Décision

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Québec Hélicoptères inc. (Passport Hélico) c. Regroupement citoyens contre les nuisances d'hélico à Percé

2021 QCCS 3317

 

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GASPÉ

 

 

No :

110-17-001035-204

 

 

DATE :

Le 4 août 2021

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE PIERRE C. BELLAVANCE, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

QUÉBEC HÉLICOPTÈRES INC., faisant affaires sous la raison sociale de PASSPORT HÉLICO

Demanderesse / défenderesse reconventionnelle

c.

 

REGROUPEMENT CITOYENS CONTRE LES NUISANCES D’HÉLICO À PERCÉ

-et-

SYLVIE BOULÉ

-et-

MARC TRUDEL

-et-

MICHÈLE L. CÔTÉ

-et-

LOUIS BEAULIEU

-et-

LISE GAUTHIER BEAULIEU

-et-

ÉRIC CÔTÉ

-et-

DAVID BROCHET

Défendeurs / Demandeurs reconventionnels

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(portant sur une demande d’injonction permanente et une demande reconventionnelle réclamant des dommages et intérêts)

______________________________________________________________________

[1]           La demanderesse veut interdire à des personnes de mener une campagne d’information qu’elle qualifie de diffamatoire et défavorable à ses opérations commerciales qui consistent à offrir aux touristes des tours d’hélicoptère à Percé. En 2020, elle obtient, sur une preuve sommaire, une injonction provisoire toujours en vigueur.

[2]             Les défendeurs, qui s’appuient sur leurs droits à la liberté d’expression, nient être en faute. Ils réclament donc des dommages et intérêts disant que la poursuite est abusive et constitue une procédure bâillon.

1.         LE CONTEXTE

[3]           Le contexte est partiellement décrit par la demanderesse dans sa demande introductive d’instance aux paragraphes suivants :

[2] La demanderesse œuvre dans le domaine aérien et exploite une flotte d’hélicoptères au Canada et principalement au Québec. Elle offre notamment des vols nolisés, des cours de pilotage ainsi que des tours d’hélicoptères;

[3] Durant la période estivale, la demanderesse offre des tours d’hélicoptères dans la péninsule Gaspésienne, dont notamment dans la région de Percé et ce, depuis l’été 2011;

[4] Ces excursions d’hélicoptères dans la région de Percé sont offertes pendant une période annuelle unique d’environ six à huit semaines par année, selon la saison touristique, soit du mois de juin au mois de septembre;

[5] Toutefois, pour la période estivale 2020, la demanderesse a débuté ses opérations le ou vers le 10 juillet 2020 et entend terminer celles-ci le ou vers 23 d’août 2020 et ce, considérant la situation actuelle qui prévaut au Québec relativement au COVID-19;

[6] Ces excursions sont basées sur six parcours principaux, survolant principalement la mer et divers attraits touristiques reconnus mondialement et recherchés de la région tel que le Rocher-Percé;

[7] L’entreprise de la demanderesse est bien établie dans la région de Percé et ce, depuis près de 10 ans et a acquis une certaine notoriété;

[8] La demanderesse constitue un acteur clé dans le développement économique et touristique de la région et est grandement appréciée des résidents de la ville de Percé ainsi que des villages avoisinants;

[9] De plus, la municipalité de la ville de Percé ainsi que la MRC du Rocher-Percé sont en faveur des tours d’hélicoptères offerts par la demanderesse et ont notamment pu constater, au cours des années précédentes, l’apport positif de la demanderesse pour la région et le tourisme, le tout tel qu’il sera démontré lors de l’audition;

[10] La demanderesse offre une activité touristique recherchée, différente et unique pour la région, attire de nombreux touristes et ce, à chaque année depuis leur implantation dans la région et permet de bonifier l’offre touristique;

[11] Au surplus, la demanderesse exerce ses activités commerciales en toute légalité et respecte toutes les prescriptions municipales, provinciales et fédérales;

[12] Elle possède toutes les autorisations, permis et accréditations dûment requises par Transports Canada et l’Office des Transports du Canada, le tout tel qu’il sera démontré lors de l’audition;

[13] Les défendeurs Sylvie Boulé, Marc Trudel, Michèle L. Côté, Louis Beaulieu, Lise Gauthier Beaulieu, Éric Côté et David Brochet font partie du Regroupement citoyen contre les nuisances d'hélico à Percé, un regroupement marginal et non soutenu par la population de Percé et tentent, désespérément, par divers moyens, de nuire aux opérations de la demanderesse et de ternir la réputation de celle-ci afin d’en arriver à leurs fins;

[14] Lors de la période estivale 2019, dans l’unique but de nuire à la demanderesse et de ternir sa réputation et son image d’affaires, les défendeurs ont distribué et/ou affiché, notamment dans des endroits publics et sur leur terrain, des affiches et/ou des messages et/ou brochures à l’effet que le bruit des hélicoptères était excessif et brimait leur qualité de vie et que le survol de celles-ci à Percé étaient dangereuses, le tout tel qu’il appert de la photographie produite sous la pièce P-2, ce qui est faux, inexact et non fondé en faits et en droit;

[15] Durant ladite saison touristique, la demanderesse a fait parvenir à madame Sylvie Boulé, représentante du Regroupement citoyen contre les nuisances des tours d’hélico à Percé, une mise en demeure afin de procéder à l’enlèvement et à la destruction de l’ensemble des affiches et/ou écrits concernant la demanderesse, le tout tel qu’il appert de la pièce P-3;

[16] Le 29 juillet 2019, ladite mise en demeure fut récupérée par madame Sylvie Boulé, représentante du Regroupement citoyen contre les nuisances des tours d’hélico à Percé, tel qu’il appert de la preuve de signature de Poste Canada pièce P-4;

[17] Malgré la mise en demeure précitée, le ou vers le 18 juillet 2020, sans droit, les défendeurs ont, à nouveau, distribué et/ou apposé des affiches et/ou messages et/ou brochures, tel qu’il appert de la pièce P-5;

[18] Ces affiches et/ou messages et/ou brochures invitent les lecteurs et le public à être solidaires avec les défendeurs et incitent explicitement ceux-ci à boycotter l’entreprise et à éviter l’attraction, alléguant à nouveau la dangerosité des tours d’hélicoptères, l’incompatibilité avec le Géoparc mondial UNESCO de Percé et une atteinte à leur qualité de vie;

[19] Ces messages et/ou affiches et/ou brochures véhiculent de fausses informations qui sont non fondées en faits et en droit et aucunement soutenues par des preuves d’expert et attaquent directement et injustement l’image de l’entreprise;

[20] De plus, les défendeurs allèguent et divulguent publiquement et faussement que les opérations de la demanderesse sont incompatibles avec le Géoparc mondial UNESCO de Percé et ce, sans fondement juridique ni appui scientifique;

 

[4]           Cet exposé du contexte de l’affaire doit être complété par certains paragraphes de l’exposé sommaire des moyens de défense des défendeurs :

[1] Ils sont des citoyens ordinaires, ils sont des personnes raisonnables, ils n’ont commis aucune faute et la demanderesse ne subit aucun dommage;

[2] Ils sont depuis plusieurs années propriétaires ou locataires de résidences situées sur la Route 132 à Percé se trouvant entre 70 mètres et 2 kilomètres de l’héliport installé et opéré par la demanderesse offrant depuis ou vers l’année 2012 des tours touristiques d’hélicoptère;

[3] Ces vols touristiques en milieu résidentiel bâti entraînent des inconvénients qui excèdent les limites de tolérance normales et acceptables du voisinage en raison du bruit excessif et de sa fréquence incessante qui troublent la paix et la sérénité des défendeurs et les empêchent d’avoir la jouissance paisible de leur propriété en tout temps tout l’été les jours de beau temps;

[4] De plus, les défendeurs ont pris connaissance dans les médias d’informations du fait que l’hélicoptère Robinson R-44 utilisé par la demanderesse est un appareil dangereux, qu’il y a eu plusieurs bris et décès et qu’il existe un recours collectif et que des décès sont survenus au Québec et, récemment, en Alberta;

[5] C’est dans ce contexte que les défendeurs expriment leur mécontentement quant aux activités de la demanderesse et qu’ils demandent que Passport Hélico déplace ses activités à l’extérieur du patrimoine bâti de la Ville de Percé;

[6] Ce n’est qu’après plusieurs interventions de la part des défendeurs et de plusieurs autres citoyens de Percé, après plusieurs années, que la demanderesse a fini par commencer à mieux respecter ses autorisations de vols ainsi que la réglementation municipale, mais les troubles et inconvénients excessifs demeurent et elle n’est pas aussi bon citoyen qu’elle le prétend;

 

[5]           Concernant les parties en cause, on apprend que le Regroupement citoyens contre les nuisances d’Hélico à Percé, visé par la procédure introductive d’instance, n’est en fait qu’un simple regroupement de citoyens qui n’a aucune existence légale. À toutes fins utiles, la demanderesse s’estime donc diffamée par les agissements et les propos des individus qui sont visés par les procédures judiciaires. Ceux-ci répliquent par une demande reconventionnelle où ils réclament des dommages et intérêts pour les troubles et ennuis provoqués par les procédures judiciaires, le remboursement des honoraires extrajudiciaires qu’ils ont dû engager pour se défendre contre ces procédures qu’ils qualifient d’abusives ainsi que des dommages et intérêts punitifs parce que l’on aurait tenté par une procédure bâillon de les empêcher de s’exprimer sur une question qui les touche directement et qui est d’intérêt public.

[6]           Il faudra donc déterminer premièrement s’il y a eu diffamation, ce qui pourrait fonder le droit de la demanderesse à obtenir une injonction afin que les actions des défendeurs cessent. Dans un deuxième temps, si la diffamation n’a pas été démontrée et que l’injonction devait être refusée, il faudra voir si la demande reconventionnelle doit être accueillie parce que la procédure introductive d’instance aurait pour effet de bâillonner les individus concernés.

2.         ANALYSE ET DÉCISION

[7]           La position juridique de Québec Hélicoptères inc. (ci-après : QHI) est exposée aux paragraphes suivants de la demande introductive d’instance :

[21] Le comportement des défendeurs constitue de la diffamation et nuit directement au développement et aux affaires de la demanderesse;

[22] Le comportement des défendeurs est grave et illégal et enfreint le droit absolu de la demanderesse à son intégrité et à sa réputation et à la protection de son image d'affaires;

[23] En 2019, dans un souci de bonne foi et de collaboration, la demanderesse a tenté de satisfaire les défendeurs en modifiant les parcours de vol en évitant certaines zones et en mettant de l'avant des mesures d'atténuation du bruit;

[24] Malgré la bonne foi de la demanderesse, son souci d'attention et de collaboration et les mesures mises en place par celle-ci, les défendeurs tentent par tous moyens de ternir et de nuire leur réputation afin que les touristes désertent l’entreprise;

[25] Les défendeurs désirent à tout prix que la demanderesse déménage son site d'opération hors de la région de Percé et sont prêts à tout afin d’arriver à leurs fins;

 

 

[8]           Les défendeurs répondent à cela ce que l’on peut lire au paragraphe 7 de leur exposé des moyens de défense :

[7] C’est à bon droit que les défendeurs expriment leurs doléances, ils invoquent leurs droits civils et notamment, leurs droits à la liberté d’expression et à la liberté d’association protégés par l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne à l’encontre de la demande d’injonction de la demanderesse; seuls les 7 défendeurs sont la cible et les victimes de la poursuite en injonction dans le but de les museler et de les intimider, la demande est déraisonnable, de mauvaise foi, abusive et constitue une poursuite bâillon;

 

 

[9]           Voyons donc s’il y a eu diffamation et atteinte à la réputation, et si l’injonction demandée doit être accordée dans les circonstances.

[10]        Les principes entourant le recours en diffamation, réparation du préjudice et cessation de l'atteinte, sont bien connus. L'arrêt de principe, Prud'homme c. Prud'homme[1], a été repris à plusieurs reprises par les tribunaux, dont récemment par la Cour d'appel dans les arrêts Guimont c. Lamarche[2], et Hébert c. Capital Transit inc.[3].

[11]        Dans l’affaire Guimont, voici comment la Cour d’appel résume les fondements du recours :

14  Au Québec, le recours en diffamation obéit aux règles générales de la responsabilité civile, telles qu'énoncées à l'article 1457 C.c.Q. Le demandeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de cause à effet entre la première et le second3.

15  Pour démontrer l'existence d'un préjudice, le demandeur doit établir que les propos ou écrits reprochés à la partie défenderesse sont diffamatoires. La nature diffamatoire du message s'analyse selon une norme objective. Il faut se demander "si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d'un tiers"4.

16  Le propos peut être diffamatoire par l'idée qu'il exprime explicitement ou encore par les insinuations qui s'en dégagent5.

17  Le demandeur doit ensuite démontrer que l'auteur des propos jugés diffamatoires a commis une faute, laquelle peut résulter d'une conduite malveillante (avec l'intention de nuire) ou simplement négligente (témérité, négligence, impertinence ou incurie)6.

18  L'appréciation de la faute est intimement liée aux faits et aux circonstances de chaque affaire. Il faut dans chaque cas "[porter] une attention particulière au contexte, [...]"7[4]

[Citations omises]

 

A)            La diffamation a-t-elle été démontrée de manière à servir de fondement à la demande d’injonction ?

[12]        Pour répondre à cette question, il faut premièrement voir s’il y a préjudice. Dans l’affirmative, il faudra voir s’il y a eu faute des défendeurs.

[13]        Comme la Cour d’appel l’enseigne, pour démontrer un préjudice, QHI doit établir par prépondérance de la preuve que les propos ou les écrits des défendeurs sont diffamatoires. L’examen du message à la source du problème doit se faire de façon objective en se demandant si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation de quelqu’un explicitement ou par insinuation.

[14]        Dans notre affaire, la diffamation résulterait essentiellement de trois interventions des défendeurs. Ils auraient installé sur leurs propriétés des affiches sur lesquelles était représenté un hélicoptère et où on a apposé un « X » dans le but d’exprimer le refus. Deuxièmement, ils ont distribué des feuillets d’information traitant du sujet selon leur point de vue. Troisièmement, ils auraient fait circuler une pétition signée par plus de 120 personnes qui est précédée d’un texte introductif ayant un caractère diffamant.

[15]        Commençons par les affiches afin de voir si elles ont un caractère diffamatoire. Celles-ci auraient été installées sur le terrain de certains des défendeurs. On y voyait sur un panneau d’environ 1 mètre par 1 mètre, le dessin d’un hélicoptère sur lequel on a apposé un « X » dans le but d’exprimer un refus. Ces panneaux sont disparus du paysage après avoir été vandalisés ou volés par des inconnus.

[16]        Les feuillets d’information, quant à eux, distribués à environ 1 000 exemplaires contiennent le message suivant :

Assez la pollution par le bruit et de l’air.

Bruit excessif : survol aux 15, 20 minutes par beau temps, menace la qualité de vie des citoyens visiteurs.

Dangerosité : les survols trop près de la population et des résidences.

Attractions : incompatible avec le Géoparc de Percé reconnue par l’UNESCO, impact écologique local nocif, apport financier local insignifiant, voir Radio-Canada La Facture 12 novembre 2019, nous en appelons à la solidarité des visiteurs, éviter cette attraction, c’est évité leur survol invasif, nous demandons le déménagement du site d’opération loin des résidences.

Signé : Le Regroupement des citoyens contre les nuisances des tours d’Hélico à Percé.

 

[17]        Première constatation, ces deux « documents » n’identifient pas et ne ciblent pas la demanderesse. Ce qui est visé, ce sont les hélicoptères et le bruit qu’ils génèrent ainsi que le danger qu’ils pourraient représenter dans certaines circonstances. Le message de mécontentement diffusé par les défendeurs vise les inconvénients engendrés par les vols d’hélicoptère à proximité de leurs résidences et ensuite, les problèmes de sécurité que cela implique à leurs yeux. Le Tribunal ne voit pas en quoi ces propos pourraient être diffamatoires puisqu’ils tombent sous le sens que le vol d’un hélicoptère à basse altitude cause du bruit et peut présenter un problème de sécurité lorsque cela se déroule à proximité de résidences. Le reste relève de l’opinion sans caractère diffamatoire pour la demanderesse. C’est également le cas lorsque l’on écrit, par exemple, que les hélicoptères sont incompatibles avec le Géoparc de Percé, ont un impact écologique et n’ont pas d’apports financiers pour la région.

[18]        Finalement, demander, comme les défendeurs le font, le déménagement du site d’opération des hélicoptères cible, il est vrai, la demanderesse, mais il est objectivement difficile d’y voir un commentaire diffamatoire.

[19]        De l’avis du Tribunal, on n’a pas démontré par preuve prépondérante le caractère diffamatoire de ces deux documents à l’endroit de la demanderesse. Il n’en résulte aucun préjudice. En effet, ceux-ci ne s’attaquent pas à la demanderesse, mais plutôt aux inconvénients et aux problèmes de sécurité provoqués selon les défendeurs par la circulation des hélicoptères à proximité des résidences.

[20]        Reste le troisième document, la pétition dont voici le texte :

Aux :    Directeur général, maire, administrateur(e)s et conseiller(e)s de la Ville de Percé.

Mesdames, messieurs.           Percé, le 2 août 2015.

La présente constitue une plainte citoyenne pour cause de nuisance sonore (particulièrement, mais non uniquement), provoquée par l’hélicoptère Passport Hélico, lequel survole le territoire de la Ville de Percé depuis ce 10 juillet, quasi tous les jours, à fréquence élevée, en toutes directions et à proximité de nombreuses résidences et propriétés privées (commerciaux ou non), et lequel décolle de et atterrit sur un champ privé sur la route 132 ouest, voisin immédiat de et face à plusieurs résidences.

La présente constitue également une requête dont les demandes sont telles que suit :

-         À savoir si la municipalité a fait les vérifications appropriées auprès des instances municipales, fédérales et provinciales ainsi qu'auprès de la population avant le début des tours d’hélicoptère sur son territoire, et ce, en matière de la sécurité et des obligations légales et civiques liées à ce type de commerce (VERSO);

-         Que ces vérifications soient faites rapidement si elles ne l’ont pas encore été.

-         Que les résultats de ces vérifications puissent être connus de la population.

-         Suite à ces vérifications, si la compagnie Passport Hélico a le droit d’opérer :

o   que l'aire d’atterrissage et de décollage soit déplacée loin des résidences et de la route 132 à un endroit sécuritaire, convenu par tous et convenable qui ne dérange personne;

o   que le nombre maximum d’hélicos ne dépasse jamais un;

o   que le « gabarit » d’un hélico de tour soit minimal;

o   qu’un hélico ne puisse jamais survoler aucune partie de notre territoire bâti et naturel privé;

o   qu’un plan de vol convenable soit au préalable minutieusement analysé puis proposé et convenu par consultation publique afin que personne ne soit dérangée ni par son bruit, ni par sa vue ni par ses émanations.

-         Si les vérifications en bonne et due forme démontrent que la compagnie Passport Hélico contrevient à ses obligations en matière de sécurité, de légalité et de civisme, qu’il quitte tout simplement le territoire, et ce, pour de bon.

-         Étant donné le grand nombre de citoyens manifestant leur mécontentement d’avoir à subir à répétition pendant 7 semaines d’été le bruit agressant d’un hélicoptère au-dessus de leurs têtes, maisons, terres, intimité, que ne soit plus permis ni toléré aucun commerce de tours d’hélicoptère, et ce, en toutes saisons et sur tout le territoire.

-         Que nos élus adoptent des lois municipales et/ou gouvernementales qui préviendront tout abus de ce genre dans le futur, et qu’ils effectuent lors du choix de leurs divertissements estivaux les vérifications et consultations appropriées afin que plus jamais les habitants de ce territoire n’aient à réclamer leur droit à la quiétude, l’intimité et à la sécurité, d’autant plus pendant le temps de la visite et de la belle saison.

-         Que les responsables du développement touristique se mettent à la page de cette ère d’un tourisme toujours plus vert, en offrant aux visiteurs et aux citoyens des activités estivales à la fois édifiantes, non polluantes et durables - pourquoi ne pas « recycler » en les améliorant à des activités existantes ? - avec une vision toute particulière vers le futur d’un « encore bel ici » pour nos enfants, héritage que nous avons le devoir de leur léguer.

-         Que nous arrivions ensemble au bon dénouement de ce gros problème, dont l’issue devra être en toute conscience, de garantir immédiatement et à long terme aux visiteurs et aux citoyens la qualité, la sécurité et la tranquillité de ce magnifique lieu d’accueil et de vie : préserver et sauvegarder à tout prix ces enjeux est une obligation morale au-delà de toute considération légale et économique, justement parce que ces enjeux n’ont pas de prix.

-         À la lumière de ce qui précède et au-delà de toute considération légale et économique, que monsieur Yves Le Roux, propriétaire de Passport Hélico, fasse preuve de simple courtoisie et retire ses activités commerciales de notre territoire.

Je suis confiante que tous ceux et celles à qui ces demandes s’adressent y verront légitimité, importance et bonne foi, mais aussi envergure, vu la première liste de signatures à leur appui jointe à la présente.

[…][5]

 

[21]        De façon générale, on peut faire les mêmes commentaires ici que ceux qui ont été faits précédemment selon lesquels c’est le volet inconvénients par le bruit et celui qui touche à la sécurité qui constituent l’essentiel du message, les défendeurs interpelant au passage la municipalité et les « gouvernements » afin qu’ils s’impliquent dans le dossier.

[22]        Toutefois, dans ce cas précis, le document fait une association directe entre des « nuisances sonores », un comportement abusif, la production de pollution par le bruit et les opérations de QHI. Le propriétaire de l’entreprise, monsieur Le Roux est personnellement visé par le document puisqu’on lui demande de faire preuve de courtoisie.

[23]        Dans ce cas, il faut reconnaître qu’il est possible qu’un citoyen ordinaire estime qu’on a déconsidéré la réputation de QHI en l’associant à des « nuisances sonores », à de l’abus et à une activité polluante et potentiellement dangereuse. En effet, un préjudice pourrait avoir été subi par la demanderesse s’il n’y a pas eu de nuisances, d’abus ou de pollution sonore. Nous y reviendrons.

[24]        Cela dit, une telle conclusion ne donne pas automatiquement ouverture à une condamnation liée à la responsabilité civile des défendeurs. Comme l’enseigne la Cour suprême dans l’affaire Prud’homme, il faut voir si une faute a été commise :

35  Cependant, des propos jugés diffamatoires n'engageront pas nécessairement la responsabilité civile [page685] de leur auteur. Il faudra, en outre, que le demandeur démontre que l'auteur des propos a commis une faute. Dans leur traité, La responsabilité civile (5e éd. 1998) , J.-L. Baudouin et P. Deslauriers précisent, aux p. 301-302, que la faute en matière de diffamation peut résulter de deux types de conduites, l'une malveillante, l'autre simplement négligente :

-          La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s'attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l'humilier, à l'exposer à la haine ou au mépris du public ou d'un groupe. La seconde résulte d'un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites constituent une faute civile, donnent droit à réparation, sans qu'il existe de différence entre elles sur le plan du droit. En d'autres termes, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d'abandonner résolument l'idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d'un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire.

36  À partir de la description de ces deux types de conduite, il est possible d'identifier trois situations susceptibles d'engager la responsabilité de l'auteur de paroles diffamantes. La première survient lorsqu'une personne prononce des propos désagréables à l'égard d'un tiers tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l'intention de nuire à autrui. La seconde situation se produit lorsqu'une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu'elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s'abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité. Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l'égard d'un tiers. (Voir J. Pineau et M. Ouellette, Théorie de la responsabilité civile (2e éd. 1980), p. 63-64.)[6]

 

 

 

 

 

[25]        Rappelons aussi ce qu’écrivait la Cour d’appel dans l’affaire Guimont :

18  L'appréciation de la faute est intimement liée aux faits et aux circonstances de chaque affaire. Il faut dans chaque cas "[porter] une attention particulière au contexte, [...]"7.[7]

 

[26]        Or, peut-on dire que les défendeurs, dans leurs écrits, ont tenu des propos qu’ils savaient faux, qu’ils auraient dû savoir faux ou qu’ils ont agi sans aucune justification ?

[27]        Voyons ce que la preuve a révélé sur cette question.

[28]        Sept individus sont visés par la demande d’injonction. Tous ont signé une déclaration assermentée, certains d’entre eux ont témoigné à la Cour. Voici ce qu’ils affirment.

1.          Marc Trudel (opérateur de machinerie lourde pour la Ville de Percé)

[29]        Dans sa déclaration assermentée, monsieur Trudel expose ce qui suit :

[1] Je suis Marc Trudel et je réside [à l’adresse 3] à Percé depuis 2011. Je suis natif de Percé et suis toujours resté dans ce coin tranquille pour y élever ma famille, pêcher la morue et le homard et opérer la machinerie lourde en tant qu’ouvrier-opérateur saisonnier aux travaux publics de la Ville de Percé.

[2] Je connais la machinerie et son bruit. Par contre je suis extrêmement dérangé et alarmé par le bruit harassant des tours d’hélicoptère que je subis à haute et grande fréquence depuis 7/8 ans, tout l’été, dès mon retour du travail et tous les weekends.

[3] En 2013, en balade avec ma blonde dans le champ derrière sa propriété, j’ai été alerté par les survols bas et bruyants d’un hélico. J’apprenais que des tours s’étaient installés à environ un km de chez moi, sans jamais me douter que ça durerait encore aujourd’hui. Je me souviens qu’en 2014, je travaillais avec un excavateur et sa machinerie lourde sur le terrain derrière la maison. Réagissant au bruit des survols juste au-dessus de nous il m’a dit : «La Ville peut pas laisser faire ca ! Il doit y avoir des lois contre ça ! ». Il se trompait puisque la Ville et Transports Canada laissent faire depuis tout ce temps, et Passport Hélico en profite bien, à mon insu.

[4] Je suis un manuel qui travaille fort l’été, toute la semaine. Après 16h la semaine, et puis les weekends, j’aimerais bien profiter d’une bonne bière sur ma galerie ou faire des jobs tranquillement dehors. Impossible avec un hélico au-dessus 7 sur 7 jusqu’à 18h, même au-delà. En 2015, j’étais sur la galerie après le travail quand l’hélico passe plusieurs fois très bas. J’ai appelé mon directeur-général et me suis plaint, l’invitant à venir sur place constater ce qui se passait. Il n’est jamais venu.

[5] J’ai bien honte du zéro d’empathie de mon employeur envers ses citoyens dont je suis et qui, malgré plusieurs plaintes depuis 2012-13, permet de tourner Percé et surtout le secteur-ouest, en un véritable  Far West » l’été. Je dénonce aussi le fait que la municipalité et l’opérateur de tours n’aient jamais considéré un seul des 129 signataires dont je suis également. Je souligne les fausses informations concernant ladite pétition, que le dg municipal a acheminées en 2016 (P-16) à M. Le Roux. Également le fait que pendant des années, ce dernier ait profité de la complaisance municipale jusqu’à ce qu’il soit finalement tenu de corriger ses manquements aux règlements municipaux où il s’est installé.

[6] Depuis 8 étés, je dirais 3 à 4 fois/semaine, je dois partir de la maison pour ne plus avoir à endurer l’hélico au-dessus de moi. Je le redis : le bruit des machines c’est pas comparable à un hélico, surtout à répétition, et c’est pas endurable. Percé n’est pas une zone de guerre, mais bien un coin de repos et de villégiature et c’est pas pour rien que je ne vis pas en ville !

[7] C’est vraiment pas correct que l’opérateur laisse voler son engin, jusqu’à 25/30 fois par jour, juste au-dessus d’une voisine immédiate du site et mère d’un co-intimé de plus de 80 ans, qui sent l’odeur du carburant dans sa maison tant l’hélico passe proche! D’ailleurs je dénonce le fait que le pdg de Passport Hélico (et ses pilotes) ne connaisse pas cette dame, qu’il ne soit jamais venu, par simple civilité d’homme d’affaires saisonnier et en bon voisin corporatif, discuter avec elle et avec nous, qu’il sait pourtant dérangé par son attraction touristique.

[8] Je qualifie ses passages de nuisibles à l’environnement sonore et visuel ainsi qu’au bien-être de la population au sol : si les tours veulent opérer, qu’il le fasse loin de tout secteur résidentiel de Percé et loin des voisins, mais aussi en respectant le développement durable, norme obligatoire de nos jours pour toute activité touristique.

[9] En 2019, c’était mon idée de distribuer avec le regroupement des feuillets d’information au public, après qu’entre 2016 et 2018 nos pancartes (pourtant posées en toute légitimité, selon également la SQ), furent quasiment toutes volées ou vandalisées. Ce feuillet méticuleusement composé, dénonce entre autres le bruit excessif des tours dans le voisinage, l’endroit d’où ils opèrent (revendiquant le déménagement hors du secteur bâti) et le danger de survols répétitifs et fréquents sur les gens et leurs maisons. J’ajoute ici mon inquiétude vis-à-vis l’appareil R-44 utilisé à Percé pour ces tours, vu le bilan des accidents fréquents et reconnus de ce type d’appareil. Je suis également inquiet que ces tours soient aux commandes de pilotes récemment certifiés en quête d’heures de vol. Autant de risques inutiles, juste au-dessus des maisons, le long de la route 132 ouest fort achalandée l’été, et le long de la falaise où les vents sont particulièrement changeants et agressifs. Par ailleurs, ce feuillet ne nommant pas Passport Hélico, ne cherche pas à ternir la réputation de cette entreprise. Je n’ai d’ailleurs jamais cherché à diffamer qui que ce soit en aucun temps. En 2019, j’ai posé des feuillets aux haltes routières, généralement le matin avant d’aller travailler.

[10] Selon mon souvenir, je me suis arrêté peut-être 2/3 fois au site pour dire aux pilotes de s’éloigner. Une fois en 2016, je leur ai dit que la chasse aux canards commençait bientôt, trouvant cette anecdote plus drôle que menaçante, puisque le pilote cette année-là se nommait M. Canard... Un soir de 2018, alors que je soupais avec ma visite, un agent de la SQ m’a appelé. D’une façon très informelle, il m’a demandé si je comptais retourner parler aux pilotes. En lui répondant non, j’en ai conclu qu’il se référait à l’après-midi même, alors que je me suis arrêté leur dire d’arrêter de faire du bruit chez moi et de voler ailleurs. Cet hiver 2021, la SQ m’a confirmé qu’aucune plainte n’avait été déposée en aucun temps contre moi.

[12] Bien avant que la Covid attire moins de visiteurs et de famille sur ma galerie, déjà en 2017-18 je n’en invitais presque plus, non plus à se baigner dans le lac en arrière, sachant que leur vie privée, comme la mienne, serait compromise d’en haut. Sans oublier les nombreux passages même après 18h qui m’enlèvent maintenant tout goût de souper sur la galerie.

[13] Si le sourire et la bonne humeur font partie de moi depuis 60 ans, ils virent souvent à la tristesse en voyant le travail et la détresse imposés surtout à ma blonde. Je comprends qu’elle veuille vendre, mais je suis désemparé de quitter moi aussi ce domaine magnifique que je travaille comme elle à soigner et à embellir, et où je suis heureux de vivre depuis dix ans...sauf maintenant l’été. Je considère que cette belle vie dans un paradis tranquille m’est volée par les tours d’hélicoptère.

[14] À l’été 2020, alors que l’injonction provisoire fut exigée, j’ai été témoin de plusieurs survols hyper-bas et trop rapides pour filmer, directement au-dessus de la maison. Je considère ces survols une manière de nous narguer. Tout comme d’ailleurs au cours des ans, les « bye bye » et les « tuut tuut » d’un employé de Passport Hélico passant devant chez moi en voiture ou en van de la compagnie.

[15] Je certifie mon observation en tout temps de l’injonction provisoire de 2020. Je qualifie d’abusive la demande d’injonction permanente d’autant plus qu’elle vient de l’opérateur qui justement me nuit depuis 2013, et qui maintenant en 2021 a le front de vouloir faire taire mes objections. Je dénonce ce procédé-bâillon et la tentative d’entraver ma liberté de parole et d’association.

[16] J’éprouve une détresse morale tous les étés à force d’endurer ce fléau, mais encore plus cet hiver 20-21 car cette demande d’injonction augmente les préjudices moraux subis y inclus le travail que ça demande pour se défendre.

[17] Je dénonce la dette financière que cette demande d’injonction me met sur le dos. C’était entre autres pour éviter des frais d’avocat que j’avais saisi les Petites Créances fin 2019, comme les autres 6 co-intimés.

[18] Je termine cette déclaration avec une anecdote datant de 2016 : je jouais dehors avec mon petit-fils âgé alors de 4 ans. L’hélico nous passe dessus plusieurs fois, alors le petit me dit : « il est donc bien tannant cet avion ! ». Je lui apprenais alors comment dire hélicoptère et lui me répond : « ça fait beaucoup de bruit cette affaire-là, on peut t’y aller jouer ailleurs ? ». Selon moi, la vérité sort encore de la bouche des enfants.

[19] Pour tous ces faits et observations, et à la lumière des nombreuses pièces déposées en preuve par notre groupe de citoyens, je demande à la Cour de stopper toute injonction permanente à mon égard ainsi qu’à celui des 6 autres citoyens co-intimés. Je demande également qu’elle nous accorde le dédommagement établi par mon procureur dans notre demande reconventionnelle, même si je considère irrécupérables et inestimables les dommages causés par les tours d’hélico depuis toutes ces années.

 

 

[30]        À l’occasion de son témoignage, monsieur Trudel explique que les hélicoptères, aux décollages peuvent voler à environ 150 ou 200 pieds au-dessus de sa résidence. À quelques occasions, il explique que cette distance aurait été d’au plus 75 pieds. Dans son cas, les hélicoptères passent chez lui presqu’exclusivement aux décollages et sont à ce moment suffisamment près pour qu’ils puissent voir le nombre de passagers et leurs visages à bord de l’appareil, ce qui en dit long sur sa proximité.

[31]        Il doit hausser le ton lorsqu’il discute avec sa conjointe à l’extérieur afin de couvrir le bruit des hélicoptères aux décollages Il critique la fréquence des passages d’hélicoptère, entre 30 à 60 par jour, si l’on compte les atterrissages.

2.          David Brochet (enseignant à la retraite)

[32]        Dans sa déclaration assermentée, monsieur Brochet expose ce qui suit :

[1] Je suis David Brochet, natif de Percé, résidant [à l’adresse 1] à Percé, [...], ancien capitaine de bateau, naturaliste pour le Service Canadien de la faune à l’Île Bonaventure afin de sensibiliser le grand public à la protection des oiseaux marins et de leurs habitats et pendant plus de treize ans, enseignant au niveau primaire en Ontario et au Québec.

[2] Le terrain que Passport Hélico a choisi comme site d’exploitation est adjacent  à ma résidence et des chalets d’été de la famille, Chalets Rainbow, établis depuis soixante ans, maintenant fermés de façon permanente dû en partie, au bruit excessif, le manque d’intimité sur notre propriété et le danger potentiel causé par les passages bruyants, fréquents et trop près de l’hélicoptère de Passport Hélico pendant plus de cinq années. Un ancien client a déclaré : « Ça n’a pas de bon sens, ce n’est pas un aéroport, c’est un champ ».

[3] À la maison, par beau temps pendant tout l’été, le bruit de l’hélicoptère m’oblige à garder les fenêtres fermées et, à l’extérieur de ma résidence, de suivre les recommandations d’un spécialiste médical, de porter des protecteurs d’oreilles.

[4] La proximité et la fréquence des survols de ma résidence sont des sources d’un énorme stress qui m’a été infligé pendant les plus belles semaines d’un été déjà trop court et ça pendant plusieurs années. Ce stress est amplifié par le fait que Passport Hélico s’affiche comme école de pilotage, utilise des pilotes peu expérimentés et que l’hélicoptère utilisé sur ce site est un Robinson R-44, un modèle impliqué dans un grand nombre d’accidents, souvent mortels.

[5] Selon le plan de vol présenté par Passport Hélico, le départ de l’hélico est prévu vers la mer, mais dans la plupart des cas, au lieu de partir vers la mer, il amorce son décollage plus vers l’Ouest où il survol notre propriété à environs trente (30) mètres de ma résidence et directement au-dessus des chalets. La proximité et la fréquence de ces survols forment une invasion à la vie privée pour moi et pour ma sœur, propriétaire et pour la madame qui habite du côté Est du terrain d’exploitation. Je me sens surveillé de près toute la journée. Cette opération commerciale et non essentielle de Passport Hélico nous rend la vie insupportable pendant les plus belles semaines de l’été. Souvent pendant ces périodes, je quitte ma résidence pour des lieux plus accueillants. J’ai le sentiment de ne plus pouvoir vivre chez moi.

[6] L’effet de ces tours d’hélico est non seulement une perte de jouissance dans ce lieu magnifique, je suis littéralement chassé de ma résidence. Je me sens exproprié et le tout à cause d’une activité commerciale non essentielle pour laquelle les bienfaits même pour la Ville de Percé n’ont pas été prouvés; cette activité n’a pas été incluse dans une étude récente demandée par la Ville.

[7] Pour les raisons mentionnées ci-haut, moi et les membres du Regroupement avons demandé à Passport Hélico d’installer des flotteurs pour pouvoir survoler la mer et ensuite de s’engager à faire des mesures d’atténuation.

[8] Suite à un échec total des démarches auprès de Passport Hélico ainsi qu’à la Ville de Percé pour ces troubles de voisinage, nous, les membres du Regroupement, avons demandé à Passport Hélico de déménager son site d’opération dans une zone loin des résidences.

[9] En 2020, suite à la distribution de feuillets exprimant les torts que nous subissons, Passport Hélico nous est arrivée avec une injonction qui enlève mon droit de libre expression et d’association.

[10] Afin de me protéger contre l’injonction de Passport Hélico, j’ai été obligé d’engager un avocat d’expérience, de dépenser des sommes d’argent énormes pour moi et de consacrer beaucoup de temps pendant plusieurs mois d’hiver à faire avancer cette cause. Alors pour moi, le préjudice causé par Passport Hélico est réel pendant l’été, mais aussi dans une grande partie de l’année.

[11] Je conteste fortement l’injonction demandée qui me prive de mon droit constitutionnel d’expression et d’association. Mon intention n’a jamais été de diffamer qui que ce soit, ni aucune entreprise. J’ai simplement voulu sensibiliser la population aux préjudices subis : la perte de qualité de vie, de jouissance de vivre dans ce décor Gaspésien, du stress majeur induit par le bruit harassant et fréquent, de même que par la dangerosité raisonnablement appréhendée.

[12] Je suggère donc à la Cour de bien vouloir rejeter la demande en injonction et de nous accorder la demande reconventionnelle ainsi que les dommages monétaires réclamés.

 

[33]        À l’occasion de son témoignage, monsieur Brochet commente des vidéos, des photographies et un reportage qui a été présenté à l’émission La facture de Radio-Canada. On peut y voir un hélicoptère posé sur le terrain adjacent à la propriété de sa sœur où il réside tous les étés. Il estime la distance entre la maison et le site de décollage et d’atterrissage à moins de 100 mètres. Aux décollages, l’hélicoptère survole souvent la résidence ainsi que trois chalets autrefois loués l’été à des touristes. Monsieur Brochet explique que lui et sa sœur ont dû mettre fin à leurs activités de location, les clients quittant les lieux après une nuit, indisposés et insécurisés, par la présence à proximité des hélicoptères.

[34]        Il dit ne pas comprendre que l’on permette de telles opérations commerciales, bruyantes et potentiellement dangereuses, à moins de 100 mètres d’une résidence ou d’une route comme la 132, très achalandée l’été.

[35]        Il est vrai, dit-il, que lorsque les hélicoptères ont atteint leur altitude de croisière à environ 3 000 pieds, le bruit, quoi que présent, n’est pas vraiment dérangeant, mais que pour les sept individus qui sont poursuivis, l’altitude de l’hélicoptère au-dessus de leurs résidences ou de leurs propriétés entre 100 et 300 pieds augmente considérablement le bruit.

[36]        Monsieur Brochet explique que les opérations de ravitaillement en pétrole des hélicoptères l’inquiètent lorsqu’il voit que l’on transporte sur place, dans une remorque attelée à un simple VTT, des barils d’environ 100 litres de pétrole.

[37]        Il dit avoir fait évaluer la propriété de sa sœur par un évaluateur agréé de manière à connaître l’effet des opérations des hélicoptères sur la valeur de la propriété. La conclusion de l’évaluateur, qui n’a pas témoigné à la Cour, est que la propriété aurait perdu entre 10% et 12% de sa valeur.

3.          Sylvie Boulé

[38]        Madame Boulé a été au service de la Direction de la protection de la jeunesse dans la région de Montréal pendant vingt-cinq ans. En 2012, elle dit être tombée en amour avec la région de Percé et elle réussit à se faire transférer à la prison de Percé pour agir comme intervenante. Elle prend sa retraite en 2018, mais déménage de la région en 2020, trop indisposée par les vols d’hélicoptère.

[39]        À l’occasion de son témoignage, madame Boulé explique qu’elle n’était plus capable de subir le bruit provoqué par les hélicoptères à proximité de sa résidence du mois de juin à la fin de l’été et cela, depuis 2012. Elle explique que pour fuir les lieux, elle a décidé de vendre sa propriété à perte en 2020.

[40]        Elle explique que même si elle habitait à deux kilomètres du site de décollage et d’atterrissage, elle était dérangée par la fréquence des survols et l’irrégularité de l’altitude des appareils. Elle dit avoir été témoin de plusieurs parcours d’hélicoptère à proximité des résidences lorsqu’ils quittent leur attitude de 3 000 pieds pour atterrir ou lorsqu’ils sont à décoller.

4.          Michèle L. Côté (enseignante de langue seconde à la retraite depuis 2014)

[41]        Voici la déclaration assermentée de madame Côté :

[1] Mon nom est Michèle L. Côté, propriétaire et résidente [de l’adresse 2] à Percé depuis 1998. J’ai également depuis 2008 la propriété immédiatement voisine et depuis le début des années ’90, un terrain en bord de mer à 1/2 km à l’ouest de ma résidence.

[2] En 1981 j’ai été séduite par la beauté tranquille de Percé, ce coin maritime et touristique unique où je suis arrivée par bateau. J’y ai rapidement élu pays et trouvé travail, l’été pêchant la morue avec ma chaloupe et l’hiver enseignant les langues. J’y ai également trouvé mari, un gars de la place et un vrai pêcheur. À son décès en 2010, il m’a légué en plus de sa bonne humeur et son cœur à l’ouvrage, le rêve de continuer à embellir la magnifique propriété où j’habite toujours, ainsi que celle d’à côté acquise peu de temps avant son décès. Tout un paradis sur mer, montagne et forêt qui a mérité les félicitations de la municipalité pour la sauvegarde de son environnement patrimonial et architectural, et qui a épaté au cours des années amis et famille par sa beauté paisible, l’odeur calmante de son champ de fraises et sa forêt grouillante aux vents salés de la mer...

[3] Mais les vents ont mal tourné en 2013 alors que sans préavis, un site de tours d’hélicoptère s’installait à un km de chez moi. Depuis, tous les beaux jours d’été, je suis infestée par des « te te te te te » incessants sur la tête, des survols bas, en tous sens tous côtés, au-dessus de ma maison, ma galerie, mon jardin et mon lac, le long de la 132 et du littoral juste en face, au-dessus du champ et de la forêt en arrière, 7 jours sur 7, de 10h à 18h... quand on a la chance que cette heure ne soit pas dépassée !

[4] Depuis 2015, je demande courtoisement et vainement aux pilotes (différents chaque année) ainsi qu’à M. Le Roux, de s’éloigner de chez moi et de voler plus haut, d’autant plus que les passages fréquents ici, sont en amorce d’envols & atterrissages, donc bas et bruyants. Pendant 8 ans, ces tours d’hélicoptère sont devenus une véritable adversité et une grande source de stress qui sournoisement empoisonnent ma vie, chamboulent ma quiétude et affectent ma santé, ma bonne humeur et mon cœur à embellir ce coin de rêve violé. Au cours des 8 derniers étés, j’ai perdu le courage d’embellir et d’investir davantage chez moi, ainsi que ma fierté d’y accueillir amis et famille et ma joie d’y vivre. Je regarde s’envoler mon rêve d’en profiter, qui sait, encore longtemps...

[5] Les passages d’hélicoptère augmentent d’année en année avec la popularité des « vols-ascenseurs » (6-8 min) moins chers, la prolongation il y a 2 ans des dates d’opération, l’ajout en 2018 d’un 2e hélico à Coin du Banc, maintenant installé près d’où nous proposions à Passport Hélico en 2017 de se relocaliser.

[6] Très souvent en plein été, n’en pouvant plus des passages incessants, je dois quitter mon havre de paix. Je me réjouis même quand il y a grisaille, malgré notre court été gaspésien, car elle signifie paix et tranquillité chez moi ce jour-là, ce qui à mes yeux est aberrant et anormal. Cette lente expropriation, la cerise sur un sundae devenu rance, contribuera en 2020 à ma décision de tout vendre.

[7] Alertée en 2015 par les passages non-stop sur ma tête ainsi que le vacarme encore pire qu’endurent mes voisins résidant juste à côté du site, j’ai adressé à la Ville de Percé une plainte qui est devenue une pétition citoyenne (D-1), sollicitant son aide à faire respecter mon droit à la tranquillité. Entre autres demandes, cette pétition prie la municipalité de veiller à ce que le nombre d’hélicos sur le territoire ne dépasse jamais un seul. J’ai d’ailleurs découvert au début 2021 (P-16) un courriel adressé à M. Le Roux, où le dg de la Ville de Percé dénonce notamment la manière que les 129 signatures ont été recueillies, ce que je peux d’emblée démentir exhaustivement, d’autant plus que la plupart des signatures furent recueillies par moi-même, une à une.

[8] Avec l’aide d’autres citoyens, nous avons formé un regroupement bona fide et fait moult démarches auprès de diverses instances gouvernementales dont Transports Canada. Ce dernier nous a retournés à la Ville et à l’opérateur afin d’en arriver à des mesures d’atténuation du bruit, lequel n’a en fait jamais diminué. Et ce fut également en vain que nous revendiquions et revendiquons toujours, le déménagement du site dans un secteur non résidentiel, des survols plus hauts et un appareil muni de flotteurs, pour s’éloigner en mer comme en 2012.

[9] Entre 2016 et 2018, la situation demeurant inchangée, nous avons fabriqué des pancartes avec un hélico barré, et les avons posées en bonne et due forme sur nos propriétés pour sensibiliser passants, population et pilotes aux préjudices subis. Je déplore à ce sujet les propos diffamatoires et mensongers produits sous serment par un employé saisonnier de Passport Hélico, qui attaque la bonne foi avec laquelle chaque pancarte fut affichée. D’ailleurs, plus de douze desdites pancartes furent vandalisées ou volées la nuit, source indéniable d’un nouveau préjudice pour moi et plusieurs concitoyens.

[10] Inquiétés par ces actes de vandalisme, notre groupe de citoyens a décidé en 2019 et au début de l’été 2020, de distribuer des feuillets pour informer le public des divers torts réels que nous subissons, y inclus des risques inhérents à survoler si souvent autant de résidences. À ce propos, je réfère aux statistiques d’accidents nombreux typiques du Robinson-44, le même appareil que Passport Hélico utilise au-dessus de nos têtes. Sans oublier le document de Transports Canada (D-6) où ses inspecteurs soulèvent des lacunes sur le site de Percé-Ouest et soulignent les risques encourus par la population au sol, constamment survolée par des pilotes fraichement sortis de l’école de pilotage.

[11] Comme ce trouble de voisinage persiste et continue de brimer ma qualité de vie, ma santé et ma sécurité, j’ai décidé fin 2019 de saisir la Cour des Petites Créances, tout comme l’ont fait 6 autres de mes concitoyens.

[12] Je trouve étrange que les mêmes 7 citoyens ayant déposé une requête aux Petites Créances, ont reçu la demande d’injonction de Passport Hélico... et déplore le nouveau tas de travail, de dépenses et de stress que cette demande m’impose tout l’hiver 2021.

[13] Je déplore le fait que M. Le Roux continue à se désintéresser de nos revendications citoyennes pourtant légitimes, à commencer par notre pétition que je lui avais pourtant annoncée dès 2015. Je dénonce également qu’il ne soit jamais venu rencontrer sur place les citoyens qu’il dérange comme le devrait tout bon voisin corporatif; qu’il n’ait jamais condamné les multiples actes de vol et vandalisme sur nos pancartes; qu’il déclare mensongères les objections pourtant légitimes et transparentes de nos feuillets informatifs; qu’il déforme notre revendication de déménagement loin des résidences, en prétendant qu’on la demande hors de la région; qu’il allègue non dévaluées nos propriétés, alors que le contraire fut rapporté par deux firmes agréées, municipale et marchande. Je déplore également avoir dû défrayer un onéreux rapport de décote en 2019, et subi le recul d’acheteurs potentiels devant cette nuisance dûment déclarée.

[14] L’opérateur de tours reconnait publiquement qu’un hélico est bruyant, et pourtant déclare (P-11) que ses tours ne nous causent aucun dommage. Or, les diverses photos et films déposés à la Cour, la pétition 2015 avec ses 129 signatures, les 18 pancartes posées (vandalisées puis reposées) sur nos propriétés, les feuillets d’information au public, la décote marchande attestée de ma propriété, la détérioration de ma santé certifiée (D-24), ne sont là que quelques faits démontrant que ces tours nuisent. Je questionne jusqu’à preuve du contraire, la crédibilité de M. Le Roux dans toute cette affaire.

[15] Je considère la demande d’injonction permanente exagérée, autoritaire et unilatérale et la dénonce ici haut et fort, car elle me prive de mon droit fondamental à m’exprimer et à m’associer. Si le demandeur m’accuse d’actes et de propos mensongers et diffamatoires, je suis fière d’affirmer tout le contraire et de m’être toujours comportée et exprimée avec civilité et transparence, sans jamais chercher à diffamer qui que ce soit, en exerçant simplement mon droit de dénoncer publiquement et à la Cour, les préjudices subis depuis des années par des tours d’hélicoptère complétement abusifs et intimidants. Je n’ai par ailleurs jamais enfreint le jugement d’injonction provisoire imposée en 2020.

[16] Je désire exprimer enfin comment la demande d’injonction permanente exacerbe aujourd’hui les effets néfastes sur ma personne :

-          la perte de ma qualité de vie se poursuit même l’hiver vu le travail exorbitant à déployer avec mes concitoyens pour me défendre;

-          la perte de jouissance de ma propriété est multipliée par les trois propriétés que j’ai dans le secteur;

-          la décote de 10% certifiée pour ma résidence principale, est en toute logique applicable aux prix de vente de mes 2 autres propriétés situées à la même distance du site et survolées également;

-          le stress financier à même mes goussets de retraite pour me défendre devant les tribunaux;

-          l’inquiétude pour ma sécurité augmente à force d’être survolée fréquemment et chaque année par de nouveaux pilotes, novices de surcroit, s’envolant et atterrissant à tous vents le long de la falaise;

-          l’anxiété vis-à-vis le bruit de l’hélico croît chaque été : il suffira à présent d’un seul survol pour la déclencher;

-          mon insomnie augmente depuis le billet médical de décembre 2019;

-          la sensation d’abus atteint son comble en 2020 : en plus de m’imposer son bruit sur la tête depuis 2013, le demandeur se la paie carrément en cherchant à me faire taire.

[17] Je termine en soulignant la fière détermination avec laquelle je défends depuis toutes ces années, parmi tant d’autres beautés fragiles de ce lieu reconnu par l’Unesco, la tranquillité plus que patrimoniale de mon magnifique champ de fraises, là-haut derrière la grange avec sa vue imprenable sur la ferme, la maison rouge d’à côté et puis la mer. Je confie à la Cour ce champ, sa vue et sa bienfaisante quiétude, là où il a déjà fait bon s’étendre parmi les marguerites et n’y entendre que l’effervescente nature alentour, la bouche et les doigts rougis par ses bons petits fruits. Oui, je défends haut et fort ce champ ET tous les autres champs de Percé, ses forêts, sa faune, sa mer. ET SURTOUT, je défends le bien-être jadis éprouvé par de simples et honnêtes citoyens comme moi-même, et qui méritent tous de le ravoir. Bien-être qui inclut sans l’ombre d’un doute, mon droit à passer le mot librement, en privé, en public, en toute bonne foi et volonté : comme quoi il est grand temps de redonner à la population de Percé la quiétude qu’on lui vole inutilement et outrageusement depuis tant d’étés, la sérénité et la paix de son chez-soi, les rires autour d’un simple souper sur la galerie, le son juste des bourdons dans un champ de fraises... Pourvu qu’on puisse rapidement en jouir et s’en réjouir de ce bien-être, sans voir encore tout gâché par des « te te te te te » infernaux à tue-tête !

Pour tous les faits et considérations exposés ici, consolidés par les déclarations des 6 autres citoyens co-intimés, je demande à la Cour de rejeter la demande d’injonction permanente et de nous dédommager entièrement, selon les termes plus que raisonnables contenus dans notre demande reconventionnelle.

 

[42]        À l’occasion de son témoignage, madame Côté explique que sa résidence est située à moins d’un kilomètre du site d’exploitation de la demanderesse directement dans le passage des hélicoptères lors des atterrissages et des décollages. Elle explique que lorsque le temps le permet, les hélicoptères sont omniprésents et nuisent à la tranquillité du voisinage. Elle dit avoir consulté un médecin en décembre 2019 qui a conclu que la situation provoquait chez elle des problèmes de santé. Voici ce qu’il écrivait dans une note déposée à la Cour :

Tout ceci affecte significativement sa santé : surmenage, stress émotif, insomnie, troubles de concentration, etc., ces symptômes nécessitent une discipline personnelle de repos et une médication adoq. En ma qualité de professionnel de la santé qui connaît bien madame Côté, comme étant une personne qui n’a jamais exprimé de mots sans fondement, je suis alertée par les effets nocifs du bruit répété d’hélicoptères chez elle de même qu’un risque potentiel sur la population dont elle fait partie. Elle me relate également un stress supplémentaire issu de la difficulté à trouver un acheteur pour sa propriété maintenant en vente, de même qu’à la dévaluation de sa propriété, telle qu’il lui fut confirmé par des experts cet été. Je garde donc toute mon attention sur la santé de madame Côté et déplore que la dégradation observée soit directement liée aux activités d’hélicoptères.

Signé : docteur Luc Rehel.

 

[43]        Elle conclut son témoignage en disant : « que ce n’est pas correct que je sois empêchée de dire que quelque chose me dérange au point où cela m’amène chez le médecin ». Elle se dit meurtrie.

[44]        Concernant le « feuillet d’information », elle confirme en avoir distribué à l’été 2019 dans des endroits publics, comme des haltes routières ou dans le stationnement du Géoparc. Selon elle, plus ou moins 1 000 copies du document furent distribuées, soit par elle ou les autres défendeurs. C’est aussi elle qui a rédigé le texte introductif de la pétition qui a été signée par environ 120 personnes.

5.          Louis Beaulieu (gestionnaire et conseiller en investissement)

[45]        La résidence de monsieur Beaulieu est située à environ 800 mètres du site d’opération de la demanderesse. Il explique que les hélicoptères survolent sa propriété à l’occasion de tous les atterrissages. Les hélicoptères sont à environ 200 pieds d’altitude lorsqu’ils sont rendus au-dessus de sa résidence. Il rapporte un incident où un hélicoptère serait passé à seulement quelques pieds du toit de sa résidence manquant de peu la cheminée, ce qui l’a beaucoup inquiété pour la sécurité de sa famille et de ses invités.

[46]        Deux autres défendeurs dans cette affaire ont déposé des déclarations assermentées similaires.

[47]        À cette preuve s’ajoute celle émanant de différents documents, vidéos, photos et reportages dont le Tribunal a pris connaissance. On a également déposé en preuve différents rapports d’évaluation immobilière qui concluent qu’en raison de l’opération du commerce d’hélicoptère, les propriétés appartenant aux défendeurs ont perdu de la valeur.

[48]        La demanderesse réplique à cette preuve par le témoignage et le dépôt d’une déclaration assermentée émanant du propriétaire de la demanderesse.

[49]        Cette déclaration assermentée reprend en substance le contenu des  paragraphes de la demande introductive d’instance. On peut la résumer en disant que monsieur Le Roux est d’avis que le Regroupement citoyens contre les nuisances d’Hélico à Percé tente de ternir et d’affecter la réputation de son entreprise par divers moyens, et de lui faire déplacer son site d’opération hors de la région.

[50]        Selon lui, le regroupement est marginal et non soutenu par les résidents du secteur. Il n’accepte pas que l’on cherche à inciter la population à faire preuve de solidarité en évitant les tours d’hélicoptère.

[51]        Il explique qu’en juillet 2019, il a pris connaissance du fait que le Regroupement des citoyens distribuait, sans aucune justification et avis d’experts, des feuillets selon lesquels les activités de son entreprise affectaient la qualité de vie de la population et que ses opérations étaient dangereuses pour le public rappelant que son entreprise opère en toute légalité puisqu’elle possède tous les permis, accréditations et autorisations requises par Transport Canada et l’Office des transports du Canada. Pour démontrer sa bonne foi, il dit avoir modifié les parcours et les altitudes de vols de ses hélicoptères à la demande de Transport Canada.

[52]        Il dit avoir recours aux tribunaux afin que cesse toute forme d’atteinte à l’intégrité et à la réputation de son entreprise, les défendeurs voulant nuire à ses affaires.

[53]        Il affirme que son entreprise a un droit absolu à la jouissance de ses droits fondamentaux dont le droit de mener des activités commerciales légales sans aucune restriction, ni obstacle injustifié par les défendeurs.

[54]        À la suite de son témoignage, le Tribunal retient aussi les faits suivants :

-         En 2014, alors qu’il avait déjà débuté l’exploitation de son commerce, il rencontre les gens d’affaires de la région de Percé pour avoir leurs opinions sur son commerce et pour les amener à vendre des billets et à distribuer sa publicité pour ses tours d’hélicoptère.

-         C’est la seule occasion où il serait allé visiter la région de Percé depuis que son entreprise s’y est installée.

-         Pour confirmer son droit d’exploiter ce type de commerce, il dépose un document appelé : « Procédure d’exploitation normalisée » où il dit avoir pris des engagements auprès de Transport Canada concernant les parcours suivis par ses hélicoptères ainsi que les altitudes de croisière à respecter.

-         On comprend que Transport Canada n’aurait pas donné d’approbation écrite à ce document.

-         Il fait état d’une pétition qu’il a fait circuler par des employés de son entreprise dans les commerces de Percé et qui fut signée par plus ou moins 300 personnes qui se disent en accord avec les tours d’hélicoptère. Il reconnaît toutefois que ces gens n’habitent pas à proximité de son site d’exploitation et qu’ils sont pour la très grande majorité, soit des commerçants, soit des touristes.

-         Monsieur Le Roux commente un document statistique qu’il a préparé concernant ses opérations à Percé. On y apprend qu’en 2018, il y aurait eu 549 tours d’hélicoptère sur une période de 45 jours, 545 en 2019 et 786 en 2020.

-         Il admet du bout des lèvres que les hélicoptères font du bruit et peuvent avoir un caractère dangereux, mais selon lui on peut en dire autant de bien d’autres activités.

 

[55]        Au vu de la preuve qui a été faite tant en demande qu’en défense, le Tribunal retient ce qui suit comme ayant été démontré de façon prépondérante :

-         À l’été 2011, la demanderesse s’est installée au bord de la Route 132, sur un promontoire face à la mer, à quelques kilomètres du centre-ville de Percé, afin d’offrir des tours d’hélicoptère.

-         Même s’il s’agit d’une activité commerciale, qui génère du bruit et des inconvénients importants pour les voisins, aucun permis n’a été émis par la Ville de Percé qui n’a pas juridiction en cette manière. On comprend en effet, selon un avis juridique préparé pour le compte de la Ville, qu’il s’agit d’une activité visée exclusivement par la législation fédérale en matière de transport.

-         Un emplacement a donc été aménagé pour l’atterrissage et le décollage des hélicoptères ainsi qu’un stationnement pour les véhicules des clients. Un kiosque a été construit de manière à pouvoir recevoir ces derniers avant qu’ils ne montent dans l’appareil.

-         Des affiches publicitaires ont été placées sur l’accotement, en bordure de la route.

-         Quatre résidences sont situées à faible distance au nord de cet emplacement de l’autre côté de la Route 132. D’autres résidences sont situées à l’Est et à l’Ouest de part et d’autre du site dont l’une, à moins de 100 mètres.

-         Généralement, au moment du décollage et/ou de l’atterrissage, les hélicoptères survolent les propriétés et les résidences en question.

-         En période touristique, de la fin juin au début septembre, par beau temps, les hélicoptères peuvent offrir jusqu’à 30 tours par jour, entre 10h et 18h. Cela représente 60 mouvements d’appareils par jour ou 7.5 par heure pendant la période d’opérations. Certains tours durent 6 minutes alors que certains ont une durée de douze minutes.

-         Le bruit des hélicoptères à proximité d’une résidence située à environ 200 mètres du lieu de décollage et d’atterrissage, atteint environ 80 décibels comme un témoin l’a mesuré à l’aide d’un appareil servant à faire de telles mesures. Cela fait en sorte que deux personnes à l’extérieur ne peuvent discuter sans hausser le ton. Le bruit peut être perçu à l’intérieur d’une résidence au point de déranger les occupants si l’on ne ferme pas les fenêtres et les portes.

-         Le décollage et l’atterrissage des hélicoptères génèrent un bruit suffisamment fort pour déranger les propriétaires de résidences situées dans un rayon d’environ 1 kilomètre du site d’opération.

-         Tous les défendeurs témoignent d’inconvénients importants tant pour eux, leur famille que leurs invités.

-         Plusieurs ont témoigné de leurs difficultés à rester à l’extérieur de leur résidence le jour.

-         Ces inconvénients répétés pendant la saison estivale créent du stress, de l’inconfort, du découragement et à la limite de la frustration chez les défendeurs.

-         Certains craignent pour leur sécurité si un problème devait survenir au moment du décollage ou de l’atterrissage d’un hélicoptère puisque la marge de manœuvre serait réduite pour un appareil qui chercherait à éviter des résidences en pareilles situations d’urgence.

-         Des témoins ont expliqué qu’ils doutent aussi de la sécurité des opérations de ravitaillement en carburant des hélicoptères qui ne semble être encadrée par aucune procédure particulière. Ils en veulent pour preuve, le fait que de gros bidons de pétrole sont transportés sur place dans une remorque attelée à un simple véhicule tout terrain (VTT).

 

[56]        À la lumière de cette preuve, le Tribunal en vient à la conclusion que ce que les défendeurs ont décrit sur leurs affiches, dans leurs feuillets d’information distribués à la population ainsi que dans le texte de la pétition qu’ils ont fait signer, est rigoureusement exact et qu’ils n’ont pas commis de faute par une conduite malveillante ou négligente.

[57]        Les défendeurs ont fait la démonstration que les opérations de la demanderesse génèrent beaucoup de bruit alors que les hélicoptères se déplacent de façon répétitive, à basse altitude, à proximité de leurs résidences. Il est aussi vrai que de telles opérations peuvent présenter un danger lors de la délicate opération de décollage ou d’atterrissage des appareils ou même à l’occasion de leurs ravitaillements en carburant.

[58]        Sur cette base, il faut conclure que les défendeurs n’ont pas tenu par leurs écrits des propos qu’ils savaient faux, qu’ils auraient dû savoir faux ou qui ont été faits sans aucune justification. Ils n’ont pas commis de faute dans les circonstances.

[59]        Le Tribunal conclut aussi que la prise de position des défendeurs n’est pas malveillante ou faite avec intention de nuire. Le but manifeste de telles interventions est plutôt de restaurer une certaine tranquillité dans le secteur et de saisir la communauté des problèmes liés aux opérations commerciales des hélicoptères, là où des gens habitent déjà. Il ne s’agit pas d’un geste gratuit, mais qui s’inscrit dans un contexte.

[60]        Or, bien qu’il n’y ait pas eu faute et que le préjudice est douteux pour ce qui est de la pétition, le Tribunal estime utile d’examiner l’affaire sous l’angle de la défense de justification qui permet à l’auteur de propos diffamatoires de faire rejeter une poursuite.

 

 

 

[61]        Voici comment la juge Janick Perreault de notre Cour résume cette question :

40  Le droit en matière de diffamation prévoit des motifs d'exonération spécifiques qui s'ajoutent aux causes d'exonérations générales à la responsabilité civile, dont notamment l'absence de diffamation - ce qui n'est pas le cas en l'espèce -.

41  Les défendeurs plaident une défense de justification, à savoir la dénonciation des fausses représentations faites par Station Beauté. Ils allèguent que les formations en temps réduit et à rabais offertes par Station Beauté étaient inadéquates pour former convenablement un étudiant en micropigmentation et nuisaient à l'image de la profession23. Les formations ne respectaient pas les normes de l'APESEQ24. Les propos peu élogieux l'ont été pour dénoncer des agissements incorrects de la part de Chloé25.

42  Pour les motifs qui suivent, le Tribunal rejette le moyen de défense de justification.

43  En matière de diffamation, il existe trois moyens de défense : la justification; le commentaire loyal et le commentaire responsable concernant une question d'intérêt public26. Une fois la preuve de diffamation faite, pour établir une défense de justification, les défendeurs doivent démontrer que l'énoncé était substantiellement vrai27.

44  La notion d'intérêt public constitue un instrument permettant de déterminer le point d'équilibre entre la protection de la réputation et la liberté d'expression28. Une information d'intérêt public signifie que :

-          l'information concerne un grand nombre d'individus;

-          l'information est plus bénéfique que néfaste pour le plus grand nombre;

-          l'information est utile pour éclairer les citoyens dans les choix qu'ils ont à faire quant à leurs comportements politiques, sociaux, économiques, religieux et autres; l'information favorise la participation à la vie démocratique; l'information concerne le fonctionnement d'institutions publiques ou l'utilisation de fonds publics; l'information est de nature émancipatrice;

-          l'information ne profite pas seulement à quelques-uns au détriment du plus grand nombre ;

-          l'information a un lien démontrable avec la sphère publique.29

45  Le moyen d'exonération relatif à la justification nécessite la véracité des faits et l'intérêt public à les révéler.[8]

[62]        Dans cette affaire, on peut certainement dire que l’information véhiculée par les défendeurs répond aux critères développés par la jurisprudence pour donner ouverture à une défense de justification puisqu’ils ont commenté de façon responsable, une question d’intérêt public qui concerne un grand nombre d’individus. Voici pourquoi.

[63]        Il faut bien l’admettre, l’absence de juridiction de la Ville de Percé, et apparemment des autorités provinciales, laisse bien peu d’outils aux citoyens, autres que leur droit de parole, afin de signifier qu’ils sont dérangés par les vols d’hélicoptère et inquiets pour leur sécurité. Sur cette base, ils avaient certainement le droit de dénoncer une situation singulière, où il semble que rien dans la législation hormis le recours pour troubles de voisinage prévu à l’article 976 C.c.Q. et sur lequel nous reviendrons, ne confère d’outils pour empêcher une telle problématique.

[64]        Cela laisse pantois, alors qu’en s’appuyant sur un simple règlement de nuisances, une municipalité qui aurait reçu une plainte pourrait empêcher un individu peu respectueux de ses voisins, de faire démarrer sa tondeuse à gazon, 60 fois par jour, jour après jour, pendant quatre mois.

[65]        De l’avis du Tribunal, ce qui se produit dans cette affaire n’est rien d’autre que la réaction légitime d’individus dérangés par de nouvelles opérations commerciales à proximité de leurs résidences, en l’absence de normes pouvant baliser les opérations, la seule conclusion logique pouvant être tirée dans les circonstances.

[66]        D’ailleurs, n’eût été de l’exclusivité de la législation fédérale en la matière, il est raisonnable de penser que les règles de gestion du territoire, qui permettent aux municipalités d’harmoniser les usages les uns par rapport aux autres, n’auraient pas permis que du jour au lendemain on établisse un commerce de cette nature aussi près d’un endroit où des gens habitent déjà.

[67]        En fait, la situation qui se déroule à Percé semble être l’un des rares domaines de l’activité humaine où pratiquement aucune réglementation municipale ou même provinciale ne puisse empêcher les opérations commerciales bruyantes en plein milieu bâti.

[68]        Placés en quelque sorte dans un quasi-vide juridique, on ne doit pas se surprendre si des individus ou même, une communauté, qui ne peut manifestement bénéficier des outils d’aménagement du territoire que sont les plans d’urbanisme et les règlements de zonage et dont les municipalités se sont dotées dans les années 80 à la suite de l’adoption de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, réagissent et veulent en faire un débat public.

 

 

 

 

[69]        Rappelons d’ailleurs la conclusion à laquelle un avocat spécialisé en la matière, consulté par la Ville en juin 2017, en était venu lorsqu’il écrivait que :

Par conséquent, nous sommes d’avis que dans l’état actuel des choses, la Ville de Percé ne dispose d’aucun outil législatif ou réglementaire pouvant être invoqué à l’encontre des activités de Passport Hélico.

 

 

[70]        Le Tribunal est d’avis que les défendeurs avaient donc le droit de faire savoir à ceux qui peuvent changer le cours des choses, particulièrement les autorités fédérales, que ce qui se passe chez eux échappe apparemment à toute planification.

[71]        Suivre la demanderesse dans son raisonnement pour obtenir une injonction reviendrait à dire que dès qu’une entreprise du genre serait installée dans une région, aucun débat ou critique ne pourrait se faire sur le sujet qui nous concerne ici, de peur d’être poursuivi en diffamation.

[72]        Il faut bien le reconnaître, les hélicoptères, contrairement aux avions, peuvent se poser et décoller d’à peu près n’importe où pour mener des activités commerciales. Il est donc surprenant qu’il n’y ait pas un minimum de planification ou de normes permettant de tenir compte de cette particularité.

[73]        Bien sûr, comme la Cour suprême l’a enseigné dans l’affaire Ciment du St-Laurent c. Barrette[9], le Code civil du Québec protège les voisins contre les troubles anormaux de voisinage, peu importe les permis et autorisations obtenus par un voisin dérangeant. Le Tribunal note à ce sujet que les défendeurs ont présenté dans leur défense orale (paragraphe 3) un argument concernant les troubles de voisinage, mais sans qu’aucune conclusion n’apparaisse dans leur procédure en défense ou même dans leur demande reconventionnelle à ce sujet. Dans les circonstances, le Tribunal ne se prononcera pas formellement sur cette question ici, se permettant d’affirmer toutefois que ce qu’il a constaté dans la preuve paraît relever de troubles de voisinage au sens du Code civil du Québec.

[74]        Dans les circonstances, comme le Tribunal conclut que les défendeurs par leurs communications n’ont pas engagé leurs responsabilités civiles, aucune injonction ne sera prononcée dans le but de les priver de leurs droits de s’exprimer relativement au fait que les vols d’hélicoptère les dérangent, qu’ils sont inquiets pour leur sécurité et que l’on doit trouver une solution aux problèmes.

 

 

 

B)           Faut-il accueillir la demande reconventionnelle ?

[75]        En réaction, à la demande d’injonction qui leur a été signifiée, les défendeurs cherchent par demande reconventionnelle, à obtenir les conclusions suivantes :

DÉCLARER abusive, comme étant poursuite bâillon, la poursuite en demande en injonction provisoire, interlocutoire et permanente de la demanderesse/défenderesse reconventionnelle et la REJETER;

CONDAMNER la défenderesse reconventionnelle à payer aux demandeurs reconventionnels la somme de 70 000,00$, soit 10 000,00$ chacun, pour leurs stress, troubles, inconvénients, perte de jouissance de la vie et pour l’ensemble de leurs dommages moraux;

CONDAMNER la défenderesse reconventionnelle à payer aux demandeurs reconventionnels la somme de 40 000,00 $ à titre d’honoraires extrajudiciaires;

CONDAMNER la défenderesse reconventionnelle à payer la somme de 50 000,00 $ à titre de dommages punitifs et exemplaires;

LE TOUT, avec l’intérêt et l’indemnité additionnelle selon l’article 1619 du Code civil du Québec.

LE TOUT avec dépens.

 

[76]        Leur réclamation est basée sur les articles 51 à 54 C.p.c. qu’il convient de reproduire ici :

51. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d’office, déclarer qu’une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif.

L’abus peut résulter, sans égard à l’intention, d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d’un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de l’utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte de débats publics.

52. Si une partie établit sommairement que la demande en justice ou l’acte de procédure peut constituer un abus, il revient à la partie qui l’introduit de démontrer que son geste n’est pas exercé de manière excessive ou déraisonnable et se justifie en droit.

La demande faite avant l’instruction doit être notifiée aux autres parties et déposée au greffe au moins 10 jours avant la date de sa présentation et est contestée oralement. Le tribunal peut toutefois, sur le vu du dossier, la refuser en raison de l’absence de chance raisonnable de succès ou de son caractère abusif.

La demande faite pendant l’instruction est présentée et contestée oralement.

Lorsque la demande est contestée oralement, le tribunal en décide sur le vu des actes de procédure et des pièces au dossier et, le cas échéant, de la transcription des interrogatoires préalables à l’instruction. Aucune autre preuve n’est présentée, à moins que le tribunal ne l’estime nécessaire.

La demande faite au tribunal de se prononcer sur le caractère abusif d’un acte de procédure qui a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte d’un débat public est, en première instance, traitée en priorité.

53. Le tribunal peut, dans un cas d’abus, rejeter la demande en justice ou un autre acte de procédure, supprimer une conclusion ou en exiger la modification, refuser un interrogatoire ou y mettre fin ou encore annuler une citation à comparaître.

Dans un tel cas ou lorsqu’il paraît y avoir un abus, le tribunal peut, s’il l’estime approprié:

1°  assujettir la poursuite de la demande en justice ou l’acte de procédure à certaines conditions;

2°  requérir des engagements de la partie concernée quant à la bonne marche de l’instance;

3°  suspendre l’instance pour la période qu’il fixe;

4°  recommander au juge en chef d’ordonner une gestion particulière de l’instance;

5°  ordonner à la partie qui a introduit la demande en justice ou présenté l’acte de procédure de verser à l’autre partie, sous peine de rejet de la demande ou de l’acte, une provision pour les frais de l’instance, si les circonstances le justifient et s’il constate que sans cette aide cette partie risque de se retrouver dans une situation économique telle qu’elle ne pourrait faire valoir son point de vue valablement.

54. Le tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d’une demande en justice ou d’un autre acte de procédure, incluant celui présenté sous la présente section, ordonner, le cas échéant, le remboursement de la provision versée pour les frais de l’instance, condamner une partie à payer, outre les frais de justice, des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie, notamment pour compenser les honoraires et les débours que celle-ci a engagés ou, si les circonstances le justifient, attribuer des dommages-intérêts punitifs.

Si le montant des dommages-intérêts n’est pas admis ou ne peut être établi aisément au moment de la déclaration d’abus, le tribunal peut en décider sommairement dans le délai et aux conditions qu’il détermine ou, s’agissant de la Cour d’appel, celle-ci peut alors renvoyer l’affaire au tribunal de première instance qui en était saisi pour qu’il en décide.

[77]        Sommes-nous en présence d’une procédure abusive ?

[78]        L’article 51 C.p.c. prévoit qu’un Tribunal peut sur demande déclarer qu’une demande en justice est abusive. Le Code prévoit aussi que l’abus peut résulter, sans égard à l’intention, du détournement des fins de la justice, entre autres si cela a pour effet de limiter la liberté d’expression d’autrui dans le contexte d’un débat public, ce que l’on appelle une procédure bâillon.

[79]        Pour définir ce qui constitue une procédure bâillon, le Tribunal retient comme la Cour d’appel l’a fait à de nombreuses reprises la définition suivante :

La notion de poursuite stratégique ou poursuite bâillon, présente des caractéristiques plus générales. Il s’agit pour l’essentiel 1) de poursuites judiciaires 2) entreprises contre des organismes ou des individus 3) engager dans l’espace public dans le cadre de débat mettant en cause des enjeux collectifs, 4) les visant à limiter l’étendue de la liberté d’expression de ses organismes ou individus et à neutraliser leur action 5) par leur recours aux tribunaux pour les intimidés, les appauvrir ou les détourner de leurs actions.[10]

 

[80]        De l’avis du Tribunal, les défendeurs ont établi que la demande d’injonction, qui les vise, constitue un abus dans la mesure où elle a manifestement été entreprise dans le but de les bâillonner lorsqu’ils ont voulu s’exprimer sur un sujet d’intérêt public. En d’autres mots, on a détourné les fins de la justice en tentant de limiter la liberté d’expression des défendeurs sur un débat qui s’inscrit dans un contexte dont le Tribunal a dressé un portrait précédemment.

[81]        On n’a qu’à examiner les conclusions de la demande introductive d’instance pour s’en convaincre particulièrement lorsque l’on demande à la Cour d’empêcher toute action, démarche, discussion et/ou influence auprès des résidents du secteur et visiteurs ainsi qu’avec qui que ce soit qui pourrait nuire aux affaires de la demanderesse.

[82]        On peut aussi conclure que le recours exercé par la demanderesse n’est pas raisonnable, un autre critère d’octroi de dommages et intérêts prévu à l’article 54 C.p.c., puisqu’il nie l’évidence, à savoir que l’opération des hélicoptères sur une base commerciale à grande fréquence, près d’habitations, pose des problèmes de bruit, de sécurité et de cohabitation.

[83]        Comme le Tribunal conclut que la procédure introductive d’instance est abusive, voyons quel sort doit être réservé aux demandes reconventionnelles des défendeurs qui cherchent à être indemnisés.

 

C)         La demande de dommages et intérêts de 10 000,00 $ pour chacun des défendeurs pour stress, troubles et inconvénients et pertes de jouissance de la vie provoquée par l’institution de procédures judiciaires abusives.

[84]        L’article 54 C.p.c. prévoit que le Tribunal peut, en se prononçant sur le caractère abusif d’une procédure judiciaire, condamner une partie à payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

[85]        Ici, le témoignage des défendeurs pris dans leur ensemble démontre qu’ils ont effectivement été stressés, troublés et qu’ils ont subi une perte de jouissance de la vie, par l’introduction de procédures judiciaires en injonction contre eux de manière abusive.

[86]        Dans les circonstances, à défaut d’une preuve plus concrète sur cette question, le Tribunal accorde des dommages et intérêts de 5 000,00$ à chacun des défendeurs afin de les compenser pour ce préjudice qu’ils ont subi.

 

D)           La demande de remboursement des honoraires extrajudiciaires

[87]        Les défendeurs demandent au Tribunal de condamner la demanderesse à payer les honoraires extrajudiciaires de leurs avocats. Ils font valoir, que n’eût été la procédure abusive dirigée contre eux, ils n’auraient pas eu à assumer de telles dépenses.

[88]        L’article 54 C.p.c. que nous avons examiné précédemment prévoit effectivement que le Tribunal peut, après s’être prononcé sur le caractère abusif d’une demande en justice, condamner une partie à en compenser une autre pour les honoraires et les débours que celle-ci a dû engager pour se défendre.

[89]        Compte tenu de la conclusion à laquelle en vient le Tribunal selon laquelle la procédure introductive d’instance dans ce dossier est abusive et avait pour but de bâillonner les défendeurs, ce qui constitue en soi une faute, il n’a aucune hésitation à conclure que les honoraires extrajudiciaires payés par eux pour se défendre, doivent leur être remboursés.

[90]        Les avocats des défendeurs ont produit des comptes d’honoraires qui s’élèvent à 54 892,40 $. Ce montant devra donc être versé aux défendeurs afin qu’ils puissent acquitter ces factures.

 

 

E)            Réclamation de dommages et intérêts punitifs

[91]        Les défendeurs réclament 50 000,00$ à titre de dommages punitifs. Ils prétendent avoir droit à une telle somme parce que leurs droits à la liberté d’expression, tel que garanti par la Charte canadienne des droits et libertés, ont été brimés.

[92]        L’article 54 C.p.c. prévoit effectivement qu’il est possible pour le Tribunal d’attribuer de tels dommages et intérêts punitifs.

[93]        Les tribunaux se sont penchés à plusieurs reprises par le passé sur de telles réclamations. En consultant cette jurisprudence, on peut dire que les conditions pour ordonner le paiement de dommages et intérêts de cette nature sont les suivantes :

48  Tout d'abord, la poursuite-bâillon de l'intimé ayant été rejetée comme étant abusive, le Tribunal n'a pas à déterminer s'il s'agit d'une atteinte intentionnelle au sens de l'article 49 de la Charte québécoise.

49  Le pouvoir du Tribunal à attribuer des dommages punitifs est fondé sur l'article 54.4 C.p.c., lequel ne prévoit pas une détermination additionnelle quant à l'intention de l'auteur de l'action abusive de causer les conséquences de son acte fautif.

50  Cette distinction entre les deux sources de dommages punitifs est reconnue par l'auteur Jean-Louis Baudouin. Selon cet auteur :

Si une décision semble en faire une condition, la majorité de la jurisprudence considère, avec raison, que la chose n'est pas nécessaire le juge ayant discrétion pour les accorder dès qu'il constate un abus, qui, rappelons-le, n'est pas nécessairement le fruit d'un comportement intentionnel.13

51  La Cour suprême du Canada enseigne que le pouvoir des tribunaux de sanctionner une demande en justice abusive en conformité avec l'article 1621 C.c.Q. comporte des objectifs de punition, de dissuasion tant particulière quant à la partie fautive, que générale, et de dénonciation des actes qui s'avèrent particulièrement répréhensibles14.

52  L'article 1621 énonce que le Tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances appropriées, notamment la gravité de la faute, la situation patrimoniale du débiteur, l'étendue de la réparation à laquelle le débiteur est déjà tenue et, le cas échéant, le fait que la prise en charge du paiement réparateur soit assumée par un tiers.

53  La jurisprudence révèle d'autres facteurs pris en considération par les tribunaux15. Le Tribunal ne voit pas la nécessité de le répéter pour les fins de ce jugement.

54  Soulignons que l'attribution des dommages punitifs en conformité avec l'article 1621 C.c.Q. s'apprécie au cas par cas. Ainsi, chaque affaire doit être examinée selon ses propres circonstances. [11]

 

[94]        En l’espèce, le Tribunal conclut être en présence de faits qui justifient de condamner la demanderesse à verser aux défendeurs les dommages et intérêts punitifs d’un montant de 25 000,00$.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[95]        REJETTE la demande d’injonction permanente avec frais de justice;

[96]        ACCUEILLE la demande reconventionnelle;

[97]        DÉCLARE que la demande introductive d’instance est une procédure abusive visant à empêcher les défendeurs de s’exprimer librement sur une question d’intérêt public et qui les touche directement;

[98]        CONDAMNE la défenderesse reconventionnelle à payer à chacun des demandeurs reconventionnels la somme de 5 000,00 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter de l’assignation pour le stress et les inconvénients que l’instauration de procédures judiciaires abusives contre eux leur a fait subir;

[99]        CONDAMNE la défenderesse reconventionnelle à payer aux demandeurs reconventionnels les honoraires extrajudiciaires de leurs avocats qui s’élèvent à la somme de 54 892,40 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter du présent jugement;

[100]     CONDAMNE la défenderesse reconventionnelle à payer aux demandeurs reconventionnels à titre de dommages et intérêts punitifs, la somme de 25 000,00$ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter du présent jugement;

[101]     AVEC FRAIS de justice en faveur des demandeurs reconventionnels à compter de leur demande introductive d’instance reconventionnelle;

 

 

 

 

__________________________________

PIERRE C. BELLAVANCE, j.c.s.

 

Me Joanie Bujold

St-Onge & Assels

100A boulevard Gérard-D.-Levesque
New Carlisle QC G0C 1Z0

Avocats de la demanderesse et défenderesse reconventionnelle

 

Me Pierre G. Gingras

DeBlois avocats

2875, boul. Laurier, 10e étage

Québec QC G1V 2M2

Avocats des défendeurs et demandeurs reconventionnels

 

Dates d’audience : Les 5, 6 et mai 2021

 

 



[1]     2002 CSC 85.

[2]     2018 QCCA 828, par. 14 et suiv., requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2019-02-21).

[3]     2020 QCCA 926, par. 30 et suiv.

[4]     Guimont c. Lamarche, préc. note 2

[5]     Pièce D-1.

[6]     Prud’homme c. Prud’homme, préc. note 1.

[7]     Guimont c. Lamarche, préc. note 2.

[8]     9329-6481 Québec inc. c. Ouimet, 2020 QCCS 3472.

[9]     2008 CSC 64.

[10]    Pages 11 et 12 du plan d’argumentation écrit des défendeurs Acadia Subaru c. Michaud, 2011 QCCA 1037, requête pour autorisation de pourvoi rejetée (C.S. Can. 2012-01-12) note 25, Développements Quartier Avenue Inc. c. Dalla Riva, 2012 QCCA 431, par. 21, Klepper c. Lulham, 2017 QCCA 2069, par. 26.

[11]    Thériault-Martel c. Savoie, 2014 QCCS 3937, conf. par 2015 QCCA 591, par. 73.

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