pas incluses dans le Protocole qui réfère en cette matière au Manuel de l’employé. Il ne contient pas de date d’échéance ni d’obligation pour en renégocier les termes. Il ne prévoit pas non plus de mécanisme de règlement des différends.

L’application du Protocole par les parties

1. Reconnaissance de l’ACSCQ et prélèvements des cotisations

[126]     Le Protocole prévoit que la reconnaissance du caractère représentatif de l’ACSCQ relève de la Société. Celle-ci applique strictement le Protocole et refuse de le modifier, voire de négocier tout changement sur ce point.

[127]     Ainsi, le Casino prélève à la source les cotisations des SDO affectés aux tables de jeux, membres de l’ACSCQ, et les verse à cette dernière, tel que le stipule le Protocole.

[128]     Malgré des demandes répétées de l’ACSCQ, le Casino refuse d’élargir la reconnaissance de l’ACSCQ à l’ensemble des SDO travaillant au secteur des jeux et non seulement aux tables de jeux. En effet, bien que l’ACSCQ représente la majorité des SDO dans le secteur des jeux, la Société considère qu’elle devrait détenir une telle majorité, non seulement globalement, mai aussi par division (machines à sous/Keno, salon de poker).

[129]     Toujours sur la base de ce que prévoit le Protocole, le Casino refuse aussi de prélever à la source les cotisations des SDO, membres de l’ACSCQ, mais affectés à d’autres divisions du secteur des jeux. Il permet cependant à l’ACSCQ de les représenter sur une base individuelle, par exemple dans des dossiers disciplinaires ou dans le cadre de plaintes en vertu de la Loi sur les normes du travail.

[130]      Le Casino n’a pas accepté que l’ACSCQ participe à la journée d’accueil des nouveaux SDO afin de faire sa promotion et de leur faire signer un formulaire permettant le prélèvement des cotisations. Il refuse aussi de prélever automatiquement les cotisions des SDO des tables de jeux, sous réserve d’un droit de retrait[56].

[131]     Enfin, le Casino s’assure sporadiquement que l’ACSCQ détient toujours le caractère représentatif parmi le groupe des SDO affectés aux tables de jeux, en vérifiant la liste des membres qu’il a aux fins des prélèvements des cotisations à la source. Le fait que le Casino ait connaissance, par la force des choses évidemment, des personnes qui ont adhéré à l’ACSCQ, amène celle-ci à craindre que ses membres soient visés par des changements d’affectations dans d’autres secteurs ou soient mis à pied.

[132]     Quant à la portée concrète de la reconnaissance, elle est restreinte, car le Casino la limite aux seuls membres de l’ACSCQ. Ainsi, en 2003 et en 2012, le Casino met sur pied un comité sur les horaires de travail, où des non-membres siègent aux côtés des représentants de l’ACSCQ. Celle-ci n’est donc pas la porte-parole pour l’ensemble des SDO aux tables de jeux.

[133]     Par ailleurs, la direction du Casino, en particulier les chefs de service, ont des discussions régulières avec le président de l’ACSCQ sur divers sujets, en lien avec les activités pour la plupart (échanges de quarts de travail, prises de vacances, remplacements, etc.). Les rencontres sont fixées selon les besoins, et sont parfois informelles et spontanées. De part et d’autre, il n’y a jamais eu de refus de se réunir. Plusieurs demandes de l’ACSCQ sont satisfaites au terme de ces rencontres. D’autres sont refusées (remplacements, calcul des jours fériés, etc.), mais après discussions. La direction a le dernier mot, étant donné l’absence de tout mécanisme en cas de litige.

[134]     Toute demande visant à modifier ou à compléter le Protocole est refusée par les trois niveaux : le Casino, la Société et Loto-Québec. Ainsi, il est demeuré inchangé depuis sa conclusion en 2001.

[135]     Les propos de Mario Champagne, président de l’ACSCQ entre 1998 et 2005, résument assez justement la situation : « Ils [la directionétaient très disposés à nous écouter. Il y a des « moves » qu’ils ont faits, il y a des concessions qui ont été faites, mais ils ne voulaient pas qualifier ça de négociations en soi et puis il n’y avait pas de mécanisme qui nous amenait à négocier nos conditions de travail en soi aussi.[57]»

2. Libérations des représentants

[136]     L’ACSCQ a bénéficié sans difficulté des libérations professionnelles prévues au Protocole, notamment des libérations avec solde. Le Casino s’est montré ouvert à permettre des libérations supplémentaires, si elles sont assumées financièrement par l’ACSCQ.

3. Création de comités mixtes

[137]     Comme mentionné précédemment, deux comités sur les horaires de travail sont créés en 2003 et en 2012. Dans les deux cas, leur composition a été déterminée par le Casino et des non-membres y siègent. Pour cette raison, l’ACSCQ ne demandera pas la création de comités mixtes après celui de 2003. Elle considère que le Casino ne respecte pas sa reconnaissance et que la participation de non-membres vient saper sa crédibilité. Nous y reviendrons.

4. Conditions de travail et consultations préalables

·               Le Manuel des employés

[138]     Le Protocole fait référence au Manuel des employés. L’ACSCQ veut y ajouter des conditions de travail comme des congés sans solde et à traitement différé, ainsi que des primes de nuit. Elle souhaite aussi disposer d’un local pour ses fins associatives. Elle fera diverses démarches en ce sens. Comme on le verra plus en détail par la suite, ces démarches porteront des fruits en partie, mais seulement après un appel aux plus hautes instances de Loto-Québec.

[139]     En juin 2004, le Casino diffuse un document intitulé Guide des conditions de travail, une annexe du Manuel du personnel cadre du Casino. C’est alors que plusieurs demandes de l’ACSCQ sont satisfaites (congés sans solde, à traitements différés, jours fériés, etc.) L’association n’a cependant pas été consultée avant son adoption.

[140]     En 2012, ce manuel est modifié à nouveau sans que l’ACSCQ ne soit consultée préalablement. Il est diffusé à tous et c’est alors que les membres de son comité directeur en prennent connaissance. Le Casino souligne que les modifications sont des améliorations à ce qui existait antérieurement. Par contre, les jours fériés et les vacances (tant leur nombre que la façon de les prendre) sont inchangés depuis 2004 et déterminés par le Casino.

·               La rémunération

[141]     Le Manuel des employés prévoit que les échelles salariales sont révisées annuellement. L’ACSCQ n’a jamais été appelée à les négocier non plus que les augmentations de salaire. Il en est de même pour les bonis, dont les règles d’octroi ont été modifiées vers 2010, sans que l’ACSCQ ne soit impliquée.

·               Les divers comités

[142]     L’ACSCQ ne siège pas au sein des divers comités d’entreprise.

[143]     Un régime de retraite s’applique au personnel cadre. La composition du comité est déterminée par le régime et ne prévoit pas une représentation de l’ACSCQ.

[144]     Lorsque ce régime est modifié substantiellement en 2009, passant d’un régime à cotisations déterminées à un régime à prestations déterminées, aucune discussion n’a lieu entre la direction et l’ACSCQ. En fait, la direction oublie de convoquer l’ACSCQ à une réunion en 2008, portant sur les changements anticipés, à laquelle participent les représentants des autres groupes d’employés. Ce n’est qu’à la dernière minute que le président de l’ACSCQ, ayant eu vent de cette rencontre et s’étant manifesté, se voit invité. Il n’aura aucun suivi de cette réunion par la suite et ignore s’il y en a eu.

[145]     Le régime d’assurances collectives est aussi modifié, à la même époque, sans consultation de l’ACSCQ.

·           Les horaires de travail

[146]     La question des horaires de travail a été abondamment abordée dans la preuve, de part et d’autre. C’est une condition de travail d’importance, dans une entreprise ouverte 24 heures par jour. Plusieurs horaires de travail sont établis, ainsi que deux rotations, et s’appliquent du 1er avril au 31 mars. Le Casino évalue le nombre de SDO dont il a besoin sur chaque horaire de travail et rotation pour l’année à venir.

[147]     Tous conviennent que les travaux du comité mixte de 2003 sur cette question ont été couronnés de succès et que le Casino a suivi ses recommandations en adoptant les nouveaux horaires proposés.

[148]     Après 2003, ces horaires sont généralement reconduits par le Casino, sans qu’il ne consulte au préalable l’ACSCQ. Celle-ci les reçoit avant qu’ils soient distribués à tous et peut faire des commentaires, le cas échéant. Il n’y a pas cependant de véritable processus de discussion ou de consultation. De plus, le Casino a refusé de fournir à l’ACSCQ des documents pertinents qui lui auraient permis, selon elle, d’évaluer le bien-fondé de ses décisions en la matière, notamment des données sur l’achalandage. À quelques occasions, des modifications ont néanmoins été apportées aux horaires de travail à la suite de demandes de l’ACSCQ.

[149]     Par ailleurs, l’ACSCQ est associée au mécanisme d’attribution des horaires de travail de chacun des SDO, attribution qui se fait en tenant compte des préférences et de l’ancienneté. Ceux-ci indiquent leur choix à un chef des opérations, en présence du représentant de l’ACSCQ.

[150]     En 2012, à la suite d’un sondage où les SDO ont indiqué vouloir être « consultés, impliqués et informés » sur les décisions qui concernent leur travail, le Casino décide de mettre sur pied un comité consultatif, composé de chefs des opérations et de SDO, afin d’impliquer ces derniers dans le processus de création des horaires 2013-2014. Le document, sollicitant des volontaires, précise que la proposition du comité sera analysée par les chefs des opérations et par les représentants de l’ACSCQ. Sur les huit SDO siégeant au sein du comité, le hasard fait que six sont membres de l’ACSCQ, dont deux font partie de son comité directeur. Pour cette raison, la direction juge inutile de consulter l’ACSCQ après avoir reçu la proposition du comité, puisqu’elle la retient. Entre autres, un horaire ayant déjà existé dans le passé, est ajouté pour 2013. 

[151]     Ce processus n’a pas été reconduit les années suivantes et l’horaire, qui avait été ajouté, est retiré, sans que l’ACSCQ soit consultée ou avisée au préalable. Son président, Jean Beauchesne, s’en plaint d’ailleurs à Marc Laporte, directeur des jeux alors, mais sans succès. Une mésentente en vertu de l’article 59 du Code en raison de la requête en cours est alors déférée à l’arbitrage en août 2014.

·           Les mises à pied et mouvement de personnel

[152]     Les mises à pied sont déterminées par le Casino selon le seul critère de la performance. L’ACSCQ dénonce à plusieurs reprises ces mesures qui touchent ses membres. En 2015, une dizaine de mises à pied ont lieu, dont la majorité touche les membres de l’ACSCQ.

[153]     L’ACSCQ a aussi tenté de discuter des critères de comblement de postes vacants et d’affectations temporaires, mais sans succès.

·           Le stationnement

[154]     Le Manuel des employés prévoit que les SDO travaillant au Casino bénéficient d’un stationnement gratuit, qui jusqu’en 2015, est situé à proximité de l’établissement. Il est déplacé à plusieurs kilomètres de distance et les employés doivent dès lors emprunter une navette pour se rendre à l’établissement. L’ACSCQ n’a été ni consultée ni avisée. Ce changement fait aussi l’objet d’une mésentente en vertu de l’article 59 du Code.

Les démarches de l’ACSCQ auprès de l’employeur

1. Le cahier de demandes soumis en 2004

[155]     La signature du Protocole relance les rencontres entre l’ACSCQ et la direction du Casino, en particulier avec l’arrivée, en 2003, d’un nouveau directeur général, Yves Devin. C’est un « vent de fraicheur », de dire Mario Champagne[58]. Il est alors lui-même président de l’ACSCQ. Des rencontres régulières ont lieu entre la direction et l’ACSCQ.

[156]     En février 2003, l’ACSCQ soumet son « Cahier de demandes » à Yves Devin, afin que soient ajoutées des conditions de travail dans le Protocole. Celles-ci portent notamment sur des congés sans solde, à traitements différés et des primes. Elle demande aussi une retenue à la source des cotisations de nouveaux chefs des tables embauchés, sous réserve de leur droit de se retirer de l’association, et la libération à temps complet du président de l’association. Le Casino consulte la Société, qui rejette ces revendications, mais indique qu’éventuellement des conditions de travail pourront faire partie d’un Manuel de l’employé. 

[157]     L’ACSCQ oriente alors ses démarches vers la haute direction de Loto-Québec. Les congés sans solde et à traitements différés sont accordés, mais Loto-Québec refuse qu’ils soient consignés dans une entente avec l’ACSCQ. Ils seront par la suite inclus en juin 2004 dans un Guide des conditions de travail, faisant partie du Manuel du personnel cadre du Casino. Les autres demandes demeurent à l’étude par la direction.

[158]     Comme mentionné précédemment, en avril 2003, l’ACSCQ dépose une plainte au BIT, en raison du refus de l’employeur de négocier une entente portant sur les conditions de travail.

[159]     En mars 2004, Loto-Québec rejette les autres revendications de l’ACSCQ. Mario Champagne écrit à Alain Cousineau, nouveau président de Loto-Québec, afin de s’en plaindre, mais la position de l’employeur demeurera inchangée.

2. Les demandes formulées en 2005

[160]     En 2005, Daniel Laporte, nouvellement nommé président de l’ACSCQ, contacte Gilles Naud, alors directeur des ressources humaines au Casino, afin de discuter de divers sujets : harmonisation des deux protocoles conclus avec le Casino et le Casino du Lac-Leamy, augmentation des libérations avec solde des représentants de l’ACSCQ et mise à jour par le remplacement des termes « chefs de table » par « SDO ». En avril 2006, Daniel Laporte réitère sa demande par écrit.

[161]     Gilles Naud quitte le Casino de Montréal pour Loto-Québec, où il devient Directeur corporatif des ressources humaines, sans avoir donné suite à cette lettre.

[162]     Daniel Laporte tente d’obtenir une réponse à sa lettre de la part des représentants du Casino aux ressources humaines, sans succès. Ils se renvoient « la balle de l’un à l’autre », dira-t-il lors de son témoignage[59]. Il écrit alors à Gilles Naud à Loto-Québec, mais n’obtient pas de réponse.

[163]     Le 31 août 2007, Daniel Laporte lui écrit à nouveau. Il lui rappelle les obligations de la Société de discuter avec l’ACSCQ :

Il y a maintenant déjà plusieurs semaines, nous vous transmettions une demande afin de procéder à certains changements au sein des protocoles liant actuellement la Société des Casinos à L’Association des Cadres de la Société des Casinos du Québec.

 

Les brefs échanges que j’ai eus avec vous ainsi qu’avec certains représentants du Casino de Montréal me laissent actuellement perplexe et m’amènent à penser que la direction de la Société semble peu disposée à enclencher un quelconque processus de discussion en ce sens.

 

Nous vous rappelons que la reconnaissance de l’Association par la Société des Casinos implique, pour les deux parties en présence, des obligations bien précises. En ce sens, l’Association est en droit de s’attendre à ce que la Société soit disposée à collaborer avec l’Association comme représentant des membres qu’elle regroupe.

 

La présente vise donc à vous réitérer formellement notre volonté de rediscuter les protocoles intervenus il y maintenant six (6) ans avec la Société.

 

Ainsi, nous attendons de votre part que vous communiquiez avec le soussigné afin que nous convenions des modalités entourant les discussions requises à cet effet.

 

(soulignement ajouté)

 

[164]     Gilles Naud ne répondra pas.

3. Les demandes en 2007

[165]     À la même date, soit en août 2007, Daniel Laporte écrit également au directeur des ressources humaines du Casino, Richard Émond, afin que le Casino prélève des cotisations sur le salaire de huit nouveaux membres. Un mois plus tard, la Société répond que ces employés travaillent dans la division des machines à sous et non aux tables de jeux. Par conséquent, elle ne reconnait pas le « caractère représentatif » de l’ACSCQ dans ce secteur en se fondant sur le paragraphe 1a) du Protocole et refuse de donner suite à la demande.

[166]     Le 9 novembre 2007, l’ACSCQ rencontre des représentants de Loto-Québec pour discuter de différents sujets : changements des conditions de travail sans consultation préalable, modification du délai de préavis pour la prise de vacances, modification du temps alloué pour le travail administratif, libérations insuffisantes, changements d’adresse des membres et lien sur les postes de travail informatique vers le site Web de l’ACSCQ. Loto-Québec lui demande de présenter ses demandes au Casino.

[167]     L’ACSCQ rencontre alors, le 26 novembre 2007, deux représentants des ressources humaines du Casino pour discuter de différents sujets, dont ceux déjà abordés avec Loto-Québec. L’ACSCQ se butera à un refus pour la reconnaissance des membres affectés aux machines à sous. Quant aux changements de coordonnées de ses membres et à l’accès au site Web, malgré un accueil positif, aucune suite ne sera donnée. L’ACSCQ ne fera pas non plus de relance. Relativement à la demande de l’ACSCQ de rencontrer les nouveaux SDO lors de la journée d’accueil, afin de se présenter et de solliciter leur adhésion, on la renvoie à Loto-Québec.

[168]     Le 3 décembre 2007, l’ACSCQ transmet à Loto-Québec des projets de textes relatifs à des sujets déjà abordés par le passé : prélèvement automatique des cotisations, adhésion dans d’autres secteurs, libérations professionnelles et renouvellement du Protocole pour 3 ans. Un accusé de réception est transmis, qui l’assure que ces demandes seront analysées et qu’un retour sera fait avant la fin janvier 2008. L’ACSCQ n’aura aucune réponse par la suite.

4. Les démarches de suivi faites en 2008

[169]     Le 2 mai 2008, l’ACSCQ rencontre le directeur général du Casino, Daniel Bissonnette, accompagné du directeur des jeux. Le premier point discuté porte sur la lettre adressée à Loto-Québec en décembre précédent et qui n’a pas encore eu de suite, cinq mois plus tard. Certaines réponses sont alors données. La Société refuse de considérer une uniformisation des protocoles et entend continuer à traiter le Casino et celui du Lac-Leamy comme deux entités distinctes. De plus, elle refuse de permettre l’adhésion de cadres de premier niveau travaillant dans d’autres secteurs que celui du jeu. La raison qui est donnée fait directement référence au rapport de force dans le cadre de négociations, comme il ressort du procès-verbal de la rencontre[60] :

D.B. : Également, la Société des Casinos  ne voit pas la nécessité ou l’intérêt de permettre d’intégrer d’autres cadres de premier niveau au sein de votre association.

 

Établissant une analogie avec la situation actuelle des employés syndiqués qui veulent faire front commun pour les négociations, ce qui sera toujours refusé.

 

 

[170]     Cette mention du « front commun » fait référence aux négociations en cours avec les croupiers du Casino et du Casino du Lac-Leamy, qui font partie de deux unités de négociation distinctes, et du refus de la Société de négocier à une table unique.

[171]     La fréquence des rencontres entre les parties est aussi abordée et la direction s’engage à ce qu’elles se tiennent aux quatre à six semaines avec le directeur des jeux. Enfin, l’ACSCQ soumet un projet de communiqué à ses membres, qu’elle entend leur diffuser afin de les informer des échanges tenus. Elle espère ainsi que la direction du Casino y verra une approche de « gagnant-gagnant » et de partenariat.

[172]     Cette rencontre sera suivie d’une autre, en octobre, avec Richard Émond, directeur des ressources humaines du Casino, laquelle semble prometteuse. Cependant, en novembre, celui-ci fait part du refus de la Société que d’autres cadres que ceux affectés aux tables puissent adhérer à l’ACSCQ. Il précise qu’il n’a pas le mandat « d’ouvrir le Protocole » et que s’il l’avait, ce serait pour « enlever des choses plutôt que d’en donner »[61].

[173]     Le 12 décembre 2008, l’ACSCQ écrit au président de Loto-Québec, Alain Cousineau, afin de dénoncer la position de la Société. Il l’avise que la plainte au BIT, suspendue en septembre 2007, sera réactivée.

5. La rencontre avec Loto-Québec en 2009

[174]     Une rencontre est alors organisée le 30 janvier 2009. L’ACSCQ est représentée par son président, Daniel Laporte, et accompagné de Michel Mathieu, président de l’ADDS/SAQ. Elle présente à Loto-Québec trois demandes :

·           Permettre à tous les cadres de premier niveau du Casino de devenir membres de l’ACSCQ. Sur ce point, l’ACSCQ fait état de commentaires entendus visant à décourager les cadres à adhérer à leur association;

·           mise en place d’un processus formel de discussion afin que le suivi des dossiers ayant une incidence sur les conditions de travail des cadres de premier niveau du Casino de Montréal puisse s’effectuer avec et auprès d’interlocuteurs ayant un pouvoir décisionnel. Ce processus comprendrait un échéancier de rencontres, des interlocuteurs désignés, des ordres du jour et comptes rendus;

·           un bloc d’heures de libération pour le président de l’ACSCQ qui pourra être utilisé à sa discrétion.

 

[175]     De plus, l’ACSCQ requiert de pouvoir participer à divers comités de l’entreprise comme celui des assurances collectives et du régime de retraite.

[176]     Le 25 février 2009, faisant suite à cette rencontre, Loto-Québec écrit à l’ACSCQ d’adresser ses demandes au directeur général du Casino, Daniel Bissonnette. Daniel Laporte comprend que rien ne changera puisqu’il a tenté de communiquer avec Loto-Québec justement en raison de l’impasse avec la direction du Casino.

[177]     Le 10 novembre 2009, l’ACSCQ dépose la présente requête en accréditation auprès de la Commission.

Les évènements postérieurs au dépôt de la requête en accréditation

[178]     Le 15 octobre 2010, la direction du Casino écrit à Daniel Laporte, président de l’ACSCQ, en  lui reprochant d’avoir utilisé les outils informatiques de l’employeur à des fins personnelles, contrairement au Code d’éthique des employés de Loto-Québec et de ses filiales. Le 24 septembre précédent, Daniel Laporte avait transmis, par messagerie électronique interne aux cadres de premier niveau du Casino, une invitation à devenir membres de l’ACSCQ et à pouvoir ainsi participer à un tirage.

[179]     La question de l’utilisation de la messagerie interne aux fins de l’ASCQC ne date pas d’hier. Dès 2001, le Casino et l’ACSCQ ont eu maille à partir à ce sujet. La communication par la messagerie électronique interne a été parfois permise, parfois interdite. Les syndicats n’y ont pas droit pour communiquer avec leurs membres. Un babillard est mis à la disposition de l’ACSCQ, tout comme pour les associations accréditées.

[180]     Daniel Laporte se défend d’avoir contrevenu aux règlements de l’entreprise en citant le Manuel de l’employé et les Normes sur l’utilisation de l’Internet et du courrier électronique. Le 25 novembre 2010, son supérieur hiérarchique lui écrit que son rôle de président de l’ACSCQ est subordonné à celui de superviseur et qu’il a une obligation de loyauté envers l’employeur :

D’abord, il est important que vous sachiez que bien que l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec soit reconnue par le biais du protocole au sein du Casino de Montréal, vous êtes d’abord et avant tout un superviseur des opérations et vous représentez l’employeur dans vos actions et ce, même lorsque vous utilisez votre statut de président.

 

En tant que représentant de l’employeur, vous avez des droits, mais aussi des obligations. Une de ces obligations est de respecter les règles édictées par votre employeur que vous représentez. Il s’agit d’ailleurs de votre obligation de loyauté.

 

À cet effet, le Code d’éthique a été mis en vigueur le ou vers le 18 décembre 2008 et il s’applique à l’ensemble des employés depuis. Vous avez d’ailleurs eu à le promouvoir auprès de vos employés subalternes. […][62]

 

(soulignement ajouté)

 

[181]     Au début 2012, un nouveau président-directeur général est nommé à la tête de la Société. L’ACSCQ profite de l’occasion pour le sensibiliser à « l’impossibilité d’établir avec les représentants de la Société des échanges réels, mais constructifs [63]». L’ACSCQ ajoute qu’elle veut obtenir un traitement équivalent à celui dont bénéficient les associations des autres sociétés d’État. Le président-directeur général lui répond qu’en raison des procédures judiciaires en cours, il n’est pas opportun qu’ils se rencontrent. Il assure néanmoins que la direction du Casino se réunira avec les représentants de l’ACSCQ afin de « revoir, s’il y a lieu, les mécanismes d’échanges permettant le respect des modalités qui y sont prévues [au sein du Protocole] [64]».

[182]     Diverses rencontres ont lieu entre l’ACSCQ et la direction du Casino portant sur des questions liées aux activités. Toute modification au Protocole est écartée.

[183]     Le 23 avril 2012, l’ACSCQ demande au ministre de déférer à l’arbitrage une mésentente en vertu de l’article 59 du Code, portant sur la modification des horaires de travail et sur une réduction significative des heures de travail. Elle demande également une ordonnance de sauvegarde. La Société dépose une requête en irrecevabilité relative à la compétence de l’arbitre, les membres de l’ACSCQ n’étant pas des salariés. Le 7 septembre 2012, cette requête est rejetée par l’arbitre, décision confirmée par la Cour supérieure. Le tout est actuellement en appel[65].

[184]     En août 2014, une autre mésentente en vertu de l’article 59 du Code est déposée, cette fois relativement au retrait d’un horaire de travail dont pouvaient se prévaloir les SDO aux tables de jeux.

[185]     Le 26 février 2015, l’ACSCQ dépose, à la Commission, une plainte en vertu de l’article 12 du Code, dans laquelle elle allègue que le licenciement de dix de ses membres, en janvier 2015, entrave ses activités associatives et affecte directement son « membership ». La Commission rejette la requête en irrecevabilité de l’employeur quant à sa compétence et suspend les procédures en attendant l’issue de la présente requête en accréditation[66].

[186]     Une troisième mésentente en vertu de l’article 59 du Code est déposée en août 2015, pour contester le changement de stationnement.

les prétentions des parties

[187]     Chaque partie cite les arrêts de la Cour suprême en matière de liberté d’association. Sans grande surprise, elles n’y voient cependant pas la même portée et ne partagent pas le même point de vue quant à l’application de ces principes aux faits en litige. Afin de ne pas alourdir inutilement le texte, l’analyse de la jurisprudence de la Cour suprême sera abordée dans le cadre des motifs de la présente décision. De plus, l’interprétation que font les parties  des faits particuliers en regard des principes sera aussi intégrée aux motifs. Enfin, il a été convenu que le Tribunal tiendrait compte de l’ensemble des arguments de toutes les parties, bien que les dossiers soient séparés aux fins de rendre deux décisions.

les prétentions de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ

[188]     L’ACSCQ et l’APCPNHQ plaident conjointement que l’exclusion des cadres du Code entrave substantiellement leur droit à un véritable processus de négociation collective. Elles soulèvent l’insuffisance de l’indépendance de l’association et l’impossibilité de négocier collectivement des conditions de travail. De plus, elles soulignent l’absence de mécanismes permettant d’établir un rapport de force entre les parties : l’absence de recours à un tribunal spécialisé pour sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi; la privation du droit de grève ou d’un mécanisme de substitution en cas d’impasse lors des négociations; le non-accès à un mécanisme impartial et exécutoire afin de régler les litiges découlant de l’entente pour des conditions de travail.

[189]     L’ACSCQ et l’APCPNHQ rappellent que le Canada a pris des engagements au niveau international qui doivent déterminer la portée du droit à la liberté d’association. Le Comité de la liberté syndicale s’est prononcé sur l’exclusion des cadres du régime du Code et conclut qu’elle ne respecte pas la liberté d’association garantie dans les conventions internationales. Le gouvernement du Québec a refusé de remédier à la situation par l’adoption d’une loi particulière portant sur les relations du travail des cadres.

[190]     L’atteinte à la liberté d’association n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique. Elles soulignent en particulier que les objectifs de l’exclusion n’ont fait l’objet d’aucune preuve. La déclaration d’inconstitutionnalité constitue la réparation appropriée.

[191]     En réplique aux arguments de la Procureure générale sur l’insuffisance des avis transmis en vertu de l’article 95 du Code de procédure civile (Cpc), les associations demanderesses plaident qu’ils étaient assez précis pour leur permettre de soulever que le droit de grève fait partie de la négociation collective et qu’un mécanisme d’arbitrage doit lui être substitué s’il est retiré. Elles rappellent aussi que les avis ont été transmis avant que la constitutionnalité du droit de grève ne soit établie par la jurisprudence récente de la Cour suprême. De plus, elles soulignent que la grève ne peut être exercée en dehors d’un régime législatif l’encadrant, au risque que les personnes y prenant part subissent des mesures disciplinaires, voire des congédiements.

les prétentions de la Société et d’Hydro-Québec

[192]     D’emblée, les employeurs soulignent que le droit d’association n’est pas le droit à l’accréditation. L’exclusion d’une catégorie de personnes du Code n’est pas en soi une violation de la liberté d’association. L’ACSCQ et l’APCPNHQ devaient donc démontrer que l’exclusion du Code rend à toutes fins utiles impossible la constitution d’une association et entrave substantiellement l’exercice de la liberté d’association, ce qu’elles ont échoué à faire. Elles revendiquent plutôt un modèle précis, afin d’obtenir le monopole de représentation et les autres droits qui découlent du Code, ce qui n’est pas protégé par la liberté d’association.

[193]     Les employeurs soulignent que le dialogue peut s’établir de façon différente avec les cadres qu’avec d’autres employés.

[194]     Quant à l’obligation de négocier de bonne foi, elle est implicite selon la Cour suprême, mais elle est en plus consacrée législativement au Québec tant dans le Code civil du Québec que dans la Charte québécoise. Un recours devant les tribunaux de droit commun peut être exercé pour sanctionner un éventuel manquement.

[195]     Subsidiairement, les employeurs demandent au Tribunal, s’il devait prononcer l’inopposabilité constitutionnelle de l’article 1l) 1° du Code, de suspendre les effets de sa décision afin de permettre au législateur d’intervenir dans le choix d’un régime approprié.

les prétentions de la Procureure générale du Québec

[196]     Selon la Procureure générale, le fait d’être exclu de la définition de salarié et de ne pas être visé par le Code ne restreint pas les activités associatives des cadres de premier niveau. L’exclusion du Code n’est donc pas une entrave substantielle à la liberté d’association.

[197]     Elle rappelle que si l’État doit s’abstenir d’entraver une liberté protégée par la Charte, il n’a pas, sauf rares exceptions, l’obligation de poser un acte positif afin de permettre à un groupe de bénéficier de cette liberté. Ce que l’ACSCQ et l’APCPNHQ  demandent en réalité est de pouvoir bénéficier d’une action positive de l’État, c’est-à-dire des mécanismes établis par un régime spécifique : celui du Code.

[198]     La Procureure générale procède à l’analyse suivant les critères établis par la Cour suprême dans l’arrêt Baier[67] et conclut que l’exclusion du statut de cadre ne viole pas la liberté d’association, qu’il y ait ou non nécessité d’une intervention positive de l’État.

[199]     La Procureure générale est d’avis que les effets de l’exclusion, non seulement à l’égard des deux associations demanderesses, mais aussi à l’égard de l’ADDS/SAQ et des associations de cadres de la fonction publique, démontrent que la liberté d’association a été respectée. Elle allègue que les cadres forment un groupe privilégié, tant par leur instruction, que par leurs conditions de travail. Ils se sont groupés en associations, lesquelles sont reconnues par leur employeur. Celles-ci peuvent formuler des revendications, qui sont prises en considération par l’employeur. De plus, les cadres seraient généralement satisfaits, car ils bénéficient de très bonnes conditions de travail, supérieures à celles du personnel qu’ils supervisent, en plus de récolter les efforts de négociation des groupes syndiqués.

[200]     Par la suite, la Procureure générale analyse l’objet de l’exclusion des cadres. Elle rappelle que le Code s’appuie sur un modèle de relations du travail de type Wagner, qui vise à organiser les rapports de deux groupes ayant des intérêts distincts et conflictuels : l’employeur et ses représentants d’un côté, les salariés de l’autre. Les cadres étant des représentants de l’employeur, c’est à ce titre qu’ils sont exclus. Le but est d’éviter les conflits d’intérêts et de nuire à leur obligation de loyauté, laquelle pourrait être compromise s’ils négociaient collectivement.

[201]     La Procureure générale plaide que s’il fallait permettre aux cadres de se syndiquer, cela entrainerait une situation problématique à l’égard de la protection contre l’ingérence, puisque les cadres doivent appliquer les conventions collectives. Même s’ils étaient dans une unité de négociation distincte, il pourrait y avoir un risque de conflit d’intérêts en raison de l’affiliation avec une centrale syndicale qui représente aussi les employés qu’ils supervisent. Enfin, il y aurait un problème de cohérence du groupe d’avoir des représentants de l’employeur syndiqués et d’autres pas.

[202]     De même, la syndicalisation des cadres poserait un problème lors d’arrêts de travail, en raison des dispositions anti-briseurs de grève et viendrait rompre l’équilibre délicat du rapport de force entre les parties dans ce contexte.

[203]     La Procureure générale soulève aussi l’insuffisance des avis qui lui ont été transmis en vertu de l’article 95 Cpc, qui ne mentionnent pas le droit de grève.

[204]     Par ailleurs, si entrave substantielle il y avait, le problème ne découlerait pas du processus lui-même, mais des agissements des acteurs en place, soit la Société et Hydro-Québec. L’État n’ayant pas une obligation d’intervenir positivement pour mettre en œuvre la liberté d’association, les recours devraient être dirigés contre les employeurs en cause, soit en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne, soit en vertu de l’article 49 de la Charte québécoise.

[205]     Quoi qu’il en soit, la Procureure générale plaide que si une entrave substantielle était constatée, cette mesure serait justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique. L’objectif serait de trois ordres : éviter les conflits d’intérêts; prévenir les conséquences d’un arrêt de travail et prévenir l’ingérence.

[206]     La mesure présente un lien rationnel en ce qu’elle favorise logiquement la réalisation de son objet. Quant au critère de l’atteinte minimale, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il constitue le moyen qui porte le moins atteinte, mais qu’il fait partie d’une gamme de solutions raisonnables pour atteindre efficacement l’objet visé. Il n’est pas possible de conclure que l’inclusion des cadres dans le régime du Code permettrait d’atteindre le but recherché. Enfin, il y a une proportionnalité entre les avantages et les inconvénients de la mesure législative.  

[207]     La réparation demandée ne pourrait être accordée par le Tribunal, car cela reviendrait à déterminer un régime précis, ce qui est du ressort du législateur.

[208]     Subsidiairement, la Procureure générale et les employeurs demandent au Tribunal, s’il devait conclure que l’exclusion du statut de cadre est inconstitutionnelle, qu’il suspende les effets de sa décision.

Les motifs

la pORtée de la liberté d’association

[209]     L’alinéa 2d) de la Charte canadienne, tout comme l’article 3 de la Charte québécoise, protègent la liberté d’association. Dans les deux cas, cette liberté côtoie au sein d’une même disposition celles de religion, de conscience et d’expression, ce qui témoigne de la place qu’on lui accorde. La Cour suprême du Canada la qualifie comme suit :

[49] Le droit d’association ne représente pas un droit simplement dérivé des autres droits et libertés garantis par la Constitution. Au contraire, il constitue un droit distinct doté d’un contenu autre, un droit essentiel au développement et au maintien de la société civile dynamique sur laquelle repose notre démocratie[68].

 

(soulignement ajouté)

 

[210]     La liberté d’association, appliquée dans le domaine des relations du travail, a connu une évolution notable dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, entre une première trilogie de jugements, rendue en 1987 et une deuxième, rendue en 2015.

L’évolution de jurisprudence de la Cour suprême du Canada

La trilogie de 1987

[211]     La liberté d’association, garantie à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne, a d’abord été interprétée restrictivement par la Cour suprême. Elle rend en 1987 trois jugements en droit du travail, Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.) [69], AFPC c. Canada[70], SDGMR c. Saskatchewan[71], où elle définit la portée de la liberté d’association selon les droits que possède chaque individu, sans qu’ils puissent être élargis du fait de l’association. Le droit de négocier collectivement et le droit de faire la grève en sont donc exclus.

[212]     Une dissidence étoffée du juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à l’Alberta, précité a cependant été remarquée et abondamment citée. Celui-ci est d’avis que la Charte canadienne protège certaines activités collectives, qui n’ont pas d’équivalent individuel, comme le droit de faire la grève.

L’arrêt Dunmore

[213]     Un premier tournant survient en 2001 avec l’arrêt Dunmore c. Ontario (Procureur général)[72]. La Cour suprême élargit la portée de la liberté d’association à la protection d’intérêts collectifs, qui ne peuvent être exercés individuellement, et écarte ainsi la position qu’elle avait adoptée en 1987.

[214]     La Cour était saisie de la constitutionnalité de l’exclusion des travailleurs agricoles du régime général du droit du travail ontarien. Elle décide que le caractère vulnérable du groupe en question entraine pour l’État une obligation d’intervention positive pour permettre aux travailleurs agricoles de s’associer afin de négocier de façon efficace. Elle conclut que l’exclusion du régime général d’accréditation, dans les circonstances, viole de la liberté d’association. Pour justifier cette évolution, la Cour s’appuie notamment sur le droit international et les obligations du Canada en la matière.

L’arrêt Health Services

[215]     En 2007, une nouvelle étape est franchie avec l’arrêt Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique[73], qui aborde plus spécifiquement le droit à la négociation collective.

[216]     Pour faire face à une crise dans le réseau de la santé, la Colombie-Britannique avait adopté à toute vapeur une loi modifiant les conventions collectives en vigueur, afin d’accorder une plus grande latitude de gestion aux employeurs du secteur public de la santé. Étaient notamment modifiées des clauses relatives aux affectations de travail, aux transferts et à la sous-traitance.

[217]     La Cour suprême préconise une approche contextuelle et factuelle de la liberté d’association, déjà adoptée dans l’arrêt Dunmore, précité, et souligne l’importance de la négociation collective dans le cadre des relations du travail. Elle mentionne qu’on ne peut mettre sur le même pied « un syndicat ou un club de lecture[74]».

[218]     S’appuyant sur l’historique de la négociation collective, les outils internationaux (notamment la Convention 87) et les valeurs protégées par la Charte, la Cour suprême conclut que l’alinéa 2d) de la Charte canadienne protège le droit des salariés de participer à un véritable processus de négociation collective relatif à leurs conditions de travail. Aux paragraphes 77 et 98 de sa décision, la Cour cite, avec approbation, les Principes de l’OIT sur la négociation collective et en particulier le principe H :

H. Le principe de la bonne foi dans la négociation collective implique les points suivants : reconnaître les organisations représentatives, faire des efforts pour parvenir à un accord, procéder à des négociations véritables et constructives, éviter des retards injustifiés dans la négociation et respecter réciproquement les engagements pris et les résultats obtenus grâce à des négociations de bonne foi.

 

[219]     Tous les aspects de la négociation collective ne sont cependant pas protégés par la Charte. L’accent doit être mis sur le processus et non le résultat. De plus, l’atteinte au processus doit être substantielle:

[91] Ainsi défini, le droit de négociation collective demeure un droit à portée restreinte.  Premièrement, parce qu’il concerne un processus, il ne garantit pas l’atteinte de résultats quant au fond de la négociation ou à ses effets économiques.  Deuxièmement, il confère le droit de participer à un processus général de négociation collective et non le droit de revendiquer un modèle particulier de relations du travail ou une méthode particulière de négociation […] Enfin, et plus important encore, comme nous l’enseigne l’arrêt Dunmore, l’atteinte au droit doit être substantielle, au point de constituer une entrave non seulement à la réalisation des objectifs des syndiqués (laquelle n’est pas protégée), mais aussi au processus même qui leur permet de poursuivre ces objectifs en s’engageant dans de véritables négociations avec l’employeur.

 

(soulignement ajouté)

 

[220]     Sans vouloir réduire ce jugement complexe et nuancé à quelques lignes, on peut néanmoins en dégager les balises suivantes quant au droit à la négociation collective :

·        Ce ne sont pas les objectifs poursuivis, mais le processus de négociation collective, afin de viser la réalisation de ces objectifs, qui est protégé par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne;

·        la Charte canadienne ne garantit pas un modèle particulier;

·        l’atteinte à la liberté de négociation doit être substantielle pour constituer une violation à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne;

·        cette entrave sera substantielle si elle affecte la réalisation des objectifs poursuivis et le processus lui-même;

·        l’entrave doit avoir des incidences sur la capacité de négocier collectivement et toucher des sujets d’importance pour l’activité collective;

·        la négociation collective de bonne foi implique un effort raisonnable pour arriver à un compromis acceptable.

·        La négociation collective de bonne foi implique également de respecter réciproquement les engagements et les résultats obtenus.

[221]     Évidemment, la Cour suprême établit ces principes dans le contexte précédemment évoqué, soit celui où l’État est l’employeur et qu’il est intervenu par voie législative afin de modifier des conditions de travail contenues dans une convention collective en vigueur.

L’arrêt Fraser

[222]     En 2011, dans Ontario (Procureur général) c. Fraser[75], la Cour suprême se prononce à nouveau sur le droit d’association des travailleurs agricoles en Ontario. Elle juge que la loi ontarienne, adoptée à la suite de l’arrêt Dunmore, précité, et mettant en place un régime particulier pour les travailleurs agricoles, ne viole pas l’alinéa 2d) de la Charte canadienne.

[223]     Selon la Cour, la loi en cause permet de participer à un processus de négociation collective puisque les travailleurs agricoles peuvent former une association, formuler des revendications collectives à l’employeur et les voir prises en compte par celui-ci.

[224]     La contestation du syndicat est prématurée, car il n’a pas tenté d’utiliser le mécanisme prévu par la loi, soit le recours à un tribunal spécialisé, créé pour régler les différends et qui permettrait de s’assurer du respect de l’obligation de négocier de bonne foi.

[225]     Certains propos tenus par la Cour suprême semblent restreindre l’interprétation large et libérale de la liberté d’association qu’elle préconisait depuis Dunmore. Notamment, la Cour qualifie le droit à la négociation collective de « droit dérivé » de la liberté d’association. Les trois arrêts qu’elle rendra en 2015 viendront éclaircir ces points en faveur d’une approche généreuse de la liberté d’association.

La trilogie de 2015

[226]     Au début de 2015, trois arrêts marquent un nouveau pas dans l’interprétation de la liberté d’association dans un contexte de droit du travail: Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général) (l’affaire APMO)[76], Meredith c. Canada (Procureur général)[77],  Sask. Fed. of Labour c. Saskatchewan[78].

L’arrêt APMO

[227]     Cet arrêt porte sur la constitutionnalité du régime de relations du travail s’appliquant aux membres de la GRC, qui prévoit, d’une part, leur exclusion de celui prévu par la Loi sur les relations du travail dans la fonction publique  et, d’autre part, l’imposition d’un système fondé sur le Programme de représentants des relations du travail (PRRF), principal mécanisme mis en place afin de recevoir leurs représentations.

[228]      La Cour suprême confirme que le droit à la négociation collective fait partie intégrante de la liberté d’association protégée par la Charte canadienne et n’est pas simplement un « droit dérivé », ainsi qu’il avait été qualifié dans l’arrêt Fraser précité. De plus, il n’est pas requis de démontrer que la mesure de l’État entraine une « impossibilité » effective de réaliser les objectifs relatifs au travail, mais bien une « entrave substantielle ».

[229]     La Cour souligne que la question du rapport de force dans les relations du travail entre employés et employeur est au cœur même de la liberté d’association :

[72]      […] Quelle que soit la restriction, il faut essentiellement déterminer si les mesures en question perturbent l’équilibre de rapports de force entre les employés et l’employeur que l’al. 2d) vise à établir, de telle sorte qu’elles interfèrent de façon substantielle avec un processus véritable de négociation collective (Health Services, par. 90).

 

(soulignement ajouté)

 

[230]     Aussi, la protection accordée par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne doit s’interpréter en tenant compte du déséquilibre des forces en présence :

[80]      Pour récapituler, l’al. 2d) protège contre une entrave substantielle au droit à un processus véritable de négociation collective. Historiquement, les travailleurs se sont associés pour « faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force de ceux avec qui leurs intérêts interagissaient et, peut-être même, entraient en conflit », c’est-à-dire leur employeur (Renvoi relatif à l’Alberta, p. 366). La garantie prévue à l’al. 2d) de la Charte ne peut faire abstraction du déséquilibre des forces en présence dans le contexte des relations du travail. Le permettre reviendrait à ne pas tenir compte « des origines historiques des concepts enchâssés » à l’al. 2d) (Big M Drug Mart, p. 344). Portera donc atteinte au droit à un processus véritable de négociation collective tout régime législatif qui prive les employés de protections adéquates dans leurs interactions avec l’employeur de manière à créer une entrave substantielle à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives.

 

(soulignement et caractère gras ajoutés)

 

[231]     Pour qu’il y ait un « processus véritable de négociation collective », les employés doivent pouvoir définir leurs objectifs collectifs, ce qui implique l’indépendance de leur association envers la direction :

[88]      L’objectif de la négociation collective n’est pas atteint si l’employeur domine ou influence le processus qui l’entoure. C’est pourquoi un processus véritable de négociation collective protège le droit des employés de former des associations qui sont indépendantes de la direction, et d’y adhérer (Delisle, par. 32 et 37). À l’instar de la liberté de choix, l’indépendance dans le contexte de la négociation collective n’est pas absolue. L’indépendance requise par la Charte aux fins de la négociation collective est celle qui fait correspondre les activités de l’association aux intérêts de ses membres.

 

[89]      Tout comme le choix, l’indépendance à l’égard de l’employeur garantit que les activités de l’association reflètent les intérêts des employés, ce qui respecte la nature et l’objet du processus de négociation collective et en assure le bon fonctionnement. À l’inverse, un manque d’indépendance signifie que les employés ne sont peut-être pas en mesure de faire valoir leurs propres intérêts, mais qu’ils doivent choisir parmi ceux que l’employeur les autorise à défendre. Au nombre des facteurs à considérer dans l’examen de l’indépendance, mentionnons la liberté de modifier l’acte constitutif et les règles de l’association, la liberté de choisir les représentants de celle-ci ainsi que le contrôle sur l’administration financière et sur les activités que l’association décide de mener.

 

(soulignement ajouté)

 

[232]     Divers modèles peuvent offrir aux employés une liberté de choix et une indépendance suffisante à l’égard de l’employeur : « Il ne s’agit pas de trouver le régime « idéal » de négociation collective, mais plutôt un modèle qui offre à l’employé une liberté de choix et une indépendance suffisantes pour exprimer et défendre ses intérêts dans le contexte particulier du milieu de travail en cause. » (par. 97).

[233]     En l’espèce, la Cour conclut que le PRRF, qui impose aux membres de la GRC une instance pour faire valoir leurs revendications, qu’ils n’ont pas choisies et ne contrôlent pas, viole l’alinéa 2d) de la Charte canadienne. L’objet même est de contrer la syndicalisation des membres de la GRC en empêchant la négociation collective. S’appuyant sur le rapport de force dans un contexte employeur-employés, la Cour conclut que de ce fait : « Les employés se trouvent dans une position désavantageuse et vulnérable parce que le programme n’établit pas, entre eux et l’employeur, l’équilibre essentiel à la tenue d’une véritable négociation collective. » (par. 106).

[234]     La deuxième question que la Cour tranche porte sur l’exclusion des membres de la GRC de la définition de « fonctionnaire » de l’article 2(1) de la Loi sur les relations de travail de la fonction publique. Cette loi établit pour les employés de la fonction publique fédérale, qui sont par ailleurs exclus du Code canadien, un régime complet, selon un modèle de relations du travail fondé sur la Loi Wagner.

[235]     Elle conclut qu’interprétée dans son contexte historique, cette exclusion constitue aussi une violation à la Charte, car elle a pour objet de priver les membres de la GRC de leur droit constitutionnel de s’associer[79].  Elle écarte ainsi l’arrêt Delisle[80] qu’elle avait rendu dans un même contexte en 1999. La Cour déclare donc inconstitutionnelle le régime imposant une forme de représentation ainsi que l’exclusion des membres de la GRC du régime général.

L’arrêt Meredith

[236]     Les membres de la GRC, en plus de contester la constitutionnalité du régime de relations du travail qui leur était applicable et qui a donné lieu à l’arrêt APMO précité, attaquent aussi la constitutionnalité d’une loi fédérale restreignant les augmentations salariales dans le secteur public. La Cour conclut que la loi en cause ne viole pas la liberté d’association des membres de la GRC, car elle vise tous les fonctionnaires et la loi n’interdit pas les consultations sur d’autres questions salariales.

L’arrêt Saskatchewan

[237]     L’arrêt Saskatchewan concerne plus précisément le droit de grève des employés du réseau de la santé, qui se voit restreint par l’adoption d’une loi de la province. Elle prévoit que ceux-ci ne peuvent faire la grève s’ils doivent assurer des services essentiels, lesquels peuvent être déterminés unilatéralement par l’employeur s’il ne parvient pas à s’entendre avec le syndicat. De plus, la loi limite la compétence du tribunal spécialisé en relations du travail de la Saskatchewan, le Saskatchewan Labour Relations Board, qui ne peut réviser si un service, déterminé comme essentiel par l’employeur, doit l’être ou non[81].

[238]     La Cour consacre le droit de grève au rang des droits constitutionnellement protégés par la liberté d’association prévue à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne. Étant partie intégrante du droit de négocier collectivement, si celui-ci est limité d’une manière qui entrave substantiellement le processus de négociation collective, il doit être remplacé par un mécanisme de règlement des différends:

[25]      Lorsque le législateur limite le droit de grève d’une manière qui entrave substantiellement un processus véritable de négociation collective, il doit le remplacer par l’un ou l’autre des mécanismes véritables de règlement des différends couramment employés en relations de travail. La loi qui prévoit un tel mécanisme de rechange voit sa justification accrue au regard de l’article premier de la Charte. À mon avis, l’absence d’un tel mécanisme dans la PSESA représente ce qui, en fin de compte, rend les restrictions apportées par celle-ci inadmissibles sur le plan constitutionnel.

 

[239]     De plus, la Cour renvoie aux engagements internationaux du Canada qui consacrent la protection du droit de grève comme un élément d’un processus véritable de négociation. Or, rappelle-t-elle, « il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les instruments internationaux ratifiés par le Canada en matière de droits de la personne [82] ». Elle souligne aussi ce qui suit :

[69]      Même si, à strictement parler, elles n’ont pas d’effet obligatoire, les décisions du Comité de la liberté syndicale ont une force persuasive considérable et elles ont été citées avec approbation et largement reprises à l’échelle mondiale par les cours de justice, les tribunaux administratifs et d’autres décideurs, y compris notre Cour […]. Le Comité de la liberté syndicale a vu s’accroître avec le temps la pertinence et le caractère persuasif de ses décisions dans l’usage et dans la pratique et, au sein de l’OIT, c’est à lui principalement qu’il a incombé de délimiter le droit de grève […].

 

(soulignement ajouté et références omises)

 

[240]     À la lumière de ces principes, la Cour suprême conclut que la loi provinciale restreignant le droit de grève des employés du secteur public est inconstitutionnelle en ce qu’elle viole l’alinéa 2d) et que cette atteinte n’est pas justifiée en regard de l’article 1 de la Charte canadienne :

[92] […] Définir les « services essentiels » pour l’application de la PSESA exige de faire preuve de jugement dans la détermination des situations où, par exemple, la vie, la santé, la sécurité ou le souci environnemental justifie la désignation de services essentiels. Or, la PSESA permet à l’employeur de soupeser seul ces considérations fondamentales, les salariés ne disposant d’aucun mécanisme efficace de règlement des différends qui permette la révision de désignations contestées de l’employeur.

 

[93]      La PSESA ne prévoit pas non plus d’autre moyen véritable (tel l’arbitrage) de mettre fin à l’impasse des négociations. [….]

 

(soulignement ajouté)

Le cadre d’analyse applicable

[241]     La portée de la liberté d’association semble encore appelé à évoluer. Il est certain que la Cour suprême n’a pas répondu à toutes les questions depuis ce virage vers une interprétation plus libérale de la liberté d’association. Il n’y a pas non plus de « test » qui se dégage comme tel de la trilogie de 2015 et qu’on pourrait appliquer à chaque cas. Au contraire, la Cour fait une analyse contextuelle du droit à la négociation collective en regard des situations particulières qui lui sont soumises.

[242]     Il est cependant possible d’extraire de la jurisprudence certaines balises et de cerner le cadre d’analyse qui s’applique, selon l’état du droit actuel, à la liberté d’association protégée à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne :

·        La liberté d’association doit être interprétée selon une approche généreuse et téléologique. Pour déterminer si une restriction viole l’alinéa 2d) de la Charte canadienne, il faut considérer l’activité associative dans son contexte global et en fonction de son histoire (arrêt APMO, précité, par. 47);

·        la liberté d’association n’est pas seulement un ensemble de droits individuels. Elle protège également des droits collectifs, qui sont inhérents aux associations, soit « le droit de s’unir pour faire face, à armes plus égales, à la puissance et à la force d’autres groupes ou entités » (arrêt APMO, précité, par. 62 et par. 66);

·        la liberté d’association inclut le droit de négocier collectivement ses conditions de travail, qui n’est pas un simple droit dérivé de celle-ci (arrêt APMO, précité, par. 73 et par. 79);

·        la Charte canadienne ne garantit ni l’accès à un régime particulier, ni la réalisation des objectifs fixés par les employés, non plus qu’un régime idéal (arrêt APMO, précité, par. 67 et par. 97);

·        le processus de négociation collective implique le droit de formuler des revendications et de les voir prises en considération de bonne foi par l’employeur (arrêt Fraser repris au paragraphe 45 de l’arrêt APMO, précité);

·        la négociation collective implique que les parties fassent « des efforts pour parvenir à un accord, procéder à des négociations véritables et constructives, éviter des retards injustifiés dans la négociation et respecter réciproquement les engagements pris et les résultats obtenus grâce à des négociations de bonne foi »; que les parties établissent un « véritable dialogue » dans l’objectif commun d’en arriver à un « contrat acceptable » sur les conditions de travail (arrêt Health Services, précité, respectivement aux paragraphes 76, 98 et 101);

·        cependant, la négociation « serrée » reste permise et une partie n’est pas tenue d’accepter une clause contractuelle précise. Ce ne sont pas les résultats qui sont protégés, mais le processus lui-même (arrêt Health Services, précité);

·        les parties doivent négocier de bonne foi et avoir accès à une voie de recours pour sanctionner un éventuel manquement à cette obligation (arrêts Fraser, précité, par. 109, et Saskatchewan, précité, par. 1);

·        la négociation collective de bonne foi implique de respecter les engagements pris et les résultats obtenus au terme du processus (arrêt Health Services, précité, par. 77 et par. 98);

·        pour qu’un processus véritable de négociation existe, les employés doivent avoir une liberté de choix et une indépendance suffisante pour permettre de décider de leurs intérêts collectifs et de véritablement les réaliser. La liberté de choix comprend celle de former des associations indépendantes de la direction et d’y adhérer. L’indépendance renvoie à la capacité de définir ses objectifs selon ses propres intérêts et ne pas se limiter à ceux que l’employeur permet de défendre. Il faut examiner globalement les deux critères afin de voir si les employés sont en mesure de s’associer en vue de réaliser véritablement des objectifs collectifs relatifs au travail (arrêt APMO, précité, par. 5 et par. 90);

·        les activités de l’association doivent s’exercer à l’abri de toute ingérence, domination ou entrave de l’employeur (arrêt APMO, précité, par. 88);

·        il faut déterminer si les mesures en cause altèrent l’équilibre du rapport de force entre les employés et l’employeur de telle sorte qu’elles interfèrent de façon substantielle avec un processus véritable de négociation collective (arrêt Health Services, précité, par. 90, repris dans arrêt APMO, précité, par. 72);

 

·        Afin de conclure à l’atteinte du droit d’association, il n’est pas nécessaire de démontrer l’impossibilité de poursuivre des objectifs collectifs, mais l’entrave substantielle (arrêt APMO, précité, par. 74 à 77);

·        le modèle de relations du travail qui prive les employés de protections adéquates dans leurs interactions avec l’employeur de manière à créer une entrave substantielle à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives portera atteinte au droit à un processus véritable de négociation collectif (Arrêt APMO, précité, par. 80);

·        le droit de grève est protégé constitutionnellement et fait partie du droit à une négociation véritable. S’il est limité d’une manière qui entrave substantiellement le processus de négociation, il doit être remplacé par un mécanisme de règlement des différends (arrêt Saskatchewan précité, par. 25);

·        dans certains cas, si une entrave substantielle est constatée, l’État peut avoir une obligation positive pour protéger la liberté d’association (arrêt Dunmore précité).

·        l’exclusion d’un régime d’accréditation général, dans le but de priver un groupe de sa liberté d’association, peut constituer une entrave substantielle de l’État (arrêt APMO, précité, par. 131);

·        il faut présumer que la Charte canadienne accorde au moins une protection aussi grande que les normes internationales contenues dans des conventions applicables au Canada. Les décisions du Comité de la liberté syndicale ont une force persuasive significative (arrêt Saskatchewan, précité, par. 64 et par. 69).

le régime législatif général d’accréditation au Québec

Les principes et mécanismes du Code

[243]     Le Code, inspiré du modèle de la Loi Wagner, constitue le régime général de relations du travail au Québec, tant pour le secteur privé que public, sous réserve d’exceptions, dont celles mentionnées à l’alinéa 1l) et dont il sera fait état plus loin. 

[244]     Les deux grands objectifs de la Loi Wagner, qui seront aussi à la base de l’ancêtre du Code, la Loi des relations ouvrières de 1944, et du Code de 1964, sont « de promouvoir la paix industrielle par la réduction de conflits de travail et de rétablir une égalité de principe entre le pouvoir de négociation des employeurs et ceux des ouvriers[83] ».

[245]     Pour reprendre les propos de la Commission dans une affaire portant sur la constitutionnalité de l’exclusion des travailleurs agricoles migrants du Code[84] :

[306] Le Code du travail du Québec ne constitue évidemment pas le seul modèle permettant d’assurer que la liberté d’association, incluant le droit de négocier collectivement ses conditions de travail, puisse se réaliser véritablement. Il est cependant beaucoup plus qu’un régime particulier. Malgré l’existence de certains modèles comparables, le Code constitue, pour reprendre les termes employés par la Cour suprême dans l’affaire Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada inc., 2009 CSC 54 «  l’expression concrète et le mécanisme de mise en œuvre de la liberté d’association en milieu de travail au Québec ». Comme le souligne la Cour suprême dans Health Services précitée, le Code et lois équivalentes au fédéral et dans les autres provinces, « confèrent le droit et imposent l’obligation aux employeurs et aux syndicats de négocier de bonne foi ».

 

(soulignement ajouté)

 

[246]     Le droit d’association est consacré à l’article 3 du Code en ces termes :

3. Tout salarié a droit d’appartenir à une association de salariés de son choix et de participer à la formation de cette association, à ses activités et à son administration.

 

[247]     Le Code permet le choix d’un représentant collectif exclusif. Ainsi, une association de salariés peut requérir l’accréditation auprès du Tribunal, qui déterminera si l’unité demandée est appropriée, les personnes visées, le cas échéant, et le caractère représentatif de ladite association.

[248]      L’appartenance d’un salarié à l’association doit demeurer confidentielle et n’est donc pas connue de l’employeur. Celui-ci n’est pas considéré comme une partie intéressée aux fins de déterminer le caractère représentatif de l’association requérante. Il est donc exclu de ce débat (articles 32 et 36). L’ingérence par l’employeur dans une association de salariés est interdite (article 12) et une protection contre toute mesure de représailles est accordée au salarié qui exerce un droit prévu au Code (article 15). Il bénéficie d’une présomption s’il établit avoir exercé un tel droit et subi, de façon concomitante, une mesure de la part de l’employeur. Il appartient dès lors à celui-ci de faire la preuve d’une autre cause, qui soit juste et suffisante (article 17).

[249]     L’employeur doit retenir sur le salaire de tout salarié faisant partie de l’unité de négociation, membre ou non de l’association accréditée, la cotisation fixée par celle-ci (article 47).

[250]     Le but de l’accréditation est la négociation collective. Elle doit être conduite de bonne foi et avec diligence (article 53). Un processus de conciliation est prévu (articles 54 et 55). À certaines périodes, les parties acquièrent le droit de grève ou de lock-out (article 58). Un mécanisme d’arbitrage de différends s’applique en cas d’impasse dans la négociation d’une première convention collective (chapitre VI, section I.1).

[251]     Lorsqu’une convention collective est conclue, elle lie l’employeur et l’ensemble des salariés pour sa durée, laquelle doit être déterminée et respecter certains minimums (article 65). Les conflits relatifs à son interprétation et à son application seront tranchés par un arbitre de grief (article 100).

[252]     Le Tribunal est l’instance désignée par le législateur pour veiller à l’application du Code. Une partie peut requérir en tout temps son intervention, d’une façon simple, peu couteuse et rapide.

[253]      Ainsi, le Code établit un régime complet. Il a été à maintes reprises rappelé qu’il favorise l’accréditation. Celle-ci est donc la règle générale et les exclusions en sont les exceptions. L’auteur Robert P. Gagnon s’exprime en ces termes : « Le Code du travail […] exprime une volonté du législateur québécois de favoriser l’aménagement de rapports collectifs du travail [85]»

L’exclusion visant les cadres

[254]     Afin de bien situer le débat, il est utile de rapporter la définition de « salarié » et ses exclusions que l’on retrouve à l’article 1 du Code :

1. Dans le présent code, à moins que le contexte ne s’y oppose, les termes suivants signifient :

[…]

 

l)  «salarié» : une personne qui travaille pour un employeur moyennant rémunération, cependant ce mot ne comprend pas:

 

1°  une personne qui, au jugement du Tribunal, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés;

 

2°  un administrateur ou un dirigeant d’une personne morale, sauf si une personne agit à ce titre à l’égard de son employeur après avoir été désignée par les salariés ou une association accréditée;

 

3°  un fonctionnaire du gouvernement dont l’emploi est d’un caractère confidentiel au jugement du Tribunal ou aux termes d’une entente liant le gouvernement et les associations accréditées conformément au chapitre IV de la Loi sur la fonction publique (chapitre F-3.1.1) qui sont parties à une convention collective qui autrement s’appliquerait à ce fonctionnaire; tel est l’emploi d’un conciliateur, d’un médiateur et d’un médiateur arbitre du ministère du Travail, d’un fonctionnaire du Conseil exécutif, du vérificateur général, de la Commission de la fonction publique, du cabinet d’un ministre ou d’un sous-ministre ou d’un fonctionnaire qui, dans un ministère ou un organisme du gouvernement, fait partie du service du personnel ou d’une direction du personnel;

 

3.1°  un fonctionnaire du ministère du Conseil exécutif sauf dans les cas que peut déterminer, par décret, le gouvernement;

 

3.2°  un fonctionnaire du Conseil du trésor sauf dans les cas que peut déterminer, par décret, le gouvernement;

 

3.3°  un fonctionnaire de l’Institut de la statistique du Québec affecté aux fonctions visées à l’article 4 de la Loi sur l’Institut de la statistique du Québec (chapitre I-13.011);

 

4°  un procureur aux poursuites criminelles et pénales;

5°  un membre de la Sûreté du Québec;

 

6°  un membre du personnel du directeur général des élections;

 

7°  un fonctionnaire du Tribunal affecté aux fonctions visées à l’article 86 ou à l’article 87 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail (chapitre T-15.1);

 

[255]     Certaines des personnes exclues de la définition de « salarié » sont cependant soumises à un autre régime[86], ce qui n’est pas le cas pour celles visées à l’article 1l)1°, soit les « gérant[s], surintendant[s], contremaître[s] ou représentant[s] de l’employeur dans [leurs] relations avec les salariés ».

[256]     Comme il a été souligné lors de l’historique de l’exercice du droit d’association par les cadres, ceux-ci sont déjà exclus de la Loi des relations ouvrières de 1944.

[257]     La notion de « cadre » regroupe un éventail de personnes, allant de celles qui exercent un simple pouvoir de surveillance et veillent à l’application de directives de l’employeur, à celles qui participent à l’élaboration des stratégies et orientations de l’entreprise. La jurisprudence et la doctrine distinguent communément trois paliers : les cadres de premier niveau, les cadres intermédiaires et les cadres supérieurs.

[258]     Dans Syndicat des professionnelles en soins infirmiers et cardio-respiratoires du CHA (FIIQ) c. Centre hospitalier affilié universitaire de Québec[87], la Commission résume ainsi les personnes visées par l’exclusion de l’article 1l) 1°:

[71]      La définition de « salarié » et, partant, l’exclusion particulière prévue au sous-paragraphe 1 l) de l'article 1 du Code, soit « une personne qui, au jugement de la Commission, est employée à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés », s’applique exclusivement pour les fins de l’aménagement des relations collectives du travail. La partie qui prétend à une exclusion doit établir les faits qui la justifient, par prépondérance de preuve.

 

[72]      Ainsi, ne sont pas des « salariés » et n’ont pas accès au régime de représentation et de négociation de leurs conditions de travail prévu au Code, les personnes qui, dans l’entreprise, détiennent une autorité hiérarchique, sans égard au palier de gestion, ce qui peut aller de la haute direction jusqu’au premier niveau de la gestion, soient les gérants, surintendants ou contremaîtres.

 

[73]      En application de la même exclusion, n’ont pas accès à ce régime, les personnes qui exercent de fait une certaine forme d’autorité patronale, par délégation de l’employeur, et dont les responsabilités correspondantes qu’elles assument font en sorte qu’elles agissent alors comme « représentants de l’employeur dans ses relations avec ses salariés ».

 

[74]      Les premières, celles qui agissent à titre de gérants, surintendants, ou contremaîtres ou équivalents, se situent normalement dans la ligne hiérarchique de l’entreprise et le font au nom de l’employeur, en regard de l’exécution et du contrôle du travail effectué par les salariés qui font partie de l’équipe qu’ils supervisent.

 

[75]      D’autre part, les personnes chargées de fournir des renseignements, une expertise particulière, des conseils ou des recommandations sur l’un ou l’autre des aspects techniques ou relevant d’une profession ou encore particuliers à une entreprise, peuvent être des représentants de l’employeur, dans le cadre de la fonction qu’elles exercent dans l’entreprise, si leur action participe à la gestion des ressources humaines dans cette entreprise .

 

[76]      Finalement, des personnes peuvent aussi être de tels représentants, en raison de leur participation à la gestion administrative de l’organisation, si elles détiennent un « pouvoir significatif, soit en engageant l’employeur à l’endroit de tiers de leur seule autorité, soit en participant à l’orientation et à la marche des activités de l’entreprise.

 

(soulignement ajouté et références omises) 

 

[259]     Ainsi, l’alinéa 1l) par. 1 du Code vise les cadres de façon large. Tous les niveaux, sans distinction, sans se limiter à ceux qui exercent des fonctions de direction, contrairement au Code canadien, sont exclus de la définition de « salarié ». De plus, il suffit qu’une portion des tâches exercées relève de la définition de l’article 1l) 1° pour que cette personne soit considérée comme un cadre[88].

[260]     Par ailleurs, on notera qu’en général, au Québec, le fait d’avoir accès à de l’information confidentielle n’est pas un motif d’exclusion à la syndicalisation, contrairement à la législation fédérale. Seuls les fonctionnaires dont le travail se rapporte à la fonction exécutive de l’État sont exclus selon l’article 1l) 3° du Code.

Les modalités particulières au sein du régime général

[261]     Certains groupes de salariés, en raison de leurs fonctions, sans être exclus du régime général, sont assujettis à des dispositions particulières qui peuvent être prévues soit au Code, soit dans d’autres lois.

[262]     Il en est ainsi des employés municipaux, qui sont visés par une loi, entrée en vigueur tout récemment, la Loi concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal[89]. Celle-ci prévoit un processus d’arbitrage de différends qui viendra déterminer les conditions de travail, selon des critères définis par la loi, en tenant compte des « attentes collectives des salariés et des impératifs d’une gestion efficace et efficiente des ressources financières destinées à la prestation des services publics[90] ». Les policiers et pompiers, qui n’ont pas le droit de grève, avaient déjà accès à un arbitrage de différends en vertu du Code. Les dispositions qui le prévoyaient sont abrogées par cette loi, qui instaure un conseil d’arbitrage, lequel doit être guidé par des critères qu’elle énonce dans l’établissement des conditions de travail[91].  

[263]     Par ailleurs, les policiers municipaux ne peuvent faire partie d’une association qui n’est pas formée exclusivement de policiers municipaux ou qui est affiliée à une autre organisation[92].

[264]     Les salariés des secteurs public, parapublic et de la fonction publique[93] voient leur droit de grève limité afin d’assurer des services essentiels à la population.

[265]     Les salariés du réseau des affaires sociales ont un régime d’accréditation particulier, qui définit et limite à quatre le nombre d’unités de négociation par établissement[94].

[266]     Les enquêteurs de la Commission de la construction du Québec doivent faire partie d’une unité distincte et l’association accréditée pour les représenter ne peut être « affiliée à une association représentative ou à une organisation à laquelle une telle association ou tout autre groupement de salariés de la construction est affilié ou autrement lié, ni conclure une entente de service avec l’un d’eux[95] ».

de CERTAINS régimes de relations du travail

[267]     Sans faire une revue exhaustive des autres régimes de relations du travail, il apparait utile d’en décrire certains, afin de situer la portée de l’exclusion visant les employés cadres. La plupart de ces régimes relèvent de la compétence du Tribunal.

Les ressources intermédiaires, les ressources de type familial et les responsables de services de garde

[268]     Les ressources intermédiaires et les ressources de type familial (RI/RTF) sont des personnes qui accueillent un certain nombre de personnes atteintes de problème de santé mentale ou en perte d’autonomie dans leur résidence, sous le contrôle d’un établissement public du réseau de la santé. Les responsables d’un service de garde en milieu familial (RSG) offrent, quant à eux, des services de garde en milieu familial, et sont rattachés à un Centre de la petite enfance (CPE), entité relevant du ministre responsable de la Famille.

[269]     Les RI/RTF et les RSG ont respectivement un régime de reconnaissance qui leur est accordé par législation et leur permet, bien que n’étant pas considérés comme des salariés, l’accès à la négociation collective ainsi qu’à divers mécanismes s’inspirant largement du Code.

[270]     L’historique de l’adoption de ces régimes particuliers met en cause plusieurs décisions relatives à la liberté d’association qu’il est utile de relater.

[271]     Après plusieurs années de discussions infructueuses avec le gouvernement relativement à leurs conditions de travail, les RI/RTF et les RSG déposent des requêtes en accréditation en vertu du Code[96]. Les instances spécialisées décident alors que les rapports entre les RI/RTF et l'établissement public sont de nature contractuelle et constituent un contrat de travail. Les RI/RTF ont ainsi vu leur statut de salarié reconnu. Le même raisonnement est tenu à l’égard des RSG et des CPE.

[272]     En réaction à l’effet de ces décisions, l’Assemblée nationale adopte deux lois qui décrètent que les RI/RTF et les RSG ne sont pas réputés être des salariés des structures dont ils relèvent. Les centrales syndicales attaquent leur constitutionnalité parce qu’en violation de la liberté d’association.

[273]     Appliquant les arrêts Dunmore et Health Services, précités, la Cour supérieure conclut que l’intervention législative touche à des aspects capitaux de la liberté d’association et constitue une entrave substantielle à la négociation collective[97]. Elle fait notamment une analyse détaillée des outils internationaux et souligne leur importance :

[314]    Bref, en faisant fi des instruments internationaux et de la décision du Comité de la liberté syndicale, en ne reconnaissant que les associations qui ne revendiquent pas le statut de salarié, en choisissant de mettre en place un système de reconnaissance purement discrétionnaire qui n'offre aucune garantie de neutralité et d'objectivité, qui ne prévoit aucune protection contre l'ingérence du gouvernement et qui n'incorpore aucune obligation pour celui-ci de négocier les conditions de travail ni ne sanctionne le refus de négocier ou les pratiques déloyales liées à la négociation, ces lois empêchent les RSG, les RI/RTF et leur syndicat d'exercer leur liberté syndicale et violent l'al. 2d) de la Charte et l'article 3 de la Charte québécoise. Ce contrôle total constitue une ingérence sur les questions importantes de la négociation et sur l'existence même du syndicat.  Cette atteinte au droit d'association garantie par l'al. 2d) est substantielle au sens de l'arrêt Health Services, précité.

 

(soulignement ajouté)

 

[274]     Par conséquent, la Cour invalide les deux lois.

[275]     C’est alors que la  Loi sur la représentation des ressources de type familial et de certaines ressources intermédiaires et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant[98] et la Loi sur la représentation de certaines personnes responsables d’un service de garde en milieu familial et sur le régime de négociation collective les concernant[99] sont adoptées en 2009. Elles attribuent à la Commission, maintenant au Tribunal, la compétence de la mise en œuvre des rapports collectifs de travail. Elles permettent aux RI/RTF et aux RSG de se regrouper en association reconnue aux fins des relations du travail, de négocier et de conclure une entente collective incluant une procédure de règlement des mésententes. Elles accordent aussi une protection contre l’ingérence et l’entrave et un recours pour non-respect à l’obligation de négocier de bonne foi. Elles ont un droit d’exercer une action concertée.

Les travailleurs agricoles

[276]     Le 22 octobre 2014, le Code est amendé afin d’ajouter le chapitre V.3 (articles 111.27 à 111.32). Ce nouveau chapitre constitue un régime particulier pour les travailleurs agricoles, auparavant visés par l’alinéa 21 (5) du Code, qui excluait de la définition de « salarié » ceux à l’emploi d’une ferme employant moins de trois personnes « ordinairement et continuellement ». Ceux-ci ne pouvaient donc se syndiquer.

[277]     L’adoption de ce régime fait suite à une décision rendue par la Commission en 2010, confirmée par la suite par la Cour supérieure en 2013, accréditant des travailleurs agricoles, et ce, après avoir décidé que l’exclusion de l’alinéa 21 (5) du Code violait la liberté d’association garantie aux chartes canadienne et québécoise[100].

[278]     En vertu de ce nouveau régime, l’employeur doit donner à une association de salariés de son exploitation agricole une occasion « raisonnable » de présenter des observations, verbalement ou par écrit, au sujet des conditions d’emploi de ses membres. Il est tenu de les examiner et d’échanger avec les représentants de l’association. Les parties doivent respecter l’obligation de diligence et de bonne foi. Un recours au Tribunal est prévu en cas de non-respect de ces obligations. Une protection contre l’ingérence de l’employeur dans les libertés syndicales est aussi prévue.

Les artistes

[279]     La Loi sur le statut professionnel et des conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma[101], adoptée en 1987, établit un régime de relations du travail pour les artistes, qui, bien que considérés comme des travailleurs autonomes, bénéficient d’un système de représentation collective. Elle établit un mécanisme de reconnaissance d’associations d’artistes et d’associations de producteurs ainsi qu’un régime de négociation collective entre les associations reconnues d’artistes d’une part, et les producteurs ou les associations de producteurs, d’autre part, reconnues ou non.

[280]      La définition du secteur de négociation et du caractère représentatif relève du Tribunal. La reconnaissance accorde à l’association un monopole de représentation aux fins de la négociation d’ententes collectives portant sur les conditions minimales d’engagement des artistes par les producteurs. Les mésententes sur l’interprétation de l’entente collective sont soumises à un arbitre. Une protection contre l’ingérence de l’employeur est prévue. La loi prévoit l’obligation de négocier de bonne foi et des mécanismes en cas d’impasse dans les négociations, dont le droit à l’action concertée (articles 34 et 38).

Les travailleurs de l’industrie de la construction

[281]     Les travailleurs et employeurs de l’industrie de la construction sont assujettis à un régime de relations du travail, à maints égards différents de celui du Code. La Loi sur les relations du travail, de la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction[102] désigne cinq associations représentatives et prévoit quatre secteurs de négociation, chacun régi par une convention collective (secteurs commercial, génie civil et voirie, industriel et résidentiel).

[282]     La Commission de la construction du Québec (la CCQ) organise et surveille la tenue du scrutin d’adhésion syndicale et constate la représentativité de chacune des associations. Des cotisations syndicales sont prélevées à même le salaire. Les associations représentatives et les employeurs négocient la convention collective applicable au secteur, laquelle comprend un recours à l’arbitrage en cas de différends sur son application ou son interprétation. En cas de difficultés, un processus de conciliation, puis de médiation, est prévu par la loi. Un recours en cas de non-respect de l’obligation de négocier de bonne foi est prévu. Le droit de grève et de lock-out est permis, à certaines conditions. Le Tribunal a compétence pour rendre une ordonnance en cas de grève, de ralentissement de travail ou de lock-out contraires aux dispositions de la loi (article 58.1).

[283]     Les avantages sociaux sont définis par le Comité sur les avantages sociaux de l’industrie de la construction, dont les membres sont désignés par les associations représentatives et les associations d’employeurs.

[284]     Le chapitre IX (articles 94 et suivants) de la loi est consacré à la liberté syndicale. Notamment, un recours contre la domination et l’entrave est prévu auprès du Tribunal.

Les procureurs aux poursuites criminelles et pénales

[285]     Exclus par l’article 1l) 4° du Code, les procureurs aux poursuites criminelles et pénales ont accès à un régime spécifique, édicté par la Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective. Ce régime a fait l’objet de modifications importantes en 2011, à la suite de la ronde des négociations du secteur public en 2010 et des conflits qui ont eu cours à cette occasion.

[286]     Cette loi prévoit la reconnaissance de l’association regroupant la majorité absolue des procureurs, « à l’exception des procureurs en chef, des procureurs en chef adjoint et de ceux qu’il [le directeur des poursuites criminelles et pénales] estime approprié d’exclure en raison des fonctions confidentielles qui leur sont confiées et qui sont reliées aux relations du travail » (article 10). La vérification du caractère représentatif est confiée au Tribunal. Une cotisation syndicale est prélevée à même le salaire.

[287]     Les parties peuvent conclure une entente collective pour une durée de quatre ans portant sur les conditions de travail. Les parties sont tenues de négocier de bonne foi et peuvent recourir au Tribunal si nécessaire.

[288]      En cas d’impasse, outre un processus de médiation, la loi prévoit la nomination d’un arbitre qui fait des recommandations au gouvernement. Celui-ci peut les approuver, les refuser ou les modifier, en faisant part de ses motifs. Tout litige sur l’interprétation et l’application de l’entente collective peut être soumis à la Commission de la fonction publique.

[289]     Un comité sur la rémunération énonce des recommandations au gouvernement. L’Assemblée nationale peut les approuver, les rejeter ou les modifier, avec motifs.

[290]     Le droit de grève est interdit.

Les membres de la Sûreté du Québec

[291]     Tout comme les cadres et les procureurs aux poursuites criminelles et pénales, les membres de la Sûreté du Québec, corps policier provincial, sont exclus de la définition de « salarié » du Code (article 1l) 5°). Ils bénéficient toutefois d’un régime particulier établit par la Loi sur le régime syndical applicable à la Sûreté du Québec. Rappelons aussi que les conventions internationales permettent de faire une exception concernant le droit à la syndicalisation pour les corps policiers.  

[292]     L’association qui regroupe la majorité absolue des membres est reconnue par le gouvernement, qui doit avoir la liste des membres et s’assure de son caractère représentatif.

[293]     Cette loi prévoit la création d’un comité paritaire afin de négocier un « contrat de travail », selon des sujets définis par la loi, notamment les conditions à caractère financier et les horaires de travail, et de décider des griefs relatifs à son application. En cas d’impasse des négociations, un processus d’arbitrage de différends est prévu, la grève n’étant pas permise. Le résultat des négociations ou du processus d’arbitrage de différends doit cependant être approuvé par le gouvernement.

[294]     Ayant définit la portée de la liberté d’association et décrit tant le régime législatif général que les régimes particuliers, il y a lieu de déterminer si l’exclusion du statut de cadre prévue au Code porte atteinte à la liberté d’association dans le présent contexte.

L’exclusion du statut de cadre viole-t-elle la liberté d’association?

[295]     L’exclusion du statut de cadre de la définition de « salarié » du Code porte-t-elle atteinte à la liberté d’association garantit par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne et par l’article 3 de la Charte québécois des personnes visées par la requête en accréditation?

[296]     Le Tribunal conclut que c’est le cas. Il devra donc se pencher par la suite sur la justification d’une telle violation en vertu d’une société libre et démocratique.

[297]     D’abord, l’application des principes aux faits communs aux deux dossiers sera  abordée, puis celle aux faits particuliers du présent dossier.

[298]     Selon la méthode d’analyse établit par la Cour suprême dans l’arrêt Big M Drug Mart [103] et suivie dans l’arrêt APMO, précité, le Tribunal examinera, en premier lieu, l’objet de l’exclusion du statut de cadre (1), puis, dans un deuxième temps, ses effets (2). Par la suite, le Tribunal analysera la responsabilité de l’État à l’égard de l’entrave substantielle (3).

L’objet de l’exclusion du statut de cadre de la définition de salarié

[299]     Soulignons, d’emblée, que n’eût été l’exclusion mentionnée à l’article 1l) 1° du Code, le cadre répond à la définition de salarié en ce sens qu’il est une personne qui travaille pour un employeur moyennant une rémunération.

[300]     Cette exclusion se trouvait déjà dans la première loi organisant les rapports collectifs au Québec, la Loi des relations ouvrières, entrée en vigueur en 1944 et établissant un régime de rapports collectifs fondé sur le modèle Wagner.

[301]     L’objet de l’exclusion des cadres de la définition de «salarié », à l’article 1l) 1° du Code vise à empêcher les représentants d’un l’employeur de négocier collectivement leurs conditions de travail, par crainte que cela ne les place en situation de conflits d’intérêts, tel que souligné en doctrine :

Le champ d’application du Code du travail trouve sa spécificité dans une série d’exclusions catégorielles parmi les personnes qui sont néanmoins des employés (article 1l), 1° à 7° C.t.). Cet aspect privatif de la définition du «  salarié » s’appuie, selon les cas, sur deux ordres de motifs. Quelques-unes des personnes exclues sont soumises à un autre régime de rapports collectifs. Le plus souvent toutefois, l’exclusion exprime une appréhension de conflits d’intérêts qui pourrait naître pour les personnes en cause de leurs fonctions et responsabilités, au service de l’employeur, d’une part et de la négociation collective de leurs conditions de travail, d’autre part.

 

(Robert P. GAGNON et LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS, Le droit du travail du Québec, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 347.)

 

Le Code du travail exclut le personnel associé d’une façon ou d’une autre à la direction ou à la gestion de l’entreprise de la définition du terme « salarié». Ces exclusions viennent limiter l’aire d’application du Code du travail (article1l), 1° à 7° C.t.) pour des personnes qui sont, par ailleurs, des employés. Cet aspect privatif de la définition du « salarié »  s’appuie, d’une part, sur l’appréhension d’un conflit d’intérêts qui pourrait naître de la responsabilité du personnel de direction à l’endroit des intérêts de l’employeur, et d’autre part, de l’éventualité que ces personnes négocient collectivement ses conditions de travail .

 

(Geneviève BEAUDIN et autres, « Le Code du travail : champ et autorités d’application », dans Collection de droit 2015-2016, École du Barreau, vol. 8, Droit du travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 93.)

 

(soulignement ajouté)

 

[302]     La Procureure générale plaide que l’exclusion des cadres du régime d’accréditation du Code ne limite pas pour autant le droit d’association. Le régime, mis en place par le législateur selon le modèle Wagner, imposerait de diviser l’entreprise en deux groupes : les représentants de l’employeur d’un côté, les salariés de l’autre. Étant des représentants de l’employeur, les cadres sont exclus à ce titre du groupe des salariés, afin d’éviter les conflits d’intérêts : « Ainsi, les cadres négociant collectivement seraient tiraillés entre leurs propres intérêts et leur rôle de représentants de l’employeur[104]. » La Procureure générale cite d’autres dispositions du Code, lesquelles seraient incompatibles avec le fait de permettre aux cadres de se syndiquer : l’interdiction pour l’employeur de s’ingérer dans les affaires syndicales et les dispositions anti-briseurs de grève.

[303]     D’une part, la Cour suprême a reconnu que le droit de pouvoir négocier collectivement ses conditions de travail fait partie de la liberté d’association.

[304]     D’autre part, l’appréhension de conflits d’intérêts ne permet pas d’occulter que l’objet de l’exclusion du statut de cadre est bel et bien de les empêcher de négocier collectivement leurs conditions de travail. Ils ne peuvent avoir des intérêts collectifs distincts de ceux de la direction, en raison de la prémisse qu’ils forment avec elle un tout unique et indivisible.

[305]     Dans l’arrêt APMO, précité, la Cour suprême a considéré que l’objet de l’exclusion des membres de la GRC de la définition de « fonctionnaire » du régime général d’accréditation visait à les empêcher d’exercer leur liberté d’association, et ce, même si l’objectif était d’éviter les conflits d’intérêts qu’aurait pu provoquer leur allégeance avec d’autres travailleurs[105]. L’objet de l’exclusion constituait une entrave substantielle à la liberté d’association.

[306]     Or, lorsque l’objet d’une mesure porte atteinte à une liberté fondamentale, il n’est normalement pas nécessaire d’en examiner les effets et seule la preuve d’une justification dans une société libre et démocratique permet de la sauvegarder[106]. Cependant, bien que l’objet de l’exclusion des cadres porte atteinte au droit de négocier collectivement, on ne se trouve pas dans un cas où il y a une négation complète de liberté d’association. Il demeure donc nécessaire d’en évaluer les effets et si ceux-ci constituent une entrave substantielle.

Les effets de l’exclusion des cadres de la définition de salarié

[307]     L’analyse portera d’abord sur l’impact de l’exclusion du statut de cadre sur l’indépendance des associations, puis sur leur capacité à négocier collectivement les conditions de travail de leurs membres. Ce dernier point amènera le Tribunal à se pencher sur l’absence de mécanismes pour sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi et en cas d’impasse dans les négociations.

1. Les atteintes à l’indépendance des associations

[308]     Dans l’arrêt APMO, précité, la Cour suprême établit qu’un processus véritable de négociation nécessite le droit pour les employés de pouvoir former une association indépendante de la direction et d’y adhérer. Parmi les facteurs à considérer, elle cite la liberté de modifier l’acte constitutif et les règles de l’association, la liberté de choisir les représentants et le contrôle sur l’administration financière et sur les activités que l’association décide de mener (par. 89).

[309]     Ces facteurs sont satisfaits, tant pour l’ACSCQ que pour l’APCPNHQ. Cela signifie-t-il pour autant, comme le voudraient les employeurs et la Procureure générale, que les deux associations jouissent de l’indépendance requise aux fins de la liberté d’association?

[310]     Il faut rappeler que la Cour suprême énonce ces principes alors qu’elle se penche sur la constitutionnalité d’un régime imposant aux membres de la GRC une instance de représentation qu’ils n’ont pas choisie. Les facteurs que la Cour énumère dans ce contexte ne sont pas limitatifs, comme il ressort de son introduction : « Au nombre des facteurs à considérer dans l’examen de l’indépendance [...][107] ». Dans l’arrêt APMO, précité, la détermination du groupe visé ou du caractère représentatif n’étaient pas en cause. C’est le cas cependant en l’espèce.

[311]     La reconnaissance de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ est faite sur une base volontaire par leur employeur respectif. Tant le caractère représentatif des deux associations en cause que la détermination du groupe pour lequel elles sont reconnues relèvent de l’entière discrétion de l’employeur. Dans les deux cas, il existe des désaccords sur les personnes pouvant être représentées par elles. Ce sont les employeurs qui seuls en décide. De surcroit, il n’existe aucune protection contre l’ingérence ou l’entrave, élément que la Cour suprême a jugé essentiel afin que l’objectif de la négociation collective puisse être atteint[108].

2. La capacité à négocier collectivement les conditions de travail

·               Le déséquilibre du rapport de force

[312]     Comme le souligne la Cour suprême dans la trilogie de 2015, on ne peut occulter le déséquilibre du rapport de force entre les employés et l’employeur. Alors que dans l’arrêt Dunmore, précité, la Cour traitait de la vulnérabilité particulière du groupe des travailleurs agricoles, dans l’arrêt APMO, précité, elle réfère plus largement à celle des employés par rapport à leur employeur.

[313]     La Procureure générale fait état de la capacité d’organisation du groupe des cadres et des moyens dont ils disposent pour faire valoir leurs droits. Cette affirmation mérite d’être nuancée, car le groupe des cadres n’est pas une réalité homogène et toujours bien définie, comme le souligne le professeur Coutu.

[314]     D’une part, la situation varie selon qu’on se situe dans le secteur privé ou dans les secteurs public ou parapublic, ainsi qu’en fonction du nombre de cadres d’une entreprise. D’autre part, la notion de cadre couvre une vaste réalité de fonctions, s’étend à plusieurs rangs hiérarchiques et peut varier selon la taille et la structure de l’organisation.

[315]     En l’espèce, les personnes en cause sont des cadres de premier niveau, dans une organisation qui comprend cinq paliers ou plus de gestion. Ils sont souvent issus eux-mêmes du groupe qu’ils supervisent. Tout en étant « les yeux et les oreilles de l’employeur sur le plancher », ils ne bénéficient pas de la relation privilégiée que peuvent entretenir les cadres de niveaux supérieurs avec l’entreprise. Ils ne participent pas aux orientations de l’entreprise. Ils ne jouent pas non plus de rôle stratégique dans les relations du travail : ils ne négocient pas les conventions collectives; ils en assurent l’application dans le quotidien des activités. En résumé, les cadres de premier niveau sont véritablement entre « l’arbre et l’écorce ».

[316]     À cela s’ajoute qu’en l’espèce, les employeurs en cause, des sociétés d’État, sont des entités puissantes, possédant d’importants moyens, et étroitement liées à l’appareil gouvernemental, dont elles bénéficient du soutien. La complexité de leur structure et le nombre d’intervenants alourdissent aussi la tâche des associations.

[317]     Enfin, la difficulté à établir un rapport de force peut découler également du facteur culturel, mentionné par le professeur Coutu comme un des éléments limitant la syndicalisation des cadres. Le statut de représentants de l’employeur est susceptible de produire un certain inconfort à revendiquer non seulement la syndicalisation, un système qui est associé au Québec aux échelons inférieurs dans l’entreprise, mais aussi à revendiquer tout court.

[318]     On peut noter que les employeurs bannissent de leur langage des termes qui renvoient trop directement au régime général du Code. On évite soigneusement celui de « négociations » en préférant plutôt employer «  consultations » ou « discussions »; on se garde de toutes références au caractère « collectif » de l’entente ou du protocole conclut avec l’association; on refuse d’y inclure les conditions de travail, qui restent dans des documents distincts, émanant de l’employeur. À plusieurs reprises, que ce soit lors des rencontres avec la direction ou avec le gouvernement, la CNCQ, l’ACSCQ ou l’APCPNHQ doivent « rassurer » la direction quant à leur volonté de collaborer et se garder d’avoir une approche de « syndicat » au lieu d’une de « partenariat .

[319]     Ces choix linguistiques vont au-delà d’une simple question sémantique. Ils traduisent un état d’esprit, soit la réticence des employeurs à ce que leurs cadres négocient collectivement leurs conditions de travail.

[320]     Sans être un groupe vulnérable au même titre que des travailleurs agricoles saisonniers, les cadres de premier niveau sont dans une position délicate dans le contexte de leur rapport de force avec la direction, qui crée un déséquilibre dans la négociation collective.

·               L’incapacité à négocier des conditions de travail d’importance

[321]     Les associations avancent que la liberté d’association garantit le « droit à un véritable processus de négociation » alors que leurs opposants préfèrent référer au « droit de soumettre des représentations à l’employeur et au droit que celui-ci les prenne en considération ». Or, il faut y voir un même droit, bien qu’exprimé différemment par la Cour suprême.

[322]     Quelle que soit la façon dont on l’expose, la liberté d’association ne protège pas l’atteinte de résultats, mais le processus de négociation. Cependant, celui-ci ne doit pas se limiter à un simple exercice de façade. La Cour suprême rappelle dans l’arrêt Health Services, précité, la nécessité d’établir un véritable dialogue, afin d’arriver à un contrat acceptable. Si l’arrêt Fraser, précité, a pu sembler restreindre la portée du droit protégé par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne, la trilogie de 2015 dissipe tout doute à cet égard[109].  

[323]     De façon assez paradoxale, la Procureure générale, après avoir rappelé que seul le processus était garanti et non les résultats, souligne néanmoins les bonnes conditions de travail qu’ont les cadres, généralement supérieures à celles des employés sous leur supervision. Elle mentionne aussi que les cadres bénéficient des efforts des groupes syndiqués. Or, ce faisant, on tente de justifier le processus par le résultat, ou plutôt de combler les lacunes évidentes du processus en faisant état des acquis.

[324]     Le droit de négocier collectivement ses conditions de travail renvoie justement au « besoin fondamental des travailleurs de participer à la réglementation de leur milieu de travail » (Health Services, précité, par. 63). Il encourage «la dignité humaine, la liberté et l’autonomie des travailleurs en leur donnant l’occasion d’exercer une influence sur l’adoption des règles régissant leur milieu de travail et, de ce fait, d’exercer un certain contrôle sur un aspect d’importance majeur de leur vie, à savoir leur travail » (Health Services, précité, par. 82). Le statut des membres de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ ne doivent pas avoir pour conséquence de les priver de leur droit de les négocier ni dispenser leur employeur de participer à un véritable processus de négociation.

[325]     La preuve démontre que plusieurs sujets fondamentaux ne sont tout simplement pas ouverts à la discussion. À titre d’exemple, l’inclusion de conditions de travail pour l’ACSCQ dans le protocole ou l’ajout de conditions de travail pour l’APCPNHQ dans l’entente, la détermination du groupe qu’elles représentent, les conditions de travail à incidence salariale ou un mécanisme de règlements des différends sont autant de sujets qui ne sont pas négociables.

[326]     De plus, bien que l’ACSCQ et l’APCPNHQ doivent être consultées par leur employeur respectif avant toute modification de leurs conditions de travail, ce n’est pas toujours le cas. Les mouvements de personnel ou les conditions à incidence salariale en sont des exemples. Nous y reviendrons en examinant la preuve précise à chaque dossier.

[327]     Le non-respect du protocole ou de l’entente n’est soumis à aucun processus d’arbitrage. Il en est de même en cas de difficultés d’interprétation ou d’application des conditions de travail non contenues dans l’entente collective. Or, le respect des engagements pris et des résultats obtenus au terme du processus de négociation collective est une composante même de l’obligation de négocier de bonne foi[110], qui sera abordée à la prochaine section. Comme le précise la Cour suprême dans l’arrêt Health Services, précité, « [a]gir de mauvaise foi ou annuler de façon unilatérale des modalités négociées, sans véritables discussions et consultations peut aussi grandement saper le processus de négociation collective » (par. 92). L’absence d’un tel mécanisme rend théoriques les droits consentis.

·               L’obligation de négocier de bonne foi

[328]     Étant exclues du régime général prévu au Code et en l’absence d’un régime répondant aux exigences constitutionnelles, l’ACSCQ et l’APCPNHQ  n’ont pas accès à un mécanisme permettant d’assurer le respect des obligations de négocier de bonne foi et avec diligence.

[329]     Cette situation se distingue de celle à la base de l’arrêt Fraser, précité, où l’existence d’un tribunal spécialisé permettant de sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi a été déterminante dans la décision de la Cour suprême à maintenir le régime mis en place. Dans l’arrêt Saskatchewan, précité, la Cour suprême affirme à nouveau que le droit de faire des représentations à l’employeur et de les voir prises en considération de bonne foi « comprend l’accès à une voie de recours advenant que l’employeur ne négocie pas de bonne foi » (par. 29). Le Comité de la liberté syndicale, lui,  souligne que l’accès à une instance spécialisée est nécessaire pour que la protection contre l’ingérence de l’employeur soit efficace[111].

[330]     Les employeurs soutiennent que l’obligation de bonne foi étant incluse au Code civil Québec et à la Charte québécoise, les tribunaux de droit commun constituent une voie de recours qui permet de sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. Les exigences constitutionnelles seraient ainsi respectées.

[331]     Cette approche occulte le contexte particulier de la négociation collective.

[332]     En effet, on ne peut transposer les règles qui gouvernent les contrats en droit civil sans tenir compte des particularités des rapports collectifs de travail. Même si, en l’espèce, ces rapports ne sont pas encadrés par un régime législatif, l’entente collective qui en résulte s’appliquera à l’ensemble des membres de l’association, si ce n’est du groupe pour lequel elle est reconnue, sans que ceux-ci aient exercés individuellement leur liberté contractuelle. Dans ce contexte de relations du travail, la nécessité d’avoir accès à un tribunal souple, rapide et expert a été maintes fois soulignée par la Cour suprême dans des affaires relatives à la compétence de l’arbitre de griefs. Ainsi, dans l’arrêt Weber c. Ontario Hydro[112], elle écrit:

[15] La seconde différence tient dans l'organisation et le fonctionnement institutionnels des tribunaux administratifs par opposition à ceux des cours de justice. Les tribunaux administratifs sont censés fournir aux instances décisionnelles une connaissance spécialisée que les cours de justice sont incapables d'offrir. Leur structure permet également que les décisions soient rendues dans un plus bref délai et à un coût moindre que ne le feraient les cours de justice.

 

[333]     Dans Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15[113], elle ajoute :

[35] […] Le domaine des relations de travail est délicat et explosif.  Il est essentiel de disposer d’un moyen de pourvoir à la prise de décisions rapides, par des experts du domaine sensibles à la situation, décisions qui peuvent être considérées définitives par les deux parties.

 

[334]     Or, a fortiori, s’il est nécessaire de pouvoir accéder à une instance spécialisée pour l’application de la convention, cela l’est d’autant plus dans un contexte de négociation collective, où le rapport de force est en cause. Rappelons que la Cour suprême a insisté sur la vulnérabilité des employés face à leur employeur dans un tel contexte et sur la nécessité d’un processus de négociation collective qui permette de rétablir l’équilibre.

[335]     Par ailleurs, le recours serait exercé dans la phase précontractuelle, puisque les parties seraient à l’étape de la négociation du « contrat » collectif. Le tribunal saisi d’un recours pour violation de négocier de bonne foi doit pouvoir ordonner la reprise des négociations ou même la signature de l’entente. Or, il n’est pas certain que les tribunaux de droit commun puissent sanctionner un manquement à une obligation précontractuelle autrement que par l’octroi de dommages-intérêts[114]. Quoi qu’il en soit, une ordonnance pour forcer l’employeur à négocier de bonne foi ou à signer l’entente n’étant pas de nature provisoire, les délais, dans lesquels elle pourrait être rendue par un tribunal de droit commun, rendraient la solution bien souvent sans portée réelle.

[336]      Aussi, le recours à un tribunal de droit commun pour sanctionner une violation à l’obligation de négocier de bonne foi ne se compare pas à celui d’une instance spécialisée en raison de son accessibilité, sa rapidité et de son expertise en relations du travail.

[337]      Il ressort d’ailleurs de plusieurs régimes spécifiques que le législateur a prévu un mécanisme pour sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi et qu'il en a confié la responsabilité au Tribunal. C’est notamment le cas dans le régime des RI/RTF et RSG adopté en 2009 et dans celui des travailleurs agricoles saisonniers, adoptés encore plus récemment en 2014.

·               La suppression du droit de grève

[338]     Avant d’aborder la reconnaissance du droit de grève dans le présent contexte, il convient de disposer de l’argument de la Procureure générale selon lequel les avis d’intention en vertu de l’article 95 Cpc qui lui ont été transmis par les associations demanderesses ne font pas mention de cette question.

[339]     En premier lieu, le débat constitutionnel prend place dans le cadre de deux requêtes en accréditation. L’ACSCQ et de l’APCPNHQ demandent ainsi à pouvoir bénéficier du régime de négociation collective du Code, qui comprend le droit de grève. En deuxième lieu, les avis mentionnent que l’exclusion du Code les prive des mécanismes de négociation d’une entente collective[115]. Enfin, ce n’est qu’en 2015, que la Cour suprême a enchâssé en quelque sorte le droit de grève dans le droit à un véritable processus de négociation collective qu’octroie la liberté d’association. S’ensuit que cette question est nécessairement incluse dans le débat constitutionnel. Les avis transmis à la Procureure générale cernent avec suffisamment de précision le débat constitutionnel pour que le droit de grève puisse être soulevé, sans surprise pour l’État.

[340]     Cela étant, la Procureure générale invite le Tribunal à restreindre la portée de l’arrêt Saskatchewan, précité, en raison du contexte dans lequel les principes y ont été énoncés, soit celui du retrait du droit de grève à des salariés régis par une législation de relations du travail de type Wagner. Elle cite en particulier les paragraphes 45 et 46 du jugement qui se lisent ainsi :

[45]      Selon George W. Adams, [TRADUCTION] « [t]outes les lois consacrent l’obligation de reporter l’exercice du droit de lock-out et du droit de grève jusqu’à l’épuisement de tous les mécanismes de règlement » (¶ 1.250). Le compromis établi par le modèle de relations de travail fondé sur la Loi Wagner, qui limite l’exercice du droit de grève pour mettre l’accent sur le règlement négocié de questions liées au travail, reste au cœur des relations de travail au Canada. Ce n’est certes pas le seul modèle existant, mais c’est celui qui s’applique au pays et qui doit être examiné à la loupe au regard de l’al. 2d).

 

[46]      Il importe toutefois de souligner que la reconnaissance du droit de grève n’est pas propre au seul modèle Wagner; elle est de la plupart des modèles de relations de travail. Et lorsque l’histoire montre l’importance de la grève pour le bon fonctionnement d’un modèle de relations de travail en particulier, comme c’est le cas du modèle fondé sur la Loi Wagner, on ne doit pas s’étonner que la suppression du droit de grève légal soit considérée comme une entrave substantielle à la négociation collective véritable. En effet, on reconnaît depuis longtemps que le pouvoir des travailleurs de cesser collectivement le travail aux fins de la négociation de leurs conditions de travail - le droit de grève, en somme - constitue une composante essentielle de la poursuite, par les travailleurs, d’objectifs liés au travail. Comme l’indique le professeur H. D. Woods dans le rapport décisif qu’il a déposé en 1968, « [a]ccepter un régime de négociation collective, c’est implicitement reconnaître le droit de recours aux sanctions économiques » (Les relations du travail au Canada : Rapport de l’Équipe spécialisée en relations de travail (1969), p. 192). La grève fait “partie intégrante du régime canadien de relations du travail” et elle “est devenue partie intégrante de notre régime démocratique”» (p. 142 et 193).

 

[341]     Or, la Cour souligne justement que le droit de grève n’est pas propre au régime du modèle Wagner. De surcroit, elle réfère aux valeurs inhérentes à la Charte (par. 53) et au droit international (par. 62) afin de constitutionnaliser le droit de grève. Or, le droit international considère ce droit applicable aux cadres.

[342]     De plus, les juges dissidents de la Cour suprême dans l’arrêt Saskatchewan, précité, reprochent à ceux de la majorité qu’en faisant du droit de grève une composante « essentielle », « cruciale », « nécessaire » et « indispensable » à la protection du processus véritable de négociation collective pour l’application de l’alinéa 2d) de la Charte canadienne, celui-ci ne s’appliquera pas seulement au cas par cas, mais à toute limitation du droit de grève (par. 109). Ce faisant, ils confirment la portée du principe établie par la majorité.

[343]     Comme autre argument, la Procureure générale ajoute que le fait d’être exclus du régime d’accréditation du Code ne prive pas pour autant les cadres de pouvoir exercer leur droit de grève.

[344]     Le Tribunal ne peut adhérer à cette thèse.

[345]     En dehors de la législation qui l’encadre, un employé, seul ou de façon concertée avec d’autres, qui cesse de fournir sa prestation de travail, est passible de se voir imposer des mesures disciplinaires, voire d’être congédié. De plus, on ne peut faire fi du fait que les personnes en cause sont justement des cadres, représentants de l’employeur, qui, de par leur statut et leur culture, peuvent être réticentes à recourir à de tels moyens de pression dans l’état actuel des choses.

[346]     L’exclusion du régime général a pour effet de priver les cadres de pouvoir exercer le droit de grève. Or, c’est le moyen par excellence qui permet d’assurer une participation véritable au processus de négociation collective et d’établir un rapport de force entre les parties. Le législateur ne peut le limiter d’une manière qui entrave substantiellement le processus véritable de négocier collectivement[116]. En l’espèce, il est supprimé, sans être remplacé par un autre mécanisme.

[347]     Or, la preuve a démontré l’incapacité des deux associations demanderesses à rétablir un rapport de force et à négocier pour leurs membres sur des objets d’importance. Les employeurs en cause ont toujours le dernier mot et ne sont passibles d’aucune forme de pression.

[348]     La suppression du droit de grève, sans autre mécanisme, constitue alors une entrave substantielle au droit à la négociation collective de l’ACSCQ et de l’ASCPNHQ.

La responsabilité de l’État dans l’entrave substantielle

[349]     La Procureure générale soulève deux arguments qui touchent à la responsabilité de l’État : d’une part, si l’entrave substantielle au processus véritable de négociation collective était constatée, elle ne serait pas du fait de l’État; d’autre part, sauf exception qui n’est pas présente en l’espèce, l’État n’a pas une obligation d’intervention positive afin de permettre l’exercice d’une liberté garantie par les chartes, mais uniquement un devoir de non-ingérence. Le Tribunal examinera l’un et l’autre de ces arguments.

1. Est-ce que l’entrave substantielle est causée par l’État?

[350]     La Procureure générale soumet que ce n’est pas le processus en soi qui pose problème, mais l’application qu’en feraient les deux employeurs.

[351]     Soulignons d’abord que la Procureure générale ne plaide pas que les chartes ne trouvent pas application, les employeurs étant deux sociétés d’État. Cependant, elle soutient que la preuve démontrerait que les autres cadres sont satisfaits de leurs conditions de travail et ne souhaitent pas se syndiquer. Le recours approprié serait donc de demander une réparation en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne[117] ou de l’article 49 de la Charte québécoise[118] à l’égard de ces seuls employeurs afin de corriger la situation.

[352]     Le Tribunal ne fait pas la même lecture de la preuve que la Procureure générale. Toutefois, il est inutile de s’y attarder, car il n’est pas pertinent de déterminer si les cadres en général s’accommodent ou non de leur situation. Le Tribunal est saisi de deux requêtes en accréditation et doit considérer la preuve à l’égard des associations demanderesses.

[353]     Par ailleurs, accepter la proposition de la Procureure générale reviendrait également à laisser le soin à chaque employeur d’adopter un modèle qui accorde aux employés les protections adéquates dans leurs interrelations avec lui, notamment des mécanismes permettant de rétablir le rapport de force ou de sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi. C’est peu probable, pour ne pas dire irréaliste.

[354]     De plus, on ne peut ignorer le non-respect des engagements internationaux en l’espèce et le comportement du gouvernement dans la plainte au BIT de plusieurs associations de cadres du Québec.

[355]     L’importance des droits reliés au travail, et en particulier de la liberté d’association, en droit international ressort de la place qu’on leur consacre dans un ensemble de documents, tels que des conventions, pactes, déclarations. Le fait d’être membre de l’OIT implique l’adhésion aux principes  fondamentaux au travail qu’elle a adoptés. La mise sur pied d’un mécanisme de contrôle, le Comité de la liberté syndicale, qui traite des plaintes, rend une décision énonçant des recommandations visant à corriger une violation et assure un suivi du respect de ses recommandations, traduit la volonté des membres de l’OIT de donner une force effective aux outils internationaux afin qu’ils ne demeurent pas lettre morte.

[356]     Rappelons que le Canada est membre de l’OIT et a ratifié plusieurs documents d’importance en la matière à savoir le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention 87 :

[71]      […] Cela signifie que ces documents dégagent non seulement le consensus international, mais aussi des principes que le Canada s’est lui-même engagé à respecter[119].

 

[357]     Depuis l’arrêt Dunmore, précité, la Cour suprême réitère l’importance des engagements internationaux en matière de droit du travail afin d’interpréter le contenu de la liberté d’association garantie par la Charte canadienne. Il faut présumer que la Charte accorde une protection au moins aussi grande que les normes internationales contenues dans les conventions qui s’appliquent au Canada.

[358]     Dans la trilogie de 2015, la Cour suprême souligne, en particulier, la force persuasive des décisions du Comité de la liberté syndicale. Elle l’avait déjà fait dans l’arrêt Health Services, précité, en qualifiant les interprétations de la Convention 87 par les instances internationales comme « la pierre angulaire du droit international en matière de liberté syndicale et de négociation collective [120] ».

[359]     Or, en 2004, le Comité de la liberté syndicale s’est justement prononcé sur les plaintes de l’ACSCQ et l’APCPNHQ, l’une déposée directement, l’autre par la CNCQ, alléguant violation à leur liberté d’association. Le Comité a formulé des recommandations précisément à l’égard de l’exclusion des cadres de la définition de « salarié » dans le Code. Il a considéré que cette exclusion portait atteinte au droit à liberté d’association, tel que protégé par la Convention 87 et ratifiée par le Canada. Il a ainsi précisé que les associations de cadres au Québec bénéficiaient d’une reconnaissance qui demeurait précaire, se voyaient nier le droit à la négociation collective et le droit de grève et n’avaient aucune protection contre l’ingérence de l’employeur.

[360]     Le Comité de la liberté syndicale a enjoint au gouvernement de modifier le Code. Il lui a adressé des rappels à plusieurs reprises, sans succès.

[361]     En effet, le gouvernement, qui  a mis un temps considérable à créer un comité interministériel en mars 2005, n’a rencontré la CNCQ qu’en 2006, et ce, malgré ses nombreuses relances. Quant au Guide de bonne gouvernance, qui est présenté en 2007, trois ans après la décision du Comité de la liberté syndicale, il ne répond pas aux recommandations de celui-ci, en plus de ne pas être contraignant à l’égard des Sociétés d’État.

[362]     Les efforts de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ avec leur employeur respectif n’ont pas porté de fruits et aucun changement notable n’est survenu depuis la décision du Comité de la liberté syndicale à leur endroit.

[363]     Plus troublant encore, le gouvernement invoque auprès du Comité de la liberté syndicale les recours pendants devant le Tribunal, d’abord, en novembre 2010, pour réserver ses commentaires, puis, en novembre 2011, afin de prétendre que la présence du Procureur général aux procédures judiciaires maintient ainsi une forme de « dialogue ».

[364]     L’exclusion des cadres pose donc problème en regard des conventions internationales applicables au Canada, ce qui a été confirmé par une  instance internationale, dont les décisions ont une force persuasive selon la Cour suprême du Canada. Or, ni le gouvernement ni les employeurs en cause n’ont adopté de mesures significatives, depuis, pour régler la situation. Le non-respect de ses engagements emporte la responsabilité de l’État dans l’entrave substantielle du processus de négociation collective des associations demanderesses.

2. Les associations demandent-elles une intervention positive de l’État?

[365]     Selon la Procureure générale, l’ACSCQ et l’APCPNHQ revendiquent l’accès à un régime précis, à savoir l’accès aux mécanismes de la négociation collective prévus au Code. Or, l’obligation de l’État consiste à ne pas intervenir pour brimer la liberté d’association. Sauf cas exceptionnel qui n’a pas été démontré par les associations demanderesses, il n’a pas une obligation d’intervention positive afin de permettre l’exercice de cette liberté.  Aussi, souligne-t-elle, l’analyse doit se faire différemment selon que la demande conteste une mesure qui entrave la liberté d’association ou plutôt si elle revendique une intervention positive de l’État.

[366]     La Procureure générale invite le Tribunal à appliquer le test élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt Baier précité, où était en cause la liberté d’expression, décrit en ces termes:

[30] Dans les cas où le gouvernement qui défend une mesure contestée sur le fondement de la Charte plaide — ou que l’auteur de la demande fondée sur la Charte concède — que les droits positifs revendiqués sont demandés en vertu de l’al. 2b), le tribunal doit procéder comme suit. Dans un premier temps, il doit se demander si l’activité pour laquelle le demandeur réclame la protection de l’al. 2b) est une forme d’expression.  Dans l’affirmative, le tribunal doit, dans un deuxième temps, décider si le demandeur revendique un droit positif à une mesure gouvernementale ou simplement le droit d’être protégé contre l’ingérence du gouvernement.  Enfin, troisièmement, s’il s’agit d’une demande d’intervention positive, les trois conditions énoncées dans Dunmore doivent être prises en considération : (1) la demande doit reposer sur des libertés fondamentales garanties par la Charte plutôt que sur l’accès à un régime légal précis; (2) le demandeur doit démontrer que l’exclusion du régime légal constitue une entrave substantielle à l’exercice de l’activité protégée par l’al. 2b) ou que l’objet de l’exclusion était de faire obstacle à une telle activité; (3) l’État doit pouvoir être tenu responsable de toute incapacité d’exercer une liberté fondamentale.  Si le demandeur ne peut satisfaire à ces critères, la demande fondée sur l’al. 2b) sera rejetée. Si les trois conditions sont remplies, l’al. 2b) a été violé et le tribunal procédera alors à l’analyse fondée sur l’article premier.

 

(soulignement ajouté)

 

[367]     La première question qui se pose est de savoir s’il est opportun de recourir au cadre d’analyse déterminé dans l’arrêt Baier, précité, ainsi que le suggère la Procureure générale.

[368]     Dans l’arrêt APMO, précité, rappelons que la Cour suprême était saisie de deux questions, celle relative à la mise en place d’un mécanisme de représentation et celle de l’exclusion des membres de la GRC du régime de négociation collective de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la LRTFP). Cette deuxième question présente des similitudes avec celle en l’espèce.

[369]     En effet, tout comme les cadres sont exclus de la définition de salarié du Code depuis son origine, les membres de la GRC étaient exclus depuis les tous débuts de la définition de « fonctionnaire » de la LRTFP.

[370]     Dans le cas des cadres du Québec, l’exclusion a pour but, ainsi qu’il a été souligné, de les empêcher de négocier collectivement leurs conditions de travail afin d’éviter des conflits d’intérêts et garantir leur loyauté à l’employeur, dont ils sont des représentants. Les membres de la GRC se voyaient privés de tout droit de s’associer pour des raisons similaires : on considérait qu’ils ne pouvaient exercer d’activités associatives par crainte d’un conflit d’intérêts qu’aurait pu provoquer leur allégeance à la cause d’autres travailleurs (arrêt APMO, précité, par. 17).

[371]     De plus, la LRTFP établit un cadre général, fondé sur le modèle Wagner, qui établit un régime de négociation collective pour les employés de la fonction publique fédérale. Le Code, comme l’a qualifié la Cour suprême dans Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada inc., est « l’expression concrète et le mécanisme de mise en œuvre de la liberté d’association en milieu de travail au Québec [121] », et inspiré lui aussi de la Loi Wagner.

[372]     Or, La Cour suprême considère que demander l’inconstitutionnalité de l’exclusion n’est pas requérir une action positive de l’État, sans référence à l’arrêt Baier, précité. Elle écrit :

[131] […] La question à trancher dans la présente affaire est donc celle de savoir si l’objet de l’exclusion d’une catégorie particulière d’employés du régime de relations de travail contrevient de façon inacceptable aux droits constitutionnels des employés touchés. Il ne s’agit pas de savoir si le législateur doit prescrire un nouveau régime de relations de travail en présence d’un vide juridique.

 

(soulignement ajouté)

 

[373]     Dans un autre arrêt portant sur la liberté d’expression et postérieur à Baier, précité la Cour a considéré que des associations étudiantes qui demandaient à pouvoir afficher des publicités politiques sur les autobus de la société d’État, ce que la politique de cette dernière prohibait, ne revendiquaient pas une intervention positive de l’État, mais simplement de pas être entravées dans l’exercice de leur liberté d’expression dans une tribune déjà existante[122].

[374]     Pour les mêmes raisons, le Tribunal considère que l’exclusion du statut de cadre de la définition de « salarié » n’intervient pas dans un vide juridique.

[375]     L’historique de cette exclusion démontre qu’elle visait à empêcher les cadres de négocier collectivement. De plus, même si cela ne date pas d’hier, le législateur a dû intervenir après l’abolition de la reconnaissance volontaire des associations en 1969 afin que les associations de cadres qui bénéficiaient de cette reconnaissance puissent continuer à représenter leurs membres aux fins de négociation collective. On était alors bien conscient que l’abolition du régime de reconnaissance volontaire entravait la capacité de ses associations de poursuivre leur représentation dans des rapports collectifs de travail.

[376]     Le modèle de relations du travail mis en place par le législateur, soit une exclusion du régime général, prive les employés de « protections adéquates dans leurs interactions avec l’employeur de manière à créer une entrave substantielle à leur capacité de véritablement mener des négociations collectives », pour reprendre les termes de la Cour suprême dans l’arrêt APMO, précité au paragraphe 80. L’ACSCQ et l’APCPNHQ ne demandent donc pas à l’État d’intervenir positivement en adoptant une mesure, mais de s’abstenir de s’ingérer dans leur rapport de force par cette exclusion.

[377]     Rappelons aussi que les multiples démarches de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ auprès de différentes instances, soit directement, soit à travers la CNCQ, visaient non pas l’accès au Code, mais bien la reconnaissance d’abord par leur employeur de leur droit à un véritable processus de négociation collective, et ensuite auprès du gouvernement, d’un régime qui aurait permis de mettre en œuvre leur droit en vertu des chartes et du droit international.

[378]     Ainsi, l’inconstitutionnalité de l’article 1l) 1° qui est recherchée en l’espèce n’est que le résultat de cette incapacité à faire respecter leur droit constitutionnel à la liberté d’association. 

[379]     La Procureure générale avait soulevé le même argument selon lequel l’État n’a pas à prendre une mesure positive afin de permettre l’exercice de la liberté d’association dans deux dossiers où des personnes se trouvaient visées par une exclusion du régime d’accréditation du Code : en Cour supérieure, dans le cadre du recours relatif à la constitutionnalité des Loi 7 et 8 qui privaient les RI-RTF/RSG du statut de salarié, et devant la Commission, alors que les travailleurs agricoles saisonniers étaient exclus par une disposition du Code du droit de se syndiquer[123]. Dans les deux cas, il a été décidé que les demandes ne visaient pas une action positive de l’État[124].

[380]     Cela étant, même si l’on considère que les associations demanderesses requièrent une action positive de l’État, le Tribunal en arriverait à la même conclusion en appliquant les critères de l’arrêt Baier, précité. Pour les motifs exprimés précédemment, les associations demanderesses ont démontré qu’elles ne cherchent pas l’accès à un régime légal précis, mais plutôt à pouvoir exercer leur droit à un véritable processus de négociation collective. C’est leur incapacité à le faire en raison de leur exclusion du Code et de l’absence de tout autre régime législatif qui constitue une entrave substantielle. Enfin, l’État a une responsabilité dans l’entrave substantielle au processus de négociation collective des deux associations demanderesses.

[381]     Tous les éléments dont il a été fait mention précédemment amènent à conclure que l’État joue un rôle certain dans l’incapacité de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ à ne pouvoir jouir de leur droit à la négociation. Le modèle de relations du travail qui s’applique à ces deux associations n’établit pas « l’équilibre essentiel à la tenue d’une véritable négociation collective[125] » et constitue une entrave substantielle au droit à la négociation collective.

L’analyse des faits particuliers à la présente affaire  

1. La reconnaissance de l’association

[382]     L’ACSCQ est une association dûment constituée en vertu de la Loi sur les syndicats professionnels, ce qui lui permet d’ester en justice pour ses membres. Elle a adopté ses règlements, déterminé sa structure et choisi ses représentants, en toute indépendance de l’employeur. De plus, l’ACSCQ a fait l’objet d’une forme de reconnaissance volontaire par le Casino, qui avait des échanges avec ses représentants, avant même la conclusion du Protocole.

[383]     Tous ces éléments étayent les prétentions de la Société et de la Procureure générale selon lesquels l’ACSCQ jouit d’une véritable reconnaissance.

[384]     Certes, la présente situation est loin d’être similaire à celle qui prévalait dans l’arrêt APMO, précité, où les membres de la GRC étaient représentés par une instance qu’ils n’avaient pas choisie, ou à celle des travailleurs agricoles saisonniers à l’époque de l’affaire  rendue par  la Commission, alors que ceux-ci constituaient un groupe défavorisé et vulnérable.

[385]     Cependant, la Société détermine seule la portée de la reconnaissance qu’elle accorde à l’ACSCQ. C’est aussi elle qui en vérifie le caractère représentatif selon ses conditions. Enfin, ayant l’entière discrétion sur tout mouvement de personnel et des critères de mises à pied, elle a potentiellement le pouvoir d’affecter le caractère représentatif de l’ACSCQ.

[386]     La preuve démontre qu’avant même la signature du Protocole, l’ACSCQ a manifesté sa volonté de représenter tous les cadres de premier niveau et non plus seulement ceux affectés aux tables de jeux. Elle voulait aussi couvrir les deux établissements, le Casino et le Casino du Lac-Leamy. Outre le changement de nom qu’elle effectue en mai 2001 afin de viser tous les cadres de premier niveau du secteur des jeux, ses règlements internes, adoptés en 2005, reflètent son objectif de représentation élargie. Enfin, c’est l’unité de négociation qu’elle requiert dans sa requête en accréditation.

[387]     Ses demandes ont été refusées par le Casino, la Société et Loto-Québec, sans place à la discussion.

[388]     La représentation par établissement s’est imposée en raison du découpage des accréditations des croupiers.

[389]     Quant au caractère représentatif, l’employeur a décidé unilatéralement de l’évaluer par division afin de limiter le groupe visé à celui des SDO affectés aux tables de jeux. Il est manifeste que l’employeur peut avoir intérêt à limiter la reconnaissance à un groupe restreint d’employés.

[390]     En l’espèce, l’ACSCQ, on le sait, détient la majorité des adhésions au sein des cadres de premier niveau du secteur des jeux et la Société ne conteste pas la description de l’unité de négociation requise dans la requête en accréditation. C’est donc dire que la reconnaissance recherchée apparait en soi appropriée.

[391]     Mais il y a plus. Le Casino ne donne pas plein effet à cette reconnaissance. Bien que l’ACSCQ détienne une très forte représentativité des SDO affectés aux tables de jeux, plus de 70 %,  elle ne représente pas l’ensemble du groupe aux fins des relations du travail avec l’employeur, mais seulement ses membres. Ainsi, en 2003, lors de la création du premier et seul comité mixte, qui porte sur les horaires de travail, le Casino y convie aussi des non-membres, ce qui mine les effets de la reconnaissance et vient diluer l’utilité d’adhérer à l’ACSCQ.

[392]     Le fait que l’ACSCQ ne soit pas invitée à participer aux travaux sur le régime de retraite - on va même jusqu’à l’oublier - ni à ceux sur les assurances collectives ou sur le Guide des conditions de travail illustre que cette reconnaissance semble à maints égards plus théorique qu’effective.

2. L’incapacité à mener de véritables négociations collectives

[393]     S’appuyant fortement sur l’arrêt Fraser, précité, la Société souligne que l’ACSCQ a pu présenter ses demandes et être écoutée. Elle les a parfois acceptées, à d’autres occasions refusées. Le droit à un processus de négociation n’impliquant pas l’atteinte des résultats, il a été respecté.

[394]     Le Tribunal ne peut souscrire à cette position.

[395]     Il ressort qu’il y a un net déséquilibre entre les cadres de premier niveau et l’employeur, qui se compose de trois entités, le Casino, la Société et Loto-Québec. Ce déséquilibre se fait sentir dans la multiplicité des interlocuteurs qui font face à l’ACSCQ.

[396]     Si l’ACSCQ a un interlocuteur privilégié, le chef de service, pour toutes les questions liées aux activités, sur d’autres les représentants du côté patronal se renvoient la balle, passant du Casino, à la Société, puis à Loto-Québec, pour se rendre même parfois au gouvernement, et revenir au niveau local.

[397]     Malgré les changements de dirigeants survenus au fil du temps, les positions de la Société et de Loto-Québec sont demeurées pour l’essentiel inchangées. L’ACSCQ a usé de tous les moyens en sa possession : tenter une approche de dialogue avec la direction du Casino, solliciter des rencontres avec les dirigeants du Casino et de Loto-Québec, déposer une plainte à l’OIT, présenter ses revendications directement au gouvernement lors d’une rencontre avec Gilles Charland, du Conseil du trésor, solliciter l’appui de tiers, telles la ADDS/SAQ et la CNCQ.

[398]     Outre l’appareil puissant qui fait face à l’ACSCQ, le statut de ses membres, à savoir qu’ils représentent l’employeur auprès des croupiers, est souvent mis en avant, non pas pour établir une forme de dialogue, mais plutôt pour leur rappeler leur obligation de loyauté envers l’entreprise et leur faire sentir tout l’inconfort d’une attitude revendicatrice.

[399]     Bien que l’ACSCQ rencontre à plusieurs occasions au fil des ans des représentants des hautes instances des trois paliers, on note aussi l’absence de suivi et de réponses à plusieurs autres occasions. Ainsi, elle est tout simplement ignorée en 2005 lorsqu’elle demande à renégocier le Protocole. Une lettre datée du 31 août 2007, qui reprend encore les mêmes demandes, reste sans réponse. Ses démarches en 2008 mènent à une menace de retirer des éléments du Protocole plutôt que d’en octroyer, si elle continue à insister pour le renégocier.

[400]     Il y a absence de discussions sur certains sujets. Si le Casino s’est montré ouvert à discuter des sujets relatifs aux activités de l’entreprise, il refuse d’aborder toute question relative au contenu du Protocole. Celui-ci n’a pas été modifié depuis sa signature en 2001, même pour actualiser le titre de « chef de tables » en celui de SDO. Ainsi, la question du prélèvement des cotisations, l’augmentation des libérations des représentants et l’inclusion des conditions de travail dans le Protocole font l’objet d’une fin de non-recevoir. Toutes les questions de rémunération ne sont pas discutées et les règles d’octroi de boni ont été modifiées sans consultation préalable.

[401]     L’employeur ne s’oblige pas à « négocier », mais simplement à « consulter » et ne respecte pas cet engagement minimal. La preuve démontre que plusieurs conditions de travail sont tout simplement imposées ou modifiées, sans consultation, ce qui a donné lieu à des mésententes en vertu de l’article 59 du Code depuis le dépôt de la présente requête. Les horaires de travail l’ont été à plusieurs reprises, le stationnement est déplacé de plusieurs kilomètres, les mouvements de personnel sont décidés par l’employeur seul, selon des critères qu’il ne négocie pas avec l’ACSCQ.

[402]     Les faits particuliers au dossier illustrent donc que l’exclusion du statut de cadre entrave substantiellement le droit de l’ACSCQ et de ses membres à un véritable processus de négociation collective.

Cette violation est-elle justifiée dans une société libre et démocratique?

[403]     Reste à déterminer si la violation à la liberté d’association peut être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte canadienne ou de l’article 9.1 de la Charte québécoise. C’est à la partie qui défend la validité de la disposition en cause de démontrer, par prépondérance de preuve, qu’elle est  justifiée dans une société libre et démocratique. Cette démonstration doit se faire dans un premier temps en regard de l’objet de la mesure et, dans un deuxième temps, selon ses effets. La Cour suprême énonce ainsi les critères en la matière dans l’affaire APMO précitée :

[139]    L’article premier de la Charte permet au législateur d’adopter des lois qui restreignent les droits garantis par la Charte s’il est établi que les limites imposées sont des limites raisonnables dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cette procédure de justification exige que l’objectif de la mesure soit urgent et réel et que le moyen choisi pour l’atteindre soit proportionné à cet objectif, c.-à-d. qu’il possède un lien rationnel avec l’objet de la loi, qu’il porte le moins possible atteinte au droit garanti par l’al. 2d) et qu’il soit proportionné sur le plan de ses effets (R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; Health Services, par. 137-139). La partie qui défend la validité de la mesure restreignant un droit protégé par la Charte doit établir qu’elle est justifiée, suivant la prépondérance des probabilités (RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 137-138 (« RJR-MacDonald (1995) »). Au départ, mentionnons qu’une mesure qui porte atteinte à la Charte et qui est prise par voie de règlement est sans aucun doute « prescrite par une règle de droit », pour l’application de l’article premier (Hutterian Brethren, par. 39-40).

 

[140]    Comme nous l’avons vu précédemment, l’al. 2d) accorde au législateur une grande latitude dans l’établissement d’un régime de négociation collective qui satisfait aux exigences spéciales de la GRC. En outre, l’article premier accorde à celui-ci une marge de manœuvre additionnelle qui lui permet d’établir un régime de relations de travail pour atteindre des objectifs urgents et réels, dans la mesure, toutefois, où il peut démontrer que ces objectifs sont justifiés.

 

[404]     Citant l’arrêt Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony[126], la Procureure générale rappelle que les tribunaux doivent faire preuve d’une déférence plus grande lorsque la mesure vise à remédier à un problème social. Celui en cause serait la nécessité d’organiser les rapports collectifs, selon le modèle choisi, soit celui inspiré de la Loi Wagner.

L’objet de la mesure est-il réel et urgent?

[405]     La Procureure générale décrit ainsi l’objectif législatif de l’exclusion du statut de cadre de la définition de « salarié » :

114.     Comme expliqué plus haut, l'article 1(l) Code du travail exclut le personnel associé d'une façon ou d'une autre à la direction ou à la gestion de l'entreprise de la définition du terme « salarié ». Cela s'appuie sur l'appréhension d'un conflit d'intérêts qui pourrait naître de la responsabilité du personnel de direction à l'endroit des intérêts de l'employeur notamment dans l'éventualité où ce personnel négocierait collectivement ses conditions de travail ainsi que d'éviter que les cadres qui ne partagent pas une communauté d'intérêts avec les autres salariés de l'entreprise, s'immiscent dans ces autres associations afin de les protéger d'une telle ingérence. De plus cette exclusion vise à prévenir les conséquences des arrêts de travail.[127]

 

(soulignement ajouté)

 

[406]     Il a été invoqué que cette exclusion est nécessaire afin de conserver l’unité de la direction, qui s’oppose aux employés, selon le modèle de type Wagner. Ainsi, l’exclusion des cadres viserait à préserver, selon ce modèle, leur obligation de loyauté et à éviter les conflits d’intérêts.

[407]     Le modèle de type Wagner n’oblige pas l’exclusion des cadres de premier niveau. La preuve en est que les contremaitres aux États-Unis ont pu être accrédités sous la Loi Wagner avant qu’elle ne soit modifiée pour les exclure. De plus, le Code canadien et d’autres lois encadrant les rapports collectifs de travail au Canada n’adoptent pas une exclusion aussi large et permettent la syndicalisation de cadres de premier niveau.

[408]     Bref, il n’a pas été démontré que l’exclusion des cadres de premier niveau découle nécessairement du modèle de type Wagner.

[409]      La Procureure générale allègue aussi que cette exclusion vise à prévenir l’ingérence et les conséquences d’un arrêt de travail. Aucune preuve n’a été administrée à cet égard. De plus, les dispositions du Code ne permettent pas de voir en quoi l’exclusion de la syndicalisation des cadres de premier niveau vise ces objectifs, d’autant que les dispositions anti-briseurs de grève ont été adoptées postérieurement à l’article 1l) 1° du Code.

[410]     Quoi qu’il en soit, même si un objet urgent et réel avait été établi, ce qui n’est pas le cas, il n’a pas été démontré que les moyens choisis pour atteindre l’objectif sont proportionnés.

La proportionnalité de la mesure

1. Le lien rationnel

[411]     L’obligation de loyauté est à la base de tout contrat de travail (article 2088 du Code civil du Québec). Cette obligation s’applique à tout employé qu’il soit ou non syndiqué. Certes, les exigences en la matière sont plus grandes pour un employé cadre et croissent selon sa position dans la hiérarchie de la direction. Cependant, il n’est pas établi qu’il faille priver les cadres, sans distinction de leur niveau hiérarchique, de leur droit à la négociation collective, afin d’atteindre cet objectif.

[412]     Le fait que les cadres soient à la remorque des gains faits par les associations accréditées est tout autant, sinon plus, susceptible de les placer en situation de conflits d’intérêts.

[413]     De plus, le lien rationnel entre l’exclusion des cadres et la prévention de conflits d’intérêts semble peu convaincant, dans la mesure où les employés qui détiennent de l’information confidentielle ne sont pas exclus de la définition de salarié ni des groupes dont on aurait pu penser qu’il était nécessaire de préserver une telle loyauté, comme les policiers municipaux, qui ont accès à la procédure d’accréditation du Code.

[414]     Il est toujours possible lors de la détermination de l’unité appropriée de prendre en considération une problématique liée à l’existence de conflits d’intérêts. D’ailleurs, l’APCPNHQ propose d’exclure de l’unité pour laquelle elle veut être accréditée les cadres travaillant aux ressources humaines et ceux occupant des fonctions de nature stratégique ou confidentielle.

[415]     Comme mentionné précédemment, au palier fédéral et au Québec, il existe des cadres de premier niveau syndiqués, et ce, parfois au sein de la même unité que les employés qu’ils supervisent.

[416]     Les contremaitres de l’ancienne Ville de Montréal sont syndiqués, alors qu’ils gèrent un groupe d’employés qui a été en conflit à de nombreuses reprises avec l’employeur.

[417]     Bien que l’ACSCQ et l’APCPNHQ demandent à être accréditées pour des unités distinctes de celles de salariés sous leur supervision, ce n’est pas le cas du SPIHQ, qui regroupe les ingénieurs cadres dans la même unité que celle des ingénieurs salariés chez Hydro-Québec, une des parties au dossier.

[418]      Ainsi que l’écrivait la Commission dans Syndicat des employées et employés de la Régie régionale de santé et des services sociaux - Montérégie - (CSN) c. Agence de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux de la Montérégie[128] :

[9]        L’employeur prétend que les tâches assumées par Danielle Lemieux sont incompatibles avec la notion de salariée. Toutes ses tâches se font dans le domaine des relations du travail. Elle connaît la stratégie patronale sur les griefs et les négociations locales puisqu’elle assiste à la préparation des comités de relation du travail et éventuellement, aux réunions préparatoires sur les négociations locales.

 

[10]      Avec respect, rien ne permet de priver Danielle Lemieux de son statut de salariée. Même si ses tâches sont dans le domaine des relations du travail, elle ne prend aucune des décisions dont elle veille plutôt à ce qu’elles soient prises par un représentant de l’employeur et en transmet la teneur. Quant à son accès à des informations de nature confidentielle, il faut éviter d’opposer le devoir de loyauté au droit à la syndicalisation. Les deux peuvent et doivent cohabiter. En somme, aucune tâche ne fait d’elle une représentante de l’employeur dans ses relations avec ses employés.

 

(soulignement ajouté)

 

[419]     Dans Captains and Chiefs Association c. Algoma Central Marine, une division de Algoma Central Corporation[129], le CCRI fait une revue de sa jurisprudence sur l’exclusion des cadres de la définition d’employé, dans laquelle il écarte la justification fondée sur l’obligation de loyauté et l’absence de conflits d’intérêts, afin de permettre la syndicalisation de certains cadres:

[8] Dans Banque de Nouvelle-Écosse (succursale de Port Dover) (1977), 21 di 439; [1977] 2 Can LRBR 126; et 77 CLLC 16,090 (CCRT no 91) (demande de contrôle judiciaire rejetée dans Banque de Nouvelle-Écosse c. Conseil canadien des relations du travail [1978] 2 C.F. 807 (C.A.)), le prédécesseur du présent Conseil - le Conseil canadien des relations du travail (CCRT) - a expliqué en ces termes pourquoi le personnel de gestion se voit refuser le droit de négociation collective accordé à tous les autres employés :

 

L’exclusion de certains « gestionnaires » de l’unité de négociation a pour objet d’éviter des conflits d’intérêts entre leur loyauté envers l’employeur et le syndicat. Cette mesure protège autant les intérêts du premier que du second. Le conflit s’accroît quand une personne exerce une autorité sur les conditions de travail de ses compagnons. Il est aigu lorsque l’autorité s’étend à la continuité d’emploi et à des questions connexes (par exemple: le pouvoir de congédier un employé ou de lui imposer une sanction disciplinaire). Voilà pourquoi certaines personnes se voient refuser le droit de négociation collective accordé à d’autres. Le Code indique clairement que la simple supervision d’autres compagnons de travail ne suffit pas à prononcer l’exclusion aux termes de la Partie V [maintenant Partie I] (voir le paragraphe 125(4) [maintenant le paragraphe 27(5)]) [...]  

 

(pages 457-458; 134; et 536)

 

[9] Ainsi qu’il a été souligné à plusieurs reprises, le Code ne contient aucune définition de « fonctions de direction ». Dans sa révision de la décision rendue dans Banque de Nouvelle-Écosse (succursale de Port Dover), précitée, la Cour d’appel fédérale a déclaré ceci :

 

... le concept de « fonctions de direction » doit s’interpréter selon chaque cas d’espèce et, sauf des cas vraiment extrêmes, je suis porté à croire que sa portée exacte est une question de fait ou d’opinion du Conseil plutôt qu’une question de droit...

(page 813)

 

[10] Contrairement à certains conseils provinciaux des relations du travail, le CCRT et, par la suite, le CCRI ont interprété de manière stricte l’exclusion de personnes préposées à la gestion. L’approche du Conseil est expliquée dans Cominco Ltd. (1980), 40 di 75; [1980] 3 Can LRBR 105; et 80 CLLC 16,045 (CCRT no 240). Après avoir longuement passé en revue les engagements pris par le gouvernement canadien à l’égard de la liberté d’association, y compris ceux qui sont exposés dans le préambule du Code, le Conseil a ajouté ceci :

 

Dans ce contexte, on ne peut plus justifier l’exclusion de personnes préposées à la gestion en invoquant un conflit d’intérêts découlant d’un serment d’adhésion à un syndicat ou d’une loyauté à toute épreuve envers la fraternité des membres. Ces termes sont de toute évidence démodés. Le conflit d’intérêts possible qu’il faut considérer se situe entre les responsabilités d’emploi et le syndicat en tant qu’instrument servant à la négociation collective dans un climat où les personnes sont légalement protégées dans leur relation avec le syndicat à titre d’agent négociateur et d’organisme. Prétendre qu’il y a conflit parce qu’un employé est le seul surveillant sur place à un certain moment ou dans un lieu donné et que, de ce fait, il « représente la direction », c’est remonter au conflit d’allégeance d’une époque révolue. Dans maintes circonstances, beaucoup d’employés assument seuls certaines responsabilités. Le fait qu’ils s’occupent également de la négociation collective n’influe en rien sur leur loyauté envers l’employeur ou sur leur dévouement au travail. De par sa nature, la surveillance a toujours exigé que des personnes représentent l’autorité finale sur les lieux du travail.

 

Que des employés aient leur mot à dire au sujet des politiques d’une entreprise ou qu’ils engagent des dépenses au nom de cette entreprise, cela ne suffit pas non plus pour conclure à un conflit d’intérêts. Il s’agit là d’éléments usuels propres aux fonctions des professionnels. Le droit à la négociation collective leur a été accordé. Ces tâches font également partie des fonctions usuelles des spécialistes en général, qu’il s’agisse d’homme de métier, de techniciens ou d’autres groupes d’employés.

 

De même, le fait qu’un employé soit surveillant n’engendre pas le conflit d’intérêts réel ou appréhendé pouvant l’empêcher de jouir de la liberté syndicale, même si ses fonctions lui demandent de diriger le travail des autres, de faire des corrections et des réprimandes au besoin, de distribuer le travail, d’évaluer le rendement des nouveaux et des anciens employés, d’autoriser des heures supplémentaires au besoin, de faire appel à de la main-d’oeuvre s’il y a lieu, de former d’autres employés, de suivre lui-même des cours de formation dans le domaine de la surveillance, choisit qui peut être promu, d’autoriser les réparations, d’interrompre la production lorsqu’il y a des problèmes, d’établir le calendrier des congés et des vacances, de vérifier le nombre d’heures travaillées, d’autoriser les changements de poste et de commander le matériel nécessaire. Son adhésion à un syndicat et le fait que ce dernier le représente ne changent rien à sa loyauté ni à son intégrité...

(pages 90; 118; et 725-726; c’est nous qui soulignons)

 

[11] […]

 

« On ne met pas en doute, de l’avis du Conseil, le fait que le Parlement du Canada, tout autant que les législatures provinciales, soit lié par la politique fondamentale selon laquelle il faut favoriser la négociation collective et l’étendre à autant de personnes que possible. Le droit à la négociation collective n’est ni un privilège ni une concession ni une faveur, mais un droit fondamental dont on ne saurait priver quelque employé que ce soit, à moins de raisons très graves. » (Vancouver Wharves Ltd., supra, p. 39; p. 167, et pp. 966-7) »

(pages 92-93; 120; et 727)

 

(reproduit tel quel, à l’exception du soulignement qui est ajouté)

 

[420]     Le fait d’exclure de façon générale les cadres du régime d’accréditation n’a pas de lien rationnel avec l’objectif de maintenir la loyauté et l’absence de conflit d’intérêts. Bref, voir la syndicalisation comme un mode qui nuit nécessairement aux relations du travail est dépourvu de fondement. Pour reprendre les propos de la Cour suprême dans l’arrêt APMO, précité, « le respect de la liberté d’association peut même assurer plutôt que compromettre l’existence de bonnes relations et ainsi en renforcer la stabilité » (par. 147).

[421]     Quant à prévenir la non-ingérence, aucun lien rationnel n’a été démontré pour les motifs exposés précédemment.

[422]     L’application des dispositions anti-briseurs de grève n’a pas non plus de lien rationnel avec cette exclusion. Bien qu’il y ait des cadres syndiqués au Québec, aucun exemple n’a pu être donné. Tout au plus, des aménagements pourraient être jugés utiles et il appartiendra au législateur d’en décider.

2. L’atteinte minimale

[423]     L’exclusion des cadres du régime d’accréditation général est faite sans aucune distinction quant à leur rang dans l’entreprise, la nature de leurs fonctions, le fait qu’ils aient ou non accès à de l’information confidentielle, leur participation aux négociations avec les groupes syndiqués et ainsi de suite.

[424]     Cette exclusion ne se limite pas non plus à interdire que les cadres fassent partie de la même unité que le reste des employés. C’est pourtant un modèle possible afin de prévenir les conflits d’intérêts, modèle choisi pour les policiers municipaux et récemment pour les enquêteurs de la CCQ dans le cadre de la lutte contre la corruption dans l’industrie de la construction.

[425]     Plusieurs autres modèles, adoptés par le législateur en regard de groupes  particuliers, tel qu’il ressort de la revue des régimes spécifiques faite précédemment, permettent une atteinte moins grande à la liberté d’association.

[426]     Qui plus est, des exemples au Québec, au Canada et au niveau international démontrent la possibilité pour des cadres d’être syndiqués sans pour autant que cela ne nuise à leur rôle au sein de l’entreprise.  

la réparation appropriée

[427]     Par leur requête en accréditation, les associations demandent que l’exclusion de la définition de salarié à l’article 1l) 1° leur soit inopposable parce que contraire  à la liberté d’association garantie à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne et à l’article 3 de la Charte québécoise. Par conséquent, elles demandent que le Tribunal les accrédite. Il a cependant été convenu, par la suite, que le Tribunal ne se prononcerait dans un premier temps que sur la question constitutionnelle.

[428]     La Procureure générale et les employeurs plaident qu’une décision qui rendrait inopposable l’article 1l) 1° du Code et permettrait aux associations demanderesse de poursuivre le processus d’accréditation est incompatible avec le fait que la Charte ne permette pas de revendiquer un régime en particulier. De plus, soulève-t-on, si le Tribunal invalidait cette exclusion, cela entrainerait un bouleversement du régime entier prévu au Code. Aussi, le Tribunal devrait suspendre l’effet de sa décision afin de permettre au législateur de prendre les mesures qu’il jugera appropriées.

[429]     Rappelons, en premier lieu, que la Cour d’appel a confirmé, dans le présent dossier, que la Commission, devenue depuis le Tribunal, avait compétence pour disposer de la question et des conclusions recherchées :

[29]      La compétence de la CRT, en l'espèce, ne fait aucun doute et répond aux enseignements de la Cour suprême dans R. c. Conway. Au terme d'une analyse exhaustive de la question, cette cour, sous la plume de la juge Abella, confirme l'approche retenue, entre autres, dans les affaires Cuddy Chicks, Martin et Okwuobi, précitées, et, tant au regard de l’application de l’article 52 que de l’article 24 de la Loi constitutionnelle de 1982, elle conclut que :

 

[77]      Ces arrêts confirment que le tribunal administratif investi du pouvoir de trancher des questions de droit et dont la compétence pour appliquer la Charte n’est pas clairement écartée a le pouvoir - et le devoir- correspondant d’examiner et d’appliquer la Constitution, y compris la Charte, pour se prononcer sur ces questions de nature juridique. Comme le fait observer la juge McLachlin dans l’arrêt Cooper :

 

[T]out tribunal qui est appelé à trancher des questions de droit dispose des pouvoirs afférents à cette tâche. Le fait que la question de droit porte sur les effets de la Charte ne change rien. La Charte n’est pas un texte sacré que seuls les initiés des cours supérieures peuvent aborder. C’est un document qui appartient aux citoyens, et les lois ayant des effets sur les citoyens ainsi que les législateurs qui les adoptent doivent s’y conformer. Les tribunaux administratifs et les commissions qui ont pour tâche de trancher des questions juridiques ne sont pas soustraits à cette règle. Ces organismes déterminent les droits de beaucoup plus de justiciables que les cours de justice. Pour que les citoyens ordinaires voient un sens à la Charte, il faut donc que les tribunaux administratifs en tiennent compte dans leurs décisions. [par. 70]

 

[430]     En deuxième lieu, il a été décidé que le Tribunal ne se prononcerait à cette étape que sur la question constitutionnelle. La présente décision n’a donc pas pour effet de disposer des requêtes en accréditation.

[431]     Il est également bien établi par la Cour suprême qu’un tribunal administratif ne peut prononcer une déclaration d’inconstitutionnalité générale, mais uniquement une invalidité aux fins de l’affaire dont il est saisi[130]. Une déclaration formelle d’inconstitutionnalité, qui établirait l’invalidité générale de la disposition, pourrait ensuite être ordonnée par la Cour supérieure, lors d’un contrôle judiciaire de la décision du tribunal administratif[131].

[432]     Dans le cadre de la requête en irrecevabilité sur la compétence de la Commission dans la présente affaire, en réponse aux craintes de la Procureure générale sur le pouvoir de suspendre les effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité, le cas échéant, la Cour d’appel considère cet argument insuffisant pour priver la Commission de la compétence de se prononcer sur la question constitutionnelle. Elle écrit :

[37]      Enfin, la crainte de l’intimée que l’accréditation puisse résulter d’une déclaration d’inopposabilité par la CRT de l’exclusion des cadres et de l’application, le cas échéant, du régime de relations de travail établi par le Code du travail aux employés visés par la requête n’est pas rationnelle. Elle ne peut suffire à conclure que la seule procédure utile est la requête en jugement déclaratoire, laquelle peut emporter une déclaration formelle d’invalidité générale pour l’avenir de l’exclusion du statut de cadre au Code du travail, ce qui permettrait, le cas échéant, d’envisager la suspension des effets du jugement de la Cour supérieure pour permettre au législateur de modifier, s’il entend le faire, la loi.

 

[38]      Cette distinction entre les effets de l’inopposabilité et celles de l’invalidité ne permet pas d’écarter la compétence de la CRT pour décider de la réparation en cas d’atteinte à la liberté d’association. L’anticipation du résultat du débat constitutionnel est un bien mauvais guide pour décider de la compétence de la CRT à trancher une question constitutionnelle à l’occasion de l’examen d’une requête en accréditation, d’autant que la décision de ce tribunal administratif fondée sur les chartes est susceptible de contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. La Cour supérieure pourra, le cas échéant, examiner toute erreur commise dans l’interprétation et l’application des chartes, l’appelante ayant même le droit de demander une déclaration formelle d’invalidité à cette étape de l’instance.

 

[39]      Bref, la CRT est compétente à l’égard des parties, de l’objet du litige, ayant été régulièrement saisie de la requête en accréditation, et de la réparation demandée. Elle est même compétente pour se prononcer sur sa compétence à ordonner la réparation recherchée.

 

(soulignement ajouté)

 

[433]     Dans l’affaire des travailleurs agricoles, précitée, la Commission, après avoir constaté la violation de la liberté d’association des travailleurs en cause, refuse de suspendre les effets de sa décision, déclare inopposable l’exclusion visant les travailleurs agricoles et accueille la requête en accréditation. Elle se fonde notamment sur la distinction à faire entre une déclaration d’invalidité générale, qui a une portée universelle, et celle qui rend inopérante une disposition, laquelle n’a d’effets qu’entre les parties au litige. Elle cite son obligation « d’assurer l’application diligente et efficace du Code », prévue à l’article 114 du Code à l’époque, et maintenant à l’article 1 de la LITAT, pour motiver également son refus de suspendre les effets de sa décision.

[434]     Saisie de la demande de contrôle judiciaire de cette décision, la Cour supérieure, sous la plume de l’honorable Thomas Davis, conclut au bien-fondé de la décision de la Commission et juge approprié de prononcer une déclaration générale d’inconstitutionnalité. Dans ce contexte, elle accorde alors une suspension des effets de son jugement afin de permettre au législateur de revoir la loi :

[153] However as the Supreme Court of Canada stated in Okwuobi a claimant can seek a formal declaration of invalidity in a subsequent judicial review proceeding before this Court. The Union asks for such a declaration and the Attorney General and L’Écuyer and Locas essentially ask for a declaration of validity.

 

[154] The Court concludes that in the present matter it is appropriate to make a declaration of invalidity, given the infringement of the impugned paragraph on the freedom of association of a significant number of farm workers. However when making such a declaration, the courts have often deemed it appropriate to suspend it for a period of time to allow the legislator to reconsider the legislation.

 

[435]     Tout comme dans l’affaire des travailleurs agricoles, précitée, le Tribunal est saisi en l’espèce d’un recours en accréditation. Son rôle, après avoir constaté la violation de la liberté d’association, est de déclarer l’exclusion de la définition de salarié prévue à l’article 1l) 1° du Code inopposable dans les deux dossiers dont il est saisi. Sa décision ne produira d’effets qu’à l’égard des parties en cause. Le Tribunal est donc loin d’être convaincu qu’il peut suspendre les effets de sa décision, comme le ferait la Cour supérieure alors qu’elle prononce une déclaration d’invalidité générale. Il a l’obligation, comme tribunal administratif, « d’assurer l’application diligente et efficace du Code ».

[436]     La Procureure générale invite le Tribunal à considérer que la Cour d’appel a confirmé qu’il avait le pouvoir de suspendre les effets de sa décision. Même s’il fallait interpréter ainsi les propos de la Cour d’appel, cités précédemment, il n’apparait pas opportun de l’ordonner dans les présentes circonstances.

[437]     Les associations demanderesses ont obtenu, en 2004, une décision du Comité de la liberté syndicale qui recommande au gouvernement de modifier le Code afin d’en soustraire l’exclusion visant la notion de cadre. Malgré des appels répétés des instances internationales et des associations de cadres, le gouvernement n’a pas agi. Les arrêts de la Cour suprême en matière de liberté d’association en relations du travail ont souligné la place du droit international et la force persuasive des décisions du comité depuis plusieurs années. Il n’apparait donc pas opportun de priver plutôt les associations demanderesses de leur droit fondamental à la liberté d’association.

[438]     De plus, si les requêtes en accréditation sont accueillies, les associations demanderesses pourront effectivement bénéficier du régime du Code. Ce faisant, le Tribunal ne leur accorde pas un régime particulier, pour les raisons déjà expliquées. S’il suspendait les effets de sa décision, c’est alors qu’il présumerait que les associations demanderesses ont droit à un tel régime particulier. Il ne lui appartient pas de décider si d’autres mesures auraient pu être choisies pour les cadres ni de présumer que le législateur le fera, d’autant qu’il n’a pas choisi cette voie après la décision du Comité de la liberté syndicale.

conclusion

[439]     Le Tribunal arrive à la conclusion que l’exclusion des cadres de la définition de salariés dans le contexte soumis porte atteinte à la liberté d’association garantie par l’alinéa 2d) de la Charte canadienne et par l’article 3 de la Charte québécoise et qu’elle n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique.

[440]     En effet, bien que l’objet de l’exclusion vise à prévenir les conflits d’intérêts, il a pour but d’empêcher les cadres de négocier collectivement. Les effets de cette exclusion entravent substantiellement le processus véritable de négociation collective des associations demanderesses.

[441]     Ainsi, leur indépendance est incomplète, leur reconnaissance dépend entièrement de leur employeur respectif et il n’existe aucune protection contre l’ingérence. Cette exclusion entrave substantiellement leur capacité à négocier sur des objets importants. L’absence d’un mécanisme permettant de sanctionner l’obligation de négocier de bonne foi et la suppression du droit de grève, sans alternative, ne permettent pas rétablir le rapport de force entre les cadres de premier niveau et les employeurs, des sociétés d’État, ce qui constitue une entrave substantielle dans un tel contexte. 

[442]     L’État est responsable de cette entrave substantielle parce que cette absence de régime ne s’inscrit pas dans un vide juridique. Elle est la conséquence de l’exclusion du régime général d’accréditation qu’est le Code. De plus, les engagements internationaux du Canada en la matière, tel que l’a souligné le Comité de la liberté syndicale, n’ont pas été respectés.

[443]     Cette atteinte n’est pas justifiée en regard de l’article 1 de la Charte canadienne et de l’article 9.1 de la Charte québécoise. Le gouvernement n’a pas démontré que l’objet de l’exclusion du statut de cadre du Code, soit la prévention de conflits d’intérêts et de l’ingérence de l’employeur auprès des autres employés, ainsi que le maintien d’un équilibre lors d’un conflit de travail, était réel et urgent. De plus, il n’y a pas de lien rationnel entre l’objet de la mesure et l’atteinte aux droits. Enfin, cette atteinte n’est pas minimale. Par conséquent, cette exclusion est inopposable à la partie demanderesse et ne peut empêcher l’examen de sa requête en accréditation.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

DÉCLARE                que l’article 1l) 1° du Code du travail porte atteinte à la liberté d’association garantie à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés et à l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne, des personnes visées par la requête en accréditation de l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec;

DÉCLARE                inopérant l’article 1l) 1° du Code du travail dans le cadre de l’examen de la requête en accréditation de l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec;

AVISE                        l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec et la Société des casinos du Québec qu’elles seront convoquées à une audience pour disposer de la requête en accréditation.

 

 

__________________________________

 

Irène Zaïkoff

 

 

Mes Jean-Luc Dufour et Frédéric Tremblay

POUDRIER BRADET AVOCATS, S.E.N.C.

Pour la partie demanderesse

 

Me Jean Leduc

LORANGER MARCOUX AVOCATS, S.E.N.C.

Pour l’employeur

 

Mes Michel Déom et Samuel Chayer

BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC)

Pour la partie intervenante de première part

 

Me Grégoire Deniger

Pour la partie intervenante de deuxième part

 

Me Jean Leduc

LORANGER MARCOUX AVOCATS, S.E.N.C.

Pour la partie intervenante de troisième part

 

 

Date de la mise en délibéré : 29 juillet 2016

 /aml



[1]           RLRQ c. C-27. L’exclusion en cause est à l’art. 1l) 1°.

[2]           Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail est entrée en vigueur (la LITAT). Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail.

[3]           2015 QCCRT 0058.

[4]           Le 24 novembre 2009, la Société dépose une requête en irrecevabilité dans laquelle elle allègue principalement que la Commission n’a pas compétence pour se prononcer sur la question constitutionnelle soulevée dans la requête de l’ACSCQ. Sans nier que la Commission pourrait trancher une question constitutionnelle accessoire à un litige qui relève de sa compétence, elle prétend, qu’en l’espèce, cette question est au cœur du débat et que le statut de cadre a déjà fait l’objet d’une décision. Le 14 avril 2010, la Commission se déclare compétente pour disposer du litige (2010 QCCRT 0187). La Cour supérieure annule cette décision le 23 janvier 2012, à la suite d’une requête en révision judiciaire (2012 QCCS 112), mais, le 24 mars 2014, la Cour d’appel la rétablit (2014 QCCA 603).

[5]           Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, c. 11.

[6]           La recevabilité du rapport du professeur Coutu a fait l’objet d’une décision de la Commission: 2015 QCCRT 0102.

[7]           L’OIT est une agence tripartite de l’Organisation des Nations Unies, regroupant 187 états membres et les représentants des employeurs et des travailleurs. Ses trois principales instances sont 1) la Conférence internationale du travail, un parlement international du travail en quelque sorte, qui se réunit annuellement et où ont lieux des forums de discussion, 2) le Conseil d’administration, qui constitue l’organe exécutif, et 3) le Bureau international du travail (BIT), secrétariat permanent de l’OIT, qui agit sous l’autorité du Conseil d’administration.

[8]           68 RTNU 17.

[9]           6 IHRR 285 [1999], articles 1 et 2.

[10]         Voir le rapport de Michel Coutu, aux paragraphes 37 à 41 de son expertise, qui réfère notamment aux recommandations formulées par le Comité de la liberté syndicale, dont il sera fait état plus loin.

[11]         993 RTNU 3, al. 8d).

[12]         999 RTNU 171.

[13]         999 RTNU 171, art. 22.

[14]         Rapport de Michel Coutu, par. 9.

[15]         Rapport de Michel Coutu, par. 10 à 19.

[16]         National Labor Relations Act, 1935, c. 372, stat. 449.

[17]         Packard Co. v. Labor Board, 330 U.S. 485 (1947).

[18]         Rapport de Michel Coutu, par. 12 à 14.

[19]         Rapport de Michel Coutu, par. 15 à 20.

[20]         Le Manitoba Labour Board considère que les personnes qui occupent des fonctions de « front-line supervisors » sont généralement des employés et non visés par l’exclusion des personnes occupant un poste de direction. Voir à cet effet Manitoba Government and General Employees’ Union c. Southern Health - Santé Sud, 2015,CanLII 37991(MB LB). Le professeur Coutu mentionne aussi le cas de la Saskatchewan, par. 17.

[21]         Le Rapport Woods, rendu en 1968 par le comité responsable de faire des recommandations à ce sujet, appuie la syndicalisation des cadres de premier niveau, en autant qu’ils soient regroupés dans une unité distincte.

[22]         L.R.C. (1985) ch. L-2.

[23]         Art. 3(1) du Code canadien: « Employé » Personne travaillant pour un employeur; y sont assimilés les entrepreneurs dépendants et les agents de police privés. Sont exclus du champ d’application de la présente définition les personnes occupant un poste de direction ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail.

[24]         Art. 27(5) du Code canadien: Le Conseil peut, sous réserve du paragraphe (2), décider qu’une unité proposée par le syndicat et regroupant ou comprenant des employés dont les tâches consistent entre autres à surveiller d’autres employés est habile à négocier collectivement.

[25]         L.C. 2003, c. 22.

[26]         S.Q. 1944, c. 30. L’exclusion de la définition de « salarié » prévue à l’article 2a) 1°se lit comme suit : « les personnes employées à titre de gérant, surintendant, contremaître ou représentant de l’employeur dans ses relations avec ses salariés ».

[27]         Rapport de Michel Coutu, par. 24.

[28]         Rapport de Michel Coutu, par. 23.

[29]         Loi modifiant le Code du travail, L.Q. 1969, c. 47.

[30]         Loi modifiant le Code du travail, L.Q. 1970, c. 33 et Loi modifiant le Code du travail, L.Q. 1971, c. 49.

[31]         Lors de la révision du Code en 2001, il est prévu que les associations reconnues par Hydro-Québec ou la ville de Montréal, comprenant en totalité ou en partie du personnel cadre, sont réputées accréditées par la Commission (Loi modifiant le Code du travail, instituant la Commission des relations du travail et modifiant d’autres dispositions législatives, L.Q. 2001, c. 26, art. 202.)

[32]         QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 1ère sess., 29e légis., 16 juillet 1970, « Projet de loi no 36 - Loi modifiant le Code du travail ». QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 2e sess., 29e légis., 6 juillet 1971, « Projet de loi no 61 - Loi concernant le Code du travail, 2e lecture ».

[33]         Les associations visées par ce décret étaient déjà reconnues avant par des décrets antérieurs.

[34]         Règlement sur un recours en appel pour les fonctionnaires non régis par une convention collective, c. F-3.1, a.127.

[35]         Voir note 37.

[36]         L’ADDS/SAQ fait partie de la CERA.

[37]         Michel Coutu cite, à titre d’exemple, au par. 34, le cas de l’Alliance des cadres de l’État qui s’est vue imposer un gel du boni au rendement unilatéralement depuis 2012 et sans consultation au préalable. Il mentionne aussi que les cadres de l’Université McGill, représentés par MUNASA, ont subi en 2009 une coupure de salaire et d’avantages sociaux équivalents à 2 millions de dollars, qui n’a été précédée par aucune discussion.

[38]         RLRQ c. N-1.1.

[39]         Rapport de Michel Coutu, par. 42.

[40]         Québec-Téléphone c. Syndicat des agents de maîtrise de Québec-Téléphone, 1997 Can Lii 5460 (CAF), où la Cour d’appel fédérale confirme la décision du CCRT.

[41]         Rapport de Michel Coutu, par. 30.

[42]         Rapport de Michel Coutu, par. 20, p. 18.

[43]         Adam GOLDSTEIN, « Revenge of the Managers : Labor Cost-Cutting and the Paradoxical Resurgence of Managerialism in the Shareholder Value Era, 1984 to 2001 », American Sociological Review, 2012, 77: 268-294.

[44]         Arnaud SALES et Noël BÉLANGER, « Décideurs et gestionnaires, Étude sur la direction et l’encadrement des secteurs privé et public », Étude préparée pour le Conseil de la langue française, 1985.

[45]         Voir note 18.

[46]         Rapport du Comité sur la liberté syndicale, n° 335, novembre 2004.

[47]         Rapport n° 358, novembre 2010.

[48]         Rapport n° 362, novembre 2011.

[49]         Pièce R 4-7.

[50]         Notes sténographiques, 10 juin 2015, p. 61 et 62.

[51]         Pièce R 3-3.

[52]         Qui est elle-même constituée en vertu de la Loi sur les Société des loteries du Québec, RLRQ, c. S-13.1.

[53]         Décision du 5 mai 1995, confirmée par le Tribunal du travail le 21 septembre de la même année.

[54]         RLRQ, c. S-40.

[55]         Les chefs de tables auxquels le Protocole réfère sont maintenant les SDO.

[56]         La raison qui en est donnée à l’audience serait que la Loi sur les normes du travail interdit de faire de tels prélèvements.

[57]         Notes sténographiques du 15 avril 2015, Ré-interrogatoire de Mario Champagne, p. 183-184.

[58]         Notes sténographiques, 19 mars 2015, p. 33.

[59]         Notes sténographiques, 18 mars 2015, p. 73.

[60]         Pièce R I-12. À noter que le procès-verbal a été préparé par l’ACSCQ, mais qu’il n’a pas fait l’objet de corrections par la direction.

[61]         Pièce R I-14, lettre du 14 novembre 2008 de Daniel Laporte à Richard Émond, résumant leur rencontre du 12 novembre précédent.

[62]         Pièce R I-20.

[63]         Pièce R I-21 : lettre du 11 janvier 2012 de Daniel Laporte à Gérard Bibeau.

[64]         Pièce R I-22 : lettre du 13 février 2012 de Gérard Bibeau à Daniel Laporte.

[65]         ACSCQ c. Société des Casinos du Québec, 2012 AZ-51247411 (T.A.) (arbitre Me Noël Malette); requête en révision judicaire rejetée, 2015 QCCS 4645; permission d’appeler accueillie, 2015 QCCA 2032.

[66]         2015 QCCRT 0342.

[67]         Baier c. Alberta, [2007] 2 RCS 673.

[68]         Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général), [2015] 1 RCS 3.

[69]         [1987] 1 RCS 313.       

[70]         [1987] 1 RCS 424.

[71]         [1987] 1 RCS 460.

[72]         [2001] 3 RCS 1016.

[73]         [2007] 2 RCS 391.

[74]         Par. 30.

[75]         [2011] 2 RCS 3. 

[76]         [2015] 1 RCS 3.

[77]         [2015] 1 RCS 125.

[78]         [2015] 1 RCS 245.

[79]         Voir par. 131.

[80]         Delisle c. Canada (Sous-procureur général), [1999] 2 RCS 989.

[81]         Une autre loi était aussi en cause dans cet arrêt, qui redéfinissait les critères pour qu’une association soit considérée représentative. Cette loi a été jugée constitutionnelle par la Cour.

[82]         Par. 64.

[83]         Michel COUTU, Laurence Léa FONTAINE., Georges MARCEAU et Urwana COIQUAUD, Droit des rapports collectifs du travail au Québec, 2e édition, Éditions Yvon Blais, p. 90. Voir aussi par. 42 et 43 de l’arrêt Saskatchewan, précité.

[84]         Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 c. L’Écuyer, 2010 QCCRT 0191; requête en révision judiciaire rejetée, 2013 QCCS 973.

[85]         Robert P. GAGNON et LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS, Le droit du travail du Québec, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 345.

[86]         Pour les procureurs aux poursuites criminelles et pénales, visés par l’article 1 l) 4° du Code : Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective, RLRQ, c. P-27.1, section III; pour les membres de la Sûreté du Québec, visés par l’article 1 l) 5° du Code : Loi sur le régime syndical applicable à la Sûreté du Québec, RLRQ, c. R-14.

[87]         2006 QCCRT 0363.      

[88]         Syndicat canadien de la fonction publique, local 3130 c. Régie intermunicipale des bibliothèques publiques de Pierrefonds et de Dollard-des-Ormeaux, [1987] AZ-88147016 (T.T.); Société de transport de Montréal c. Commission des relations du travail, 500-17-047394-088, C.S. 2 septembre 2009.

[89]         L.Q., 2016, c. 24, entrée en vigueur le 2 novembre 2016.

[90]         Article 17.

[91]         Voir note précédente.

[92]         Article 4 du Code.

[93]         Les employés de la Fonction publique sont régis par la Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1.

[94]         Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales, RLRQ. c. U-0.1. La constitutionnalité de ces dispositions a été confirmée par la Commission (Association professionnelle des inhalothérapeutes du Québec c. L’Hôpital Sainte-Justine, 2005 QCCRT 105). La Cour supérieure a ensuite accueilli partiellement la révision judicaire (2007 QCCS 5513), mais  la Cour d’appel a rétabli la décision de la Commission (Québec (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux (CSN), 2011 QCCA 1247).

[95]         Voir article 85 de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, RLRQ c. R-20.

[96]         Syndicat des personnes responsables de milieux résidentiels d'hébergement des Laurentides (C.S.N.) c. Centre du Florès, [2001] AZ-50086950 (T.T.). Requête en révision judiciaire rejetée, [2002] AZ-50115188 (C.S.). Requête pour permission d'appeler rejetée (C.A.), 500-09-012070-025. Le Tribunal agissait en appel de la décision du commissaire du travail Jacques Vignola dans Syndicat des personnes responsables de milieux résidentiels d'hébergement des Laurentides (C.S.N.) c. Centre du Florès, CM-1008-6719 (AZ-50079469).

[97]         Confédération des syndicats nationaux c. Québec (Procureur général), 2008 QCCS 5076.

[98]         RLRQ, c. R-24.0.2.

[99]         RLRQ, c. R-24.0.1.

[100]        Voir note 84.

[101]        RLRQ, c. S-32.1.

[102]        RLRQ c. R-20.

[103]        R. c. Big M Drug Mart, [1985] 1 RCS 295.

[104]        Argumentation de la Procureure générale, par. 98.

[105]        Arrêt APMO, précité, par. 17, 110 et 123 et 136.

[106]        Arrêt Big M Drug Mart, cité dans arrêt APMO, par. 111, tous deux précités.

[107]        Arrêt APMO, précité, par. 89.

[108]        Arrêt APMO, précité, par. 88.

[109]        Voir par. 77 dans l’arrêt APMO, précité.

[110]        Arrêt Health Services, précité, par. 77 et 98.

[111]        Voir, par. 467 du rapport n°335, précité, note 46.

[112]        [1995] 2 RCS 929.

[113]        [1997] 1 RCS 487.

[114]        Didier LUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations, 2e édition, Les éditions Thémis, p. 126.

[115]        Par. 3 de l’Avis amendé de l’ACSCQ, 16 octobre 2014, ayant complété celui donné le 26 novembre 2009; Avis d’intention de l’APCPNHQ, 7 janvier 2015.

[116]        Arrêt Saskatchewan, précité, par. 25.    

[117]        Article 24 (1) : Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

[118]        Article 49 (1) : Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

[119]        Arrêt Health Services, précité.

[120]        Expression empruntée à un auteur que la Cour suprême cite avec approbation au par. 76 de sa décision.

[121]        [2009] 3 RCS 465, par. 56.

[122]        Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants-section Colombie-Britannique, [2009] 2 RCS 295, par. 34 et 35.

[123]        Deux affaires dont il a été fait mention précédemment au chapitre des régimes de relations du travail particuliers.

[124]        Voir en particulier les paragraphes 266 à 271 du jugement de la Cour supérieure sur les RI-RTF/RSG, précité, et les paragraphes 314 à 320 de la décision de la Commission sur les travailleurs agricoles, précitée.

[125]        Arrêt APMO, par. 106.  

[126]        [2009] 2 RCS 567.

[127]        Plan d’argumentation de la Procureure générale.

[128]        2006 QCCRT 0537.

[129]        2010 CCRI 531.

[130]        Cuddy Chicks Limited c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, p. 17.

[131]        Okwuobi c. Commission scolaire Lester-B.-Pearson, [2005] 1 RCS 257, par. 44.

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