Samsung Electronics Canada c. Arial | 2024 QCCA 1195 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | 500-09-030262-224, 500-09-030263-222 | ||||
(500-06-001018-197) | |||||
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DATE : | 18 septembre 2024 | ||||
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No : 500-09-030262-224 | |||||
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SAMSUNG ELECTRONICS CANADA | |||||
SAMSUNG ELECTRONICS CO. LTD. | |||||
APPELANTES/INTIMÉES INCIDENTES – défenderesses | |||||
c. | |||||
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TRACEY ARIAL | |||||
CLAIRE O’BRIEN | |||||
ERIKA PATTON | |||||
ZOE PATTON | |||||
ALEXANDER TASCIYAN | |||||
MATHEW NUCCIARONE | |||||
VITO DECICCO | |||||
INTIMÉS/APPELANTS INCIDENTS – demandeurs | |||||
et | |||||
APPLE CANADA INC. | |||||
APPLE INC. | |||||
MISES EN CAUSE/INTIMÉES INCIDENTES – défenderesses | |||||
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No : 500-09-030263-222 |
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APPLE CANADA INC. |
APPLE INC. |
APPELANTES/INTIMÉES INCIDENTES – défenderesses |
c. |
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TRACEY ARIAL |
CLAIRE O’BRIEN |
ERIKA PATTON |
ZOE PATTON |
ALEXANDER TASCIYAN |
MATHEW NUCCIARONE |
VITO DECICCO |
INTIMÉS/APPELANTS INCIDENTS – demandeurs |
et |
SAMSUNG ELECTRONICS CANADA |
SAMSUNG ELECTRONICS CO. LTD. |
MISES EN CAUSE/INTIMÉES INCIDENTES – défenderesses |
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I. Introduction
[1] Par un jugement du 22 septembre 2022[1], l’honorable Christian Immer de la Cour supérieure, district de Montréal, a fait partiellement droit à la demande d’autorisation (la « Demande ») de quelques demandeurs (les « Intimés ») pour exercer une action collective contre Samsung Electronics Canada inc. et Apple Canada inc.[2] (les « Appelantes »). Ces dernières plaident en appel que l’autorisation aurait dû être refusée. Bien que le jugement en question autorise l’action collective des Intimés, cette permission n’est accordée qu’en partie, de sorte que les Intimés se sont portés appelants incidents devant la Cour. Les motifs qui suivent traitent dans l’ordre des pourvois principaux et du pourvoi incident, mais portent d’abord sur certaines requêtes pour preuve nouvelle des Intimés.
[2] Les téléphones portables (ou mobiles, ou cellulaires) conçus, fabriqués et distribués par les Appelantes constituent l’objet central des procédures en cours. Dans leur Demande, les Intimés allèguent que l’utilisation de ces appareils engendre divers types de risques graves pour la santé, notamment parce que les téléphones portables sont couramment employés par leurs utilisateurs à trop petite distance de leur corps pour être sécuritaires. Ils allèguent de plus que les Appelantes avaient connaissance de ces risques. Selon eux, elles auraient fait défaut de les divulguer en temps utile et de manière adéquate, ce pourquoi les acheteurs et utilisateurs éventuels de ces produits furent privés d’une mise en garde suffisante. Leur action collective telle qu’elle se présentait en première instance comportait diverses réclamations de dommages compensatoires et punitifs ainsi qu’une demande de restitution ou d’exécution en nature de certaines prestations.
[3] Le juge de première instance a méticuleusement examiné les nombreuses prétentions des Intimés et il a rédigé de longs motifs, très détaillés, afin de déterminer si ces prétentions paraissaient fondées au point de satisfaire aux conditions de l’article
[4] Parallèlement à leur appel incident, les Intimés ont déposé successivement deux requêtes pour preuve nouvelle avant l’audience du 15 décembre 2023, ainsi qu’une troisième après l’audition des pourvois, alors que l’affaire était en délibéré.
[5] Pour les raisons qui suivent, il convient de rejeter les appels principaux et l’appel incident. Ni les Appelantes ni les Intimés ne sont parvenus à démontrer que le jugement était entaché des erreurs de droit ou de fait invoquées de part et d’autre. Aussi est-il dans l’ordre des choses qu’ils supportent leurs propres frais sans assumer ceux des parties adverses.
II. Survol du jugement entrepris
[6] Le juge de première instance, on l’a déjà mentionné, a livré un jugement aux motifs fort élaborés pour une décision rendue au stade de l’autorisation d’une action collective. Un aperçu général des raisons sur lesquelles il se fonde s’impose avant de revenir sur l’argumentation respective des Appelantes et des Intimés, qui sera abordée quand le sera le fond des pourvois. Dans la suite de cet arrêt, on s’arrêtera au besoin, et plus en détail, sur les composantes de l’analyse très fournie qui fut effectuée en première instance.
[7] D’emblée, le juge s’emploie à dégager les trois syllogismes distincts qu’il décèle dans la procédure des Intimés. Le premier tendrait à démontrer que les tests effectués par les Appelantes pour se conformer aux exigences réglementaires applicables donnent de faux résultats et que, par conséquent, les certificats d’approbation obtenus des autorités compétentes[3] s’appuieraient sur des données inadéquates et seraient donc erronés, voire frauduleux. Il s’ensuit que la publicité effectuée par les Appelantes et qui fait état de ces approbations serait de nature à induire les consommateurs en erreur. Selon le second syllogisme, les exigences réglementaires applicables seraient elles aussi de nature à induire en erreur, car les conditions réelles d’utilisation des téléphones portables par les usagers démontrent que le seuil sécuritaire du débit d’absorption spécifique de radiations (en anglais, le SAR), soit 1,6W/kg par gramme de tissu humain, n’est pas respecté dans les faits. Selon un troisième syllogisme, il appert qu’à la lumière des recherches les plus récentes en la matière, les données fournies par Santé Canada au sujet des appareils produits par les Appelantes seraient erronées : ces recherches démontreraient, selon les Intimés, que les effets non thermiques de l’utilisation de ces appareils sont eux aussi préjudiciables pour la santé, ce que les Appelantes savaient et ont caché aux consommateurs.
[8] Comme le note le juge, le recours que veulent exercer les Intimés présente d’évidentes ressemblances avec le dossier Cohen[4], une affaire récente instruite en Californie, au point que certaines allégations des Intimés « are cut and pasted from the Cohen case[5] », constate le juge. Cette affaire se solda par l’échec de la demande, mais pour des raisons précises qui n’ont pas d’application directe ici.
[9] Résumant les réclamations formulées en demande, le juge écrit :
[10] Plaintiffs seek damages of $13,000 per year until “the radiation pollution is curtailed”, unspecified damages to “monitor their health condition”, punitive damages and various injunctive relief.
[10] Après avoir décrit sommairement le cheminement du dossier jusqu’à l’audience sur la demande d’autorisation, et avoir livré quelques observations d’ordre général sur les notions scientifiques pertinentes, de même que sur le contexte réglementaire canadien, le juge considère tour à tour les trois syllogismes qu’il a dégagés dans la première partie de son jugement.
[12] … Plaintiffs Application, as drafted, is in large part ill-conceived and would indeed unduly weigh down on the court. However, a limited and well circumscribed claim merits that authorization be granted.
[…]
[15] All the other remedies sought by Plaintiffs are untenable and frivolous. Indeed, there is no allegation of injury or prejudice suffered by any of the Plaintiffs and they cannot, therefore, meet their burden of demonstration to be authorized to seek payment of compensatory damages. The injunctive relief sought by Plaintiffs is hopelessly and unequivocally unenforceable.
[…]
[22] On the morning of the first day of the hearing, the Court allowed the filing of Plaintiffs and Samsung’s exhibits with the following provisos:
Les parties, de part et d’autre, désirent déposer des pièces additionnelles ou en remplacement des pièces déjà déposées et autorisées par le Tribunal, notamment dans les décisions du 18 juin 2020 et du 14 décembre 2021;
Le Tribunal note qu’il est regrettable que les pièces soient déposées à la dernière minute, mais juge néanmoins, vu l’absence de contestation, qu’il est opportun de permettre leur dépôt, le tout sous réserve de tout argument que les parties voudront faire quant à la force probante ou convaincante de ces pièces;
[…]
[33] Although the Court finds it objectionable that such amendments are filed after Plaintiffs assured the Court that the matter was ready for hearing and after a full day of arguments, the Court will nevertheless allow these amendments.
[...]
[42] The Plaintiffs all claim to lease or own some of the smartphones listed in the class. The degree of imprecision and the internal inconsistencies in the allegations explaining their legal title are troubling:
[…]
[94] Plaintiffs provide a 99 page document which is inappropriately entitled “Plan of Argument”. It is anything but a plan. It has no logical organization. 246 paragraphs are placed under 37 unnumbered titles. There are many internal contradictions. Plaintiffs regrettably often resort to hyperbole and sarcasm. The work product is very difficult to follow in many respects. The Court will follow the sequence indicated below which provides some semblance of order to this otherwise haphazard assembly of factual and legal premises and conclusions.
[…]
[100] Insofar as the factual premises are concerned, the evidentiary threshold for establishing an arguable case falls “comfortably below” the burden of balance of probabilities. The applicant “must present facts that are specific enough to allow the legal syllogism to be considered”. The Court must “pay particular attention not only to the alleged facts but also to any inferences or presumptions of fact or law that may stem from them and can serve to establish the existence of an arguable case”. That being said, “Bare allegations” are insufficient to meet this threshold. They must “be supplemented by “some evidence” that — “limited though it may be” — must accompany the application in order “to form an arguable case”[6].
[…]
[106] Throughout the proceedings, the Plaintiffs have insisted that they are presenting three syllogisms. The formulation of the three syllogisms has varied throughout the proceedings.
[…]
[109] As a patent example of the unfortunate cut and paste transposition of arguments from the Cohen case to this Application, the Plaintiffs syllogism is formulated as follows:
[…]
[116] It is untenable to argue that the Defendants falsely advertise that they comply with regulatory requirements as regards SAR levels.
[…]
[124] […] DeCicco’s phone was not tested. Also, he does not allege that has felt thermal effects by way of a heating or nervous sensations. The Court is therefore in the exceptional circumstance that Plaintiff has not taken the most elementary step of demonstrating that his phone exceeds maximum SAR values. The Court is of the opinion that it is therefore impossible for him to meet his burden that his phone’s SAR level exceeds 1.6 W/kg.
[125] Syllogism 1 also untenable because DeCicco did not have his iPhone tested. This is therefore a second ground why syllogism #1 is untenable and the burden of demonstration for criteria 575(2) CCP is not met.
[…]
[128] RF Exposure Lab’s tests on the three iPhone 7s were carried out at the behest of a Chicago Tribune journalist. Plaintiffs file as an exhibit the Chicago Tribune Article that summarized the findings. The article states that “the FCC said it would take the rare step of conducting its own testing over the next couple of months”.[7] This begs the question: what were the FCC’s findings. Plaintiffs do not allege what actually occurred, nor are any Chicago Tribune follow-up articles provided. Thus the facts presented are obviously incomplete and the incomplete state of the record should be of great concern to the Court.
[129] The exhibits filed by Apple drawn from the Cohen case however do provide the missing piece. They constitute clear and unequivocal evidence and must be considered by the Court at the Application stage according the Court of Appeal’s teachings in Subways. The Application record would be misleading and manifestly inaccurate if it would contain only to the initial RF Exposure Lab’s result without also presenting the follow-up done by the FCC[8].
[130] Indeed, it is indisputable that the FCC did retest the phones. In its amicus curiae submissions, the FCC explained in detail how it followed up on the Chicago Tribune tests.
[…]
[145] Plaintiffs make a last argument whereby they claim that the entire testing regimen is “phony” because proximity sensors lower the energy emitted during tests. Fraud corrupts everything and therefore no certification can stand.
[146] This argument is untenable. It is precisely the type of bald allegation that cannot meet the burden of demonstration unless supported by “some evidence”.
[147] The phony testing regimen allegations are indeed purely speculative if not gratuitous. There is no allegation that proximity sensors in fact lowered power during the testing
[12] On aura compris des extraits qui précèdent (et dont la liste présentée ici n’est pas exhaustive) que la demande telle qu’elle était formulée, puis formulée de nouveau, puis encore reformulée, exigeait du tribunal un effort de clarification et de synthèse qui ne devrait normalement incomber, du moins a priori, qu’aux avocats en demande. Cet effort a fait défaut ici. Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que le juge ait cru bon de citer certains propos bien connus du juge Kasirer. Il lui emprunte la phrase suivante: « As the honourable judge Nicholas Kasirer wrote when he sat on the Quebec Court of Appeal: “lack of rigour at authorization can indeed weigh down the courts with ill‑conceived claims, creating the perverse outcome that the rules on class actions serve to defeat the very values of access to justice they were designed to champion” »[9].
[13] Parmi les nombreuses prétentions de fait formulées par les Intimés, le juge de première instance n’a tenu pour avérées que celles relatives à une circonstance spécifique et à l’impact potentiel de celle-ci sur la santé des utilisateurs des appareils en litige. Ces utilisateurs, selon ce qu’a considéré le juge, tendent à garder leurs téléphones portables sur leur personne et à en faire usage à une distance de leur corps inférieure à deux millimètres. Or, à cette distance réduite, ces appareils sont susceptibles d’avoir des effets dangereux pour la santé, qu’il s’agisse d’effets thermiques (lesquels seraient préjudiciables au-dessus d’un certain seuil) ou de radiations provoquées par des radiofréquences (lesquelles seraient préjudiciables en soi).
[15] Le juge a par ailleurs écarté toutes les autres réclamations des Intimés, les estimant selon le cas indémontrables ou frivoles, dénuées d’appui dans les faits qu’il devait tenir pour avérés ou dans la preuve qu’ils ont offerte, ou encore contredites par les preuves qu’il a autorisé les Appelantes à verser au dossier. Le juge se tourne ensuite vers la composition du groupe et l’intérêt pour agir des Intimés considérés individuellement. Il conclut à ce sujet que : « … none of the Plaintiffs have the legal interest to institute a claim in damages and Arial and O’Brien have not established their personal interest to claim for punitive damages »[10]. Enfin, après avoir substitué aux 21 questions communes (voire aux 26, comme nous le notons plus loin au paragraphe [57]) que proposaient les Intimés six questions nettement plus ciblées, il énonce le dispositif de son jugement dans lequel le groupe représenté par les Intimés est circonscrit en ces termes : « Toute personne physique résidante ou domiciliée au Québec, qui a, depuis le 11 septembre 2016, acheté ou loué et utilisé un téléphone Apple ou Samsung ».
III. Rappel du cadre à respecter dans l’étude des pourvois
[16] Il paraît indiqué à ce stade de présenter une description synthétique des principes qui doivent guider la Cour lorsqu’elle est saisie de pourvois comme ceux-ci. Nous nous arrêterons sur les limites auxquelles doivent se plier les parties, qui qu’elles soient, dans ce qu’elles peuvent faire valoir devant la Cour.
[17] En premier lieu, les limites dont il sera question ici sont celles communes à toute procédure d’appel. Elles concernent l’objet de l’appel – soit de réformer dans son dispositif un jugement entaché d’une ou de plusieurs erreurs – et concernent aussi ce qu’il faut entendre par une « erreur révisable » par la Cour, qu’il s’agisse d’une erreur de droit, d’une erreur de fait ou d’une erreur mixte de droit et de fait.
[18] En outre, le pourvoi incident s’accompagne en l’occurrence de trois requêtes pour présentation de preuves nouvelles, ce qui appelle quelques observations d’ordre général sur ce à quoi doit servir une requête de ce type. Il conviendra d’ailleurs, et avant toute autre chose, de statuer sur ces requêtes.
[19] En second lieu, on constate que les appels principaux partagent certaines caractéristiques avec l’appel incident en raison du fait que les uns et l’autre visent un jugement sur une demande d’autorisation d’une action collective. Il résulte de ce fait, c’est-à-dire de l’objet précis des appels en cours, un certain nombre de contraintes additionnelles et inhérentes à un pourvoi de ce genre. Ces contraintes peuvent amener la Cour à atténuer le poids à donner à certains des arguments que l’on pourrait formuler ailleurs contre un jugement porté en appel.
A. Les caractéristiques propres à l’appel
[20] Considérons donc en premier lieu les principes pertinents dans le traitement de tous les pourvois entendus par la Cour et qui la guident pour décider s’il y a lieu pour elle d’intervenir.
[21] Les parties en présence dans un pourvoi, quel qu’il soit, doivent se plier à de strictes exigences sur ce qu’elles peuvent faire valoir devant la Cour. Ce sont les limites que leur impose déjà, et en tant que telle, la procédure de l’appel. Celui-ci, rappelons-le une fois de plus avec insistance, n’est pas l’occasion de recommencer le procès entendu en première instance, que ce soit en tout ou en partie – et le but d’un procès n’est pas de servir de simple répétition générale en vue d’un éventuel pourvoi. L’appel est en quelque sorte le procès du jugement rendu en première instance, ainsi que de la procédure dont ce jugement est issu. En ce sens, la partie appelante doit démontrer, pour avoir gain de cause, ce en quoi le jugement ou la procédure qui l’a précédé est affecté d’une ou de plusieurs déficiences qui justifient l’intervention de la Cour d’appel. Elle doit donc identifier aussi intelligiblement que possible les erreurs de droit (y compris, le cas échéant, celles qui auraient engendré un vice de procédure), ainsi que les erreurs de fait qu’elle entend invoquer contre le jugement. Une caractéristique fondamentale de la procédure d’appel est que l’évaluation de ces prétentions doit se faire à la lumière du dossier tel qu’il était constitué en première instance. De cela découle un facteur dont il sera question plus loin, c’est-à-dire le caractère exceptionnel de l’introduction d’une preuve nouvelle en appel[11].
[22] Une erreur de droit doit être déterminante en un sens précis. Il doit s’agir d’une erreur dont la correction se traduira par une modification du dispositif du jugement entrepris en raison de sa réformation en appel. Cela, en principe, n’est jamais le cas d’une erreur dénuée d’impact sur le dispositif d’un jugement et donc sur l’issue du procès[12]. Quant à l’erreur de fait, elle ne justifie la réformation du jugement que si la partie appelante parvient à démontrer qu’outre son caractère « déterminant », ou « dominant », cette erreur est aussi « manifeste » ou évidente – une jurisprudence unanime et très abondante illustre bien la chose[13]. On rejoint ici l’erreur de droit, car, comme cette dernière, l’erreur de fait n’entraîne la cassation d’un jugement porté en appel que s’il est nécessaire pour la corriger efficacement de modifier le dispositif de ce jugement.
[23] Venons-en maintenant aux principes applicables en présence d’une demande de production d’une preuve nouvelle. Ces principes valent, quelle que soit la nature de l’appel en cause.
[24] Les requêtes pour preuve nouvelle tombent sous le coup de l’art.
380. La Cour d’appel peut autoriser la présentation par une partie d’une preuve nouvelle indispensable après avoir donné l’occasion aux parties de soumettre leurs observations. | 380. The Court of Appeal may authorize a party to present indispensable new evidence after giving the parties an opportunity to make representations. |
Le mot « indispensable » a fait couler beaucoup d’encre dans la jurisprudence. Lorsqu’il qualifie une chose, ce terme signifie, au sens premier qu’attestent tous les dictionnaires courants, une chose « dont on ne peut se passer », ou encore « qui est absolument nécessaire »[14]. Mais nécessaire pour quoi? Nécessaire seulement et strictement aux fins de l’appel, pour bien servir la finalité de celui-ci.
[25] La notion n’est d’ailleurs pas d’apparition récente, on la retrouvait déjà dans l’art.
[26] La jurisprudence est revenue de nombreuses fois sur cette règle, qui de longue date est inscrite dans le droit commun et qu’on associe souvent à l’arrêt Palmer c. R.[15] (« Palmer ») auquel faisait encore écho le récent arrêt Barendregt c. Grebliunas[16] (« Barendregt »). Plusieurs autres arrêts récents confirment la stabilité du droit positif sur ce plan. Ainsi, on voit à la lecture de l’arrêt Benoît c. Groupe CRH Canada inc.[17] (« Groupe CRH ») que les conditions qui suivent demeurent en place : (i) la preuve proposée doit découler de circonstances exceptionnelles appréciées au cas par cas[18], (ii) elle doit être nouvelle, soit parce qu’elle n’était pas disponible plus tôt, soit parce qu’elle ne pouvait être obtenue en temps utile en faisant preuve d’une diligence raisonnable, (iii) elle doit être susceptible d’aider la Cour à élucider les faits en litige en jetant sur ceux-ci un éclairage différent de celui dont a bénéficié le juge de première instance, et (iv) les fins de la justice exigent qu’elle soit considérée.
[27] D’autres observations dans le sillage de celles qui précèdent sont venues ajouter qu’il importe aussi (v) que cette preuve soit pertinente (cela devrait aller de soi), mais plus spécifiquement qu’elle soit pertinente sur une question décisive dans le litige, (vi) que la preuve en question soit vraisemblable ou plausible, de sorte que l’on puisse raisonnablement y ajouter foi, et, dernière clarification importante, (vii) que, reçue au procès, cette preuve aurait pu influer sur le résultat du litige.
[28] De toute évidence, certaines de ces clarifications, ainsi que les conditions précédemment énoncées dans l’arrêt Groupe CRH, se compénètrent puisque quelques-unes ne sont en réalité que les corollaires de quelques autres. Ainsi, on peut sans peine inférer que les éléments (v), (vi) et (vii) étayaient l’élément (iv). Il en serait de même, par exemple, de l’élément (ii) par rapport à l’élément (iv) : en effet, il serait contraire aux intérêts comme aux fins de la justice, et injuste envers la partie confrontée à une preuve nouvelle en appel, que cette preuve ait été connue de son adversaire au moment du procès, qu’elle ait été disponible pour lui à l’époque, ou que la requête pour preuve nouvelle soit la conséquence directe du manque de diligence de cet adversaire dans la préparation de son dossier en première instance.
[29] Enfin, la preuve nouvelle ne doit pas avoir pour unique effet de raffermir ou de consolider la preuve déjà versée au dossier. Ainsi, la Cour écrivait dans l’arrêt Droit de la famille — 171068[19] :
[11] Pour être qualifiée d’indispensable et pour que les fins de la justice en requièrent la production au dossier, la preuve proposée doit être susceptible de peser sur l’issue du litige et d’entraîner un résultat différent. Elle ne doit pas simplement renforcer le point de vue de la partie qui demande à la produire « sans pour autant qu’elle devienne l’assise d’une intervention ».
[…]
[13] Le seul objectif de l’intimée est « de confirmer ou de renforcer ce qui a déjà été plaidé en première instance » avec succès, soit que l’appelant cache de l’information et qu’il faut accorder peu de fiabilité (voire très peu ou même aucune) à ses propos.
[30] Ces observations sont à rapprocher de celles de la juge Karakatsanis, auteure des motifs majoritaires dans l’arrêt Barendregt, où elle commentait le premier critère de l’arrêt Palmer. La juge Karakatsanis écrivait à ce sujet[20] (nous soulignons) : « Il oblige les parties à prendre toutes les mesures raisonnables pour présenter leur meilleure preuve au procès. Cela garantit le caractère définitif et le déroulement ordonné des procédures judiciaires. » Comme nous le notions plus haut, le procès n’est pas une répétition générale en vue de savoir où bonifier sa preuve lors d’un prochain appel.
B. Les caractéristiques propres à l’autorisation d’une action collective
[31] En second lieu, tournons-nous vers certaines caractéristiques que partagent les appels principaux et l’appel incident. Les uns comme l’autre attaquent, bien que ce soit évidemment sous des angles différents, un jugement qui statue sur une demande d’autorisation d’exercer une action collective. En l’espèce, comme on l’a vu, ce jugement permet en partie l’exercice de l’action et refuse l’autorisation pour le reste.
[32] Il est acquis depuis fort longtemps que la procédure d’une action collective comporte trois étapes. N’est en jeu ici que la première de ces trois étapes, l’autorisation initiale. Reprenons donc pour mémoire la disposition qui fixe les conditions auxquelles le tribunal autorisera l’exercice d’une action collective :
575. Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que :
1° les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;
2° les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;
3° la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance;
4° le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres. | 575. The court authorizes the class action and appoints the class member it designates as representative plaintiff if it is of the opinion that
(1) the claims of the members of the class raise identical, similar or related issues of law or fact;
(2) the facts alleged appear to justify the conclusions sought;
(3) the composition of the class makes it difficult or impracticable to apply the rules for mandates to take part in judicial proceedings on behalf of others or for consolidation of proceedings; and
(4) the class member appointed as representative plaintiff is in a position to properly represent the class members. |
Les appels principaux et l’appel incident ne se recoupent que sur un aspect seulement de cette disposition, soit ce que requiert son deuxième paragraphe.
[33] En application du paragraphe 2°, le juge de première instance doit décider si ce qui est allégué paraît justifier les conclusions recherchées – on est ici dans le domaine des apparences, et il est dans la nature des choses que celles-ci soient parfois trompeuses. Il s’agit donc pour le juge, simplement et uniquement, d’évaluer si la partie qui demande une telle autorisation présente une cause défendable eu égard aux faits et au droit applicable[21]. Il n’est pas question à ce stade d’une cause dont on pourrait croire qu’elle est promise, selon toute probabilité, à une victoire au fond. En outre, au stade de l’autorisation, une jurisprudence constante enseigne que, sous réserve des quelques nuances abordées ci-dessous, les faits allégués doivent être tenus pour avérés[22]. Et il est évident qu’à ce stade préliminaire, aucune question en litige n’est encore vidée.
[34] À moins d’allégations frivoles, manifestement mal fondées ou insoutenables de la part de la partie demanderesse, d’une proposition de droit clairement erronée de sa part, ou d’un vice de logique indiscutable dans le ou les syllogismes qu’elle entend faire valoir, la jurisprudence penche très nettement en faveur d’une autorisation[23]. On dérogera cependant à ce principe si les allégations de la demande sont « vagues », « générales » ou « imprécises », et que de ce fait « elles se rapprochent nécessairement davantage de l’opinion ou de l’hypothèse »[24] – auquel cas on s’abstiendra de les tenir pour avérées. De telles allégations, bien que suspectes, pourront cependant « être complétées par une "certaine preuve" qui – "aussi limitée qu’elle puisse être" – doit accompagner la demande afin d’établir une cause défendable »[25]. Le récent arrêt Homsy c. Google[26] fait état de l’évolution de la jurisprudence en la matière et cette évolution corrobore le commentaire précédent, à savoir que « la jurisprudence penche très nettement en faveur d’une autorisation ».
[35] Il y a bien sûr une zone grise entre, d’un côté, des allégations vagues, générales ou imprécises et, de l’autre, des allégations frivoles, manifestement mal fondées ou insoutenables. Pour l’essentiel, départager les unes et les autres afin d’écarter celles qui sont frivoles, ou exiger une preuve au soutien de celles qui sont vagues constitue une question de fait ou une question mixte de fait et de droit. Exceptionnellement et à la rigueur, une question pourra être qualifiée de question de droit lorsque, par exemple, le tribunal conclut qu’une prétention est imprécise, ou qu’elle est manifestement mal fondée, à partir d’une prémisse juridique dont la fausseté est démontrable. Mais dans la plupart des cas, comme en l’espèce, il s’agira de questions de fait. L’appréciation qu’en donne le juge de première instance ne sera donc infirmée qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante.
[36] Ces éléments se rangent parmi ceux dont il doit être tenu compte quand un pourvoi vise un jugement qui statue sur une demande d’exercer une action collective et qui accorde ou refuse la permission de le faire.
IV. Fond des requêtes et des pourvois
A. Les requêtes pour preuve nouvelle
[37] Revenons brièvement sur la notion de preuve nouvelle et indispensable, à la lumière du jugement entrepris.
[38] Premièrement, la preuve doit être « nouvelle ». Il y a là matière à appréciation, en particulier lorsque la preuve existait déjà avant le procès. Souvent, la question de savoir si cette preuve est véritablement nouvelle se confond avec celle de savoir si la partie qui souhaite l’introduire en appel a été raisonnablement diligente dans la préparation du procès ainsi que dans sa recherche des preuves alors existantes et pertinentes à sa cause.
[39] Mais, deuxièmement, il ne suffit pas que cette preuve soit nouvelle, elle doit aussi être « indispensable ». À première vue, elle doit pouvoir justifier en tout ou en partie la réformation par la Cour d’appel du jugement entrepris. Cela peut s’entendre du résultat final du procès lui-même ou encore de la résolution d’une question en litige suffisamment importante pour se répercuter sur le contenu du dispositif du jugement.
[40] Sous une forme idéale, cette preuve « indispensable » pourrait se comparer à une flèche ou à un projectile qui, du premier coup, atteint la cible en son centre et de plein fouet. Une situation de ce genre peut garantir la victoire d’un archer ou d’un tireur qui en affronte d’autres dans un concours de tir. Mais un adversaire peut aussi atteindre par la suite le centre de la cible, auquel cas il y aura match nul. Dans le cas d’un pourvoi en appel, l’adversaire peut à son tour et avec l’autorisation de la Cour offrir une preuve qui réfutera la preuve nouvelle déjà acceptée. Dans ce dernier cas, les règles d’attribution du fardeau de la preuve entreront en jeu et pourront, le cas échéant, prédéterminer l’issue de l’appel ou la résolution de la question débattue.
[41] Bien entendu, ce ne sont pas toutes les preuves nouvelles qui s’avèrent aussi efficaces que la flèche ou le projectile dans la métaphore qui précède. Mais, à mesure que l’on s’éloigne de l’archétype illustré par cet exemple, la probabilité qu’une preuve se qualifie comme preuve nouvelle admissible en appel disparaît rapidement. Et il ne peut en aucun cas s’agir pour la partie requérante de se ménager une occasion de mettre à jour son dossier ou de renforcer, en quelque sorte au moyen d’une couche additionnelle de la même teinte, la preuve qu’elle a déjà administrée en première instance.
[42] En l’occurrence, c’est précisément ce que les Intimés tentent de faire. Au moyen de trois requêtes pour preuve nouvelle, ils cherchent à ajouter au dossier quatorze éléments de preuve qui, par couches successives, serviraient à consolider, mais sans jamais être le moindrement concluants, certaines des allégations de la demande contestée par les appels principaux. Ce sont toutes des allégations qui, d’une façon ou d’une autre, étayent la proposition hypothétique d’un danger pour la santé non reconnu par les autorités réglementaires et que les Appelantes auraient dissimulé ou ignoré à dessein.
[43] Notons tout d’abord qu’aucune de ces preuves ne comble la lacune fatale dont souffre l’action des Intimés, une lacune relevée par le juge de première instance, puis réitérée par lui en plusieurs endroits dans ses motifs[27]. Pour la combler, il aurait d’ailleurs déjà fallu alléguer la chose. En l’absence de toute allégation d’un préjudice corporel subi par eux personnellement et individuellement, les Intimés ne peuvent réclamer de dommages-intérêts sous ce chef. Et surtout, comme le note le juge après avoir cité avec raison l’arrêt Imperial Tobacco ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé[28] (nous soulignons), « … injury itself cannot be inferred from epidemiological studies. It must be proven. In the context of the Application, it must be alleged. » Un examen sommaire des quatorze « preuves nouvelles » invoquées par les Intimés démontre qu’elles ne valent rien de tel et qu’on ne peut inférer de ces « preuves » une allégation, même implicite, mais le moindrement ferme, d’un préjudice pour la santé des Intimés eux-mêmes, ni du reste pour un seul d’entre eux ou de qui que ce soit d’autre.
[44] Poussant plus loin l’analyse, se serait donc posée en premier lieu la question du caractère nouveau des preuves en question. Or, ici, quelques-unes d’entre elles existaient déjà, et parfois depuis longtemps, au moment de l’audition en première instance.
[45] Certes, on peut admettre que, dans une action collective où la cause d’action paraît d’une envergure importante[29] et soulève de nombreuses et délicates questions, notamment d’ordre scientifique, des informations utiles à la cause pourront n’être venues que tardivement à la connaissance des parties, en demande comme en défense. Aussi une certaine flexibilité est-elle de mise dans l’application de ce critère, surtout si ces parties s’expliquent de manière satisfaisante sur les raisons de l’absence des informations en question dans le dossier de première instance et sur celles de leur retard à les colliger. En revanche, faire diligence dans la préparation d’une action collective de grande envergure peut requérir des parties en présence un degré accru de préparation, laquelle doit être systématique et soignée. Cela suppose beaucoup plus, en tout cas, que l’alignement d’hypothèses indémontrées et dont on sait qu’elles demeurent fortement controversées là où on en connaît l’existence. Il y a donc du pour et du contre, et matière à appréciation, pour décider d’admettre ou de rejeter des preuves qui, à strictement parler, ne sont pas chronologiquement nouvelles, mais qui ont pu légitimement échapper à la vigilance des parties, dans une affaire de grande portée.
[46] Quoi qu’il en soit, en l’espèce, ce n’est pas la « nouveauté » ou non de la preuve qui est déterminante. D’autres considérations permettent de trancher sans hésitation le sort des requêtes des Intimés. Pour les raisons qui suivent, il ne saurait être question de qualifier d’indispensables les preuves en cause. On est très loin, ici, du projectile qui atteint le centre de la cible du premier coup. Examinons-les de plus près, en sachant que l’audience en première instance se situait les 31 mars et 1er avril 2022 et que l’appel fut entendu, rappelons-le, le 15 décembre 2023.
[47] Une première requête, datée du 13 juillet 2023, rassemble une documentation imprimée de 244 pages à titre de preuve nouvelle. Elle comprend les documents dont une description sommaire suit, dans l’ordre où ils sont présentés.
P-3B. Transcription et traduction française d’une émission de télévision, Marketplace, diffusée en mars 2017 par le réseau CBC. Sous forme de documentaire, elle fait état de nouveaux travaux scientifiques allant dans le sens de certaines allégations de la demande.
P-36. Article de J.C. Lin paru dans le magazine IEEE Microwave Magazine en juin 2023, intitulé « RF Health Safety Limits and Recommendations ». L’auteur écrit notamment : « Based on the published discussion accompanying the standards, it is hard not to suspect a scepticism of positive results, along with an equal tendency toward less critical acceptance of negative findings.».
P-36B. Curriculum vitae du Pr James Lin (auteur de l’article précédent), Professeur émérite au Department of Electrical and Computer Engineering, University of Illinois. Une liste de ses publications, qualifiée de sélective par lui, énumère 781 titres.
P-37. Rapport de l’International Commission on the Biological Effects of Electromagnetic Fields paru dans Environmental Health en 2022 (sans autre précision quant à la date de parution) intitulé « Scientific evidence invalidates health assumptions underlying the FCC [il s’agit de la Federal Communication Commission] and ICNIRP [il s’agit de l’International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection] exposure limit determinations for radiofrequency radiations : implications for 5G ».
P-38. Article collectif de 13 auteurs paru dans la revue International Journal of Environmental Research and Public Health en 2022 (sans autre précision quant à la date de parution) intitulé « Cell Phone Radiation Exposure Limits and Engineering Solutions ».
P-14C(v). Copie d’un texte de quatre pages publié sur un site Internet en décembre 2020, intitulé « [Last minute] Phonegate : the safety factor of 50 for local SARs never existed! », sans plus de précision quant à sa provenance.
P-41. Copie d’un imprimé provenant apparemment de l’Appelante Apple, présenté par les Intimés en ces termes : « IPhone 3G "Important Product Information Guide" User-Manual-112098 © 2009 Apple inc. ».
[48] Une deuxième requête, datée du 6 septembre 2023, rassemble une documentation imprimée de 426 pages. Elle comprend les documents dont une description sommaire suit :
P-47. Copie d’un texte de trois pages paru en août 2023 sur le site Internet du Conway Daily Sun, une publication à North Conway, New Hampshire, où le professeur émérite Kent Chamberlin, ancien membre d’une commission d’enquête du New Hampshire, décrit comment il a changé d’avis sur les effets préjudiciables pour la santé des conditions d’utilisation des téléphones portables.
P-48. Transcription d’une entrevue donnée par le Pr Chamberlin où il élabore sur le contenu déjà évoqué dans la pièce P-47.
P-49. Rapport final daté du 1er novembre 2020 de la Commission to Study the Environmental and Health Effects of Evolving 5G Technology du New Hampshire, organisme dont faisait partie le Pr Chamberlin. Le rapport contient diverses recommandations dont l’une prévoit que tous les téléphones portables devraient être équipés d’un logiciel et de senseurs interrompant les radiations lorsque l’appareil est trop près du corps.
[49] La troisième requête, datée du 9 mai 2024, concerne quatre pièces, non cotées par les Intimés, mais auxquelles les Appelantes ont attribué les cotes de P-50 à P-53. Elles consistent en 13 pages détaillées comme suit :
P-50. Copie d’un document de deux pages publié sur Internet et daté du 22 avril 2024. Le titre du document en révèle la teneur : « Environmental Health Trust Reveals Concealed FCC [Federal Communications Commission] Cell Phone Tests Showing Human Radiation "Exposure Limits Were Exceeded" ».
P-51. Un tableau confidentiel et interne de la FCC confirmant certaines données sur lesquelles se fonde la pièce P-50.
P-52.Une capture d’écran d’un tableau émanant de la FCC, effectuée par le Environmental Health Trust et corroborant les pièces P-50 et P-51.
P-53. Une lettre d’un fonctionnaire de la FCC, adressée à la directrice exécutive du Environmental Health Trust, répondant à une demande formulée par le Trust en vertu du Freedom of Information Act américain et établissant la provenance de la pièce P-52. Un court texte de la même directrice l’accompagne.
[50] Rien dans ces éléments d’information offerts comme des preuves nouvelles ne permet de croire que la documentation en question aurait pu affecter la décision du tribunal en première instance. Le juge a rejeté la demande de dommages compensatoires pour cause d’absence de préjudice allégué, sans nier que la prétention d’un danger pour la santé puisse être tenue pour vraie et en tenant pour avérée la proposition que les utilisateurs de téléphones portables les portent sur eux à deux millimètres ou moins de distance de leur corps.
[51] Contrairement à ce que prétendent les Intimés, ces éléments d’information, s’ils se qualifiaient comme preuves nouvelles, concerneraient les appels principaux beaucoup plus que l’appel incident. Par ailleurs, il n’est pas impossible que certains de ces éléments puissent être versés en preuve lors du procès au fond, surtout si les Appelantes nient les faits qui y sont relatés ou l’existence d’une controverse scientifique sérieuse sur les effets nuisibles pour la santé de l’utilisation de téléphones portables manufacturés par elles – quitte alors à ce qu’elles introduisent à leur tour des preuves démontrant la fragilité de ces dernières propositions. Et il reviendra au juge saisi du fond de décider de leur recevabilité.
B. Les pourvois principaux et le pourvoi incident
[52] Arrêtons-nous d’abord sur les pourvois principaux.
[53] Les prétentions des Appelantes dans leurs appels respectifs se jouxtent et elles se recoupent assez étroitement sur la question des dommages-intérêts punitifs. Nous sommes, ne l’oublions pas, au stade de l’autorisation.
[54] Apple s’en prend d’abord au fait qu’en autorisant l’action collective, le juge a fait de cette procédure l’équivalent d’une commission d’enquête. Elle formule ce motif d’appel comme ceci : « The Judge made a decisive error in authorizing a commission of inquiry into RF energy and cell phones, and asking a court to replace the legislator and regulator is a decisive error. ». Cette prétention, dans le contexte particulier de ce recours-ci, est sans fondement.
[55] Il est exact qu’on doit se garder de confondre la finalité d’une action collective avec celle d’une commission d’enquête. Tout récemment encore, la juge Bich, rédigeant les motifs de la Cour, écrivait ce qui suit dans l’arrêt Tessier c. Economical, compagnie mutuelle d’assurance[30] et confirmait pour une raison autre que celle dont il est question ici le refus d’autoriser une action collective :
[79] Selon les intimées, le recours que l’appelant souhaite leur intenter a tout d’une commission d’enquête, ce qui n’est pas le rôle de ce véhicule procédural qu’est l’action collective. Elles n’ont pas tort et je serais moi-même tentée de voir dans l’action qu’envisage l’appelant une vaste « expédition de pêche », qui servirait à établir le fondement d’une réclamation qui en est dépourvue. Or, les actions collectives, pas plus que les actions individuelles, n’ont cette vocation et ne peuvent être autorisées à cette fin. Même en appliquant l’art.
[56] Cela dit, lorsque les conditions et composantes habituelles d’un recours civil sont réunies (telles la faute, la causalité et le préjudice), le fait qu’une action collective puisse entraîner des conséquences au-delà des parties en cause ne l’empêchera pas de procéder. Nombreuses d’ailleurs sont celles, comme le recours collectif dans le dossier du tabac[31], qui par leur exemplarité ont eu un impact appréciable sur les pratiques d’une industrie ou d’un secteur économique. Si ce que plaident ici les Intimés s’avérait fondé – cela reste évidemment à démontrer – il est à prévoir que le jugement provoquera une remise en question de diverses façons de faire aujourd’hui jugées normales. Néanmoins, la seule question actuellement pertinente est celle de savoir si la demande d’exercer l’action se conforme à l’art.
[58] Apple fait aussi reproche au juge de première instance d’avoir tenu pour fondées (i) la prétention selon laquelle à deux millimètres du tissu humain, le débit d’absorption spécifique (SAR ou specific absorption rate) excède la limite de 1,6 W/kg pour un gramme de tissu humain, et (ii) la prétention selon laquelle cet excédent crée un risque ou un danger pour la santé. Elle lui reproche également d’avoir autorisé une action collective pour l’obtention de dommages-intérêts punitifs, alors que rien ne démontre de sa part une conduite répréhensible de nature à justifier de tels dommages. Elle ajoute que, par ailleurs, les Intimés n’en ont pas réclamés dans la dernière version de leur procédure.
[60] Pour ce qui est des conclusions sur la toxicité potentielle de l’utilisation des téléphones portables, le juge s’exprime en plusieurs endroits à ce sujet, et notamment aux paragraphes 14 et 189 de ses motifs. Or, il est patent que la question qu’il s’emploie à trancher est la bonne question : « … the Court finds that it is tenable to argue that… ». Nul doute que, lors d’un procès en bonne et due forme et au fond, ces prétentions « défendables » pourraient se révéler sans assise prépondérante dans la preuve et s’écrouler. Mais le juge avait devant lui suffisamment d’éléments probants pour conclure comme il le fait. Mentionnons les sources suivantes, parmi d’autres :
l’article des auteurs Hardell et Carlberg paru en 2019 dans le International Journal of Oncology (une revue scientifique de référence avec comité de lecture) et intitulé « Comments on the US National Toxicology Program technical report on toxicology and carcinogenesis study in rats exposed to whole-body radiofrequency radiation at 900 MHz and in mice exposed to whole-body radiofrequency radiation at 1,900 MHZ »;
la déclaration assermentée de Magda Havas, professeure émérite de toxicologie environnementale à l’Université Trent, à la fois explicite sur les risques et les dangers des radiofréquences et des radiations par microondes, et extrêmement bien documentée;
l’enquête menée par le Chicago Tribune et publiée dans ce quotidien le 22 août 2019;
l’enquête menée par l’émission Marketplace du réseau CBC, diffusée en mars 2017;
l’étude commanditée en 2017 et en France par l’Agence nationale des fréquences;
l’étude commanditée en 2017 et en France par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, et intitulée « Effets sanitaires éventuels liés aux valeurs élevées de débit d’absorption spécifique de téléphones mobiles portés près du corps ».
[61] Décider si ces sources, à ce stade de la procédure, permettent de conclure que la thèse des Intimés est défendable ou soutenable, consiste à trancher une question de fait. Cela devrait être d’une aveuglante évidence. En l’absence d’une erreur du type de celles envisagées au paragraphe [22] ci-dessus, il ne saurait être question d’infirmer cette conclusion, et cela même si le juge l’exprime en des termes qui ne sont pas exactement les mêmes que ceux dans lesquels les Appelantes choisissent de poser le problème. Si, comme c’est pratiquement inévitable, la question continue de se poser, c’est au fond, en présence d’une preuve contrastée et contradictoire, venant des Appelantes comme des Intimés, qu’on pourra la vider en toute connaissance de cause.
[62] En ce qui concerne les dommages-intérêts punitifs, le juge souligne en quelques endroits que les procédures des Intimés ne laissent aucun doute quant à leur volonté d’en obtenir. Il note que leurs dernières conclusions « inadvertently omitted »[32] (« an oversight »[33]) de le réitérer, mais ils y ont droit[34] et les ont réclamés dans une version antérieure de leur demande d’autorisation que reproduit le juge dans ses motifs[35]. Vu notamment les arrêts De Montigny c. Brossard[36] et, plus récemment, Richard c. Time inc.[37] (« Time »), il est superflu de refaire l’analyse du juge de première instance puisque, dans l’état actuel du droit positif, qui reconnaît un droit autonome et distinct de demander des dommages-intérêts punitifs, elle ne comporte aucune erreur sur ce point.
[63] Rappelons pour mémoire que cet arrêt Time contient de nombreuses indications et clarifications utiles dans l’évaluation d’une demande de dommages-intérêts punitifs. Leur octroi en droit civil, contrairement au régime de common law, ne requiert pas l’existence de mauvaise foi ou de malice de la part du débiteur[38], bien que mauvaise foi ou malice puissent assurément justifier un tel octroi. Ces dommages-intérêts visent les « comportements non souhaitables »[39], c’est-à-dire « d’ignorance, d’insouciance ou de négligence sérieuse »[40] à l’égard des droits et des obligations respectifs des parties et au regard, notamment, de la Loi sur la protection du consommateur[41]. Entre autres objectifs de cette loi, les dommages-intérêts punitifs servent à remédier à la « vulnérabilité informationnelle »[42] du consommateur. En outre, pour statuer sur une demande de dommages-intérêts punitifs, il faut procéder à une « analyse globale du comportement du commerçant »[43]. En effet, précise la Cour suprême, « [l]e tribunal doit […] étudier l’ensemble du comportement du commerçant lors de la violation et après celle-ci avant d’accorder des dommages-intérêts punitifs »[44]. Les éléments d’information à partir desquels le juge, ici, devait statuer, justifiaient amplement, à ce stade du litige, ses conclusions sur les dommages-intérêts punitifs. Le débat reste entièrement à faire sur l’octroi en l’espèce de tels dommages-intérêts et, le cas échant, sur un quantum approprié dans les circonstances.
[64] Les appels des Appelantes doivent donc être rejetés.
[65] Venons-en à l’appel incident.
[66] Une première chose frappe dès que l’on consulte le mémoire des Intimés.
[67] On a déjà vu qu’avant d’autoriser l’action collective des Intimés, le juge en avait réduit la portée à des proportions plus congrues pour une procédure de ce genre. En appel, les Intimés reviennent à la charge comme si de rien n’était. Ainsi, on l’a mentionné plus haut au paragraphe [57], 21 questions communes se trouvaient identifiées dans la procédure ré-réamendée des Intimés. Après avoir observé : « [m]ost of these questions are inappropriate and they are not presented in a logical order », le juge leur a substitué six questions nettement plus concises. Dans les conclusions de leur pourvoi, les Intimés proposent 20 questions qui reprennent presque intégralement celles de leur procédure ré-réamendée en première instance.
[68] La Cour supérieure était invitée à prononcer 25 conclusions dans la demande ré-réamendée des Intimés. Le jugement dont appel en énonce quatre en les reformulant de manière à la fois synthétique et claire. Le mémoire de l’appel incident des Intimés se termine par les 25 conclusions toujours demandées et qui, ici encore, sont le très fidèle reflet des conclusions souhaitées en première instance.
[69] Il est difficile dans ces conditions de ne pas penser qu’en se présentant devant la Cour d’appel, les Intimés veulent recommencer le procès. Leur donner raison sur toute la ligne signifierait que celui-ci aura eu pour seule utilité de servir de répétition générale en vue de l’appel. Une répétition générale qui, aux dires des Intimés, serait aussi inutile pour solder le litige entre les parties. C’est se méprendre gravement sur la finalité d’un procès.
[70] Si pourtant l’on s’arrête sur les prétentions des Appelantes, on voit qu’elles sont au nombre de cinq :
Issue A. Did the Judge make a decisive error by confounding certification with compliance?
Il est difficile de suivre les Intimés dans leur argumentation sous ce chef, d’autant que, comme le souligne l’une des Appelantes, certains documents à l’appui de cette prétention « have not been filed in the appeal record ».
[71] Cela dit, les Intimés citent une abondante jurisprudence, souvent très ancienne, allant de 1902 à 2013, qui pose que la conformité avec des exigences réglementaires (ici, celles qui régissent les certificats d’approbation des appareils) et l’absence de faute civile sont des notions bien distinctes. Elles le sont, en effet, bien que, selon les circonstances, elles puissent se chevaucher, l’absence de faute coïncidant alors avec la conformité réglementaire, et inversement. Néanmoins, rien dans les questions formulées par le juge au paragraphe 239 de ses motifs ne fait obstacle, de quelque façon que ce soit, à ce que les Intimés démontrent au fond ce qu’ils affirment dans leur procédure. En d’autres termes, ils peuvent tenter de prouver que les Appelantes, en connaissance de cause, n’ont pas tenu compte dans leurs activités manufacturières, commerciales ou publicitaires d’un risque perceptible et sérieux pour la santé des usagers, reconnus ailleurs que dans la réglementation par une source fiable.
[72] La deuxième prétention des Intimés dans leur mémoire se détaille comme suit :
Issue B. Did the Judge make a decisive temporal error as concerns the deployment of proximity sensors during SAR testing?
[73] Il s’agit là d’une question de fait. Les Intimés affirment que la compréhension du juge sur ce point était erronée. Les Appelantes ne partagent pas cet avis et répondent, respectivement, ce qui suit :
Plaintiffs speculate that because the IEEE (Institute of Electrical and Electronics Engineer) provides specific instructions on how to test with proximity sensors (which lower the energy emitted by phones), the tests carried out by Defendants must use sensors to defeat SAR measuring and thus their statements of testing at maximum power must be false. The judge rightly characterized this type of speculation as gratuitous and wholly unsupported.
[…]
Any and all arguments by Plaintiffs with respect to proximity sensors, designed to reduce power when the phone is in close proximity to a person so as to limit specific absorption rate (SAR), including any arguments that the entire testing regimen is “phony” and that “fraud corrupts everything”, is pure fabrication. There are absolutely no facts supporting those bold statements. […] Not only is there no evidence regarding any use of proximity sensors by Defendants, but even if there was, there is absolutely no evidence supporting the frivolous claim that proximity sensors are used by Samsung to cheat the testing standards.
S’agissant d’une question de fait, les Intimés doivent « montrer du doigt »[45] où se situe la source de l’erreur manifeste et déterminante commise en première instance. Ils ne font rien de tel ici.
[74] La prétention des Intimés qui suit celle qui précède est formulée par eux en ces termes :
Issue C. Did the Judge err in failing to conclude the waves are controlled by manufacturer Defendants and should he have recognized compensatory damages for loss of use?
La disposition de la loi qu’invoquent les Intimés sous ce chef est l’art.
[75] Voici en quels termes le juge traite dans ses motifs de cette prétention, qu’il qualifie de « untenable on its face » :
[158] Plaintiffs suggest that the phone manufacturers are custodian of the thing,[46] namely the waves[47], and can be held responsible for the autonomous act of the thing, i.e. RF radiation exposure. This is simply wrong. Plaintiffs are custodian of the phones. Assuming it is true that RF exposure can cause damages, RF radiation exposure will stop as soon as Plaintiffs shut their phones off, regardless of what Samsung and Apple do. Art.
[76] La réponse à la question de savoir si les Appelantes sont « gardiennes » des téléphones portables en possession de tiers utilisateurs, ou sont « gardiennes » des ondes qu’ils émettent, paraît s’imposer à l’esprit. Cette réponse doit être négative, et cela est d’autant plus clair que les Intimés individuellement n’allèguent aucun « préjudice » indemnisable, seulement la possibilité, hypothétique, que les radiations par radiofréquence puissent causer un éventuel préjudice à la santé.
[77] Les Intimés font ensuite valoir ce qui suit :
Issue D. Did the Judge make a decisive error by not awarding compensatory & moral damages pursuant to […] the Consumer Protection Act, the Civil Code and the Charter?
En ce qui concerne les dommages compensatoires pour préjudice corporel, en l’absence d’allégation d’un préjudice, la conclusion du juge paraît irréprochable et inéluctabble: il est constant qu’en l’absence d’un recours personnel en faveur du ou des représentants, l’autorisation doit être refusée[48], ce qui fut le cas ici à l’égard de cette demande de dommages.
[78] En ce qui concerne, cependant, les dommages pour préjudice matériel ou patrimonial, la solution aurait pu être différente. On ne peut exclure à ce stade que les trois premières questions communes identifiées par le juge puissent, à la rigueur, recevoir des réponses positives. Et en présence d’une preuve prépondérante de préjudice matériel individualisé, l’on pourrait justifier pour cette raison un dédommagement pour la perte d’usage de l’appareil.
[79] Il se trouve par ailleurs que les Intimés ont plusieurs fois allégué dans leurs procédures (y compris dans leurs questions communes) des faits assimilables à un préjudice matériel. Et l’on sait que de tels faits donnent prise à la présomption d’erreur découlant d’une représentation fausse, incomplète ou trompeuse illustrée dans l’arrêt Time. Le raisonnement du juge de première instance sur l’application en l’occurrence de dommages punitifs pourrait donc valoir tout aussi bien pour des dommages compensatoires de ce type précis, c’est-à-dire pour le préjudice matériel ou patrimonial éprouvé par les membres du groupe. Si, par mégarde (« oversight »), les Intimés ont omis de mentionner les premiers dans les conclusions de la dernière version de leur procédure, avoir réclamé les seconds dans les allégations de cette dernière version tout en omettant d’en faire mention dans les conclusions pouvait ici aussi suppléer à cette dernière omission.
[80] Mais le fait demeure que les Intimés n’ont nulle part allégué un préjudice de cet ordre, né et actuel, pour l’un quelconque des représentants du groupe. Comme en matière de dommages compensatoires pour un préjudice corporel, cette lacune est fatale à une réclamation de ce genre.
[81] Cela clôt le débat à ce sujet.
[82] Enfin, les Intimés élèvent un cinquième grief contre le jugement entrepris, grief énoncé comme suit :
Le juge avait évidemment abordé cet aspect des choses dans ses motifs et il y répondait en ces termes :
[96] It is the appearance of right of Plaintiffs’ individual claims which must be analyzed. The fact that another member could be successful is not relevant at this stage.
La jurisprudence à laquelle il renvoie au soutien de cette proposition lui donne incontestablement raison[49].
[83] Les Intimés tentent de se soustraire à cette exigence en citant l’arrêt Imperial Tobacco ltée c. Conseil québécois sur le tabac et la santé[50]. L’analogie entre la situation des Intimés et celles des demandeurs dans cette affaire ne résiste pas à un examen même superficiel. Les raisons de cette inadéquation ont déjà été évoquées plus haut[51].
* * * * *
[84] Concluons par une observation d’ordre général relative au jugement entrepris. Il peut sembler inhabituel pour un juge qui statue sur une demande d’autorisation en vertu de l’art.
[85] Pour les raisons qui précèdent, les appels principaux et l’appel incident doivent tous les trois échouer, mais sans frais, et les requêtes pour preuve nouvelle doivent être rejetées, ces dernières avec frais de justice en faveur des Appelantes.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[86] REJETTE les requêtes pour preuve nouvelle, avec frais en faveur des Appelantes;
[87] REJETTE l’appel, sans frais, dans le dossier 500-09-030262-224;
[88] REJETTE l’appel, sans frais, dans le dossier 500-09-030263-222;
[89] REJETTE l’appel incident, sans frais, dans les dossiers 500-09-030262-224 et 500-09-030263-222.
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| YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. | |
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| SOPHIE LAVALLÉE, J.C.A. | |
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| LORI RENÉE WEITZMAN, J.C.A. | |
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Me Karine Chênevert | ||
Me Stéphane Pitre | ||
Me Justine Kochenburger | ||
borden ladner gervais | ||
Pour Samsung Electronics Canada et Samsung Electronics Co. Ltd. | ||
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Me Charles O’Brien | ||
lorax litigation | ||
Pour Tracey Arial, Claire O’Brien, Erika Patton, Zoe Patton, Alexander Tasciyan, Mathew Nucciarone, Vito Decicco | ||
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Me Emmanuelle Poupart | ||
Me Catherine Julie Martin | ||
Me Ariel Parienti | ||
McCarthy tétrault | ||
Pour Apple Canada inc. et Apple inc. | ||
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Date d’audience : | 15 décembre 2023 | |
Date de suspension du délibéré : 22 mai 2024 | ||
Date de reprise du délibéré : 28 juin 2024 | ||
[1] Arial c. Apple Canada inc.,
[2] Étaient aussi identifiées comme défenderesses Apple inc. et Samsung Electronics Co. Ltd., dont les raisons sociales seront omises dans les présents motifs.
[3] La question relève d’Innovation, Science et Développement économique Canada, les certificats d’approbation étant visés par l’art. 4 de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), c. R-2 et leur obtention rendue obligatoire aux termes de cette loi.
[4] Cohen v. Apple Inc., 497 F. Supp. 3d 769 (2020) en première instance et Cohen v. Apple Inc., 46 F. 4th 1012 (2022) en appel.
[6] Les passages entre guillemets sont tirés de L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J. (« L’Oratoire »),
[7] Extrait de la pièce P-3A au dossier de la Cour supérieure.
[8] Le renvoi dans la citation réfère à l’arrêt Durand c. Subway Franchise Systems of Canada,
[9] Ce commentaire est tiré de l’arrêt Sibiga c. Fido Solutions inc.,
[11] Comme le mentionnait la Cour dans l’arrêt Droit de la famille — 182244,
[12] Cette idée n’est pas nouvelle. En 1941, dans une monographie dont il est l’auteur, le juge Rivard écrivait : « Ne peut donc former un appel recevable que celui qui est lésé par le jugement de première instance; la cause du préjudice doit se trouver dans le dispositif du jugement, non seulement dans les motifs. » Adjutor Rivard, Manuel de la Cour d’appel, Montréal, Éditions Variété, 1941, p. 283. Plus de 35 ans plus tard, le juge Montgomery l’affirmait de nouveau dans l’arrêt Campisi c. Procureur général du Québec,
[13] Voir notamment Benhaim c. St-Germain,
[14] Ce sont les termes utilisés par le Trésor de la Langue Française informatisé.
[15]
[16]
[17]
[18] Dans les commentaires qui accompagnaient le projet du nouveau Code de procédure civile, la ministre de la Justice écrivait au sujet de l’article 380 : « Cet article reprend essentiellement le droit antérieur, mais il suffit que la preuve nouvelle soit considérée comme indispensable sans qu’il soit nécessaire, comme auparavant, de démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles. » Sur ce point, la jurisprudence actuelle paraît moins catégorique que le commentaire de la ministre de la Justice. Cela dit, comme le remarquent avec raison les auteurs Juliette Vani et Vincent Ranger : « ... ce critère était de peu d’utilité puisque les circonstances où l’on retrouve les deux critères de l’article 380 – la nouveauté et le caractère indispensable – sont exceptionnelles en ce qu’elles ne sont pas rencontrées de manière routinière. » Luc Chamberland (dir.), Le Grand Collectif – Code de procédure civile : Commentaires et annotations, vol. 2 (articles 360 à 836), 8e éd., Montréal, Yvon Blais, 2023, p. 2159 et 2160.
[19]
[21] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs (« Infineon »),
[23] Id., paragr. 56.
[24] Id., paragr. 59.
[26]
[28]
[29] Les recueils de jurisprudence en sont jonchés d’exemples. Entendons par des affaires « d’envergure importante » celles où le nombre et la technicité des questions à éclaircir permettent d’entrevoir un litige très complexe, que les réponses à ces questions intéresseront les membres d’un groupe possiblement très étendu, que l’on peut anticiper un long procès au fond et qu’il paraît probable qu’un jugement favorable aux membres du groupe pourra avoir des répercussions importantes pour une industrie ou pour un secteur entier de l’économie, de même qu’un impact direct sur les pratiques réglementaires en cours.
[30]
[33] Id., paragr. 213.
[34] Id., paragr. 194.
[35] Id., paragr. 213.
[36]
[37]
[38] Id., paragr. 148-149.
[39] Id., paragr. 155.
[40] Id., paragr. 177.
[41] RLRQ, c. P-40.1
[43] Id., paragr. 178
[44] Id., paragr. 180.
[45] Voir H.L. c. Canada (Procureur général),
[46] Art.
[47] Art.
[49] L’Oratoire, supra, note 6, paragr. 82 et Sofio c. Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM),
[51] Id.
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