Marceau-Côté c. Poulin Gareau | 2022 QCTAL 7494 |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT | ||||||
Bureau dE Québec | ||||||
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No dossier : | 608450 18 20220124 G | No demande : | 3444807 | |||
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Date : | 17 mars 2022 | |||||
Devant le juge administratif : | Stéphan Samson | |||||
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Thomas Marceau-Côté |
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Locateur - Partie demanderesse | ||||||
c. | ||||||
Louis-Charles Poulin Gareau
Viktoriia Poulin Gareau |
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Locataires - Partie défenderesse | ||||||
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D É C I S I O N
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[1] Le Tribunal est saisi d’une demande du locateur afin d’obtenir l’autorisation de reprendre le logement concerné pour s’y loger à compter du 1er juillet 2022.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 au loyer mensuel de 800 $.
[3] À l’audience, les locataires sont représentés par monsieur Marc Desjardins, qui est également un locataire du même immeuble. D’ailleurs, monsieur Desjardins a fait l’objet d’une demande similaire de la part du locateur dans le dossier numéro 604724 (ci-après appelé « Dossier Desjardins »).
[4] Dès le début de l’audience, le Tribunal est informé de ce qui précède et monsieur Desjardins demande que le sort de la présente demande soit liée à celui de la demande présentée contre lui. Le locateur s’objecte à cette façon de procéder puisqu’il prétend avoir obtenu des éléments de preuve additionnels depuis l’audition dans le Dossier Desjardins qui s’est tenue le 17 février 2022.
PREUVE DU LOCATEUR
[5] L’immeuble contient quatre logements, dont deux qui sont actuellement libres et deux autres qui font l’objet d’une demande de reprise de possession de la part du locateur.
[6] Dans le présent dossier, les locataires ont reçu du locateur, par huissier le 23 décembre 2021, un avis de reprise du logement portant la date du 14 décembre 2021. Ceux-ci n’ont pas répondu à cet avis et ils sont donc présumés avoir refusé de quitter le logement.
[7] La demande devant le Tribunal a été introduite par le locateur le 24 janvier 2021, soit à l’intérieur des délais prescrits par la loi.
[8] Le locateur est devenu propriétaire de l’immeuble le 14 décembre 2021, pour l’avoir acquis de sa compagnie de gestion. Cette dernière était propriétaire de l’immeuble depuis le 19 juillet 2021.
[9] Le locateur prétend vouloir habiter la totalité de l’immeuble avec sa famille composée, pour le moment, de deux adultes et deux enfants. Il prétend avoir retenu les services professionnels d’un architecte le 1er novembre 2021 pour procéder à la confection de plans qui seront nécessaires pour la construction et l’émission du permis de construction.
[10] Le locateur prétend avoir fait une demande de permis de construction à la Ville de Québec le 1er mars 2022, ce qui n’était pas le cas dans le Dossier Desjardins. À cet effet, le locateur dépose devant le Tribunal un document intitulé « Demande de certificat d’autorisation » qui contient diverses informations sur l’identité du requérant, du propriétaire et sur la localisation des travaux. À l’examen de ce document, le Tribunal constate que ce dernier ne contient aucune mention de sa date et qu’il n’est pas signé. Au surplus, aucun paiement n’aurait été effectué auprès de la Ville de Québec.
[11] Malgré ce qui précède, le locateur croit être en mesure d’obtenir son permis de construction dans un délai de quatre à six semaines à partir du 1er mars 2022.
[12] Le locateur prétend que lui et sa famille seront en mesure d’habiter l’immeuble dès le 1er juillet 2022, même si les travaux de rénovation ne sont pas alors débutés.
[13] Le locateur produit des esquisses partielles (seules les pages A11 à A13 ont été produites) préparées par l’architecte Mariane Gourdeau.
[14] Également, le locateur produit devant le Tribunal la grille de spécifications concernant la zone 11045Hb qui serait, selon lui, la zone où est situé son immeuble.
[15] Le locateur qui, selon son témoignage, est chirurgien orthopédiste possède les capacités financières pour faire effectuer les travaux majeurs de rénovation de son immeuble.
[16] Le locateur est actuellement propriétaire de deux résidences unifamiliales qu’il devra éventuellement vendre pour lui permettre de mener à terme son projet de rénovation. À la date de l’audience, aucune des deux maisons n’était à vendre.
[17] En terminant le locateur, contre-interrogé par monsieur Desjardins, mentionne que la Ville de Québec est dans l’attente des plans finaux pour procéder à l’étude de la demande de certificat d’autorisation.
PREUVE DES LOCATAIRES
[18] Le représentant des locataires, monsieur Marc Desjardins, conteste la demande de reprise du logement pour différents motifs.
[19] Tout d’abord, il prétend qu’il n’y a aucun permis de construction ou de rénovation d’émis par la Ville de Québec et qu’il n’y a aucune certitude que le permis sera éventuellement émis. Il allègue qu’il n’y a aucun plan définitif et certifié signé par un architecte.
[20] Comme dans le Dossier Desjardins, le locateur n’a soumis au Tribunal aucune soumission de la part d’entrepreneur général pour l’exécution des travaux de rénovation. Au surplus, dans le présent dossier, aucune preuve n’a été faite que le locateur possède la capacité financière de mener à terme son projet.
[21] Monsieur Desjardins s’interroge sur le fait qu’une famille de quatre personnes aurait besoin d’une résidence comptant 18 pièces avec plus de 3000 pieds carrés répartis sur trois étages. L’immeuble peut actuellement accueillir quatre familles, soit un total de 10 à 12 personnes.
[22] Pour les locataires, la demande de reprise du logement est prématurée puisque le dossier du locateur est loin d’être complété.
QUESTIONS EN LITIGE
ANALYSE ET DÉCISION
La demande de reprise doit-elle être accordé ?
[23] Sur cette question, le Tribunal croit approprier de reprendre les propos du juge administratif Philippe Morissette dans l’affaire Marceau-Côté c. Desjardins et Courteau, soit le Dossier Desjardins ci-haut mentionnée alors qu’il s’exprime comme suit :
« [24] L'article 1963 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit :
« 1963. Lorsque le locataire refuse de quitter le logement, le locateur peut, néanmoins, le reprendre, avec l'autorisation du tribunal.
Cette demande doit être présentée dans le mois du refus et le locateur doit alors démontrer qu'il entend réellement reprendre le logement pour la fin mentionnée dans l'avis et qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »
[25] À cet égard, le Tribunal doit fonder son analyse sur la prépondérance de la preuve. Suivant l'article 2804 du Code civil du Québec :
« 2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »(8)
[26] Dans la décision Hajjali c. Tsikis et Régie du logement(9), le juge Daniel Dortélus de la Cour du Québec répertorie quelques décisions rendues sur le fardeau de preuve applicable dans un tel cas et conclut :
« [38] Il ressort de cette revue de la doctrine et jurisprudence qu'il appartient au locateur de démontrer par prépondérance de preuve qu'il entend réellement reprendre possession du logement pour la fin mentionnée dans l'avis de reprise de possession, il doit prouver sa bonne foi, ce faisant, établir qu'il ne s'agit pas d'un prétexte pour atteindre d'autres fins. »
[27] Dans l'affaire Simard-Godin c. Gibeault(10), le Tribunal s'exprimait de la façon suivante :
« La détermination de la bonne foi, de l'intention réelle de reprendre possession et de l'absence de prétexte dolosif est une question de faits et d'intention entourant les faits. À ce chapitre la Régie est justifiée d'examiner les faits et motifs qui amènent le locateur à requérir le logement: cette appréciation implique nécessairement des éléments subjectifs et objectifs tels que la crédibilité de la locatrice et de sa fille, les raisons personnelles justifiant leur droit spécifique, la disponibilité d'un logement équivalent et même l'état des relations avec le locataire en cause. »
[28] Le législateur a choisi de préserver le droit au maintien dans les lieux du locataire et c'est pourquoi il impose l'obligation de démontrer l'intention réelle de reprendre le logement et l'absence de prétexte.
[29] Aussi, la bonne foi du locateur doit apparaître autant quant à ses intentions de se loger réellement dans le logement qu'aux raisons qui l'amènent à requérir le logement. L'intention de se loger dans le logement peut être bien réelle mais s'il s'agit d'un subterfuge, d'un faux-fuyant ou d'une diversion pour obtenir le départ du locataire, l'autorisation à la reprise ne peut être accordée.
[30] Dans cette évaluation, les tribunaux ont tendance à analyser le besoin réel et sérieux de reprendre le logement(11).
[31] Le Tribunal n'a pas à s'interroger sur l'opportunité pour le locateur de reprendre le logement du locataire plutôt qu'un autre(12). En l'absence d'autres éléments probants, ce choix appartient au locateur.
Le contexte dans lequel s'inscrit la reprise du logement, la disponibilité d'autres logements convenables(13), l'état des relations(14) ou les raisons qui amènent un locateur à vouloir reprendre le logement spécifiquement(15) peuvent aider le Tribunal à apprécier l'intention véritable du locateur et l'existence d'un prétexte, mais le Tribunal n'a pas à substituer ses propres choix au sien.
[32] En l'occurrence, le locateur envisage de reprendre le logement pour s'y loger suivant la conversion de l'immeuble en résidence unifamiliale.
(Références omises)
[24] Après avoir analysé la preuve, le Tribunal est d’opinion que le locateur a l’intention de reprendre le logement concerné pour éventuellement s’y loger.
[25] Toutefois, la preuve soumise par le locateur devant le Tribunal démontre que le projet n’est pas sur le point de se réaliser dans l’immédiat. Le locateur n’a toujours pas prouvé qu’il avait fait une demande de permis conforme à la Ville de Québec. De plus, il est de connaissance judiciaire que les délais pour l’obtention d’un permis de construction auprès de la Ville de Québec sont plus longs que ce qu’anticipe le locateur. Il n’a pas en sa possession des plans définitifs émis par un architecte ni aucune soumission de la part d’entrepreneur qui permettrait au Tribunal d’évaluer l’ampleur de son projet.
[26] La production de la grille des spécifications et d’un formulaire incomplet d’une demande de certificat d’autorisation ne permet pas au Tribunal de croire que le projet est sur le point de se réaliser.
[27] Sur la capacité financière du locateur de mener à terme son projet, la preuve est nébuleuse. En effet, interrogé par le Tribunal lors de l’audience, à savoir pourquoi dans un premier temps l’immeuble avait été acheté par sa compagnie de gestion, le locateur prétend que personnellement il n’avait pas les liquidités et le ratio d’endettement exigés par son institution financière, notamment en raison du fait qu’il possède déjà deux résidences unifamiliales. Le locateur prétend que la situation était différente en décembre 2021 et qu’il a alors été en mesure de devenir propriétaire de l’immeuble.
[28] Questionné par le Tribunal sur les changements à sa situation financière entre juillet et décembre 2021, le locateur a répondu qu’il n’y en avait aucun car il est toujours propriétaire des deux résidences unifamiliales. Selon lui, ce sont les analyses supplémentaires effectuées par son institution prêteuse qui lui auraient permis de se porter acquéreur de l’immeuble.
[29] Sur cette question de la solvabilité du locateur, le Tribunal entretient des doutes en raison des réponses qu’il a données, tel que mentionné dans les paragraphes précédents.
[30] Enfin, aucune preuve n’a été administrée par le locateur pour démontrer l’ampleur des travaux à être exécutés et ce dernier n’a pas demandé ni obtenu de soumission auprès d’entrepreneur général. Aucun devis ni plan définitif n’a été produit devant le Tribunal.
[31] Le Tribunal reprend les propos du juge Morissette dans le Dossier Desjardins, à propos de la probabilité que le projet du locateur se réalise :
« [40] Pour le Tribunal la preuve prépondérante ne permet pas de conclure à la faisabilité du projet. La possibilité de réaliser un projet est une chose, mais la probabilité qu'il se réalise en est une autre.
[41] Le Tribunal rappelle que le fardeau du locateur n'est pas de démontrer que son projet est possible, mais qu'il est probable qu'il sera réalisé. Or, pour le Tribunal, le locateur a échoué à démontrer qu'il est probable que son projet sera réalisé.
[42] Si l'on peut considérer qu'il est parfois possible de conclure à la légalité et à la faisabilité d'un projet sans même l'obtention d'un permis, la preuve soumise dans le cadre du présent dossier est nettement insuffisante pour arriver à une telle conclusion.
À cet égard, dans l'affaire Vivier c. Cyr(16), le juge administratif Serge Adam s'exprimait ainsi :
« [14] La reprise de logement, doit-on le rappeler, est une exception au droit au maintien dans les lieux loués. Le législateur a donc délimité ce recours de façon claire et restrictive afin d'éviter les abus. Pour avoir droit à la reprise, les locateurs doivent mettre en preuve des faits précis qui démontrent leurs intentions réelles, en plus du caractère de permanence et de faisabilité de la reprise.
[15] Il fut en effet reconnu par la jurisprudence que l'intention réelle d'occuper le logement se démontre, en outre, par le caractère permanent et réalisable que présentera cette occupation. En effet, il serait contraire à l'intention du législateur de forcer un locataire à quitter le logement alors qu'on ne vise qu'une occupation hypothétique alors que les projets sont improvisés et non déterminés ([4]) d'où pourrait résulter une occupation temporaire, voire inexistante.
[...]
[17] Dans le cas présent, le tribunal doit constater que le projet des locateurs ne présente pas ce caractère de faisabilité exigé pour justifier l'échec du droit au maintien dans les lieux du locataire. Les locateurs veulent peut-être loger leur fille certes, mais ils devaient prouver que leur projet était réalisable sur toutes ses facettes tant sur le plan légal que sur le plan monétaire. Or, en l'instance, les locateurs n'ont ni plan, ni permis, ni autorisation, voire aucune démarche officielle à la Ville de Montréal n'a été produite. Ils ne connaissent pas le coût total de ce projet et n'ont rencontré aucun entrepreneur en construction afin d'obtenir une évaluation de ces coûts. Bref, ils sont au tout début de ce projet.
[18] La preuve soumise est donc nettement insuffisante pour que les locateurs puissent obtenir gain de cause et être autorisés à reprendre le logement du locataire. La preuve ne démontre nullement si le projet est réalisable sur tous ses aspects. Par conséquent, le tribunal ne peut autoriser cette reprise et évincer un locataire alors qu'aucune certitude n'apparaît quant à la faisabilité de ce projet. »
[43] Également, dans l'affaire Paradis c. Sangrenet(17), la juge administrative Jocelyne Gravel mentionne :
« Le tribunal partage cette interprétation des critères d'appréciation d'une demande de reprise impliquant un projet d'agrandissement. Un locateur doit donc convaincre le tribunal de la faisabilité de son projet. Il doit avoir considéré les impacts financiers et être en mesure d'établir qu'il rencontre les exigences légales entourant l'agrandissement.
La reprise d'un logement étant une exception au droit au maintien dans les lieux d'un locataire, une interprétation restrictive s'impose. Il faut éviter de déloger un locataire pour un projet dont tous les impacts n'ont pas été évalués. Accepter la reprise impliquant un projet qui n'est pas raisonnablement avancé, c'est risquer de voir surgir un imprévu en empêchant son exécution. L'intention du législateur n'était certainement pas de faire assumer ce risque à un locataire. Notons que la balance des inconvénients milite en faveur du locataire. Il serait en effet possible pour un locateur de reprendre ses démarches de reprise une fois ses projets plus concrétisés. Par contre, le départ forcé d'un locataire est une situation plus définitive. »
(Références omises)
[32] Tout comme le juge Morissette, le Tribunal partage les opinions des juges administratifs Gravel et Adam.
[33] Le projet du locateur soulève trop de doutes sérieux à plusieurs niveaux pour permettre la reprise du logement.
[34] Pour le Tribunal, le locateur n’a pas rempli son fardeau de la preuve et le Tribunal doute de la possibilité que son projet se réalise. Ainsi, la reprise du logement ne sera donc pas accordée.
Quelle est l’indemnité raisonnable pour les frais de déménagement à être payés par le locateur ?
[35] Considérant la réponse du Tribunal à la première question, il est inutile pour ce dernier de se prononcer sur cette question.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] REJETTE la demande de reprise du logement;
[37] LE TOUT sans frais.
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Stéphan Samson | ||
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Présence(s) : | le locateur le mandataire des locataires | ||
Date de l’audience : | 2 mars 2022 | ||
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AVIS :
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