Décision

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Malolepszy c. Jeannot Gestion inc.

2022 QCTAL 14479

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Montréal

 

No dossier :

526645 31 20200625 G

No demande :

3010088

 

 

Date :

16 mai 2022

Devant la juge administrative :

Marie-Ève Marcil

 

Paula Malolepszy

 

Locataire - Partie demanderesse

c.

Jeannot Gestion Inc.

 

Stephane Jeannot

 

Locateur - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]         Par un recours introduit le 25 septembre 2020 et par amendements les 19 janvier 2021, 21 janvier 2021, 8 mars 2021 et 23 mars 2021, le Tribunal est saisi d'une demande de la locataire afin de faire exécuter des travaux, d’obtenir une diminution de loyer de 30 % à compter de décembre 2017, des dommages matériels de 10 290 $ ainsi que des dommages moraux et punitifs de 7 000 $, le tout, avec intérêts et indemnité additionnelle prévus par la loi, en plus de l'exécution provisoire de la décision malgré l'appel.

[2]         Malgré que le locateur a été dûment signifié et convoqué, ce dernier est absent à l’audience.

[3]         Les parties étaient liées par un bail de logement annuel ayant débuté le 1er juillet 2017 au loyer mensuel de 1 050 $. La locataire quitte le logement concerné en août 2021.

[4]         Le nom inscrit comme locateur au bail et à l’extrait du rôle foncier est Jeannot Gestion inc. Ainsi, le Tribunal détermine que le locateur à l’instance est Jeannot Gestion inc.  

[5]         Au jour de l’audience, la locataire n’entend pas procéder sur les travaux demandés, cette partie de la demande étant devenue sans objet suivant son départ du logement.

PRÉTENTIONS DE LA LOCATAIRE

[6]         La locataire prétend que le locateur a négligé d'effectuer plusieurs travaux et réparations requises, rendant le logement extrêmement froid. Elle soutient notamment que les portes n’étaient pas étanches; laissant ainsi entrer l'air froid et la glace. Elle ajoute que l’isolation de la cuisine, du salon et des chambres s’avérait tout à fait inadéquate.


[7]         Elle fait notamment valoir que malgré la température fixée à plus de 25 degrés Celsius sur les thermostats, la température ambiante ne dépassait souvent pas les 17 degrés en saison hivernale.  Elle affirme ainsi ne pas avoir eu la pleine jouissance des lieux, étant continuellement inconfortable et gelée pendant les mois d’hiver. Elle réclame ainsi une diminution de loyer de 30 % pour la perte de jouissance subie depuis décembre 2017, soit à compter des premiers textos transmis au locateur dénonçant la situation. Elle précise également avoir accouché de jumeaux en 2019, compliquant ainsi sa situation personnelle et augmentant les inconforts subis à elle et ses nouveau-nés.

[8]         La locataire réclame également le remboursement de ses coûts d’électricité supplémentaires et anormalement élevés causés par l’absence des travaux requis.

[9]         De même, elle affirme que le vide sanitaire de l’immeuble a été chauffé à ses frais; les radiateurs installés à cet endroit étant connectés directement à son panneau électrique. Elle demande ainsi le remboursement de cette consommation électrique qui n’était pas liée à son logement.

[10]     Elle présente au Tribunal des estimations pour ses coûts supplémentaires de chauffage liés aux défauts des réparations requises et au chauffage du vide sanitaire. Elle réclame 10 290 $ de frais de chauffage payés en trop.  

[11]     Plusieurs messages et lettres ont été transmis au locateur afin de l’informer notamment des problèmes de chauffage et ce dès décembre 2017.  

[12]     De plus, la locataire prétend avoir été harcelée par le locateur. Elle produit au Tribunal divers messages reçus par le locateur l’incitant à quitter son logement.

[13]     Elle rapporte également divers évènements problématiques survenus au cours des années dont des changements de mots de passe retardant les transferts bancaires de ses paiements de loyers, des avis de travaux anticipés jamais réalisés, des inspections pour vente retardées et annulées sans avis, l’obstruction de son stationnement, un avis de reprise de logement reçu sans autre suivi et ses pneus crevés suivant une audience au présent Tribunal.

[14]     La locataire rapporte aussi la réception de plusieurs appels téléphoniques avec numéros bloqués lors de l’hiver 2020-2021, et ce, à toute heure du jour et de la nuit. Son père recevait également ce type d’appels. Suivant les nombreux appels dérangeants reçus, la locataire et son père portent plainte au SPVM. Une enquête pour harcèlement et intimidation a lieu et l’enquête du SPVM conclut aux agissements fautifs du locateur.  

[15]     La locataire fait valoir les agissements et propos inappropriés du locateur à son endroit, dont les appels bloqués destinés à elle et son père, de jour comme de nuit lui ont causé stress, angoisses et craintes.  Elle souligne avoir été particulièrement affectée et craintive, étant une jeune maman et inquiétée par les représailles envers son père. 

[16]     Au soutien de ses propos, la locataire fait témoigner le sergent détective Desmarais. Il rapporte au Tribunal certains éléments de l’enquête policière relative aux appels bloqués reçus à la locataire et son père. L’enquêteur confirme que suivant les plaintes reçues et le dossier d’enquête ouvert, la locataire a reçu plus de cinq appels entrants bloqués reliés au téléphone de Stéphane Jeannot. Ces appels de janvier et février 2021 étaient envoyés de jour comme de nuit.

[17]     L’enquêteur rapporte également que plus de six appels entrants avec numéros bloqués logés à Monsieur Malolepszy en janvier 2021 et février 2021 provenaient du numéro de téléphone relié à Stéphane Jeannot. Ces appels entrants ont été principalement logés durant la nuit.

[18]     Monsieur Joliffe témoigne. Ce dernier est entrepreneur et mentionne avoir travaillé pour le locateur plusieurs années, entre autres dans le logement concerné par la demande. Il confirme s’y être présenté à quelques reprises dès 2017. Il y a constaté une isolation déficiente ainsi que le vent et la glace pénétrant à l’intérieur dans le logement. Un estimé des travaux à effectuer dans le logement en janvier 2021 est produit.

[19]     Une ancienne locataire, Mme Lafleur témoigne. Elle rapporte ses difficultés vécues avec le locateur dont des non-paiements de loyers sans objet, des travaux requis non exécutés ainsi qu’un avis de reprise du logement reçu en 2018.


[20]     Le père de la locataire témoigne. Il rapporte avoir été régulièrement au logement concerné à compter de 2017. Il confirme que le logement était extrêmement froid pendant les mois d’hiver malgré le chauffage. Il rapporte la présence de glace dans le logement et les problèmes de l’étanchéité des portes. Il mentionne au Tribunal les nombreux tracas et inquiétudes de sa fille suivant les agissements de son locateur à son endroit.

[21]     Par ailleurs, il confirme avoir porté plainte au SPVM suivant des appels nocturnes reçus en décembre 2020, janvier 2021 et février 2021.

[22]     La locataire produit notamment le bail, diverses photographies, plusieurs échanges, lettres et autres correspondances avec le locateur de 2017 à 2021, divers estimés, comparatifs et factures d’Hydro-Québec, des permis de la Ville pour travaux, des relevés de transfert interac et le rapport d’incident du SPVM.   

[23]     La locataire requiert ainsi du Tribunal qu’une diminution de loyer de 30 % lui soit accordée à compter du mois de décembre 2017 et réclame le remboursement des frais d’électricité payés en trop pour la somme de 10 290 $. Elle demande également de condamner le locateur à lui verser des dommages moraux de 2 000 $ pour les troubles et inconvénients subis, ainsi que des dommages punitifs de 5 000 $ suivant le harcèlement à son endroit.

[24]     Tel est l’essentiel de la preuve retenue par le Tribunal.

QUESTIONS EN LITIGE

[25]     Une diminution de loyer est-elle justifiée ?

[26]     La locataire a-t-elle droit au remboursement de frais d’électricité ?

[27]     Des dommages moraux et punitifs sont-ils justifiés ?

ANALYSE ET DÉCISION

Fardeau de la preuve

[28]     Le Tribunal tient à souligner qu'il appartient à celui qui veut faire valoir un droit de prouver les faits qui soutiennent sa prétention, et ce, de façon prépondérante. Ainsi, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante, la preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du Tribunal. [1]

Les obligations du locateur découlant d'un bail de logement

[29]     Plusieurs obligations découlent d'un contrat de bail de logement, notamment pour le locateur, l'obligation de procurer au locataire la jouissance paisible du bien loué pendant toute la durée du bail, de délivrer le logement en bon état de réparation de toute espèce, en bon état d'habitabilité et de propreté, de garantir que le logement est apte à servir à l'usage pour lequel il est loué [2].

[30]     Si un locateur ne respecte pas ses obligations, un locataire peut demander une diminution de loyer, des dommages-intérêts ou encore de dommages punitifs si la loi le prévoit [3].

La diminution du loyer

[31]     La diminution de loyer vise à rétablir l'équilibre des prestations en évaluant la valeur objective de la perte locative subie.

[32]     Pour avoir droit à une diminution de loyer, la locataire doit démontrer, par prépondérance de preuve, que le locateur a failli à son obligation de lui procurer la pleine jouissance paisible du logement et qu'elle en a subi une perte de valeur locative qui est réelle, sérieuse, significative ou substantielle [4].

[33]     En l'espèce, la preuve non contestée révèle que la température ambiante dans le logement pendant les saisons hivernales s’avérait déraisonnablement froide et inconfortable, et ce, malgré l’augmentation du chauffage par la locataire, à ses frais.  La preuve démontre qu’il lui était raisonnablement impossible d’obtenir une température adéquate malgré des coûts de chauffage très élevés. Les relevés de températures, les factures d’électricité et le témoignage de Monsieur Joliffe corroborent les prétentions de la locataire à cet effet.  Elle a d'ailleurs dénoncé la situation régulièrement au locateur et ce, dès décembre 2017. 


[34]     Ainsi, suivant la preuve probante et non contestée soumise, la locataire a subi des inconforts tangibles et une réelle perte de jouissance de son logement vu la température inadéquate dans son logement pendant les mois d’hiver. Or, ce manque constitue, selon la soussignée, une perte locative réelle et significative. La locataire a ainsi droit à une diminution de loyer.

[35]     En l'espèce, considérant le coût du loyer, la valeur de la perte locative estimée par le Tribunal et les mois d’hiver desquels la locataire a souffert de la température inadéquate dans son logement suivant dénonciation, le Tribunal accorde donc à la locataire la somme globale de 1 900 $ en perte locative.

[36]     Le Tribunal attribue ainsi une diminution de loyer de 100 $ par mois pour les 19 mois d’hiver, soit du mois de décembre 2017, mois pour lequel il y a eu la première dénonciation au locateur, au mois de mars 2021; le Tribunal établissant à cinq mois par année les mois d’hiver de novembre 2018 à mars 2021 inclusivement.

Les dommages matériels

[37]     Quant au remboursement de frais d'électricité payés en trop, le Tribunal retient que les importants problèmes d’étanchéité des portes et les calorifères du vide sanitaire branchés au panneau électrique de la locataire ont occasionné des coûts d’électricité supplémentaires pour celle-ci.

[38]     Par ailleurs, il n’est pas possible pour le Tribunal d’établir précisément la différence des coûts supplémentaires en électricité suivant la preuve soumise. En effet, plusieurs autres facteurs peuvent influer ces frais, et ce, d'une année à l'autre.

[39]     Conséquemment, et suivant l’appréciation des diverses estimations, calculs et factures mis en preuve par la locataire, le Tribunal attribue un montant forfaitaire de 2 000 $ en frais excédentaires d'électricité.

Les dommages moraux et punitifs

[40]     Les dommages moraux ne peuvent se présumer et doivent être prouvés selon les règles de prépondérance. Les dommages moraux visent à compenser le stress, les inquiétudes, la fatigue ainsi que les troubles et inconvénients de toutes sortes qu'a pu éprouver la partie lésée. Ces dommages doivent être équitables et raisonnables[5].

[41]     En l’espèce, la preuve prépondérante et non contestée a démontré divers comportements, messages et évènements répréhensibles du locateur à l’endroit de la locataire, et ce, pendant plusieurs années. La locataire, dans un témoignage sincère et crédible, a rapporté au Tribunal son stress, ses inquiétudes et ses angoisses, particulièrement au cours de la dernière année occupant le logement concerné. Le Tribunal accorde ainsi les 2 000 $ réclamés en dommages moraux, les jugeant raisonnables et équitables dans les circonstances.

[42]     Quant aux dommages punitifs, l'article 1902 C.c.Q. édicte ce qui suit :

« 1902. Le locateur ou toute autre personne ne peut user de harcèlement envers un locataire de manière à restreindre son droit à la jouissance paisible des lieux ou à obtenir qu'il quitte le logement.

Le locataire, s'il est harcelé, peut demander que le locateur ou toute autre personne qui a usé de harcèlement soit condamné à des dommages-intérêts punitifs. »

[43]     Dans son article intitulé, « Le harcèlement envers les locataires et l'article 1902 du Code civil du Québec », l'auteur Pierre Pratte définit le harcèlement comme suit :

« De façon générale, le harcèlement suppose une conduite qui, en raison de l'effet dérangeant qu'elle produit avec une certaine continuité dans le temps, est susceptible de créer éventuellement, chez la victime, une pression psychologique suffisante de manière à obtenir le résultat ultimement recherché par l'auteur de cette conduite. Plus spécifiquement, le harcèlement interdit aux termes de l'article 1902 pourrait, à notre avis, être décrit comme suit :

« Une conduite se manifestant par des paroles ou des actes et ayant comme conséquence de restreindre, de façon continue, le droit d'un locataire à la jouissance paisible des lieux ou d'obtenir qu'il quitte le logement. »[6]

[44]     Ainsi, suivant l’appréciation de la preuve produite à l’audience, particulièrement suivant le témoignage du sergent détective du SPVM confirmant dans l’enquête les nombreux appels logés à la locataire et à son père, de jour comme de nuit, le Tribunal n’a pas de doute à conclure que le locateur a usé de harcèlement à l’endroit de la locataire.

[45]     Or, ce genre de conduites répréhensibles et intimidateurs du locateur à l’endroit de la locataire et des membres de sa famille ne saurait être toléré et se doit d’être dénoncé par le Tribunal; n’ayant aucunement sa place dans une relation locateur-locataire.

[46]     Quant à la détermination des dommages punitifs, l’article 1621 C.c.Q. prévoit :

« 1621. Lorsque la loi prévoit l'attribution de dommages-intérêts punitifs, ceux-ci ne peuvent excéder, en valeur, ce qui est suffisant pour assurer leur fonction préventive.

Ils s'apprécient en tenant compte de toutes les circonstances appropriées, notamment de la gravité de la faute du débiteur, de sa situation patrimoniale ou de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenue envers le créancier, ainsi que, le cas échéant, du fait que la prise en charge du paiement réparateur est, en tout ou en partie, assumée par un tiers. »

[47]     Ainsi, l'objectif du Tribunal dans l’attribution de dommages punitifs est d'assurer une fonction préventive, dissuasive, et de dénonciation afin d'éviter des récidives et punitive pour sanctionner un comportement répréhensible.

[48]     En l’espèce, le Tribunal accorde la somme de 5 000 $ réclamée par la locataire. En effet, le Tribunal considère notamment que l’ampleur des évènements reprochés et l’escalade dans la gravité de ceux-ci, découlant notamment par une enquête criminelle concluante, justifient tout à fait la somme réclamée par la locataire, et ce, afin d’assurer la fonction dissuasive prévue par le législateur, tout en demeurant raisonnable. Par ailleurs, les intérêts et l'indemnité additionnelle sur les dommages punitifs ne peuvent être accordés qu'à compter du jugement [7].

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[49]     ACCUEILLE en partie la demande de la locataire;

[50]     CONDAMNE le locateur Jeannot Gestion Inc à payer à la locataire la somme de 4 000 $, à titre de dommages-intérêts moraux et matériels, le tout, avec les intérêts et indemnités additionnelles prévues à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 25 mai 2020;

[51]     DIMINUE le loyer de 1 900 $, et CONDAMNE le locateur Jeannot Gestion Inc à payer ce montant à la locataire;

[52]     CONDAMNE le locateur Jeannot Gestion Inc à payer à la locataire la somme de 5 000 $ à titre de dommages punitifs, plus les frais de justice de 101 $;

[53]     REJETTE quant au surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Marie-Ève Marcil

 

Présence(s) :

la locataire

Me Dang Dieu Thuc Duong, avocat de la locataire

Date de l’audience : 

15 février 2022

 

 

 


 


[1] Articles 2803, 2804, 2843, et 2845 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[3] Article 1863 du Code civil du Québec, CCQ-1991.

[4] Denis Lamy, La diminution de loyer, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 29-30.

[5] Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., C.S. Can., 1978-01-19, SOQUIJ AZ-78111098, [1978] 2 R.C.S. 229.

[6] PRATTE Pierre, Le harcèlement envers les locataires et l'article 1902 du Code civil du Québec, (1996) 56 R. du B. 3, page 6.

[7] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, C.S. Can., 1996-10-03, SOQUIJ AZ-96111110, J.E. 96-2256, [1996] 3 R.C.S. 211.

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