Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

CSSS Jardins-Roussillon et Tremblay

2017 QCTAT 4826

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossiers :

502265-62C-1302   518442-62C-1308  

520604-62C-1308   588571-62C-1510

599869-62C-1603   611542-62C-1607

 

Dossier CNESST :

140168246

 

 

Salaberry-de-Valleyfield,

le 20 octobre 2017

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA JUGE ADMINISTRATIVE :

Sonia Sylvestre

______________________________________________________________________

 

502265          518442

588571          599869          611542

 

 

CSSS Jardins-Roussillon

CSSS Jardins-Roussillon

Partie demanderesse

Partie demanderesse

 

 

et

et

 

 

Nancy Tremblay

Nancy Tremblay

Partie mise en cause

 

et

Partie mise en cause

 

 

Commission des normes, de l’équité,

de la santé et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE DEMANDE INCIDENTE

______________________________________________________________________

 

Dossier 502265-62C-1302

 

[1]         Le 13 février 2013, CSSS Jardins-Roussillon (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 22 janvier 2013, à la suite d’une révision administrative.

[2]         Par cette décision, la CSST en révision confirme une décision du 13 décembre 2012 et déclare que madame Nancy Tremblay (la travailleuse) a subi une lésion professionnelle le 26 octobre 2012 lui causant une tendinite au coude droit et qu’elle a droit aux indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

Dossier 518442-62C-1308

[3]         Le 5 août 2013, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 24 juillet 2013, à la suite d’une révision administrative.

[4]         Par cette décision, la CSST en révision confirme une décision rendue le 29 mai 2013 et déclare que le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive est en relation avec la lésion professionnelle du 26 octobre 2012 et que la travailleuse a droit aux indemnités prévues par la loi en regard de ce diagnostic.

Dossier 520604-62C-1308

[5]         Le 26 août 3013, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 14 août 2013, à la suite d’une révision administrative.

[6]         Par cette décision, la CSST en révision confirme une décision du 22 juillet 2013 et déclare que le diagnostic de syndrome de dystrophie réflexe du membre supérieur droit est en relation avec la lésion professionnelle et que la travailleuse a droit aux indemnités prévues par la loi en regard de ce diagnostic.

Dossier 588571-62C-1510

[7]         Le 26 octobre 2015, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 14 octobre 2015, à la suite d’une révision administrative;

[8]         Par cette décision, la CSST en révision confirme une décision rendue le 1er septembre 2015 et déclare que la lésion professionnelle du 26 octobre 2012 a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité physique de la travailleuse de 2,20 % et qu’elle a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1 487,00 $, plus intérêts.

Dossier 599869-62C-1603

[9]         Le 3 mars 2016, l’employeur dépose au Tribunal administratif du travail (le Tribunal) un acte introductif par lequel il conteste une décision rendue par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) le 12 février 2016, à la suite d’une révision administrative;

[10]        Par cette décision, la Commission en révision confirme une décision rendue le 16 décembre 2015 et déclare que la lésion professionnelle du 26 octobre 2016 a entraîné une atteinte permanente à l’intégrité psychique de la travailleuse de 5,75 % et qu’elle a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 3 886,48 $, plus intérêts.

Dossier 611542-62C-1607

[11]        Le 7 juillet 2016, l’employeur dépose au Tribunal un acte introductif par lequel il conteste une décision rendue par la Commission 30 juin 2016, à la suite d’une révision administrative.

[12]        Par cette décision, la Commission en révision confirme deux décisions rendues les 18 et 29 avril 2016 et déclare que la travailleuse a droit à la réadaptation compte tenu des conséquences de sa lésion professionnelle et qu’elle a droit à l’octroi des services d’un psychologue pour l’aider à atténuer les difficultés qu’elle éprouve en raison de sa lésion professionnelle.

[13]        Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[2] est entrée en vigueur. Cette loi crée le Tribunal administratif du travail qui assume les compétences de la Commission des relations du travail et de la Commission des lésions professionnelles. En vertu de l’article 261 de cette loi, toute affaire pendante devant la Commission des relations du travail ou devant la Commission des lésions professionnelles est continuée devant la division compétente du Tribunal administratif du travail. La présente décision est donc rendue par la soussignée en sa qualité de membre du Tribunal.

[14]        De plus, depuis le 1er janvier 2016, la Commission assume les compétences autrefois dévolues à la CSST. Aux fins de la présente, la Commission et la CSST seront indistinctement nommées « la Commission ».

[15]        Lors d’une conférence préparatoire tenue le 22 février 2017, la procureure de la travailleuse a soulevé une demande incidente relativement à la recevabilité en preuve d’un rapport d’enquête et des séquences vidéo faisant suite à une filature les 5, 6 et 20 juin 2013 et les 9, 11, 12 et 13 juillet 2013 ainsi que des extraits du compte Facebook de la travailleuse.

[16]        Il a alors été convenu de tenir une audience portant uniquement sur cette demande incidente et qu’une décision soit rendue avant de procéder sur le fond des litiges. Les éléments de preuve visés par cette demande ont été mis sous pli scellé et confiés à la garde du greffe du Tribunal, sans que la soussignée en ait pris connaissance jusqu’à ce qu’une décision soit rendue quant à leur recevabilité en preuve. La travailleuse et sa procureure ont cependant reçu copie de ces éléments de preuve.

[17]        L’audience sur la demande incidente est tenue le 25 mai 2017, à Valleyfield, en présence d’une représentante de l’employeur, de son procureur, de la travailleuse également représentée par procureur. La Commission, partie intervenante, n’est pas représentée. Le dossier est mis en délibéré le 19 juillet 2017 suivant la réception des argumentations écrites des parties.

L’OBJET DE LA DEMANDE INCIDENTE

[18]        La travailleuse demande de déclarer irrecevable en preuve le rapport d’enquête de filature et les séquences vidéo à la suite d’une filature tenue les 5, 6 et 20 juin 2013 et les 9, 11, 12 et 13 juillet 2013 de même que les extraits de son compte Facebook obtenus par l’employeur.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[19]        Le Tribunal doit décider de la recevabilité en preuve d’un rapport d’enquête de filature qui s’est déroulée les 5, 6 et 20 juin 2013 de même que les 9, 11, 12 et 13 juillet 2013 ainsi que des séquences vidéo y étant associées. Il doit également décider de la recevabilité d’extraits du compte Facebook de la travailleuse consultés en mai 2013.

[20]        Il convient dans un premier temps de rappeler le cadre juridique applicable en matière d’atteinte à la vie privée dans un contexte de filature et d’extraits de médias sociaux et de l’admissibilité des éléments de preuve en découlant. Il y a lieu, dans un second temps, de rappeler le contexte factuel ayant mené à la filature et à la consultation du compte Facebook de la travailleuse et de déterminer, dans un troisième temps, si ces éléments de preuve sont admissibles eu égard au droit applicable.

L’admissibilité d’une preuve découlant d’une filature

[21]        Le droit fondamental à la vie privée est enchâssé dans la Charte des droits et libertés de la personne[3] (la Charte québécoise) qui s’applique tant en matière privée, dans une relation employeur-employé par exemple, qu’à l’égard de l’État. Cette Charte québécoise précise ce qui suit :

5.         Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

________

1975, c. 6, a. 5.

 

[...]

 

9.1       Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

 

La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.

________

1982, c. 61, a. 2.

 

[...]

 

 

[22]        Le Code civil du Québec[4] (C.c.Q) comporte également certaines dispositions reconnaissant le droit à la vie privée :

[...]

 

3.         Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

 

Ces droits sont incessibles.

_________

1991, c. 64, a. 3.

 

[...]

 

35.       Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

 

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y conteste ou sans que la loi l’autorise.

_________

1991, c. 64, a. 35; 2002, c. 19, a. 2.

 

36.       Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants:

 

1º    Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;

 

2º    Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;

 

3º    Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés;

 

4º    Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

 

5º    Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public;

 

6º    Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.

_________

1991, c. 64, a. 36.

 

 

[23]        À son article 2858, le C.c.Q. balise l’admissibilité d’une preuve obtenue en violation des droits et libertés fondamentaux et prévoit explicitement qu’un tribunal, même d’office, doit la rejeter. Cet article se lit comme suit :

2858.    Le tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

Il n’est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu’il s’agit d’une violation du droit au respect du secret professionnel.

________

1991, c. 64, a. 2858.

 

 

[24]        Une disposition similaire se retrouve dans la Loi sur la justice administrative[5] :

11.       L’organisme est maître, dans le cadre de la loi, de la conduite de l’audience. Il doit mener les débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.

 

Il décide de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile. Il doit toutefois, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. L’utilisation d’une preuve obtenue par la violation du droit au respect du secret professionnel est réputée déconsidérer l’administration de la justice.

 

_______

1996, c. 54, a. 11.

 

[Nos soulignements]

[25]        Dans l’affaire Syndicat des travailleurs (euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau[6] (l’affaire Bridgestone), la Cour d’appel du Québec conclut qu’une procédure de surveillance et de filature présente, à première vue, une atteinte à la vie privée.

[26]        Elle rappelle toutefois que le droit à la vie privée n’est pas absolu et peut être sujet à restriction. Ainsi, une surveillance par l’employeur d’un de ses travailleurs hors des lieux du travail pourra être admise en preuve, conformément à l’article 9.1 de la Charte québécoise si elle est nécessaire, c’est-à-dire si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables.

[27]        À ce sujet, le juge Lebel, au nom de la majorité, écrit ce qui suit :

            En substance, bien qu’elle comporte une atteinte apparente au droit à la vie privée, la surveillance à l’extérieur de l’établissement peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables, comme l’exige l’article 9.1 de la Charte québécoise. Ainsi, il faut d’abord que l’on retrouve un lien entre la mesure prise par l’employeur et les exigences du bon fonctionnement de l’entreprise ou de l’établissement en cause [...] Il ne saurait s’agir d’une décision purement arbitraire et appliquée au hasard. L’employeur doit déjà posséder des motifs raisonnables avant de décider de soumettre son salarié à une surveillance. Il ne saurait les créer a posteriori, après avoir effectué la surveillance en litige.

 

            Au départ, on peut concéder qu’un employeur a un intérêt sérieux à s’assurer de la loyauté et de l’exécution correcte par le salarié de ses obligations, lorsque celui-ci recourt au régime de protection contre les lésions professionnelles. Avant d’employer cette méthode, il faut cependant qu’il ait des motifs sérieux qui lui permettent de mettre en doute l’honnêteté du comportement de l’employé.

 

            Au niveau du choix des moyens, il faut que la mesure de surveillance, notamment la filature, apparaisse comme nécessaire pour la vérification du comportement du salarié et que, par ailleurs, elle soit menée de la façon la moins intrusive possible. Lorsque ces conditions sont réunies, l’employeur a le droit de recourir à des procédures de surveillance, qui doivent être aussi limitées que possible.

 

[Nos soulignements]

 

 

[28]        La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et du Tribunal qui s’est développée subséquemment à l’affaire Bridgestone précitée enseigne que de simples doutes[7], de vagues soupçons, des rumeurs ou une intuition[8] sont des motifs insuffisants pour procéder à une surveillance par filature. Les motifs doivent être raisonnables et sérieux.

[29]        Dans l’affaire Ville de Sherbrooke c. Turcotte[9], la Cour supérieure, saisie d’une requête en révision judiciaire d’une sentence arbitrale, définit comme suit le caractère sérieux et raisonnable qui doit caractériser les motifs invoqués par l’employeur afin de conclure la présence de motifs rationnels :

[81]      Ce n'est pas n'importe quel soupçon qui peut justifier une filature. La Cour d'appel parle de motifs sérieux et raisonnables. Un motif raisonnable est un motif qui s'appuie sur la raison plutôt que sur le préjugé, la première impression, les idées reçues ou une simple rumeur. C'est un motif susceptible d'objectivation. Un motif sérieux est un motif qui dénote une importance, qui n'est pas léger, frivole ou superficiel.

 

[Nos soulignements]

 

 

[30]        Plus récemment, dans l’affaire Securitas Transport Aviation Security ltd et Diaz[10], la Commission des lésions professionnelles s’exprime comme suit :

[55]      Or, il ne suffit pas d’avoir des contradictions ou incohérences d’ordres médical ou factuel pour procéder à une surveillance par filature en dehors du milieu de travail. Il faut que ces contradictions et incohérences, par leur importance, leur nature et par la fiabilité des sources d’information, soient suffisamment sérieuses pour mettre en doute l’honnêteté du comportement du travailleur.

 

[Nos soulignements]

 

 

[31]        En ce qui a trait au critère de la conduite par des moyens raisonnables, il ressort de la jurisprudence que la filature doit s’avérer nécessaire et être utilisée en dernier recours. En outre, un employeur dispose d’autres moyens que la filature pour vérifier et valider l’état de santé de l’un de ses travailleurs[11]. Si la filature s’avère nécessaire, elle doit être mise en œuvre de la manière la moins intrusive possible et ne pas porter atteinte à la dignité. Ainsi, la surveillance doit être ponctuelle plutôt que systématique et les images doivent être captées dans des lieux où un travailleur peut être observé de façon immédiate par le public et non pas en violation de l’intimité de sa résidence ou de tout autre endroit où le public n’a normalement pas accès[12].

[32]        Si l’atteinte à la vie privée est justifiée en vertu de l’article 9.1 de la Charte québécoise, c’est-à-dire si le Tribunal en arrive à la conclusion que l’employeur avait des motifs rationnels de procéder à une enquête et que la filature a été conduite pas des moyens raisonnables, la preuve par filature sera jugée admissible sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’étude du second critère, soit la déconsidération de l’administration de la justice. C’est ce qu’énonce clairement la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Résidence Angelica inc. et Desforges[13] :

[141]    En résumé, lorsque la preuve ne démontre pas une atteinte à un droit garanti par la Charte ou que l’atteinte s’avère admissible en application de l’article 9.1 de la Charte, le premier critère, énoncé à l’article 11 de la Loi sur la justice administrative, n’est pas rencontré et l’analyse exigée par cette disposition s’arrête là. Le tribunal doit alors disposer de la recevabilité de la preuve en application des autres règles dont celle de la pertinence. Il n’a pas l’obligation de se prononcer sur le second critère énoncé dans cette disposition, soit la déconsidération de l’administration de la justice.

 

[...]

 

[142]    Seulement lorsque le premier critère énoncé à l’article 11 de la Loi sur la justice administrative est rencontré, le tribunal a l’obligation de vérifier si le second critère l’est. Ainsi, une preuve obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux, doit être rejetée si son utilisation est susceptible de déconsidérer la justice mais doit être admise, selon la règle de la pertinence, si son utilisation n’est pas susceptible de déconsidérer la justice.

 

[Nos soulignements]

 

 

[33]        C’est donc uniquement si l’atteinte à la vie privée n’est pas justifiée en vertu de l’article 9.1 de la Charte québécoise qu’il y a lieu pour le Tribunal d’évaluer si l’admissibilité de cette preuve est de nature à déconsidérer l’administration de la justice. En ce qui a trait à ce critère, la Cour supérieure écrit, dans l’affaire Ville de Sherbrooke précitée :

[86]      Il s'agit ici d'abord d'apprécier la violation du droit fondamental et l'utilisation des éléments de preuve obtenus grâce à cette violation et ensuite d'évaluer leur impact sur la considération de la justice, c'est-à-dire la confiance nécessaire que le public doit avoir dans son système de justice qui est fondé sur la règle de droit et les Chartes. Se pose en effet la question suivante : que vaut une Charte des droits protégeant la vie privée si, de toute façon, toute preuve obtenue en violation de ses dispositions est admissible en preuve du moment qu'elle est pertinente? La fin justifie-t-elle toujours les moyens?

 

[87]      Il ne s'agit pas seulement de se demander si la preuve qu'on veut introduire est pertinente mais plutôt de mesurer si, nonobstant cette pertinence, il y a plus d'avantages pour la considération de la justice d'admettre une preuve obtenue en violation de droits fondamentaux que de l'exclure. L'étalon de mesure est celui de la personne raisonnable, objective et bien informée de toutes les circonstances de l'affaire.

 

 

[34]        Le Tribunal rappelle également que conformément à l’article 2855 du C.c.Q., l’admissibilité de tout élément matériel doit préalablement faire l’objet d’une preuve d’authenticité :

2855. La présentation d’un élément matériel, pour avoir force probante, doit au préalable faire l’objet d’une preuve distincte qui en établisse l’authenticité. Cependant, lorsque l’élément matériel est un document technologique au sens employeur la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (chapitre C-1.1), cette preuve d’authenticité n’est requise que dans le cas visé au troisième alinéa de l’article 5 de cette loi.

________

1991, c. 64, a. 2855; 2001, c. 32, a. 79.

 

 

[35]        Dans l’affaire Résidence Angélica inc. précitée, la Commission des lésions professionnelles aborde comme suit la question de l’authenticité de la preuve vidéo:

[169]    En terminant, même si l’aspect technique de la recevabilité des DVD n’a pas été soulevé par la travailleuse, le tribunal constate que la preuve est admissible. L’identité de la travailleuse sur les images captées ne fait aucun doute pour le tribunal.  La travailleuse s’est présentée à la première audience et elle est facilement reconnaissable sur les DVD. Personne, à quelque stade que ce soit, n’a soulevé un problème d’identité. Les enquêteurs ont témoigné, expliqué la procédure de la filature, déposé les rapports d’enquête et témoigné de l’authenticité et de la non altération des images transférées par leur firme sur les DVD déposés en preuve.

 

[Nos soulignements]

 

 

L’admissibilité des extraits d’un compte Facebook

[36]        La preuve émanant de Facebook est un document technologique[14] au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[15], dont les dispositions pertinentes sont les suivantes :

1.         La présente loi a pour objet d'assurer :

 

1   la sécurité juridique des communications effectuées par les personnes, les associations, les sociétés ou l'État au moyen de documents quels qu'en soient les supports ;

 

2   la cohérence des règles de droit et leur application aux communications effectuées au moyen de documents qui sont sur des supports faisant appel aux technologies de l'information, qu'elles soient électronique, magnétique, optique, sans fil ou autres ou faisant appel à une combinaison de technologies ;

 

3   l'équivalence fonctionnelle des documents et leur valeur juridique, quels que soient les supports des documents, ainsi que l'interchangeabilité des supports et des technologies qui les portent ;

 

4   le lien entre une personne, une association, une société ou l'État et un document technologique, par tout moyen qui permet de les relier, dont la signature, ou qui permet de les identifier et, au besoin, de les localiser, dont la certification ;

 

5   la concertation en vue de l'harmonisation des systèmes, des normes et des standards techniques permettant la communication au moyen de documents technologiques et l'interopérabilité des supports et des technologies de l'information.

________

2001, c. 32, a. 1.

 

[...]

 

5.         La valeur juridique d'un document, notamment le fait qu'il puisse produire des effets juridiques et être admis en preuve, n'est ni augmentée ni diminuée pour la seule raison qu'un support ou une technologie spécifique a été choisi.

 

Le document dont l'intégrité est assurée a la même valeur juridique, qu'il soit sur support papier ou sur un autre support, dans la mesure où, s'il s'agit d'un document technologique, il respecte par ailleurs les mêmes règles de droit.

 

Le document dont le support ou la technologie ne permettent ni d'affirmer, ni de dénier que l'intégrité en est assurée peut, selon les circonstances, être admis à titre de témoignage ou d'élément matériel de preuve et servir de commencement de preuve, comme prévu à l'article 2865 du Code civil.

 

 

Lorsque la loi exige l'emploi d'un document, cette exigence peut être satisfaite par un document technologique dont l'intégrité est assurée.

________

2001, c. 32, a. 5.

[...]

 

7.         Il n’y a pas lieu de prouver que le support du document ou que les procédés, systèmes ou technologies utilisés pour communiquer au moyen d’un document permettent d’assurer son intégrité, à moins que celui qui conteste l’admission du document n’établisse, par prépondérance de preuve, qu’il y a eu atteinte à l’intégrité du document.

________

2001, c. 32, a. 7.

 

 

[37]        La preuve Facebook a donc la même valeur juridique, qu’il soit sur support papier ou sur un autre support. De plus, en vertu de l’article 7 de cette loi, il appartient à la partie qui conteste l’admissibilité de cette preuve d’établir qu’il y a eu atteinte à l’intégrité du document.

[38]        Par ailleurs, selon la jurisprudence[16], les informations émanant de Facebook font partie du domaine public. Les règles qui gouvernent ce réseau social sont telles que l’expectative raisonnable de vie privée de ses utilisateurs est grandement atténuée et modulée en fonction des paramètres individuels de leur compte et du nombre « d’amis » qu’ils ont.

[39]        Il n’y a donc pas, a priori, intrusion à la vie privée lorsqu’un employeur consulte le compte Facebook de l’un de ses employés, à moins qu’il y ait eu accès par subterfuge ou par un moyen illicite en usurpant l’identité d’une autre personne ou en se forgeant une fausse identité par exemple[17]. Ce n’est que dans ces dernières situations que le test élaboré par la Cour d’appel dans l’affaire Bridgestone pourrait s’avérer utile.

[40]        C’est ce que rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Tardif et Béton Trio inc.[18] où elle écrit :

[113]    De l’avis du soussigné, en l’espèce, la preuve obtenue par l’employeur à partir du compte Facebook du travailleur, preuve obtenue à partir d’un compte « public », c’est-à-dire non protégé par le travailleur par un code d’accès et sans subterfuge de la part de l’employeur, est admissible, sous réserve évidemment de la pertinence et de la force probante de la preuve ainsi obtenue.

 

[114]    Le soussigné partage l’opinion émise dans l’affaire Landry et Provigo Québec inc15 voulant que ce qui se retrouve sur un compte Facebook ne fasse pas partie du domaine privé et que l’obtention par l’employeur d’information qui s’y trouve, sans subterfuge aucun de sa part, ne constitue pas dans ces circonstances une atteinte à la vie privée du travailleur au sens de l’article 2858 du Code civil du Québec ou de la Charte des droits et libertés de la personne.

 

[115]    Dans ce contexte, le soussigné est d’avis, à la lumière de l’affaire Campeau, précitée16, que les critères élaborés par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Bridgestone/Firestone et Trudeau ne trouvent application qu’en présence d’une situation d’atteinte à la vie privée d’un travailleur, qu’il s’agisse de l’obtention d’une preuve à la suite d’une filature d’un travailleur ou encore lors d’un accès illégal à son compte Facebook, mais non, comme en l’espèce, lorsque cet accès par l’employeur au compte Facebook ne peut être qualifié d’illégal. Aussi, le soussigné est donc d’avis qu’il n’est pas requis en l’espèce de s’interroger sur la notion de « motif raisonnable » que pouvait avoir l’employeur d’aller consulter le compte Facebook du travailleur, selon les critères élaborés dans l’affaire Bridgestone/Firestone.

 

[Notes omises]

 

 

[41]        La soussignée, à l’instar d’autres décideurs[19], adhère à ce raisonnement.

Les faits pertinents

[42]        Ces balises légales étant établies, le Tribunal retient de la preuve documentaire et testimoniale les faits pertinents suivants.

[43]        À noter que seuls les faits antérieurs à l’octroi du mandat de filature doivent être considérés afin de déterminer si l’employeur avait des motifs rationnels pour requérir à une enquête de filature.

Les faits au dossier

[44]        La travailleuse est préposée aux bénéficiaires chez l’employeur depuis 2008.

[45]        Le 26 octobre 2012, elle remplit une déclaration d’événement accidentel sur son lieu de travail relativement à un événement survenu le jour même qu’elle décrit comme suit : «  Lancée la poche et bouger mouvement du bras. [sic»

[46]        Le jour même, elle consulte un médecin qui diagnostique une tendinite du coude droit.

[47]        À la réclamation qu’elle dépose à la Commission en lien avec cet événement, elle décrit celui-ci comme suit : « En manipulant la poche de linge, en tournant les patients, en faisant ma tâche de préposée bénéficière, enflure et brûlure au coude droit. [sic»

[48]        Le 12 novembre 2012, la Commission reçoit une opposition à la réclamation signée par madame La Rocque, technicienne en gestion de dossier d’invalidité chez l’employeur. Celle-ci souligne que sur le formulaire interne, la travailleuse déclare que l’événement est survenu en lançant une poche de linge, mais que la journée même, lorsque questionnée par sa chef de service, elle avait de la difficulté à expliquer comment l’événement s’était produit. De plus, à sa réclamation, la travailleuse semble attribuer sa lésion à des mouvements répétitifs. Elle allègue qu’en l’absence de fait accidentel, la réclamation ne peut être acceptée.

[49]        Le même jour, le médecin consulté par la travailleuse refuse l’assignation temporaire proposée par l’employeur.

[50]        Le 13 novembre 2012, la travailleuse est évaluée par le docteur Giasson à la demande de l’employeur, conformément à l’article 209 de la loi. Il rapporte l’événement comme suit :

Vendredi le 26 octobre, dans l’exercice de ses fonctions, madame travaillait à l’urgence de 7 heures 30 à 15 heures 30. Vers 11 heures, elle me mentionne qu’elle a eu à soulever un sac contenant du linge souillé. Elle a soulevé le sac à deux mains et en s’exécutant, elle ressentit une chaleur au niveau du coude droit en latéral externe. Madame ne réfère à aucune fausse manœuvre. Elle a soulevé le sac comme elle le fait normalement.

 

L’inconfort ne fut pas jugé incompatible avec la poursuite de son travail. Un peu plus tard, un médecin lui a demandé de l’aide pour retourner une bénéficiaire. En s’exécutant, il y a eu accentuation des douleurs au niveau de son coude droit.

 

Madame n’aura pas le choix de dénoncer le tout. Elle ira s’inscrire à l’urgence. Elle a terminé son quart de travail en utilisant surtout son membre supérieur gauche.

 

[Nos soulignements]

 

 

[51]        Au terme de son examen, le docteur Giasson retient le diagnostic d’épicondylalgie secondaire à une enthésopathie des épicondyliens, qui constitue une condition personnelle, et conclut à l’absence d’évidence clinique d’une épicondylite ou d’une tendinite du coute droit par traumatisme et/ou surutilisation.

[52]        Le 5 décembre 2012, une agente de la Commission communique avec la travailleuse pour une cueillette d’informations relativement à sa réclamation. La travailleuse lui indique qu’elle travaille à l’urgence, qu’elle doit lever des sacs souillés et se donner un élan pour les lancer dans un conteneur de 3 à 4 pieds de haut. Le jour de l’événement, elle mentionne avoir ressenti une brûlure et une enflure immédiate. Elle a déclaré l’événement à son supérieur et a continué à faire ses tâches.

[53]        Le jour même, l’agente communique avec madame La Rocque chez l’employeur. Tel qu’il appert des notes évolutives consignées au dossier de la Commission, la représentante de l’employeur lui indique que la travailleuse est une « abonnée » à l’assurance-salaire, à la CSST et à l’absentéisme. Elle souligne que la travailleuse a toujours plusieurs versions des faits qui ne sont pas toujours cohérentes. De plus, la travailleuse omet de faire remplir par ses médecins les papiers médicaux demandés.

[54]        Le 11 décembre 2012, le docteur Dignard autorise l’assignation temporaire proposée par l’employeur. Il précise que la travailleuse devra prendre l’autobus et que les frais devront lui être payés, car elle ne peut prendre son automobile à transmission manuelle.

[55]        Le 13 décembre 2012, la Commission accepte la réclamation de la travailleuse. L’employeur demande la révision de cette décision.

[56]        Le 28 décembre 2012, la travailleuse communique dans un état de détresse avec un directeur en santé et sécurité à la Commission, car l’employeur, qui continue d’assumer son salaire après la période obligatoire des quatorze premiers jours, a omis de lui payer quatre jours sur sa dernière paye. Elle indique que l’employeur a coupé son salaire, car elle ne s’est pas présentée en assignation temporaire, soulignant que l’employeur refuse de lui payer ses frais de transport comme l’exige son médecin. Elle soutient être est en manque d’argent.

[57]        Le même jour, le directeur en santé et sécurité communique avec madame La Rocque pour l’aviser que l’employeur ne peut suspendre les indemnités de la travailleuse sans décision écrite de la Commission en ce sens, même s’il en assume le paiement. Il précise aux notes évolutives que madame La Rocque va demander que les sommes soient versées rétroactivement à la travailleuse.

[58]        Le 21 janvier 2013, le médecin qui a charge de la travailleuse diagnostique une épicondylite droite et un trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive secondaire.

[59]        Suivant les divergences d’opinions entre les médecins qui ont charge de la travailleuse et le docteur Giasson quant à la question du diagnostic de nature physique,  le dossier est dirigé au docteur Ortaaslan, orthopédiste et membre du Bureau d'évaluation médicale, afin qu’il se prononce sur le diagnostic. Celui-ci examine la travailleuse le 31 janvier 2013 et signe son avis le 14 février 2013.

[60]        Dans son avis qu’il signe le 14 février 2013, le docteur Ortaaslan résume comme suit l’événement rapporté par la travailleuse :

Madame Tremblay explique qu’en date du 26 octobre 2012, lorsqu’elle lançait une poche souillée pour la mettre dans un bac d’une hauteur de 4 pieds, un geste vers le côté droit ou gauche, elle ne se souvient pas, elle a ressenti une douleur englobant le coude droit. En attendant d’être vue par un médecin au triage elle a avisé son contremaître de l’événement, mais elle n’a pas été autorisée de quitter. Son contremaître l’a obligée de rester jusqu’à la fin de son quart de travail. Elle est restée, mais elle faisait peu de choses, car elle ne pouvait pas se servir de son membre supérieur droit, les douleurs étant très importantes. À l’aide d’un collègue, elle s’est traitée avec du Tylenol qui a peu aidé ses douleurs.

 

[...]

 

[Nos soulignements]

 

 

[61]        Au terme de son examen, le docteur Ortaaslan retient le diagnostic de tendinite épicondylienne du coude droit.

[62]        Le 15 février 2013, la travailleuse est examinée par le docteur Des Rosiers à la demande de l’employeur afin qu’il se prononce sur la tendinite/épicondylite droit et le trouble d’adaptation. L’examen du docteur Des Rosiers porte toutefois essentiellement sur la condition physique de la travailleuse et non psychologique. Au terme de son examen, il retient les diagnostics d’entorse de l’avant-bras droit impliquant les extenseurs et les fléchisseurs du poignet et de dystrophie réflexe. Il estime que la lésion n’est pas consolidée et que la consultation en orthopédie, l’électromyogramme ainsi que la résonance magnétique recommandés par le médecin qui a charge de la travailleuse sont justifiés.

[63]        Le 21 février 2013, la Commission rend une décision par laquelle elle reconnaît qu’il y a une relation entre le diagnostic retenu par le membre du Bureau d'évaluation médicale et l’événement du 26 octobre 2012 et que la travailleuse a donc droit aux indemnités prévues à la loi. Cette décision ne fait pas l’objet d’une demande de révision.

[64]        Le 8 mars 2013, la travailleuse rencontre l’agent d’indemnisation et la conseillère en réadaptation en charge de son dossier à la Commission. Il est noté aux notes évolutives afférentes à cette rencontre que la travailleuse serre la main de sa main gauche et qu’elle garde son bras droit collé sur sa poitrine. Il est aussi indiqué que la travailleuse est capable de conduire une voiture à transmission manuelle malgré sa lésion et qu’elle aime prendre la route pour se changer les idées.

[65]        Le 19 avril 2013, le docteur Des Rosiers revoit la travailleuse à la demande de l’employeur pour se prononcer plus spécifiquement sur sa condition psychologique.  Celui-ci précise que la travailleuse se présente avec son membre supérieur droit immobilisé dans une attelle et maintenu près du corps. Sur le plan psychologique, elle rapporte aller mieux grâce au suivi avec le psychologue et croit même ne plus en avoir besoin. Le docteur Des Rosiers estime qu’il n’y a plus d’évidence de trouble d’adaptation et que cette condition est consolidée en date de son examen.

[66]        Le 22 avril 2013, suivant l’étude des notes cliniques du médecin qui a charge de la travailleuse, la médecin-conseil de la Commission retient que le trouble d’adaptation est multi factoriel, à savoir l’isolement social, les problèmes financiers, une séparation, une relation conflictuelle avec l’employeur et la Commission ainsi que la douleur secondaire à son épicondylite. Elle estime qu’une relation médicale est possible entre ce trouble d’adaptation et la lésion professionnelle.

[67]        Le même jour, l’agent au dossier indique qu’il accepte le diagnostic psychologique comme étant en relation avec la lésion professionnelle et qu’une décision est envoyée aux parties. Il appert toutefois que ce n’est que le 29 mai 2013 que la décision est rendue.

[68]        Le 23 mai 2013, une scintigraphie osseuse démontre que l’étude est compatible avec un syndrome douloureux régional complexe de bas grade au niveau du poignet droit dans sa phase normo-vasculaire. Toutefois, selon les notes évolutives, ce n’est que le 18 juin 2013 qu’une copie de cette scintigraphie est envoyée au médecin désigné de l’employeur.

[69]        Le 28 mai 2013, madame La Rocque communique avec l’agent au dossier pour lui faire part de sa stupéfaction suivant une lecture des notes évolutives qui rapportent les propos de la travailleuse voulant que l’employeur ait voulu lui faire signer une déclaration pour qu’elle reconnaisse que sa condition douloureuse au bras est en relation avec la réalisation d’un scan. Elle nie catégoriquement ces allégations. Lors de cette conversation, l’agent l'informe que la travailleuse ne semble pas assidue à ses traitements d’ergothérapie et qu’elle a eu des absences sans justification. Il lui indique qu’il fera un suivi et l’en tiendra informée. Toutefois, ce n’est qu’en juillet 2013 que l’agent constate qu’il n’y a pas eu réellement d’absence et que le tout découle d’un problème avec le registre informatique de la clinique.

Les témoignages et déclarations assermentées

[70]        Madame La Rocque témoigne à l’audience en référant aux notes qu’elle a inscrites au système informatisé de l’employeur de manière contemporaine à chacune de ses interventions dans le dossier de la travailleuse. Elle a été responsable de ce dossier dès le début de l’invalidité jusqu’à la mi-juin 2013, au moment où elle a été promue à un autre poste.

[71]        Celle-ci reconnaît avoir eu des doutes envers la travailleuse dès le début compte tenu de ses antécédents en matière d’absentéisme et du fait qu’antérieurement, certains autres travailleurs lui ont rapporté que celle-ci faisait des activités incompatibles avec sa condition médicale alléguée. Elle soutient cependant que ses doutes n’ont pas joué dans la décision de l’employeur de procéder une enquête de filature et qu’il y a plutôt eu une série d’autres faits et d’événements survenus au fil des mois sur lesquels elle s’attarde.

[72]        Premièrement, selon madame La Rocque, les descriptions de l’événement faites par la travailleuse étaient nébuleuses et contradictoires. Parfois, elle référait à un événement précis, d’autres fois à des mouvements répétitifs. C’est la raison pour laquelle elle a contesté l’admissibilité de la réclamation et qu’elle a requis une expertise médicale rapidement. Les autres expertises demandées l’ont été au fil de l’évolution du dossier et faisaient suite à l’émission de nouveaux diagnostics.

[73]        Deuxièmement, la travailleuse ne s’est jamais présentée à l’assignation temporaire qui a été autorisée par son médecin le 10 décembre 2012, ce qui a nécessité des interventions de sa part auprès de la travailleuse.

[74]        Le 12 décembre 2012, vers 13 h 00, elle communique avec la travailleuse pour s’enquérir des motifs pour lesquelles elle ne s’était pas présentée au travail la veille, à 15 h 30, comme prévu. La travailleuse lui répond qu’elle ne peut conduire une voiture manuelle. Lorsque madame La Rocque lui souligne qu’elle peut prendre le transport en commun, la travailleuse lui rétorque qu’elle ne sait pas comment cela fonctionne. Suivant les explications de madame La Rocque sur la consultation des horaires d’autobus, la travailleuse soutient qu’elle a peur de prendre le transport en commun le soir, qu’elle n’est pas capable de prendre soin d’elle-même et qu’elle ne peut travailler. Madame La Rocque lui conseille d’en parler à son médecin et offre à la travailleuse de regarder si elle peut modifier son horaire prochainement, mais que pour le moment, celle-ci est attendue au travail pour 15 h 30.

[75]        La travailleuse ne s’étant pas présentée au travail ce jour-là, madame La Rocque la rappelle le lendemain, 13 décembre 2012, pour lui signifier qu’à moins que son médecin lui prescrive un arrêt de travail, elle doit se présenter à son assignation temporaire sinon, elle ne sera pas payée. La travailleuse lui avoue qu’elle ne peut aller voir son médecin, car elle est à Montréal chez sa fille qui vient d’accoucher et qu’elle doit s’occuper du bébé. Madame La Rocque souligne avoir demandé à la travailleuse comment elle pouvait s’occuper d’un bébé naissant alors qu’elle lui a dit ne pas être capable de s’occuper d’elle-même, ce à quoi la travailleuse lui rétorque qu’elle n’était pas seule et avait de l’aide.

[76]        Suivant cette discussion avec la travailleuse, madame La Rocque décide de communiquer avec le syndicat pour dénoncer la situation. Le syndicat se dit surpris des explications fournies par la travailleuse, puisque celle-ci n’a pas d’enfant. Ultérieurement confrontée à cette contradiction, la travailleuse mentionne qu’il s’agit d’une amie qu’elle considère comme sa fille.

[77]        Compte tenu de l’absence de la travailleuse à son assignation temporaire, madame La Rocque procède à une coupure de traitement pour les jours où la travailleuse ne s’est pas présentée au travail, ce qui amène un directeur en santé et sécurité de la Commission à l’appeler le 28 décembre 2012 pour l’aviser qu’elle ne pouvait agir ainsi. Madame La Rocque reconnaît que c’était une erreur de sa part, qu’elle croyait qu’elle pouvait le faire, l’employeur étant l’agent payeur. Interrogée sur une mention écrite à ses notes selon laquelle la travailleuse pourrait attendre un peu pour avoir sa rémunération rétroactive afin qu’elle apprenne le fonctionnement de la vie, madame La Rocque indique que ce sont les propos tenus par le directeur de la Commission et non elle-même, qui a toujours été courtoise avec la travailleuse.

[78]        Interrogée par la procureure de la travailleuse si elle était frustrée du fait que les assignations temporaires ont toutes été refusées par la suite, madame La Rocque soutient que non, mais que cela lui soulevait des questionnements.

[79]        Une rencontre s’est tenue en janvier 2013 avec madame La Rocque, une représentante syndicale et la travailleuse, qui se dit persécutée par l’employeur. Une mise au point est faite concernant les attentes de l’employeur envers la travailleuse, soit qu’elle lui transmettre tous ses rapports médicaux.

[80]        Madame La Rocque indique que lors de ses conversations ou rencontres subséquentes avec la travailleuse, celle-ci se disait toujours très en douleur et gardait son bras droit en flexion collé sur son corps. Elle se disait aussi toujours incapable de conduire.

[81]        En mai 2013, madame La Rocque prend connaissance des notes évolutives au dossier de la travailleuse. Le 28 mai 2013, elle communique avec l’agent de la travailleuse à la Commission, car elle s’interroge sur certaines mentions qui y sont faites. Entre autres, elle ne comprend pas qu’en mars 2013, la travailleuse mentionne faire des randonnées en voiture pour se changer les idées alors qu’à l’employeur, elle se dit incapable de conduire. Lors de cette conversation, l’agent lui indique qu’il a l’impression que la travailleuse rit de lui depuis le début. Madame La Rocque se rappelle que l’agent lui a aussi dit que la travailleuse avait plusieurs absences injustifiées en ergothérapie, mais ne se souvient pas avoir eu un suivi par la suite.

[82]        Toujours en mai 2013, madame La Rocque consulte son fil d’actualité sur Facebook. Elle voit une photographie d’une de ses « amies », madame Laramée suivi d’un commentaire d’une dénommée Nancy Tremblay. Madame La Rocque souligne ne pas se souvenir exactement de la nature du commentaire, mais elle explique qu’à sa lecture, elle a trouvé cela incompatible avec la condition de la travailleuse. Elle a donc été consultée la page de cette Nancy Tremblay pour valider s’il s’agissait de la travailleuse ou de son homonyme.

[83]        À sa surprise, il s’agissait bel et bien de la travailleuse. De plus, son compte Facebook était public, sans aucun paramètre de confidentialité. Ainsi, elle a pu consulter le profil de la travailleuse même si elle n’était pas son « amie ». Elle a vu une photo de la travailleuse qui venait de se faire tatouer sur un bras. Celle-ci écrivait également qu’elle allait s’acheter une BMW et elle se cherchait quelqu’un pour aller faire une randonnée à cheval.

[84]        Selon madame La Rocque, ce que la travailleuse publiait sur sa page Facebook était totalement incompatible avec ses propos et la condition qu’elle affichait lors de ses visites chez l’employeur. Celle-ci lui faisait souvent des doléances sur le fait que l’employeur lui avait coupé ses indemnités, ce qui l’avait mise dans une situation financière précaire. Or, quelques mois après, celle-ci écrit qu’elle va acquérir une auto de luxe. De plus, le fait que la travailleuse indique chercher quelqu’un pour s’adonner à l’équitation était totalement incompatible avec la condition que la travailleuse démontrait lorsqu’elle venait la voir. Elle se disait toujours très en douleur et avait le bras toujours collé sur elle. Madame La Rocque reconnaît ne pas avoir requis d’avis médical pour confirmer que cette activité était incompatible avec la pathologie de la travailleuse, mais selon elle, quelqu’un qui doit garder son bras droit collé sur sa poitrine ne peut tenir une bride.

[85]        Madame La Rocque indique avoir fait part de ses constatations à sa supérieure et de là est venue la décision de faire faire une enquête par l’employeur. Elle-même n’a toutefois pas été impliquée dans le mandat et le suivi de l’enquête. Ce n’est pas elle qui a imprimé les extraits du compte Facebook de la travailleuse, mais sa supérieure.

[86]        En fin de témoignage, madame La Rocque résume comme suit les raisons ayant mené l’employeur à requérir à une enquête de filature :

-       les contradictions dans la description de l’événement;

-       le fait que la travailleuse ne se soit jamais présentée à son assignation temporaire, sans motif valable;

-       le fait qu’elle publiait sur sa page Facebook des informations incompatibles avec sa condition;

-       le fait qu’elle disait à l’employeur qu’elle était incapable de conduire et qu’à la Commission, elle précise aimer prendre la route pour se changer les idées et être capable de conduire son auto manuelle malgré sa lésion;

-       le fait que l’agent de la Commission avait aussi l’impression que la travailleuse « riait de lui » et qu’elle n’était pas assidue à ses traitements.

[87]        La travailleuse témoigne également à l’audience sur les caractéristiques de son compte Facebook. Elle explique que c’est une amie qui l’a inscrite sur ce média social et qu’elle-même s’y connaît peu en la matière. Son compte était à son nom et elle avait plusieurs amies qui étaient ses collègues de travail. Elle allait aussi consulter la page Facebook du syndicat dont fait partie madame Laramée. Elle ne croit pas qu’elle aurait accepté être « l’amie » personnelle de celle-ci, mais ne s’en souvient pas. Elle n’est pas certaine si elle avait des paramètres sécurisés.

[88]        Le Tribunal entend également le témoignage de monsieur Michel Le Breton, enquêteur pour la firme Gardium. Il explique avoir reçu le mandat du directeur de la firme par courriel et avoir commencé la filature le 5 juin 2013. Le 6 juin 2013, il a procédé par appel téléphonique pour valider certaines informations lettrées apparaissant sur le véhicule de la travailleuse. Il ne peut dire à quelle date précise l’agence a reçu le mandat, mais habituellement, il est appelé à procéder à une filature dès le lendemain ou quelques jours suivant la réception de celui-ci.

[89]        Il explique capter les images de son véhicule et filmer dans des endroits où la travailleuse peut être vue du public. Il reconnaît avoir rédigé les pages 3 à 13 du rapport d’enquête.

[90]        Lors d’une suspension d’audience, monsieur Le Breton visionne les séquences vidéo des 5 et 6 juin 2013. Il confirme qu’il s’agit de l’intégralité de ce qu’il a filmé. Au montage, seuls le logo et le numéro de dossier sont intégrés, mais les dates et les heures ne peuvent être modifiées.

[91]        Le mandat qu’il a reçu, et qui est déposé en preuve, indiquait que la travailleuse était totalement invalide. Plus particulièrement, il est écrit : « Totalement invalide. Employée droitière sur incapacité bras droit. Médecin refuse tous travaux légers, car douleur +++ ».

[92]        En contre-interrogatoire, monsieur Le Breton reconnaît avoir pénétré et filmé dans la salle d’attente d’une clinique médicale, mais la travailleuse n’y était pas.

[93]        Son également déposées en preuve les déclarations assermentées de messieurs Yves Lizotte et Sébastien Dubé, enquêteurs ayant réalisé la filature le 20 juin 2013 pour ce qui est de monsieur Lizotte et les 11, 12 et 13 juillet 2013 pour monsieur Dubé. Ceux-ci, après avoir visionné copie du DVD déposé en preuve, affirment que cela représente l’intégralité des images qu’ils ont captées et qu’il n’y a pas eu altération ou modification des images, outre l’ajout du logo de la firme d’investigation. Ils confirment ne pas avoir rencontré de problème technique lors de la filature et avoir procédé à la captation d’images de leur véhicule, dans des endroits où la travailleuse pouvait être vue de tous. Ils confirment également avoir rédigé le rapport d’enquête pour les journées où ils ont procédé à la filature.

L’analyse

[94]        Eu égard à ces faits, le Tribunal conclut, dans un premier temps, qu’il n’y a pas eu atteinte à la vie privée de la travailleuse par la consultation et le tirage d’extraits de son compte Facebook par l’employeur puisque la preuve n’établit pas que l’accès à celui-ci était sécurisé par des paramètres de confidentialité précis.

[95]        Le Tribunal privilégie le témoignage de madame La Rocque qui affirme avoir pu consulter, sans restriction, le compte de la travailleuse étant donné l’absence de paramètres de confidentialité. Le témoignage de la travailleuse sur ce point est nébuleux et ne prouve pas, de manière prépondérante, que l’accès à son compte Facebook était restreint, bien au contraire. De plus, il n’y a aucune preuve de subterfuge ou de moyens frauduleux utilisés par l’employeur pour accéder au compte Facebook de la travailleuse. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu pour le Tribunal d’avoir recours aux critères élaborés dans l’affaire Bridgestone afin de disposer de l’admissibilité de cette preuve.

[96]        Les extraits de ce compte consultés mai 2013 sont donc admissibles en preuve, et ce, même s’ils ont été imprimés ultérieurement. À ce titre, le Tribunal retient du témoignage crédible de madame La Rocque que c’est en mai 2013 qu’elle consulte le compte Facebook de la travailleuse et qu’elle fait part de ses découvertes à sa supérieure. Que cette dernière ait imprimé ultérieurement les extraits publiés sur ce compte en mai 2013 ne contredit pas le témoignage de madame La Rocque voulant qu’elle ait consulté le compte de la travailleuse antérieurement à la demande d’enquête de filature.

[97]        Dans son argumentation, la procureure de la travailleuse soulève qu’en l’absence de la supérieure de la travailleuse à l’audience pour témoigner des moyens dont le document émanant de Facebook a été confectionné, l’authenticité de ce document ne peut être établie. Or, en vertu de l’article 7 de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information précitée, il appartient à la partie qui conteste l’admissibilité d’une telle preuve d’établir qu’il y a eu atteinte à l’intégrité du document. Il revenait donc à la procureure de la travailleuse d’assigner la supérieure de madame La Rocque si elle voulait l’interroger sur l’authenticité de cette preuve, comme il lui avait été permis d’assigner les enquêteurs ayant produit des déclarations assermentées si elle le jugeait nécessaire.

[98]        Le Tribunal estime également que le rapport d’enquête de filature et les séquences vidéo associées sont admissibles en preuve pour les motifs suivants.

[99]        Tel que l’enseigne la Cour d’appel dans l’affaire Bridgestone précitée, une telle preuve constitue à sa face même une atteinte à la vie privée. Néanmoins, celle-ci pourra être admissible si la preuve démontre qu’elle était justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables.

[100]     En l’instance, l’employeur a fait la preuve de motifs raisonnables et sérieux, donc rationnels, pour justifier son recours à une enquête de filature au début du mois de juin 2013.

[101]     Madame La Rocque, qui est la personne responsable du dossier de la travailleuse chez l’employeur, a témoigné de manière honnête et sans détour. Celle-ci reconnaît avoir eu dès le début un préjugé défavorable à l’égard de la travailleuse compte tenu de ses antécédents en matière d’absentéisme et de certains propos tenus par d’autres travailleurs à son endroit.

[102]     Toutefois, la preuve prépondérante corrobore son témoignage voulant que ce ne soit pas sur la foi de ces doutes et préjugés que l’employeur a décidé de procéder à une enquête de filature, mais plutôt sur un ensemble de faits précis et objectivables qui sont survenus au cours de l’évolution du dossier.

[103]     Le Tribunal retient entre autres que l’enquête de filature n’a pas été commandée de manière hâtive ou prématurément dans le dossier. La lésion professionnelle est survenue en octobre 2012 et même si à l’époque, l’employeur entretient des doutes à l’égard de la travailleuse, ce n’est qu’en juin 2013 que la décision de procéder à une enquête est prise.

[104]     Or, pendant ces mois, plusieurs faits pris dans leur ensemble et situés dans le contexte qui primait alors sont suffisamment sérieux et importants pour amener l’employeur à douter raisonnablement de l’honnêteté de la travailleuse quant à sa réelle condition physique et psychologique.  

[105]     Dès le départ, l’employeur dit obtenir une version nébuleuse de l’événement de la part de la travailleuse. Une lecture des expertises des docteurs Giasson et Ortaaslan démontre que bien que la travailleuse indique toujours avoir ressenti une douleur au coude droit après avoir lancé une poche de linge, sa version quant à l’exercice de ses tâches et l’évolution de sa condition à la suite de l’événement diffère quelque peu.

[106]     En décembre 2012, confrontée par madame La Rocque au fait qu’elle doive se présenter en assignation temporaire, la travailleuse invoque plusieurs faux-fuyants qui évoluent au fil des conversations pour justifier son absence au travail.

[107]     Madame La Rocque constate également que le discours que tient la travailleuse à l’agent de la Commission diffère parfois de celui qu’elle lui tient, notamment en ce qui a trait à la conduite automobile.

[108]     En mai 2013, lors d’une conversation avec l’agent d’indemnisation, celui-ci avoue à madame La Rocque avoir l’impression que la travailleuse rit de lui. Pour l’employeur, cela peut être raisonnablement perçu comme une confirmation que ses soupçons sont fondés, car partagés par une personne tierce, personne extérieure à la relation employeur-employé. De plus, lors de cette conversation, madame La Rocque apprend que la travailleuse s’absente régulièrement de ses traitements. Certes, cette information s’est révélée fausse, mais l’employeur en a été avisé qu’après avoir confié un mandat d’enquête.

[109]     Le point culminant survient aussi en mai 2013 alors que madame La Rocque prend connaissance de certains propos de la travailleuse publiés sur son compte Facebook. Madame La Rocque reconnaît ne pas se souvenir du commentaire qui l’a poussée à aller consulter la page Facebook de la travailleuse. De l’avis du Tribunal, cela est peu pertinent puisque ce n’est pas ce commentaire oublié qui a incité madame La Rocque à dénoncer la situation à sa supérieure et qui a donné lieu à un mandat d’enquête, mais bien ce dont elle a pris connaissance sur la page Facebook de la travailleuse.

[110]     Madame La Rocque rapporte avoir notamment lui que la travailleuse était pour acquérir une BMW et être à la recherche d’un partenaire pour faire une randonnée à cheval. La source de ces propos étant la travailleuse elle-même, l’employeur était tout à fait justifié de les considérer comme fiables.

[111]     Pris isolément, ces faits peuvent sembler insignifiants. Toutefois, situés dans le contexte, ils revêtent une importance indiscutable.

[112]     En janvier 2013, la travailleuse se voit diagnostiquer un trouble d’adaptation relié en partie aux problèmes financiers qu’elle vit depuis la survenance de sa lésion professionnelle. Selon madame La Rocque, il s’agit du discours que lui tient la travailleuse et cela ressort également de l’analyse du médecin-conseil de la Commission qui a procédé à une lecture des notes cliniques du médecin qui a charge. Dans un tel contexte, une personne raisonnable peut s’interroger du fait que quatre mois plus tard, la travailleuse se targue d’acquérir une automobile dont la marque est généralement associée à des véhicules de luxe. Peut-être était-ce seulement un souhait exprimé par la travailleuse, peut-être que le prix de vente de l’automobile en question était dérisoire. Mais il est compréhensible que l’information, à l’état brut, puisse laisser planer des doutes sur la réelle condition financière de la travailleuse et par le fait même, sur sa réelle condition psychologique.

[113]     Madame La Rocque a aussi indiqué que lors de ses visites chez l’employeur, la travailleuse se dit toujours en douleur et garde son bras droit collé sur son corps. C’est également la condition médicale qu’elle démontre lors d’une rencontre avec les agents de la Commission en mars 2013 et lors d’une évaluation en avril 2013 avec le docteur Des Rosiers, alors qu’elle a le membre supérieur droit immobilisé dans une attelle et maintenu près du corps.

[114]     Il peut être considéré surprenant et douteux qu’une personne affichant une telle condition physique puisse vouloir s’adonner à une activité de randonnée à cheval. Avec respect pour l’opinion de la procureure de la travailleuse, nul besoin d’un avis médical pour valider la compatibilité de cette activité et la condition médicale affichée par la travailleuse. Il s’agit d’une question de « gros bon sens ». Quelqu’un qui ne peut mobiliser un de ses membres supérieurs peut difficilement monter sur un cheval et tenir une bride afin de le contrôler tout au long d’une randonnée. Un doute sérieux pouvait subsister chez l’employeur dès qu’il a pris connaissance du fait que la travailleuse voulait faire une telle randonnée, peu importe si dans les faits, elle l’a faite ou non.

[115]     La procureure de la travailleuse plaide que la demande d’enquête s’inscrit dans une foulée d’actes d’acharnement de l’employeur envers la travailleuse, voire de harcèlement de la part de madame La Rocque. Elle soulève que celle-ci a contesté toutes les décisions rendues dans ce dossier, a eu recours de manière abusive à des expertises médicales, a procédé unilatéralement et sans droit à une coupure des indemnités de la travailleuse et a exigé de la travailleuse qu’elle soit présente au travail dans un délai d’une heure lors de l’assignation temporaire. Elle souligne également que l’employeur a usé de guet-apens en avisant les enquêteurs du prochain rendez-vous médical de la travailleuse.

[116]     De l’avis du Tribunal, le comportement de l’employeur en l’instance dénote certes une gestion serrée du dossier de la travailleuse, ce qui peut s’expliquer dans le contexte où il s’agit d’une travailleuse présentant des antécédents en matière d’absentéisme. Toutefois, le Tribunal estime que l’exercice des droits prévus à la loi n’a pas été fait de manière abusive. L’employeur est en droit de contester les décisions de la Commission. Il ne s’agit pas d’une preuve de harcèlement. L’employeur est en droit de faire expertiser la travailleuse. D’ailleurs, avant qu’il ne procède à une demande d’enquête, il s’est prévalu de ce droit à trois occasions alors que la condition de la travailleuse évoluait et que de nouveaux diagnostics étaient posés. Le Tribunal ne voit pas en quoi cela est abusif. Madame La Rocque a aussi fourni des explications plausibles quant à la coupure des indemnités de remplacement du revenu et le fait qu’elle exige de la travailleuse qu’elle se rendre au travail à l’heure prévue pour son assignation temporaire. Par ailleurs, il n’est pas inhabituel en matière de mandat de filature d’aviser les enquêteurs des déplacements futurs du sujet visé. Cela ne peut s’assimiler à un guet-apens.

[117]     Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que l’employeur a démontré des motifs rationnels pour avoir recours à une enquête de filature afin de valider la condition médicale réelle de la travailleuse.

[118]     Le Tribunal estime également que cette enquête de filature a été conduite par des moyens raisonnables.

[119]     D’une part, avant de faire appel à une firme d’investigation, l’employeur a eu recours à trois occasions à des expertises médicales pour s’enquérir de la condition médicale de la travailleuse. Il y a également eu une rencontre pour une mise au point en janvier 2013 concernant certains agissements de la travailleuse.

[120]     Toutefois, face à un tableau contradictoire entre la condition médicale qu’allègue et qu’affiche la travailleuse, tant devant l’employeur, la Commission et aux médecins désignés, versus ce qu’elle semble être capable de réaliser dans sa vie quotidienne (conduire un véhicule à transmission manuelle, vouloir faire une randonnée à cheval), le recours à une enquête de filature demeure parfois la seule option valable qui s’offre.

[121]     Pour que les médecins puissent poser le bon diagnostic, encore doivent-ils connaître la condition médicale réelle de la travailleuse. Si des motifs rationnels amènent l’employeur à croire que la travailleuse ne dévoile pas sa véritable condition physique aux médecins, une « x » ième expertise est inutile. De même, le Tribunal doute qu’une confrontation avec la travailleuse quant à ses allégations sur Facebook ait amené celle-ci à faire preuve d’ouverture, alors que la preuve révèle que dans le passé, elle a plutôt eu recours à des faux-fuyants lorsque confrontée par l’employeur sur son absence en assignation temporaire.

[122]     D’autre part, selon les déclarations des enquêteurs, le Tribunal retient que l’enquête de filature a été menée de la manière la moins intrusive possible et n’est pas abusive. Même si l’enquête totalise plusieurs heures, elle a été réalisée sur des périodes distinctes de quelques jours chacune et les images ont été captées là où la travailleuse pouvait être vue du public.

[123]     La procureure de la travailleuse soulève qu’un des enquêteurs a pénétré dans la salle d’attente d’une clinique pour y repérer la travailleuse, ce qui ne constitue pas un lieu public. Elle dépose une décision où le Tribunal[20] conclut que la réalisation d’une filature dans l’immeuble abritant le Bureau d'évaluation médicale dans lequel se rend un travailleur pour y subir un examen médical constitue une entrave à la vie privée.

[124]     Il n’y a pas lieu de s'attarder davantage sur la notion de lieux publics versus lieux privés, puisque selon le témoignage de l’enquêteur, la travailleuse ne se trouvait pas dans cette salle d’attente. Le Tribunal en comprend qu’il n’y a donc pas eu d’image d’elle capter à cet endroit et qu’elle ne peut donc invoquer une atteinte à sa dignité. 

[125]     Pour tous ces motifs, le Tribunal conclut que l’atteinte à la vie privée de la travailleuse est justifiée en vertu de l’article 9.1 de la Charte québécoise. Il n’y a donc pas lieu pour la soussignée de déterminer si la preuve est de nature à déconsidérer l’administration de la justice.

[126]     En terminant, le Tribunal retient que l’authenticité de cette preuve a été dûment établie. Les déclarations d’enquêteurs confirment que les images sur les DVD représentent l’intégralité de ce qu’ils ont chacun filmé et que celles-ci n’ont pas été altérées, mis à part l’ajout d’un logo. Ils confirment tous qu’il s’agit bel et bien de la travailleuse, ce qui n’a pas été contesté. Le Tribunal conclut que cette preuve est suffisante et satisfaisante pour conclure que l’élément de preuve matérielle est authentique, intégral, inaltéré et fiable.

[127]     La procureure de la travailleuse plaide que l’enquête de filature est viciée du fait que les enquêteurs ont été induits en erreur quant à la condition médicale de la travailleuse puisque le mandat d’enquête stipule que la travailleuse est totalement invalide alors qu’elle est uniquement atteinte à son membre supérieur droit.

[128]     Le Tribunal estime que cet élément n’est pas pertinent pour décider de l’authenticité et de l’admissibilité de cette preuve. Il s’agit plutôt d’un élément susceptible d’affecter la valeur probante ou la pertinence de celle-ci, mais non sa validité même.

[129]      Au stade de l’admissibilité de cette preuve, il suffit de conclure que de par sa nature, celle-ci semble à première vue pertinente eu égard aux litiges dont le Tribunal est saisi. En effet, une preuve visant à éclairer le Tribunal sur la crédibilité de la travailleuse et sa condition médicale réelle est pertinente pour décider de l’admissibilité d’une lésion professionnelle, des questions d’ordre médical en découlant et de la capacité de travail d’une travailleuse.

[130]     Il reste que c’est l’appréciation de cette preuve par le Tribunal, une fois qu’il en aura pris connaissance, qui déterminera sa réelle pertinence. Par conséquent, le Tribunal conclut admissible en preuve le rapport d’enquête de filature et les séquences vidéo de même que les extraits du compte Facebook consultés par l’employeur en mai 2013, le tout, sous réserve de l’appréciation par le Tribunal de leur pertinence.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

REJETTE la demande incidente de madame Nancy Tremblay, la travailleuse;

DÉCLARE recevable en preuve le rapport d’enquête et les séquences vidéo faisant suite à la filature des 5, 6, 20 juin 2013 et 9, 11, 12 et 13 juillet 2013 de même que les extraits du compte Facebook de la travailleuse consultés par l’employeur en mai 2013;

CONVOQUERA les parties pour la suite de l’enquête et de l’audition sur le fond.

 

 

__________________________________

 

Sonia Sylvestre

 

 

Me Jérémie Lemieux

TOPALIAN & ASSOCIÉS

Pour la partie demanderesse

 

Me Lori Posluns

Pour la partie mise en cause

 

Me Kevin Horth

PAQUET TELLIER

Pour la partie intervenante

 

 

Date de l’audience :             25 mai 2017

 



[1]          RLRQ, c. A-3.001.

[2]          RLRQ, c. T-15.1.

[3]           RLRQ, c. C-12.

[4]           RLRQ, c. CCQ-1991.

[5]           RLRQ, c. J-3.

[6]           [1999] R.J.Q. 2229.

[7]           MEP Technologies inc. et Paez, C.L.P. 288240-61-0605, 23 août 2006, B. Lemay; Compagnie A et M...P..., C.L.P. 280807-63-0601, 5 août 2009, D. Besse, révision rejetée, 15 novembre 2010, M. Beaudoin; Raymond et Entreprise Sanitaire F.A. ltée, C.L.P. 379359-61-0905, 22 novembre 2010, L. Nadeau; World Color Press (Corporatif) et Middleton, 2011 QCCLP 2776.

[8]           Compagnie A et M...P..., précitée, note 7; World Color Press (Corporatif) et Middleton, précitée, note 7, Securitas Transport Aviation Security ltd et Diaz, 2014 QCCLP 3087; Brûlé Murray & Associés inc. et Cloutier, 2014 QCCLP 5982.

[9]           2009 QCCS 5767.

[10]         Précitée, note 8.

[11]         Syndicat des travailleurs (euses) de Bridgstone Firestone de Joliette (CSN) c Trudeau, précitée, note 6; Veilleux et Compagnie d’assurance-Vie Penncorp, [2008] R.J.Q. 317.

[12]         Résidence Angelica inc. et Desforges, 2012 QCCLP 487; Pomerleau inc. et Plante, 2012 QCCLP 58, révision rejetée, 2013 QCCLP 2529; Arcelormittal Mines Canada inc. et Lavoie, 2015 QCCLP 175.

[13]         Précitée, note 12.

[14]         Landry et Provigo Québec inc. (Maxi & Cie), 2011 QCCLP 1802.

[15]         RLRQ, c. C-1.1.

[16]         Landry et Provigo Québec inc. (Maxi & Cie), précitée, note 14; Campeau et Services Alimentaires Delta Dailyfood Canada inc., 2012 QCCLP 7666; N...D...et Commission scolaire A, 2013 QCCLP 2138; Tardif et Béton Trio inc., 2015 QCCLP 4302; Parc Omega inc. et Ivall, 2017 QCTAT 915; Supermétal Construction inc. et Therrien-Savard, 2017 QCTAT 1140.

[17]         Campeau et Services alimentaires Delta Dailyfood Canada inc., précitée, note 16.

[18]         Précitée, note 16.

[19]         N...D...et Commission scolaire A; Parc Omega inc. et Ivall; Supermétal Construction inc. et Therrien-Savard, précitées, note 16.

[20]         Tremcar inc. et Valois, 2015 QCCLP 6333.

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