Physiothérapie (Ordre professionnel de la) c. Godbout | 2025 QCCDOPPQ 3 |
CONSEIL DE DISCIPLINE |
ORDRE PROFESSIONNEL DE LA PHYSIOTHÉRAPIE DU QUÉBEC |
CANADA |
PROVINCE DE QUÉBEC |
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No : | 31-25-004 |
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DATE : | 2 JUIN 2025 |
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LE CONSEIL : | Me LYNE LAVERGNE | Présidente |
Mme HÉLÈNE RIVERIN, pht | Membre |
M. BENJAMIN LOU, pht | Membre |
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JUDITH BRILLANT, technologue en physiothérapie, en sa qualité de syndique de l’Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec |
Requérante |
c. |
BRUNO-PIERRE GODBOUT, technologue en physiothérapie (permis no 09010) |
Intimé |
et |
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES |
Mis en cause |
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DÉCISION SUR LA REQUÊTE POUR L’IMPOSITION D’UNE SUSPENSION
OU D’UNE LIMITATION PROVISOIRE IMMÉDIATE DU DROIT DE L’INTIMÉ D’EXERCER LA PROFESSION DE TECHNOLOGUE EN PHYSIOTHÉRAPIE ET D’UTILISER LE TITRE RÉSERVÉ AUX MEMBRES DE L’ORDRE (Articles 122.0.1 et suivants du Code des professions, RLRQ, c. C-26) _____________________________________________________________________ |
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INTRODUCTION
- Le Conseil est saisi d’une requête à l’encontre de M. Bruno-Pierre Godbout, l’intimé, demandant de lui imposer une suspension ou une limitation provisoire immédiate de son droit d’exercer sa profession et d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre (la requête).
- Cette requête est présentée par Mme Judith Brillant, la requérante, en sa qualité de syndique de l’Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec (l’Ordre).
- Elle fait suite à des accusations portées contre l’intimé en vertu du Code criminel[1], tel qu’il appert du mandat d’arrestation dans le dossier 110-01-004836-255[2], lequel mentionne ce qui suit :
298-250202-006
H
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 mai 2018 et le 31 décembre 2021, à Bonaventure, district de Bonaventure, à Gaspé et à Newport, district de Gaspé, s’est livré à des voies de fait contre V.Q., commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 266a) du Code criminel.
298-250202-006
A
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 mai 2018 et le 31 décembre 2021, à Gaspé et à Newport, district de Gaspé, a saisi de force V.Q., commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 279(2)a) du Code criminel.
298-250202-006
A
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 mai 2018 et le 31 décembre 2021, à Newport, district de Gaspé, s’est livré à des voies de fait contre V.Q., alors qu’il utilisait une arme, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 267a) du Code criminel.
298-250202-006
H
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 mai 2018 et le 31 décembre 2021, à Newport, district de Gaspé, à Saint-Nérée, district de Montmagny, à Montréal, district de Montréal, a agressé sexuellement V.Q., commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 271a) du Code criminel.
298-250202-006
A
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 mai 2018 et le 17 mars 2025, à Newport, district de Gaspé, a agi à l’égard de V.Q., dans l’intention de la harceler ou sans se soucier qu’elle se sente harcelée, en posant un acte interdit prévu à l’alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour. sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 264(1)(3)a) du Code criminel.
357-250205-001
A
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 septembre 2010 et le 10 novembre 2010, à Newport, district de Gaspé, s’est livré à des voies de fait contre C.M-P., commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 266a) du Code criminel.
357-250205-001
A
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 septembre 2010 et le 10 novembre 2010, à Newport, district de Gaspé, a séquestré C.M-P., commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 279(2)a) du Code criminel.
357-250205-001
A
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 janvier 2013 et le 1 mai 2013, â Newport, district de Gaspé, a agi à l’égard de C.M-P., dans l’intention de la harceler ou sans se soucier qu’elle se sente harcelée, en posant un acte interdit prévu à l’alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d’une de ses connaissances, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 264(1)(3)a) du Code criminel.
357-250205-001
A
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 janvier 2014 et le 30 juin 2014. à Saint-Nérée, district de Montmagny, a séquestré M.R., commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 279(2)a) du Code criminel.
357-250205-001
H
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 janvier 2014 et le 1 septembre 2016, à Newport, district de Gaspé, à Saint-Nérée, district. de Montmagny, a agressé sexuellement M.R., commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 271a) du Code criminel.
357-250205-001
A
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 juin 2014 et le 30 avril 2016, à Newport, district de Gaspé, s’est livré à des voies de fait contre M.R., alors qu’il utilisait une arme, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 267a) du Code criminel.
357-250205-001
A
Concernant Bruno-Pierre GODBOUT (001)
- Entre le 1 juin 2016 et le 1 septembre 2016, à Newport. district de Gaspé, s’est livré à des voies de fait contre M.R., commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 266a) du Code criminel.
[Transcription textuelle]
- Le mandat d’arrestation fait état d’infractions contre la personne à l’égard de trois victimes.
- La requête comporte les conclusions suivantes :
ACCUEILLIR la présente Requête pour l’émission d’une ordonnance de suspension provisoire immédiate du droit d’exercer et d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre;
ORDONNER la suspension provisoire immédiate du droit de l’Intimé d’exercer sa profession et d’utiliser son titre de technologue en physiothérapie, laquelle demeurera en vigueur jusqu’à la première des éventualités énoncées à l’article 122.0.4 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);
SUBSIDIAIREMENT :
ORDONNER toute autre ordonnance jugée nécessaire dans les circonstances et prévue à l’article 122.0.3 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);
DANS TOUS LES CAS :
ORDONNER à la secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre de faire publier, dans un journal circulant dans le lieu où l’Intimé a son domicile professionnel, un avis de la décision à être rendue à l’égard de la présente Requête pour l’émission d’une ordonnance de suspension provisoire immédiate du droit d’exercer et d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre, conformément à l’article 122.0.3 alinéa 3 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);
CONDAMNER l’Intimé au paiement des frais de la publication prévue à l’article 122.0.3 alinéa 3 du Code des professions (RLRQ, c. C-26);
CONDAMNER l’Intimé au paiement des déboursés de la présente Requête.
[Transcription textuelle]
QUESTIONS EN LITIGE
- Le Conseil doit répondre aux questions suivantes :
- Le Conseil doit-il ordonner la suspension provisoire immédiate du droit de l’intimé d’exercer sa profession et d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre?
- Dans l’affirmative, le Conseil doit-il ordonner qu’un avis de la présente décision soit publié dans un journal circulant dans le lieu d’exercice de l’intimé?
- Comment le Conseil doit-il exercer sa discrétion relativement aux déboursés ainsi qu’aux frais de publication de l’avis dans le journal?
- Pour les motifs énoncés ci-dessous, le Conseil répond par l’affirmative aux deux premières questions en litige et condamne l’intimé aux déboursés et aux frais de publication de l’avis dans le journal, tout en lui accordant un délai plus amplement décrit au dispositif de la présente décision.
CONTEXTE
- L’intimé est inscrit au tableau de l’Ordre le 30 avril 2009 et le demeure depuis.
- Jusqu’à son arrestation en lien avec le dossier 110-01-004836-255, l’intimé exerce sa profession de technologue en physiothérapie au CISSS de la Gaspésie au Point de service Réadaptation - Chandler, un établissement public de santé.
- L’intimé est également conseiller municipal à la Ville de Chandler.
- Le 14 avril 2025, il est inculpé de 12 chefs d’accusation, soit :
- Des voies de fait à l’endroit des trois victimes (chefs 1, 6 et 12), en contravention de l’article 266a) du Code criminel;
- Des voies de fait avec utilisation d’une arme à l’endroit de deux des victimes (chefs 3 et 11), en contravention de l’article 267a) du Code criminel;
- Des agressions sexuelles à l’endroit de deux des victimes (chefs 4 et 10) en contravention de l’article 271a) du Code criminel;
- Des séquestrations à l’endroit des trois victimes (chefs 2, 7 et 9) en contravention de l’article 279 (2) a) du Code criminel;
- Du harcèlement à l’endroit de deux des victimes ayant pour effet de faire craindre pour leur sécurité (chefs 5 et 8) en contravention de l’article 264 (1) 3 a) du Code criminel.
- L’article 266 a) du Code criminel prévoit une peine d’emprisonnement d’un maximum de 5 ans alors que les articles 279 (2) a), 267 a), 271 a) et 264 (2) du même Code prévoient des peines pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.
- L’intimé est présentement détenu dans un établissement carcéral en attente de son procès.
- Son arrestation a donné lieu à plusieurs publications dans les journaux de la Gaspésie et dans le reste de la province[3].
POSITIONS DES PARTIES
- Position de la requérante
- La requérante invoque que le premier critère objectif prévu à l’article 122.0.1 du Code des professions[4] est satisfait puisque l’acte d’accusation fait état de plusieurs infractions punissables de cinq ans ou plus d’emprisonnement, tel qu’il appert du libellé des articles du Code criminel déjà cités.
- En outre, elle est d’avis que les accusations de voies de fait, de séquestration, d’agression sexuelle et de harcèlement criminel ont un lien avec la profession de technologue en physiothérapie
- Elle plaide que les valeurs fondamentales et les obligations déontologiques auxquelles sont astreints les membres de l’Ordre exigent un haut niveau de respect à l’égard de la personne humaine.
- Or, les actes criminels dont l’intimé est accusé menacent la sécurité et l’intégrité physique des gens.
- Alternativement, la requérante est d’avis que la confiance du public risque d’être compromise si le Conseil ne prononce pas une ordonnance suspendant le droit de l’intimé d’exercer sa profession.
- Elle indique que la médiatisation du dossier de l’intimé, à la suite des accusations portées en vertu du Code criminel, a probablement déjà miné, sinon rompu, cette relation de confiance[5].
- En conclusion, elle rappelle que le public doit être rassuré que l’Ordre déploie tous les moyens nécessaires pour le protéger.
- Position de l’intimé
- L’intimé consent aux conclusions de la requête, à l’exception des conclusions relatives à sa condamnation aux déboursés et aux frais de publication.
- À cet égard, il reconnait que la confiance du public risque d’être compromise si le Conseil ne prononce pas une ordonnance suspendant son droit d’exercer sa profession.
- Cependant, il nie la présence de lien entre l’accusation criminelle et sa profession.
ANALYSE
- Les principes de droit applicables
- La requête se fonde sur l’article 122.0.1 du Code des professions, libellé comme suit :
122.0.1. Un syndic peut, lorsqu’il est d’avis qu’une poursuite intentée contre un professionnel pour une infraction punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plus a un lien avec l’exercice de la profession, requérir du conseil de discipline qu’il impose immédiatement à ce professionnel soit une suspension ou une limitation provisoire de son droit d’exercer des activités professionnelles ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre, soit des conditions suivant lesquelles il pourra continuer d’exercer la profession ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre.
[Soulignement ajouté]
- Le premier alinéa de l’article 122.0.3 du même Code encadre le pouvoir du Conseil de la façon suivante :
122.0.3. À la suite de l’instruction, le conseil de discipline, s’il juge que la protection du public l’exige, peut rendre une ordonnance imposant immédiatement au professionnel soit une suspension ou une limitation provisoire de son droit d’exercer des activités professionnelles ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre, soit des conditions suivant lesquelles il pourra continuer d’exercer la profession ou d’utiliser le titre réservé aux membres de l’ordre. Dans sa décision, le Conseil de discipline tient compte du lien entre l’infraction alléguée et l’exercice de la profession ou du fait que la confiance du public envers les membres de l’ordre risque d’être compromise si le Conseil de discipline ne prononce aucune ordonnance.
[…]
[Soulignement ajouté]
- À cet égard, le Conseil reprend les propos publiés en 2018 par l’auteure Sharon Godbout, dans un article de doctrine[6] :
Page 6
En somme, le mécanisme des articles 122.0.1 et suivant, tout comme la procédure en radiation ou limitation provisoire prévue au Code des professions, est un recours exceptionnel puisqu’il a pour conséquence de priver le professionnel de son droit d’exercer sa profession avant même qu’il soit reconnu coupable des actes allégués. En conséquence, le conseil de discipline doit appliquer les critères prévus à ces dispositions avec prudence tout en respectant l’objectif du législateur d’assurer la protection et la confiance du public à l’endroit du système disciplinaire québécois.
Page 7
L’expression « punissable » renvoie à la peine prévue dans la loi créant l’infraction pénale, et non à la peine qui pourrait, dans les faits, être infligée à un professionnel en particulier.
Page 9
Il faut également avoir à l’esprit que le syndic ne disposera pas nécessairement d’une connaissance approfondie des faits entourant la perpétration de l’infraction puisque le procès criminel n’aura pas été encore tenu. Contrairement à la procédure de radiation ou de limitation provisoire prévue à l’article 130 C. prof., où le syndic dispose d’un certain degré de preuve puisqu’il doit prouver prima facie que les infractions ont été commises, dans le cadre de la procédure des articles 122.0.1 et suivants, le syndic ne bénéficiera généralement que de l’acte d’accusation.
[Soulignement ajouté]
- Dans l’affaire Gauvin[7], le conseil de discipline de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec constate que contrairement à la disposition prévue à l’article 149.1 du Code, la mesure prévue à l’article 122.0.1 et visée par le présent recours n’exige pas qu’une déclaration de culpabilité soit prononcée à l’égard du professionnel.
- Par ailleurs, dans la décision Lavoie[8], le conseil de discipline de l’Ordre des psychologues du Québec écrit que le critère exigeant des « infractions punissables de cinq ans d’emprisonnement » constitue un critère purement objectif. Il conclut à ce qui suit :
[52] Finalement le législateur, par le libellé de l’article 122.0.1 du Code, vise uniquement des infractions dont la gravité est suffisamment élevée pour exiger que le professionnel qui en est accusé soit passible d’une peine d’emprisonnement d’au moins 5 ans. De plus, il s’agit d’une mesure qui demeure en vigueur suivant les circonstances bien définies par l’article 122.0.4 du Code.
[Transcription textuelle]
- Le présent recours vise ainsi à suspendre ou à limiter l’exercice de la profession des professionnels accusés d’infractions criminelles dont la gravité est très élevée[9].
- Dans l’affaire Berthelot[10], le conseil de discipline du Barreau du Québec indique qu’il n’a pas à remettre en question le bien-fondé des accusations criminelles ni à s’immiscer dans la procédure criminelle :
[44] Par ailleurs, considérant le caractère urgent de la procédure prévue par le législateur, il serait contraire à l’essence même de ces mesures ajoutées au Code des professions lors des modifications législatives de juin 2017, qu’une enquête exhaustive ait lieu à ce stade-ci.
[45] Contrairement à une demande en radiation provisoire, à laquelle est nécessairement rattachée une plainte disciplinaire, qui implique donc une enquête minimale ayant mené au dépôt d’une plainte, la mesure d’urgence prévue au C. prof. ne se prête pas à une enquête exhaustive et la preuve présentée lors de l’instruction est nécessairement sommaire. Le Conseil n’a pas à s’immiscer dans la procédure criminelle et questionner l’enquête du DPCP, ni du jugement d’un procureur de la Couronne qui a décidé, sur la base des éléments de preuve en sa possession, qu’une accusation pouvant démontrer la commission des infractions reprochées hors de tout doute raisonnable, devait être portée.
[46] Et contrairement à une demande en radiation provisoire, le requérant n’a pas à faire une preuve prima facie de la commission de l’infraction. Ce n’est pas le but recherché de l’article 122.0.1 du C. prof.
[47] Par conséquent, le Conseil, doit prendre les accusations telles que portées « à leur face même » et émettre une des ordonnances prévues à l’article 122.0.3 du C. prof., car la mesure recherchée par cet article n’est pas une question de droit substantif, mais de procédure.
[Transcription textuelle]
- Enfin, les effets de cette mesure exceptionnelle sont limités dans le temps, comme le prévoit l’article 122.0.4 du Code :
122.0.4 L’ordonnance visée à l’article 122.0.3 demeure en vigueur jusqu’à la première des éventualités suivantes :
1° la décision du poursuivant d’arrêter ou de retirer les procédures à l’égard de tous les chefs d’accusation compris dans la poursuite ayant servi de fondement à la requête;
2° la décision prononçant l’acquittement ou l’arrêt des procédures à l’encontre de tous les chefs d’accusation compris dans la poursuite ayant servi de fondement à la requête;
3° la décision d’un syndic de ne pas porter plainte devant le conseil de discipline au sujet des faits visés par les chefs d’accusation compris dans la poursuite ayant servi de fondement à la requête;
4° la décision finale et exécutoire du conseil de discipline ou du Tribunal des professions, le cas échéant, sur la requête en radiation provisoire ou en limitation provisoire immédiate du droit d’exercer des activités professionnelles présentée en vertu de l’article 130 à l’égard de la plainte déposée par le syndic au sujet des faits visés par les chefs d’accusation compris dans la poursuite ayant servi de fondement à la requête déposée en vertu de l’article 122.0.1;
5° l’expiration d’un délai de 120 jours à compter de la date où l’ordonnance a été rendue en vertu de l’article 122.0.3, si aucune plainte du syndic ou demande de renouvellement de l’ordonnance n’a été présentée dans ce délai.
La décision du syndic visée au paragraphe 3° du premier alinéa est signifiée au conseil de discipline par avis au secrétaire du conseil qui en transmet copie au président ainsi qu’au professionnel.
- C’est à la lumière de ces principes que le Conseil répond maintenant aux questions en litige.
- Application du droit aux faits
- Le Conseil doit-il ordonner la suspension provisoire immédiate du droit de l’intimé d’exercer sa profession et d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre?
- Les infractions reprochées à l’intimé sont-elles punissables de cinq ans d’emprisonnement ou plus?
- Comme mentionné ci-haut, le Conseil doit tenir compte de l’acte d’accusation portant le numéro 110-01-004836-255, tel que déposé au dossier de l’intimé et.
- Celui-ci fait état des articles 266 a), 279 (2) a), 267 a), 271 a) et 264 (2) du Code criminel, lesquels prévoient des peines maximales de 5 ans pour l’article 266 a) et de 10 ans d’emprisonnement pour les autres articles.
- Comme l’intimé est accusé d’une infraction punissable de cinq ans d’emprisonnement ou plus, cette exigence s’en trouve satisfaite.
- La protection du public exige-t-elle qu’une ordonnance de suspension provisoire immédiate du droit d’exercer de l’intimé soit prononcée?
- Pour répondre à cette question, il faut déterminer si l’infraction criminelle, dont est accusé l’intimé, a un lien avec l’exercice de la profession de technologue en physiothérapie, ou si la confiance du public envers les membres de l’Ordre risque d’être compromise si le Conseil ne prononce pas une telle ordonnance.
- Ces critères ne sont pas cumulatifs et, par conséquent, il suffit que la requérante démontre qu’un seul des deux est satisfait.
Le lien entre l’infraction criminelle reprochée et la profession
- Dans l’affaire Thivierge[11], le Tribunal des professions (le Tribunal) établit un test pour déterminer si les actes criminels pour lesquels un professionnel est déclaré coupable ont un lien avec l’exercice de sa profession.
- Bien que cette décision soit rendue dans le contexte d’un reproche en vertu de l’article 149.1 du Code, il y a lieu de s’en inspirer en apportant les adaptations nécessaires.
- Dans cette affaire, l’avocat Thivierge plaide coupable à l’accusation d’avoir agressé sexuellement une jeune fille de moins de 16 ans, mais conteste le lien entre l’exercice de sa profession et les actes pour lesquels il est déclaré coupable, puisque ceux-ci sont commis dans la sphère de sa vie privée et non dans le cadre de l’exercice de sa profession :
[78] À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les actes de la vie privée d’un avocat ou de tout autre professionnel peuvent être liés à sa vie professionnelle. La jurisprudence du Tribunal des professions est sans équivoque.
[79] On retient aussi de cette jurisprudence que la première étape visant à déterminer l’existence d’un lien entre la commission d’infractions criminelles et l’exercice d’une profession consiste à examiner la nature des infractions dont le professionnel a été reconnu coupable, leur gravité de même que les circonstances entourant leur commission, et ce, en relation avec les qualités essentielles à l’exercice de cette profession. Si le Conseil conclut à l’absence de lien, l’exercice s’arrête à cette première étape.
[…]
[84] En effet, le Conseil erre en procédant ainsi puisqu’il omet de s’interroger notamment sur la nature des infractions commises et sur les qualités essentielles à l’exercice de la profession d’avocat, indépendamment de la pratique spécifique du professionnel.
[85] Il va sans dire que les qualités essentielles liées à l’exercice d’une profession varient d’une profession à l’autre. Par exemple, certaines professions du domaine de la santé sont plus exigeantes à l’égard de leurs membres pour des infractions à caractère sexuel en raison du fait que ceux-ci ont accès à l’intimité de personnes souvent vulnérables sur le plan physique et/ou psychologique.
[Soulignements ajoutés]
- Ainsi, pour déterminer s’il existe un lien entre les infractions criminelles dont l’intimé est accusé et l’exercice de la profession de technologue en physiothérapie, il y a lieu d’examiner les qualités essentielles à l’exercice de cette profession.
- La requérante rappelle que les membres de l’Ordre exercent les activités professionnelles suivantes, lesquelles sont prévues à l’article 37 n) du Code des professions :
37. Tout membre d’un des ordres professionnels suivants peut exercer les activités professionnelles suivantes, en outre de celles qui lui sont autrement permises par la loi:
[…]
n) l’Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec : évaluer les déficiences et les incapacités de la fonction physique reliées aux systèmes neurologique, musculosquelettique et cardiorespiratoire, déterminer un plan de traitement et réaliser les interventions dans le but d’obtenir un rendement fonctionnel optimal.
- Elle souligne que ces activités professionnelles doivent être exercées avec compassion, réconfort et douceur.
- Ainsi, pour exercer leur profession, les technologues en physiothérapie doivent créer et maintenir un lien de confiance avec leurs clients puisqu’ils effectuent notamment des interventions physiques sur eux, soit des interventions qui concernent leur intégrité physique.
- Or, les infractions criminelles dont l’intimé est accusé portent atteinte à l’intégrité physique de trois victimes.
- Force est de conclure que les gestes reprochés à l’intimé en vertu de l’acte d’accusation, sans en juger du bien-fondé, touchent à l’essence même de sa profession.
- En conséquence, le Conseil conclut que les gestes reprochés à l’intimé dans l’acte d’accusation ont un lien avec l’exercice de sa profession.
La confiance du public envers les membres de l’Ordre risque d’être compromise
- Bien que le Conseil considère que le lien entre les actes reprochés à l’intimé et l’exercice de la profession est établi, il conclut de plus que la confiance du public risque d’être compromise s’il ne prononce aucune ordonnance à cet égard, et ce, considérant la nature extrêmement sérieuse et la gravité des faits reprochés à l’intimé dans l’acte d’accusation.
- D’ailleurs, sur ce point, l’intimé reconnait que la confiance du public risque d’être compromise si le Conseil ne prononce pas une ordonnance suspendant provisoirement son droit d’exercer sa profession.
- En outre, le Conseil estime que, sans une telle ordonnance, le public pourrait avoir la perception que l’Ordre ne prend pas toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’un de ses membres, dont les mœurs sont sérieusement mises en doute, de continuer à offrir ses services au public et de continuer à utiliser le titre de technologue en physiothérapie, et ce, même s’il est présentement détenu et en attente de son procès.
- Le Conseil rappelle l’importance pour les membres de respecter les valeurs fondamentales de leur profession, faute de quoi, ils placent le public à risque.
- En conséquence de ce qui précède, le Conseil juge à propos d’user de sa discrétion pour ordonner, aux termes de l’article 122.0.3 du Code des professions, la suspension provisoire immédiate du droit de l’intimé d’exercer sa profession et d’utiliser le titre de technologue en physiothérapie.
- Dans l’affirmative, le Conseil doit-il ordonner qu’un avis de la présente décision soit publié dans un journal circulant dans le lieu d’exercice de l’intimé?
- Le troisième alinéa de l’article 122.0.3 du Code des professions fait référence aux cinquième, sixième et septième alinéas de l’article 133 du même Code quant à la publication d’un avis de la présente décision dans un journal.
- Le Conseil doit décider s’il y a lieu de publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans la localité du domicile professionnel de l’intimé.
- L’objectif de la publication des décisions des conseils de discipline est clairement de faire connaître au public qu’une décision est rendue, mais également de lui démontrer l’efficacité de la justice administrative. Le public doit savoir que le système disciplinaire non seulement fonctionne, mais le protège adéquatement.
- Ainsi, ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles qu’un tel avis n’est pas publié[12].
- Dans le présent cas, l’intimé consent à la publication de cet avis.
- En conséquence, le Conseil décide qu’un avis de la présente décision doit être publié dans un journal circulant dans la localité du domicile professionnel de l’intimé.
- Comment le Conseil doit-il exercer sa discrétion relativement aux déboursés ainsi qu’aux frais de publication de l’avis dans le journal?
- L’intimé s’oppose aux deux dernières conclusions de la requête, soit celles relatives à sa condamnation aux déboursés ainsi qu’aux frais de publication de l’avis dans le journal.
- Il plaide son absence d’antécédents criminels et disciplinaires alors qu’il est membre de l’Ordre depuis 16 ans et souligne qu’il jouit de la présomption d’innocence. Il plaide également être sans revenus, étant détenu dans un établissement carcéral jusqu’à son procès, et avoir quatre enfants, dont le plus jeune requiert des soins de santé constants faisant en sorte que sa conjointe a cessé de travailler pour s’en occuper à temps plein.
- La requérante ne conteste pas la demande d’exemption des déboursés et des frais, mais n’y consent pas. Elle déclare s’en remettre à la discrétion du Conseil.
- Quant aux déboursés, le troisième alinéa de l’article 122.0.2 du Code rend les règles relatives à l’instruction de la plainte applicables à celle de la présente requête, en y apportant les adaptations nécessaires.
- L’article 151 al. 1 du Code des professions accorde une discrétion au Conseil à l’égard des déboursés. Ainsi, le Conseil peut condamner la requérante ou l’intimé aux déboursés ou les condamner à se les partager dans une proportion qu’il doit indiquer.
- Dans Murphy c. Chambre de la sécurité financière[13], la Cour d’appel rappelle le principe général selon lequel la partie qui succombe doit assumer les dépens. Ce principe a été maintes fois appliqué en droit disciplinaire[14].
- Bien que le Conseil ne soit pas insensible à la situation financière de l’intimé due en partie à son incarcération pendant les procédures criminelles, il n’a pas de preuve relativement à la santé financière de son patrimoine.
- Quant aux frais de publication de l’avis dans le journal, le troisième alinéa de l’article 122.0.3 du Code fait référence au cinquième alinéa de l’article 133 du même Code.
- Les règles en matière de publication d’un avis dans le journal sont les mêmes que celles relatives aux déboursés.
- Le Conseil estime qu’il est essentiel que le public soit avisé de la suspension provisoire du droit d’exercice de l’intimé.
- En conséquence, il n’y a pas lieu de déroger au principe selon lequel la partie qui succombe doit en assumer les déboursés[15].
- Cependant, considérant que l’intimé est présentement sans travail en raison de son incarcération, le Conseil lui accorde un délai pour acquitter les déboursés et les frais de publication jusqu’à ce qu’il reprenne activement l’exercice de sa profession.
PAR CES MOTIFS, LE CONSEIL, UNANIMEMENT, ET CE JOUR :
- ACCUEILLE la requête visant l’imposition d’une suspension provisoire immédiate du droit de l’intimé d’exercer ses activités professionnelles et d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre.
- ORDONNE la suspension immédiate provisoire du droit de l’intimé d’exercer ses activités professionnelles et d’utiliser le titre réservé aux membres de l’Ordre.
- ORDONNE à la secrétaire du Conseil de discipline de l’Ordre de la physiothérapie du Québec de faire publier un avis de la présente décision dans un journal circulant dans la localité du domicile professionnel de l’intimé, et ce, à ses frais, conformément à l’article 122.0.3 du Code des professions.
- CONDAMNE l’intimé au paiement des déboursés, conformément aux articles 122.0.2 al. 3 et 151 du Code des professions.
- ACCORDE à l’intimé un délai pour acquitter les déboursés et les frais de publication jusqu’à ce qu’il reprenne activement l’exercice de sa profession.
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| ____________________________________ Me LYNE LAVERGNE Présidente ____________________________________ Mme HÉLÈNE RIVERIN, pht Membre ____________________________________ M. BENJAMIN LOU, pht Membre |
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Me Leslie Azer |
Avocate de la requérante |
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Me Michel-Jacques Lacroix |
Avocat de l’intimé |
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Directeur des poursuites criminelles et pénales |
Mis en cause (absent) |
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Dates d’audience : | 12 et 28 mai 2025 |
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