SSQ, société d'assurances générales inc. c. Hydro-Québec |
2015 QCCS 5207 |
JC0BM5 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE MONTRÉAL |
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N : |
500-17-070668-127 |
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DATE : |
Le 11 novembre 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
suzanne courchesne, J.C.S. |
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SSQ SOCIÉTÉ D’ASSURANCES GÉNÉRALES INC. |
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Demanderesse |
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c. |
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HYDRO-QUÉBEC |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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1. APERÇU
[1] En janvier 2009, lors d’une période de grand froid, une panne d’électricité survient et entraîne le gel de la tuyauterie du système de chauffage à eau chaude de deux immeubles résidentiels. Des dommages s’ensuivent pour lesquels la société propriétaire des immeubles (l’Assurée) est indemnisée par la demanderesse (l’Assureur).
[2] L’Assureur soutient qu’Hydro-Québec est responsable des dommages causés à l’Assurée parce qu’elle a fait défaut de rétablir, dans un délai raisonnable, le service qu’elle s’était contractuellement engagée à fournir. Elle reproche également à Hydro-Québec d’avoir induit l’Assurée en erreur quant au délai de rétablissement du service.
[3] Hydro-Québec conteste sa responsabilité. Elle plaide que les mesures appropriées et raisonnables ont été prises lors de cette situation exceptionnelle et qu’elle a fait diligence dans les circonstances. Elle invoque également une clause d’exonération de responsabilité énoncée aux conditions de service applicables.
[4] Les dommages au montant de 90 000 $ en capital font l’objet d’une admission. Il est également admis que l’Assureur est subrogé dans les droits de son assurée jusqu’à concurrence de ce montant[1].
2. CONTEXTE
[5] Le 14 janvier 2009, Hydro-Québec émet un communiqué[2] par lequel elle sollicite la collaboration de la population afin qu’elle réduise sa consommation d’électricité, en raison des températures très froides qui doivent sévir au cours des jours suivants. Elle y énonce également qu’afin «d’assurer la fiabilité du service, Hydro-Québec a mis en place les divers moyens dont elle dispose pour faire face à des situations exceptionnelles.»
[6] Monsieur Philip Bridgeman est l’un des administrateurs de l’Assurée, propriétaire de deux immeubles résidentiels sis aux […] à Montréal (les Immeubles). Les Immeubles comptent chacun environ 22 appartements. Le 15 janvier 2009 vers 19h00, M. Bridgeman est avisé par le concierge des Immeubles qu’une panne électrique sévit dans le secteur et que la pompe du système de chauffage à eau chaude des Immeubles n’est ainsi plus alimentée en électricité. La température extérieure est alors d’environ -21 C[3].
[7] M. Bridgeman se déplace sur les lieux et est avisé par le concierge, qui s’est informé auprès d’Hydro-Québec, que le courant devrait être rétabli vers 21h00. Un conducteur de camion d’Hydro-Québec, présent dans la rue, lui fait les mêmes représentations. Le courant n’étant pas revenu vers 21h00, le concierge s’informe à nouveau auprès d’Hydro-Québec qui l’avise cette fois que ce sera vers 23h00 que l’électricité sera restaurée.
[8] Passé 23h00, le courant n’est toujours pas rétabli. M. Bridgeman contacte son plombier qui lui recommande de drainer le système, c’est-à-dire de le purger de l’eau qu’il contient, afin d’éviter que le gel n’entraîne l’expansion des tuyaux et le bris du système. M. Bridgeman procède au drainage vers minuit en ouvrant les valves à la base du système et quitte ensuite les lieux, vers 1:00 du matin[4].
[9] De retour tôt le matin du 16 janvier, M. Bridgeman tente de faire redémarrer le système de chauffage à l’aide de générateurs préalablement loués. Or, les tuyaux et les radiateurs sont fendus (« split open »), le drainage n’ayant pu s’effectuer complètement puisque de la glace s’était formée dans la tuyauterie[5]. Des dommages s’ensuivent, causés par l’eau et le bris de l’équipement de chauffage des Immeubles. L’Assurée est éventuellement indemnisée par l’Assureur.
[10] La preuve révèle que cette panne dans le secteur des Immeubles survient en raison du bris du transformateur S2K2d qui les alimente et que cette situation résulte probablement d’une surcharge due à la surconsommation d’électricité, elle-même reliée aux températures très froides qui sévissent durant cette période. De nombreuses pannes électriques surviennent sur l’île de Montréal entre le 15 et le 17 janvier 2009[6].
[11] Le transformateur est remplacé en matinée du 16 janvier 2009 par l’équipe en place et le courant est rétabli quelques heures plus tard soit vers 12h30[7]. Le nouveau transformateur subit à son tour une surcharge, ce qui entraîne une seconde panne qui survient vers 20h00 le même jour. Celle-ci durera jusqu’au lendemain matin le 17 janvier, vers 7h30[8].
- Questions en litige
1) Hydro-Québec a-t-elle été négligente dans sa gestion de la panne de service subie par l’Assurée ?
2) Hydro-Québec a-t-elle commis une faute lors de ses représentations auprès de l’Assurée quant au délai de rétablissement du service? Cette faute, le cas échéant, est-elle la cause des dommages subis ?
3) La clause d’exonération de responsabilité invoquée par Hydro-Québec est-elle applicable ?
3. ANALYSE ET DÉCISION
3.1. La gestion par Hydro-Québec de la panne subie par l’Assurée
[12] L’Assureur reproche à Hydro-Québec une gestion déficiente et inefficace de la panne électrique subie par son Assurée. Elle soutient qu’Hydro-Québec a soit priorisé d’autres pannes sans fournir d’explication valable, soit fait défaut d’attitrer la panne de l’Assurée à une équipe de monteurs dans un délai raisonnable.
[13] La faute ou la négligence d’Hydro-Québec dans sa gestion de la panne affectant les Immeubles et du remplacement du transformateur qui les alimente n’est pas établie par l’Assureur.
[14] Les centres d’exploitation de distribution (« CED ») d’Hydro-Québec ont pour rôle de surveiller le réseau électrique et de gérer les pannes et les interventions sur celui-ci. En période de grands froids, les CED exercent une vigie de la charge sur le réseau et des pannes. Seules les pannes qui surviennent sur les lignes de haute tension sont connues d’emblée par Hydro-Québec. Celles qui se produisent sur le réseau basse-tension comme en l’instance doivent être signalées par la clientèle pour que le CED puisse intervenir.
[15] Les situations de panne sont traitées par les CED selon une échelle de priorités de 1 à 7 : les hôpitaux à titre d’exemple sont réalimentés en priorité 1 alors que le réseau domiciliaire, dont les Immeubles font partie, se trouve au dernier rang de l’échelle. D’autres critères guident la gestion des priorités, soit le nombre d’usagers visés par la panne ainsi que la disponibilité d’équipes dans le secteur de celle-ci.
[16] Entre le 15 et le 17 janvier 2009, de nombreuses pannes sont signalées et gérées par Hydro-Québec[9]. Conformément au processus de gestion des priorités établi par Hydro-Québec, une priorité 7, soit au dernier rang, est attribuée à la panne affectant les Immeubles.
[17] Selon le tableau[10] décrivant les interventions effectuées les 15, 16 et 17 janvier 2009 par Hydro-Québec auprès des clients pour lesquels une priorité 7 est accordée et dont la cause de la panne, soit le bris d’un transformateur, est similaire à celle affectant les Immeubles, le délai de rétablissement fluctue considérablement. Il varie de 2 à 3 heures, dans quelques rares cas, de 6 à 10 heures, dans plusieurs situations. Un délai de rétablissement de plus de 10 heures (17 heures dans celui de l’Assurée) est beaucoup moins fréquent.
[18] Le remplacement d’un transformateur requiert le déplacement sur les lieux d’une équipe spécialisée. Le temps d’intervention lors de très grands froids est prolongé, de même que celui de la mise sous tension du nouvel équipement. La situation qui prévaut au moment de la panne de l’Assurée est exceptionnelle en raison du nombre important de pannes et des difficultés particulières engendrées par les conditions climatiques.
[19] Bien que le délai de remplacement du transformateur qui alimente les Immeubles se situe parmi les plus élevés pour la période en cause, il n’est pas démontré par l’Assureur qu’il relève de la négligence ou d’une gestion déficiente de la panne par Hydro-Québec.
3.2. Les représentations d’Hydro-Québec quant au délai de rétablissement du service
[20] L’Assureur soutient qu’Hydro-Québec a induit l’Assurée en erreur en lui communiquant des informations erronées lors de la panne quant au délai de rétablissement du service et que ce faisant, l’Assurée n’a pu prendre à temps les mesures qui s’imposaient pour éviter les dommages. Cet argument est bien fondé.
[21] La séquence sommaire des événements concernant la panne dans le secteur des Immeubles est dressée comme suit par Hydro-Québec[11] :
« Événement du 15, 16, 17 janvier 2009
4610 Bourret, Montréal
Séquence sommaire des évènements
15 janvier 18:46h Début de la panne
18:54h Durée moyenne de rétablissement fournie 21:25h
20:07h Dépanneur en route
20:39h Panne confirmée par dépanneur
20:51h Équipement en faute identifié : transformateur brûlé à changer
21:18h Durée de rétablissement modifiée pour 23:25h
22:25h Rappel d’équipes par contremaître
23:36h Durée de rétablissement modifiée pour 07:16h
16 janvier 07:38h Durée de rétablissement modifiée pour 09:00h
08:58h Durée de rétablissement modifiée pour 10:00h
09:37h Confirmation d’équipe sur les lieux; changement de transformateur en cours; remise en charge par étape
09:52h Durée de rétablissement modifiée pour 12:00h
12:04h Durée de rétablissement modifiée pour 14:00h
12:36h Confirmation de fin de la panne
19:58h Nouvelle panne confirmée; durée moyenne de rétablissement fournie 22:26h
20:05h Panne attribuée à une équipe
21:04h Équipe sur les lieux ; ajout d’un nouveau transformateur nécessaire
22:19h Durée de rétablissement modifiée pour 02:26h
23:12h Durée de rétablissement modifiée pour 07:00h
17 janvier 06:51h Durée de rétablissement modifiée pour 10:00h
07:28h Confirmation de fin de la panne »
[22] Lorsqu’un client avise Hydro-Québec d’une panne, un service téléphonique automatisé l’informe de l’heure approximative de rétablissement du courant. Cette donnée est basée sur un algorithme développé par Hydro-Québec selon différents facteurs et représente une moyenne. Ce délai est susceptible d’être révisé en fonction du développement des événements sur le terrain, tenant compte notamment de la nature de la réparation à effectuer et de la disponibilité des équipes pour y procéder.
[23] Le 15 janvier 2009 vers 19h00, le concierge des Immeubles est avisé que la panne signalée dans le secteur devrait être résolue vers 21h00 le même soir. Selon la séquence sommaire, vers 20h39, une inspection par le dépanneur permet de confirmer la panne. A 20h51, la nature des travaux requis est confirmée, soit qu’un transformateur doit être remplacé. Le concierge des Immeubles est ensuite informé, suite à un deuxième appel auprès d’Hydro-Québec, que l’électricité devrait être rétablie vers 23h25. Pourtant, selon la séquence sommaire des événements, ce n’est qu’après la communication de cette information qu’un « rappel d’équipes » est confirmé par le contremaître.
[24] A 23h36, le temps de rétablissement est à nouveau modifié, cette fois pour 7h16 le lendemain matin. Or, l’équipe n’est sur place qu’à 9h37 et procède au remplacement du transformateur et à la remise en charge en cascade (par étape) pour un retour complet du courant électrique vers 12h36.
[25] Le temps de rétablissement de l’alimentation électrique aura été modifié à six reprises entre le début et la fin de la panne, qui aura duré 17,8 heures au total[12].
[26] L’équipe assignée à la réparation du transformateur en cause est celle de M. Charles Dumas, qui débute son quart de travail régulier le 16 janvier 2009 à 7h00[13] :
R- Une fois que le dépanneur a passé, qu’il a constaté que le transformateur est brûlé, l’opérateur nous donne la panne et on assigne une équipe pour aller remplacer ce transformateur-là, mais…
Q. Ok. Je comprends que, ici, l’équipe assignée, c’est celle…
R. De Charles.
Q. De Charles Dumas.
R. Oui.
Q. Qui est intervenue le matin du seize (16)?
R. Oui.
[27] M. Charles Dumas, chef monteur-distribution chez Hydro-Québec, se présente le matin du 16 janvier 2009 à 7h00 pour le début de son quart régulier de travail et reçoit à ce moment un bon de travail visant le changement du transformateur brûlé. Après s’être procuré le nouveau transformateur auprès du « magasin » du secteur, son équipe se rend sur les lieux et procède au démantèlement de l’équipement et à l’installation du nouveau transformateur. La réalimentation des clients s’effectue ensuite en cascade jusqu’au rétablissement complet du courant, vers 12h30[14]. Entre l’assignation de la tâche et la fin de la panne, 5,5 heures se sont écoulées. M. Dumas explique que le temps très froid contribue à prolonger la durée des travaux et des déplacements.
[28] Considérant la séquence des événements du 15 janvier 2009, il est pour le moins étonnant qu’Hydro-Québec confirme vers 21h30 au concierge des Immeubles que le courant sera rétabli vers 23h25. Hydro-Québec sait en effet à ce moment que la cause de la panne relève du bris d’un transformateur S2K2d et qu’aucune équipe de travail n’est encore sur les lieux ni même en déplacement vers ceux-ci. La preuve démontre qu’une telle estimation est complètement irréaliste, puisque :
· le temps requis pour le remplacement d’un tel transformateur et le rétablissement complet du courant, à compter de l’arrivée de l’équipe sur place, est de trois heures[15];
· malgré la mention à 22h25 «Rappel d’équipes par contremaître » à la séquence, aucune équipe n’est encore assignée à cette tâche (et ne le sera dans les faits avant 7h00 le lendemain matin).
[29] Ce qui s’avère encore plus étonnant, c’est de constater qu’Hydro-Québec modifiera l’heure de rétablissement du courant à cinq reprises par la suite, sans qu’il ne soit possible de comprendre sur quelles données elle a pu se baser pour émettre de telles informations, surtout celles communiquées en début de matinée le 16 janvier alors que l’équipe n’est même pas encore sur place pour procéder aux travaux.
[30] Dans la mesure où Hydro-Québec choisit de communiquer à sa clientèle un délai de rétablissement du courant électrique en cas de panne, elle se doit de le faire de façon diligente et raisonnable.
[31] Particulièrement dans un contexte de pannes multiples se produisant dans des conditions de froid extrême, les informations communiquées par Hydro-Québec se devaient d’être plus fiables et plus rigoureuses afin que ses clients, dont l’Assurée, puissent prendre les mesures appropriées, en temps opportun, tenant compte des facteurs climatiques et du délai requis pour le retour du courant électrique. Dans la mesure où Hydro-Québec jugeait ne pouvoir donner une information juste et réaliste du temps de rétablissement du courant, elle avait le devoir d’en aviser la clientèle qui s’en informait, dont l’Assurée, plutôt que de lui communiquer des estimés non conformes à la situation réelle sur le terrain.
[32] Le 15 janvier 2009, Hydro-Québec a failli à cette obligation et ce faisant, a commis une faute envers l’Assurée.
[33] Quant à la causalité, elle est établie selon la balance des probabilités. Le gel des tuyaux, cause immédiate des dommages, est en partie déjà complété lorsque M. Bridgeman procède au drainage du système vers minuit. La preuve est concluante à l’effet que si M. Bridgeman avait effectué le drainage du système de chauffage dès les premières heures suivant le début de la panne, l’eau n’aurait pas gelé dans la tuyauterie du système et les dommages auraient été évités.
[34] Si Hydro-Québec ne lui avait pas communiqué une information erronée et irréaliste du délai de rétablissement du courant électrique, M. Bridgeman aurait, selon toutes vraisemblances, procédé à cette manœuvre dès les premières heures suivant la panne puisqu’il était sur place peu de temps après le début de celle-ci. Le délai annoncé par Hydro-Québec pour le retour du courant a exercé une influence déterminante sur la décision de M. Bridgeman de ne pas prendre de mesures préventives en temps opportun.
[35] La responsabilité d’Hydro-Québec est engagée envers l’Assurée à cet égard.
3.3. La clause d’exonération de responsabilité
[36] Hydro-Québec invoque une clause d’exonération de responsabilité contenue aux conditions de service d’électricité telles qu’adoptées par la Régie de l’énergie[16] (Conditions de service) conformément à sa loi constitutive (LRÉ)[17]:
[37] Les dispositions invoquées se lisent comme suit :
« 4.1 Hydro-Québec ne garantit pas le maintien à un niveau stable de la tension et de la fréquence, ni la continuité du service et de la livraison de l’électricité.
Hydro-Québec ne peut être tenue responsable de tout dommage matériel causé par une ou plusieurs variations ou pertes de tension ou de fréquence, interruptions de service pratiquées conformément aux présentes conditions de service ou défauts de livrer l’électricité sauf en cas de faute intentionnelle ou lourde.
Hydro-Québec ne peut être tenue responsable des préjudices résultant d’une tension de fourniture en régime permanent qui n’excède pas les limites suivantes :
1° si l’électricité est fournie en basse et moyenne tension, selon la norme prévue à l’article 14 ;
2° si l’électricité est fournie en haute tension, un écart jusqu’à plus ou moins 10% par rapport à la tension nominale de fourniture.
12.1 Hydro-Québec livre et fournit l’électricité sous réserve des interruptions pouvant résulter d’une situation d’urgence, d’un accident, d’un bris d’équipement ou du déclenchement de l’appareillage de protection du réseau. »
(emphase par la soussignée)
[38] Hydro-Québec plaide que les conditions de service ont une valeur réglementaire et que l’Assurée est ainsi présumée en avoir eu connaissance. Par conséquent, la clause d’exonération qui y est stipulée serait opposable à l’Assurée, conformément à l’article 1475 C.c.Q.
[39] Or, les conditions de service n’ont pas de valeur réglementaire puisque la Loi sur la Régie de l’Énergie n’octroie pas à la Régie, ni expressément ni implicitement, le pouvoir de les réglementer.
3.3.1. La nature juridique des conditions de services
[40] Les conditions de service d’électricité, incluant la clause d’exonération, sont déterminées par décision de la Régie de l’énergie. Cette décision constitue un acte administratif qui encadre la fourniture d’électricité par Hydro-Québec auprès de sa clientèle, selon la définition suivante proposée par le professeur Garant :
L’acte administratif est généralement la décision prise par l’Administration dans l’exercice de sa mission de gestion, de régulation, de surveillance et de contrôle de différents secteurs de l’activité économique et sociale, d’enquête, de délivrance de permis, d’autorisation ou de prestation économique ou sociale. […] Lorsque la décision est prise en vertu d’un pouvoir discrétionnaire et que le décideur est surtout guidé par l’intérêt public, le fait qu’il tienne une audition ou entende la représentation des administrés concernés ne change pas la nature de la décision.[18]
[soulignement ajouté ; références omises]
[41] Un règlement doit être adopté en vertu d’une habilitation législative[19]. Comme le rappelle la Cour suprême du Canada dans Friends of the Oldman River[20], il ne saurait y avoir de règlement contraignant sans loi habilitante :
Il n’y a pas de doute que le pouvoir d’adopter des textes réglementaires doit être prévu dans la loi habilitante et c’est celle-ci que l’on doit examiner pour déterminer si la Loi peut appuyer l’adoption d’un texte réglementaire impératif, dont la violation peut entraîner une demande en bref de prérogative.
[soulignement ajouté]
[42] Selon les auteurs Issalys et Lemieux, une habilitation à réglementer sera généralement expresse, bien qu’une habilitation implicite puisse aussi être admise[21]. Dans ce dernier cas, l’intention d’accorder un pouvoir réglementaire doit transparaître clairement du contexte de la disposition habilitante, ainsi que de l’objet de la loi.
[43] En vertu de l’article 114 LRÉ, la Régie de l’énergie est expressément habilitée à réglementer certaines matières spécifiques. Cette disposition figure au chapitre IX de la LRÉ qui s’intitule « Directives et règlements » :
114. La Régie peut déterminer par règlement:
1° des normes relatives aux opérations du distributeur d'électricité ou d'un distributeur de gaz naturel ainsi qu'aux exigences techniques qu'il doit respecter;
2° des normes relatives au maintien d'un réseau de distribution d'électricité ou de gaz naturel; (…)
[soulignement ajouté]
[44] Or, le pouvoir de fixer les conditions de service d’électricité ne se retrouve pas sous le couvert de l’article 114, mais plutôt sous celui de l’article 31, qui relève du chapitre III, intitulé « Fonctions et pouvoirs ». Cette dernière disposition prévoit que la Régie de l’énergie a compétence exclusive pour fixer les conditions auxquelles l’électricité est distribuée par Hydro-Québec, sans toutefois préciser la nature de ce pouvoir :
31. La Régie a compétence exclusive pour:
1° fixer ou modifier les tarifs et les conditions auxquels l'électricité est transportée par le transporteur d'électricité ou distribuée par le distributeur d'électricité ou ceux auxquels le gaz naturel est fourni, transporté ou livré par un distributeur de gaz naturel ou emmagasiné; (…)
[45] Ainsi, l’économie générale de la LRÉ ne tend pas à indiquer que le législateur entendait conférer à la Régie un pouvoir de nature réglementaire quant aux conditions de fourniture d’électricité, contrairement à la détermination d’autres normes.
[46] Il en va de même de l’historique législatif. En effet, depuis 1998, il est du ressort de la Régie de l’énergie de fixer les tarifs et conditions auxquels l’électricité est transportée et distribuée[22]. Préalablement, il appartenait à Hydro-Québec de fixer ces conditions de service, par règlement, soumis à l’approbation du gouvernement selon l’article 22.0.1 de la Loi sur Hydro-Québec, qui se lisait comme suit :
22.0.1. Les tarifs et les conditions auxquels l’énergie est fournie doivent être compatibles avec une saine administration financière.
Ces tarifs et ces conditions sont fixés par règlement de la Société, selon les catégories qu’elle détermine, ou par contrats spéciaux. (…)
[47] Le législateur n’a pas repris cette habilitation expresse dans le texte de la LRÉ.
[48] L’objet de la LRÉ ne permet pas non plus de conclure à l’existence d’une habilitation à réglementer les conditions de fourniture d’électricité. À la lumière des articles 1 et 5 LRÉ, la mission de la Régie de l’énergie consiste notamment à contrôler la fourniture d’électricité en conciliant l’intérêt public, la protection des consommateurs et un traitement équitable du distributeur[23].
[49] La réalisation de cet objectif n’exige pas un pouvoir de nature réglementaire. En effet, depuis 1998, les décisions de la Régie de l’énergie ont une force contraignante envers Hydro-Québec en vertu de la version amendée de l’article 22.0.1 de la Loi sur Hydro-Québec.
[50] Au surplus, contrairement aux règlements qui les ont précédées[24], les conditions de services telles qu’adoptées par la Régie de l’énergie ne font pas l’objet d’une publication formelle. Or, la Loi sur les règlements[25], qui s’applique à la Régie de l’énergie, exige que tout règlement soit publié à la Gazette officielle du Québec. Si les décisions de la Régie constituaient des règlements, ceux-ci seraient invalides à défaut d’une telle publication[26].
[51] Le professeur Garant explique en ces termes l’exigence d’une publication :
Le rôle normatif des actes réglementaires ne pouvait être accompli sans une publicité suffisante ; en effet, il ne suffit pas qu'une norme existe, encore faut-il qu'elle soit connue des administrés. (…) [27]
[52] Les conditions de service ne sont donc pas de nature réglementaire et la clause d’exonération qui y est stipulée n’est opposable à l’Assurée que s’il est démontré, conformément à l’article 1475 C.c.Q. qu’elle a été portée à sa connaissance.
3.3.2. Application de l’article 1475 C.c.Q.
[53] L’Assureur plaide l’article 1475 C.c.Q. qui se lit comme suit :
1475. Un avis, qu'il soit ou non affiché, stipulant l'exclusion ou la limitation de l'obligation de réparer le préjudice résultant de l'inexécution d'une obligation contractuelle n'a d'effet, à l'égard du créancier, que si la partie qui invoque l'avis prouve que l'autre partie en avait connaissance au moment de la formation du contrat.
[54] Conformément à cette disposition, une clause de non-responsabilité ne peut être opposée au créancier de l’obligation que dans la mesure où il en a eu connaissance. Il appartient à la partie qui plaide l’exonération de démontrer que l’autre partie en avait connaissance. Cette connaissance ne peut être supposée ou présumée et doit être établie au moyen d’une preuve valable et probante[28].
[55] Par conséquent, Hydro-Québec avait le fardeau d’établir que l’Assurée en avait connaissance au moment de la formation du contrat les liant. Hydro-Québec n’a pas fait cette démonstration. De plus, les conditions de service n’étant pas de nature réglementaire, l’Assurée n’est pas présumée en avoir eu connaissance.
[56] En effet, si toute personne est tenue de prendre connaissance des lois publiques[29] et des règlements publiés à la Gazette officielle du Québec[30], aucune règle comparable ne s’applique aux décisions administratives de la Régie de l’énergie ni aux termes du contrat entre Hydro-Québec et ses clients. Cette connaissance ne saurait s’inférer de la seule publication des Conditions de service d’électricité sur les sites web d’Hydro-Québec et de la Régie de l’énergie.
[57] Dans ce contexte, rien ne justifie d’écarter l’application de l’article 1475 C.c.Q. et la clause d’exonération est inopposable à l’Assurée en l’espèce.
3.3.3. La portée de la clause d’exclusion
[58] Même si la clause de limitation de responsabilité était opposable à l’Assurée, Hydro-Québec ne pourrait y recourir avec succès.
[59] Une clause d’exonération doit faire l’objet d’une interprétation restrictive[31] :
[1137] Même si ces clauses sont désormais autorisées par le Code civil du Québec, elles sont fortement encadrées par le législateur et doivent notamment recevoir une interprétation restrictive. Selon Baudouin, cette exigence d’interprétation restrictive demeure en vertu d’un principe général voulant que celui qui prétend exclure ou réduire les droits que la loi accorde à un autre, doive le faire clairement et qu’en cas de doute on favorise le plein et entier exercice des droits. Ainsi, en matière générale, si une clause d’exonération n’est pas suffisamment claire, elle sera interprétée en faveur de la partie contre qui elle entend s’appliquer.
[1138] De plus, l’auteur Karim abonde dans le sens d’une interprétation restrictive des clauses d’exonération de responsabilité. En effet, selon cet auteur, si une clause n’est pas rédigée avec suffisamment de clarté, il convient de ne pas étendre son application à des cas ou des situations qui n’y sont pas mentionnées expressément. L’auteur donne alors l’exemple d’une clause qui précise l’identité des personnes qui en seraient exonérées. Dans une telle situation, il serait absolument exclu d’étendre l’application de la clause à des personnes qui n’y seraient pas nommées expressément. De même, l’auteur ajoute que selon lui, ces clauses d’exclusion de responsabilité s’interprètent de manière tout aussi restrictive dans le cadre de contrats d’entreprise.
[1139] Finalement, en matière générale, selon les auteurs, il convient, en présence d’une clause d’exonération de responsabilité, de l’interpréter le plus restrictivement possible. En cas de doute, les dispositions de l’article 1432 C.c.Q. selon lesquelles un contrat s’interprète en faveur de celui qui a contracté l’obligation doivent guider celui qui doit interpréter de telles clauses.
[soulignement ajouté]
[60] Si l’on devait reconnaître une valeur réglementaire aux Conditions de service d’électricité, une interprétation restrictive s’imposerait tout autant. Comme le rappelle la Cour d’appel dans l’arrêt Allendale[32], une dérogation au droit commun se doit d’être clairement exprimée :
[33] (…) I see nothing in article 300 C.C.Q. or in the Hydro-Quebec Act itself that places Hydro-Quebec beyond the reach of the principles set out in articles 1457 and 1458 C.C.Q.
[34] Any intended departure from these defining characteristics of our system of civil justice require, on the part of the legislature, clear and precise language to that effect.
[61] Selon son libellé, la clause d’exonération contenue aux conditions de service d’électricité vise à exclure la responsabilité d’Hydro-Québec, à moins de faute lourde ou intentionnelle, pour tout dommage matériel causé par une ou plusieurs variations ou pertes de tension ou de fréquence, interruptions de service pratiquées conformément aux conditions de service ou défauts de livrer l’électricité. La clause d’exonération ne couvre pas la conduite fautive d’Hydro-Québec et de ses préposés exercée dans le cadre du processus d’information soumise à sa clientèle dans le cas de pannes.
[62] Or, la faute retenue à l’encontre d’Hydro-Québec est précisément d’avoir, dans le contexte d’une panne de service, procuré à l’Assurée des informations erronées et irréalistes quant au délai de rétablissement du service. Ce faisant et se fondant sur cette information, l’Assurée a tardivement procédé aux mesures nécessaires afin de protéger les Immeubles d’un dommage causé par la panne de courant. La clause exonératoire, telle que libellée, est inapplicable dans un tel cas.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[63] ACCUEILLE l’action de la demanderesse;
[64] CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 90 000 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la mise en demeure du 22 juin 2010;
[65] LE TOUT avec dépens.
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Suzanne courchesne, J.C.S. |
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Me Geneviève Allen |
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Stein Monast |
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Procureure de la demanderesse |
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Me Patrice Leblanc |
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Cellucci Fréchette |
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Procureur de la défenderesse |
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Date d’audience : |
Le 11 mai 2015 |
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[1] Conformément au document intitulé « Ententes des parties » déposé à l’audience le 11 mai 2015.
[2] Pièce D-3.
[3] Pièce P-2.
[4] Transcription de l’interrogatoire après défense de Philip Bridgeman, pièce D-9, pages 18 à 21.
[5] Id., pages 21 à 23.
[6] Pièce D-10, engagement E-3.
[7] Pièce D-10, engagement E-4.
[8] Pièce D-10, engagement E-3, pages 54 et 58 et engagement E-4.
[9] Pièce D-10, engagement E-3.
[10] Id.
[11] Pièce D-10, engagement E-4.
[12] Pièce D-10, engagement E-3, page 54.
[13] Interrogatoire après défense de M. Serge Parisien le 10 septembre 2012, pièce P-13, page 40.
[14] Pièces D-7 et D-10, E-4.
[15] Selon le témoignage de Charles Dumas et la séquence pièce D-10, E-4.
[16] Décision D-2008-028 du 6 mars 2008.
[17] Loi sur la Régie de l’énergie, RLRQ, c. R-6.01, articles 31 et 48.
[18] Patrice GARANT, Droit administratif, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 250.
[19] Ruel c. Marois, [2001] R.J.Q. 2590 (C.A.), par. 49 ; citant Patrice GARANT, Droit administratif, 4e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1996, p. 336.
[20] Friends of the Oldman River c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 3, p. 33.
[21] Pierre ISSALYS et Denis LEMIEUX, L’action gouvernementale - Précis de droit des institutions administratives, 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 552 et 553.
[22] Id. ; Loi sur Hydro-Québec, RLRQ, c. H-5, article 22.0.1.
[23] Voir à cet égard Domtar inc. c. Produits Kruger ltée, 2010 QCCA 1934, par. 34 et 35.
[24] Règlement numéro 411 établissant les conditions de fourniture de l’électricité, (1987) 119 G.O. II, 1918 et Règlement numéro 634 sur les conditions de fourniture de l’électricité, (1996) 128 G.O. II, 2998. Ces règlements ont été adoptés en vertu des versions antérieures de l’article 22.0.1 de la Loi sur Hydro-Québec.
[25] RLRQ, c. R-18.1, art. 10. La Régie de l’énergie répond aux critères d’application de la Loi sur les règlements prévus à l’article 2 de la loi, puisque ses régisseurs sont nommés par le gouvernement suivant l’article 7 LRÉ.
[26] Article 25 de la Loi sur les règlements, préc. note 25.
[27] Patrice GARANT, Droit administratif, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 340.
[28] Commercial Union Insurance Company c. CIO Holdings Ltd 2006 QCCS 4009 para.53.
[29] Loi d'interprétation, RLRQ, c. I-16, art. 39.
[30] Loi sur les règlements, préc. note 25, art. 20.
[31] Deguise c. Montminy, 2014 QCCS 2672.
[32] Allendale Mutual Insurance Co. c. Hydro-Québec, [2002] RJQ 84 (C.A.).
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