Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec) | 2022 QCCA 1577 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-53-000483-188) | |||||
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DATE : | 22 novembre 2022 | ||||
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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, agissant dans l’intérêt public et en faveur de T.J.R. | |||||
APPELANTE – demanderesse | |||||
c. | |||||
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC (aux droits de la Sûreté du Québec) | |||||
INTIMÉ – défendeur | |||||
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MISE EN GARDE : Une ordonnance en vertu de l'article 121 de la Chartes des droits et libertés de la personne a été prononcée le 21 février 2019 par l’honorable Ann-Marie Jones, j.c.q., afin que la partie plaignante soit identifiée par les initiales T.J.R.
[1] L’appelante, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (« Commission »), agissant dans l’intérêt public et en faveur du plaignant, se pourvoit contre un jugement rendu le 13 novembre 2020 par le Tribunal des droits de la personne, district de Montréal (l’honorable Doris Thibault) (le « Tribunal »), qui a partiellement rejeté sa demande introductive d’instance et conclu que le refus de la Sûreté du Québec (« SQ ») d’embaucher le plaignant n’était pas discriminatoire et qu’il était justifié par les fausses déclarations de ce dernier dans le cadre du processus d’embauche[1].
[2] Pour les motifs qui suivent, l’appel est rejeté.
LE CONTEXTE
[3] Les faits ne sont pas contestés.
[4] Le plaignant souffre d’un syndrome de Gilles de la Tourette (« SGT ») diagnostiqué à l’âge de 7 ans. Celui-ci se manifeste par de rares tics vocaux qui sont dans l’ensemble contrôlés et par des tics moteurs sous forme de clignements occasionnels des yeux. Il n’est affecté d’aucune des comorbidités fréquemment associées à ce syndrome : déficit d’attention, comportement compulsif, troubles du sommeil ou de la personnalité, etc. La preuve démontre de plus qu’il n’a jamais été traité pour cette condition.
[5] Après avoir travaillé au sein de l’Armée canadienne et comme agent correctionnel, le plaignant souhaite poursuivre une carrière comme policier à la SQ. Il pose donc sa candidature et entame le long processus de recrutement qui comporte plusieurs étapes.
[6] Les candidats se présentent d’abord à une journée d’évaluation au cours de laquelle ils sont soumis à quatre types d’examens de présélection, soit : un test de personnalité, un test psychométrique, un test de jugement situationnel et un examen d’analyse de cas. S’il réussit, le candidat doit ensuite passer des tests physiques et médicaux, lesquels sont précédés d’un questionnaire médical préparé par la clinique Medisys. Le candidat doit également répondre aux questions soumises dans un questionnaire préembauche. Un enquêteur procède ensuite à une enquête de sécurité et à une entrevue au cours de laquelle il passe en revue les informations fournies. S’il franchit toutes ces étapes, sous recommandation de la SQ et avec l’autorisation du ministère de la Sécurité publique, le candidat reçoit une promesse d’embauche.
[7] Celle-ci demeure conditionnelle à la satisfaction des critères d’admission, à l’obtention d’une attestation d’études collégiales (« AEC »), ainsi qu’à la complétion d’un stage de 15 semaines à l’École nationale de police (« ÉNPQ »). La promesse d’embauche précise par ailleurs que la SQ se réserve le droit de mettre fin à la procédure d’embauche si, par exemple, « des gestes posés par [le candidat] ou si des informations portées à [leur] connaissance établissent, de l’avis de la Sûreté du Québec, que [le candidat] ne répond pas à [leurs] critères d’embauche ».
[8] Le 5 juillet 2012, le plaignant reçoit une promesse d’embauche de la SQ. Il quitte alors son poste d’agent correctionnel et entreprend ses études. Il passe avec succès toutes les étapes du processus et obtient son diplôme de l’ÉNPQ; une mention de « distinction » lui est attribuée par ses pairs.
[9] Le responsable du recrutement pour la SQ participe, comme à son habitude, à la remise des diplômes à l’ÉNPQ le 25 octobre 2013. À cette occasion, il apprend au cours d’échanges informels avec les instructeurs que le plaignant souffrirait d’un SGT. Les instructeurs relatent avoir remarqué qu’il émettait parfois des sons particuliers, ajoutant que cela ne nuisait en rien à ses performances.
[10] Après vérification au dossier du plaignant, la SQ constate que celui-ci n’a pas fait mention de cette condition dans le questionnaire médical ni lors de deux examens médicaux effectués auprès de Medisys. Le questionnaire préembauche est également silencieux sur le sujet. La seule allusion à sa condition se retrouve dans une lettre de référence transmise par l’Association québécoise du SGT (« Association ») qui mentionne : « [d]eux fois par année en moyenne, monsieur [T.J.R.] agit à titre de personne-ressource atteinte du SGT […] ».
[11] Le dossier du plaignant est alors suspendu dans l’attente de l’avis du médecin de la SQ et de l’obtention d’un complément d’enquête de sécurité, lequel vise à établir les raisons pour lesquelles l’information n’a pas été révélée au cours du processus d’embauche.
[12] Le 6 novembre 2013, les enquêteurs rencontrent le plaignant et lui exhibent la lettre de l’Association. Il explique ne pas avoir mentionné qu’il était atteint du SGT puisque pour lui « c’est fini », que c’est « réglé ». Il affirme être en possession de lettres émanant d’un neurologue confirmant ses dires. Au cours de la rencontre, il ajoute, de son propre chef, avoir également omis de divulguer ses consultations avec un psychologue entre 2004 et 2007 en lien avec ses relations malsaines avec les femmes. Il précise que cette démarche résultait de sa propre initiative, qu’elle n’était pas en lien avec un problème de santé mentale et que la personne consultée était en réalité un « coach de vie » plutôt qu’un psychologue.
[13] La SQ informe le plaignant que son dossier est suspendu. L’enquête se poursuit. Le médecin de la SQ conclut que, même si le plaignant a omis de divulguer le diagnostic de SGT et ses consultations avec un psychologue, il demeure apte à exercer le travail de policier patrouilleur. Cette information n’est toutefois pas communiquée au plaignant.
[14] Ce dernier est plutôt informé, le 18 septembre 2014, que la SQ a décidé de mettre fin à la promesse d’embauche, car le lien de confiance est rompu et qu’il ne satisfait plus aux exigences d’éthique et de bonnes mœurs requises pour exercer le travail de patrouilleur.
[15] Le plaignant, qui voit son rêve d’être policier s’effondrer, n’a jamais été en mesure d’intégrer aucun autre corps policier depuis ces événements et a plutôt poursuivi une carrière en assurance de dommages.
[16] Le 27 novembre 2019, la Commission agissant dans l’intérêt public et au nom du plaignant dépose une plainte au Tribunal des droits de la personne.
LE QUESTIONNAIRE MÉDICAL ET LE QUESTIONNAIRE PRÉEMBAUCHE
[17] Aux fins de l’analyse, il est utile de revenir brièvement sur les questions posées par le biais du questionnaire médical et du questionnaire préembauche.
[18] Le questionnaire médical préembauche est un formulaire modèle utilisé par Medisys afin de connaître l’historique médical du candidat avant l’examen médical. Il n’est pas adapté spécifiquement aux exigences de la SQ ou au poste de patrouilleur. Le plaignant remplit ce formulaire à deux reprises, soit le 9 mars 2012 et le 26 juillet 2013. Les questions ayant fait l’objet du débat en première instance sont les suivantes :
- Question 1 : « Avez-vous déjà été hospitalisé ? Si oui, détaillez. »
- Question 2 : « Avez-vous déjà été opéré ? Si oui, détaillez. »
- Question 4 : « Avez-vous déjà subi un accident d’auto ou été victime d’acte criminel qui a occasionné des blessures ? Si oui, détaillez. »
- Question 7 : « Recevez-vous ou avec-vous déjà reçu un montant forfaitaire suite à une maladie ou une blessure? Si oui, détaillez. »
- Question 8 : « Avez-vous déjà été exposé, (…) au travail ou dans vos loisirs : mouvements répétés des mains ou coudes, à des niveaux de bruit élevés, à l’amiante, au plomb, au mercure, cadmium ou autres métaux, à des substances radioactives, à des outils vibratoires, à des pesticides, herbicides, insecticides, à des poussières de décapage, de sablage, de forage de textiles, de charbon, de silice, de grains, etc… »
- Section 4- Revue des systèmes :
« Êtes-vous actuellement ou avez-vous déjà été traité pour l’une ou l’autre des maladies suivantes ? Cochez la réponse et encerclez la maladie, la blessure ou le symptôme et détaillez.
a) Convulsion, vertiges, épilepsie, paralysie, maux de tête importants, perte de connaissance? Si oui, détaillez.
b) Insomnie, anxiété, dépression, « burn out », perte de mémoire, troubles émotifs divers, dépendance aux drogues/alcool, etc.? Si oui, détaillez.[2]
[Soulignements ajoutés]
[19] Seules les questions 18 et 25 demeurent pertinentes au stade de l’appel.
[20] Le questionnaire d’enquête administrative ou questionnaire préembauche aborde brièvement l’état de santé du candidat, mais comporte également une série de questions visant à obtenir des renseignements familiaux, académiques, professionnels, sociaux et financiers. Ce questionnaire est rempli préalablement à l’entrevue avec l’enquêteur.
[21] Les questions problématiques en première instance étaient les suivantes :
- 7.5 : « Avez-vous déjà souffert de dépression, anxiété, troubles de panique, troubles de comportement, phobies ou autre maladie mentale. Expliquez dans quelles circonstances? »
- 7.6 : « Avez-vous déjà consulté des professionnels de la santé mentale suivants? Psychiatre, Psychologue, Autre(s) (précisez). Si oui, expliquez dans quelles circonstances. »
- 7.7 : « Avez-vous déjà été hospitalisé, subi une opération chirurgicale ou une blessure ayant nécessité des soins hospitaliers? »
[Soulignements ajoutés]
[22] Seules les questions 7.5 et 7.6 sont pertinentes au présent appel.
[23] Par ailleurs, à la fin du questionnaire préembauche, le plaignant déclare :
J’atteste que les renseignements fournis dans les formulaires Questionnaire d’enquête administrative-préembauche d’un candidat policier (214-536) et Offre de service policière et policier (214-350) sont complets et conformes à la vérité, sachant qu’une fausse déclaration peut entrainer le rejet de ma candidature ou mon renvoi, le cas échéant.
[Soulignements ajoutés]
LE JUGEMENT ENTREPRIS
[24] Après avoir énoncé correctement les principes juridiques applicables, le Tribunal rappelle que les questionnaires d’embauche peuvent être source de violation du droit à la vie privée et du droit à la dignité. Il ajoute que les examens médicaux préembauche sont également susceptibles de porter atteinte au droit à l’intégrité du candidat.
[25] Afin de répondre aux questions soumises, le Tribunal détermine les qualités et aptitudes requises pour l’emploi de policier à la SQ. Il retient qu’un candidat doit minimalement satisfaire aux exigences de l’article 115 de la Loi sur la police[3]. Il doit donc 1) avoir la citoyenneté canadienne, 2) être de bonnes mœurs, 3) ne pas avoir été reconnu coupable d’une infraction au sens du Code criminel ou visée à l’art. 183 de ce Code, créée par l’une des lois qui y sont énumérées et 4) être diplômé de l’ÉNPQ ou satisfaire aux normes d’équivalence. Il doit également, selon la preuve, être stable physiquement, psychologiquement et émotionnellement compte tenu des enjeux de sécurité, du stress et de la violence auxquels les policiers doivent faire face quotidiennement.
[26] Aux termes de l’analyse du questionnaire médical, le Tribunal conclut que certaines questions ratissent trop large et contreviennent à l’article 18.1 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (la « Charte »)[4]. Les questions 1, 2, 4, 7 et 25 sont jugées non pertinentes aux fins d’évaluer la condition de santé du candidat[5]. Le Tribunal retient cependant que les renseignements demandés aux questions 12, 18 et 21 sont « directement en lien avec les aptitudes ou qualités requises »[6].
[27] Le Tribunal estime que les questions 7.5 et 7.6 du questionnaire préembauche ne sont pas discriminatoires puisque l’employeur est justifié de poser des questions sur la santé mentale des candidats[7]. Il ajoute que le plaignant aurait dû indiquer être atteint du SGT en réponse à la question 7.5[8]. La question 7.7 est cependant trop large et contrevient à la Charte[9].
[28] Enfin, le Tribunal décide que la radiographie pulmonaire et la palpation des parties génitales auxquelles le plaignant a été soumis dans le cadre des examens médicaux portent atteinte à son droit à l’intégrité.
[29] En guise de réparation pour ces contraventions, le Tribunal condamne la SQ à verser au plaignant une indemnité de 8 000 $ en compensation d’un préjudice moral. Il rejette les conclusions visant à obtenir des dommages-intérêts punitifs en raison de « l’absence du caractère intentionnel des gestes posés »[10]. Il ordonne enfin à la SQ de modifier ses questionnaires médicaux et préembauche afin qu’ils soient conformes à la Charte.
[30] Le Tribunal refuse cependant de conclure au caractère discriminatoire du refus d’embauche qui, selon la preuve, « n’est pas discriminatoire, car la décision est fondée sur des qualités essentielles à la fonction de policier soit, les bonnes mœurs et l’intégrité, et non sur le fait qu’il était porteur du SGT »[11]. C’est cette dernière conclusion qui est au cœur du présent appel.
LES MOYENS D’APPEL
[31] L’appelante propose les trois moyens d’appel suivants :
LA NORME D’INTERVENTION
[32] La norme d’intervention en appel d’une décision du Tribunal des droits de la personne et des droits de la jeunesse est maintenant claire. La Cour suprême, dans Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse)[12], rappelle ceci :
[24] […]. Suivant l’arrêt Vavilov, la présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable à l’égard d’une décision administrative est celle de la décision raisonnable peut être réfutée lorsque le législateur a prévu « un mécanisme d’appel à l’encontre d’un décideur administratif devant une cour de justice, ce qui dénote que les normes générales en matière d’appel trouvent application » (par. 33).
[25] En l’espèce, les art. 132 et 133 de la Charte québécoise précisent que les décisions du Tribunal peuvent faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel du Québec. Comme la loi prévoit un mécanisme d’appel, les normes générales en matière d’appel s’appliquent plutôt que la norme de la décision raisonnable (Vavilov, par. 37; voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235). La norme de la décision correcte est applicable pour les questions de droit alors que l’erreur manifeste et déterminante est la norme applicable pour les questions mixtes de fait et de droit.[13]
L’ANALYSE
[33] L’appelante argue que le refus d’embauche n’est pas justifié. Les fausses déclarations du plaignant ne sont pas pertinentes puisqu’elles portent sur des questions que l’employeur n’avait pas le droit de poser en raison de leur caractère discriminatoire.
[34] Elle ajoute que cet argument s’impose également lorsque les questions posées ne sont pas claires et précises, puisque de telles questions ne sauraient être conformes à la Charte. Ainsi, l’appelante reconnaît que l’employeur avait le droit de demander au plaignant s’il souffrait d’un SGT, mais il se devait de le faire au moyen de questions précises. Dans le cas contraire, le Tribunal ne pouvait conclure qu’il s’agissait d’une information pertinente pour l’employeur.
[35] L’appelante soutient aussi que le Tribunal commet une erreur en considérant comme pertinentes les questions en lien avec la santé mentale[14]. Pour l’appelante, le fait que le plaignant a consulté un psychologue en raison de problèmes de relation avec les femmes n’est pas pertinent aux fins d’embauche. Les questions sont trop larges et par conséquent discriminatoires.
[36] Elle suggère enfin que le motif invoqué pour le congédiement serait en réalité un prétexte. La SQ a plutôt retiré son offre d’embauche pour un motif discriminatoire en lien avec l’état de santé du plaignant, puisqu’en raison de son régime d’invalidité généreux, elle souhaite engager uniquement des candidats en bonne santé.
* * * * *
1- Le Tribunal a-t-il erré en concluant que le plaignant a fait de fausses déclarations concernant son état de santé?
[37] La Charte[15] fait clairement une distinction entre la protection contre la cueillette discriminatoire d’information[16] et l’utilisation discriminatoire des informations recueillies[17].
[38] Les informations recherchées par le biais d’un questionnaire médical portent sur l’état de santé du candidat et, à ce titre, rejoignent un des motifs de discrimination énoncés à l’article 10 de la Charte, soit le handicap[18]. Le fait que le candidat doive répondre à de telles questions dans le cadre du processus d’embauche fait preuve, prima facie, de la violation, et ce, sans égard à l’utilisation qui sera faite ultérieurement de ces renseignements[19].
[39] L’employeur a par ailleurs le droit, dans le cadre d’un processus d’embauche, de s’assurer que le candidat possède les aptitudes et qualités requises afin d’exécuter les tâches qui lui sont confiées de manière sécuritaire pour lui et pour autrui[20]. Il lui appartient alors de démontrer, selon la balance des probabilités, que les renseignements demandés le sont dans ce but précis[21]. Le questionnaire doit être modulé en fonction des tâches à accomplir et ne doit pas viser à embaucher uniquement des candidats en bonne santé présentant moins de risque d’absentéisme[22].
[40] Dans un contexte de questionnaire préembauche, il revient à l’employeur de démontrer que « les renseignements sont requis dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause et qu’ils sont raisonnablement nécessaires pour réaliser ce but légitime lié au travail »[23].
[41] Le Tribunal a conclu que cette preuve a été faite. La SQ a démontré qu’au-delà des exigences de l’article 115 de la Loi sur la police, les aptitudes et qualités requises pour le poste de policier justifient d’obtenir des informations de la part du candidat en lien avec son état neurologique et sa santé mentale.
[42] Le médecin expert de la SQ a témoigné des aptitudes essentielles requises pour exercer le travail de policier :
- Utiliser une arme à feu : ce qui implique une stabilité psychologique et des habiletés physiques et nécessite une main exempte de pathologie;
- Conduire un véhicule en mode urgence ou prioritaire : ce qui implique le contrôle de l’impulsivité et de la colère et des compétences de conduite; l’individu doit bien voir;
- Maîtriser un individu par les techniques de la force; cela nécessite du discernement, de la stabilité émotionnelle, la connaissance de techniques et nécessite l’usage des quatre membres; l’utilisation de ces techniques expose le policier aux entorses, luxations, commotions cérébrales et fractures;
- Travailler sur des quarts de rotation (jour, soir et nuit); cet horaire atypique n’est pas compatible avec un individu qui connaît des troubles de sommeil, qui a une certaine vulnérabilité émotionnelle et elle ajoute que tous les troubles psychologiques sont très sensibles au bris du cycle de sommeil[24].
[43] Elle explique que les questions médicales sont simples et qu’elles visent à renseigner le médecin examinateur. Elles ne sont pas limitées dans le temps puisque certains problèmes médicaux peuvent resurgir[25]. Elle ajoute que les questions en lien avec la santé mentale sont très pertinentes puisque les policiers sont « exposés à des situations de violence et de stress au-dessus de la moyenne »[26].
[44] L’experte de l’appelante reconnaît d’ailleurs l’importance d’évaluer l’état mental du candidat dans un contexte où les enjeux de sécurité sont majeurs[27].
[45] Le Tribunal retient que l’employeur a justifié les raisons pour lesquelles il était nécessaire d’obtenir les renseignements requis.
[46] L’appel porte donc sur le caractère discriminatoire de la question 18 du questionnaire médical et des questions 7.5 et 7.6 du questionnaire préembauche, et par le fait même, sur l’obligation du candidat de révéler le fait qu’il souffrait d’un SGT et qu’il avait consulté un psychologue par le passé.
i) Le plaignant devait révéler le fait qu’il souffrait d’un SGT
[47] Le Tribunal conclut que les renseignements demandés à la question 18 du questionnaire médical en lien avec le système nerveux sont « directement et rationnellement en lien avec les aptitudes et qualités requises » pour le travail de policier.
[48] L’appelante ne convainc pas que cette conclusion, qui repose sur la preuve, est entachée d’une quelconque erreur.
[49] Il est vrai que celle-ci ne réfère pas spécifiquement au SGT ou aux symptômes liés à cette condition, tels que les tics verbaux ou moteurs. En cette matière, l’équilibre est difficile à atteindre. Si la question est trop large, elle risque d’être considérée comme étant discriminatoire. Trop précise, l’employeur se prive potentiellement de renseignements pertinents et nécessaires aux fins de l’embauche.
[50] La question 18 du questionnaire médical était ici suffisamment simple et claire pour permettre au candidat de comprendre la nature des renseignements qu’il devait fournir. L’énumération de certaines conditions et de certains symptômes de nature neurologique n’est pas limitative, tel qu’en témoigne l’utilisation du « etc… ». Il serait déraisonnable, contrairement à ce que propose l’appelante, d’exiger que le questionnaire énumère toutes les maladies neurologiques ou chaque symptôme potentiellement pertinent.
[51] Le plaignant sait qu’il souffre d’une condition neurologique et que celle-ci s’est révélée être source de préoccupations lors de démarches d’emploi antérieures.
[52] En effet, son diagnostic de SGT l’avait initialement empêché d’intégrer les Forces armées canadiennes en 2000. Ce refus l’avait mené à consulter un neurologue qui avait conclu qu’outre de rares tics vocaux et des clignements d’yeux occasionnels, l’examen ne présentait rien d’anormal. L’armée avait alors accepté de revoir sa position et le plaignant y a travaillé jusqu’en 2010.
[53] Entre 2008 et 2010, il entreprend des démarches auprès de la GRC. Le plaignant juge nécessaire de consulter de nouveau le même neurologue qui confirme que sa condition ne l’empêche pas de travailler comme policier.
[54] Par ailleurs, le fait qu’il soit difficile de catégoriser le SGT comme trouble neurologique ou comme problème de santé mentale ou que le plaignant croit être guéri, malgré le fait qu’il ait encore certaines manifestations subtiles de tics verbaux et moteurs, ne le libère pas de son obligation de transparence et de bonne foi. Il connaît sa condition et il ne lui revient pas de déterminer ce qui, ultimement, est important ou non aux yeux de son employeur potentiel.
[55] Comme le précise la Cour :
[85] Certains craignent l’usage que pourra faire l’employeur de cette information. Le postulant qui remplit un questionnaire de pré-embauche a toute latitude pour nuancer et préciser ses réponses, documents à l’appui. L’employeur qui reçoit son questionnaire doit évaluer et qualifier celui-ci et ne peut, après étude, exclure la candidature de la personne affectée d’un handicap que si sa décision repose sur les aptitudes ou qualités requises par l’emploi convoité, à l’époque pertinente. Il a, par ailleurs, une obligation d’accommodement, sous réserve de la contrainte excessive.
[86] Cet exercice important n’a pu être fait, ici, en raison du choix délibéré du salarié de ne pas répondre en toute bonne foi au questionnaire de l’employeur.[28]
[56] Même s’il fallait conclure, comme l’appelante nous invite à le faire, qu’aucune question spécifique n’obligeait le plaignant à divulguer qu’il souffrait d’un SGT, le formulaire comportait la question 25 invitant le candidat à préciser tout état de santé non spécifiquement visé par les questions précédentes.
[57] Le Tribunal conclut que cette question est trop large et discriminatoire. Ce constat justifiait sans doute d’ordonner un redressement en vertu de la Charte afin d’obliger l’employeur à modifier cette question et de la rendre conforme aux exigences de la Charte. Le caractère discriminatoire de cette question ne libère toutefois pas le plaignant de son obligation de divulguer une condition médicale qui, à sa connaissance, est de nature à préoccuper un futur employeur. Il pouvait répondre en apportant toutes les nuances qu’il jugeait à propos et en fournissant une copie du rapport du neurologue consulté par le passé. Le sujet aurait alors pu être abordé au cours de l’examen médical et analysé spécifiquement par le médecin de l’employeur.
[58] Les enseignements de la Cour supportent l’approche du Tribunal :
[76] Le Syndicat argumente, pour l’essentiel, que les questions posées ne ciblent pas une période dans le temps et que la preuve n’établit pas la nécessité d’une telle intrusion dans la vie privée. La recherche entreprise sur tous les aspects du dossier médical du salarié ne serait pas raisonnable. En conséquence, le salarié ne devrait pas être sanctionné pour avoir menti. Une réponse fausse ou inexacte à une question discriminatoire ne saurait, selon lui, entraîner la rupture du lien d’emploi.
[77] Le questionnaire ratisse large et il ne paraît pas conçu pour obtenir des renseignements d’ordre médical qui soient seulement reliés aux aptitudes ou qualités requises par l’emploi d’infirmier. Certains redressements auraient sans doute pu être demandés en vertu de la Charte. Ce n’est pas dire, pour autant, qu’à partir du moment où certaines questions n’auraient pas dû être posées, il n’est plus possible d’opposer au salarié des déclarations fausses portant sur des informations que l’employeur était en droit de connaître pour assumer ses responsabilités et prendre la décision d’embauche qu’il croyait la meilleure, dans les circonstances.
[78] Je n’adhère pas à la thèse selon laquelle le postulant est, dans un tel cas de figure, libéré de son obligation de bonne foi et de transparence. Il ne peut, dans le doute, cacher des informations qui pourraient lui être préjudiciables et invoquer, si le subterfuge est éventuellement découvert, le caractère potentiellement discriminatoire de certaines questions posées.
[79] Je conviens qu’une fausse déclaration ne peut être déterminante si l’omission porte sur un élément que l’employeur n’aurait pas eu le droit de considérer en raison de l’article 18.1 de la Charte ou sur un élément insignifiant qui n’a pas déterminé le consentement. Mais il ne s’agit pas de cela ici.[29]
[Soulignements ajoutés]
[59] Le même raisonnement s’applique ici. Le plaignant aurait dû déclarer qu’il souffrait d’un SGT.
ii- le plaignant a fait de fausses déclarations en lien avec ses consultations auprès d’un psychologue
[60] Le Tribunal conclut que l’employeur était justifié de poser des questions en lien avec la santé mentale du candidat en raison des exigences du travail de policier[30]. Cette conclusion trouve appui dans la preuve.
[61] Le plaignant a par ailleurs répondu aux questions posées, mais s’est limité à déclarer qu’il avait profité d’un suivi psychologique offert par l’intermédiaire du salon funéraire à la suite du décès de sa mère. Il ne fait aucunement état de ses consultations en lien avec ses relations difficiles avec les femmes. Il ne révèle cet élément qu’au moment de l’enquête administrative complémentaire suivant la cérémonie de graduation. Et même à cette occasion, l’information fournie est inexacte. Il mentionne alors avoir consulté à sa propre initiative un « coach de vie » à quelques reprises à ce sujet. Or, il précise dans une lettre transmise à l’employeur, alors que l’enquête était toujours en cours, avoir consulté un psychologue de façon sporadique, soit à 16 occasions, entre 2004 et 2005. L’enquête révèle qu’il a plutôt consulté à 48 reprises entre la fin novembre 2004 et juin 2007.
[62] La conclusion du Tribunal voulant que le plaignant ait fait de fausses déclarations en répondant aux questions 7.5 et 7.6 du questionnaire d’enquête administrative est donc bien fondée.
2- Le refus d’embauche était-il justifié dans les circonstances?
[63] Le Tribunal a conclu, à juste titre, que le plaignant a fait preuve d’un manque de transparence dans le processus d’embauche. Il a eu plusieurs occasions pour divulguer le fait qu’il souffrait de SGT : il a rempli à deux reprises le questionnaire médical, a subi deux évaluations médicales au cours desquelles les éléments mentionnés dans le questionnaire sont abordés, et il a rempli le questionnaire en vue de l’enquête administrative en plus de participer à une entrevue. Il a choisi de ne pas en parler alors qu’il était conscient que cet élément pouvait être pertinent pour un employeur éventuel. Il a également fait preuve de réticences en lien avec ses consultations auprès d’un psychologue.
[64] La Cour, toujours dans l’arrêt Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, rappelle que :
[60] Les fausses déclarations dans le questionnaire médical à l’étape pré-embauche sont souvent assimilées, par les tribunaux d’arbitrage, à un manque de transparence qui ébranle le lien de confiance entre le salarié et l’employeur, lien nécessaire à la continuité de la relation d’emploi. La jurisprudence arbitrale a établi certains critères permettant de déterminer dans quelles conditions le congédiement du salarié peut être justifié. Mentionnons : 1) la relation entre la fausse déclaration et les fonctions exercées par l’employé; 2) le fait que l’employeur n’aurait pas embauché l’employé s’il avait connu la vérité; 3) le caractère volontaire de la fausse déclaration.
[61] Un seul de ces éléments suffira parfois à justifier le congédiement. Et même si un postulant de bonne foi affirme ne pas être atteint d’une maladie l’empêchant d’occuper un poste, le consentement de l’employeur pourra être vicié si cela s’avère inexact.[31]
[Soulignements ajoutés]
[65] En effet, le candidat est tenu, lorsqu’il participe au processus d’embauche, à une obligation de bonne foi[32] envers son futur employeur potentiel.
[66] L’annulation de la promesse d’embauche n’est pas en lien avec la condition de santé du plaignant. La SQ, après avoir complété son enquête, l’a jugé apte à occuper des fonctions de patrouilleur malgré son SGT et les problèmes psychologiques pour lesquels il avait consulté. Ce sont les omissions volontaires relativement à son état de santé qui expliquent la décision de l’employeur. Ces demi-vérités émanant d’un futur policier sont de nature à ébranler le lien de confiance avec l’employeur, voire le public, surtout lorsque les notions de bonnes mœurs et d’intégrité se situent au cœur des qualités recherchées chez le candidat.
[67] Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire pour la Cour de se prononcer sur la demande en réintégration et en dommages-intérêts.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[68] REJETTE l’appel avec les frais de justice.
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| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. | |
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| MICHEL BEAUPRÉ, J.C.A. | |
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| PETER KALICHMAN, J.C.A. | |
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Me Lysiane Clément-Major | ||
Pour l’appelante | ||
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Me François-Alexandre Gagné | ||
BERNARD, ROY (JUSTICE-QUÉBEC) | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 24 mars 2022 | |
[1] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (T.J.R.) c. Procureur général du Québec (Sûreté du Québec), 2020 QCTDP 20 [Jugement entrepris].
[2] Pièce P-9, Questionnaire médical pré-emploi ou Questionnaire médical 1re visite de la clinique Medisys rempli par le plaignant le ou vers le 9 mars 2012, M.A., vol. confidentiel, p. 191-192.
[3] RLRQ, c. P-13.1.
[4] Ce sera le cas des questions 1,2,3, 7, 8 et 25 du questionnaire médical. Voir : Jugement entrepris, paragr. 102-104 et 110.
[5] Jugement entrepris, paragr. 103 et 104.
[6] Jugement entrepris, paragr. 102 et 109.
[7] Jugement entrepris, paragr. 114 et 117.
[8] Jugement entrepris, paragr. 115.
[9] Jugement entrepris, paragr. 118.
[10] Jugement entrepris, paragr. 187-192.
[11] Jugement entrepris, paragr. 156.
[12] Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43.
[13] Id., paragr. 24-25.
[14] Questionnaire médical : questions 18 et 25; Questionnaire préembauche : questions 7.5 et 7.6.
[15] Charte québécoise des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 [Charte].
[16] Charte, supra, note 15, art. 18.1 : « Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés à l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande. ».
[17] Charte, supra, note 15, art. 16 : « Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classification d’emploi. ».
[18] Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 21 mars 2013, no 35130.
[19] Id., paragr. 63 et 65.
[20] Charte, supra, note 15, art. 20; Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIi/ACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, supra, note 18, paragr. 67.
[21] Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIi/ACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, supra, note 18, paragr. 67.
[22] Id., paragr. 58.
[23] Id., paragr. 68.
[24] Jugement entrepris, paragr. 78.
[25] Jugement entrepris, paragr. 91-92.
[26] Jugement entrepris, paragr. 79.
[27] Jugement entrepris, paragr. 80.
[28] Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur du Québec (SIi/ACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, supra, note 18, paragr. 85-86.
[29] Id., paragr. 76-79.
[30] Jugement entrepris, paragr. 114.
[31] Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Coeur du Québec (SIi/ACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, supra, note 18, paragr. 60-61.
[32] Art. 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec.
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