R.R. et Compagnie A |
2009 QCCLP 3711 |
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[1] Le 20 juillet 2007, monsieur R... R... (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 8 juin 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision en révision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 26 avril 2007, laquelle fait suite à deux avis rendus par le Bureau d’évaluation médicale, soit les 1er et 19 mars 2007, dans le cadre de l’événement du 7 décembre 2005.
[3] À l’audience du 11 février 2009, le travailleur était présent et représenté. La CSST était dûment représentée.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La représentante du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer irrégulier les deux avis rendus par le Bureau d’évaluation médicale.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête doit être rejetée et que les avis du Bureau d’évaluation médicale ont été régulièrement obtenus. Il est d’avis que le travailleur n'avait pas de médecin qui assurait son suivi et à qui la CSST aurait pu transmettre les expertises de ses propres experts. Le travailleur n’avait pas de médecin pour compléter un rapport médical complémentaire.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête doit être accueillie. Il considère que c’est le CLSC Richelieu qui assurait le suivi du travailleur à l’époque pertinente et que c’est à cet endroit que les rapports d’expertise obtenus pour la CSST devaient être acheminés.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider de la régularité des avis rendus par le Bureau d’évaluation médicale les 1er et 19 mars 2007.
[8] Les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) relatives à la procédure d’évaluation médicale et pertinentes au présent litige sont les suivantes :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.
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1997, c. 27, a. 3.
206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.
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1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.
215. L'employeur et la Commission transmettent, sur réception, au travailleur et au médecin qui en a charge, copies des rapports qu'ils obtiennent en vertu de la présente section.
La Commission transmet sans délai au professionnel de la santé désigné par l'employeur copies des rapports médicaux qu'elle obtient en vertu de la présente section et qui concernent le travailleur de cet employeur.
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1985, c. 6, a. 215; 1992, c. 11, a. 17.
[9] La représentante du travailleur soumet que la CSST a omis d’acheminer, conformément à l’article 215 de la loi, les rapports des professionnels de la santé qu’elle a désigné au médecin qui assurait le suivi du travailleur. Elle n’a pas respecté l’article 205.1 de la loi pour l’obtention d’un rapport complémentaire. Pour ce motif, la procédure d’évaluation médicale est irrégulière et elle soumet de la jurisprudence à l’appui de son argumentation.
[10] De son côté, la représentante de la CSST soumet qu’il s’agit d’un cas particulier puisque le travailleur n’avait pas de médecin traitant à qui la CSST pouvait transmettre le rapport des médecins désignés. De plus, elle soumet que la CSST n’avait pas à l’envoyer au Centre local de services communautaires (CLSC), car le travailleur aurait pu se retrouver dans une situation où il aurait été lié par les conclusions d’un médecin qui n’assurait pas son suivi.
[11] Avec respect pour les arguments de la représentante de la CSST, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la requête du travailleur doit être accueillie et que la procédure d’évaluation médicale est irrégulière.
[12] Le tribunal est d’avis qu’il ne s’agit pas d’un cas particulier, car, à l’époque pertinente, il y avait des médecins qui assuraient le suivi du travailleur. De plus, la CSST n’a pas à présumer d’un avis éventuel d’un médecin pour justifier le non-respect des articles de la loi et, ainsi, empêcher le médecin du travailleur de compléter le rapport prévu à l’article 205.1 de la loi.
[13] Dans le présent dossier, le travailleur a subi une lésion professionnelle le 7 décembre 2005 lorsqu’il a fait une chute dans la boîte de son camion.
[14] Cette même journée, il a consulté le docteur Vanier et, par la suite, c’est le docteur Gauthier qui a pris charge de son dossier. Ce médecin a rencontré le travailleur le 23 décembre 2005, le 27 janvier 2006 ainsi que les 21 et 27 février 2006. Il a essentiellement retenu le diagnostic d’entorse dorsolombaire et d’entorse cervicale. Lors de la visite du 27 mars 2006, le docteur Gauthier indique clairement dans son rapport médical qui réfère le travailleur au Centre montérégien de réadaptation. On retrouve, par la suite, des rapports de ce centre au dossier. Il est indiqué que la date d’admission est le 6 avril 2006.
[15] À la même période, le travailleur est aussi suivi par la docteure Nathalie Rheault, son médecin de famille. Ce médecin retient le diagnostic d’entorse et de hernies cervicales, poursuit l’arrêt de travail, prescrit des traitements de physiothérapie et demande une investigation sous forme de tomodensitométrie lombaire et cérébrale ainsi qu’une consultation en psychiatrie. Les demandes pour ces divers examens sont contenues au dossier ainsi que les résultats.
[16] Le 21 janvier 2006, le docteur Jacques Bouchard, psychiatre, complète un rapport qu’il adresse à la docteure Rheault. Il précise dans ce rapport que rien ne laisse présumer un traumatisme cérébral et qu’il n’y a pas de pathologie psychiatrique.
[17] À la demande de la CSST, le travailleur est expertisé par le docteur Gravel, tel que permis par l’article 204 de la loi, le 5 septembre 2006. Le docteur Gravel, dans son historique du dossier, confirme que le « docteur Gauthier a transféré le requérant au Centre montérégien de réadaptation ». Le docteur Gravel indique aussi que la docteure Rheault, la médecin de famille du travailleur, est partie en congé de maternité et qu’aucun autre médecin ne l’a remplacée.
[18] Le docteur Gravel est d’avis que le travailleur a subi une entorse lombaire, laquelle est consolidée le 5 septembre 2006, sans nécessité de traitements après cette date, sans limitations fonctionnelles ou atteinte permanente.
[19] Toujours à la demande de la CSST et conformément à l’article 204 de la loi, le travailleur rencontre le docteur Claude Grenier, psychiatre, le 7 septembre 2006. Ce médecin ne retient aucun diagnostic psychiatrique.
[20] Sur le rapport d’expertise du docteur Gravel, on retrouve l’étampe de la CSST qui indique que ce rapport médical a été reçu le 26 septembre 2006. Sur le rapport du docteur Grenier, on retrouve l’étampe de réception par la CSST en date du 28 septembre 2006. À cette époque, le dossier du travailleur avait été référé au Centre montérégien de réadaptation et il était suivi par les médecins du CLSC Richelieu.
[21] Aux notes évolutives du 6 septembre 2006, il est consigné que la conjointe du travailleur se dit inquiète et que le travailleur n’a pas de médecin. Or, tel que démontré par les notes d’évolution médicales déposées à l’audience sous la cote R-1, il s’avère que le travailleur était, à l’époque pertinente, soit lorsque la CSST a reçu les rapports des docteurs Gravel et Grenier, suivi au CLSC Richelieu. L’on retrouve des notes de consultation en septembre 2006 ainsi qu’en octobre 2006. Il ressort de ces notes de consultation que, parfois, il n’y avait que prescription de médicaments. Par contre, les notes démontrent aussi que le CLSC avait une connaissance du dossier du travailleur. Il est même fait référence à l’accident du travail.
[22] De plus, il y a au dossier une demande de consultation le 27 octobre 2006 par un médecin du CLSC Richelieu. Ce médecin réfère le travailleur à l’urgence après avoir noté plusieurs problématiques.
[23] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST se devait de transmettre au CLSC Richelieu, lequel à l’époque pertinente assurait le suivi du travailleur, les rapports de ses deux médecins obtenus en vertu de l’article 204 de la loi. La Commission des lésions professionnelles ne peut retenir les arguments de la représentante de la CSST à l’effet que le travailleur aurait pu être désavantagé par une telle procédure et que les médecins du CLSC ne possédaient pas l’information pertinente. D’abord, tel que déjà mentionné, l’on ne peut présumer de l’opinion des médecins du CLSC. Le fait que le suivi soit dans un CLSC n’est pas un obstacle à la transmission du rapport en vertu de l’article 215 ni un obstacle à la rédaction d’un rapport complémentaire en vertu de l’article 205.1. De plus, si information manquante il y avait, l’opportunité devait être laissée au médecin d’obtenir l’information afin de pouvoir compléter le rapport médical d’information complémentaire. Or, aucune demande de rapport complémentaire n’a été adressée à ce CLSC, telle qu’exigée par la loi.
[24] Dans l’affaire Laverdière et Hôpital de Montréal[2] pour enfants, la Commission des lésions professionnelles a conclu comme suit à ce sujet :
[37] Il appert des faits que la première irrégularité soumise par la procureure de la travailleuse est justement l’omission de la CSST de transmettre copie du rapport du docteur Moïse au médecin qui a charge.
[38] Pourtant, l’article 215 de la loi énonce une obligation en ce sens. Tel que la jurisprudence (3) sur le sujet l’a souvent souligné, les dispositions de l’article 215 de loi visent à favoriser la règle de la transparence dans les échanges de rapports médicaux entre les parties. De plus, le médecin qui a charge doit recevoir copie du rapport du médecin désigné de la CSST pour être en mesure d’y répondre, conformément aux dispositions de l’article 205.1
[39] Or, l’article 205.1 de la loi constitue une étape préalable à la demande d’avis du Bureau d’évaluation médicale. Ainsi le rapportait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Domond et Alcatel Cable (Mtl-Est) (4), qui précisait que l’article 205.1 crée une obligation pour la CSST de demander au médecin qui a charge un rapport complémentaire lorsqu’elle désire transmettre au Bureau d’évaluation médicale le rapport qu’elle a obtenu en vertu de l’article 204 de la loi. L’article 205.1 vient consacrer et renforcer le principe de la primauté de l’opinion du médecin qui a charge qu’a voulu donner le législateur.
(…)
[42] Dans une décision récemment rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Castonguay et Ministère des Anciens combattants (5),le tribunal rappelle l’obligation de la CSST de tenter d’obtenir le rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 de la loi, malgré, dans ce cas, l’absence du médecin qui a charge et ce, même si la travailleuse a consenti à la façon de faire de la CSST. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles conclut que le défaut de solliciter le rapport complémentaire prévu à l’article 205.1 est suffisant pour invalider l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale.
[43] En raison des omissions de la CSST de se conformer aux dispositions de la loi quant à la procédure d’évaluation médicale, la Commission des lésions professionnelles conclut que cette procédure est irrégulière. Également, la décision rendue par la CSST le 5 juillet 2002 qui faisait suite à l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale est irrégulière et doit être annulée. Il en est de même pour la décision rendue le 10 octobre 2002 à la suite d’une révision administrative.
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(3) Cegep de Jonquière et Vaillancourt, C.L.P. 100736-02-9805, 26 janvier 1999, P. Simard; Lemieux et Asbestos Eaman inc. et als, C.L.P. 149262-71-0010, 6 novembre 2001, D. Gruffy.
(4) C.L.P. 156808-61-0103, 29 janvier 2002, L. Nadeau
(5) C.L.P. 188243-62C-0207, 20 mai 2003, R. Hudon
[25] Référant à cette décision dans Laverdière et Hôpital de Montréal pour enfants, la juge administrative Gruffy, dans l’affaire Fortier et Agence spatiale canadienne, conclut comme suit :
[28] Tout comme dans l’affaire Laverdière précitée, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’omission de la CSST de transmettre au médecin de la travailleuse le rapport de son médecin désigné afin d’obtenir un avis complémentaire de sa part entache la procédure d’évaluation médicale.
[29] En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que le recours à l’examen du Bureau d’évaluation médicale était prématuré et que l’avis de ce dernier doit être annulé.
[26] Dans l’affaire Merida-Vargas[3], la Commission des lésions professionnelles s’est aussi prononcé sur cette question :
[31] La CSST n’a jamais fait parvenir le rapport du docteur Newman au docteur Chartrand ni remis un rapport complémentaire lui permettant de répondre aux conclusions émises par le docteur Newman.
[32] L’article 205.1 est clair; il constitue une étape préalable à la demande d’avis du membre d’évaluation médicale. Cette étape est confirmée par le libellé de la loi qui prévoit spécifiquement que la Commission soumet sans délai les contestations prévues notamment à l’article 205.1 au Bureau d’évaluation médicale. En ce qui concerne les raisons invoquées par la CSST à l’effet qu’elle n’avait pas l’obligation de demander au médecin traitant un rapport complémentaire puisque le docteur Chartrand n’a jamais émis de conclusions sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et les limitations fonctionnelles considérant la travailleuse non consolidée, la soussignée n’adhère pas à ces prétentions.
[27] Dans l’affaire Umanzor-Flores et DHL International Express ltd.[4], le juge administratif Kushner fait le tour de la jurisprudence et, après avoir cité plusieurs extraits pertinents, il conclut comme suit :
[31] Pour retourner au dossier qui nous concerne, la Commission des lésions professionnelles, s’inspirant des articles de la loi ainsi que de la jurisprudence pertinente, doit conclure que l’omission de la CSST d’acheminer le rapport d’évaluation médicale du médecin désigné, le docteur Marien, au médecin qui a charge à l’époque, le docteur Nguyen, afin que ce dernier puisse émettre un rapport complémentaire en étayant ses conclusions, constitue une irrégularité qui entache le processus d’évaluation médicale, la validité de la soumission du dossier au Bureau d’évaluation médicale, notamment en ce qui concerne l’existence et/ou l’étendue de l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles, et la décision qui s’en est suivi. La CSST ne pouvait donc pas soumettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale à ce moment-là, le Bureau d’évaluation médicale fut irrégulièrement saisi des questions soumises et la décision de la CSST qui l’entérine est illégale et doit être annulée. Disons aussi, dans cette perspective, que la décision de la Révision administrative, d’ailleurs très peu motivée, considérant que le processus d’évalutation médicale est conforme à la loi nous laisse perplexe. [sic]
[28] La Commission des lésions professionnelles est en accord avec les décisions précitées et conclut que, dans le présent dossier, la procédure d’évaluation médicale est irrégulière.
[29] Par conséquent, l’avis des membres du Bureau d’évaluation médicale des 1er et 19 mars 2007 doivent être annulés.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur R... R..., le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 8 juin 2007 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE irrégulière la procédure d’évaluation médicale ayant mené à l’obtention de l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale le 1er mars 2007;
DÉCLARE irrégulière l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale du 19 mars 2007;
ANNULE la décision du 26 avril 2007 faisant suite à l’avis des membres du Bureau d’évaluation médicale;
RETOURNE le dossier à la CSST afin que celle-ci transmette les rapports d’évaluation médicale obtenus en vertu de l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi) au médecin ayant charge du travailleur, le tout conformément à la loi.
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Sylvie Arcand |
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Me Marie-Lise Desrosiers |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Josée Picard |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
AVIS :
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