Décision

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Décision

Richard c. 9181-1430 Québec inc.

2019 QCRDL 1402

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Hyacinthe

 

No dossier :

304310 23 20161102 G

No demande :

2115256

 

 

Date :

16 janvier 2019

Régisseur :

André Monty, juge administratif

 

GASTON RICHARD

 

RITA SICARD RICHARD

 

Locataires - Partie demanderesse

c.

9181-1430 QUÉBEC INC.

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N

 

 

[1]      Les locataires réclament un montant total de 73 381,28 $ pour des diminutions du loyer et des dommages de différentes natures. Ils demandent également une garantie écrite du locateur qu’ils ne subiront pas de représailles à la suite de leur procédure.

[2]      Une ventilation des sommes réclamées est faite dans une mise en demeure annexée à l’amendement produit le 31 octobre 2017. On peut y lire :

«

IV.       LES DÉDOMMAGEMENTS DEMANDÉS

 

I.         DÉTAILS DES FRAIS DIVERS

MONTANT

1)        RÉDUCTION DE LOYER

a.      60% de rabais sur le loyer mensuel, soit 2428 $, du milieu de juin 2016 au 31 décembre 2016 (1457 $ X 6,5 mois)

b.      60% rabais sur le loyer mensuel, soit 2 557 $, du 1er janvier 2017 au 31 juillet 2017 (1534 $ X 7 mois)

c.      30% de rabais sur les loyers mensuels futurs jusqu’au décès des locataires (poursuivants) pour réparation : absence de la vue sur le mont Saint-Hilaire sur la base de laquelle le logement avait été loué, dorénavant obstruée par la construction de la phase 3 de l’immeuble

 

9 471.00

 

10 738.00

 

*


 

IV.       LES DÉDOMMAGEMENTS DEMANDÉS (suite)

 

I.         DÉTAILS DES FRAIS DIVERS

MONTANT

2)        FRAIS LIÉS À L’ENTRETIEN DU LOGEMENT

a.      Frais d’entretien quotidiens du logement : accumulation indue de poussière

·       28 semaines en 2016, 30 semaines en 2017 :

58 semaines X 5 jours = 290 jours X 25 $

b.      Frais de nettoyage des fauteuil et causeuse par Sears (accord verbal donné par Mme Aganier, 16h30 le 12-10-2016 à son bureau)

c.      Frais pour l’achat d’un balai électrique et d’un aspirateur

d.      Frais de déplacement à la maison des demandeurs avant qu’elle ne soit vendue le 20 octobre 2016 pour se reposer des inconvénients (bruit et poussière) : kilométrage et repas

e.      Frais pour achat de papiers mouchoirs :

·       Juillet - décembre 2016 :

                6 boîtes par semaine = 156 boîtes X 1.21 $ = 188.76 $

·       Janvier-juillet 2017 : 3 boîtes par semaine = 108.90 $

f.       Frais de nettoyage des fenêtres et des portes et ménage complet du logement par la Coop-Atout :

·       Du 18 janvier2017 au 7 juillet 2017 : 6X44.20 $ + 73.50 $

       (11 mai 2017)

 

7 250

 

 

 

457.60

 

 

287.43

459.89

 

1680.00

 

2400.00

 

188.76

108.90

 

339.70

TOTAL PARTIEL

33,381.23

II-         DOMMAGES MORAUX

Perte de jouissance :

ü  perte de la vue au mont St-Hilaire

ü  perte de repos

ü  perte de l’usage du balcon pendant les travaux

ü  perte de la tranquillité (tant vantée par la locatrice lors de la signature du bail) pendant 13 mois et demi

ü perte de temps

 

 

 

25,000.00

III-      DOMMAGES PUNITIFS

ü  pour m’être fait tromper, flouer et extorquer deux fois (voir Addenda)

ü  perte d’heures incalculables pour préparer tous les documents : je souffre de dégénérescence maculaire sévère, ce qui m’oblige à lire et à rédiger sous une inconfortable visionneuse

ü  à 85 ans, je n’ai plus ce temps précieux à engloutir dans des pourparlers ridicules et vains avec madame Aganier, une directrice générale que je juge incompétente et inapte : elle ne respecte aucunement sa parole donnée verbalement, ne se prépare pas lors de nos rencontres, n’a pas les documents en mains, ne se souvient plus des détails, etc.

 

 

 

15,000.00

MONTANT RÉCLAMÉTOTAL

73,381.28

*montant futur

 

»


[3]      Lors de l’audience, le locateur est absent.

PREUVE NON CONTESTÉE

[4]      Le Tribunal entend le témoignage du locataire et de nombreuses preuves documentaires sont produites. On y retrouve notamment des factures.

[5]      Les locataires sont des personnes âgées. Le 22 janvier 2016, elles concluent un bail pour la location d’un logement de 4 pièces ½ dans un immeuble réservé aux aînés.

[6]      Au départ, le loyer mensuel est de 2 428 $, sans service. Il augmente par la suite à 2 557 $ puis à 2 607 $.

[7]      La preuve révèle que les locataires visitent le logement avant de le louer. Ils sont impressionnés par la vue du Mont-St-Hilaire. Le logement est au troisième et dernier étage de l’immeuble. La locataire, qui est artiste peintre, entend profiter de cette vue inspirante pour ses créations. Le locataire précise que contrairement à ce qui est indiqué à sa mise en demeure du 31 octobre 2017, on ne leur avait pas « promis » cette vue. Il s’attendait par contre à ce qu’elle y soit toujours. Au moment de la location, le locateur savait qu’il y aurait une 3ème phase. Le locataire soumet qu’il aurait dû en être informé.

[8]      Les locataires emménagent en mai 2016. En juin 2016, à leur plus grande surprise, débutent des travaux majeurs qui seront appelés la « phase 3 ». On ajoute une aile à l’immeuble qui comprendra cinq étages et qui se trouvera en face du logement des locataires, vis-à-vis leur balcon. Les travaux dureront pendant 13 mois et ½. Le résultat final sera qu’ils auront désormais une vue uniquement sur la cour intérieure.

[9]      Le locataire produit ses agendas pour l’année 2016 et pour l’année 2017. Il y a répertorié les événements qui se sont produits. En 2016, les locataires ont été réveillés 28 fois entre 5h25 et 7h00 par le bruit des camions et les travaux. En 2017, ils l’ont été 17 fois entre 4h30 et 7h00. Les différentes tentatives de parler aux préposés du locateur n’ont rien changé à la situation, pas plus que la mise en demeure du 6 septembre 2016.

[10]   Durant la journée, les locataires devaient quitter les lieux parce que le bruit était insupportable. Ils ne pouvaient pas écouter la télévision ou parler au téléphone. Il y avait tellement de vibrations qu’ils ne pouvaient pas faire une sieste. Ils devaient balayer le logement 2 fois par jour. Ils se mouchaient continuellement. Ils devaient nettoyer le comptoir et la table chaque matin. Ils devaient faire du ménage continuellement. Ils ont même retenu les services d’une entreprise extérieure pour les aider. Ils ne pouvaient ni profiter de leur logement ni de leur balcon puisque les travaux étaient effectués juste en face.

[11]   Pour avoir une certaine tranquillité, les locataires se rendaient, jusqu’à ce qu’elle soit vendue, à leur maison de St-Basile-le-grand. Ils mangeaient au restaurant. Le Tribunal comprend du témoignage du locataire que la maison était peu meublée.

[12]   Le locataire déclare que lui et sa conjointe ont vécu du stress, de la fatigue et une perte de temps importante.

DIMINUTION DU LOYER ET DOMMAGES

[13]   Du milieu du mois de juin 2016 au 31 juillet 2017, les locataires réclament une diminution du loyer de 20 209 $ soit l’équivalent d’environ 60% du prix du loyer pour la période concernée. Ils réclament aussi des dommages matériels (33 381,23 $) et des dommages moraux (25 000,00 $).

[14]   La diminution du loyer a pour objectif de rétablir l'équilibre entre les prestations respectives des parties. Le Tribunal doit se demander si, alors que les locataires ont payé le plein montant du loyer, le locateur a rempli toutes ses obligations. Si ce n'est pas le cas, le Tribunal doit évaluer la valeur objective de la perte de valeur locative subie par les locataires en raison de l'inexécution des obligations du locateur.


[15]   Les articles 1854, 1864 et 1910 du Code civil du Québec imposent au locateur l'obligation de délivrer et de maintenir le logement en bon état d'habitabilité et de propreté ainsi que de procurer la jouissance paisible des lieux loués au locataire pendant toute la durée du bail. La jurisprudence et la doctrine ont établi que ces obligations sont de résultat, limitant ainsi les moyens de défense du locateur face à une demande en dommages-intérêts. À ce sujet, les auteurs Pierre-Gabriel Jobin et Jean-Louis Baudouin indiquent :

 « ... dans les cas d'une obligation de résultat, la simple constatation de l'absence du résultat ou du préjudice subi suffit à faire présumer la faute du débiteur, une fois le fait même de l'inexécution ou la survenant du dommage démontré par le créancier. Dès lors, le débiteur, pour dégager sa responsabilité, doit aller au-delà d'une preuve de simple absence de faute, c'est-à-dire démontre que l'inexécution ou le préjudice subi provient d'une force majeure. Il ne saurait être admis à dégager sa responsabilité en rapportant seulement une preuve d'absence de faute. »[1]

[16]   De plus, le deuxième paragraphe de l'article 1854 impose au locateur de « garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail ». Il s'agit d'une obligation de garantie, ce qui implique une responsabilité plus lourde :

« En présence enfin d'une obligation de garantie, le débiteur est présumé responsable. La seule façon pour lui d'échapper à sa responsabilité est de démontrer que c'est par le fait même du créancier qui a été empêché d'exécuter son obligation, ou encore que l'inexécution alléguée se situe complètement en dehors du champ de l'obligation assumée. »[2].

[17]   La preuve non contestée révèle que le locateur n’a pas rencontré ses obligations et ce, sur une période d’environ 13 mois et ½. Les bruits insupportables débutaient souvent très tôt le matin. Il y avait des vibrations importantes et de la poussière. Le logement des locataires était très près du chantier. Il n’était plus possible de vivre normalement dans le logement.

[18]   Le Tribunal considère qu’une diminution globale du loyer de 13 500 $, pour toute la période concernée est de nature à rétablir l’équilibre entre les prestations respectives des parties.

[19]   Quant aux dommages, le Tribunal arbitre ceux-ci à un montant de 10 000 $. Ce montant tient compte du temps des locataires pour nettoyer leur logement, les frais encourus pour l’aide au nettoyage, les troubles et inconvénients, le stress vécu, l’achat de mouchoirs et de repas, les déplacements et le nettoyage des meubles.

[20]   Le Tribunal ne retient pas les frais pour l’achat d’un balai électrique et d’un aspirateur qui sont toujours en possession des locataires.

[21]   Quant à la demande concernant la perte de la vue sur la montagne à la suite de la construction de la phase 3, et ce, tant pour le passé que pour le futur, le Tribunal ne pourra y faire droit. Avec respect pour l’opinion contraire et même si le Tribunal peut comprendre la déception des locataires, la preuve ne révèle pas une perte significative de la valeur locative du logement ni l’absence d’un service qui était fourni par le locateur. Si le Tribunal ne doute pas que la vue sur la montagne puisse être un attrait significatif, la preuve soumise ne révèle pas que cette vue avait une incidence sur le montant du loyer.

[22]   Le Tribunal rejettera également la demande de 15 000 $ pour des dommages punitifs. Tel qu’expliqué à l’audience, pour obtenir un jugement qui « punisse » une partie, il faut que la Loi le prévoit spécifiquement. Il y a très peu de dispositions législatives qui prévoient de tels dommages. Dans le présent dossier, le témoignage du locataire n’a pas démontré une situation qui serait couverte par une telle disposition.


[23]   Les locataires demandaient une garantie écrite du locateur qu’il n’exercerait pas de représailles. Le Tribunal ne peut émettre une ordonnance en ce sens. Si une telle situation se présentait, bien que rien dans le présent dossier ne permette de croire qu’une telle situation puisse se produire, les locataires devront s’adresser au Tribunal.

[24]   Le résidu de la demande est rejeté.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[25]   ACCUEILLE en partie la demande des locataires;

[26]   DIMINUE globalement le loyer des locataires de 13 500 $ et CONDAMNE le locateur à payer cette somme aux locataires;

[27]   CONDAMNE le locateur à payer aux locataires la somme de 10 000 $ à titre de dommages;

[28]   LE TOUT avec les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 31 octobre 2017, plus les frais judiciaires et de signification de 83 $;

[29]   À défaut de recevoir du locateur les sommes dues dans un délai de 30 jours de la présente décision, PERMET aux locataires d’opérer compensation sur les prochains loyers à échoir;

[30]   REJETTE la demande des locataires quant au surplus et quant à ses autres conclusions. 

 

 

 

 

 

 

 

 

André Monty

 

Présence(s) :

le locataire

Date de l’audience :  

13 décembre 2018

 

 

 


 



[1] Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 5e Édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc. 1996, p. 36.

[2] Idem. p. 37.

AVIS :
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