Décision

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Bédard c. Déziel

2011 QCCS 1828

JA0908

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

 

N° :

540-17-003826-103

 

 

 

DATE :

 18 avril 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LOUISA L. ARCAND, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

MICHEL BÉDARD

Demandeur

c.

CHANTAL DÉZIEL

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le demandeur est acquitté d'accusations criminelles portées contre lui.

[2]           Il réclame 150 000 $ pour des dommages qu'il allègue avoir subis à la suite de ces accusations qu'il estime avoir été faites de mauvaise foi.

Le contexte

[3]           Le demandeur Michel Bédard a été conjoint de fait d'une dame et une enfant est née de leur union.

[4]           Le couple se sépare et se dispute la garde de l'enfant. La dame est alors représentée par une avocate, Me Chantal Déziel. M. Bédard n'est pas représenté par avocat.

[5]           Les procédures du dossier matrimonial s'échelonnent sur plus de deux ans.

[6]           Le 29 mai 2007, à la fin d'une des nombreuses journées d'audience, une discussion entre le juge et M. Bédard se poursuit ainsi[1] :

LA COUR :

Q         […] Puis vous êtes probablement le pire… le pire ennemi que vous avez là, c'est pas madame, c'est vous-même. […]

[…]

M. BÉDARD :

R          Bien vous… vous me permettrez d'en dire une autre. Maître Déziel, c'est mon ennemi aussi.

LA COUR :

Q          Mais la pire, je vous comprends que vous l'aimiez pas maître Déziel.

M. BÉDARD :

R          Ah j'aime pas la face Votre Honneur, si vous savez… si vous saviez.

LA COUR :

Q         Je vous comprends que vous l'aimez pas. Bon.

M. BÉDARD :

R          Je donnerais un coup de pied où ce qu'il faut.

LA COUR :

Q         Puis elle non plus. Bon. Mais… mais … mais le pire ennemi c'est vous.

[7]           À sa sortie de la salle d'audience, Mme Déziel porte plainte aux autorités policières contre M. Bédard.

[8]           Elle écrit dans sa déclaration solennelle[2] :

[…] Alors que Michel Bédard se trouvait à moins d'un mètre de moi, celui-ci a dit, clairement, que j'étais sa pire ennemie et qu'il me mettrait un coup de pied au cul. À ce moment, j'ai été stupéfaite et j'ai eu peur. […]

[9]           Par l'entremise d'un avocat, M. Bédard adresse une mise en demeure à Mme Déziel, l'enjoignant de faire le nécessaire pour retirer cette plainte dans les plus brefs délais, à défaut de quoi des recours en dommages seront intentés contre elle[3].

[10]        Mme Déziel ne retire pas sa plainte. Plutôt, elle en dépose une deuxième alléguant qu'elle est victime d'une certaine forme d'intimidation[4].

[11]        Le Procureur général retient la première plainte. M. Bédard est accusé de :

1.         Le ou vers le 29 mai 2007, à Laval, district de Laval, s'est livré à des voies de fait contre Chantal Déziel, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 266a) du Code criminel.

2.         Le ou vers le 29 mai 2007, à Laval, district de Laval, a sciemment proféré une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Chantal Déziel, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264.1 (1)a) (2)a) du Code criminel.

[12]        Le procès sur ces accusations a lieu le 2 février 2009 devant la Cour du Québec.

[13]        Sur le premier chef d'accusation, le juge accueille la « motion de non-lieu » présentée par la défense pour « absence totale de preuve sur un des éléments de l'infraction ».

[14]        Sur le deuxième chef d'accusation, le juge acquitte M. Bédard car il « n'a pas une preuve hors de tout doute raisonnable sur la question des lésions corporelles dans ce contexte ».

[15]        M. Bédard reproche à Mme Déziel d'avoir déposé une plainte abusive à son endroit, et ce, par vengeance.  En effet, il avait lui-même porté plainte du comportement de Me Déziel au Syndic du Barreau.  Le Tribunal note que le Syndic du Barreau a rejeté cette plainte.

[16]        M. Bédard soutient que Mme Déziel a déposé une plainte qu'elle savait fausse, et qu'il en a subi de lourdes conséquences, car il a dû se présenter au poste de police, subir un interrogatoire, être accusé, subir le procès pour finalement être acquitté.

[17]        Il allègue que Mme Déziel l'a humilié, qu'elle a porté atteinte à sa dignité et que cette situation dévastatrice a eu pour résultat de créer de multiples dommages dont de l'anxiété, du stress, de l'insomnie et de la dépression, de même que des effets et conséquences qu'il subit jusqu'à ce jour[5]. Il avance également que des conséquences déplorables et désastreuses lui ont été causées en brimant ses droits et en portant atteinte à sa réputation compte tenu qu'il est ingénieur de profession[6].

[18]        M. Bédard réclame des dommages et intérêts ainsi que des dommages exemplaires de 150 000 $, ainsi détaillés :

·        Perte de jouissance de la vie et dommages                                            
moraux, anxiété, stress, haute pression                                  100 000 $;

·        Dommages exemplaires                                                             40 000 $;

·        Déboursés                                                                                    10 000 $.

[19]        La procédure est signifiée sous enveloppe cachetée, sur la poignée de la porte du domicile de Mme Déziel.  Elle ne comparaît pas et, en conséquence, la présente affaire est entendue par défaut de comparaître.

La question en litige

[20]        Le Tribunal doit décider si Mme Déziel a commis une faute.

[21]        Dans l'affirmative, il faudra déterminer si M. Bédard a subi des dommages et de quel ordre.

[22]        Dans l'éventualité où le Tribunal détermine qu'il y a faute et dommages, le Tribunal devra établir le lien de causalité entre la faute et les dommages.

L'analyse

La faute

[23]        La présente demande s'inscrit en responsabilité civile extra-contractuelle, suivant l'article 1457 du Code civil du Québec, lequel est ainsi rédigé :

1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.

[24]        M. Bédard soutient que Mme Déziel sait que sa déclaration est fausse car elle a en main les notes sténographiques de la transcription des débats judiciaires. Elle peut donc constater que les paroles qu'il a prononcées en salle d'audience sont différentes de ce qu'elle déclare aux policiers.

[25]        Le juge de la Cour du Québec, qui entend le procès criminel, ne le trouve pas. Il s'exprime ainsi[7] :

[…] Dans le contexte dans lequel ça se déroule les paroles… et c'est sûr que c'est pas un contexte amical là, hein. On est en cour. On est en procédures de… matrimoniales. Puis effectivement on est au sujet de droits d'accès puis de droits de garde puis tout ça.

[26]        Au commentaire du procureur de la couronne qui exprime que Mme Déziel « …avait raison de craindre ou était intimidée ou a été intimidée par l'attitude de l'accusé par ces paroles-là », le juge répond : « Tout à fait. »[8]

…dans tout le contexte, madame Déziel, qui est maître Déziel, en fait là, peut avoir eu peur de monsieur. Ça c'est… c'est certain[9].

                                                                                              (Nos soulignements.)

[27]        Et il poursuit en disant[10] :

[…] je n'ai aucun doute que la victime [Mme Déziel], la présumée victime maître Déziel, ait pu avoir peur de l'accusé dans le contexte où ces paroles ont été dites. Alors effectivement, la présumée victime a très bien fait de contacter les autorités à ce moment-là et d'expliquer ce qui en était de ce contexte et de la situation.

                                                                                              (Nos soulignements.)

[28]        Mme Déziel rapporte les paroles que M. Bédard lui adresse et qu'elle se souvient avoir entendues. Si ces paroles ne sont pas rapportées verbatim, elles sont néanmoins reprises de manière suffisamment fidèle pour qu'on en comprenne le sens et leur caractère menaçant.

[29]        Le Tribunal souligne que Mme Déziel dénonce ce que M. Bédard lui a dit. À partir de ce moment, la suite des procédures n'est plus de son ressort. C'est le Procureur général du Québec qui, s'il estime que la situation révèle une possible infraction criminelle, rédige et dépose l'acte d'accusation en identifiant lui-même les infractions reprochées.

[30]        Mme Déziel n'a pas déclaré que M. Bédard se soit livré à des voies de fait contre elle, ni qu'il l'ait menacée de mort. D'ailleurs, le juge de la Cour du Québec en a rapidement convenu. Mme Déziel se plaint des paroles que M. Bédard a prononcées à son intention et du fait qu'elle se sente menacée.

[31]        Le Tribunal considère que Mme Déziel n'a pas commis de faute en déposant une plainte à l'endroit de M. Bédard pour les paroles qu'elles se souvient avoir entendues et qui, selon elle, constituent une menace.

[32]        M. Bédard avance que Mme Déziel tente de lui nuire et que sa conduite est contraire à l'éthique professionnelle.

[33]        Le Tribunal ne partage pas cet avis.

[34]        Dans une décision de principe, la Cour d'appel[11] nous rappelle que la règle générale veut que chaque citoyen ait le droit, et parfois l'obligation, de provoquer des poursuites criminelles contre une personne s'il a des motifs raisonnables et probables de croire que cette dernière a commis un acte criminel, et il est important pour l'administration de la justice qu'il agisse sans crainte des conséquences. Sa responsabilité sera cependant engagée s'il agit sans ces motifs, sans qu'il soit nécessaire de prouver une intention malicieuse.

[35]        Aucun reproche ne peut être adressé à Mme Déziel qui se sent menacée par les paroles de M. Bédard. Le Tribunal estime qu'il est probable qu'elle se soit sentie menacée par de telles paroles et, dans les circonstances, elle a agi de façon raisonnable en dénonçant cette situation aux autorités.

[36]        Puisque Mme Déziel n'a commis aucune faute, la requête est rejetée.

Les dommages

[37]        Dans sa requête et dans son témoignage, M. Bédard demande réparation pour perte de jouissance de la vie et dommages moraux, anxiété, stress, haute pression.

[38]        Toutefois, il n'a fait aucune preuve au soutien de cette réclamation. En l'absence de preuve de réclamation, le Tribunal aurait été dans l'impossibilité d'évaluer la réclamation et d'accorder des dommages.

[39]        Quant à la réclamation pour dommages exemplaires, l'article 49 al. 2 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne[12] prévoit qu'ils ne peuvent être accordés que lorsqu'il y a preuve d'une atteinte illicite et intentionnelle aux droits d'autrui[13]. Bien que M. Bédard allègue avoir subi des atteintes à ses droits fondamentaux, soit à sa dignité et sa réputation, il n'a pas démontré le caractère illicite de ces atteintes. Au contraire, le Tribunal a conclu en la légitimité de l'acte posé par Mme Déziel. Par ailleurs, M. Bédard n'a aucunement démontré que Mme Déziel a intentionnellement souhaité que le résultat de sa déclaration aux autorités porte atteinte à ses droits fondamentaux.

[40]        Finalement, en ce qui concerne les débours[14], la preuve ne démontre aucunement que Mme Déziel a agi de mauvaise foi ou de manière abusive. En vertu des principes énoncés par la Cour d'Appel[15], le Tribunal ne peut faire droit à la réclamation pour les honoraires extrajudiciaires et débours de M. Bédard.

[41]        Puisque le Tribunal a déterminé qu'il n'y a ni faute ni dommages prouvés, il ne peut y avoir aucun lien de causalité entre l'un et l'autre.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[42]        REJETTE la requête introductive d'instance en dommages et intérêts et dommages exemplaires du demandeur;

[43]        LE TOUT, sans frais vu l'absence de contestation.

 

 

 

 

 

Louisa L. Arcand, j.c.s.

 

 

 

M. Michel Bédard

Non représenté par avocat

 

 

Date d’audience :

22 mars 2010

 



[1]     Pièce P-14 : Transcription de l'audience du 29 mai 2007, p. 45 (540-04-002554-985).

[2]     Pièce P-2.

[3]     Pièce P-6.

[4]     Pièce P-7.

[5]     Requête introductive d'instance en dommages et intérêts et dommages exemplaires, paragr. 31.

[6]     Ibid. paragr. 36.

[7]     Pièce P-13 : Transcription de l'audience du 2 février 2009, p. 97 (540-01-032960-075).

[8]     Ibid. p. 149.

[9]     Ibid.

[10]    Ibid. p. 159.

[11]    Bertrand c. Racicot, [1985] R.D.J. 418 , J.E. 84-853 , AZ-84011231 (C.A.).

[12]    L.R.Q., c. C-12.

[13]    de Montigny c. Brossard (SuccessIon), 2010 CSC 51 .

[14]    Pièce P-12 : Honoraires extrajudiciaires, frais de sténographie, timbre judiciaire et frais d'huissier.

[15]    Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.).

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