Bigras et Paysagiste Saro inc. |
2015 QCCLP 62 |
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[1] Le 16 août 2014, monsieur Marc Bigras (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 27 juin 2014 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 31 octobre 2013 donnant suite à l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale. Elle déclare que la lésion professionnelle est consolidée le 13 décembre 2013, sans nécessité de soins après cette date et sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Elle déclare de plus que le travailleur est capable d’exercer son emploi à compter du 13 décembre 2013, que les indemnités de remplacement du revenu qui lui ont été versées le 16 avril 2014 et le 17 avril 2014 lui seront réclamées à la fin des délais de contestation.
PREMIÈRE QUESTION PRÉLIMINAIRE
[3] En début d’audience, la Commission des lésions professionnelles a soulevé d’office le fait qu’à sa face même la requête du travailleur a été déposée en dehors du délai prévu par l'article 359 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[4] En effet, la décision de la CSST est datée du 27 juin 2014 alors que la contestation du travailleur est datée du 16 août 2014, ce qui excède par cinq jours le délai de 45 jours stipulé à l’article 359 de la loi.
[5] Le travailleur explique qu’il a reçu la décision du 27 juin 2014 le 3 juillet 2014.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Tant le membre issu des associations d’employeurs que celle issue des associations syndicales sont d’avis que le travailleur a produit sa réclamation à l’intérieur du délai imparti.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LA PREMIÈRE QUESTION PRÉLIMINAIRE
[7] Le délai de contestation se compte à partir de la date de notification de la décision de la CSST comme l’indique l’article 359 de la loi :
359. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.
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1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.
[8] En l’espèce, le délai de 45 jours s’enclenche le 3 juillet 2014. La contestation du travailleur n’est donc pas hors délai.
DEUXIÈME QUESTION PRÉLIMINAIRE
[9] Le travailleur, par ses prétentions, soulève implicitement l’irrégularité de l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale. En effet, le travailleur demande au tribunal de prendre en considération le diagnostic posé par le médecin traitant, le docteur Masucci, dans son rapport du 6 novembre 2013 où il parle d’une contusion au thorax et dorsale, sténose foraminale C7 gauche et hernie discale D6-D7.
L’AVIS DES MEMBRES
[10] Les membres sont tous deux d’avis d’accueillir la requête du travailleur. Ils sont d’avis que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulier et que la décision qui y donne suite doit être annulée en conséquence. Selon les membres, la CSST devait soumettre au Bureau d’évaluation médicale la question du diagnostic.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LA DEUXIÈME QUESTION PRÉLIMINAIRE
[11] L’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale a été demandé seulement sur les questions 2 à 5 de l’article 212 de la loi et non sur la question du diagnostic. Le travailleur prétend donc que l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale est irrégulier parce que le Bureau d'évaluation médicale n’a pas été saisi de la question du diagnostic alors qu’il était évident qu’il y avait une contradiction entre l’avis de son médecin traitant et celui du médecin désigné de la CSST sur cette question.
[12] Qu’en est-il?
[13] Les dispositions de la loi pertinentes sont les suivantes :
199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et :
1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou
2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.
Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.
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1985, c. 6, a. 199.
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[14] Le travailleur subit une lésion professionnelle le 10 octobre 2012. Il est traité initialement pour une contusion à la cage thoracique telle qu’en foi le rapport médical daté du même jour. Le diagnostic de contusion dorsale s’ajoute par la suite, lequel est également accepté par la CSST.
[15] Le 6 mars 2013, le docteur Masucci pose le diagnostic de hernie discale D11 - D12 en s’appuyant sur la résonance magnétique qui a été effectuée le 11 février 2013.
[16] Ce diagnostic de hernie discale a été refusé par la CSST. Le travailleur a contesté cette décision devant la Commission des lésions professionnelles. Sa requête a été rejetée parce que produite hors délai[2].
[17] Par la suite, on retrouve une nouvelle investigation par résonance magnétique concernant le rachis cervical daté du 10 septembre 2013, interprétée par le docteur Guy Brassard comme démontrant une spondylarthrose en C5-C6.
[18] Le 25 septembre 2013, le docteur Mascucci parle d’une sténose foraminale au niveau C-7 qui pourrait expliquer les symptômes neurologiques que présente le travailleur.
[19] Le docteur Masucci, le 6 novembre 2013, pose le diagnostic de contusion au thorax et au niveau dorsal avec sténos foraminale C-7 gauche et hernie discale D6-D7.
[20] Le 13 décembre 2013, la CSST mandate le docteur Chaikou Bah en vertu de l’article 204 de la loi à titre de médecin désigné. La CSST demande au docteur Bah de se prononcer sur la question de la date de consolidation, de l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, du pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique selon le barème des dommages corporels, sur la nature, nécessité, suffisance, durée des soins ou traitements administrés ou prescrits, sur l’existence de limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle et sur l’évaluation des limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle.
[21] Le docteur Bah émet son opinion dans un rapport daté du 16 décembre 2013 où il se positionne sur les questions susmentionnées en rapport avec le diagnostic de contusion de la cage thoracique et contusion dorsale.
[22] Il conclut que la contusion de la cage thoracique est consolidée en date de son examen, soit le 13 décembre 2013, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles.
[23] Il y a lieu de reprendre la discussion du docteur Bah concernant la date de consolidation qui est particulièrement intéressante :
Contusion de la cage thoracique et contusion dorsale
· Considérant le diagnostic retenu ci-haut;
· Considérant que la période habituelle de consolidation d’une contusion même sévère est une période de trois à quatre mois;
· Considérant que même si le patient a présenté une contusion sévère, être écrasé par un tracteur, la période habituelle de consolidation d’une telle lésion est de neuf voire rarement douze mois;
· Considérant que l’examen objectif effectué ce jour ne démontre pas de contusion ou de séquelle de contusion au niveau de la cage théoracique;
· Considérant que l’examen ne démontre pas de syndrome facettaire qui nécessite une infiltration;
· Considérant que l’examen ne démontre pas que la contusion a occasionné une dorsalgie mécanique en relation avec la discopathie retrouvée au niveau de la résonance magnétique;
· Considérant la résonance magnétique ne démontre pas une hernie discale;
· Considérant la stabilisation de la lésion;
· Considérant que nous sommes plus qu’un an post-trauma;
Il est indiqué de consolider la lésion en date de notre examen.
[notre soulignement]
[24] Le 20 janvier 2014, la CSST transmet le dossier au Bureau d’évaluation médicale lui demandant de se prononcer sur les questions 2 à 5 de l’article 212 de la loi.
[25] Le docteur Mascucci produit un rapport complémentaire en date du 5 février 2014 où il déclare que le travailleur a toujours besoin de traitement et qu’il prévoit une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[26] Le 4 avril 2014, la docteure Brigitte Bazinet, membre du Bureau d’évaluation médicale, émet son avis sur les questions soumises.
[27] La docteure Bazinet campe le litige en regard des rapports contestés comme suit :
Le 6 novembre 2013, le travailleur revoit le docteur Masucci qui retient toujours le diagnostic de contusion du thorax et dorsale avec sténose foraminale C7 gauche et hernie D6-D7. Le médecin poursuit la physiothérapie, l’acupuncture, la thérapie en piscine, ainsi que les narcotiques. Il poursuit l’arrêt de travail. Il s’agit du rapport contesté.
Le 13 décembre 2013, le travailleur rencontre le docteur Chaikou Bah, médecin désigné par la CSST, qui suite au questionnaire et à l’examen physique, consolide la lésion professionnelle en date du [sic] l’évaluation du 13 décembre 2013. Le docteur Bah est d’avis qu’il n’y a pas de traitement. Il est d’avis qu’il n’y a pas d’atteinte permanente à l’intégrité physique, ni limitation fonctionnelle. Il retient le code 203997 pour contusion dorsale, sans séquelle fonctionnelle (DAP 0 %). Il s’agit du rapport infirmant.
[28] Il est évident que le rapport visé par la contestation de la CSST, soit celui du 6 novembre 2013, faisait état d’un nouveau diagnostic. En principe, selon la jurisprudence, la CSST, si elle décide d’avoir recours à la procédure d’évaluation médicale, ne peut limiter sa contestation d’un rapport médical à une partie de celui-ci. Elle doit soumettre au Bureau d’évaluation médicale toutes les questions qui sont contredites par le rapport du médecin désigné[3].
[29] Une nuance est apportée par la jurisprudence lorsqu’on est en présence d’un nouveau diagnostic comme c’est le cas en l’espèce. La CSST peut alors choisir de se sentir liée par ce diagnostic en vertu de l’article 224 de la loi et de rendre une décision sur l’admissibilité de ce nouveau diagnostic en vertu de l’article 354 de la loi. Si elle ne veut pas être liée par le nouveau diagnostic, elle doit alors le soumettre au Bureau d’évaluation médicale si elle est en possession ou si elle obtient un avis contraire de son médecin désigné[4].
[30] Le tribunal fait sien les propos tenus par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Sanchez et Service de main-d’œuvre président[5] portant sur cette même question :
[57] La Commission des lésions professionnelles ne peut s’expliquer que la CSST ait requis l’opinion du docteur Décarie et celle du Bureau d'évaluation médicale sur le seul diagnostic de fracture de la cheville gauche alors que le rapport d’évaluation médicale du médecin traitant, rédigé conformément aux dispositions de l’article 203 de la loi, fait état de plusieurs autres diagnostics. La CSST ne pouvait ignorer ces diagnostics.
[58] Pourtant, il n’y a aucune décision écrite au dossier rendue conformément aux dispositions de l’article 354 de la loi ni même d’indication au dossier que la CSST aurait procédé à l’analyse de la relation causale entre ces diagnostics et la lésion professionnelle et aux conséquences de ceux-ci pour le travailleur.
[59] Des deux avenues qui s’offraient à elle, la CSST a renoncé à rendre une décision sur la relation causale concernant ces diagnostics et a plutôt choisi de se prévaloir de la procédure d'évaluation médicale.
[60] Toutefois, en décidant de requérir la procédure d'évaluation médicale, la CSST devait procéder conformément aux dispositions prévues à la loi.
[61] Le choix de la CSST de requérir l’avis du Bureau d'évaluation médicale plutôt que de rendre une décision sur la relation causale ne lui permet pas d’écarter des diagnostics et ainsi priver les parties de l’exercice de leur droit de contestation en cas d’élimination d’un diagnostic émis par le médecin qui a charge.
[note omise]
[31] Dans le présent cas, la preuve démontre que la CSST ne voulait pas se positionner sur le nouveau diagnostic. D’une part, parce qu’elle n’a jamais rendu de décision sur ce nouveau diagnostic conformément à l’article 354 de la loi. D’autre part, elle a ignoré deux demandes du travailleur faites dans ce sens[6].
[32] La CSST devait donc soumettre la question du diagnostic au Bureau d’évaluation médicale. Elle n’avait pas non plus à obtenir un nouvel avis du docteur Bah sur cette question. De l’avis du tribunal, le docteur Bah, dans la discussion rapportée plus haut portant sur la date de consolidation, parle aussi du diagnostic. En effet, le docteur Bah mentionne sans équivoque que la résonnance magnétique ne démontre pas de hernie discale. Pour le tribunal, cette affirmation du docteur Bah contredit, du moins en partie, le diagnostic du docteur Mascussi qui évoque une hernie discale D6-D7 dans son rapport du 6 novembre 2013.
[33] Le tribunal est donc d’avis que l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulier et doit donc être annulé.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du monsieur Marc Bigras, le travailleur;
DÉCLARE irrégulière la procédure d'évaluation médicale au dossier;
ANNULE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 27 juin 2014 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a droit prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
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Norman Tremblay |
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Me Kevin Horth |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] 2014 QCCLP 5038.
[3] Place Aylwin My ltée et Paquette, C.L.P. 227923-62-0402, 14 février 2005, R. L. Beaudoin.
[4] Jean et Serv. entretien distinction inc., C.L.P. 155009-71-0102, 26 avril 2004, T. Giroux, révision rejetée, 26 novembre 2004, B. Roy.
[5] C.L.P. 253136-71-0501, 16 juin 2006, F. Juteau.
[6] Voir la note évolutive du16 avril 2014 ainsi que la pièce T-1, qui est une demande écrit de la part du travailleur concernant la hernie discale D6-D7.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.