Thiboutot c. Morin-Courchesne

2019 QCRDL 17456

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Val-d'Or

 

No dossier :

343340 13 20170626 F

No demande :

2275898

 

 

Date :

23 mai 2019

Greffier spécial :

Me Grégor Des Rosiers

 

André Thiboutot

 

Marie-Noël Boily

 

Locateurs - Partie demanderesse

c.

Marie-Pier Morin-Courchesne

 

Patrick Martineau

 

Locataires - Partie défenderesse

 

 

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les locateurs ont produit une demande de fixation de loyer et de modification d’une autre condition du bail conformément aux dispositions de l’article 1947 du Code civil du Québec ainsi que le remboursement des frais.

[2]      Les parties sont liées par un bail du 1er septembre 2016 au 31 août 2017, à un loyer mensuel de 590,00 $ comprenant le coût d’un espace de stationnement.

[3]      Le locateur demande au Tribunal de statuer sur la modification suivante :

« Logement fumeur deviendra au 1er septembre 2017 un logement non-fumeur et aires communes non-fumeur (c’est-à-dire les 2 cages d’escaliers) ». [sic]

[4]      À l’audience, les parties informent le Tribunal qu’une entente est intervenue entre elles en ce qui concerne l’augmentation du loyer, laquelle sera de 10,00 $ à compter du 1er septembre 2017 et que la demande ne porte que sur la modification d’une condition du bail portant sur la modification proposée au bail quant à l’interdiction de fumer du cannabis dans le logement et dans les aires communes de l’immeuble.

[5]      Le Tribunal prend acte de l’entente intervenue entre les parties et se prononcera sur la modification proposée.


MODIFICATION : IMMEUBLE ET LOGEMENT NON-FUMEUR

INTERDICTION DE FUMER DANS LE LOGEMENT ET LES AIRES COMMUNES DE L’IMMEUBLE

Preuve des locateurs

[6]      Les parties sont liées par un bail initial du 1er septembre 2016 au 31 août 2017 (P-1 déjà déposée au dossier). Ce bail ne contient aucune clause d’interdiction de fumer dans le logement.

[7]      Le 30 mai 2017, les locateurs ont donné leur avis de modification de bail aux locataires (P-2 déjà déposée au dossier).

[8]      Le 21 juin 2017, les locataires donnent leur réponse aux locateurs refusant la modification proposée (P-3 déjà déposée au dossier).

[9]      En évoquant les inconvénients causés par les odeurs de cannabis qui se dégagent du logement des locataires, les locateurs font valoir que pour des motifs liés à la fumée secondaire du tabac et aux fortes odeurs de cannabis provenant du logement des locataires, il y a lieu et il est devenu nécessaire et opportun d’autoriser l’ajout d’une clause non-fumeur au bail afin qu’il soit interdit aux locataires de fumer dans le logement et les aires communes de l’immeuble, plus particulièrement, les cages d’escaliers.

[10]   Il s’agit d’un immeuble comprenant 6 logements.

[11]   Le logement des locataires est situé au sous-sol.

[12]   Les locateurs soutiennent qu’ils ont pu se rendre compte qu’il se dégageait une très forte odeur de fumée de cannabis provenant du logement des locataires.

[13]   Ils constatent et comprennent alors que la fumée s’est incrustée dans les murs. C’est cette odeur et la fumée secondaire qui se répandent dans les couloirs et se propagent jusque dans la cage d’escalier et s’incrustent dans les murs et qui engendra éventuellement une détérioration de l’immeuble et qu’une telle nuisance causée par les odeurs de fumée de tabac et de cannabis dégradent assurément l’immeuble dont ils sont propriétaires et assurément engendra dans un avenir rapproché des coûts de réparations majeures supplémentaires.

[14]   À une question soulevée par le Tribunal quant au degré de nuisance de cette odeur, les locateurs estiment qu’il serait de 5/10 sur une échelle de 0 à 10.

[15]   Essentiellement, au soutien de leur demande, les locateurs soumettent comme inconvénient que les odeurs de fumée de cannabis et de tabac provenant du logement des locataires dégradent l’immeuble dont ils sont propriétaires, diminue les perspectives d’augmentation de sa valeur et constituent une contravention et une entrave au droit de jouissance normale des lieux loués par les autres locataires et porte également atteinte à leur droit de propriété dont ils sont titulaires, prérogative leur permettant d’inclure l’interdiction de fumer dans le logement et l’immeuble, dans un environnement sans odeur ni fumée secondaire provenant du cannabis, du tabac ou autres substances.

Preuve des locataires

[16]   Les locataires contestent la demande de modification proposée visant à interdire de fumer dans le logement.

[17]   Le locataire, Patrick Martineau, confirme à l’audience qu’il fume tant la cigarette que le cannabis, dans le logement. Toutefois, il soumet qu’il s’agit d’un immeuble de 6 logements avec un taux de roulement très élevé et qu’il doute que les odeurs et la fumée secondaire décrites par les locateurs proviennent de son logement.

[18]   Au sujet des odeurs de cannabis, les locataires plaident n’avoir jamais reçu de plainte de la part des locateurs ni de quiconque.

[19]   Le locataire ne nie pas qu’il fume beaucoup de cannabis. Toutefois, il souligne avoir installé un purificateur d’air dans le logement en plus de faire usage de chandelles odorantes.

[20]   Il explique avoir fait des démarches en suivant une thérapie pour arrêter la consommation de cannabis. Il a fait une rechute et à recommencer à consommer le cannabis.


[21]   Par ailleurs, les locataires plaident qu’en dépit de la consommation de cannabis et les produits du tabac dans le logement, les odeurs décrites par les locateurs doivent provenir du sous-sol de l’immeuble (L-1 photos (10)) ou des autres logements dont le taux de roulement est très élevé et non de leur logement qu’ils tiennent dans un état immaculé de propreté (L-2 photos (3) logements des locataires).

[22]   S’appuyant sur une décision[1] du Tribunal, les locataires plaident que la demande de modification du bail proposée par les locateurs par l’ajout au bail d’une clause non-fumeur ou d’interdiction de fumer dans le logement et les aires communes de l’immeuble n’est pas justifiée et qu’il s’agit d’un abus flagrant du droit de propriété dont les locateurs sont titulaires et que l’ajout d’une telle clause les interdisant de fumer porte assurément atteinte à leur droit au maintien dans les lieux loués, le locataire évoquant que malgré les séances de thérapies, qu’il lui est difficile de cesser de consommer le cannabis et que l’ajout d’une telle clause l’inciterait assurément à déménager.

DROIT APPLICABLE

[23]   Selon la loi, un locateur a la possibilité de modifier les conditions du bail lors de sa reconduction s’il donne un avis à cet effet au locataire dans les délais prescrits. Le Code civil du Québec[2] prévoit :

« 1942. Le locateur peut, lors de la reconduction du bail, modifier les conditions de celui-ci, notamment la durée ou le loyer; il ne peut cependant le faire que s'il donne un avis de modification au locataire, au moins trois mois, mais pas plus de six mois, avant l'arrivée du terme. Si la durée du bail est de moins de douze mois, l'avis doit être donné, au moins un mois, mais pas plus de deux mois, avant le terme.

Lorsque le bail est à durée indéterminée, le locateur ne peut le modifier, à moins de donner au locataire un avis d'au moins un mois, mais d'au plus deux mois. Ces délais sont respectivement réduits à dix jours et vingt jours s'il s'agit du bail d'une chambre.

1943. L'avis de modification qui vise à augmenter le loyer doit indiquer en dollars le nouveau loyer proposé, ou l'augmentation en dollars ou en pourcentage du loyer en cours. Cette augmentation peut être exprimée en pourcentage du loyer qui sera déterminé par le tribunal, si ce loyer fait déjà l'objet d'une demande de fixation ou de révision.

L'avis doit, de plus, indiquer la durée proposée du bail, si le locateur propose de la modifier, et le délai accordé au locataire pour refuser la modification proposée ».

[24]   En cas de refus du locataire, le locateur peut alors demander au Tribunal d’autoriser la modification demandée dans le mois de la réception du refus :

« 1947. Le locateur peut, lorsque le locataire refuse la modification proposée, s'adresser au tribunal dans le mois de la réception de l'avis de refus, pour faire fixer le loyer ou, suivant le cas, faire statuer sur toute autre modification du bail; s'il omet de le faire, le bail est reconduit de plein droit aux conditions antérieures ».

[25]   D’autres articles du Code civil du Québec régissent la relation juridique entre le locateur et le locataire. Le Tribunal se réfère aux articles pertinents à la présente cause notamment :

« 1936. Tout locataire a un droit personnel au maintien dans les lieux; il ne peut être évincé du logement loué que dans les cas prévus par la loi.

1941. Le locataire qui a droit au maintien dans les lieux a droit à la reconduction de plein droit du bail à durée fixe lorsque celui-ci prend fin. Le bail est, à son terme, reconduit aux mêmes conditions et pour la même durée ou, si la durée du bail initial excède douze mois, pour une durée de douze mois. Les parties peuvent, cependant, convenir d'un terme de reconduction différent.

1952. Le tribunal qui autorise la modification d'une condition du bail fixe le loyer exigible pour le logement, compte tenu de la valeur relative de la modification par rapport au loyer du logement ».

[26]   Tout d’abord, il y a lieu de souligner une règle de droit bien établie à l’effet qu’il appartient au demandeur de toute demande en justice de démontrer le bien-fondé de sa demande en établissant les éléments factuels de faits et de droit au soutien de ses prétentions.

[27]   En l’instance, il incombe aux locateurs de prouver le bien-fondé de leur demande en établissant les motifs au soutien de la modification au bail demandée et qu’une telle modification ne porte pas atteinte au droit personnel des locataires au maintien dans les lieux.


[28]   Dans l’analyse de la preuve, la jurisprudence constante est unanime pour exiger du Tribunal qu’il examine la pertinence de la demande de modification qui lui est présentée, c’est-à-dire le bien-fondé de la demande.

ANALYSE ET DÉCISION

[29]   En ce qui concerne la demande de modification relative à l’interdiction de fumer, bien qu’aucune loi n’interdise à une personne de fumer dans son logement, depuis quelques années les opinions ont beaucoup évolué concernant le tabagisme. La dépendance au tabac et les ravages de ce phénomène social qu’est le tabagisme sur la santé des fumeurs et sur la santé publique en générale ont amené les gouvernements à légiférer et à interdire de fumer dans les lieux publics, dans un but de protection de la population contre les effets néfastes de la fumée secondaire, tel un objectif d’intérêt public légitime[3]

[30]   S’il est vrai que le législateur donne l’opportunité de modifier les conditions stipulées au bail, cependant, le recours en modification d’une condition du bail n’a pas pour but de sanctionner le manquement par un locataire à une obligation stipulée au bail ou à sanctionner l’inexécution d’une obligation contractuelle par un locataire.

[31]   Dans ces cas, le Code civil du Québec[4] prévoit les recours appropriés à l’inexécution d’une obligation par l’une des parties :

« 1855. Le locataire est tenu, pendant la durée du bail, de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence.

1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir.

1912. Donnent lieu aux mêmes recours qu'un manquement à une obligation du bail:

1° Tout manquement du locateur ou du locataire à une obligation imposée par la loi relativement à la sécurité ou à la salubrité d'un logement;

2° Tout manquement du locateur aux exigences minimales fixées par la loi, relativement à l'entretien, à l'habitabilité, à la sécurité et à la salubrité d'un immeuble comportant un logement ».

[32]   Dans le présent dossier, les motifs et arguments des locateurs quant à interdire aux locataires de fumer dans le logement et les aires communes de l’immeuble sont plutôt le non-respect ou un manquement aux obligations contractuelles des locataires ou selon les prétentions des locateurs en une utilisation incorrecte ou impropre du logement loué de la part des locataires, plaidant comme inconvénient que les odeurs de fumée de cannabis et de tabac provenant du logement des locataires dégradent l’immeuble dont ils sont propriétaires, diminuent les perspectives d’augmentation de sa valeur et constituent une contravention et une entrave au droit de jouissance normale des lieux loués par les autres locataires.

[33]   À ce propos, dans une cause similaire, Stanco c. Leblanc[5], Me Francine Jodoin et Me Éric Luc Moffat, régisseurs, Bureau de révision du Tribunal de la Régie du logement, s’exprimaient comme suit :

« En l’instance, la bonne foi des locatrices n’est pas mise en cause et le droit au maintien dans les lieux n’est pas en péril.

S’agit-il, malgré tout, d’un cas qui permet d’autoriser la modification ?

En l’occurrence, la demande des locatrices n’est pas guidée par des considérations personnelles ou l’exercice abusif de leur droit de propriété mais vise simplement à résoudre le conflit qui anime leur relation avec le locataire eut égard à l’utilisation incorrecte du stationnement.

Il semble que cette question ne se soit pas posée devant le bureau de révision. Par contre, de façon presqu’unanime [8], la jurisprudence, de première instance, du tribunal de la Régie du logement, est défavorable à de tels motifs pour justifier la modification au bail lorsqu’il s’agit, essentiellement, de sanctionner l’inexécution à une obligation contractuelle.


Dans Fréchette c. Parent [9], Me Claude Couture, greffier spécial en donne la justification suivante :

« Le tribunal est d'avis que ce type de revendication du locateur, qui vise à sanctionner un non-respect d'une condition du bail, est davantage de la nature d'une demande d'ordonnance d'expulsion de l'animal que de nature à modifier les conditions du bail. Il n'est toutefois pas interdit de penser qu'on puisse procéder de cette manière lorsque la situation s'y prête, mais ce n'est pas le cas ici. Pour assurer le respect des règles de justice naturelle, il serait approprié que le locateur procède, s'il y a lieu, au moyen d'un recours distinct, afin d'engendrer un débat spécifique sur cette question, centré sur le non-respect des obligations découlant du bail. Cette partie de la demande est donc rejetée ».

Dans cette affaire, le locateur veut introduire une nouvelle clause au bail afin d’interdire les animaux car le locataire, qui garde un chat errant, ne ramasse pas les excréments de son chat.

En somme, l’objet de la demande n’est pas réellement une modification aux conditions du bail au sens des articles 1942 et 1952 du Code civil du Québec puisqu’elle n’est pas fondée sur des considérations objectives liées à une évolution, un changement ou une transformation des règles de gestion de la propriété mais une sanction des manquements du locataire.

Cela implique nécessairement que le greffier spécial tienne une enquête sur les reproches formulés et décide ensuite d’accorder la modification sur simple preuve du manquement et dans la mesure où les autres critères sont rencontrés.

Le Tribunal croit qu’une demande de modification aux conditions du bail n’est pas le recours approprié lorsqu’il s’agit exclusivement de punir un locataire de ses manquements.

Il faut, en effet, considérer qu’une modification aux conditions du bail qui a pour objet de supprimer un usage, un accessoire ou un service, par exemple, s’apparente à une demande de résiliation partielle du bail, ce qui ne serait pas possible en application de l’article 1863 du Code civil du Québec :

« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de deman­der, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agis­sant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résilia­tion du bail.

L'inexécution confère, en outre, au loca­taire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablis­sement du loyer pour l'avenir ».

[Le tribunal souligne]

Cette disposition donne ouverture à divers recours lors de l’inexécution d’une obligation prévue par la loi ou le bail. Elle confère le droit de demander, outre des dommages-intérêts, la diminution du loyer, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent ou la résiliation du bail.

Cet article encadre, cependant, les règles concernant la résiliation en exigeant, outre la preuve du manquement, la démonstration d’un préjudice sérieux pour faire droit à la demande.

D’autre part, par application des articles 1863 ou 1973 du Code civil du Québec, le tribunal de la Régie du logement, exerçant ses fonctions quasi judiciaires, peut tenir compte d’une réhabilitation possible du locataire afin de substituer à la résiliation immédiate, une ordonnance d’exécution en nature permettant ainsi au locataire d’amender son comportement déficient.

En raison des règles qui régissent la fixation du loyer et la modification aux conditions du bail, une telle discrétion ne peut être exercée par le greffier-spécial.

Le locateur n’aurait alors qu’à faire valoir le manquement pour retirer un usage au locataire dans le cadre d’une modification aux conditions du bail.

Si l’on devait permettre au locateur, de modifier une condition du bail uniquement parce qu’il est insatisfait de l’exécution par le locataire, cela aurait pour conséquence d’alléger le fardeau de preuve qui lui est normalement imposé. Il n’est, donc, pas approprié de procéder à une telle détermination dans le cadre d’une demande de fixation de loyer ou modification aux conditions du bail.

La preuve, dans son ensemble, tend à démontrer que les locatrices souhaitent, par la modification aux conditions du bail, faire sanctionner une obligation prévue par le bail. Il ne s’agit pas d’un cas où la modification peut être accordée car l’article 1863 du Code civil du Québec régit les conditions dans lesquelles la résiliation peut être accordée. 

[8]Laurent c. Langlois 2012 QCRDL 26606 ; Falardeau c. Roch 2012 QCRDL 3977 ; Luong c. Rquei 2012 QCRDL 1381 ; Archambault c. Plourde 2012 QCRDL 22653.

[9] R.L. Sherbrooke, 26-080401-066F (12 mai 2009). Cette décision a été suivie récemment dans Laurent c. Langlois[9] où, à nouveau, le locateur veut ajouter une cause d’interdiction d’animaux car le locataire abuse de la clause lui permettant d’en garder trois (3) ».


[34]   Puisque la demande des locateurs vise essentiellement à sanctionner l’inexécution d’une obligation contractuelle par les locataires - dans ces circonstances, les allégations de nuisances occasionnées par la fumée secondaire de cannabis, le Tribunal estime que la demande des locateurs n’est pas réellement une demande de modification du bail au sens des articles 1942 et 1952 du Code civil du Québec mais est plutôt fondée sur les manquements ou l’inexécution d’une obligation contractuelle et vise à sanctionner de tels manquements.

[35]   D’une part, pour ce seul motif, le Tribunal refuse la modification demandée puisqu’il ne s’agit pas du recours approprié.

[36]   D’autre part, en ce qui a trait à l’ajout au bail d’une clause modificatrice visant à interdire de fumer à l’intérieur d’un logement, Me Jean-Yves Landry, greffier spécial, nous rappelle que :

« La plupart des décisions rendues en matière de modification du bail visant à interdire de fumer à l'intérieur du logement (voir, entre autres, Vachon c. Gendron [2005] J.L. 283; Larivière c. Fortin, 22-000503-013 F, Régi du logement de Hull; Polacco c. Élément, 31-080311-010 F, Régie du logement de Montréal, indiquent que semblable modification constituerait une atteinte à la vie privée des locataires en contravention avec les articles 35 et 36 de la Charte des droits et libertés de la personne qui stipulent :

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou que la loi l'autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants :

1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;

2° Intercepter ou utiliser une communication privée;

3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;

4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;

6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.

De plus, la loi sur le Tabac [L.R.Q. chapitreT-0.01] prévoit à son article 2, par. 7°, qu'il est interdit de fumer dans « les aires communes des immeubles d'habitation comportant six logements ou plus, que ces immeubles soient détenus en copropriété ou non ». C'est dire que le législateur n'a jamais interdit aux locataires de fumer à l'intérieur d'un logement résidentiel, même dans les grands immeubles alors que seuls les espaces publics sont visés.

Conséquemment, même si la démarche des locateurs est compréhensible, le tribunal considère que la modification demandée constitue une atteinte sérieuse au droit au maintien dans les lieux des locataires qui ont droit au respect de leur vie privée à l'intérieur de leur logement »[6].

[37]Le soussigné fait sien l’opinion de Me Jean-Yves Landry et estime que la modification demandée par l’ajout au bail d’une clause d’interdiction de fumer dans le logement et les aires communes de l’immeuble porte atteinte sérieusement au droit au maintien dans les lieux des locataires qui ont droit au respect de leur vie privée.

[38]   Également, pour le motif susmentionné, la modification ne peut être accordée.

[39]   CONSIDÉRANT l'ensemble de la preuve faite à l'audience;

[40]   CONSIDÉRANT l’entente d’ajustement mensuel de 10,00 $ intervenue entre les parties;

[41]   CONSIDÉRANT que le Tribunal refuse la modification proposée au bail;

[42]   CONSIDÉRANT l’absence de preuve justifiant la condamnation des locataires au paiement des frais introductifs de la demande;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[43]   PREND ACTE de l’entente intervenue entre les parties, laquelle FIXE le loyer à 600,00 $ par mois, incluant le coût d’un espace de stationnement, à compter du 1er septembre 2017;


[44]   REJETTE la demande de modification au bail demandée;

[45]   Les autres conditions du bail demeurent inchangées;

[46]   Les locateurs assument les frais de la demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Grégor Des Rosiers, greffier spécial

 

Présence(s) :

les locateurs

les locataires

Date de l’audience :  

13 février 2019

 

 

 


 



[1] 131656 Canada Inc. c. Bédard 2018 QCRDL 37626.

[2] RLRQ, c. CCQ-1991.

[3] Canada (Procureur Général) c. JTI - MacDonalds (2007) C.S.

[4] Précitée, note 1.

[5] Stanco c. Leblanc 2012 QCRDL 33808.

[6] 31 090407 080, R.L., Fixation, 6 octobre 2009, Landry, g.s.

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