Lavoie c. Boulanger | 2022 QCCS 1128 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | RIMOUSKI | |||||
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N° : | 100-17-002096-198 | |||||
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DATE : | 4 avril 2022
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | GILLES BLANCHET, j.c.s. | ||||
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FERNANDE LAVOIE, domiciliée et résidant au [...], Val-Brillant (Québec) [...]
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Demanderesse | ||||||
c.
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MARIO BOULANGER, domicilié et résidant au [...], Rimouski (Québec) [...]
et
NANCY DESROSIERS, domiciliée et résidant au [...], Rimouski (Québec) [...]
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Défendeurs | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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[1] Quelques mois après le décès de son mari, en 2012, la demanderesse acquiert au prix de 155 000 $, comme cadeau pour ses trois enfants, un chalet situé au pied des pentes de la station de ski Val-d’Irène, près d’Amqui, en Gaspésie. Cinq ans plus tard, lorsqu’elle confie à un entrepreneur le remplacement d’une porte-patio défectueuse, on découvre que la structure du plancher du bâtiment présente un degré très avancé de pourriture, conséquence d’une accumulation excessive d’humidité dans le vide sanitaire tenant lieu de sous-sol.
[2] Après avoir obtenu un rapport d’expertise confirmant la gravité de la situation et l’impossibilité d’y remédier à un coût raisonnable, la demanderesse réclame l’annulation de la vente et le remboursement du prix payé, de même que divers montants à titre de dommages accessoires.
Contexte
[3] Le codéfendeur Mario Boulanger a gradué du Cégep de Rimouski en décembre 1995 comme technicien en mécanique du bâtiment. Il a toujours travaillé depuis dans des domaines reliés à cette formation, d’abord à la Baie-James, en 1985-1986, puis en Gaspésie. Il a occupé pendant trois ans un poste d’inspecteur en bâtiments, puis a agi pendant quinze ans comme analyste de risques en prévention incendie pour le compte de la Mutuelle Gaspésie-îles-de-la-Madeleine (Promutuel assurance).
[4] En 2005, M. Boulanger entreprend l’autoconstruction d’un chalet à la station de ski Val-d’Irène, et cela avec l’aide de ses trois fils. Outre sa formation académique, il possède une certaine expérience pratique, puisqu’il a déjà construit à Causapscal ce qui sera pendant un temps la résidence principale de sa famille. Il fait toutefois appel à des entrepreneurs pour l’excavation du site et l’aménagement des fondations, formées d’un mur de blocs de béton d’environ 40 pouces de hauteur, appuyé sur une semelle de béton coulé.
[5] En 2012, sept ans après la construction du chalet de Val d’Irène, M. Boulanger et son épouse, la défenderesse Nancy Desrosiers, décident de s’en départir, notamment parce que leurs enfants, amateurs de ski, ont maintenant quitté la région d’Amqui. On fait alors appel à Mme Naïda Beaujean, agente d’immeuble de Century 21, à Rimouski.
[6] La propriété, évaluée à 103 000 $ aux fins de la taxation municipale, est mise en vente au prix de 169 000 $. La fiche descriptive (P-6) indique que le chalet dispose de trois (3) chambres, plus salon et boudoir. La « Déclaration du vendeur » (P-7) précise qu’à la connaissance des défendeurs, jamais il n’y a eu « infiltration d’eau au sous-sol ou ailleurs ».[1] On indique toutefois que l’immeuble est équipé au sous-sol d’une pompe d’évacuation d’eau, mais que celle-ci, installée par « précaution seulement », n’a jamais fonctionné depuis deux ans.
[7] C’est le 12 novembre 2012, en fin d’après-midi, que la demanderesse effectue une première visite du chalet de Val-d’Irène. Elle est alors accompagnée de l’un de ses fils, Jean-Simon Fortier, de la conjointe de ce dernier et de leurs deux jeunes enfants. Les défendeurs, quant à eux, sont représentés pour l’occasion par leur agente Naïda Beaujean, de sorte qu’eux-mêmes ne sont pas sur place lors de la visite.
[8] La demanderesse et les membres présents de sa famille sont séduits d’emblée par la qualité apparente de la propriété, dans laquelle ils ne relèvent absolument aucun indice pouvant laisser croire à un vice de construction quelconque. Au contraire, les matériaux et l’aménagement général des lieux, à l’extérieur comme à l’intérieur de la bâtisse, respirent à leurs yeux le bon goût, la qualité et un entretien minutieux.
[9] Le jour même de cette visite, vers 18h, la demanderesse signe une promesse d’achat (P-8) par laquelle elle offre un prix de 150 000 $, dont 112 500 $ à financer par emprunt hypothécaire. La promesse est conditionnelle (par. 8.1) à ce que l’acheteur « puisse faire inspecter l’immeuble par un inspecteur en bâtiment ou un professionnel dans les 10 jours suivant l’acceptation ». Cette condition est réitérée à l’article 12, là où on stipule en outre que l’offre est « conditionnelle à une 2e visite à la pleine satisfaction de l’acheteur dans les 5 jours suivant l’acceptation ».
[10] Le lendemain 13 novembre, en début d’après-midi, les codéfendeurs signent une contre-proposition pour le prix de 155 000 $, qui sera acceptée par la demanderesse le lendemain 14 novembre 2012, en fin d’après-midi. On y précise à la section AV5 que la condition liée à une seconde visite par l’acheteur est « pleinement réalisée ». De fait, à un moment que la preuve ne précise pas exactement, la demanderesse a effectué une seconde visite des lieux, accompagnée cette fois de sa fille, Katy Fortier, du conjoint de celle-ci, Bruno Ayotte, de leurs enfants et de l’agente immobilière Beaujean, toujours en l’absence des vendeurs.
[11] Une fois de plus, on ne relève sur les lieux aucun indice pouvant laisser croire à l’existence d’un quelconque vice de conception ou de construction du bâtiment. Cela dit, deux éléments restaient à préciser avant qu’une entente finale et complète puisse intervenir. D’abord, certains travaux de finition n’étaient pas complétés au plafond de l’entrée et dans la chambre à coucher située à l’étage. On a donc stipulé que le vendeur, faute de temps, n’effectuera pas ce travail, mais fournira le bois nécessaire.
[12] Par ailleurs, contrairement à ce qu’indique la Déclaration du vendeur, l’immeuble comportait non pas trois (3) chambres à coucher, mais une seule. Et de fait, le champ d’épuration, à l’extérieur, était de dimensions insuffisantes pour un immeuble comptant plus d’une chambre. Or, comme on prévoyait aménager dans les lieux une seconde chambre, les codéfendeurs se sont engagés, par un formulaire de modification signé le 28 novembre 2012, à voir à l’agrandissement du champ d’épuration, à leurs frais, pour le rendre conforme en prévision de deux chambres, et cela « dès que les conditions climatiques seront propices à cet effet et au plus tard à l’été 2013 ».
[13] Notons que lors des deux visites préalables du chalet, en novembre 2012, jamais la demanderesse ni les membres de sa famille ne visiteront le vide sanitaire tenant lieu de sous-sol. Et jamais ils ne seront non plus invités par Mme Beaujean, l’agente des vendeurs, à pénétrer dans cet espace.
[14] La signature de l’acte de vente s’effectue devant notaire le 17 décembre 2012 et c’est alors que les vendeurs et la demanderesse se rencontreront en personne pour la première fois. C’est trois jours après la vente, soit le 20 décembre, que le défendeur Boulanger ira sur les lieux pour remettre les clés de la propriété aux membres de la famille Lavoie-Fortier et leur communiquer les informations et instructions d’usage.
[15] Par une trappe de plancher dissimulée derrière un fauteuil, Jean-Simon Fortier et M. Boulanger descendront dans le vide sanitaire pour y effectuer une brève visite. Le vendeur indiquera alors au fils de Madame les dispositifs installés dans cet espace, soit la pompe submersible mentionnée dans la « Déclaration du vendeur », de même qu’un réservoir à eau chaude, deux ampoules d’éclairage avec commutateurs et une plinthe électrique avec son thermostat, maintenu en permanence à une température de 20 °C.
[16] C’est aussi lors de cette courte visite au sous-sol que M. Boulanger indiquera au fils Fortier la présence d’une autre trappe d’accès au vide sanitaire, située celle-là sur le mur de fondation arrière du chalet et permettant de pénétrer dans le vide sanitaire à partir de l’extérieur. Cette trappe d’accès d’environ 22’ par 22’, encastrée à l’extérieur dans un caisson de bois recouvert d’un panneau étanche, se trouve au cœur même du litige opposant maintenant les parties.
[17] Le vendeur Boulanger, d’une part, affirme avoir expliqué à Fortier que pendant l’été, pour empêcher l’accumulation d’une humidité excessive dans le vide sanitaire, il était essentiel d’enlever la trappe scellée du mur de fondation et de la remplacer par un grillage artisanal qu’il avait lui-même fabriqué et qui se trouvait sur place.
[18] De leur côté, Jean-Simon Fortier et tous les membres de sa famille (mère, frère, sœur, et conjoints) affirment catégoriquement n’avoir jamais entendu parler d’une telle exigence, ni par les vendeurs eux-mêmes, ni par leur agente immobilière. Qui plus est, disent-ils, au cours des cinq années écoulées entre l’achat et la découverte du vice, jamais ils n’ont aperçu sur place le cadre grillagé évoqué par le défendeur.
[19] Nous serons bien sûr appelés à revenir plus loin sur cette contradiction majeure, vu son incidence plus que probable sur l’issue du litige.
Le droit applicable
[20] L’article 1726 du Code civil dispose que :
1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus.
[21] Le second alinéa balise comme suit l’obligation du vendeur :
Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.
[22] Enfin, l’article 1728 C.c.Q. précise que :
1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l’ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de réparer le préjudice subi par l’acheteur.
[23] Dès 1999, dans une décision qui fait toujours autorité en cette matière[2], le juge André Rochon, alors à la Cour supérieure, expliquait que l’article 1726 C.c.Q., adopté lors de la réforme du Code civil de 1994, avait pour effet d’écarter la controverse créée par une certaine jurisprudence antérieure en ce qui a trait à la nécessité d’avoir recours à un expert avant l’acquisition d’un immeuble. Voici comment il résumait la règle :
17.- L’acheteur prudent et diligent d’un immeuble procède à un examen visuel attentif et complet du bâtiment. Il est à l’affût d’indice pouvant laisser soupçonner un vice. Si un doute sérieux se forme dans son esprit, il doit pousser plus loin sa recherche.
[24] Et il ajoute :
D’une part, on ne peut exiger d’un acheteur prudent et diligent une connaissance particulière dans le domaine immobilier. D’autre part, on ne peut conclure au vice caché si le résultat d’un examen attentif aurait amené une personne prudente et diligente à s’interroger ou à soupçonner un problème.
[25] Ainsi, l’absence d’inspection préalable par un expert ne devrait pas faire obstacle à un recours fondé sur la découverte de vices cachés, à moins que l’état des lieux ne soit de nature à susciter l’inquiétude chez un acheteur sérieux, mais profane, qui aurait fait montre d’une diligence raisonnable.[3] D’ailleurs, l’examen préachat ne constitue pas une expertise, mais plutôt une inspection générale, limitée aux vices apparents pour un acheteur diligent, mais non spécialisé.[4]
[26] Par ailleurs, dans le cas d’un bâtiment non doté de fondations complètes, mais plutôt d’un vide sanitaire, on ne saurait reprocher à l’acheteur de n’avoir pas inspecté à fond cet espace, souvent difficile d’accès et peu révélateur, à moins que l’état général des lieux ne soit de nature à soulever des inquiétudes aux yeux d’un acheteur diligent, mais profane.[5]
[27] Enfin, il est maintenant de jurisprudence constante que l’autoconstructeur, qui se lance dans un projet et qui revend son ouvrage, et présumé connaître les normes et règles de l’art. À défaut par lui de les respecter, il est présumé connaître l’existence même des vices de construction qui en résultent.[6] Cette présomption est irréfragable, et donc difficilement contournable, puisque l’ignorance de la norme constitue une faute en soi.[7] L’autoconstructeur, en fait, est considéré à toutes fins utiles comme un fabricant au sens de l’article 1730 C.c.Q., de sorte qu’il ne peut invoquer son ignorance du vice.[8]
Prétentions des parties
[28] Pour le compte de la demanderesse, M. Martin Fournier, engagé comme expert, a inspecté les lieux le 8 décembre 2017, soit quelques jours après la découverte d’un vice majeur affectant la structure même du plancher du bâtiment. C’est en effet à la fin de novembre, ou au tout début de décembre 2017, que l’entrepreneur Dany Lévesque, chargé de procéder à l’installation d’une porte-patio neuve, sera confronté au problème.
[29] En enlevant la porte-patio existante, qui n’ouvre plus, M. Lévesque découvre que sous le seuil de celle-ci, les solives de plancher sont littéralement pourries, au point qu’il dit n’avoir jamais constaté en carrière un tel degré de détérioration. Il contacte alors son mandant, Jean-Simon Fortier, et lui recommande de faire immédiatement appel à un expert. De là, à défaut de pouvoir installer la nouvelle porte, il effectue sur place divers travaux d’urgence, le 4 décembre, d’abord, puis le 12 décembre, après l’inspection de l’expert Fournier.
[30] Conformément aux instructions de ce dernier, M. Lévesque enlève les panneaux d’isolant rigide appliqués sur le pourtour intérieur du vide de sanitaire, entre les solives du plancher. Il installe à certains endroits des supports temporaires sous les solives, puis recouvre le sol d’un polythène scellé et fait installer dans cet espace un système de chauffage à air forcé, le tout de façon à réduire au maximum l’humidité ambiante.
[31] L’entrepreneur Lévesque procède ensuite à excaver l’extérieur de la fondation de blocs de béton, sur une longueur d’environ 16 pieds, pour dégager et examiner le drain périphérique. Il constate alors que ce drain, déposé sur un sol argileux, n’avait pas été recouvert, comme il le devrait, d’une couche de pierre nette.
[32] Selon l’expert Fournier, la propriété en cause présente une détérioration majeure de sa charpente, causée par plusieurs vices de construction. L’installation inadéquate du drain de fondation serait en fait la cause première du degré anormal d’humidité dans le vide sanitaire tenant lieu de sous-sol, d’où une détérioration marquée de la structure du plancher. La situation est telle que, par endroits, la solive de rive et les extrémités des solives transversales peuvent s’effriter à la main, sans effort, et que le tablier du plancher lui-même a commencé déjà à s’affaisser par rapport aux murs périphériques.
[33] L’expert Fournier se dit d’avis que la détérioration très marquée de la structure de l’immeuble, douze (12) ans seulement après sa construction, résulte non seulement de l’installation non conforme du drain de fondation, mais également de plusieurs autres facteurs qui ont aggravé et accéléré le processus de dégradation, soit (1) l’installation d’un isolant rigide à l’extérieur du mur de fondation, à une hauteur empêchant d’évacuer l’humidité à la base des murs, (2) la pose d’un isolant rigide non scellé sur la solive de rive, à l’intérieur du vide sanitaire, (3) la ventilation insuffisante et non conforme du vide sanitaire et, à un moindre degré, (4) l’absence d’un aérateur sur la toiture du bâtiment.
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[34] Les défendeurs vendeurs, pour leur part, retiennent en juin 2018 les services de M. Luc Babin, qui ne pourra visiter les lieux avant le 8 octobre 2018, soit près d’un an après le passage de l’expert Fournier. Dans un rapport d’expertise de 16 pages, étayé de près de 140 photographies, M. Babin constate lui aussi l’état de délabrement avancé du bâtiment. Dès le début de la Section 7 (« Analyse »), où il entreprend l’énoncé de ses observations sur le site, il écrit :
Nous sommes du même avis que l’inspecteur Fournier en ce qui concerne l’état du bâtiment; il est affecté de plusieurs désuétudes importantes, en majorité causées par l’absence de ventilation du vide sanitaire
[35] Et il ajoute aussitôt :
Les propriétaires actuels omettent de ventiler de façon continue le vide sanitaire, ce qui génère l’augmentation du taux d’humidité relative à l’intérieur du vide et dans les composantes des murs.[9]
[36] Plus loin, à la section 6.2, où il relate les constats effectués sur place lors de son inspection d’octobre 2018, il écrit :
À plusieurs endroits, la lisse au pourtour du bâtiment est pourrie et des champignons sont visibles sur plusieurs éléments de la charpente.
[37] Cela dit, pour l’expert des défendeurs, la réclamation de la demanderesse devrait être rejetée, et cela pour deux raisons.
[38] D’abord, écrit-il, les lacunes décrites au rapport Fournier étaient toutes « visibles et décelables par une inspection ordinaire préalablement à l’achat »[10]. Ce serait le cas, notamment, pour (1) le dégagement insuffisant entre le sol et le parement extérieur du bâtiment, (2) la faible pente du terrain autour des fondations (3) l’absence de membrane de polyéthylène sur le sol humide et argileux du vide sanitaire, (4) la présence sur place d’une pompe submersible, (5) l’absence d’un aérateur sur la toiture et (6) la présence d’une seule prise d’air permanente (registre) pour la ventilation du vide sanitaire.
[39] Toujours selon l’expert Babin, par ailleurs, la majorité de ces déficiences visibles n’auraient aucun rapport avec l’état dégradé actuel du bâtiment.
[40] Mais avant tout, selon M. Babin, l’importante dégradation structurelle affectant le chalet en cause tient au fait que la demanderesse et sa famille ont omis, contrairement aux instructions du vendeur, d’ouvrir la trappe extérieure et d’y installer le grillage fourni pour assurer une ventilation continue du vide sanitaire pendant l’été. N’eut été de cette « problématique liée à l’utilisation du bâtiment »[11], affirme-t-il, la structure de celui-ci ne serait affectée aujourd’hui d’aucun dommage quelconque.[12]
Questions en litige
[41] Eu égard au droit applicable et aux prétentions respectives des parties, le litige soulève essentiellement les questions suivantes :
Discussion
[42] À l’instar des deux experts entendus à l’audience, le Tribunal retient que la cause principale, sinon unique, de l’importante dégradation structurale affectant aujourd’hui le bâtiment en litige tient au fait que, pendant plusieurs années, le vide sanitaire tenant lieu de sous-sol a accumulé et maintenu un taux excessif d’humidité. Ce constat d’ordre général étant posé, voyons en quoi la preuve peut permettre de répondre aux questions identifiées plus haut.
Présence de vices « cachés »
[43] Parmi les vices de conception et de construction identifiés par l’expert Fournier, certains paraissent n’avoir que peu ou pas de lien avec la dégradation de la structure du bâtiment, tels que le dégagement insuffisant du parement extérieur par rapport au sol, le positionnement de l’isolant rigide à l’extérieur des fondations ou encore l’absence d’un aérateur sur la toiture du bâtiment.
[44] Notons toutefois que ces déficiences, si elles devaient être considérées comme causales, seraient aussi vues comme étant des vices « cachés », puisqu’il fallait un expert pour y voir une source sérieuse d’inquiétude à l’égard de l’immeuble. Rappelons en effet que selon l’article 1726 C.c.Q., on entend par vice caché celui « qui peut être constaté par un acheteur prudent et avisé sans avoir besoin de recourir à un expert ».
[45] Analysant la preuve selon la prépondérance des probabilités, sous l’éclairage de l’opinion des deux experts, le Tribunal conclut que l’humidité excessive de l’air dans le vide sanitaire résulte de la conjugaison de quatre (4) facteurs que nous discuterons plus amplement ci-après, soit (1) l’inefficacité du drain de fondation, installé d’un façon non conforme, (2) l’insuffisance de la ventilation dans le vide sanitaire, (3) l’absence d’une membrane pare-vapeur sur le sol argileux de cet espace et, enfin (4) l’application d’un isolant rigide non scellé sur la lisse de rive du plancher, entre les solives.
[46] De ces lacunes, la première constituait très certainement un vice caché, puisque même un expert n’aurait pu conclure à la non-conformité du drain périphérique sans excaver pour l’examiner ou, à la rigueur, vérifier la présence d’efflorescence à l’intérieur du solage. Quant aux autres facteurs (ventilation, membrane de polyéthylène et lisse de rive), l’examen préalable de l’immeuble aurait pu en permettre la découverte par un expert, sans doute, mais non par un acheteur profane, si prudent et diligent soit-il.
[47] On se trouve donc en présence de quatre vices de construction cachés au sens de l’article 1726 C.c.Q. Cela dit, sont-ils à l’origine de la dégradation prématurée de la structure du bâtiment?
[48] Le drain périphérique installé autour des fondations, dans un sol argileux, n’était pas recouvert d’une couche suffisante de pierre nette, laquelle devrait normalement être d’au moins 15 cm[13]. L’entrepreneur Dany Levesque, qui dit avoir a posé en carrière plus de 200 drains périphériques de fondation, affirme que le drain du chalet en litige n’était recouvert d’aucune couche de pierre, ce que confirment les photographies reproduites au rapport Fournier[14]. De fait, plusieurs indices dans la preuve tendent à démontrer que ce drain ne remplissait pas sa fonction correctement, et cela justement parce que non aménagé d’une façon conforme au Code national du bâtiment.
[49] D’une part, le propriétaire a installé dans le vide sanitaire une pompe destinée à évacuer les eaux de surface qui pourraient s’y accumuler. Dans sa « Déclaration du vendeur », il indiquait que cette pompe avait été installée à titre préventif seulement et que, de fait, elle n’avait pas fonctionné depuis deux ans. À l’audience, il reconnaît que parfois, lors de pluies, il lui arrivait d’entendre la pompe démarrer brièvement. De son côté, Jean-Simon Fortier, l’un des fils de la demanderesse, affirme que de l’eau s’est infiltrée en quantité importante dans le vide sanitaire dès le printemps suivant la vente, soit en 2013, et encore l’année suivante.
[50] Or, les eaux de pluie ou de surface autour du bâtiment ne pouvaient pénétrer à l’intérieur de cet espace qu’à travers la fondation de blocs de béton, et cela parce que le drain périphérique ne parvenait pas à bien les drainer. En effet, l’eau ne peut provenir du ciel directement, puisque le bâtiment recouvre le vide sanitaire. Elle ne peut provenir non plus de la trappe d’accès située à l’arrière, puisque celle-ci est protégée dans son caisson par un panneau étanche et que, de plus, le fond du caisson est situé sous le niveau de la semelle des fondations (footing).
[51] L’expert des défendeurs, M. Babin, soutient que si des infiltrations d’eau s’étaient produites à travers le mur de blocs de béton, elles auraient nécessairement laissé des traces d’efflorescence sur la paroi intérieure du mur de fondation et il affirme n’en avoir trouvé aucune. Or, parmi les nombreuses photographies accompagnant son rapport, on en trouve plusieurs sur lesquelles des traces d’efflorescence sont bien visibles, et cela à un niveau correspondant au sommet de la première rangée de blocs, donc à un niveau supérieur au sommet du drain et de la semelle de fondation.[15]
[52] En bref, il est clair que lors de la vente à la demanderesse, en décembre 2012, le vide sanitaire sous le bâtiment en litige avait déjà été l’objet d’infiltrations d’eau, et ce contrairement à ce qu’affirme en toutes lettres la « Déclaration du vendeur » signée par les défendeurs.
[53] Les experts des parties concluent tous deux que l’insuffisance de la ventilation dans le vide sanitaire, pendant l’été, a eu comme conséquence d’y emprisonner un air littéralement saturé d’humidité et que ce facteur a engendré à la longue la dégradation de la structure de bois du plancher, jusqu’à un niveau atteignant une pourriture franche par endroits. Ainsi, comme nous l’avons indiqué plus haut, la seule question qui reste à cet égard est celle de déterminer si la responsabilité du problème doit incomber à la demanderesse elle-même, ou plutôt aux défendeurs vendeurs. Le Tribunal se penchera plus loin sur cette question, qui constitue le cœur même du litige.
[54] À la Section 9.18.6.2 du Code national du bâtiment[16], intitulée « Revêtement de sol dans les vides sanitaires chauffés », on précise que dans un tel espace, le sol « doit être recouvert d’une feuille de polyéthylène dont moins 0,15 mm ». En outre, les joints entre ce revêtement de sol et la face intérieure des murs de fondation « doivent être étanchéisés ». On se trouve donc ici en présence d’un vice de construction clair et dont l’impact négatif sur l’intégrité de la structure ne saurait faire de doute.
[55] Sur ce point, d’ailleurs, les deux experts au dossier sont d’accord, à cette seule différence près que celui des défendeurs, M. Babin, y voit un vice visible et décelable par une inspection ordinaire ou, pour paraphraser le Code civil, un « vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir à recourir à un expert ».
[56] Or, le Tribunal estime plutôt qu’en l’absence de tout autre indice inquiétant lors de la visite avant achat d’un chalet, un acheteur prudent et diligent, mais profane, n’est pas présumé connaître les exigences techniques pointues d’un texte réglementaire tel que le Code national du bâtiment.
[57] Enfin, selon M. Fournier, expert en demande, l’apparition de champignons sur la structure de bois du plancher, dans un premier temps, et par la suite d’une pourriture au niveau des solives, résulte en bonne partie du fait que le constructeur a appliqué des panneaux d’isolant rigide tout au long de la lisse de rive, entre les solives du plancher, mais sans en sceller le pourtour. De ce fait, l’air saturé d’humidité dans le vide sanitaire a pu s’infiltrer derrière ces panneaux et y former des foyers permanents d’humidité.
[58] Au regard de la preuve dans son ensemble, le Tribunal estime que ces facteurs ont contribué à accélérer une dégradation, qui se serait néanmoins produite tôt ou tard, au niveau de la structure du plancher, cela en raison d’infiltrations d’eau attribuables à un drain périphérique inefficace et, surtout, à une ventilation clairement insuffisante du vide sanitaire. Cela dit, qui doit répondre de ce problème de ventilation, identifié comme cause première des dommages constatés en décembre 2017.
À qui incombe le défaut de ventilation?
[59] Avant la signature du contrat de vente chez le notaire, le 17 décembre 2012, le défendeur Boulanger n’a jamais rencontré la demanderesse, ni aucun des membres de sa famille. Sa « Déclaration du vendeur », par ailleurs, ne contient aucune mention en ce qui a trait à la nécessité de ventiler le vide sanitaire de façon continue, pendant l’été, pour éviter l’accumulation d’une humidité excessive. C’est le 20 décembre suivant, jour fixé pour la prise de possession, qu’il dit avoir fait visiter le vide sanitaire par l’un des fils de Mme Lavoie (Jean-Simon Fortier) et qu’il l’aurait alors informé de la chose.
[60] De leur côté, la demanderesse et les membres de sa famille affirment à l’unisson qu’il n’a jamais été question devant eux de cette précaution, ni par le défendeur, ni par la courtière Beaujean, avec laquelle ils ont transigé. Curieusement, cette dernière avait bel et bien été annoncée comme témoin pour les fins du procès, mais on a informé le Tribunal en cours d’audience qu’elle ne témoignerait pas, et cela pour des raisons qui n’ont pas été expliquées.
[61] Ainsi, lorsque le défendeur affirme avoir indiqué au fils de la demanderesse qu’il était nécessaire d’assurer une ventilation continue du vide de sanitaire pendant l’été, en remplaçant la trappe étanche située à l’arrière par un grillage artisanal fabriqué par lui, il n’est corroboré par personne de son entourage, ni même par aucune photographie qui aurait pu être prise, entre 2005 et 2012, et sur laquelle on constaterait que le panneau recouvrant le puits d’accès au sous-sol est ouvert pour permettre la circulation d’air.
[62] À ce stade de la discussion, deux constats s’imposent.
[63] D’abord, selon les rapports des deux experts au dossier, il est incontestable que lors de la vente à la demanderesse, tout comme au moment de la construction initiale, l’aménagement physique du vide sanitaire sous le chalet en cause n’était pas conforme aux règles de l’art, vu la présence d’un seul registre d’aération de 4 po. de diamètre et l’absence de membrane isolante sur le sol. De ce fait, il s’opérait sur cette question un renversement du fardeau de la preuve, et c’est dès lors aux défendeurs qu’il incombait d’établir que la non-conformité en question était couverte par des explications claires et précises, données avant la vente, quant à la façon d’assurer une ventilation adéquate.
[64] Par ailleurs, une fois versés au dossier les rapports des deux experts, il devenait évident que, de toutes les questions soulevées par le litige, celle de la ventilation du vide sanitaire constituait le cœur même du débat. Cette question, de fait, était cruciale au point que l’expert Babin y revient à plus de 13 reprises dans son rapport, affirmant chaque fois que le défendeur Boulanger a informé Jean-Simon Fortier, avant la vente, de la nécessité de ventiler en été et que « les propriétaires actuels » ont fait défaut de se conformer à ces instructions.
[65] Or, la preuve établit que jamais M. Boulanger n’a rencontré les acheteurs avant la signature de l’acte de vente, ce qu’il a plutôt fait trois jours plus tard, au moment de la prise de possession. Mais avant tout, cette conclusion de l’expert Babin n’a en l’espèce aucune valeur probante, puisqu’il affirme par-là l’existence d’un fait dont il n’a jamais eu une connaissance personnelle.
[66] Vu le renversement du fardeau de preuve qui s’est opéré sur cette question de la ventilation, c’est au défendeur Boulanger qu’il incombait de faire corroborer sa version des faits, soit par des personnes de son entourage (épouse, enfants, amis etc.), soit par son agente immobilière, Mme Beaujean, soit par tout autre moyen de preuve. Or, on ne trouve à cet égard dans la preuve rien d’autre que les témoignages unanimes entendus en défense, lesquels nient non seulement les instructions alléguées par M. Boulanger, mais aussi la présence même sur les lieux de ce cadrage grillagé qu’il aurait lui-même fabriqué pour aérer le vide sanitaire pendant l’été.
[67] Dans ce contexte, le Tribunal conclut que si la défenderesse et les membres de sa famille n’ont pas ventilé le vide sanitaire de leur chalet pendant l’été, c’est que jamais on ne leur avait fait part de la nécessité de le faire. Plus encore, sous l’éclairage de la preuve soumise par les experts des deux parties, il paraît peu probable que l’humidité accumulée dans le vide sanitaire du chalet ait pu engendrer une détérioration à ce point avancée au cours de la courte période de cinq ans écoulée entre l’achat, en décembre 2012, et la découverte du problème, en décembre 2017.
[68] En bref, vu l’absence de preuves tangibles et concluantes à l’effet contraire, le Tribunal est enclin à croire que le vide sanitaire du chalet en cause commençait déjà à souffrir d’un excès d’humidité à compter de la construction, en 2005. Il aura donc fallu non pas cinq (5) ans, mais bien une douzaine d’années, avant que le plancher principal du bâtiment commence à s’affaisser en raison de la pourriture avancée de sa structure.
Droit à l’annulation de la vente
[69] D’entrée de jeu, sur ce qui est du choix du recours, il importe de garder à l’esprit que la vente intervenue en l’instance a été consentie par les défendeurs « avec garantie légale ».[17] Or, en présence de vices cachés, l’article 1726 C.c.Q. permet implicitement à l’acheteur de réclamer soit la diminution du prix, soit l’annulation de la vente, selon que la situation, si elle avait été connue de lui, l’aurait amené à offrir un prix moindre ou à ne pas acheter.
[70] Le recours en annulation de vente pose souvent des difficultés d’ordre pratique, que ce soit en raison des délais inhérents à l’obtention d’un jugement, des modifications que l’acheteur aura parfois apporté à l’immeuble en cours de route ou de la nécessité de prendre en compte l’utilisation qu’il a pu en faire avant et pendant l’instance, parfois sur une période de plusieurs années, comme dans le présent cas.
[71] Cela dit, bien que l’on puisse constater en jurisprudence un recours plus fréquent à la demande en diminution de prix, parce que souvent plus pratique, il ne s’ensuit pas pour autant que la demande en annulation de vente doive être considérée comme un recours exceptionnel.[18] Le choix du recours, en effet, appartient à l’acheteur, et celui qui opte pour l’annulation de la vente n’a pas à démontrer pour autant que la réparation du vice impliquerait des coûts équivalents ou supérieurs à la valeur de l’immeuble. Il lui suffit en effet de convaincre que s’il avait connu avant l’achat le vice concerné, il n’aurait tout simplement pas acheté, vu l’importance des inconvénients inhérents.[19]
[72] Au moment de valider ou non cette option, le Tribunal peut être appelé à prendre en compte non seulement l’importance et le coût des travaux de réparation requis, mais aussi de nombreux facteurs, tels que les inconvénients liés à ces travaux, la crainte de voir surgir en cours de route des aléas imprévus et, de façon générale, la perte légitime de confiance de l’acheteur en ce qui concerne l’intégrité de l’immeuble.[20]
[73] Dans la présente affaire, si la demanderesse n’a pas pu établir, même de façon approximative, le coût prévisible des travaux correctifs nécessaires, c’est que les trois entrepreneurs consultés dans ce but ont refusé de s’engager de quelque façon que ce soit, et cela justement en raison des aléas inhérents à ce qu’ils considéraient comme une obligation de « reconstruire à l’envers ». De fait, et à titre d’exemple seulement, la découverte de l’absence d’un pare-vapeur dans un puits de lumière situé à l’étage avait certainement de quoi susciter des appréhensions légitimes, tant chez la demanderesse que chez tout entrepreneur chargé de soumettre un prix forfaitaire pour la réalisation de travaux correctifs.
[74] En outre, même après une réparation exhaustive, et très certainement coûteuse, la demanderesse et sa famille ne pourraient espérer pouvoir revendre un jour le chalet en cause sans avoir à dénoncer à tout acheteur éventuel les vices de construction très importants dont il était affecté à l’origine, d’où la perspective d’une perte inévitable et difficilement appréciable lors de la revente.
[75] Enfin, au moment de l’audience, plus de neuf (9) ans s’étaient écoulés depuis la vente sans que le défendeur Boulanger n’ait jamais donné suite à son engagement de compléter les travaux d’agrandissement nécessaires pour rendre le champ d’épuration du chalet conforme à la réglementation municipale applicable, travaux qu’il devait avoir terminés « au plus tard à l’été 2013 ». En guise de justification, il a prétexté au début le manque de temps, et plus tard une blessure au genou, survenue en 2015, ce qui ne l’a pas empêché toutefois de décrocher ensuite sa licence d’entrepreneur et de mettre sur pied une entreprise familiale de construction, en 2017.
[76] Dans un tel contexte, il appartiendra aux défendeurs d’honorer la garantie légale rattachée à la vente consentie le 17 décembre 2012, laquelle sera dès lors annulée aux conditions énoncées au dispositif de ce jugement. Incidemment, devenu entrepreneur en construction, le codéfendeur Boulanger pourra composer beaucoup plus facilement que la demanderesse et sa famille avec l’obligation de corriger les vices de construction affectant le chalet vendu en 2012. Il ne serait pas surprenant, d’ailleurs, qu’il puisse le revendre ensuite avec un profit appréciable, vu les conditions actuelles du marché.
Droit aux dommages-intérêts
[77] Outre le remboursement du prix de vente (155 000 $), plus intérêts et indemnité additionnelle à compter de la date de mise en demeure, la demanderesse réclame à titre de dommages-intérêts la somme de 26 739,88 $, soit 3 652,80 $ pour déboursés accessoires à la vente, 3 087,08 $ pour des impenses et améliorations à l’immeuble et 20 000,00 $ pour troubles ennuis et inconvénients.
[78] Les déboursés accessoires (P-3) représentent les frais de notaire et les droits de mutation, mais incluent aussi un déboursé de 977,29 $ en frais d’expertise. Comme ce montant sera pris en compte dans les frais de justice, il y a lieu de le retrancher ici et de n’octroyer en conséquence que 2 675,51 $ sous ce premier poste de réclamation.
[79] Pour ce qui est de la réclamation formulée pour améliorations et impenses (P-4), elle concerne plutôt des déboursés encourus sur des travaux urgents réalisés après la découverte du vice, en décembre 2017. Il est douteux que ces travaux aient pu apporter une plus-value quelconque à l’immeuble, mais ils n’en étaient pas moins nécessaires et utiles aux fins de limiter les dommages. La somme de 3 087,08 $ réclamée à ce poste sera donc accordée, pour un grand total de 5 762,59 $ au chapitre des déboursés.
[80] Reste maintenant la réclamation au montant de 20 000 $ pour troubles, ennuis et inconvénients.
[81] À la toute fin de son témoignage, la demanderesse a brièvement évoqué le fait que pour elle et sa famille, le rêve d’un chalet familial à la station de ski de Val‑d’Irène avait en quelque sorte tourné au cauchemar. Mais outre ce commentaire général, force est de constater que la preuve dans son ensemble demeure à peu près muette, ou du moins très superficielle, en ce qui a trait aux troubles, ennuis et inconvénients résultant de la découverte d’un vice majeur de construction, en décembre 2017.
[82] Certes, le Tribunal comprend que depuis l’achat, en 2012, la demanderesse a dû supporter, d’une part, les intérêts sur un emprunt hypothécaire de 120 000 $, de même que les taxes foncières, sommes dont la quotité n’a toutefois pas été établie dans le cadre de la preuve à l’audience. De même, on peut concevoir que la déception vécue au moment des événements, en décembre 2017, et l’obligation d’entreprendre ensuite des procédures judiciaires incertaines et coûteuses ont pu être des sources de stress et d’inquiétude, pour lesquelles une compensation serait justifiée.
[83] Cela dit, entre l’achat initial et le dépôt du présent jugement, plus de neuf années complètes se seront écoulées, pendant lesquelles la demanderesse, ses trois enfants, leurs conjoints et les enfants de ces derniers auront eu à leur disposition un chalet tout de même luxueux et confortable, situé de façon avantageuse au pied même des pentes de la seule station de ski en vue dans la région d’Amqui et Matapédia. Cela représente neuf (9) périodes estivales, mais surtout dix (10) saisons de ski.
[84] Certes, aucune preuve n’a été faite à l’audience de ce que pourrait représenter la valeur locative d’un chalet comme celui en cause dans le marché de Val-d’Irène et il ne s’agit pas là d’une donnée à laquelle le Tribunal pourrait référer comme faisant partie de la connaissance judiciaire. Toutefois, devant une preuve qui se révèle imprécise non seulement sur la valeur de cet avantage, mais tout autant sur l’importance relative des troubles, ennuis et inconvénients, le Tribunal estime exercer sa discrétion judiciaire de façon équitable pour tous en concluant que l’avantage, ici, compense très largement les inconvénients.
[85] La réclamation en dommages-intérêts de 20 000 $ sera en conséquence rejetée, non pas comme étant non fondée en elle-même, mais plutôt comme étant compensée par un avantage équivalent résultant du droit exclusif d’habitation et d’usage dont la demanderesse et sa famille ont bénéficié pendant plus de neuf (9) ans.
[86] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[87] ACCUEILLE en partie la demande ;
[88] CONDAMNE les codéfendeurs solidairement à payer à la demanderesse la somme de CENT CINQUANTE-CINQ MILLE DOLLARS (155 000 $) en remboursement du prix de la vente intervenue entre les parties le 17 décembre 2012, avec intérêts et indemnité additionnelle à compter du 9 février 2018, date de la mise en demeure;
[89] CONDAMNE les codéfendeurs solidairement à payer à la demanderesse la somme de 5 762,59 $ en compensation pour déboursés accessoires à la vente susdite, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue par la loi à compter de la mise en demeure ;
[90] REJETTE sans frais la réclamation de la demanderesse au montant de 20 000 $ pour troubles ennuis et inconvénients, cela au motif de compensation avec l’avantage découlant du droit exclusif d’habitation et d’usage dont la demanderesse et sa famille ont bénéficié depuis le 20 décembre 2012;
[91] ET CONDITIONNELLEMENT AU PAIEMENT DES SOMMES SUSDITES PAR LES DÉFENDEURS À LA DEMANDERESSE, LE TRIBUNAL :
[92] ANNULE la vente intervenue entre les parties le 17 décembre 2012 et publiée au registre de la circonscription foncière de Matapédia le 18 décembre 2012, sous le numéro 19 644 759, quant à l’immeuble suivant :
DESCRIPTION
« Un immeuble situé en la Municipalité de la paroisse de Sainte-Irène, connu et désigné comme étant le lot numéro [...] (lot [...]) du cadastre du Québec, dans la circonscription foncière de Matapédia.
Tel que le tout se trouve présentement, avec bâtisses y érigées et notamment avec le chalet sis au [...], à Sainte-Irène, province de Québec, [...], circonstances et dépendances.
Sont également inclus dans la présente vente, dans leur état actuel et sans aucune garantie, les effets mobiliers et accessoires énumérés à la promesse d’achat (PA 55506) signée par les parties les 12 et 13 novembre 2012 et la contre-proposition (CP 48865) signée par les parties le 13 et 14 novembre 2012. »
[93] ORDONNE à la demanderesse de restituer l’immeuble susdit aux défendeurs, de même que les biens mobiliers et accessoires énumérés dans les avant-contrats plus haut mentionnés, ainsi que toutes les améliorations effectuées, libres de toute charge ou hypothèque pouvant les affecter, cela dans les 45 jours du paiement des indemnités octroyées par le présent jugement ;
[94] ORDONNE à l’Officier de la publicité des droits d’inscrire le présent jugement sur présentation d’une réquisition d’inscription conforme aux prescriptions de la loi et contre paiement des droits prescrits;
[95] FRAIS DE JUSTICE contre les défendeurs.
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| ________________________ GILLES BLANCHET, j.c.s.
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Me Éric Tremblay | ||
TREMBLAY TREMBLAY | ||
Avocats de la demanderesse | ||
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Me Philippe Thibault | ||
AVOCATS BSL | ||
Avocats des défendeurs | ||
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Dates d’audience : | 19, 20, 21 janvier 2022 | |
[1] Par. D3.1).
[2] Lavoie & al. c. Comptois & al., REJB 1999-16081 (C.S.).
[3] Blais c. Duchesne, 2021 QCCA 978, par. 8.
[4] Pleau c. Figueira-Andorinha, EYB2016-264574 (C.S.).
[5] Lafrenière c. Naud, 2018 QCCS1969, par. 9 & ss.
[6] LANE, Bryan-Éric, Les recours pour les vices cachés : revue de certains éléments pratiques souvent moins connus des praticiens, Droit immobilier, Collection Blais, vol. 28, 5e édition 2018.
[7] Cauchon-Lachance c. Spénard, 2021 QCCS 3485, par. 14.
[8] Blais c. Duchesne, (première instance) 2019 QCCQ 8503, par. 60-61.
[9] Rapport Babin (D-1), p. 8, par. 7.1.
[10] Rapport Babin (D-1), p. 16, par. 8.0, « Conclusion ».
[11] Ibid. pages 9, 10, 11, 14 & 16.
[12] Ibid. page 11, # 13.
[13] Code national du bâtiment, art. 9,14,3,3,
[14] Rapport Fournier (P-2), p. 10.
[15] Rapport Babin (D-1), traces d’efflorescence visibles sur les photos 59, 63, 69, 77, et particulièrement évidentes sur les photos 92, 104 et 107.
[16] Dans sa version contemporaine aux évènements.
[17] Contrat de vente (P-1), 17 décembre 2012, p. 2.
[18] Fontaine c. Chayer, 2016 QCCS 1932, par. 167-168.
[19] Laliberté c.9119-3557 Québec inc. (Habitations Vally), 2011 QCCS 742, par. 178-182.
[20] Cauchon-Lachance c. Spénard, précité, note 7, par. 38-40.
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